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1113. (1874) Premiers lundis. Tome I « Le vicomte d’Arlincourt : L’étrangère »

Arthur, à son début dans le monde, se rend au château de Montholin en Bretagne, pour y épouser la jeune et belle Izolette à laquelle il est destiné sans la connaître. […] Dès le lendemain donc il se rend à Karency, et s’introduit dans le château pour y voir la princesse ; mais, avide qu’il est de sensations fortes, il n’est point assez ému en la voyant ; il semble pressentir que celle qu’il a vue n’est qu’une fausse Agnès.

1114. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Il faut rendre à Béranger cette justice, qu’il n’a pas, le premier, recherché ces hommes réputés d’abord plus sérieux que lui, qui ne le sont pas, et à aucun desquels il ne le cède par l’esprit. Ils sont venus à lui ; oui, tous, un peu plus tôt, un peu plus tard, ils sont venus reconnaître en sa personne l’esprit du temps, lui rendre foi et hommage, lui donner des gages éclatants… [Causeries du lundi (1852).]

1115. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 348-354

De quel crime de leze-Majesté poétique ne s’est-il pas rendu coupable, par exemple, en s’acharnant sans relâche contre M. de Voltaire ! […] Thomas est moins éloquent que boursoufflé, plus compilateur & copiste, que censeur & original ; que M. de la Harpe, qui a traduit Suétone, a besoin d’étudier encore la Langue des Césars ; que les Extraits qu’il a fournis au Mercure, sont plus apprêtés que savans ; que son égoïsme enfin le rend d’abord insupportable & ensuite ridicule Comment s’expliquer de la sorte, & avoir le sens commun ?

1116. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Racan, et Marie de Jars de Gournai. » pp. 165-171

Ecoutons là-dessus Ménage. « Un de ces messieurs, dit-il, prévint d’une heure ou deux celle du rendez-vous, & fit dire que c’étoit Racan qui demandoit à voir mademoiselle de Gournai. […] Ils n’oublièrent rien pour la rendre non seulement ridicule, mais odieuse au public.

1117. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Une facilité acquise par des expériences réitérées, à saisir le vrai ou le bon, avec la circonstance qui le rend beau, et d’en être promptement et vivement touché. […] Il balbutiera ; il ne trouvera point d’expressions qui rendent l’état de son âme.

1118. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 28, de la vrai-semblance en poësie » pp. 237-242

Ainsi le poëte qui feint une avanture honorable à son heros pour le rendre plus grand, n’est pas un imposteur, quoique l’historien qui feroit la même chose passât pour tel. […] D’un autre côté, des évenemens si vrai-semblables qu’ils cessent d’être merveilleux, ne les rendent gueres attentifs.

1119. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Mercier » pp. 1-6

Sans exagérer la valeur de Mercier et refaire une réputation posthume à un homme qui de son vivant eut sa part de célébrité, cependant nous croyons que son livre, réduit à des proportions qui le rendent plus clair et plus ferme, et passé, qu’on nous permette le mot ! […] — tout ce que nous avons du xviiie  siècle, rend le Tableau de Paris, fût-il un chef-d’œuvre, moins piquant que ne le serait le Tableau d’Herculanum.

1120. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre IV. De la morale poétique, et de l’origine des vertus vulgaires qui résultèrent de l’institution de la religion et des mariages » pp. 168-173

De cette logique conforme à leur nature sortit la morale poétique, qui d’abord les rendit pieux. […] Plutarque, choqué de cette superstition, met en problème s’il n’eût pas mieux valu ne croire aucune divinité, que de rendre aux dieux ce culte impie.

1121. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Le moment est venu de rendre ce que nous devons à la mémoire du plus regretté de nos amis littéraires et du plus sensiblement absent de nos collaborateurs225. […] Jules Macqueron, qui faisait lui-même d’agréables vers ; Labitte lui rend confidences pour confidences, et il y met d’utiles conseils littéraires : l’instinct du futur critique se retrouverait par ce coin-là. […] L’article que Charles Labitte lui consacrait, et qui n’offrait encore ni l’ordre ni même toute l’exactitude auxquels il atteindra plus tard, ressaisissait du moins et rendait vivement la physionomie du modèle ; le vieil esprit gaulois y débordait en jeune sève. […] La Satyre Ménippée nous rend l’ esprit même des États, leur rôle turbulent et burlesque ; elle simule une sorte de séance idéale qui les résume tout entiers. […] La phrase du président Hénault ne signifie que cela ; c’est un de ces mots spirituels qui rendent avec vivacité un résultat et qui font aisément fortune en France.

1122. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre I. Le quatorzième siècle (1328-1420) »

Pour hâter la décomposition de la société et de l’âme féodales, la peste noire, qui en 1348 enlève au monde connu le tiers de ses habitants, la guerre de Gent Ans, guerre étrangère, guerre civile, crises aiguës des invasions, ravages endémiques des routiers : tous les fléaux, toutes les souffrances oppressent les âmes, mais en somme les délivrent avec douleur, les arrachent à leurs respects, à leurs habitudes, à leur forme d’autrefois, remettent tout violemment dans l’indétermination, qui seule rendra possible une détermination nouvelle. […] Pour ne rien laisser à l’invention de ce qu’on peut donner à la science, aux libres et personnelles combinaisons de rythmes dont les troubadours avaient donné l’exemple à la poésie du Nord, on substitue des formes fixes, dont les types dérivent des anciennes chansons à danser, le rondeau, le virelai, la ballade, le chant royal 97 ; on s’ingénie à multiplier, à compliquer les règles de ces genres, pour en rendre la pratique plus difficile, et la perfection, à ce qu’on croit, plus admirable. […] Rendre l’idée par l’expression la plus éloignée de l’idée, la moins nécessaire et la moins attendue, voilà le résumé de toutes les règles, et c’est pour cela que l’allégorie triomphe et s’étale insolemment, ennuyeusement, dans les écrits du xive  siècle : elle est devenue surtout classique et obligatoire depuis le Roman de la Rose. […] L’esprit positif du siècle apparaît ici, dans l’honneur que rend Froissart à tous ceux qui savent gagner ; c’est le règne de l’argent qui commence. A son insu, l’historien rend un culte à la richesse, croyant le rendre à la prouesse : Gaston Phébus, coutumier des sanglantes trahisons, meurtrier de son fils, lui fait l’effet du plus parfait seigneur qui soit, par la splendeur de sa cour et de ses fêtes.

