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719. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Il en est par la profusion relative de son érudition scolastique, quoique déjà son imagination de poète lasse de vives sensations des lambeaux d’antiquité dérobés au pédantisme de la mémoire. […] Ces vers et les choses qu’ils contiennent, sortent du fond de l’expérience et de la sensation d’un homme : ils répandent la plus intime sensibilité de son cœur.

720. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Je laisse les maladifs Goncourt, chez qui la sensation littéraire semble déjà, elle-même, une souffrance, et qui, ne fussent-ils pas torturés comme hommes, le seraient déjà comme artistes ; je n’alléguerai pas le calvaire de leur Germinie, à la fois héroïque et infâme, qui, parmi les hontes et la folie de son corps, garde un si grand coeur et, dans ses « ténèbres », pour parler comme Tolstoï, la pure flamme d’un absolu dévouement. […] Dira-t-on qu’il s’agit moins d’une inquiétude philosophique que du sentiment de l’inconnu formidable qui nous entoure, sentiment qui peut être lui-même provoqué par une sensation accidentelle ?

721. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

C’était comme le trop-plein de sensations qui vous oppresse par les temps d’orage. […] Un classique a dit : « Si l’on examine les divers écrivains, on verra que ceux qui ont plu davantage sont ceux qui ont excité dans l’âme plus de sensations en même temps. » N’estimez-vous pas que cette réflexion s’applique très bien à Daudet, et qu’une des marques essentielles de son talent est cette aisance avec laquelle il passe et nous fait passer d’une impression à l’autre et ébranle presque dans le même instant toutes les cordes de la lyre intérieure ?

722. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

La pression de tes doigts, si doux sur mes paupières, à la longue, remplirent tout mon être d’un délire sensuel inappréciable… Tes sanglots impétueux flottaient dans mon oreille avec toutes leurs plaintives cadences… C’étaient de suaves notes musicales et rien de plus… pendant que la large et incessante pluie de larmes qui tombait sur ma face… pénétrait simplement d’extase chaque fibre de mon être… Toi seule avec ta robe blanche, ondoyante, dans quelque direction que ce fût, tu t’agitais toujours musicalement autour de moi… Et quand, approchant alors, chère Una, du lit sur lequel j’étais étendu, lu t’assis gracieusement à mon côté, souillant le parfum de tes lèvres exquises et les appuyant sur mon front, quelque chose s’éleva dans mon sein, quelque chose de tremblant, de confondu avec les sensations purement physiques engendrées par les circonstances, quelque chose d’analogue à la sensibilité même, un sentiment qui appréciait à moitié ton ardent amour et ta douleur. […] Il sent maintenant sa propre vie par une infinité de plaisirs imparfaits, — les plaisirs partiels et entremêlés de peine de ces êtres prodigieusement nombreux que tu nommes ses créatures, mais qui ne sont réellement que d’innombrables individualisations de lui-même… La somme générale de leurs sensations est juste le total du bonheur qui appartient de droit à l’Être divin quand il est concentré en lui-même.

723. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Balzac » pp. 17-61

Pour une critique qui va au fond, sous les contours et sous les lignes, Homère est un bonhomme, et Horace, le poète aux sensations pénétrantes et fines, le sentait bien quand il l’appelait : Bonus Homerus. […] C’est nous, les derniers venus d’ici-bas, qui avons blanchi sous le faix de la science et des sensations de la vie, c’est nous qui pouvons posséder dans toute sa force et sa plénitude cette vertu de bonhomie, inhérente à tous les talents, qui nous prend le plus à la poitrine et qui rend humain l’idéal !

724. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. »

Les réminiscences, les sensations, les nobles désirs, les aspirations généreuses, y débordent ; le jeune auteur voudrait tout unir, tout embrasser.

725. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Il avait vu beaucoup, et peu lu ; il avait eu déjà de grandes sensations, mais il était complètement étranger à l’art de les exprimer, il avait erré comme un pauvre enfant aux pieds de ces Alpes où il avait reçu le jour ; et l’abondance de sentiments qu’il avait éprouvés au milieu des misères d’une vie incertaine n’avait trouvé d’autre forme pour se répandre que la musique, cette langue de l’air, du vent et de l’orage, que le génie a ravie à Dieu, et que ce jeune homme avait apprise tout seul en écoutant les échos de ses montagnes.

726. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

D’abord il est démontré que de certaines situations, seulement effrayantes, que les mauvais imitateurs de Shakespeare ont voulu représenter, ne produisent qu’une sensation physique désagréable, et aucun des plaisirs que la tragédie doit donner ; mais, de plus, il y a beaucoup de situations touchantes en elles-mêmes, et qui néanmoins exigent un jeu de théâtre, fait pour distraire l’attention, et par conséquent l’intérêt.

727. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Banville, Théodore de (1823-1891) »

mais j’aime mieux l’y voir rire que de l’y voir gambader… Nous arrivons à ces Idylles prussiennes qui ont fait tout à coup surgir de Banville comme un Banville qu’on ne connaissait pas… Toutes les pièces de ce recueil d’Idylles sont superbes et d’un pathétique d’autant plus grand que le désespoir y est plus fort que l’espérance ; qu’il y a bien ici, à quelques rares moments, des volontés, des redressements et des enragements d’espérance, mais tout cela a l’air de s’étouffer dans le cœur et la voix du poète, et on épouse sa sensation… Les hommes sont si faibles et ont tant besoin d’espérer, que c’est peut-être ce qui a fait un tort relatif aux Idylles prussiennes de M. 

728. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Tout clairvoyant reconnaîtra la vertu de ses sensations, de ses associations, de ses formules.

729. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Une soirée chez Paul Verlaine » pp. 18-33

Pour lui, chaque pièce de vers devait être un roman, « le roman d’une heure, d’une minute, d’un moment psychologique et physiologique, avec le milieu, le cadre du Fait, un Fait signifiant quelque chose », et, dans le rendu de l’heure, de la minute, du moment, il essayait de « donner l’impression du milieu sur le corps, du corps sur l’âme, car il ne comprenait pas le corps sans le milieu, l’âme sans le corps, c’est-à-dire l’idée sans la sensation » et, pour la langue, il rêvait « au lieu du mot qui narre, le mot qui impressionne ».

730. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IV. La littérature et le milieu psycho-physiologique » pp. 126-137

Ceux même des philosophes qui défendent la raison la trahissent : Condillac fait de l’intelligence une dépendance de la sensibilité, puisque les idées ne sont pour lui que des sensations transformées.

731. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

Le voyageur a marché toute la journée, ramassant, recevant ou récoltant des idées, des chimères, des incidents, des sensations, des visions, des fables, des raisonnements, des réalités, des souvenirs.

732. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Beaufort » pp. 308-316

Celui-ci a je ne sais quoi qui vous rappelle la manière simple, non recherchée, isolée et tranquille de composer des anciens, manière où les figures restent comme le moment les a placées, et ne sont vraiment liées que par la circonstance, le fait et la sensation commune.

733. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Mais pour les hommes chez qui la conscience religieuse n’est pas très développée, pour les hommes que le catholicisme trouve hostiles ou seulement indifférents, il aurait été bon de sortir de ces termes devenus trop amples et trop flottants de conscience religieuse et de catholicisme, et, puisqu’on différait de principes, de pensée ou de sensation, de montrer à l’intelligence politique des faiseurs d’histoires, ce que c’était, conscience à part et vérité divine à part, que le catholicisme en France, quand la Ligue se leva pour le défendre.

734. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Goethe »

On était si las de la rhétorique de ce lâche menteur trop admiré, qu’on trouva d’une sensation délicieuse un livre rapide, de courte haleine, où la passion, la bavarde passion, savait en finir, et avalait ce verre d’eau du suicide, comme dit Stendhal, sans même penser à cette vieillerie de l’enseignement chrétien qui avait été la loi morale de l’Europe.

735. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Caro nous montre Saint-Martin, abrité contre la révolution française dans le désert intérieur de sa spiritualité, et, quand la tempête est passée, plus tard, en 1795, il suit avec un intérêt mêlé d’éloge le solitaire devenu homme public, répondant sur la question de l’enseignement, agitée alors officiellement par le Pouvoir, aux attaques cauteleuses de Garat, le rhétoricien de la sensation.

736. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Léon Gozlan » pp. 213-230

Les Sensations de Polydore Marasquin, livre à la Swift, et la renversante Histoire d’Aristide Froissard.

737. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

L’amour de Réa est l’amour d’une âme déjà éprouvée, mais en possession de toutes ses puissances ; c’est l’amour d’un cœur riche qui se dilate encore plus qu’il ne se concentre, et qui répand son sentiment dans toutes les choses de ce monde, dans toutes les sensations de la vie, dans toutes les poésies de la nature et de l’art, et jusque dans les idées de son esprit ; car chez elle l’amour remonte du cœur au cerveau ; car au sein de cette passion à laquelle elle s’est abandonnée trop librement et sans combat, elle reste invariablement spirituelle, et si spirituelle qu’un moment elle m’a fait trembler !

738. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

Le levain des sensations, goûtées à ce bal, fermente… Un clerc de notaire, aux joues roses, timide et curieux, sentimental et niais comme une romance, est sa première pensée, nettement adultère, mais ce n’est qu’une pensée.

739. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’architecture nouvelle »

Si, d’une part l’horreur des sentiers battus dont témoignent ces derniers n’a eu, en général, pour résultat, que l’élargissement du domaine, déjà si vaste, de la laideur et du baroque, il faut bien avouer, d’autre part, que nous leur devons quelques sensations d’art véritable.

740. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Nous les sentons toutes en une seule sensation ; la figure est plus expressive que celle des vivants eux-mêmes ; elle concentre ce que la nature a dispersé. — Cela est plus visible encore dans les plans. […] Ce que la société développe dans l’homme, c’est la finesse ; elle fait des délicats, c’est son mérite et son tort ; des délicats en toute chose, et d’abord en matière de sensations. […] Ces reploiements de mélancolie ardente, cette surabondance de sensations intenses et brisées annoncent la profonde science du cœur et le délire de passion qui va produire et dévaster son drame. — Quel contraste, en regard, que la jeunesse de Racine ! […] De l’étendue à la vie, de la vie à la sensation, de la sensation à la pensée, s’ordonne une série de puissances dont la première appelle la seconde, dont la seconde nécessite la première, liées entre elles comme la fleur, le fruit et la graine d’une plante, états différents qui révèlent une même force, paroles successives qui expriment une même idée. […] « La durée de la vie de l’homme est un point ; sa substance, un écoulement ; sa sensation, une impuissance ; son corps, un bâtiment qui tombe ; son âme, une toupie qui tourne ; sa fortune, une obscurité ; sa renommée, un jugement d’aveugles.

741. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Cela s’entendait à demi-mot ; ce demi-mot résumait toute une suite d’idées, de sensations et d’arguments ; c’étaient des signes abréviatifs, aussi clairs et aussi rapides, plus substantiels et plus condensés que ceux de la sténographie. […] Taine estime, avant tout, les termes énergiques qui répondent avec exactitude à l’intensité des impressions de l’âme ; il définirait volontiers le style la notation littéraire des sensations. […] Flaubert, la nature de l’homme, qu’elle offre à la sensation extérieure et à son empire brutal aussi peu de résistance, que sera la nature de la femme ? […] Flaubert ne s’arrêtent pas à tel ou tel degré de la sensation ; le libre arbitre supprimé, ils deviennent légitimement de pures sensitives. […] Pour peu que vous erriez au cours de vos pensées, vous sentez en vous l’Européen se fondre en un Turc, sous la vive sensation de la lumière ; vous devenez homme de Mahomet avec délices.

742. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre sixième. Le roman psychologique et sociologique. »

Le romancier observe les mœurs et, en nous les représentant, il doit en rendre compte par les sentiments et les sensations qui en sont la cause : jusqu’alors, on a laissé dans l’ombre certains sentiments, certaines sensations ; le romancier actuel doit les mettre en scène comme tous les autres, en sa qualité de physiologiste et de psychologue. — Cette théorie, selon nous, est insoutenable. […] Restent les sens ; mais ils sont tellement appauvris et usés qu’ils ne peuvent qu’être le principe de sensations maladives, de penchants détraqués.

743. (1914) Une année de critique

Paris et la province commencent à être encombrés de surhommes et de nietzschéennes qui n’ont pas la sensation d’avoir vécu leur vie sans deux ou trois scandales, quelques escroqueries et un certain nombre de violences. […] Ils se lient, en un faisceau serré, aux sensations ; sensations visuelles le plus souvent. […] Presque, toujours il transpose une sensation visuelle en une image visuelle, celle-ci, à l’encontre du but que se propose d’ordinaire une métaphore, n’étant pas nécessairement plus générale que celle-là. […] On en retire une sensation de vie ralentie et comme diffuse, on y voit l’âme qui se désagrège et s’abandonne… Pourquoi aimai-je tant chez lui ce que je détesterais chez d’autres ? […] Loti, cet enchanteur, est un esclave de la sensation.

744. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome II

Mais leur application aux enfants et aux adolescents est évidemment possible, et combien elle serait bienfaisante, leur programme seul l’indique : contrôle des sensations, contrôle des mouvements, contrôle des images, contrôle du courant nerveux, contrôle des idées. […] Quand le plus grand d’entre eux, Michel-Ange, a voulu, comme dans la nouvelle sacristie de Saint-Laurent, créer des images allégoriques, en dehors de toute donnée chrétienne, il nous suggère une sensation de la vie humaine, si sérieuse, si profonde, si tragique, qu’elle en est religieuse. […] Mais quelle joie intellectuelle quand ces livres, repris avec défiance, nous procurent, au contraire, un renouveau d’intérêt et nous donnent la sensation que nous ne nous étions pas trompés ! […] Ces lois de l’enfer mental, Dupré en saisissait le jeu, il avait, devant elles, cette sensation de la découverte qui faisait crier au savant grec l’Eurêka de la légende. […] » Et le ministre belge conclut en sortant de l’ambassade de France : « Je sentis que j’avais là un ami. » Déjà, dès ces premières visites, la sensation du malaise est perceptible à tant de signes.

745. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

L’état primitif lui apparaît comme se réduisant à une simple « sensation de plein air ». […] La sensation de plein-air, dont il parle, nous paraît comparativement moderne. […] La sensation et la pensée sont des parties de la vision. […] Malgré qu’on en ait, cela vous donne une sensation comme celle de la vie. […] Dire Mither, au lieu de Mother, donne à certains la sensation romantique au plus haut degré d’intensité.

746. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Qui mieux que Pierre Loti a su atteindre la puissance communicative dans les sensations que son art provoque ? […] Henry Bordeaux a débuté par des études de critique psychologique et intuitive, où déjà se manifestait ce goût de la sensation et de la vie qui devait l’amener à l’œuvre de pure imagination.

