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917. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Vigny. Œuvres complètes. — Les Poèmes. »

Où il n’est pas, l’expression manque, c’est-à-dire la flamme et la vie. […] M. de Vigny avait résolu le problème éternel manqué par tous les poètes, d’être pur et de ne pas être froid.

918. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Henri Murger. Œuvres complètes. »

La verve n’y manque pas. […] Je pourrais pousser plus loin ces rapprochements qui se font si positivement écho, mais l’espace me manquerait, et je voudrais signaler encore le style de M. 

919. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Duranty » pp. 228-238

Le sien et le leur manquent également de transparence, de couleurs fondues et de souffles dans la lumière ; et voilà comme tous trois ils portent jusque sur leur style, qui est pourtant le meilleur d’eux-mêmes, la peine d’avoir méprisé l’idéal. […] Duranty peut être le plus brave travailleur en vulgarité et même le plus puissant, et la Critique se laisser toucher par la peine qu’il se donne pour être profond à sa manière, que son roman, en lui-même, reste ce qu’il est, c’est-à-dire d’un effet manqué, comme composition littéraire ; mais la sorte d’intérêt qu’il excite ne peut ricocher du livre à l’auteur.

920. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Il ne manquait pas d’instruction. […] Il lui manqua l’au-delà. Il lui manqua d’avoir jamais dit : « Quand même ! » Enfin, il manqua à cet homme heureux l’inquiétude et la souffrance. […] Ni le temps ni l’espace ne nous manqueront.

921. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

Quant au premier article, il se fonde sur ce que notre musique manque d’expression. […] Génie créateur(*) & autrement fécond que Lully, rien n’a manqué à sa gloire. […] Pendant la nuit, saint François ne manqua pas de lui apparoître précisément avec un capuchon pointu. […] Leur sortie de la ville manqua d’y exciter une révolte en leur faveur. […] L’occasion d’éclater contr’eux étoit plus belle que jamais : l’université ne la manque point.

922. (1890) Derniers essais de littérature et d’esthétique

Rossetti, il ne manque pas de ces choses qui ont « au palais l’acre saveur du cuivre ». […] Elle semble manquer de proportion avec les faits, car elle n’est jamais réglée par l’action. […] Il lui manque l’unité centrale du vrai poème épique dans le sens que nous donnons à ce mot. […] Froude écrit de l’histoire de l’Irlande, ne manque pas de force, bien qu’il soit fort éloigné de l’exactitude. […] Froude se proposait par son livre d’aider le gouvernement Tory à résoudre la question irlandaise, il a absolument manqué son but.

923. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Vernet  »

Les deux Vues de Bayonne que Mr Vernet a données cette année sont belles ; mais il s’en manque beaucoup qu’elles intéressent et qu’elles attirent autant que ses compositions précédentes.

924. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Paysant, Achille (1841-1927) »

Paysant, dont l’élan manque un peu d’envergure et la strophe un peu d’ampleur, y va par tous les petits sentiers du sentiment, sentiers jonchés d’ailleurs de toutes les petites fleurs des champs.

925. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Malosse, Louis (1870-1896) »

Louis Malosse pour dire que, quelquefois, chez lui, le fragment épique s’élève aisément à la hauteur d’un poème philosophique et alors ne manque pas d’une réelle grandeur.

926. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Michel, Henri »

Henri Michel appartiendrait par ses goûts à un groupe de poètes contemporains auxquels il n’a manqué, pour être originaux, qu’une moindre abondance et un choix plus précieux dans leurs images.

927. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » p. 226

Est-ce pour avoir manqué d’esprit ou de facilité, que M.

928. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » p. 430

C’est un crime d’attaquer les mœurs quand on a des talens ; & c’est une infamie quand on en manque.

929. (1767) Salon de 1767 « Dessin. Gravure — Lempereur »

Attache, attache tant que tu voudras, pauvre génie si vilement employé ; je te réponds que le clou manquera et que le médaillon tombera dans la boue.

930. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

Il a manqué non de bonne foi, mais de finesse et de clairvoyance. […] Nous dirions bien : Rien ne manque à Vénus, ni les lis, ni les roses ; rien ne manque au Roi de Cocagne, ni la folie, ni la bêtise, ni le mélange exquis de tous les éléments du comique. Mais, s’il lui manque ce charme secret dont l’œil est enchanté , nous ne saurions nous empêcher d’aimer davantage, d’admirer davantage une pièce moins comique, moins folle et moins bête, mais plus belle. […] Cependant les téméraires ne manquent pas, et leur audace m’étonne. […] Quelqu’un reproche à la comédie qu’on vient de voir, de manquer précisément d’action, et de consister toute en des récits que vient faire ou Agnès ou Horace.

931. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

—  Manque de passion personnelle et absorbante. —  Flexibilité et désintéressement de son esprit. —  Son talent pour se métamorphoser, pour embellir, et pour épurer. […] Un vrai tempérament poétique n’en manque jamais. […] L’édifice nouveau a été raccordé avec l’ancien ; même seul et moderne, il ne manque point de style ; les pignons, les meneaux, les grandes fenêtres, les tourelles nichées à tous les coins ont dans leur fraîcheur un air gothique. […] Sans doute la grandeur manque le plus souvent ; aujourd’hui les gens qui font l’opinion ne sont plus les grands seigneurs, mais les gentlemen riches, bien élevés et propriétaires ; c’est l’agrément qui les touche. […] Il a senti, au moins cette fois dans sa vie, cette tempête intérieure de sensations profondes, de rêves gigantesques et de voluptés intenses dont le désir l’a fait vivre et dont le manque l’a fait mourir.

932. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLIe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Troisième partie de Goethe. — Schiller » pp. 313-392

Goethe, aussi fier de ce succès que Schiller lui-même, ne manqua pas une occasion de faire valoir son nouvel ami à la cour de Weimar. […] il ne lui en manque pas une. […] Il ne manque à cet avènement de la langue allemande qu’une chose, l’unité nationale de ces quarante millions d’hommes qui parlent et qui écrivent la langue de Goethe et de Kant. […] Que manque-t-il à l’Italie pour devenir indépendante et pour rester libre ? […] Que manque-t-il à l’Allemagne pour régner à son tour par les lettres sur l’esprit européen ?

933. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Décidément je ne puis supporter la vie du monde ; c’est auprès de vous seule que je retrouverai tout ce qui me manque ici. […] Elle va clore cette correspondance qui n’a pas manqué un seul courrier, et qui doit former un volume entre vos mains. […] Une chose seulement m’étonne : c’est le manque d’honneur du moment. […] Le talent du peintre de mœurs abondait dans ces pages, mais la convenance et la piété manquaient ; nous souffrions profondément à ces lectures d’entendre ridiculiser le trône, la table et le foyer, par celui qui avait été appelé pour en relever la sainteté et la considération devant l’Europe. […] Où vous manquez tout manque, résolutions et projets.

934. (1864) Cours familier de littérature. XVII « XCVIIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (2e partie) » pp. 1-80

J’achevai cependant plusieurs stances qui manquaient encore au troisième chant de mon petit poème, et je commençai même le quatrième et dernier. […] Près de cette ville, je retrouvai enfin celle que je demandais à tous les échos, que je cherchais partout, et dont la douce présence me manquait depuis plus de seize mois. […] C’est ainsi que, pour la troisième fois, je manquai à ma résolution de ne plus faire des tragédies, et que de douze qu’elles devaient être, elles sont arrivées au nombre de dix-neuf. […] Entre mes livres et ma chère compagne, il ne me manquait donc aucune consolation domestique ; mais ce qui nous manquait à tous les deux, c’était l’espoir, c’était la vraisemblance que cela pût durer. […] Furieux de l’affront que je recevais, je manquai à ma parole pour rimer quatorze vers sur ce sujet, et je les envoyai à mon ami ; mais je n’en gardai point copie, et ni ceux-ci, ni d’autres que l’indignation ou toute autre passion arracha de ma plume, ne figureront plus désormais parmi mes poésies déjà trop nombreuses.

935. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

Sa Béatitude espérait que M. de Cacault, dans sa sagesse, dans sa droiture et dans la rectitude de ses intentions, — ces qualités distinguaient réellement cet honnête ministre, mort aujourd’hui, — n’aurait pas manqué d’en instruire son gouvernement. […] Je ne manquai pas de faire remarquer d’un autre côté combien je devais appréhender une légation aussi scabreuse, dont le non-succès déplairait à beaucoup, et la réussite à un très petit nombre, — ce qui la rendait fort peu désirable et poussait même à la décliner, — et je terminai en déclarant que le choix de ma personne nuirait très sûrement à l’affaire par les motifs déduits plus haut. […] Mais pour prêter à cet acte solennel un plus grand poids, pour qu’on ne pût attribuer ce refus à une influence étrangère, mais à la volonté spontanée et propre du Saint-Père lui-même, et pour que ce refus pût amener chez l’Empereur la conviction que l’unique et véritable impossibilité de manquer à ses devoirs sacrés et non des inspirations étrangères empêchaient Pie VII d’accéder à ses désirs, on jugea que c’était le moment de compenser le nom définitif donné aux prétentions impériales, par le bonheur qu’il ressentirait en m’arrachant lui-même du ministère. […] « Quand sonna l’heure décisive, et que l’on s’aperçut que nous manquions encore à cette cérémonie, on fit enlever promptement les fauteuils vides, afin que le public ne remarquât pas trop notre absence. […] « Nous répondîmes que ce biais était impossible ; que, tous, nous étions résolus à ne point trahir la vérité à n’importe quel prix ; que nous ne voulions pas manquer à nos devoirs et à nos serments de soutenir les droits du Saint-Siège ; que cette défense obligatoire exigeait l’allégation du véritable motif de notre conduite à l’exclusion de tout autre ; que nous ne nous attendions pas aux conséquences qui allaient, disaient-ils, découler de l’exposition du vrai motif, et que nous n’entrions même pas dans ces éventualités ; que nous ne prétendions point nous ériger en juges de l’affaire, mais que nous ne pouvions transiger en aucune façon sur la sincérité des causes qui nous avaient empêchés d’intervenir.

936. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VII, seconde guerre médique. »

Mais il ne put que la pétrir dans l’argile, au lieu de la tailler dans le marbre ; la matière lui manqua, non point le génie. […] Les meules mêmes ne manquaient pas à la curée promise ; des bandes de chiens indiens suivaient sa piste en hurlant. […] Quand ces tronçons d’armes leur manquèrent, ils se servirent de leurs poings d’athlètes. […] L’espace manquait à leurs mouvements ; aucun élan possible et aucun recul. […] Le sens de l’ordre et de la mesure lui aurait manqué en toutes choses, le grand Chorège qui a réglé par deux fois sa marche, ayant disparu.

937. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Ils sont exclus du monde des faits, de la connaissance et de l’amour des simples objets naturels, par le maléfice d’une imagination incurablement raffinée, qui dégoûte de toutes choses par de plus séducteurs idéaux et oublie qu’il manque à ces fantômes la qualité primordiale de l’existence. […] Cependant nos affinités avec la littérature germanique ne manquent pas ; le ton seul dont quelques-uns de nos poètes, notamment Gauthier et Banville, parlent de Heine, le nombre des épigraphes que celui-ci a fournies à nos livres, suffisent à montrer quel a été chez nous l’initiateur de cette imitation. […] Depuis, ce poète s’est rallié à Shelley, aux lakistes, à Baudelaire, mais dans la Vie inquiète, les chansons allemandes ne manquent pas et il est une pièce la Couleuvre bleue, fantastique et musicale, qui pourrait être insérée sans disparate dans une anthologie allemande. […] De plus, il fait preuve d’une puissance d’analyse, d’une aptitude à douer de vie ses personnages qui ne pouvaient manquer d’être aperçus et de frapper. […] Chez le public lisant français de ce siècle, plutôt dans les classes aisées que dans les classes pauvres qui échappent à notre appréciation, ce qui l’emporte, tout au rebours de ce qui l’emportait jusqu’à la seconde moitié du XVIIIe siècle ce sont certaines dispositions émotionnelles de sympathie, de pitié, d’horreur pour la souffrance humaine Une préoccupation inquiète des masses de nos semblables s’est emparée de la masse intelligente, qui sait ou qui sent comment il est inévitable que tous les hommes soient solidaires les uns des autres et qui s’effraie de l’étrange désintéressement réciproque qui va séparant de plus en plus les uns des autres, de ce manque d’affection, de communion, de coopération qui rend peu à peu les individus indépendants et solitaires.

938. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Le lyrisme et la grâce, le molle et facetum , manquaient à la ressemblance, mais le goût, l’esprit et la langue étaient à l’unisson dans les deux poètes. […] C’est une page à déchirer de ce livre où manquera éternellement la page du cœur. […] Deux seules grandes qualités manquent à Boileau dans ses ouvrages, la longue haleine et l’élévation. […] Le manque de profondeur fut le défaut capital de Boileau comme de sa race gauloise ; ce défaut qui était celui de la littérature française jusqu’à Corneille, Racine, Bossuet, surtout jusqu’à J. […] Ce n’est certes pas la première des qualités de l’esprit ; mais, si elle n’est pas la plus éminente, elle est toutefois la plus nécessaire ; ou, pour mieux dire, là où cette qualité manque, il n’y en a plus d’autre qui serve.

939. (1884) Articles. Revue des deux mondes

Nul au moyen âge n’eut une vue plus claire de ce qui manquait à l’antiquité et une intuition plus nette des développemens futurs de l’esprit humain. […] L’analogie entre l’idée de l’évolution organique et celle du progrès humain ne pouvait manquer d’attirer l’attention des penseurs. […] Mais la croissance de cette plante libre et responsable, l’humanité, n’est pas ainsi emportée d’un mouvement uniforme et nécessaire, suivant une ligne inflexible, vers un but qui ne peut manquer d’être atteint. […] S’il obéit, il remplit sa destinée d’être raisonnable ; s’il n’obéit pas, il la manque ; mais, observée ou violée, la loi n’en est pas moins loi, en ce sens qu’elle commande absolument et que la raison aperçoit un désordre partout où elle aperçoit une révolte de la volonté contre la règle du bien. […] Le fondateur du matérialisme mécaniste ne pouvait manquer de jeter un coup d’œil pénétrant sur la nature.