1123. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

Gaston, un camarade de plaisir et d’insouciance, mademoiselle Olympe et son amant Saint-Gaudens, lequel Saint-Gaudens est un type de vieux viveur rendu avec un feu, une couleur, une énergie gouailleuse… il restera. […] Elle l’aimera donc, mais à une condition : c’est qu’il la laissera libre de sa vie, et qu’elle n’aura jamais de comptes à lui rendre. […] Il jette à ses pieds la poignée de billets de banque qu’il vient d’arracher au hasard, et s’accuse, devant tous, de les lui rendre si tard. […] Son caractère est une sincérité presque effrayante, et je ne sais quel irrésistible besoin d’étreindre la vie jusqu’au sang, et de lui faire rendre tous ses cris et toutes ses larmes. […] Il a un rendez-vous, le soir même, avec une femme du monde, une grande dame, et, ne sachant où loger son tête-à-tête, il a pensé à son ami Paul.

1124. (1868) Rapport sur le progrès des lettres pp. 1-184

Hommage rendu au génie, soit ! […] Rien n’échappe au compte rendu. […] N’aura-t-elle pas plus de services à rendre ? […] Samson, le Gymnase la rendit paternellement à ses destinées. […] On s’en rend mieux compte aujourd’hui.

1125. (1894) La bataille littéraire. Septième série (1893) pp. -307

Ainsi réduite, la transition est dure et inadmissible ; mais l’enchaînement des faits qui l’amènent semble la rendre toute naturelle. […] J’ai bien souffert autrefois à cause de lui, puis j’ai pris mon parti de la séparation effective… Sa maladie l’a rendue toute naturelle. […] Quand on veut rendre les hommes bons et sages, libres, modérés, généreux, on est amené fatalement à vouloir les tuer tous. […] Il a rendu l’âme là où vous êtes… Oui, ils ont fait ça, les Anglais !  […] À défaut du ministère, Napoléon rendit à Chaptal toute sa faveur.

1126. (1836) Portraits littéraires. Tome I pp. 1-388

Ils ne se rendirent pas à cette excuse assez libre, et montèrent chez lui. […] Ces deux livres sont mieux et plus fidèlement rendus que Melmoth. […] On pourra constituer l’esprit européen ; mais on n’arrivera jamais à rendre uniforme l’expression de la pensée ou de la fantaisie. […] Le compte rendu des actes du parlement, en 1784, fut écrit d’après les conseils réitérés de M.  […] Raymond obtient sans peine plusieurs rendez-vous avec Indiana.

1127. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Il en est aussi auxquelles je n’ai pu me rendre, et je veux dire ici brièvement pourquoi. […] « Un meurtre peut vous rendre veuve, dit-il à Adèle d’Herney… Je puis le prendre sur moi, ce meurtre. […] Il faut lui rendre au moins cette justice qu’il n’a point caché ses visées sous d’hypocrites protestations. […] Les tableaux trop énergiques de l’humanité souffrante rendent les cœurs inhumains.   […] Elle a raffiné le matérialisme pour le rendre plus séduisant aux délicats ; elle y a mis un vernis de philosophie, pour le rendre plus décent et plus acceptable aux gens graves.

1128. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

Je cherche avant tout à rendre sincèrement dans la langue la plus simple de mes impressions. […] L’opération chimique terminée, les dix plaques rendent exactement le paysage sans aucune variation entre elles. […] L’homme n’étant pas machine, ne peut rendre les objets machinalement. […] Grâces lui soient rendues ! […] L’Atelier n’est certes pas un bon tableau, mais il y aurait un moyen de le rendre tel.

1129. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « L’Académie française »

Villemain, qui a fait révolution en ce genre et qui s’est piqué de rendre de chaque séance animée un tableau fidèle, il est à regretter que, suivant en cela un ancien usage, il ait évité, à chaque discours ou opinion, d’indiquer le nom de l’académicien qui parle : « Un membre dit… un autre membre répond… » Vous voilà bien avancés, gens du dehors. […] Même dans les hommages qu’elle rendait au pouvoir royal sous la Restauration, elle s’était mise assez à temps au niveau de l’opinion publique : sa complaisance ministérielle sut s’arrêter quand il le fallut. […] Rendons-nous bien compte. […] Avec tous ses défauts, ses défaillances, ses fluctuations trop sensibles, l’Académie reste une institution considérable qui n’a pas seulement un beau et intéressant passé, mais qui, bien dirigée, sans cesse avertie, excitée, réveillée, renouvelée, peut rendre de grands services au milieu de la diffusion et de la dispersion littéraire universelle. […] M. Ambroise Rendu et l’Université de France, par Eugène Rendu (1861).

