/ 3385
856. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Il résulte de plus de cette première période mieux connue, que Marsillac, qui, en effet, avait trente-trois ans bien passés lors de son engagement avec Mme de Longueville, et trente-cinq ans à son entrée dans la Fronde, n’y arriva que déjà désappointé, irrité, et, pour tout dire, fort perverti : et cela, sans l’excuser, explique mieux la détestable conduite qu’il y tint. […] Cette première édition, sans nom d’auteur, mais où il est assez désigné, renferme un Avis au Lecteur très-digne du livre, un Discours qui l’est beaucoup moins, qu’on a attribué à Segrais, qui me semble encore trop fort pour lui, et où l’on répond aux objections déjà courantes avec force citations d’anciens philosophes et de Pères de l’Église. […] Plus rien de ce second paragraphe : « Les uns croient que c’est outrager les hommes, etc. » Après la fin du premier, où il est question des jugements bien différents qu’on a faits du livre, on saute tout de suite au troisième, en ces termes : « L’on peut dire néanmoins que ce traité est fort utile, parce qu’il découvre, etc., etc. » Les autres petits changements ne sont que de style. […] Il avait épousé fort jeune Mlle de Vivonne, dont je ne vois pas, qu’on dise rien de plus par rapport à lui, sinon qu’il en eut cinq fils et trois filles. […] Ce mot d’humiliant ne semblera pas trop fort à ceux qui ont lu sur son compte les Mémoires de la duchesse de Nemours, le récit surtout de cette triste scène au Parlement, où il tint Retz entre deux portes, et les propos qu’il y lâcha et qu’il essuya.

857. (1875) Premiers lundis. Tome III « Les poètes français »

On a là un fort bel et fort distinct épisode de la vie féodale dans les premiers siècles : une scène de famille d’abord, dans le grand salon du château ; un départ pour un lointain voyage, d’après un vague désir, sur une idée brute et simple de chasseur en quête d’un merveilleux exploit, d’un monstrueux sanglier ; — une chasse en pleine forêt ; une grande et noble figure de gentilhomme, de franc homme, séparé de sa suite, debout sous un arbre, le pied sur sa bête tuée, son cheval à ses côtés, ses chiens couchés devant lui, son cor d’ivoire au col, et là se défendant contre une bande de gens de rien enhardis par l’espoir du butin et d’une riche proie. […] Ainsi, dans la bouche de Bégon, qui, tout fort et redouté qu’il est en Gascogne, ne s’y sent pas chez lui, cette belle réponse à ceux qui lui vantent et lui énumèrent ses richesses : Le cœur d’un homme vaut tout l’or d’un pays. […] Macaulay, qui est fort suivi aujourd’hui : « Les meilleurs portraits, a dit ce grand peintre historique, sont peut-être ceux dans lesquels il y a un léger mélange de charge… Quelque chose est perdu pour l’exactitude, mais beaucoup est gagné pour l’effet… Les lignes moins importantes sont négligées, mais les grands traits caractéristiques s’impriment pour toujours dans l’esprit. » C’est ainsi qu’on raccommode après des siècles et qu’on refait bien des personnages. Au milieu de vers graves, moraux, un peu ennuyeux, il y a, je le sais, de fort jolies choses dans Eustache Deschamps, notamment un Virelai bien gai et bien chantant : Eustache Deschamps n’a pas toujours eu 90 ans en poésie. […] Ces deux rivaux d’Horace, héritiers de sa lyre, a dit La Fontaine, parlant de Malherbe et de Racan ; il l’aurait pu dire également de Maynard, à moins qu’on n’aime mieux croire que Maynard a eu cet insigne bonheur de faire une ode et quelques stances plus fortes que son talent.

858. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Les sons (voyelles et, consonnes), d’abord fort vagues et difficiles à noter, se sont de plus en plus rapprochés de ceux que nous prononçons, et la série des simples cris est devenue presque semblable à ce que serait pour nos oreilles une langue étrangère que nous ne comprendrions pas. — Elle se complaît à son ramage, comme un oiseau ; on voit qu’elle en est heureuse, qu’elle sourit de plaisir ; mais ce n’est encore qu’un ramage d’oiseau, car elle n’attache aucun sens aux sons qu’elle émet. […] La cause en est sans doute que nous n’avons pas voulu l’apprendre ; il ne correspondait à aucune de nos idées, parce qu’il en réunissait trois fort distinctes ; nous ne nous en sommes pas servi avec elle ; par suite, elle a cessé de s’en servir. […] » — Tout ceci ressemble fort aux émotions et aux conjecturés des peuplés enfants, à leur admiration vive et profonde en face des grandes choses naturelles, à la puissance qu’exercent sur eux l’analogie ; le langage et la métaphore pour les conduire aux mythes solaires ou lunaires. […] À grand’peine, et par des efforts multipliés, ils parviendront à monter un ou deux des échelons ; jamais ils n’arriveront à la moitié de l’échelle, à plus forte raison au sommet. De même un singe, un chien, un perroquet fait quelques pas dans le premier stade du langage ; il comprend son nom, souvent le nom de son maître, parfois un ou deux autres mots, surtout d’après l’intonation avec laquelle on les prononce ; mais il en reste là ; il ne dépasse pas la période des interjections et imitations ; il est même fort loin de la parcourir tout entière ; à plus forte raison il n’entre point dans le second stade, celui des racines.

859. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIIIe entretien. Poésie lyrique. David (2e partie) » pp. 157-220

On s’étonne que les cordes de la harpe ne se soient pas brisées sous de si fortes touches. […] c’est le Fort ! Jéhovah, le Fort dans la bataille ! […] Qu’il entre, le puissant, le fort Jéhovah Tsebaoth ! […] C’est imprimer sa forte trace Sur chaque parcelle d’espace Où peuvent plier deux genoux !

860. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Mais si l’on vous demandait à quels instruments de musique, à quelles couleurs, à quels sentiment correspondent exactement les voyelles et les diphtongues et leurs combinaisons avec les consonnes, vous seriez, j’imagine, fort empêché. […] Il ne rappelle que de fort loin Bernis ou Dorat. […] Nul sentiment ne doit être plus fort. […] Ici, une idée fort belle : Elle ne savait pas que l’enfer, c’est l’absence. […] Mais le suivant est coupé (fort légèrement) après la sixième, et l’autre après la troisième ou la septième.

861. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

La vie d’Alfred de Vigny apparaît là comme un défi sublime. « La plus forte protestation contre le monde injuste et contre Dieu absent, c’est de m’appliquer à faire ce qui me permettra de m’estimer le plus. […] Du cerveau de Faguet, Calvin, Buffon, Montesquieu, Joseph de Maistre, Proudhon, Auguste Comte sortent plus lumineux, plus liés, plus consistants, plus complets, plus forts. […] L’Évangéliste est une des plus fortes études que je sache du fanatisme religieux ; et combien curieuse, cette rencontre de l’esprit protestant avec l’âme de ce catholique païen ! […] L’impression, vers la fin, en était presque trop forte, et comme lancinante. […] Et là encore, la façon dont nos plus décidés révolutionnaires reçurent le despote ami impliquait une gentillesse et une finesse d’esprit héritées de beaucoup de siècles et retrouvées fort à propos.

862. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Pour la liberté de la scène surtout, il eut fort à faire. […] Lui qui estimait assez peu les anciens, faute de les connaître à fond, il les trouvait fort bons à imiter dans la pompe de leur théâtre. […] Certes, les amis de ce peintre pourraient admirer fort un ouvrage où chacun d’eux aurait mis du sien ; mais les connaisseurs feraient peu de cas d’une toile qui serait plutôt une succession d’ébauches superposées qu’une œuvre d’art. […] Là où les pensées sont fortes, ces expédients sont des beautés, ailleurs, c’est une phraséologie d’emprunt, dont Voltaire se serait moqué dans les ouvrages d’un autre. […] Népomucène Lemercier essaya de retremper la tragédie dans l’étude de l’art grec, et de la rendre plus forte en la rendant plus savante et plus littéraire.

863. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

Sans doute, étant ce que nous sommes, nous portons tous (et même les plus forts) quelque lambeau saignant de notre cœur dans nos œuvres, et le poète des Fleurs du mal est soumis à cette loi comme chacun de nous. […] Cela est plus fort que le plus fort de nous ! […] Elles sont moins des poésies qu’une œuvre poétique de la plus forte unité. […] Baudelaire, elle les fit précéder d’une note un peu prude, et dans tous les cas fort maladroite. […] Sa poésie, concise et brillante, s’impose à l’esprit comme une image forte et logique.

864. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Elles trouvent contre elles les idées reçues, des préjugés plus forts, plus enracinés, l’intelligence des masses plus infectée de préventions traditionnelles, la croyance publique plus égarée parce qu’elle est plus tranquille, plus rassise dans son égarement. […] il y a à faire entre la notion du pouvoir, incarnée toute dans un homme, et cet homme, signe vivant du pouvoir, une forte abstraction presque impossible au commun des intelligences lorsqu’il faut mettre à part le péché et le crime. […] Ils étaient parvenus à séduire les gouvernements, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus fort, de plus organisé parmi les hommes, le meilleur appui des révolutions quand elles l’ont, presque leur seule chance de réussir. […] Il commençait à trouver la position fausse qu’il avait acceptée plus forte que son courage. […] Elle purifie le regard comme elle purifie le cœur, elle donne une forte assiette à tout l’être.

865. (1803) Littérature et critique pp. 133-288

Leurs opinions métaphysiques, que nous méprisons aujourd’hui, ressemblaient pourtant à quelques autres fort admirées. […] On se trompera fort : mais il croit que, dans ce genre, tout dépend du choix et de l’usage. […] Ce secret est connu, et les modèles, dans ce genre, ont été fort nombreux depuis cinquante ans. […] Il soutient contre Montaigne, un peu trop naïf à la vérité, que deux femmes peuvent s’aimer fort sincèrement. […] Ce Léon a laissé un ouvrage sur la lactique, fort estimé, et traduit en français il y a trente ans.

866. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Poésies complètes de Théodore de Banville » pp. 69-85

C’est par une sorte d’abus, mais qui avait sa raison, que l’on a compris encore sous le nom de romantiques les poètes, comme André Chénier, qui sont amateurs de la beauté grecque et qui, par là même, sembleraient plutôt classiques ; mais les soi-disant classiques modernes étant alors, la plupart, fort peu instruits des vraies sources et se tenant à des imitations de seconde ou de troisième main, ç’a été se séparer d’eux d’une manière tranchée que de revenir aux sources mêmes, au sentiment des premiers maîtres, et d’y retremper son style ou son goût. […] C’était un romantique aussi que ce Fauriel qui considérait volontiers tous les siècles de Louis XIV comme non avenus, et qui, bien loin de tous les Versailles, s’en allait chercher, dans les sentiers les plus agrestes et les plus abandonnés, des fleurs de poésie toute simple, toute populaire, mais d’une vierge et forte senteur. […] Jay, homme de sens et fort estimable, mais qui n’avait certes fait preuve, dans l’écrit dont il s’agit, ni d’intelligence de la question, ni d’esprit, ni d’agrément, et qui n’y avait surtout pas mis le plus petit grain d’urbanité ; ce sont là des éloges sur lesquels on doit être coulant et qui sont presque imposés dans un discours de réception. […] Théodore de Banville a réuni tous ses précédents recueils (moins un), je me suis dit avec plaisir : Voilà un poète, un des premiers élèves des maîtres, un de ceux qui, venus tard et des derniers par l’âge, ont eu l’enthousiasme des commencements, qui ont gardé le scrupule de la forme, qui savent, pour l’avoir appris à forte école, le métier des vers, qui les font de main d’ouvrier, c’est-à-dire de bonne main, qui y donnent de la trempe, du ressort, qui savent composer, ciseler, peindre.

867. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

M. de Viel-Castel a ici des pages fort justes, et où il tient compte de toutes les nécessités, de toutes les conditions de ce régime qu’il s’agissait de fonder : Le rétablissement d’un pouvoir renversé, dit-il, d’une dynastie déchue, ce qu’on appelle une restauration, n’est pas un accident rare ; l’histoire en offre de nombreux exemples. […] · L’historien, sans songer à être peintre, fait à cet endroit un portrait fort ressemblant de Louis XVIII, le grand modérateur, sur lequel reposait l’exécution du pacte tant bien que mal contracté. […] Avec des lumières fort inégales, chacun de ces deux princes eut un procédé politique en accord surtout avec son caractère. […] L’impression du public fut si forte contre ces deux ordonnances qu’elles restèrent sans exécution.

868. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Huguenot, helléniste, gaulois et bourgeois, ami des bons contes, et passionné pour la langue française, entre ses continuels voyages et ses travaux philologiques, il trouva le temps d’écrire de mordants et spirituels traités, avec une verve et une verdeur de style fort remarquables. […] Par ses piquants et fort sensés Dialogues du langage françois italianisé, Estienne se place parmi les ouvriers de la première heure, qui préparèrent la perfection de la langue classique. […] D’autant que la science de Palissy n’est point abstraite : ce curieux obstiné, qui vécut tant d’années pour son idée, ce sévère huguenot, qui n’échappa à la Saint-Barthélemy que pour mourir à la Bastille, s’est mis tout entier dans tous ses ouvrages ; il ne peut parler agriculture et chimie sans répandre au dehors toute son originale et forte nature, sa large intelligence, sa liante moralité, son ample expérience de l’homme et de la vie. […] C’était une forte tentation et un vif plaisir, de poser soi-même et de dessiner le personnage idéal qu’on voulait être dans la postérité.

869. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Il y a là une sorte d’illusion d’optique fort dangereuse en histoire. […] Il eût mieux valu sans doute ne pas abstraire si fort votre Dieu, ne pas le placer dans ces nuageuses hauteurs où, pour le contempler, il vous fallut une position si tendue. […] Aux yeux du réalisme, un homme à genoux devant l’invisible ressemble fort à un nigaud, et, si les libations antiques étaient encore d’usage 51, bien des gens diraient comme les apôtres : Utquid perditio haec ? […] Je suppose une pensée aussi originale et aussi forte que celle du christianisme primitif apparaissant de nos jours.

870. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Le fort de sa spirituelle critique s’est concentré sur le dramatique, et c’est de ce côté qu’il bat les modernes. […] À cela près, le procédé est le même ; mais l’homme d’esprit l’a fort développé et renouvelé en l’appliquant ; il se l’est rendu tout à fait original et propre. […] On touche encore à son temps, et très fort même quand on le repousse. […] Il a aussi, dans l’ordre de critique morale, de fort belles pages, comme quand il commente la parabole de l’enfant prodigue, en la rapprochant des pères de Térence.

871. (1912) L’art de lire « Chapitre V. Les poètes »

Mais au point de vue du nombre, la faute, qu’on lui faisait commettre était encore plus grave ; car ces vers forment une strophe de six vers couplés, menés deux à deux, avec, ce qui est très conforme aux lois générales du rythme, un repos assez fort après le premier distique, un repos un peu moins fort, mais un repos encore, après le second distique : Depuis le jour où le voyant vainqueur, D’être amoureuse, amour, tu m’as forcée, || Fût-ce un instant, je n’ai pas eu le cœur De lui montrer ma craintive pensée, | Dont je me sens à tel point oppressée, Mourant ainsi, que la mort me fait peur. […] « Comme un aigle qu’on voit toujours, soit qu’il vole au milieu des airs, soit qu’il se pose sur le haut de quelque rocher, porter de tous côtés ses regards perçants, | et tomber si sûrement sur sa proie qu’on ne peut éviter ses ongles non plus que ses yeux ; | aussi vifs étaient les regards, aussi vite et impétueuse était l’attaque, aussi fortes et inévitables, | étaient les mains du prince du Condé. » Au point de vue de la tenue de l’haleine, il faut scander, je crois, comme j’ai fait ; mais au point de vue de l’harmonie expressive il faut accentuer les mots airs, rocher, perçants, proie, yeux, regards, attaque et inévitables, et alors nous voyons que les choses sont peintes par les mots, et c’est-à-dire, ici, par le rythme général, par les sonorités et par les silences. […] Six forts chevaux tiraient un coche, vers aussi lourd, aussi rude, plus rude même, mais plus court, qui par conséquent serait plus léger s’il n’était pesant par la rudesse des sons et qui, à cause de cela, semble tronqué, semble n’avoir pas pu aller jusqu’à fin de lui-même.

872. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

Il a les qualités fortes, substantielles, perçantes et froides du grand voyageur. […] La lâcheté, en effet, la lâcheté qui opprime le faible et s’aplatit devant le fort, est le premier trait et certainement le plus profond de la moralité ou plutôt de l’immoralité chinoise. […] « Nous avons trouvé  — dit Huc — dans la collection de Wiechan quelques cahiers fort curieux et que nous parcourûmes avec a le plus grand intérêt… C’étaient des recueils de sentences populaires. […] Le peuple, musqué jusqu’à l’intelligence, chez lequel il s’écrit de telles choses, sans nom d’auteur, est certainement, en masse, fort au-dessus de tous ses mandarins « à globule rouge » ou « à globule bleue », mais ce n’est qu’un malheur de plus, car il périra faute de chefs.

873. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Buloz »

ce sera plus fort que moi, sans doute. […] Comme Buloz a fait sa fortune dans la direction de sa Revue, Véron a fait la sienne dans la direction de l’Opéra, et pour cette raison les voilà tous deux en posture d’hommes infiniment habiles, aux yeux de ces forts jugeurs qui s’imaginent que le succès fait toujours équation avec du génie ! […] J’ai parlé déjà de cette haine instinctive du style et de la couleur, qui est si caractéristique dans Buloz ; mais son amour de la platitude est encore plus fort que cette haine. […] Si Buloz, ce fort connaisseur en ennui grave, était content, on entrait à la Revue des Deux Mondes ; mais si on était amusant, on était perdu et on restait à la Revue de Paris.

874. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Nous nous soucions fort peu, il est vrai, de l’Espagne de saint Isidore de Séville, de saint Ignace de Loyola, de la terre catholique d’Isabelle et de Ximenès ; mais, en revanche, nous raffolons depuis trente ans de l’Espagne moresque, de l’Espagne des boléros, des fandangos, des basquines et des castagnettes, et c’est, ma foi ! […] Mais l’herbe fut coupée bien tendre ; mais la fleur fut coupée à peine entr’ouverte ; et toutes deux, à ras de terre, par une faux qui est celle de l’amour, — de cet amour fort comme la mort, et qui tranche l’âme comme la mort tranche la vie. […] Elle était née sans aucune mémoire, sans aucune imagination, disait-elle, et de plus parfaitement incapable de discourir avec l’entendement ; mais la Prière, la Prière plus forte que toutes les sécheresses, lui donna toutes les facultés qui lui manquaient ; car la Prière a fait Térèse, plus que sa mère elle-même : « Je suis en tout de la plus grande faiblesse, — dit-elle, — mais, appuyée à la colonne de l’Oraison, j’en partage la force. » Malade, pendant de longues années, de maladies entremêlées et terribles qui étonnent la science par la singularité des symptômes et par l’acuité suraiguë des douleurs, Térèse, le mal vivant, le tétanos qui dure, a vécu soixante-sept ans de l’existence la plus pleine, la plus active, la plus féconde, découvrant des horizons inconnus dans le ciel de la mysticité, et, sur le terrain des réalités de ce monde, fondant, visitant et dirigeant trente monastères : quatorze d’hommes et seize de filles. […] À certaines places de ce récit merveilleux où le surnaturel a complètement remplacé la nature, on voit surgir du fond de cette Contemplative, éperdue et perdue dans son Dieu, une raison plus forte que toutes ces flammes, qui met la main sur le cœur qui palpite et dit à ce cœur : « N’es-tu pas ta proie à toi-même ?

875. (1890) La bataille littéraire. Deuxième série (1879-1882) (3e éd.) pp. 1-303

— C’est trop fort ! […] — C’est fort drôle, dit le ministre, mais voyons le foyer. […] Et alors il se crut grand et fort. […] ce n’est donc plus un bien sans lequel tous les autres sont fort peu de chose ? […] » disait-il un jour, ennuyé de ce que le vent soufflait trop fort dans les corridors.

876. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

La nature se peint par-tout dans ces images fortes devenues ordinaires. […] Une tragédie est foible, quoique le style en soit fort, quand l’intérêt n’est pas soûtenu. […] Tout ce qui est uniquement dans le genre fort & vigoureux, a un mérite qui n’est pas celui des graces. […] Il plaît par des beautés fortes. […] Priape étoit de ces petites divinités subalternes, abandonnées aux railleurs ; & cette plaisanterie même est la preuve la plus forte que cette figure de Priape qu’on mettoit dans les potagers pour effrayer les oiseaux, n’étoit pas fort révérée.

877. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Un premier tableau se présente aux yeux qu’il est fort possible qui soit la réalité dans un siècle. […] C’est là le fort même de Fourier, l’argumentation centrale où il revient toujours. […] Ils sont graves et lents, et d’une très forte vie intérieure. […] Il ne fut pas pris fort au sérieux ; mais il fut aimé. […] C’est elle qui irritait si fort H.

878. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Conclusion. Le passé et le présent. » pp. 424-475

Mais il faut qu’Henri VIII et Élisabeth elle-même suivent dans les grands intérêts le courant de l’opinion publique ; s’ils sont si forts c’est qu’ils sont populaires ; le peuple ne soutient leurs entreprises et n’autorise leurs violences que parce qu’il trouve en eux les défenseurs de sa religion, et les protecteurs de son travail1326. […] La lumière s’abat par nappes éblouissantes ; les pétales lustrés, dorés, éclatent avec un coloris trop fort ; les plus magnifiques broderies, le velours constellé de diamants, la soie chatoyante couturée de perles n’approchent pas de cette teinte profonde ; la joie déborde comme d’une coupe trop pleine. […] Considérez les passants dans la rue ; en trois heures vous verrez tous les traits sensibles de ce tempérament : les cheveux blonds, et, chez les enfants, la filasse presque blanche ; les yeux pâles, souvent bleus comme une faïence, les favoris rouges, la haute taille, les mouvements d’automate, et avec cela d’autres traits plus frappants encore, ceux que la forte nourriture et la vie militante ont ajoutés à ce tempérament. […] Rien de plus simple que les jeunes filles ; parmi les belles choses, il y en a peu d’aussi belles au monde ; sveltes, fortes, sûres d’elles-mêmes, si foncièrement honnêtes et loyales, si exemptes de coquetterie ! […] Point de pays où l’on soit plus exigeant à cet endroit. « Notre vice, me disait un d’eux, c’est la passion exagérée de toutes les choses bonnes et commodes ; nous avons trop de besoins, nous dépensons trop ; nos paysans, sitôt qu’ils ont un peu d’argent, au lieu d’acquérir un bout de terre, achètent le meilleur sherry, les meilleurs habits1328. » À mesure qu’on monte vers les hautes classes, ce goût devient plus fort.

879. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

Toute une jeune race forte et libérale se rangea derrière eux, et la révolution, longtemps disputée, put enfin s’accomplir. […] Ils se taisent, ou se sont vus détournés de leur voie sacrée par des circonstances plus fortes qu’eux. […] Les charpentiers et les tailleurs de pierre sont plus forts et plus unis que nous. […] Dans le temps, fort peu regrettable, où il y avait en France des grands seigneurs, il était d’usage que l’écrivain se choisît un patron auquel il faisait de ronflantes dédicaces. […] Je connais des poëtes, de fort grands poëtes, qui sont réduits à rendre compte des vaudevilles imbéciles et des sottes pantalonnades qui se jouent sur tous les tréteaux de Paris.

880. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Je dois constater la grande somme de talent d’observation dépensée, bien que l’action, réelle et forte, piétine un peu sur place. […] Peu à peu, ces nuitées hors du fort Desaix devinrent sa préoccupation unique et consolante. […] Les cases qui s’espaçaient du fort aux faubourgs les prenaient. […] » avec le clapement de langue qui savoure une pêche mûre, il parle comme il pense, et son amorce est d’autant plus forte et dangereuse. […] Sur la plate-forme du perron, l’abbé raccommodait un pied de chaise avec de la colle forte.

881. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « a propos de casanova de seingalt  » pp. 510-511

Mais en fait, d’après la loi de l’infirmité et de la lâcheté humaine, dans le manque d’éducation forte et de croyance régnante, ce sont les instincts naturels qui décident en dernier ressort et qui font l’homme. […] Même quand ils ne deviennent ni des fripons, ni des escrocs avilis, ni des hableurs impudents, quand quelque chose de l’honnête homme leur reste, et qu’on peut leur donner la main, il ne faut pas s’attendre à beaucoup de scrupules de leur part ; leur sens moral, chatouilleux peut-être et intact sur un ou deux points, vous paraîtra fort aboli et coulant pour tout le reste.

882. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 7-11

Il fallut que des Littérateurs éclairés, M. le Duc d’Orléans lui-même, encourageassent sa timidité, & le fissent consentir à ne plus soustraire au Public ce qu’on avoit si fort goûté dans le particulier. […] Collé y a faites, puisqu’elles ont été si fort applaudies avec leurs imperfections.

883. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Les rumeurs s’élèvent : Lysistrate, assiégée dans le fort, soutient burlesquement l’attaque avec ses compagnes. […] Elle devint moins violente et plus délicate, moins forte et plus ingénieuse, moins acre et moins amère, mais plus pure et mieux goûtée. […] L’esprit eût perdu trop de bonnes choses à se tenir si fort à l’étroit. […] « Si ma femme a failli, qu’elle pleure bien fort. […] « La fille que je veux prendre est fort jeune et fort belle.

884. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « M. Littré. »

Il apprit le grec pour le montrer à son fils ; plus avancé en âge, il apprit même du sanscrit, et il avait des livres en cette langue, ce qui était alors fort rare. […] Barthélémy Saint-Hilaire, des leçons de sanscrit d’Eugène Burnouf ; il n’en fit jamais parade, mais il assurait ainsi par les plus fortes assises les fondements de sa science philologique. […] Collaborateur de la Revue des Deux Mondes depuis 1836, il ne cessa d’y donner des articles excellents où sa littérature, toujours forte, s’animait et s’ornait davantage. […] Diez avait fort tiré parti et signalé déjà l’importance, est devenu aux mains de M.  […] C’est en lisant ces morceaux de forte et savante structure et dont rien ne donnait l’idée avant lui, qu’on aperçoit aisément, pour peu qu’on soit au fait de ces questions, quel pas M. 

885. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

C’est là, peut-être, une simple application de cette loi générale que les mouvements réflexes sont plus forts quand l’action des centres nerveux est moindre. […] Pour bien comprendre cette tendance, il faut songer que dans ces cerveaux affaiblis, où les réactions sont lentes à se produire, une image forte se fixe aisément et devient facilement obsédante. […] Tout cela s’efface même pour lui, à plus forte raison pour ses lecteurs, derrière les pensées ou actions véritablement expressives de sa vie et de la vie. […] Le vice est la domination de la passion chez un individu ; or, la passion est éminemment contagieuse de sa nature, et elle l’est d’autant plus qu’elle est plus forte ou même déréglée. […] La moralité, en outre, est une équivalence parfaite entre les passions, fort difficile à maintenir ; la justice dans les actions provient d’une justesse dans le tempérament : la vertu a la simplicité du diamant, qui désespère ceux qui tentent artificiellement de le reproduire.

886. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Les trois têtes les plus fortes de la Révolution française sont des têtes de tonsuré, comme dirait agréablement la Philosophie. […] Les gestations ne sont pas régulières, et les enfants les plus forts dépassent bien souvent les neuf mois. […] Mais la plus forte tête vivante du xixe  siècle pensait encore. […] Dès que madame Audin eut appris les progrès de ce mal plus fort que les médecins, elle alla rejoindre son mari, l’atteignit à Civita-Vecchia, où il était venu au-devant d’elle. […] L’étude des hommes n’avait pas flétri ce cœur et cet esprit plus fort que toutes les expériences.

887. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

Il est installé dans son scepticisme comme dans un fort inexpugnable. […] Or, ou je me trompe fort, ou M.  […] De toutes ses convictions, qui sont fortes, la plus forte est peut-être que la raison, sa raison ne saurait l’égarer. […] Tel est mon goût : voilà le fort dans lequel se retranche habilement M.  […] Je crains fort que la supposition ne soit pas une hypothèse en l’air.

888. (1891) Esquisses contemporaines

Les romans-aventure n’intéressent qu’un instant, on les ferme, on les oublie et l’on n’y revient plus ; celui-ci vous retrouve et vous hante, Si simple qu’en soit la trame, il est fort attachant et fort complexe. […] Le lien qui nous unit à lui en est devenu plus fort et plus étroit. […] Il ressemblerait fort à celui qu’annonce le christianisme et qu’il réalise sous le nom de conversion. […] Il s’y montre fort inégal. […] Point d’hommes forts sans fortes convictions ; point de convictions sans cultes.

889. (1904) Le collier des jours. Souvenirs de ma vie

Elle était régulièrement tracée, avec des trottoirs de chaque côté, mais il n’y avait pas de maisons, ou fort peu. […] Ce qui frappait tout de suite en y entrant, c’était une forte odeur de chat. […] Celle dont je gardais la plus forte impression, était le Chaperon-Rouge, à cause du loup. […] Une cloche se mit à sonner très fort et longtemps. […] S’il m’arrivait de pleurer trop fort, on m’entendrait et on me découvrirait.

890. (1887) George Sand

La nature de Mme Sand la prédisposait à subir le despotisme des convictions âpres et des imaginations fortes. […] On sait qu’il était fort à la mode, en ce temps, de mêler ce nom aux plus vifs emportements de la passion. […] Elle s’est fort amendée dans les derniers romans. […] Sa métaphysique est fort incertaine et vague. […] Donne-lui son représentant ; fais passer l’honnête et le fort à travers ces fous et ces idiots dont tu aimes à te moquer.

891. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

Dans son article du cheval, par lequel il débute dans ses histoires particulières d’animaux, il accorde un peu à la phrase, à la couleur ; il fait les chevaux sauvages « beaucoup plus forts, plus légers, plus nerveux que la plupart des chevaux domestiques ». […] J’ai vu des savants positifs, des observateurs de mérite, mais d’un horizon un peu restreint et rabaissé, qui, lorsqu’ils étaient interrogés sur Buffon, répondaient à peine ; et l’un d’eux me dit un jour : « Il y a encore Bernardin de Saint-Pierre qui a fait de beaux tableaux dans ce genre-là. » Évidemment ces savants de métier, ne trouvant pas chez Buffon le détail précis d’observation qu’ils prisent avant tout, y voyant du général ou du vague (ce qu’ils confondent), y ayant noté des erreurs, n’appréciant point d’ailleurs l’élévation et la nouveauté première de quelques-unes de ses conceptions lumineuses et de ses perspectives, lui rendent le dédain qu’il a eu pour leurs devanciers de même race ; ils exercent sur lui la revanche du naturaliste positif, de l’anatomiste, de l’observateur au microscope, sur l’homme de talent qui les a trop tenus à distance ; ils sont fiers d’être aujourd’hui plus avancés que lui, et, en le rapprochant si fort de Bernardin de Saint-Pierre qu’ils lisent très peu, ils le relèguent parmi les littérateurs purs, oubliant que Buffon a été un génie scientifiquement éducable, ce que Bernardin de Saint-Pierre ne fut jamais. […] Isidore Geoffroy Saint-Hilaire voit le mérite de Buffon autre part encore : mais il me semble que Cuvier et M. de Blainville ne restreignaient point si fort ses titres à la reconnaissance de la postérité ; ils lui accordaient aussi des idées de génie soit en physiologie philosophique, soit pour les grandes distributions géographiques des êtres. […] Henri Martin a donné sur Buffon un chapitre ferme, étudié, fort bon autant que j’en puis juger, s’il ne s’y mêlait un peu trop de cette dernière manière fougueuse de concevoir Buffon : Quelles prodigieuses visions durent l’assaillir, s’écrie l’historien, quand la nature se présenta à lui comme un seul être dont il avait à décrire les formes et à raconter les vicissitudes ! […] On devrait toujours se demander, quand on admire si fort un génie du passé : « Qu’aurait-il dit de cette manière d’être admiré12 ? 

892. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Montluc — II » pp. 71-89

Il méprise fort les écritures en bien des cas ; en matière de reddition de place et de capitulation, par exemple, il répète mainte et mainte fois qu’il aimerait mieux être mort que « si on le trouvait mêlé en ces écritures ». […] Ce jeune prince était si fort au désespoir, « que deux fois il se donna de la pointe de l’épée dans son gorgerin, se voulant offenser soi-même. […] Un endroit intéressant et neuf, c’est celui où il nous parle des travaux de fortification auxquels il présida entre le fort d’Outreau et le Pont-de-Brique en 1545. […] Le premier, s’il le faut, il n’hésitera pas à donner l’exemple ; écoulons son excellent récit : Je me résolus de trouver le moyen pour faire travailler les soldats, qui fut de donner à chacun qui travaillerait cinq sous comme aux pionniers : monsieur le maréchal me l’accorda fort volontiers, mais je n’en trouvai pas un qui y voulût mettre la main. […] Le roi pourtant eut son avis, à lui, et démêla les qualités essentielles de son brave serviteur sous les défauts dont on le chargeait : « Le roi répondit qu’il avait toujours vu et connu que la colère et bizarrerie qui était en moi n’était sinon pour soutenir son service, lorsque je voyais qu’on le servait mal : or, jamais il n’avait ouï dire que j’eusse pris querelle avec personne pour mon particulier. » M. de Guise, favorable à Montluc, fit aussi cette remarque devant le roi, que le maréchal de Brissac se contredisait dans sa lettre, en déniant d’une part à Montluc l’ordre de talents nécessaires pour commander au nom du roi, et d’autre part en le louant si fort pour des qualités qui sont pourtant les principales en un homme de commandement, telles que d’être homme de grande police et de grande justice, et de savoir animer les soldats en toute entreprise : « Qui a jamais vu, ajoutait M. de Guise, qu’un homme doué de toutes ces bonnes parties n’eût avec lui de la colère ?

893. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

La pensée des grands hommes est une courbe que l’on n’embrasse bien qu’après qu’elle est décrite : il arrive même à de bons yeux de ne la voir d’abord que brisée et morcelée comme elle l’est souvent en effet dans le détail, et comme elle peut l’être à tout moment dans l’ensemble par les accidents plus forts que le génie. […] Frédéric était un grand homme, de ceux en qui réside et se personnifie la force et la destinée d’une nation ; le prince Henri, tel qu’il ressort à nos yeux de la correspondance qu’on vient de publier et des divers témoignagnes, me paraît un prince raisonneur, réfléchi, méthodique, quelquefois jusqu’au bizarre et au minutieux, ombrageux, susceptible, capable d’envie, fastueux, aimant la montre, ne haïssant pas d’être trompé, ayant une forte teinte de la sensibilité et de la philanthropie de son siècle ; avec cela de la justesse par places, de la mesure habile, de la combinaison, de l’adresse, des parties ingénieuses ; mais grand homme, c’est beaucoup dire : il n’est grand en rien, il n’a rien d’héroïque ; c’est un esprit distingué et un guerrier de mérite. […] Le prince Henri, livré à lui-même, eût été un général tout méthodique et circonspect de l’école du maréchal Daun ; il calculait, méditait des manœuvres habiles, des marches ingénieuses, des plans fort savants conformes à la disposition du terrain ; mais il agissait peu, voyait à l’avance des difficultés à tout, et n’entreprenait pas. […] C’est ce qui, malgré mes autres chagrins, ne laisse pas de me faire un sensible plaisir, et ce qui était fort à désirer pour l’avantage de l’État, surtout pour celui des pauvres orphelins qui me sont confiés. » Il lui parle toujours alors comme à un tuteur naturel indiqué pour la chose publique et pour les siens, dans le cas où il disparaîtrait lui-même. […] Et toutefois il n’y a pas une de ces lettres qui soit, à proprement parler, agréable : il y en a de vraies, de fortes, de bien sensées ; j’en citerai une, la prochaine fois, qui est de tout point admirable de douleur et d’âme ; mais l’agrément proprement dit, il n’est pas là pour nous autres Français.

894. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

Il passa le reste de sa vie fort doucement ; on s’amusait fort chez lui, et l’on y dansait. […] Ce vaillant homme presse son mariage, afin de partir deux jours après : « Le jeudi 4 août, l’après-dînée, je fus voir Mme de Sévigné qui était fort gaie ; elle avait été mariée à deux heures après minuit à Saint-Gervais, par M. l’évêque de Châlons. » M. d’Ormesson n’en dit pas plus, mais c’est assez pour nous donner l’idée de cette gaieté éblouissante qui l’avait frappé. […] On se raconte des horreurs sur ce cardinal-tyran : « Il en était venu à tel point, lorsqu’il mourut, qu’il ne voulait plus voir le roi que le plus fort, et avait dans sa maison trois caves capables de tenir près de trois mille hommes. » M. le prince de Condé, toujours si plat envers celui qui règne et de qui il espère, lui qui avait un jour imploré à genoux comme un honneur l’alliance du cardinal vivant, s’élève maintenant tout haut, en plein Parlement, contre ce qui s’est fait « sous une puissance qui allait jusques à la tyrannie ». […] J’ai oui dire à des gens du métier que c’est un chef-d’œuvre que ce qu’il a fait, pour s’être expliqué si nettement, et avoir appuyé son avis sur des raisons si solides et si fortes ; il y mêla de l’éloquence, et même de l’agrément.

895. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Par exemple, dans une lettre à M. de Montalembert, au moment de la crise de déchirement avec M. de Lamennais : « Je le crois, disait-elle, le grand homme eut fléchi devant un enfant tendre et pieux, car il me semble bien que c’est à la seule tendresse que peut céder M. de Lamennais, et, comme Clorinde, si son bras est fort, son cœur est faible. […] Elle voudrait même, moyennant un certain raisonnement, faire de la vieillesse « le point du milieu. » — Mais voici qui est décidément trop fort : « Connaissant la valeur du temps (dans la vieillesse), on aspire à le sauver, à le mettre en œuvre ; par l’ardeur du désir qu’on a de l’exploiter, l’âme va plus vite que les organes ; on est comme cette Ariane de Dannecker (dans la galerie Bethmann, à Francfort), qui va évidemment plus vite que la panthère qui la porte. […] Arrêté sur la hauteur d’où le pays se montre plus étendu et plus riche, il suit le cours des eaux qu’il a su maîtriser, il reconnaît ses ombrages, ses abris de prédilection, les champs fécondés par ses sueurs, des glands semés par lui devenus chênes ; le même soleil éclaire encore de ses rayons obliques et toujours amis la longue route qu’il a suivie, et les sentiers mystérieux par lesquels la bonne Providence l’a doucement conduit à elle… » Ce qui suit, et qu’il faut lire, sur les infirmités et l’usage moral qu’on en peut faire est fort beau, Dans ces termes adoucis, je cesse de contredire, et je m’efforcerais plutôt de m’associer aux affectueuses espérances de l’auteur. […] Ses besoins d’aimer, ses ambitions d’intelligence, ses jalousies tendres qui se rassemblaient et s’accumulaient faute de mieux sur une tête chérie, ses soifs de Tantale qu’elle ne peut assouvir, ses accès de dévouement à la Décius qu’elle ne sait à quoi employer, ses colères à la Tarquin dans lesquelles elle abat impitoyablement tout ce qu’elle a dédaigné de cueillir et de respirer, tout cela s’épanche avec plus de naïveté qu’on n’aurait cru, et les ressorts humains, les mobiles naturels jouent fort distinctement devant nous, sans préjudice de la fibre religieuse fondamentale. […] On parlait devant l’aimable compositeur Auber de l’ennui de vieillir : « Oui, dit-il, c’est fort ennuyeux, et pourtant c’est encore le seul moyen qu’on ait trouvé jusqu’ici de vivre longtemps. » 33.

896. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Il avait fort souffert du premier accueil que les savants de profession avaient fait à ses idées ; et, même dans ses derniers jours, la blessure n’était pas encore guérie. […] On avait fort vanté dans cette école et fort poussé Tieck, un homme d’esprit et de talent très-distingué, qu’on n’aurait pas été fâché d’opposer à Gœthe ; mais il n’était pas de taille à cela, et lui-même le sentait bien. […] Je mets le Globe parmi les journaux les plus intéressants, et je ne pourrais pas m’en passer. » Il ne s’occupait guère de nous que « d’hier ou d’avant-hier », il l’avoue ; mais il s’en occupait fort : « (21 janvier 1827.) […] Ce qui s’appelle vraiment le peuple ne sert que fort peu à notre développement, et tous les hommes de talent, toutes les bonnes têtes sont parsemées à travers toute l’Allemagne.

897. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

J’y arrivai le premier par un accident : je montais un cheval d’Espagne fort vigoureux et qui souffrait impatiemment la neige qu’il avait jusques au ventre, et je craignais, par les efforts qu’il faisait pour en sortir, qu’il ne se jetât dans le précipice qui était sur notre droite, car nous étions fort serrés par la montagne sur la gauche, le chemin n’ayant pas plus de quatre pieds de large. […] Heureusement j’avais fait charger sur des mulets des pâtés, langues, et bonne provision de viandes froides, qui vinrent fort à propos et qui furent bientôt expédiées ; mais ce qui parut le plus extraordinaire et en même temps le plus agréable, c’est que nous fûmes servis à table par une demi-douzaine de très-belles filles, qui s’acquittèrent de très-bonne grâce de leur emploi. […] Et ces cruautés exercées comme des gentillesses par d’indignes soldats nous sont décrites de point en point, j’en fais grâce : « C’était là, nous dit la Relation protestante, le plus fort de leur étude et de leur application que de trouver des tourments qui fussent douloureux sans être mortels, et de faire éprouver à ces malheureux objets de leur fureur tout ce que le corps humain peut endurer sans mourir. » Je fais la part des exagérations et des invectives vengeresses chez des âmes ulcérées, et pourtant on n’invente pas absolument de pareils actes dans leur détail et avec toutes leurs circonstances. […] De rigueurs, il n’en fut un moment question que pour en rejeter aussitôt l’idée, et Foucault se fit fort d’arriver au but par une tout autre méthode que celle de son prédécesseur, laquelle avait si mal réussi.

898. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset. »

Le Rocher de Traben, qui en devint la base, faisait partie du territoire de Traerbach, et Louvois, le trouvant si fort à sa convenance, s’imagina aisément que c’était à nous. […] Le marquis de Chamilly, depuis maréchal de France, commandant militaire à Strasbourg, avait une femme très dévote, très zélée et qui était fort liée avec le parti janséniste. […] Il est bon qu’il fasse retirer ces billets — là tout doucement des corps de garde sans faire de bruit. » (Et au sujet des visites dans les hôpitaux) : « Elle est fort louable de faire cela, et si elle y trouve quelque chose de mal, elle me fera plaisir de m’en avertir ; mais il ne faut voir que l’hôpital du roi et n’aller que rarement dans celui de la ville, à moins qu’elle ne sût qu’il y eût quelque catholique auquel on refusât de donner les assistances spirituelles, auquel cas il serait fort à propos d’en avertir. » Louvois, l’approbateur, sinon l’inventeur des dragonnades, qui, dans les années suivantes, allait être si dur et si impitoyable pour les Protestants du cœur du royaume, anciens et bons Français, se montrait ici prudent et politique à l’égard d’une cité luthérienne, nouvellement française. […] On fit venir, l’année suivante, à Strasbourg, des Pères de l’Oratoire, dont était le célèbre Du Guet, pour tâter encore les consciences et sonder le terrain sur cette œuvre des conversions : elles ne prirent pas, — ni chez les Catholiques, ni chez les Protestants : « Les Catholiques, écrivait Du Guet (1682), sont soldats pour la plupart, occupés à la citadelle, aux forts, à autre chose qu’a leur conscience ; les hérétiques bourgeois sont sur leurs gardes, et le magistrat est un homme délicat qui a l’œil à tout, qui se plaint de tout, et qui fait de toutes choses une affaire d’État. » Strasbourg, en maintenant sa communion mi-partie et en sauvant quelques-unes de ses franchises municipales, fut vite assimilée et gagnée aux sentiments et aux destinées de sa patrie nouvelle.

899. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid. »

La double opinion de ceux qui préfèrent ouvertement Corneille à Racine et de ceux qui, au contraire, préfèrent incomparablement Racine à Corneille, ou encore le suffrage impartial et équitable des arbitres entre ces deux illustres rivaux, ont été exprimés d’une façon heureuse et sans réplique par ces plumes fines et d’une qualité rare, Saint-Évremond, Fontenelle, Fénelon, Vauvenargues, La Bruyère, Voltaire, même La Harpe ; nous nous tourmentons fort pour dire autrement ; nous ne dirons jamais mieux ni aussi bien. Mais le cercle s’est élargi, la vue s’est fort étendue depuis eux en dehors des horizons purement français : Shakspeare a grandi, Goethe s’est élevé, la connaissance des littératures étrangères a découvert les sources et permis de juger avec la dernière exactitude la quantité et la valeur des emprunts. […] En ce qui est du texte seul, s’il semblait qu’il eût suffi de le rétablir couramment dans sa pureté sans avoir à en dire ses raisons, on se tromperait fort, et ce ne serait pas le moyen de convaincre que d’en agir de la sorte. […] Taschereau dans la Bibliothèque elzévirienne, travail dès l’abord fort estimable que l’auteur a de plus en plus complété et nourri, revint mettre sous les yeux toutes les pièces biographiques, précédemment ou plus récemment connues, et fournir tous les éléments pour l’étude du caractère dans un portrait futur, et qui reste à faire, du brusque et altier tragique. […] Guillaume Schlegel, qui n’avait plus cette œuvre à poursuivre, s’est montré, relativement, fort modéré, et, si un Français peut réclamer à quelques égards contre ses jugements sur Racine, il n’y a guère qu’à approuver ce qu’il a dit de Corneille.

900. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Il nous le montre, vers la fin, devenu si défiant qu’on pouvait fort douter s’il croyait encore à la probité : ce qu’il y a de sûr, c’est qu’il regardait les personnes vertueuses comme peu capables, et s’il fallait s’en remettre à quelqu’un, c’étaient les plus malhonnêtes sans hésitation, et les plus signalés au mépris, qu’il employait de préférence et sans réserve : l’excès de défiance l’avait mené ainsi, de degrés en degrés, à son contraire : « Cette défiance, ajoute Le Roy en terminant, justifiée malheureusement par un grand nombre de faits, avait donné dans les derniers temps de l’immoralité à son caractère et mis le comble à son apathie ; elle avait surtout fait des progrès rapides, depuis qu’on avait attenté à sa vie. […] Mme de Prie entre à tous moments dans ses appartements pour voir ce qu’elle fait, et elle n’est maîtresse d’aucune grâce. » Or, un matin, la reine trouva sur sa table un papier d’une fort belle écriture, et elle y lut, sous ce titre d’Instruction de Mme de Prie à la reine de France et de Navarre, les mauvais vers suivants qui parodiaient le discours d’Arnolphe à Agnès avec la gaieté de moins : Marie, écoutez-moi : laissez là le rosaire, Et regardez en moi votre ange tutélaire, Moi qui suis de Bourbon l’amante et le conseil, Moi qu’il chérit autant et plus que son bon œil52 : Notre roi vous épouse, et cent fois la journée Vous devez bénir l’heur de votre destinée, Contempler la bassesse où vous avez été, Et du prince qui m’aime admirer la bonté ; Qui de l’état obscur de simple demoiselle, Sur le trône des Lys par mon choix vous appelle. […] Le maréchal de Villars, fort consulté par tout le monde, nous initie volontiers à ces tiraillements et à ces intrigues. […] Au reste, il est plus heureux pour vous que le cœur du roi ne soit pas fort porté à la tendresse, parce qu’en cas de passion la froideur naturelle est moins cruelle que l’infidélité. » La glace était posée désormais, et c’est le vieux précepteur qui l’avait mise ; elle ne fit que s’entr’ouvrir et ne disparut jamais entièrement depuis. […] Cette dame était fort loin d’être jolie, mais elle avait beaucoup de grâce dans la taille et dans les manières, une sensibilité déjà connue, un caractère de complaisance fait pour abréger les formalités.

901. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Et puis Rome rougissait-de cette plaie au sein qui lui fut faite au plus fort de sa puissance, et ses historiens ont l’air de s’être entendus pour l’embrouiller et pour la couvrir. […] Eux morts, la ville ouvrit ses portes. » Et après avoir exposé les conséquences de cette bataille de Rome, où la nationalité italienne périt, et où Rome en même temps épuisa son reste de vigueur et de défense, comme patrie distincte, l’historien résume le tout en cette forte image : « Le duel de Marius et de Télésinus fut comme un présage des destinées de l’Italie. […] Lorsqu’une œuvre puissante, marquée de beautés fortes, poétiques, chargée aussi de bizarrerie et d’excès, se pose devant lui, il peut la méconnaître ; mais dès qu’une production parfaite se présente, il dit du premier coup : C’est cela ! […] Je me rappelle toute une discussion très-vive et en fort bon lieu là-dessus. […] Nul doute qu’un narrateur vraiment primitif ne l’eût pris de la sorte et ne fût allé au bout ; mais, pour nous, lecteurs modernes, qui, après tout, ne sommes pas Corses, qui nous intéressons à Orso et qui tenons fort à ce qu’il ne finisse ni par le mâquis ni par les galères, nous sommes heureux de la dextérité du romancier qui nous l’a montré cédant tout autant qu’il faut et s’en tirant toutefois, ne commençant pas le premier, mais, du moment qu’il s’en mêle, faisant coup double.

902. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

A l’âge d’or de fantaisie et d’opéra rêvé par La Curne de Sainte-Palaye et Tressan20, ont succédé des études plus sévères, qui ont jeté quelque trouble dans le premier arrangement romanesque ; puis ces études, de plus en plus fortes et intelligentes, ont rencontré au fond un âge non plus d’or, mais de fer, et pourtant merveilleux encore : de simples prêtres et des moines plus hauts et plus puissants que les rois, des barons gigantesques dont les grands ossements et les armures énormes nous effraient ; un art de granit et de pierre, savant, délicat, aérien, majestueux et mystique. […] Né, en 1621, à Château-Thierry en Champagne, il reçut une éducation fort négligée, et donna de bonne heure des preuves de son extrême facilité à se laisser aller dans la vie et à obéir aux impressions du moment. […] Il était fort aimable dans le monde, quoi qu’on en ait dit, et particulièrement dans un monde privé ; sa conversation, abandonnée et naïve, s’assaisonnait au besoin de finesse malicieuse, et ses distractions savaient fort bien s’arrêter à temps pour n’être qu’un charme de plus : il était certainement moins bonhomme en société que le grand Corneille. […] Lorsque le second recueil parut, contenant cinq livres, depuis le sixième jusqu’au onzième inclusivement, les contemporains se récrièrent comme ils font toujours, et le mirent fort au-dessous du premier. […] Il ne faudrait pourtant pas mettre sur la même ligne, pour l’ensemble des travaux, La Curne de Sainte-Palaye, qui en a fait d’immenses, et Tressan qui n’en a fait que de fort légers.

903. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Ce fut Charles Perrault, beaucoup plus tard, qui fit faire le second pas et qui décida la publicité : « Le jour de ma réception (1671), dit-il en ses agréables Mémoires, je fis une harangue dont la Compagnie témoigna être fort satisfaite, et j’eus lieu de croire que ses louanges étoient sincères. […] Perrault, qui mettait les modernes si fort au-dessus des anciens, comptait parmi les plus beaux avantages de son siècle cette cérémonie académique, dont il était le premier auteur. […] Cette dernière classe m’a paru fort élargie, je l’avoue, et dans des limites prodigieusement flottantes, puisqu’elle comprendrait, selon l’auteur, tant d’espèces diverses, depuis le grand politique jusqu’au journaliste spirituel, depuis le cardinal de Richelieu jusqu’à M.  […] On a dit de Montesquieu qu’on s’apercevait bien que l’aigle était mal à l’aise dans les bosquets de Gnide : nous sera-t-il permis de dire que l’auteur d’Éloa a souvent dû être fort empêché en voulant déployer ses ailes de cygne dans la biographie de l’auteur de Joconde et des Deux Gendres ? […] Mais sur les autres sujets un peu mixtes et par les autres œuvres qui atteignent les bons esprits dont je parle, dans ces matières qui sont communes à tous ceux qui pensent, et où ces hommes de sens et de goût sont les excellents juges, prouvons-leur aussi que, tout poëtes que nous sommes, nous voyons juste et nous pensons vrai : c’est la meilleure manière, ce me semble, de faire honneur auprès d’eux à la poésie, et de lui concilier des respects ; c’est une manière indirecte et plus sûre que de rester poëtes jusqu’au bout des dents, et de venir à toute extrémité soutenir que nos vers sont fort bons .

904. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Ils supportent, dit-on, très aisément la faim ; pour vivre trois jours il ne leur faut que la portion d’un Européen pour un repas ; quelque peu qu’ils mangent et qu’ils dorment, ils sont toujours également forts, également durs au travail. […] Dirai-je même que l’impression de cette morale purement naturelle est plus forte ? […] De cette comparaison sortent deux remarques fécondes : l’une, que la nature vivante paraît, en général, beaucoup moins grande et moins forte dans le nouveau monde que dans l’ancien ; l’autre, que les animaux du nouveau monde, comparés à ceux de l’ancien, forment comme une nature collatérale, comme un second règne animal, qui correspond presque partout au premier. […] Son siècle, plus fort que sa raison, l’empêcha de voir la main qui a prodigué ces variétés infinies de structure, et qui a mis jusque dans des infusoires invisibles une parcelle de vie que les plus désarmés n’abandonnent pas sans la défendre. […] De même Dieu est nommé par d’autres écrivains du dix-huitième siècle, toutes les fois que leur instinct se rend plus fort que leurs préjugés.

/ 3385