747. (1920) Action, n° 3, avril 1920, Extraits

Lautréamont transposa encore dans son œuvre, des estampes : le chapitre qui commence par « j’ai vu le créateur… sur une mer de sang… » est la transposition d’une gravure anglaise qui fut très populaire vers 1860 (Lautréamont n’avait que 13 ans, mais une sensation, sans doute lui resta) intitulée « Red Devilm . […] — Paul Eluard (Le Sans Pareil). — Un talent infini dans cette plaquette, un talent qui s’apparente à celui des faiseurs de Tannkabi japonaises, Ces poèmes unissent en si peu de mots, tant de sensations que la phrase hésite à se reconnaître elle-même dans les quelques lignes que porte le papier.

748. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

En dehors de Dieu et de l’Église, il n’eut peut-être que des sensations. […] Sensations d’Histoire, VIIIe vol. des Œuvres et des Hommes.

749. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor Hugo. Les Contemplations. — La Légende des siècles. »

Il l’a chanté, il est vrai, dans les conditions de son organisme, qui est un organisme de sensation et de vanité, car, même quand il pleure de vraies larmes, l’auteur des Contemplations les contemple, et il veut qu’elles soient contemplées. […] Par la conformation de la tête, par la violence de la sensation, par l’admiration naïve et involontaire de la force, cet homme est éternellement de l’an 1000.

750. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Edmond et Jules de Goncourt »

Dernièrement, n’annonçait-on pas solennellement, pour le Vendredi-Saint prochain, un dîner gras de Solidaires au Grand-Hôtel, où l’on pourrait manger contre Dieu et son Église, même sans faim et sans plaisir ; car manger est une sensation vivante, passionnée, et d’un autre temps que ce temps de crevés exsangues où l’on fait tout sans jouir, même le péché. […] C’est « des épanchements sur les sensations d’une jeune fille, les premières fois qu’elle va dans le monde ».

751. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Victor Hugo »

De toutes les sensations, en effet, que devait donner cet homme hideux, à la bouche fendue jusqu’aux oreilles et aux lèvres coupées sur les dents, ce n’était pas la sensation du rire, du rire communicatif et joyeux.

752. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Cela le menait à des jugements outrés qui ressemblaient à des sensations aiguës.

753. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Rodolphe Topffer »

Ses yeux, qui s’étaient opposés dès sa jeunesse à ce qu’il continuât, il n’avait plus à les ménager désormais, et il leur demandait comme une dernière sensation d’artiste ce jeu, cette harmonie des couleurs vers laquelle il se sentait irrésistiblement appelé ; il s’enivrait d’un dernier rayon.

754. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre II. De l’ambition. »

Le public a gagné contre lui, car les avantages qu’il possédait sont rendus à l’espoir de tous, et le triomphe de ses rivaux est la seule sensation vive que produise sa retraite.

755. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

La peine se multiplie par la peine, et le but s’éloigne par l’action même du désir ; et dans ce tableau qui semblerait ne devoir rappeler que l’histoire d’un enfant, se trouvent les douleurs d’un homme, les mouvements qui conduisent au désespoir et font haïr la vie ; tant les intérêts s’accroissent par l’intensité de l’attention qu’on y attache ; tant la sensation qu’on éprouve, naît du caractère qui la reçoit bien plus que de l’objet qui la donne.

756. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Comme contre-épreuve de cette série d’observations, on regarde non plus l’œuvre, mais l’auteur, et l’on voit que chez tous les grands artistes, dans ce qu’on appelle inspiration ou génie, se rencontre toujours une impression originale fournie par un caractère de l’objet, « la vive sensation spontanée qui groupe autour de soi le cortège des idées accessoires, les remanie, les façonne, les métamorphose, et s’en sert pour se manifester ».

757. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

On ne doit jamais négliger l’explication grammaticale ni l’explication historique ; mais on peut n’y voir qu’une préparation, n’y prendre que des points d’appui, soit pour une étude de goût, une analyse de sensations esthétiques, soit pour une recherche de l’usage et des applications actuelles de l’œuvre étudiée.

758. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Ne lui refusons pas non plus les douces sensations qui viennent du cœur et qui excusent et consolent les abandons des femmes.

759. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Il semble vraiment que son âme ne lui ait pas appartenu : elle flottait au souffle des sensations, des sentiments, des idées, aérienne, inconsistante, légère et musicale.

760. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Seconde partie. » pp. 35-56

Quelle source inépuisable d’agrémens que ce qui flatte notre goût intérieur, faculté distincte des autres sensations, & qui nous rend sensible à la beauté, à l’ordre, à l’harmonie !

761. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre V. L’antinomie esthétique » pp. 109-129

Le monde apparaît à l’artiste impressionniste comme un flux et un reflux de sensations, comme un remous d’apparences fugaces, comme une aurore boréale ou un feu d’artifice sentimental.

762. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Ce que tout le monde sait sur l’expression, et quelque chose que tout le monde ne sait pas » pp. 39-53

C’est qu’ils étaient placés dans des lieux écartés, et que l’horreur d’une forêt environnante, se joignant au sombre des idées superstitieuses, remuait l’âme d’une sensation particulière.

763. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Jules Janin » pp. 137-154

Dans les sensations et les joies du style, il prenait très bien son parti de n’être pas un créateur.

764. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Nièces de Mazarin » pp. 137-156

et dites si la touche n’est pas de ce comique exquis qui n’éclate pas, mais qui rit pourtant, avec toute la bonne sensation du rire.

765. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Voici quelques traits de cet éloge ; on y trouvera cette teinte de poésie qui convient au genre, et encore plus à un peuple à peine civilisé, où le génie même doit avoir plus de sensations que d’idées : « Supposez, dit l’orateur, un Moscovite sorti de sa patrie avant les entreprises de Pierre-le-Grand ; supposez qu’il ait habité au-delà des mers, dans des climats où le nom et les projets du czar n’aient pas pénétré.

766. (1895) La vie et les livres. Deuxième série pp. -364

Il est là passif, fixe, vide de sensations, comme un factionnaire dans sa guérite. […] Mais la sensation a disparu : le mouton de Dax a tout effacé. […] Une grande idée donne la sensation de l’immensité mieux encore que les profondeurs de l’Océan. […] Cet aristocrate s’amusa, dans sa quête des sensations inédites, à ramasser des bouts de cigare déjà mâchés. […] Vous n’aimerez pas ses gestes mous, son regard qui flotte, ses sensations indécises, ses pâles couleurs, le son mat de ses alexandrins ouatés.

767. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Un poète italien ne songe qu’à peindre les sensations de la vie, un poète anglais veut l’anatomiser. […] Le docteur Moreau dit encore : « Toutes les intelligences se classent successivement, et d’une manière non interrompue, aux divers degrés d’une échelle, dont l’extrémité inférieure est occupée par l’idiot, par des êtres humains imparfaits, réduits dans leur existence morale à des sensations ou perceptions incomplètes, et le sommet par le maniaque, en proie à l’exaltation la plus violente. […] C’est même de là que vient le nom de la critique d’art, appelée esthétique (aisthesis, sensation) : nom qui semble présenter un sens moins large, moins élevé, que la chose qu’il désigne ; mais c’est que dans les arts le moral et le physique se mêlent plus que jamais. […] La musique a ce double caractère : étant, d’un côté, comme la peinture, un art qui s’adresse d’abord à la sensation et qui pourrait par là sembler matérialiste, d’autre part elle entraîne l’imagination plus loin, plus haut dans l’idéal, que ne saurait faire la poésie, même la plus sublime, ni aucun autre art, quel qu’il soit. […] Les sensations qui courent dans ses nerfs délicats, plus rapides que l’électricité sur les fils électriques, le bouleversent vingt fois par jour… » Avec une telle complexion, faut-il s’étonner qu’Eugène Delacroix fût artiste depuis la moelle jusqu’aux ongles, épris de musique et de poésie autant que de peinture, mais, par-dessus tout, ardent coloriste ?

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