1130. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXIXe entretien. Œuvres diverses de M. de Marcellus (2e partie) » pp. 5-63

La tombe, comme le lever du vrai jour, rendra à M. de Marcellus toute la justice que l’ignorance ou le préjugé des partis lui a fait attendre. […] Mais il m’a rendu bien plus qu’honneur comme poète, et plus que justice comme homme politique. […] Il se rendait chez l’un de ces mêmes princes Morusi dont il avait dirigé l’éducation en Moldavie. […] À la mort de Créthée, Pélias usurpa le trône d’Iolchos au détriment d’Æson, son frère aîné ; et quand Jason, fils d’Æson, revendiqua la couronne, son oncle Pélias, avant de la lui rendre, lui imposa la condition de rapporter en Grèce la toison d’or qui se trouvait en Colchide. […] Plus tard, ces notes m’ont rendu mes souvenirs, et je les retrace ici, en substituant au texte grec ma traduction, où je l’ai suivi d’aussi près qu’il m’a été possible.

1131. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Août 1886. »

Et qu’hommage enfin soit rendu, très dévotement, a celle par qui la pensée du maître vit intimement, à la vénérée et auguste veuve par qui se perpétue, en ces Fêtes, l’âme de Richard Wagnerao. […] Mais les compliments sans restrictions, sans réserves, sans atténuations, à l’orchestre qui semble avoir atteint l’expression adéquate de la pensée du maître ; c’est, en toute exactitude (donc en toute perfection), le rendu de toutes les indications de mouvement, de nuance, d’expression ; MM.  […] Il ne s’agit pas ici de coïncidences fortuites, ni d’interprétations forcées ; le maître a rendu son intention d’un parallélisme dans l’antithèse si indubitable, qu’on ne peut s’étonner que d’une chose, c’est qu’un fait aussi significatif ait pu passer jusqu’ici inaperçu. […] Mais, dans cette même brochure de 1864, État et Religion, Wagner indique aussi la note caractéristique de l’œuvre qui l’occupait, de Parsifal ; plus tard, en 1882, il revint à ce sujet et rendit son intention indubitable. […] On trouve en annexe de son livre la liste des Français qui se sont rendus au festival.

1132. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

Il voulait qu’on rendît à l’amour sa fureur, et qu’on n’en fit pas un échange de douceurs ingénieuses. […] Il a l’idée de ce que rendront en scène chaque fait, chaque état moral : la douleur chrétienne de Lusignan, par exemple. […] Il a beau vouloir rendre aux passions leur énergie, la politesse l’enserre et paralyse ses mouvements.

1133. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 22, que le public juge bien des poëmes et des tableaux en general. Du sentiment que nous avons pour connoître le mérite de ces ouvrages » pp. 323-340

Le raisonnement ne doit donc intervenir dans le jugement que nous portons sur un poëme ou sur un tableau, que pour rendre raison de la décision du sentiment et pour expliquer quelles fautes l’empêchent de plaire, et quels sont les agrémens qui le rendent capable d’attacher. […] Ainsi quoique ces personnes ne soient point capables de contribuer à la perfection d’un ouvrage par leur avis, ni même de rendre methodiquement raison de leur sentiment, leur décision ne laisse pas d’être juste et sûre.

1134. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

Il a cité le portrait anonyme dont tout le monde, dans le temps, reconnut le modèle ; ce portrait d’une touche si ferme, si sobre et si majestueusement sévère… Il a cité l’ironique compte rendu de la première représentation de L’Écossaise, dans lequel Fréron prit dans sa main, juste comme une balance, la fange qu’on lui jetait à la figure, et pesa ce paquet de fange qui pesait trop peu pour le blesser ! […] Sous cette plume, d’un naturel profond, et si méprisante du bel esprit qui est le laid, il a des expressions comme celles-ci, que je pourrais multiplier : « Le plat écrivain se rend intérieurement justice. […] Marié deux fois, il fut aimé jusque de son fils, qui rendit le grand nom de son père un nom funeste !

1135. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « A. Grenier » pp. 263-276

Cette fois, il expédie l’antiquité, et comme il n’est pas tenu, dans un livre, ainsi que dans les journaux, de garder une gravité sans laquelle l’abonné ne vous écouterait pas, il l’expédie avec une gaieté qui rend son livre la plus amusante des lectures, et qui, dans un pays aimant encore la plaisanterie, est une certitude de succès. […] Les faits rendent impossible toute dénégation mais le ton de l’auteur, plus puissant que les faits, rend tout enthousiasme impossible pour les nations où les choses se passaient comme il prend la peine de les raconter.

1136. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre IX. Suite des éloges chez les Grecs. De Xénophon, de Plutarque et de Lucien. »