940. (1926) L’esprit contre la raison

Et les références discrètes à Pascal ne manquent pas. […] Dans sa verve, le texte ne manque pas de courir plusieurs lièvres à la fois sans jamais lâcher l’ombre pour la proie. […] La rapidité, les ramifications, le style allusif peuvent faire que, pris dans la grande vague furieuse, on en manque les enjeux. […] En attendant la Révolution salutaire que ce spectacle si pitoyablement faux ne peut manquer d’amener, les créatures que n’a jamais animées le souffle de la liberté, et cependant en passe de ne plus pouvoir se satisfaire de leurs piètres conditions, sous le coup chaque jour de quelque mésaventure anecdotique, après tout un jeu compliqué d’aller et retour, de minutes agitées puis abattues, tentent encore à s’acharner à ne pas désespérer d’elles-mêmes, de leurs velléités, de leurs besoins. […] Sans doute, une claire bonne foi, la continuité de certains efforts ne peuvent manquer de forcer au respect, et la fidélité à l’esprit a d’autant plus de valeur si on la compare à l’inconstance de beaucoup qui, d’abord décidés à aller de l’avant, n’ont point persévéré dans les voies de l’audace et, parvenus à certaine altitude, privés des parapets séculaires, ont été pris d’une telle peur qu’ils n’ont osé marcher plus longtemps ni risquer davantage.

941. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Il aurait voulu qu’on commençât par tonner et étonner : on a manqué ce premier coup. […] Ne prenez tout cela que comme la conversation vive et nourrie d’un homme qu’on trouve au lit le matin et qui pense tout haut, et vous en emporterez de tous côtés des traits, des aiguillons, qui vous feront aussi penser, pester, dire oui et non à la fois ; et c’est ce qu’il a voulu. — Et même lorsqu’on approuve, c’est comme dans la conversation encore : il faut suppléer, à tout moment, à ce qui manque. […] Ce qu’il considérait comme manqué dans sa carrière de soldat lui revenait à certains moments avec amertume.

942. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Une histoire de la vie et des ouvrages de Massillon nous manque : ce serait un sujet heureux. […] N’oublions jamais en le lisant qu’il y manque celui qui les animait de son action modérée et de sa personne, celui dont la voix avait tous les tons de l’âme, et dont le grand acteur Baron disait après l’avoir entendu : « Voilà un orateur ! […] La condition la plus heureuse en apparence a ses amertumes secrètes qui en corrompent toute la félicité : le trône est le siège des chagrins comme la dernière place ; les palais superbes cachent des soucis cruels, comme le toit du pauvre et du laboureur ; et, de peur que notre exil ne nous devienne trop aimable, nous y sentons toujours, par mille endroits, qu’il manque quelque chose à notre bonheur.

943. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — II. (Fin.) » pp. 20-37

Le recueil de chansons satiriques dit Recueil de Maurepas (Bibliothèque impériale) contient, en quatre ou cinq endroits, de grossiers couplets injurieux à Massillon ; et il importe, non de discuter, mais de repousser, et par la bouche de Massillon lui-même, ces accusations diffamantes, qui ne manqueraient pas de sortir tôt ou tard et que l’on viendrait produire d’un air de découverte et de triomphe11. […] Pour l’homme de goût qui le lit, il y manque, je le crois, un peu plus de fermeté dans les peintures et une variété de ton qui les grave plus distinctement. Pour le chrétien, il y manque peut-être vers la fin, dans l’ordre de la foi, je ne sais quelle flamme et quelle pointe de glaive, non contraire pourtant à la charité, et à laquelle on ne se méprend pas.

944. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Le moment allait venir où les fonctions publiques manqueraient à M.  […] Daru publia en 1826 (3 volumes), eut moins de succès ; elle ne manque pourtant ni de mérite d’abord, ni d’intérêt. […] Daru dans sa campagne de Bêcheville : il y manque je ne sais quoi, peu de chose, un dernier tour, pour que l’art complet, l’art antique et fin s’y retrouve.

945. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Madame Dacier. — II. (Fin.) » pp. 495-513

Ce qui manquait aux gens du monde et à bien des gens de lettres, c’était de le lire : Mme Dacier leur en donna le moyen. […] Ce sont gens, après tout, qui, si aiguisés qu’ils soient à leur manière, manquent d’un sens, et à qui cela donne une sorte d’impudeur et de hardiesse dans leur procédé avec ceux qui en sont doués. […] Le seul point qui serait peut-être fondé, c’est qu’il y aurait eu à Saumur, du vivant de son père, un projet de mariage très avancé entre Mlle Le Fèvre et un libraire de la ville appelé Jean Lesnier, mariage qui manqua et n’eut point de suite.

946. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Soyez sociable ; faites honneur à la vertu dans le monde. » Et il redouble lui-même de légèreté en écrivant, comme pour lui donner l’exemple avec le précepte : « On a besoin d’être sans cesse la faucille en main, pour retrancher le superflu des paroles et des occupations. » Jamais la piété de Fénelon ne se montre mieux ce qu’elle est que dans ces lettres au vidame d’Amiens, c’est-à-dire une piété douce, commode, simple, exacte, ferme et gaie tout ensemble, une piété qui s’allie avec tous les devoirs et qui se ressouvient du grand seigneur devant les hommes jusque dans la perfection de l’humilité devant Dieu : Un homme de votre rang ne fait point assez, et il manque à Dieu quand il ne s’occupe que de curiosités, que d’arrangement de papiers, que de détails d’une compagnie, que de règlements pour ses terres. […] Le duc de Bourgogne, à cette date, n’était plus un enfant, il avait vingt-six ans : mais il avait conservé bien des puérilités de sa première vie ; il ne représentait pas au-dehors ; il manquait de décision et de vues dans le conseil ; il ne paraissait pas d’une valeur incontestable dans les occasions. […] Quelque louables que soient de telles maximes, elles laissent presque entière la question de politique proprement dite ; une politique vraiment nouvelle, si nécessaire après Louis XIV, aurait eu besoin, pour réussir dans l’application, de tous les correctifs et de toutes les précautions qui plus tard manquèrent : car enfin Louis XVI n’a échoué que pour avoir trop fidèlement pratiqué, mais sans art, cette maxime du vertueux Dauphin son père et du duc de Bourgogne son aïeul.

947. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — II. (Fin.) » pp. 361-379

Pensionné de la Cour, honoré par les académies, consulté par les ministres sur les objets d’intérêt public, il ne manquait rien à Bailly de ce qui pouvait, satisfaire l’ambition la plus légitime et la plus étendue d’un savant homme de bien, lorsque la Révolution de 89 éclata. […] Il me semble que le caractère de Bailly se dessine ici sous sa propre plume : hâtons-nous d’ajouter que cet homme si sensible, si touché, si peu au fait, ce semble, des mille circonstances compliquées et confuses de la société de son époque, et qui manque certainement de génie et de coup d’œil politique, ne manquera nullement de fermeté et de force de résistance dès que le devoir et la conscience lui parleront.

948. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Ici il est faible, et c’est en le comparant avec Pascal que ce côté faible, et ce qui lui manque, va surtout éclater. Ce qui lui manque, c’est ce qui fait l’âme et l’honneur, je ne dirai pas de la méthode (elle peut paraître hasardeuse), mais de la doctrine et du génie de Pascal, ce qui en fait la puissance et l’attrait : c’est le désir et le tourment, c’est le cœur. […] Plusieurs s’y sont trompés : Gabriel Naudé, plus docte en latin qu’en français, paraît décerner à Charron une préférence qui supposerait en lui ce dont il manque le plus, c’est-à-dire l’originalité.

949. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Sénecé ou un poète agréable. » pp. 280-297

En cherchant bien, et même sans chercher beaucoup, on trouverait des talents spirituels qui étaient nés pour cet emploi, et à qui il ne manque qu’un accueil meilleur et, comme aux plantes, une exposition plus favorable ; mais ils sont dépaysés aujourd’hui, ils n’ont que de très petits cercles, si encore ils en ont, et la société ne les entend pas, ne les écoute pas ; elle n’est plus faite pour eux, elle n’a pas le temps. […] Il lui semblait, comme à Martial, que pour créer des poètes, et de grands poètes, il ne s’agissait que de les encourager par des largesses ; il pense là-dessus comme Clément Marot, comme les poètes valets de chambre (avant que Molière en fût) ; il n’a pas de doctrine plus relevée, et, dans une pièce imitée de Martial même, il le dit très lestement au maréchal de Noailles, l’un de ses patrons d’autrefois : Dans ce beau siècle où Paris est au faite, Grâce à son roi, des biens, des dignités, Où sous son ombre elle élève sa tête Cent pieds de haut sur les autres cités, À concevoir vous trouvez difficile Pourquoi ce roi, plus couvert de lauriers, Plus grand qu’Auguste, a manqué de Virgile Pour consacrer ses triomphes guerriers. […] En reconnaissant dans ses œuvres de l’esprit, de la facilité, de l’élégance et quelque agrément, mais en ne trouvant pas dans ses vers, pour le critiquer avec ses propres paroles, Certain je ne sais quoi qui manque à leur beauté, on se fait toutefois une question, on se demande à quoi tient la vie dans les productions de l’esprit et de l’imaginalion, d’où vient ce don et ce souffle qui fait les beaux vers sans vieillesse.

950. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

La guerre de Sept Ans exposa le prince Guillaume à de pénibles épreuves : mis à la tête d’une armée en juin 1757, dans les circonstances les plus difficiles, il ne sut point s’élever à la hauteur voulue ; il hésita, il manqua de résolution, et n’eut de manœuvres que pour faire retraite sur retraite ; il mérita que Frédéric lui écrivît : « Si vous vous retirez toujours, vous serez acculé à Berlin entre ci et quatre semaines. […] Lui présent et parlant, toutes ces paroles, aujourd’hui rassises, s’illuminaient de son regard : ce regard qui jaillissait de ses grands yeux manque dans ses écrits. […] Vous qui prêchez l’indulgence, ayez-en quelqu’une pour les personnes qui n’ont aucune intention de vous offenser ou de vous manquer de respect, et daignez recevoir avec plus de bénignité les humbles représentations que les conjonctures me forcent quelquefois de vous faire.

951. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Est-ce seulement ici l’éclat de la trompette lyrique qui lui manquait ? […] La gravité, l’autorité de la parole, celle des doctrines, cette immortalité religieuse acceptée et passée dans le cœur, puisée à la source des croyances, qui s’étend de celui qui parle aux personnes qu’il célèbre et les revêt de leurs vertus épurées comme d’un linceul éblouissant et indestructible, tout cela manquait ; et, il faut le dire, la mémoire même de la généreuse et noble margrave n’y prêtait pas. […] Mais d’où vient qu’à toute cette existence et à cette physionomie si animée, si courageuse, il manque toutefois un certain charme, une certaine beauté idéale, et que le poète ou le peintre ne pourrait même la lui prêter sans être infidèle ?

952. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Il répudiait la sécheresse des formes protestantes ; il paraissait croire à une réunion future, et à l’amiable, de toutes les communions chrétiennes ; en un mot, comme tous les vrais critiques que travaille une grande activité d’esprit et d’imagination, il était en train, sans s’en douter, de passer en réalité par la disposition et l’état moral qui lui avait manqué jusqu’alors, afin d’être ensuite tout à fait en mesure de s’en rendre compte et de le comprendre. […] Le sentiment de l’art lui manque ; et le beau qui n’est pas esprit et éloquence n’existe pas pour elle. […] Mais Schlegel m’est insupportable. » Sur l’absence du sentiment de l’art, on peut toutefois remarquer que ce jugement de Bonstetten est antérieur au voyage de Mme de Staël en Italie ; sur le manque du sens poétique, on voit qu’il est tout à fait d’accord avec Schiller.

953. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

Si ces deux biens nous manquaient, ce serait par l’effet de nos agitations intérieures, et seuls nous en souffririons : mais les nations étrangères seraient tranquilles et dans la prospérité. […] Que d’idées intermédiaires il y manque ! […] Au moment où elle fut dite par elle, déjà mortellement atteinte et défaillante, une telle parole dut paraître admirable, et elle l’était ; mais c’est à la condition d’y mettre aussi l’éclair du regard, la physionomie, l’accent ; il faut tout cela à sa parole pour se compléter ; sa plume n’avait pas ce qui termine : il manque presque toujours à sa phrase écrite je ne sais que] accompagnement.

954. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Journal de la santé du roi Louis XIV »

Il est un peu dur, l’humeur dédaigneuse et méprisante avec les hommes, un peu de vanité, un peu d’envie, et fort (peu) commode s’il n’était roi : gardant sa parole avec une fidélité extrême, reconnaissant, plein de probité, haïssant ceux qui en manquent, ferme en tout ce qu’il entreprend59. » Dès l’âge de quinze ans, Louis XIV, qui fait les campagnes de 1653, 1654, 1655, montre une grande ardeur à se distinguer, à faire exactement son métier de roi, dût-il manquer aux prescriptions de son médecin. En 1653, atteint d’un assez grave dérangement d’estomac et d’intestins, il remet la plupart des remèdes après la campagne, pour le moment où il sera de retour à Paris : « … Sa Majesté m’ayant dit plusieurs fois (c’est Vallot qui parle), après la remontrance que je lui faisais de la conséquence de son mal, qu’elle aimait mieux mourir que de manquer la moindre occasion où il y allait de sa gloire et du rétablissement de son État.

955. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français »

Je veux te parler… » C’est assez vif, c’est sobre et assez fin : cela ne manque ni de grâce ni d’une naïveté assez heureuse. […] Ainsi, dans la seconde partie ou, comme nous dirions, dans l’acte suivant, lorsque Abel est tué par Caïn, notre vieil auteur lui avait compris que le premier crime, effet de la chute, étant celui de Caïn, il en devait faire son second tableau, a manqué cette idée si naturelle dans un drame d’Adam où l’on met en scène le meurtre d’Abel, de nous montrer notre premier père auprès du cadavre de son fils et contemplant avec effroi ce que c’est que cette mort que sa désobéissance a introduite dans sa race. […] Mais cette rencontre heureuse a manqué, n’en déplaise à ceux qui voudraient à toute force découvrir aujourd’hui ce génie absent.

956. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

En dehors de la direction économique et industrielle, il donna à plus d’un qui en manquait l’idée d’une religion et le respect de cette forme sociale, la plus haute de toutes. […] Il vient de parler des diverses hymnes et proses célèbres de la liturgie, le Dies iræ, le Vexilla, le Stabal, et il en a défini l’impression profonde avec largeur et vérité : « Je sais que beaucoup, dit-il, qui n’ont peut-être jamais mis le pied dans une église pour prier, qui n’ont jamais ressenti dans leur cœur la pieuse ferveur de la foi, riront de mon enthousiasme et de mon admiration ; mais je dois leur dire que depuis sept ans j’ai manqué peu de représentations au Théâtre-Italien, que j’ai suivi assidûment les concerts du Conservatoire, que Beethoven m’a donné la fièvre de plaisir, que Rossini m’a remué jusqu’au fond de l’âme, que Mme Malibran et Mlle Sontag ont été pour moi de bienfaisantes divinités ; que pendant près de deux ans je n’ai eu d’autre religion, d’autre espérance, d’autre bonheur, d’autre joie que la musique ; que, par conséquent, ils ne peuvent me regarder comme un trappiste qui ne connaît que ténèbres et matines ; mais il faut qu’ils sachent aussi que celui qui leur parle, et qui aujourd’hui est bien loin de la foi chrétienne, a été pendant cinq ans catholique fervent, qu’il s’est nourri de l’Évangile, de l’Imitation ; qu’élevé dans un séminaire, il y a entendu des chœurs de deux cents jeunes gens faire résonner sous une voûte retentissantel’In exitu. […] Cependant vous avez eu le temps de remarquer que les chœurs mollissent et que les voix de femmes surtout manquent de vigueur dans l’attaque, qu’un trombone a émis un son d’une justesse douteuse ; et, la messe finie, vous sortez en vous demandant comment il se fait que les chœurs français soient si inférieurs à ceux de l’Allemagne et en regrettant vivement qu’une musique aussi belle ne soit pas rendue avec toute la perfection désirable.

957. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

On voit qu’il y en avait un au moins, qui était présent sous les armes et qui ne manquait pas à l’appel. […] Il ne manque à de telles prophéties, pour être célèbres, que d’avoir été réalisées. Il n’a manqué à plusieurs des vers de M. 

958. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Maurice comte de Saxe et Marie-Josèphe de Saxe, dauphine de France. (Suite) »

Le maréchal de Saxe, en se consumant trop tôt, en se tuant (car il a été le bourreau de lui-même), a manqué sa plus belle lutte, sa plus décisive épreuve, celle où, quelques années plus tard, il aurait eu le grand Frédéric pour vis-à-vis et pour digne antagoniste. […] On ne lui manquera jamais de respect mais elles chercheront à rembarquer dans les querelles qu’elles ont continuellement ensemble ; et c’est de quoi elle ne doit que rire et s’amuser. […] Hommes, argent, rien ne leur manque, mais ils ne savent pas s’y prendre (ces derniers mots sont en allemand).

959. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

On apprend par le récit détaillé de cette intrigue à mieux connaître les mœurs du gouvernement sous Louis xvi, et cette douceur de civilisation qui suppléait souvent au manque de principes et de doctrines. […] Car, si j’insiste sur les qualités de Malouet, ce n’est pas que je le mette le moins du monde en comparaison avec le grand peintre, avec le grand fascinateur de notre âge ; je sais tout ce qui lui manque. […] « Cependant, dans cette surabondance de moyens, il me manque ceux de rendre des comptes et de m’en faire rendre ; d’assurer les approvisionnements, de pourvoir aux besoins pressants, de régler les dépenses, de résister aux consommations, de m’occuper efficacement de ce qui est nécessaire et de proscrire ce qui est inutile ou nuisible, c’est-à-dire que ce que je ne fais pas constitue l’administration, et ce que je fais pourrait en être retranché, ainsi que ma place et une grande partie des papiers et des commis. » Quand on en est là dans tous les ordres, les réformes graduées, telles que les concevait Malouet et qu’il les provoquait de ses conseils comme de ses vœux, sont-elles possibles, et n’en est-on pas venu, bon gré, mal gré, à ce point extrême où, à moins d’un génie au sommet, il n’y a d’issue qu’une révolution ?

960. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Affaires de Rome »

Du Fossé, voulant peindre dans le grand Arnauld cette colère de lion pour la vérité qui s’unissait en son cœur avec la douceur de l’agneau, nous dit naïvement : « L’exemple seul de Moïse, que Dieu appelle le plus doux de tous les hommes, quoiqu’il eût tué un Égyptien pour défendre un de ses frères, brisé par une juste colère les Tables de la Loi, et fait passer au fil de l’épée vingt-trois mille hommes pour punir l’idolâtrie de son peuple, fait bien voir qu’on peut allier ensemble la douceur d’une charité sincère envers le prochain avec un zèle plein d’ardeur pour les intérêts de Dieu. » En ne prenant les vingt-trois mille hommes et l’Égyptien tués qu’en manière de figure, comme il convient dans ce qui est de l’ancienne Loi, et en rapportant à l’abbé de La Mennais cette phrase de Du Fossé sur le grand Arnauld, je me rappelais bien que lui-même avait condamné ce dernier, et qu’il avait écrit de lui en le comparant à Tertullien : « Et Tertullien aussi avait des vertus ; il se perdit néanmoins parce qu’il manqua de la plus nécessaire de toutes, d’humilité. […] J’ouvre les Mélanges de 1825 : « On ne lit plus,… on n’en a plus le temps… Cette accélération de mouvement qui ne permet de rien enchaîner, de rien méditer, suffirait seule pour affaiblir et, à la longue, pour détruire entièrement la raison humaine. » Et en tête du livre de la Religion considérée dans ses rapports, etc. (1826) : « On ne lit plus aujourd’hui les longs ouvrages ; ils fatiguent, ils ennuient ; l’esprit humain est las de lui-même, et le loisir manque aussi… Dans le mouvement rapide qui emporte le monde, on n’écoute qu’en marchant… » On peut observer en règle générale que, de même que les livres de M. de La Mennais commencent tous par une parole empressée sur la vitesse des choses et la hâte qu’il faut y mettre, ils finissent tous également par une espèce de prophétie absolue. […] Au milieu de ces oublis, de ces absences, où pourtant ne manquent jamais la bonne foi et la candeur, notez comme très-présent un portrait de feu le cardinal-duc de Rohan, qui est le plus joli, le plus vrai et le plus malin du monde.

961. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Mathurin Regnier et André Chénier »

Il y flétrit avec une colère étincelante de poésie ces réformateurs mesquins, ces regratteurs de mots, qui prisent un style plutôt pour ce qui lui manque que pour ce qu’il a, et, leur opposant le portrait d’un génie véritable qui ne doit ses grâces qu’à la nature, il se peint tout entier dans ce vers d’inspiration : Les nonchalances sont ses plus grands artifices. […] Sur ce point, ils sont l’un et l’autre bien supérieurs à La Fontaine, chez qui la forme rythmique manque presque entièrement et qui n’a pour charme, de ce côté-là, que sa négligence. […] Chénier est le révélateur d’une poésie d’avenir, et il apporte au monde une lyre nouvelle ; mais il y a chez lui des cordes qui manquent encore, et que ses successeurs ont ajoutées ou ajouteront.

962. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Tout événement, quel qu’il soit, a des conditions, et, ces conditions données, il ne manque jamais de suivre. […] Méthode analytique. — Son principe. — Conditions requises pour qu’elle soit fructueuse  Ces conditions manquent ou sont insuffisantes au dix-huitième siècle […] Sans doute enfin, si aucune de ces conditions n’est remplie, la même opération, exécutée par des spéculatifs de cabinet, par des amateurs de salon et par des charlatans de place publique, n’aboutit qu’à des composés malfaisants et à des explosions meurtrières. — Mais une bonne règle demeure bonne, même après que l’ignorance et la précipitation en ont fait mauvais usage, et, si aujourd’hui nous reprenons l’œuvre manquée du dix-huitième siècle, c’est dans les cadres qu’il nous a transmis.

963. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

En général aussi, le dédain superbe des faits que nous avons remarqué dans la philosophie du xviiie  siècle, se retrouve chez nos orateurs : ils les écartent de leurs discours, ils construisent a priori, posent des principes et tirent des conséquences ; le solide soutien des faits manque à leurs vastes compositions. Si bien que, littérairement, notre éloquence politique manque son entrée : elle revêt précisément les formes qui vont mourir. […] « Soldats d’Italie, manqueriez-vous de courage et de constance ? 

964. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Les mes sont toujours pleines de drapeaux et d’orchestres, mais à cette joie d’emprunt manque la conviction des premiers jours, Les gens s’amusent encore. […] On en a l’écho dans les livres qu’ils publièrent à leur retour au foyer, et où ils ne manquaient pas de laisser éclater leur rancœur : Au port d’armes d’Henry Fèvre, Misères du Sabre et Sous-Offs de Lucien Descaves, le Cavalier Miserey d’Abel Hermant, le Nommé Perreux de Paul Bonnetain et tant d’autres. […] Vous manquez de roublardise.

965. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VI. Pour clientèle catholique »

Mais le démiurge ricana : — Aux docilités scolaires les professeurs ne manqueront jamais. […] Paul Bourget manquait des fiertés qui permettent d’échapper aux joies viles et chacune de ces auges a senti le reniflement content de son groin. […] Si, au contraire, on dit une chose déjà dite complètement ou à demi ; si on admet, même en la renouvelant ou la prolongeant, une doctrine dont on n’est pas l’inventeur, ils reprochent avec véhémence ou soulignent avec ironie un tel manque d’originalité.

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