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1193. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Du moins peut-on remarquer que le style de la Tempête paraît, plus qu’aucun autre ouvrage de Shakespeare, s’éloigner de ce type général d’expression de la pensée qui se retrouve et se conserve plus ou moins partout, à travers la différence des idiomes. […] Celui-ci a tout le cynisme de Diogène, et son égoïsme et son orgueil, qui percent à travers ses haillons, trahissent le secret de ses sarcasmes et de ses mépris pour les hommes. […] À travers la confusion des incidents et la brutalité des mœurs, l’intérêt et le pathétique n’ont peut-être jamais été portés plus loin que dans cette tragédie. […] Celui de Marguerite ne se dément point ; et celui de Henri, à travers les progrès de sa faiblesse et de son imbécillité, laisse encore apercevoir de temps en temps ces sentiments doux et pieux qui ont jeté sur lui de l’intérêt dans la première partie. […] Peut-être en doit-on admirer davantage le génie qui a su se tracer sa route dans ce chaos, et diriger à travers ce labyrinthe un fil qui ne s’interrompt et ne se perd jamais.

1194. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Filch, un pilier de prison, dit qu’ayant remplacé « le faiseur d’enfants, devenu invalide, il a amassé quelque argent à procurer aux dames de l’endroit des grossesses pour leur faire avoir un sursis814. » Une verve atroce, aigrie d’ironie poignante, coule à travers l’œuvre comme un de ces ruisseaux de Londres dont Swift et Gay ont décrit les puanteurs corrosives ; à cent ans de distance, elle déshonore encore le monde qui s’est éclaboussé et miré dans son bourbier. […] D’autre part, il se délivre de l’ennui, son ennemi capital, et contente son besoin d’action ; le devoir conçu donne un emploi aux facultés et un but à la vie, provoque les associations, les fondations, les prédications, et, rencontrant des âmes et des nerfs plus endurcis, les lance, sans trop les faire souffrir, dans les longues luttes, à travers le ridicule et le danger. […] Car ils entendent et ils lisent ; la prière faite en langue vulgaire, les psaumes traduits en langue vulgaire, peuvent entrer à travers leurs sens jusqu’à leur âme. […] Les cris d’angoisse ou d’admiration de l’Hébreu solitaire, les transports, les éclats imprévus de passion sublime, la soif de la justice, le grondement des tonnerres et des justices de Dieu, viennent, à travers trente siècles, remuer ces âmes bibliques. […] Un souffle extraordinaire, une sorte de frémissement de volonté tendue, court à travers toutes ces harangues.

1195. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Leur sens littéral est un peu troublant, mais la musique des mots crée en moi une atmosphère de sentiment ému ; et on comprend que les vrais poètes sont, en effet, comme la perpétuation à travers les siècles de ce premier langage de l’humanité, qui n’exprimait que des états de sensibilité. […] Dès les premiers vers de son premier livre : À travers le Voile, la poétesse exprime ce désir de s’engloutir dans la nature, qui l’attire comme un amant : L’odeur de volupté des marais s’accentue, Qui parle aux sens tout bas avec des mots profonds. […] Calme, de la nuit pend au long des noirs chevrons, Plane et traîne sa paix, de cendres imprégnée, À travers le vitrail des toiles d’araignées Dont un rai de soleil fait trembler les fleurons. […] C’est qu’à travers les feuillages noirs l’image de la Mort est apparue : Puisque je dois mourir, tout me navre et me nuit… Pour un instant, la poétesse se dissocie de la nature et prend conscience de sa petite vie individuelle ; qu’elle rentre vite dans le fourré de l’inconscience et redevienne un des gestes, un des cris spontanés de la nature : Errer dans la nature ainsi qu’une abeille ivre… ……………………………………………………………………………………… Et ne distinguer plus de mon cœur éphémère Et soupirant, le cœur paisible de la terre, qu’elle s’enfonce dans le silence des choses « comme le moissonneur en la mer des moissons » : le silence est la voix de son cœur : il lui parlera d’amour. […] À travers les nuages, une cime de montagne apparaît Nette et nue comme une femme se dévêt… Le sentiment qui emplit ces vers est le désir de l’amour, cette identification parfaite de deux êtres ; je ne vis que pour lui, dit-elle, Je viens toujours à lui, les mains pleines de roses : À mes plus beaux présents, il n’a jamais souri, Il ne me tend jamais qu’une bouche morose.

1196. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Quelques narrations, parmi lesquelles se détache le conte de cette Matrone tant célébrée, sont des pièces accomplies, et les vers que l’auteur s’est passé la fantaisie d’insérer à travers sa prose, à la différence de ce qu’offrent en français ces sortes de mélanges, ont une solidité et un brillant qui en font de vraies perles enchâssées. […] Ainsi, à travers les fatuités de cette lettre qui nous paraît si étrange de ton, il savait très-bien indiquer le côté faible de Mme de Maintenon, lui dénoncer cet oubli où on l’accusait de laisser tomber insensiblement ses relations du passé : « On s’imagine que vos anciens amis ne tiennent pas en votre bienveillance une place fort assurée. » Il l’avertit qu’on lui reprochait à la cour de n’aimer à favoriser que des gens déjà élevés et par eux-mêmes en faveur. […] On noierait bien d’autres endroits encore où une sorte de grossièreté perce sous la quintessence et prend même le dessus ; la lettre 195e, qui contient une théorie savante sur le mariage à trois ; la 130e, où il fait, du bel-esprit sur des choses simplement malpropres ; la 30e, où, à travers la gaudriole, les Filles de la Reine sont traitées fort lestement.

1197. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel Tant va la cruche à l’eau, qu’enfin elle se brise. […] Le comique, c’est à la fois l’extravagance de la volonté sans but et sans règle, qui échoue parce qu’elle vogue à la dérive à travers l’absurde, et la sécurité de l’homme fort, qui, se sentant bardé de fer et cuirassé contre sa propre fortune, brave les contretemps et rit quand son vaisseau sonne contre un écueil. […] Le roman est la chevalerie de nouveau prise au sérieux et rentrée dans la vie réelle… Les jeunes gens sont ces nouveaux chevaliers qui doivent se faire jour en combattant à travers ce monde matériel et positif… Ils se proposent de changer et d’améliorer la société… Finalement ils se marient et détiennent d’inoffensifs bourgeois.

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