Cette grâce, cette expression douce et légère qui embellit en paraissant se cacher, qui donne tant de mérite aux ouvrages et qu’on définit si peu ; ce charme qui est nécessaire à l’écrivain comme au statuaire et au peintre ; qu’Homère et Anacréon eurent parmi les poètes grecs, Apelle et Praxitèle parmi les artistes ; que Virgile eut chez les Romains, et Horace dans ses odes voluptueuses, et qu’on ne trouva presque point ailleurs ; que l’Arioste posséda peut-être plus que le Tasse ; que Michel-Ange ne connut jamais, et qui versa toutes ses faveurs sur Raphaël et le Corrège ; que, sous Louis XIV, La Fontaine presque seul eut dans ses vers (car Racine connut moins la grâce que la beauté) ; dont aucun de nos écrivains en prose ne se douta, excepté Fénelon, et à laquelle nos usages, nos mœurs, notre langue, notre climat même se refusent peut-être, parce qu’ils ne peuvent nous donner, ni cette sensibilité tendre et pure qui la fait naître, ni cet instrument facile et souple qui la peut rendre ; enfin cette grâce, ce don si rare et qu’on ne sent même qu’avec des organes si déliés et si fins, était le mérite dominant des écrits de Xénophon. […] C’est dans le temps que les grands hommes sont le plus communs, dit Tacite7, que l’on rend aussi le plus de justice à leur gloire. […] Il eut le bonheur de casser bien vite une table de marbre : cet accident, qui lui fit une querelle, le rendit tout entier à la philosophie et aux lettres ; il avait ce tact du ridicule qui tient à un esprit délié et fin, et cette arme légère de la plaisanterie, qui consiste presque toujours à faire contraster les objets, ou en réveillant une grande idée à côté d’une petite chose, ou une petite idée à côté d’une grande.

1137. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XII. »

Le goût du philosophe pour les institutions lacédémoniennes, son penchant à les imiter dans sa République idéale, la place qu’il y donne aux jeux guerriers et à une sorte d’éducation héroïque de l’âme et du corps, devaient lui rendre précieuse cette magnifique parole du poëte, qu’il cite parfois à l’égal des traditions antiques dont il aime il s’autoriser. […] Par là doit s’expliquer, à côté de l’admiration pour le génie, la faveur encore attachée longtemps au nom de Pindare, dans le changement des lois et des mœurs de la Grèce, et dans l’acheminement des esprits vers la soumission à un conquérant qui rendrait le nom grec maître de l’Asie. […] et donne-leur d’atteindre à la pensée sur laquelle tu t’appuies, pour tout régir avec justice ; afin qu’ainsi nous-mêmes honorés, nous te rendions honneur en retour, célébrant tes œuvres, dans nos hymnes sans interruption, comme il convient à l’être mortel ; puisqu’il n’y a pas pour les humains, ni même pour les dieux, autre emploi plus grand que de célébrer, en esprit de justice, la loi générale du monde. » Cette élévation vous semble-t-elle abstraite et froide ?

1138. (1882) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Deuxième série pp. 1-334

Il refuse, et produit des raisons, des raisons de peu de valeur, et auxquelles pourtant on se rend. […] Guerrier se rend-il bien compte, par exemple, que le récit de M.  […] Je conviens, monsieur, que l’amitié qu’ils ont pour moi les a rendus excessifs dans leur éloge. […] Ne voit-il pas que c’est la même chose que s’il rendait le lieutenant de police responsable, etc. […] « Rendez-nous les feuilles de M. 

1139. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Il n’admettait pas que l’artiste se rendît malade avec son œuvre. […] Seulement, et il s’en rend bien compte, ce feuilleton de visionnaire, c’est une page jetée au vent. […] Cette ferveur d’art dont il était possédé le rendait absolument étranger à l’envie. […] Au lieu d’éclaircir l’énigme de ce caractère, ces lettres la rendent plus obscure. […] Ce qu’il faut demander à l’écrivain, c’est d’abord d’apporter le message dont ses facultés le rendent capable.

1140. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

L’Ode à sire Aymon forme un petit tableau réaliste où tous les détails sont rendus avec soin et habileté. […] Bientôt Magny suivit, en qualité de secrétaire, le conseiller d’État Jean d’Avançon, qui se rendait à Rome chargé d’une mission importante. […] Mais ce fut en vain, car Folie sut se rendre soudain invisible ; et pour se venger elle ôta la vue à Amour et couvrit les yeux arrachés d’un bandeau. […] C’est surtout la chaleur qui les teint, qui les rend claires ou obscures. […] Agrippa se rendait bien compte de l’imperfection de ses premiers essais, mais il se flattait d’y faire sentir une fureur agréable.

1141. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Mais dans une cave bien classée ils peuvent rendre des services et combler une lacune. […] Nous avons vu une construction analogue dans sa manière de sentir et de rendre littérairement le pays algérien. […] Il figure évidemment un de ces écrivains d’arrière-plan, qui font une carrière et qui rendent des services. […] « La conscience, la timidité, l’hésitation, le manque de mémoire rendent la composition quasi impossible. […] Amiel éprouve dans cette solitude à quel point la philosophie l’a rendu impropre à la vie.

1142. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

J’ai seulement fait prévenir une de vos voisines que j’irais lui rendre aujourd’hui une visite avec vous. […] Je ne vous rends pas votre parole. […] Mais il ne riait jamais, ou il lui arrivait d’être saisi d’une sorte de rire convulsif qui le rendait malade. […] Je craindrais de me rendre importun. » Cette fois-là, Boris n’insista pas. […] Rendez-moi ce service. » Lioubov se rendit à l’instant près du majordome.

1143. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

De grandes traductions et de savants commentaires rendirent accessibles à toutes les intelligences cultivées les maîtres les plus illustres et les plus profonds de la philosophie. […] Taine qu’un disciple attardé de Condillac, lui avons-nous rendu suffisamment justice ? […] Le premier aime les descriptions accentuées, burinées, individuelles ; il aime qu’un fait soit distinct d’un autre fait ; il tranche les différences, les rend saillantes, les met en relief, comme un physiologiste qui fait gonfler un vaisseau invisible pour le rendre visible. […] Renan du spiritualisme, mais trop vague encore et trop indécise), je dirai qu’elle a été jusqu’ici plus critique que dogmatique, et lorsqu’elle s’est faite dogmatique, plus affirmative que démonstrative, ce qui en rend la discussion assez difficile. […] Cent fois les hommes ont essayé de croire que Platon était un rêveur et que ses idées étaient des chimères, et cent fois les idées de Platon sont revenues illuminer l’âme humaine, et lui rendre l’esprit et la sérénité.

