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1090. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

… Dans de telles circonstances, qui sont les circonstances présentes, les grandes ou fortes œuvres tarissent et les petits livres abondent, les petits livres qui sont aux œuvres dignes de ce nom ce que le tableau de genre est aux grandes toiles ; les petits livres qui ne demandent que des facultés secondaires et qui dispensent de tout ce qui est difficile : la profondeur dans l’inspiration, la combinaison, l’ordre, la distribution de la lumière dans le fourmillement des détails, l’étoffe de l’ensemble enfin ; les petits livres dont ce brillant dandy, Mirabeau manqué dans l’intrigue, lord Bolingbroke, disait, avec sa fatuité épigrammatique, « qu’au moins ils avaient le mérite d’être bientôt lus ».

1091. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

. ; surtout cette pièce de La Leçon de flûte, que je citerai tout entière pour donner une idée de ce poète qui rappelle ici André Chénier et le Poussin : J’étais resté longtemps les yeux sur un tableau Où j’avais retrouvé Théocrite et Belleau, Fraîche idylle aux bosquets de Sicile ravie Ayant bu la lumière et respiré la vie.

1092. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

Il y a enfin dans Erckmann-Chatrian tout le contraire de ce qu’il cherche : — un homme de la réalité, de la lumière, du plein jour, un coloriste naïf et parfois vaillant, qui trémousse la couleur sur la palette et la jette sur sa toile avec une brutalité joyeuse et souvent heureuse.

1093. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Je ne m’épouvante pas de la mort, c’est une fonction régulière de l’univers qui entraîne incessamment hors de la lumière les créatures pour faire place à d’autres.

1094. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Ils disaient pour voir distinctement, cernere oculis (d’où l’italien scernere, discerner), mot à mot séparer par les yeux, parce que les yeux sont comme un crible dont les pupilles sont les trous ; de même que du crible sortent les jets de poussière qui vont toucher la terre, ainsi des yeux semblent sortir par les pupilles les jets ou rayons de lumière qui vont frapper les objets que nous voyons distinctement ; c’est le rayon visuel, deviné par les stoïciens, et démontré de nos jours par Descartes.

1095. (1911) Visages d’hier et d’aujourd’hui

Cette lumière très intense, on peut l’aimer. […] Et l’on doit accorder que, trop exubérante, elle ne joue pas très bien son rôle de lumière, qui est seulement d’éclairer la surface colorée des choses. […] Sous l’excessif éclat de la lumière, la couleur disparaît : il n’y a plus, dans tout le paysage, que la lumière impétueuse, fantasque, épanouie. […] Elle est éclairée d’une changeante lumière qui en modifie à l’infini les apparences. […] … Par les jours de limpide lumière, la plaine d’Ombrie est adorablement parée de la double verdure des oliviers et des vignes.

1096. (1929) Critique et conférences (Œuvres posthumes III)

« Dieu du vrai, qui brilles clair en plein jour, lumière de l’âme qui as erré dans la nuit, Phébus, oh ! […] La lumière flambe dans le music-hall, la lumière, le bruit, qui nous fatiguent. […] Car les fleurs se fanent devant elle : voyez, la lumière meurt sur cette pauvre joue et la laisse pâle. […] Car Racine a, indiscutablement, surpassé Shakespeare dans l’étude de la femme, faisant rayonner sur elle une lumière intense, et révélant quelques-uns des plus intimes secrets de sa nature. […] Et comme son lyrisme étincelle sur un fond de lumière éblouissante !

1097. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

En lisant ces pages pittoresques et vives, où la lumière se joue, on ne peut s’empêcher de partager les espérances de l’auteur, lorsque, vers la fin, en vue de l’avenir de l’art dans ces contrées où il n’eut point de passé, on l’entend qui s’écrie : « Toutefois, Suisse, ma belle, ma chère patrie, les temps sont venus peut-être ! […] Ce sont mes amitiés d’abord… » Ensuite ce sont ses plaisirs, ses jouissances saines d’homme naturel, d’artiste, le dîner du dimanche sous la treille, le coudoiement du peuple, la source perpétuelle de l’observation vive. « Sous ces feuillages je retrouvais, dit-il, les jeux charmants de l’ombre et de la lumière, des groupes animés, pittoresques, et cette figure humaine où se peignent sous mille traits la joie, l’ivresse, la paix, les longs soucis, l’enfantine gaieté ou la pudique réserve. » Jean-Jacques sentait de même, pauvre grand homme tant dévoré du bourgeon ! […] Mais de nuit, déjà en route, il revient sur ses pas ; il veut revoir les lieux encore, épier les derniers bruits du logis, la lumière de Louise s’éteignant.