1144. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « L’obligation morale »

En général, le verdict de la conscience est celui que rendrait le moi social. […] Non, sans doute, et nous nous en rendons bien compte. […] Pression et aspiration se donnent pour cela rendez-vous dans la région de la pensée où s’élaborent les concepts. […] Elle répondait, comme les autres, à une nécessité sociale ; et c’était la pression de la société sur l’individu qui la rendait obligatoire. […] Elle est simplement venue se surajouter, comme un complément artistique, à des obligations qui lui préexistaient et qui la rendaient possible.

1145. (1886) Le roman russe pp. -351

Le temps fausse les mesures au détriment du présent, il rend vénérable tout ce qu’il recule. […] Mais tandis qu’Alger ne nous renvoyait que de bons officiers, Tiflis rendait des poètes. […] Ce que la traduction ne pouvait rendre, c’est la magnificence de la prose poétique. […] Sa santé déclinait rapidement, les accès de fièvre lui rendaient tout travail difficile. […] C’est bien là le son que rendait cette âme harmonieuse quand une pensée la touchait.

1146. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Il avait chanté la patrie, et la patrie lui avait rendu en popularité ce qu’il lui avait donné en dévouement. […] Toussaint essaie en vain de mourir les armes à la main, il est forcé de se rendre. […] L’amour filial n’est pas aussi bien rendu que l’amour paternel. […] Elle vient au rendez-vous que Ruy Blas lui a donné avant de lui déclarer son amour. […] Comment ne pas se rendre à cette démonstration ?

1147. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Le principal personnage tient de l’étourdi proprement dit et du généreux, ce qui le rend très sympathique tout en le laissant très plaisant. […] Il arrive, par le fait même et par l’effet de cette façon d’instruire, que notre homme est rendu aussi sot qu’on peut l’être ici-bas. […] Jamais pièce française n’a été maniée par un de nos poètes, quelque méchant qu’il fût, qu’elle n’ait été rendue meilleure. […] De là la nécessité pour Béralde de nier les médecins en tant que pouvant rendre la santé. […] Et, comme il arrive toujours, votre sottise devenue manie vous rend méchant où au moins dur.

1148. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) «  Essais, lettres et pensées de Mme  de Tracy  » pp. 189-209

Je n’ai jamais vu mieux rendre l’impression que m’a faite à moi-même Rulhière et son procédé d’histoire classique appliqué à des temps modernes, ce genre honorable, mais froid, mais artificiel, et qui a l’inconvénient de ne laisser aucune trace profonde : « Le bruit des violons (d’un bal voisin) a été couvert par notre lecture de l’Histoire de Pologne par Rulhière. […] c’est sa sensation exacte ; elle a osé la rendre. […] Ma première pensée en me livrant à l’étude des Pères de l’Église après le mariage de mes filles, a été la curiosité de savoir ce qu’ils avaient dit de l’âme, eux qui ne cherchaient point avec les mains cette âme dont l’existence immortelle rend l’homme excusable de croire que le monde tout entier a été créé exprès pour lui. […] Comprendre chaque Père de l’Église, le rendre avec la physionomie qui lui est propre, lui faire parler sa langue, le faire agir sur la scène où il a vécu, c’était son ambition première, et elle excédait ses forces : de plus savants qu’elle sont restés en chemin. […] Elle a su rendre agréable et faire aimer une nature qui lui était si dissemblable, mais qu'elle embrasse par des côtés imprévus.

1149. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Le savant éditeur et commentateur a trouvé moyen de nous rendre la plupart des écrits et de ne pas nous montrer l’homme. […] Lorsque ce talent à la fois jeune et en pleine maturité s’est annoncé ici avec un si grand éclat, on a cherché à l’écarter en disant que c’était un étranger : le fait est faux ; c’est un Français rendu à la France par le décret philosophique qui réintègre les descendants des protestants réfugiés. […] Laboulaye de nous avoir rendu plus facile la lecture d’écrits si anciens déjà et en partie oubliés. Mais pourquoi, alors, ne pas nous les rendre tous ? […] Lanfrey trouve d’une sévérité expéditive et sommaire, n’a fait que rendre l’impression du monde d’alors, du cercle des Royer-Collard et des de Broglie68.

1150. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Alfred de Musset, par exemple, un des talents aussi que cet intègre Gustave Planche n’a jamais pu se décider à louer et à reconnaître, Alfred de Musset a écrit, sur le Salon de 1836, des pages très-fines et bonnes encore à relire ; il y rend aux toiles d’Horace une justice gracieuse qui est une revanche des insultes de tout à l’heure. […] Horace n’y mettait pas tant de façon ; il voyait avec son œil de peintre et rendait à l’instant son effet. […] Il ne met pas entre les choses et lui ce je ne sais quoi qu’on appelle le style, Horace Vernet voit et rend ce qu’il voit, il n’interprète pas. — Il y a un coffret dans son tableau de la Smalah ; ce coffret n’est pas une invention, il était réellement au Louvre. […] C’est ce qui fait qu’à cause de la vérité même de son rendu, on l’a appelé un trompe-l’œil, comme si ce n’était pas une rare qualité en peinture, la première dans un art d’imitation, que d’imiter ce qu’on a sous les yeux. » Vanité de la gloire et de la réputation, et non-seulement vanité, mais âcreté et amertume ! […] Horace Vernet a saisi et rendu à merveille cette mesure, cette proportion des hommes et des combattants entre eux.

1151. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

et à quatre-vingts ans elle a vu l’onde de l’Achéron, l’ouvrière Platthis qui avait fait de si beaux tissus et si bien. » Heureux, dans toutes les professions qui demandent l’intelligence et qui n’excluent pas l’agrément, celui qui peut, au terme de sa carrière, se rendre ce témoignage, comme on l’a dit de la bonne Platthis, qu’il a accompli et « parcouru en compagnie des Grâces le stade de Minerve !  […] » C’est de lui cette épigramme tant goûtée des connaisseurs sur la Vénus Anadyomède, sur la Vénus d’Apelles : « Échappée à peine du sein de sa mère et encore toute frémissante d’écume, lorsque Apelles eut vu la tendre Cypris, la beauté même, il l’a rendue non pas en peinture, mais toute vive. […] Bergers, vous dont ici la chèvre vagabonde, La brebis se traînant sous sa laine féconde, Au front de la colline accompagnent les pas, A la jeune Mnaïs, rendez, rendez, hélas ! […] Il est vrai qu’il était difficile à rendre à cause de la forme allégorique du commencement.

1152. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [II] »

À la veille de l’ouverture de la campagne, il reçut l’ordre, au quartier général de Ney, de se rendre en poste à Mayence et d’y attendre les ordres de l’Empereur. […] Son mémoire fait, il s’en ouvrit au général Bertrand, qui l’encouragea à le remettre et lui dit en lui serrant la main : « Vous rendrez un grand service à l’armée aussi bien qu’à l’Empereur. » Jomini remit la pièce aux mains de l’huissier du cabinet. […] « Je recommande de nouveau à Son Excellence cet officier qui pourra rendre de grands services dans l’état-major des armées de Sa Majesté, et qui a mérité la continuation de son activité par ceux qu’il a déjà rendus à la France à l’époque critique de l’an vii. […] Cette ville était assignée pour lieu de rendez-vous, dès le 24, à Murat.

1153. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Et qu’on ne croie point que je veuille, en ce moment, avoir l’air de rien blâmer de ce qu’amène le cours ou le progrès du temps, comme on l’appelle ; je ne fais le procès à rien de ce qui est nécessaire et légitime : j’ai tenu seulement à bien rendre l’idée du classique français dans cette période paisible, où, la première effervescence du xvie  siècle étant apaisée et calmée, une élite de gens de goût, vrais lettrés, jouissait comme d’une conquête acquise des dépouilles de l’Antiquité, en y mêlant le sentiment des beautés et qualités françaises, et sans ignorer ce qui s’y assortissait de meilleur et de plus agréable en Angleterre ou en Italie. […] Il cite, pour preuve de la suffisance du français à tout rendre, la quantité de traductions qui se sont multipliées sous le dernier règne. […] Prenez Pétrarque, par exemple, le père de la Renaissance et le prince aussi de la poésie moderne (on ne rendait pas alors pleine justice à Dante) ; Pétrarque lui-même, en tant que poète toscan, est intraduisible. […] Cicéron n’a-t-il pas exprimé au vif Démosthène, Isocrate et Platon, de manière à rendre les Grecs eux-mêmes jaloux ? […] Il y a des degrés encore après Homère et Virgile, remarque Du Bellay, qui nous rend en ceci comme un écho de Cicéron : « Nam in poetis, non Homero soli locus est (ut de Græcis loquar), aut Archilocho, aut Sophocli, aut Pindaro, sed horum vel secundis, vel etiam infra secundos 106. » À chaque pas, avec Du Bellay, on a affaire à des citations des Anciens, directes et manifestes ; mais il y a aussi, à tout moment, les citations latentes et sous-entendues, comme celle qu’on vient de lire ; et encore, lorsque plus loin, parlant des divers goûts et des prédilections singulières des poètes, il nous les montre, les uns « aimant les fraîches ombres des forêts, les clairs ruisselets murmurant parmi les prés », et les autres « se délectant du secret des chambres et doctes études » : à ces mots, tout ami des Anciens sent les réminiscences venir de toutes parts et se réveiller en foule dans sa pensée ; ainsi, par exemple, ces passages du Dialogue des Orateurs : « Malo securum et secretum Virgilii secessum… Nemora vero, et luci, et secretum ipsum… tantam mihi afferunt voluptatem 107. » On a, en lisant ce discours de Du Bellay, le retentissement et le murmure de ces nombreux passages dont lui-même était rempli.

1154. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

La science originale et perçante d’un Schlegel, la digression inépuisable et spirituellement rapide d’un Benjamin Constant, faisaient déjà un beau fonds, sans compter ces hôtes de chaque jour qui y passaient, et qui, sous la baguette magique de la Muse du lieu, y revêtaient toute leur fraîcheur, y rendaient toutes leurs étincelles. […] On peut dire que, pour bien des esprits distingués, c’était un compte rendu de leurs impressions et de leurs jugements sous une forme nette qu’ils durent vite adopter et reproduire9. […] M. de Barante, dès son premier coup-d’œil, s’était montré choqué des abus de la méthode dite philosophique en histoire ; il fut conduit au désir d’en purger absolument le noble genre, et de lui rendre, s’il se pouvait, son antique sincérité. […] Il pensa que rien qu’avec des récits contemporains bien choisis, habilement présentés et enchâssés, on pouvait non-seulement rendre aux faits toute leur vie et leur jeu animé, mais aussi en exprimer la signification relative16. […] M. de Barante eu l’honneur, en ce grand mouvement historique qui fait encore le lot le plus clair de notre moderne conquête, d’introduire une variété à lui, un vaste échantillon qu’il ne faudrait sans doute pas transposer à d’autres exemples, mais dont il a su rendre l’exception d’autant plus heureuse en soi et plus piquante.