1098. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

Homme excellent, aimable, aimant, dont le nom ne laisse pas une seule amertume sur les lèvres quand on en parle, j’ai eu le bonheur d’être en correspondance diplomatique avec lui pendant un an dans des circonstances très difficiles, et je n’ai eu qu’à m’éclairer de ses lumières et à me féliciter de sa confiance. […] L’éclat de son front lui venait d’en bas et non d’en haut ; le faux jour de sa physionomie était un reflet de lumière inférieure ; son sourire pincé décochait éternellement l’ironie ou l’épigramme dans les salons, dans les journaux, à la tribune ; on ne voyait jamais sur ses lèvres que la joie de la malignité qu’il avait lancée. […] Villemain, la lumière, la force et la grâce des entretiens ; Benjamin Constant, Machiavel des salons, incapable de crime comme de vertu ; M. de Tocqueville, jeune esprit mûr avant l’âge, que toutes les situations ont trouvé égal à ses devoirs, et qui vient d’emporter en mourant l’immortalité modeste de l’estime publique ; M. 

1099. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

Vers 1666, cette éloquence s’atténue pour ainsi dire sans s’amoindrir, elle se subtilise, se fait plus délicate, plus limpide, plus dégagée d’éléments matériels, étonnante de lumière abstraite et de pureté intellectuelle. […] Il a saisi dans leur caractère, dans leur activité, un trait, un caractère, qui mettaient bien en lumière une vérité importante du dogme ou de la morale : et c’est sur cette vérité qu’il prêchait son panégyrique. […] De là l’unité religieuse et esthétique à la fois des oraisons funèbres : de cette idée centrale la lumière se distribue à toutes les idées, les enveloppe et les lie.

1100. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre III. La poésie romantique »

Je ne vois pas ces Alpes757, neigeuses ou fleuries ; dans l’ample écoulement de la poésie, mon impression reste indécise, et si j’essaie de fixer en visions ces formes, ces teintes, cette lumière, ces mouvements, ces bruits, je ne sens qu’une confusion fatigante ; les objets me fuient. […] La composition est sévère, de proportions très calculées, de coupe et déstructuré soigneusement étudiées ; le développement est d’une sobriété puissante : les images, choisies, précises, fortes, sortent en pleine lumière ; Vigny a l’expression pittoresque, qui dessine de vastes paysages avec ampleur et netteté : voyez-le nous mener au haut d’une montagne d’où Les grands pays muets longuement s’étendront. […] Des « mots de tous les jours » notent délicatement d’originales émotions ; au hasard de la causerie sortent spontanément des profondeurs de l’âme toutes sortes d’images des choses, fraîches et comme encore parfumées de réalité : une physionomie d’homme, une scène de la vie, un aspect de la nature, mille formes apparaissent ainsi, en pleine lumière, sobrement indiquées, d’un trait à la fois large et précis.

1101. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Des siècles s’écouleront avant que nous sachions l’art de porter la lumière dans les matières du raisonnement, et qu’à cette clarté du récit nous joignions la clarté toute spirituelle de la raison faisant voir l’enchaînement de pensées pures, comme le chroniqueur fait voir la suite d’événements historiques. […] Un grand roi et un grand pape, Louis IX et Innocent III, l’un en exigeant du clergé plus de connaissances et de lumières, l’autre en encourageant les doctes et en fondant les premiers établissements littéraires, font faire un progrès notable à l’esprit français. […] La vraisemblance n’est rien moins que la lumière même de l’histoire, et il est glorieux pour Froissart de l’avoir en certains récits si bien connue et exprimée, que la vérité, ultérieurement rétablie, n’a pas pu prévaloir contre elle, ni la science contre les légendes du chroniqueur.