1155. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

Madame de Maintenon, intercédée en sa faveur, lui fit rendre la liberté. Madame Guyon courut rendre grâces à sa libératrice qui, subissant la fascination générale, la rapprocha d’elle comme un foyer de piété, d’éloquence et de grâce. […] Il reçut ce coup avec sa sérénité habituelle. « J’aime mieux, dit-il à l’abbé de Langeron qui accourut pour lui apprendre ce malheur, que le feu ait pris à ma maison plutôt qu’à la chaumière d’une pauvre famille. » Cependant Bossuet fulminait de sévères censures contre le livre de Fénelon, à qui le roi enjoignit de quitter Versailles et de se rendre à Cambrai, sans s’arrêter à Paris. […] Il livra ses magasins aux ministres de la guerre et des finances ; et quand le contrôleur général l’invita à fixer lui-même le prix du blé que la nécessité rendait si précieux : « Je vous ai abandonné mes blés, monsieur, répondit-il : ordonnez ce qu’il vous plaira, tout sera bon. » XXXVI Cependant le roi vieillissait ; une maladie rapide enleva à Meudon le père du duc de Bourgogne, fils de Louis XIV, qui devait régner avant le disciple de Fénelon. […] Il faut devenir le conseil du roi, le père des peuples, la consolation des opprimés, la ressource des malheureux, l’appui de la nation… écarter les flatteurs, distinguer le mérite, le chercher, le prévenir, apprendre à le mettre en œuvre ; se rendre supérieur à tous, puisqu’on est placé au-dessus de tous… Il faut vouloir être le père, et non le maître ; il ne faut pas que tous soient à un seul, mais un seul à tous pour faire leur bonheur. » XXXVII Le palais jusque-là désert de Fénelon à Cambrai devint le vestibule de la faveur.

1156. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Ces considérations toutes-puissantes le mènent, et il ne conçoit pas qu’on ne s’y rende pas. […] Il ne faut pas qu’on sache que cet abbé des Vaux de Cernay qui ne veut pas aller ailleurs qu’en Terre Sainte ou en Egypte, parle au nom du pape, et avoué par lui : il faut qu’on croie que Home n’a eu que des pardons et de la joie pour ses enfants qui lui ont rendu l’empire grec. […] Il faut retenir aussi la chronique que vers 1260 rédigea un ménestrel de Reims : ce recueil confus et sans chronologie de tout ce qui se disait parmi le peuple sur les hommes et les choses de Terre Sainte, de France, d’Angleterre, entre 1080 et 1260, nous rend la couleur et le mouvement de la vie du temps. […] Joinville nous les fait voir et toucher, il nous les montre en action, dans les faits particuliers : saint Louis jugeant à Vincennes ou dans son jardin du palais, ou bien punissant six bourgeois de Paris qui, pour s’être arrêtés à mander des fruits dans une île, avaient retardé et mis en péril toute la flotte ; saint Louis prisonnier des Sarrasins, qu’il domine par sa sérénité ; saint Louis refusant de quitter sa nef à demi bridée, pour partager le sort de ses gens ; saint Louis portant les cadavres de ses soldats, « sans se boucher le nez, et les autres le bouchaient », autant de tableaux expressifs, saisissants de réalité familière, et que Joinville a rendus populaires. […] Il est de la même famille, il a le sens de la vie, et il rend d’un trait léger et juste, avec une grâce inoubliable.

1157. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Avec sa bonhomie avisée, Louis XII estime les lettres surtout par les services qu’elles rendent, comme moyen de publicité ou de polémique. […] Auprès d’elle, dans ses apanages et ses États, Marot, Despériers, Farel, Sainte-Marthe, Le Fèvre d’Étaples, Roussel, Calvin, on pourrait dire toute la Renaissance et toute la Réforme, trouvent sécurité et liberté : les offices de sa maison, les charges de ses domaines abritent ceux à qui Réda ou Lizet rendent la France intenable. […] Quelques vers au début d’une de ses meilleures pièces expriment très bien le vœu de son esprit et le vœu de son cœur167 : 1re Fille. — Tout le plaisir et le contentement Que peut avoir un gentil cœur honnête, C’est liberté de corps, d’entendement, Qui rend heureux tout homme, oiseau, ou bête ! […] Mais à la Renaissance religieuse, à la Réforme, il faut rendre les inquiétudes morales, la revendication pour le fidèle du droit d’interpréter l’Écriture, et certain effort sensible pour ramener vers le doux Rédempteur et le Père incompréhensible le culte un peu trop détourné au moyen âge sur l’humanité plus prochaine de la Vierge. […] Cette vie de cour essayée par Anne de Bretagne, splendidement développée par François Ier, cette perpétuelle conversation des hommes et des femmes les plus illustres dans les maisons du roi, rendaient impossibles la lourdeur, le pédantisme, la prolixité, la platitude d’autrefois.