1102. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre cinquième. De l’influence de certaines institutions sur le perfectionnement de l’esprit français et sur la langue. »

Il est probable que certains traits sur l’opiniâtreté, « laquelle, dit-il, est d’autant plus grande qu’elle est de bonne foi et accompagnée de plus de lumière d’esprit71 », sont des allusions à Arnauld. […] Elle y détermine les causes morales de nos mauvais jugements ; elle nous éclaire sur nos sophismes, sur le tortueux de nos prétextes ; sa vive lumière nous découvre à la fois le secret des fautes passées et le principe des fautes futures. […] C’est principalement à ces deux ouvrages que Saint-Simon fait allusion, à l’endroit de ses Mémoires où, parlant de la dispersion de Port-Royal par l’influence des jésuites, il loue ces « saints solitaires illustres que l’étude et la pénitence avaient assemblée à Port-Royal, qui firent de si grands disciples, et à qui les chrétiens seront à jamais redevables de ces ouvrages fameux qui ont répandu une si vive et solide lumière pour discerner la vérité des apparences, le nécessaire de l’écorce, en faire toucher au doigt l’étendue si peu connue, si obscurcie, et d’ailleurs si déguisée ; pour développer le cœur de l’homme, régler ses mœurs…74 » Cet éloge comprend tout en quelques paroles, le mérite des personnes, celui de la communauté, les grands exemples qu’ils ont donnés, les traditions qu’ils ont laissées, ce qu’ils ont réglé, ce qu’ils ont inventé.

1103. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Introduction, où l’on traite principalement des sources de cette histoire. »

En tout cas, ce qui constitue l’immense intérêt de Josèphe pour le sujet qui nous occupe, ce sont les vives lumières qu’il jette sur le temps. […] Toute une nouvelle langue mystique s’y déploie, langue dont les synoptiques n’ont pas la moindre idée (« monde », « vérité », « vie », « lumière », « ténèbres », etc.). […] À la lecture des textes, j’ai pu joindre une grande source de lumières, la vue des lieux où se sont passés les événements.

1104. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Voyez », ajouta-t-il en empruntant au règne végétal de ces climats une de ses plus conjugales images : « Voyez : l’astre des nuits se contente de faire épanouir de sa douce lumière la fleur odorante du conmonda, sans toucher de ses rayons le lotus azuré, que l’astre du jour seul réveille à son lever par la chaleur de ses regards. […] Le jaune, couleur où se fondent dans un éclat de lumière adoucie par une splendeur dorée les autres nuances, est le symbole du surnaturel ; il est réservé à Brama, le dieu créateur. […] Sur leurs corps la nature a mis des signes de grandeur, pareils à ces rayons de lumière qui sont dans la pierre précieuse, ou bien à ces gouttes de nectar qui se trouvent dans le calice de l’aimable lotus.

1105. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome II

Tant de nuit pèse sur ce monde, soi-disant civilisé, mais qui n’a fait qu’épaissir ses ténèbres en éteignant les vieilles lumières ! […] Ces nuances et ces incertitudes, cette dégradation de lumière dans le monde intérieur, n’est-ce pas la vie morale elle-même ? […] Le voilà enfin sous sa vraie lumière, l’être fugace ! […] Où en sont ces hautes classes de qui devait descendre la lumière de l’exemple ? […] Mais au souffle magique de la Muse, la fleur se ranime, ses pétales décolorés et roidis se teintent de rose, s’assouplissent, ses feuilles reverdissent, palpitent Elles aspirent l’air bleu et la lumière du jour.

1106. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

L’année d’auparavant, en 1626, il adressait à l’un de ses amis, M. de Mentin, qui avait autrefois connu personnellement le prélat avant sa suprême fortune, du temps de son exil en Avignon, une lettre mémorable qu’il nous faut citer en grande partie ; car elle n’est pas aussi en lumière et aussi célèbre qu’elle devrait l’être. […] Il est entré, non sans grandeur, dans l’impétueux essor vers Dieu et dans l’ardente aspiration du Psalmiste ; et même, si l’on compare, on verra qu’ici il a prêté au texte sacré des ailes : N’espérons plus, mon Ame, aux promesses du monde ; Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde Que toujours quelque vent empêche de calmer. […] Je ne crois pas qu’il y ait de quoi m’accuser de présomption quand je dirai qu’il faudrait qu’un homme vînt de l’autre monde pour ne savoir pas qui je suis ; le siècle connaît mon nom, et le connaît pour un de ceux qui y ont quelque relief par-dessus le commun ; et néanmoins ne sais-je pas qu’il y a de certains chats-huants à qui ma lumière donne des inquiétudes, et qui, se trouvant en des lieux où la faiblesse de ceux qui les écoutent leur laisse tenir le haut du pavé, font, avec je ne sais quelles froides grimaces, tous leurs efforts pour m’ôter ce qu’il y a si longtemps que la voix publique m’a donné ? […] On voit frissonner la draperie entremêlée à l’acier. — Les Anciens en sont pleins, de ces vers pittoresques de son ou de lumière ; les langues alors étaient plus jeunes et voisines des sensations.