1158. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Ces respects qu’on leur rend, ils ne savent point s’ils s’adressent à leur sang ou à leur personne. […] A quinze ans il vient à Paris faire sa révérence au roi, se rend à Saint-Maur auprès de sa mère, « qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de voir souvent », et va rejoindre son père dans son gouvernement de Dijon, où il complète ses études. […] Une fois, à Lyon, il se dispense d’aller rendre ses devoirs au vieil archevêque, frère du grand ministre : Richelieu l’oblige à aller faire, tout frémissant de rage, amende honorable au bonhomme. […] Et voyez : la part que le hasard a toujours dans le succès des batailles et qui me semblait tout à l’heure diminuer le mérite des chefs d’armée, rend, au contraire, leur fonction plus tragique et plus solennelle. […] On lit dans ces lettres, qui font le plus grand honneur à Condé : « Je m’adresse à vous pour vous supplier de vouloir faire reconnaître les services que M. de Gassion a rendus en cette occasion d’une charge de maréchal de France.

1159. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Je crois que, si l’Empire eût eu au IVe siècle des grands hommes comme au second siècle, et surtout si le christianisme eût été aussi fortement centralisé à Rome qu’il le fut dans les siècles suivants, il eût été possible de rendre romains les barbares, avant leur entrée ou dès leur entrée, et de sauver ainsi la continuité de la machine. […] Que si l’on m’objecte qu’il n’est aucun métier auquel on puisse suffire avec quatre ou cinq heures d’occupation par jour, je répondrai que, dans une société savamment organisée, où les pertes de temps inutiles et les superfluités improductives seraient éliminées, où tout le monde travaillerait efficacement et surtout où les machines seraient employées non pour se passer de l’ouvrier, mais pour soulager ses bras et abréger ses heures de travail ; dans une telle société, dis-je, je suis persuadé (bien que je ne sois nullement compétent en ces matières) qu’un très petit nombre d’heures de travail suffiraient pour le bien de la société et pour les besoins de l’individu ; le reste serait à l’esprit. « Si chaque instrument, dit Aristote, pouvait, sur un ordre reçu ou même deviné, travailler de luimême, comme les statues de Dédale ou les trépieds de Vulcain, qui se rendaient seuls, dit le poète, aux réunions des dieux, si les navettes tissaient toutes seules, si l’archet jouait tout seul de la cithare, les entrepreneurs se passeraient d’ouvriers et les maîtres d’esclaves 182. […] De même ceux que leur excellence intérieure rend susceptibles, irritables, jaloux d’une dignité extérieure proportionnée à leur valeur, n’ont point encore dépassé un certain niveau, ni compris la vraie royauté des hommes de l’esprit. […] Des esprits grossiers ont pu s’imaginer qu’en s’interdisant la vie du corps ils se rendaient plus aptes à la vie de l’esprit. […] Ces espérances sont si loin d’être indifférentes que seules elles expliquent et rendent possible la grande vie de sacrifice et de dévouement.

1160. (1887) Discours et conférences « Rapport sur les prix de vertu lu dans la séance publique annuelle de l’Académie française »

Connaissez-vous rien de plus triste que cette plaine de mesquine misère et de désolation sans poésie, que l’on traverse en sortant de Paris pour se rendre à Versailles par la rive gauche, cet amas sans ordre apparent de constructions qui ne sont plus urbaines et ne sont pas encore rustiques, ces chaumières (quelles chaumières ! […] La vue du malheureux qui allait disparaître lui rend des forces ; un instant après il le dépose sur le quai, dont il rougit les dalles de son propre sang. […] Quand, en marchant les pieds dans la neige, la pauvre créole a réussi à placer quelques-uns des ananas qu’elle colporte et à ramasser quelques sous, c’est pour se rendre à la maison de la Légion d’honneur de Saint-Denis et pour porter à ses filles d’adoption un vêtement chaud, de petites douceurs qui prouveront aux orphelines qu’elle ne sont pas déshéritées de toute tendresse. […] Vous avez trouvé, Messieurs, une sœur dans le bien, digne d’être associée à Emmeline, en la personne d’Euphrosine Almiès, au Pompidou (Lozère), née infirme et, comme Emmeline, unique soutien d’une famille qui ne lui rend en retour que l’ingratitude et les mauvais traitements. […] Mais, croyez-moi, aucune autre race n’a dans ses entrailles autant de cette force qui fait vivre une nation, la rend immortelle malgré ses fautes, et lui fait trouver en elle-même, au travers de tous ses désastres et de toutes ses décadences, un principe éternel de renaissance et de résurrection.

1161. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Elle se raille du rêve de la jeune fille, qui le lui rend de reste en lutineries, et, tout en la raillant de ce rêve, elle en profite, car il n’est pas de jour où, dans sa solitude, cette mère heureuse ne pense à son fils, « et ces pensées, dit-elle, sont de l’or pour moi ». […] Elle lui rendait surtout, et utilement pour son talent d’artiste, les impressions et la fraîcheur du passé qu’il avait perdues dans sa vie un peu factice : « Mes souvenirs de jeunesse connaissent tout ce que tu me dis, lui écrivait-il ; cela me fait l’effet du lointain qu’on se rappelle tout à coup distinctement, quoiqu’on l’ait pendant longtemps oublié. » Il ne se prodigue pas pour elle, mais jamais il ne la rebute ; il lui donne la réplique tout juste assez pour qu’elle ne se décourage pas et qu’elle continue. […] Personne n’a mieux parlé que lui de Voltaire même, ne l’a mieux défini et compris comme le type excellent et complet du génie français ; tâchons à notre tour de lui rendre la pareille en le comprenant, lui le type accompli du génie allemand. […] Ces conversations de Beethoven sont admirablement rendues par Bettina : la naïveté d’un génie qui a le sentiment de sa force, qui dédaigne son temps et a foi en l’avenir, une nature grave, énergique et passionnée, s’y peignent en paroles mémorables. […] elle aurait trouvé qui lui aurait rendu don pour don.

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