1107. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

À la lueur de la lumière qui passe sous la porte il entrevoit le vieillard faisant un paquet avec son linge et son argenterie de réserve, et allant le vendre à un usurier juif du quartier. […] Combien de fois n’ai-je pas laissé continuer une discussion que je pouvais finir, combien de fois ne me suis-je pas fait injustement gronder pour écouter ces concerts de voix humaine, pour aspirer l’air qui sortait de sa lèvre chargée de son âme, pour étreindre cette lumière parlée avec l’ardeur que j’aurais mise à serrer la comtesse sur mon sein ! […] Un duvet follet se mourait le long de ses joues, dans les méplats du col, en y retenant la lumière qui s’y faisait soyeuse. […] Mais la constante émanation de son âme sur les siens, cette essence nourrissante épandue à flots comme le soleil émet sa lumière ; mais sa nature intime, son attitude aux heures sereines, sa résignation aux heures nuageuses ; tous ces tournoiements de la vie où le caractère se déploie, tiennent, comme les effets du ciel, à des circonstances inattendues et fugitives qui ne se ressemblent entre elles que par le fond d’où elles détachent, et dont la peinture sera nécessairement mêlée aux événements de cette histoire ; véritable épopée domestique, aussi grande aux yeux du sage que le sont les tragédies aux yeux de la foule, et dont le récit vous attachera autant pour la part que j’y ai prise, que par sa similitude avec un grand nombre de destinées féminines.

1108. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre II. De la reconnaissance des images. La mémoire et le cerveau »

Mais vienne un accident qui dérange l’équilibre maintenu par le cerveau entre l’excitation extérieure et la réaction motrice, relâchez pour un instant la tension des fils qui vont de la périphérie à la périphérie en passant par le centre, aussitôt les images obscurcies vont se pousser en pleine lumière : c’est cette dernière condition qui se réalise sans doute dans le sommeil où l’on rêve. […] Nous n’insisterons, pour le moment, ni sur le premier point ni sur le second : nous espérons les dégager en pleine lumière quand nous étudierons les perturbations de la mémoire et les lois de l’association des idées. […] Ne pensons donc plus à un esprit qui disposerait de je ne sais quelle quantité fixe de lumière, tantôt la diffusant tout alentour, tantôt la concentrant sur un point unique. […] Certes, le danger est grand de s’aventurer, sans lumière suffisante, au milieu des obscures questions de localisation cérébrale.

1109. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Il alla jusqu’à l’extase, un état où l’âme se sent ou croit se sentir en présence de Dieu, étant illuminée de sa lumière ; il ne franchit pas cette dernière étape pour arriver au point où, la contemplation venant s’abîmer dans l’action, la volonté humaine se confond avec la volonté divine. […] Habituée pour un temps à l’éblouissante lumière, elle ne distingue plus rien dans l’ombre. […] Il ne s’empêcherait pas plus de la répandre que le soleil de déverser sa lumière. […] C’est d’elle pourtant que viendrait la lumière, si jamais devait s’éclairer l’intérieur de l’élan vital, sa signification, sa destination.

1110. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Poésies d’André Chénier »

Il est philosophe, il est moraliste ; il a en lui les lumières et la foi en tous les progrès ; la barbarie, sous quelque forme qu’elle ose reparaître, l’indigne et fait bouillonner son sang.

1111. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « La poésie »

Esprit grave et convaincu, il entre mieux, par certains côtés, dans l’inspiration sérieuse des modernes, dans celle même de Lamartine et de Victor Hugo ; il a cité d’eux d’éclatants exemples, et ces rapprochements, qu’aucune complaisance n’énerve, et qui seront ceux de l’avenir, jettent par réflexion une vive lumière sur les grands poètes du passé.

1112. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Tous ces exemples historiques au reste, ces interprétations diverses d’un passé que la doctrine nouvelle embrasse et domine, ne sont, sous la plume du jeune apôtre, que des lumières qui sillonnent pour lui le chemin de la foi, des rayons qui ramènent au foyer dont ils émanent, des excitations fécondes pour passer outre et entraîner ceux que le grand développement providentiel saisit au cœur, et qui, à l’aspect des antiques traditions enfin comprises, se sentent le désir de travailler, pour leur part, à en continuer l’enchaînement éternel.

1113. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

De certaines beautés d’images et d’harmonie sont transportées successivement dans la plupart des langues nouvelles et perfectionnées ; mais quand le talent poétique d’une nation se développe comme à Rome, au milieu d’un siècle éclairé, il s’enrichit des lumières de ce siècle.

1114. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Un jour heureux, un être distingué rattachent à ces illusions, et vingt fois on revient à cette espérance après l’avoir vingt fois perdue ; peut-être à l’instant où je parle, je crois, je veux encore être aimée, je laisse encore ma destinée dépendre toute entière des affections de mon cœur ; mais celui qui n’a pu vaincre sa sensibilité, n’est pas celui qu’il faut moins croire sur les raisons d’y résister ; une sorte de philosophie dans l’esprit, indépendante de la nature même du caractère, permet de se juger comme un étranger, sans que les lumières influent sur les résolutions, de se regarder souffrir, sans que sa douleur soit allégée par le don de l’observer en soi-même, et la justesse des méditations n’est point altérée par la faiblesse de cœur, qui ne permet pas de se dérober à la peine : d’ailleurs, les idées générales cesseraient d’avoir une application universelle, si l’on y mêlait l’impression détaillée des situations particulières.

1115. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

Il y a pourtant d’excellentes choses dans ces Réflexions, des vues générales et profondes : mais elles sont enveloppées ; jamais elles ne se présentent franchement, en pleine lumière ; et ce n’est pas une petite affaire de les extraire.

1116. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Mais, en ce temps où d’incessantes invasions de barbares ont fait perdre au parler de nos aïeux la lumière et la pureté qu’il devait jadis à ses origines helléno-romaines, j’estime que M. 

1117. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Voici Thouvenin qui s’avance vers la rampe, en bonne lumière, et près du souffleur : « La vérité, la vérité absolue, voulez-vous la savoir ?

1118. (1898) Le vers libre (préface de L’Archipel en fleurs) pp. 7-20

Fatalement tu es voué à l’emprisonnement dans ces caves, en communion de misère avec une foule d’êtres dont les uns sont comme toi beaux efforts et gardent aux yeux une étincelle de la lumière perdue, dont les autres, nés dans le souterrain, du désir de deux misérables, sont rachitiques, lugubres, et ne roulent au fond de leurs yeux que la morne obscurité d’un désespoir séculaire.

1119. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Bientôt le firmament étincela de vivants saphirs : l’étoile du soir, à la tête de l’armée des astres, se montra longtemps la plus brillante ; mais enfin la reine des nuits, se levant avec majesté à travers les nuages, répandit sa tendre lumière, et jeta son manteau d’argent sur le dos des ombres14.

1120. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre II. Qu’il y a trois styles principaux dans l’Écriture. »

Nous nous contenterons d’observer que Dieu qui voit la lumière, et qui, comme un homme content de son ouvrage, s’applaudit lui-même et la trouve bonne, est un de ces traits qui ne sont point dans l’ordre des choses humaines ; cela ne tombe point naturellement dans l’esprit.

1121. (1865) Du sentiment de l’admiration

» Vainement aussi l’hospitalité des villages, la lumière amie des foyers, les alarmes des sages vieillards, les adieux inquiets des paysans se concertent pour refouler son élan ; à ces invitations du repos et de la sécurité, il jette sa réponse hautaine : « Excelsior ! 

1122. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

On dit qu’il y a des couleurs amies et des couleurs ennemies ; et l’on a raison si l’on entend qu’il y en a qui s’allient si difficilement, qui tranchent tellement les unes à côté des autres que l’air et la lumière, ces deux harmonistes universels, peuvent à peine nous en rendre le voisinage immédiat supportable.

1123. (1762) Réflexions sur l’ode

C’est en se montrant peu à peu que la lumière se fait sentir et aimer ; c’est en avançant par degrés insensibles, qu’elle en fait désirer une plus grande.

1124. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Avellaneda »

Le livre oublié d’Avellaneda remis en lumière par un homme qui porte à la main un flambeau, la grande affaire pour la Critique est dans l’appréciation du livre qu’il éclaire, quel que soit cet Avellaneda qui l’a signé ; car avant de discuter le livre, on en a discuté l’auteur.

1125. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Dupont-White »

Or, ici, la question de l’État, qui est toute la question de son livre, vient de nouveau se poser à propos du progrès, et si cette question, qui dévore tout, reste sans solution et sans lumière, elle projette la misère de son indécision sur toutes les idées de l’auteur : « L’État — dit-il — ne crée pas toujours le progrès, mais il peut le créer. » Et voilà que l’éternel embarras recommence !

1126. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pierre Dupont. Poésies et Chansons, — Études littéraires. »

II Selon mes faibles lumières, M. 

1127. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

En créant Constantinople, il donna une nouvelle direction à l’Orient, établit un nouveau centre de commerce, posa certaines barrières, en abaissa d’autres, et fit revivre, ou conserva pendant mille ans, au fond de la Thrace, une partie du goût et des lumières de la Grèce.

1128. (1824) Épître aux muses sur les romantiques

Ma pensée est captive en ce vaste univers : Lançons-nous dans le vague, et qu’au bruit de mes vers Jaillissent au hasard sur la terre éblouie Des torrens de lumière et des flots d’harmonie.

1129. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Le soleil couché, il se promène à petits pas, sans regarder l’or et la pourpre du ciel éblouissant, cherchant « une lumière douce pour soulager ses faibles yeux ». […] « Celui qui dans l’histoire de la nature célèbre la puissance mystérieuse des fées, et les voit, sylphes invisibles, colorer les feuilles de la rose et déposer dans son sein parfumé la perle humide de la rosée ; celui qui dans le corps du ver luisant enferme un esprit de lumière, qu’il promène ensuite dans les ondes dorées des plumes du paon ; celui-là pourra briller comme poète, mais jamais il ne sera naturaliste392. » Le critique qui dans l’histoire littéraire célèbre l’indépendance de la Muse, et s’imagine qu’elle chante où il lui plaît, quand il lui plaît, et de la manière qu’il lui plaît ; le critique qui dans l’âme d’Aristophane enferme un ingénieux démon qu’il croit immortel, et qu’il s’étonne de ne pas retrouver dans l’âme de Molière ; ce critique pourra briller comme écrivain, mais jamais il ne sera philosophe. […] Voilà ce que j’aurais la force de faire, et j’invite les Allemands qui lisent Molière ou qui en parlent, surtout ceux qui en parlent, à descendre à leur tour des régions crépusculaires de l’infini, pour entrer avec moi non dans un pays de plate prose, comme ils le disent sans politesse, mais dans un pays d’ordre et de lumière, aux perspectives bien ménagées, aux formes bien proportionnées, aux lignes nettes et douces, dans le pays du style et de l’esprit français. […] Jean-Baptiste Poquelin Voilà les attaques de Molière contre les médecins expliquées, et il me semble que peu à peu la lumière se fait sur le véritable sens de son théâtre, obscurci par les apologistes non moins que par les censeurs, par les exclamations de la critique admirative, comme par les démonstrations de la critique pédantesque. Mais la lumière n’est pas complète encore.

1130. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Assis sur un fauteuil, les pieds au feu, on voit peu à peu, en tournant les feuillets, une physionomie animée et pensante se dessiner comme sur la toile obscure ; ce visage prend de l’expression et du relief ; ses divers traits s’expliquent et s’éclairent les uns les autres ; bientôt l’auteur revit pour nous et devant nous ; nous sentons les causes et la génération de toutes ses pensées, nous prévoyons ce qu’il va dire ; ses façons d’être et de parler nous sont aussi familières que celles d’un homme que nous voyons tous les jours ; ses opinions corrigent et ébranlent les nôtres ; il entre pour sa part dans notre pensée et dans notre vie ; il est à deux cents lieues de nous, et son livre imprime en nous son image, comme la lumière réfléchie va peindre au bout de l’horizon l’objet d’où elle est partie. […] Macaulay porte la lumière dans les esprits inattentifs, comme il porte la conviction dans les esprits rebelles ; il fait voir aussi bien qu’il fait croire, et répand autant d’évidence sur les questions obscures, que de certitude sur les points douteux. […] Lorsqu’un sujet est obscur, il ne se contente pas d’une première explication, il en donne une seconde, puis une troisième ; il jette à profusion la lumière, il l’apporte de tous côtés, il va la chercher dans toutes les parties de l’histoire ; et ce qu’il y a de merveilleux, c’est qu’il n’est jamais long. […] De toutes les lois qui furent jamais portées par un parlement, l’Acte de Tolérance est peut-être celle qui met le mieux en lumière les vices particuliers et l’excellence particulière de la législation anglaise. […] Il n’est pas simplement vulgarisateur : il est trop ardent, trop acharné à prouver, à conquérir des croyances, à abattre ses adversaires, pour avoir le limpide talent de l’homme qui explique et qui expose, sans avoir d’autre but que d’expliquer et d’exposer, qui répand partout de la lumière, et ne verse nulle part la chaleur, mais il est si bien fourni de détails et de raisons, si avide de convaincre, si riche en développements, qu’il ne peut manquer d’être populaire.

1131. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLe entretien. L’homme de lettres »

Chaque matin le soleil, semblable à un globe de fer rouge, se levait au bord de l’horizon ; sa lumière était pâle et sans chaleur, seulement elle agitait dans l’air une infinité de particules glacées qui étincelaient comme une poussière de diamants. […] Un grand silence règne dans leur enceinte où tout est paisible, l’air, les eaux et la lumière. […] Il n’y avait point de jour qu’ils ne se communiquassent quelques secours ou quelques lumières ; oui, des lumières: et quand il s’y serait mêlé quelques erreurs, l’homme pur n’en a point de dangereuses à craindre. […] Mais vainement il avait cherché à ramener sur la France quelques rayons de la lumière céleste ; leurs clartés brillaient aux yeux innocents, et laissaient la multitude dans l’obscurité.

1132. (1887) Journal des Goncourt. Tome II (1862-1865) « Année 1865 » pp. 239-332

13 janvier Chez Peters, j’entends mon voisin de table dire : « Il y a trois choses supérieures au Mexique : le tabac, le café, la vérole. » * * * — À l’Eldorado… Une grande salle circulaire, aux deux rangs de loges, salle plaquée d’or et de faux marbre, des lustres aveuglants de lumière, un café noir de chapeaux d’hommes, entremêlés de quelques bonnets de femmes de la barrière et de quelques képis d’enfants, et au fond un théâtre. […] * * * — … Que d’heures, il y a une dizaine d’années, que d’heures aux Uffizi, à regarder les Primitifs, à contempler ces femmes, ces longs cous, ces fronts bombés d’innocence, ces yeux cernés de bistre, longuement et étroitement fendus, ces regards d’ange et de serpent coulant sous les paupières baissées, ces petits traits de tourment et de maigreur, ces minceurs pointues du menton, ce roux ardent de cheveux où le pinceau effile des lumières d’or, ces pâles couleurs de teints fleuris à l’ombre, ces demi-teintes doucement ombrées de verdâtre et comme baignées d’une transparence d’eau, ces mains fluettes et douloureuses où jouent des lumières de cire : tout ce musée de virginales physionomies maladives, qui montrent sous la naïveté d’un art la Nativité d’une Grâce. […] Ces aquarelles représentent des panathénées de judicature, des rencontres d’avocats, des défilés de juges, sur des fonds blafards, éclairés du jour sinistre d’un cabinet de juge d’instruction, de la lumière grise d’un corridor de palais de justice. […] Dans l’orchestre enseveli, sous une vague de toile grise, et éclairé par les deux quinquets à abat-jour de la scène et la lampe du souffleur, le manche d’une contrebasse dépassant la rampe, rayé d’un trait de lumière.

1133. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

L’apparente contradiction de cette opposition au romantisme est résolue à condition de démontrer que celui-ci est une création du siècle des Lumières et de la Révolution plutôt que de la Restauration. […] On vous retrouve dans le sombre poème des Confessions, étincelantes de lumière alpestre. […] Pourquoi la vanité d’un père barbare cache-t-elle ainsi la lumière sous le boisseau ? […] Vouloir en tirer des lumières sur l’absolu, c’est, qu’on nous passe la comparaison, demander un travail utile à un estomac sans aliments. […] Quoi d’étonnant qu’avec cette vertu de projeter sur toutes choses comme une lumière de théâtre, il n’ait jamais été occupé que de lui-même ?

1134. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Vous pénétrez tous les contours de votre modèle d’une lumière douce et caressante. […] Nous avions le regret de ta belle lumière. […] J’aime la lumière. […] Les démons l’abordaient de nuit avec une grande lumière. […] Ils prennent de la peine, mais la belle lumière du jour les baigne et les pénètre.

1135. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Il a habitué les hommes à l’idée d’égalité, en leur représentant sans cesse, en leur montrant sans cesse en une vive lumière l’égalité de tous les hommes devant la mort. […] Il dépasse Vico dans l’art de trouver des lumières et de longues avenues là où il n’y a probablement que des cas fortuits et insignifiants. […] Toute épreuve est une lumière nouvelle et un degré gravi. […] L’une et l’autre sont jeu très dangereux, doublement dangereux, sans doute, quand on mêle l’une à l’autre et quand on prétend éclairer les indications obscures de celle-ci par les lumières douteuses de celle-là. […] Quelle lumière l’histoire des animaux pourra-t-elle vous donner sur l’histoire de l’homme ?

1136. (1855) Louis David, son école et son temps. Souvenirs pp. -447

Ce sera un coloriste ; il aime le clair-obscur et les beaux effets de lumière. […] C’est Paillot de Montabert, homme recommandable par l’affabilité de son caractère et les lumières de son esprit. […] En deux occasions différentes, cependant, il a prononcé des discours qui pourront jeter quelque lumière sur cette question. […] La lumière venait de très haut, et l’heure déjà avancée du jour donnait au tableau une teinte mystérieuse très-favorable à son effet. […] Il avait commencé par dire que la lumière artificielle était aussi favorable pour peindre que celle du jour, et il finit par prétendre qu’elle était meilleure.

1137. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Damiron, il manque l’atmosphère où baignent ces idées qui ne sont quelquefois que des sentiments, il manque toute une portion, intraduisible en langue abstraite, de leur profondeur, de leurs horizons, de leur lumière ou de leur crépuscule, en un mot de leur vie. […] Ballanche, cette pensée éternelle d’un hymen à la fois accordé et impossible, cette initiation au vrai et au bien par la chasteté et par la douleur : « La douleur, dit Orphée, sera le second génie qui m’expliquera les destinées humaines. » Chaque page nous offre des pensées de tous les temps, dans la magnificence de leur expression : « Souvenez-vous que les Dieux immortels couvrent de leurs regards l’homme voyageur, comme le ciel inonde la nature de sa bienfaisante lumière. » Et encore : « Toutes les pensées d’avenir se tiennent ; pour croire à la vie qui doit suivre celle-ci, il faut commencer par croire à cette vie elle-même, à cette vie passagère. » Enfin, les approches de la mort d’Orphée, les troubles et l’agonie orageuse de cette grande âme qui, comme toutes les âmes divines au terme, se croit un moment délaissée, ont une sublimité égale aux plus belles scènes des épopées modernes. […] J’acquis dans cette circonstance des lumières qui me furent très-utiles, sur l’esprit de parti, sur le peu de profit que tirent les vrais littérateurs et les esprits critiques à se mêler à des groupes politiques toujours plus ou moins intolérants ; car il faut, d’un côté ou d’un autre, se fermer des vues et consentir absolument à condamner des jours à son intelligence.

1138. (1860) Cours familier de littérature. IX « XLIXe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier » pp. 6-80

Quand je vous aurai dit des yeux bleu de mer azurés jusqu’à la nuit par l’ombre des voiles ; des cheveux de fils de la Vierge brunis au feu du soleil ; des joues de pêche veloutée dont le velours renaissait tous les matins comme pour tamiser le jour sur une peau d’enfant ; des couleurs nuancées et fondues où le blanc et le rose ne formaient qu’une teinte ; un regard qui s’ouvrait et se refermait sous des cils ruisselants d’ombre ou de lumière ; des lèvres où la langueur pensive ou la joie épanouie donnait toutes les inflexions de l’âme ; un sourire qui caressait l’air ; une taille ni grande ni petite, mais qui, par sa flexibilité, se prêtait à la majesté autant qu’à la grâce ; une démarche de reine ou de bergère tour à tour ; un étonnement de l’impression qu’elle faisait partout, comme si les regards de la foule eussent été autant de miroirs qui lui répercutaient sa figure et qui la faisaient rougir de sa miraculeuse beauté ; les pas qu’elle entraînait sur sa trace ; les murmures d’admiration qui s’élevaient à sa vue ; les exclamations mal contenues ; les femmes charmées, mais jalouses ; les hommes attirés, mais contenus par le respect de tant d’innocence sous tant d’enivrements ; quand je vous aurai dit tout cela, je ne vous aurai rien peint de visible à votre imagination. […] Madame Récamier ne négligea aucune de ses séductions cordiales et caressantes pour plaire à ma mère ; quant à ma mère, elle était la séduction personnifiée ; elle entrait naturellement comme une lumière dans les yeux, comme une musique dans l’oreille, comme une persuasion dans le cœur. […] Madame Récamier, à cette époque, laissait une trace de feu ou du moins de lumière partout où elle apparaissait ; on entreprenait de longs voyages uniquement pour l’avoir vue ; semblables à ces naturalistes qui entreprennent de longues traversées pour assister une fois par siècle à la floraison de l’aloès, on accourait de Londres, de Naples, de Berlin, de Vienne, de Pétersbourg, pour adorer de près dans une soirée la merveille des yeux.

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