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1019. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Voici peut-être ce qui s’est passé… Le dilettante littéraire rassasié, dégoûté de cette vieille histoire romaine racontée par des copistes et des professeurs, et de l’éternelle sensation théâtrale qu’elle nous cause, a voulu se donner un petit quart d’heure de plaisir en la descendant, sans cérémonie, de son socle, et en la racontant comme il la voyait dans les vaporeux souvenirs de ses lectures, dans les raisonnements et quelquefois les rayonnements de son cerveau ; car c’est là surtout qu’il l’a vue.

1020. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Papesse Jeanne » pp. 325-340

Incroyable opiniâtreté du plus sot mensonge, qui a toujours la chance d’être éternel !

1021. (1880) Goethe et Diderot « Note : entretiens de Goethe et d’Eckermann Traduits par M. J.-N. Charles »

Il était donc, même en robe de chambre et en pantoufles, toujours en représentation et en cérémonie, toujours en position d’oracle sur son trépied éternel, ce petit banc qu’Eckermann lui portait partout.

1022. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IV. M. Henri Martin. Histoire de France » pp. 97-110

— « subissant des faits de subjectivité, c’est-à-dire, les Révélations du férouer Mazaéen, du bon démon, de l’ange gardien de cet autre moi qui n’est que le moi éternel, en pleine possession de lui-même, planant sur le moi enveloppé dans les ombres de la vie ! 

1023. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. H. Wallon » pp. 51-66

En ce temps-là, la Royauté, — engloutie dans des mêlées d’hommes que j’appellerais volontiers la Démocratie d’en haut ; car, en somme, les Aristocraties ne sont pas davantage : c’est toujours le nombre, le nombre maudit, l’éternel ennemi de l’unité ! 

1024. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « MM. Jules et Edmond de Goncourt » pp. 201-216

Sa corruption même, à ce siècle, ne nous était pas désagréable… Dans les vaudevilles écrits pour les éternels Béotiens des parterres, les oncles, imbéciles et charmés, ont des faiblesses de cœur pour leurs coquins de neveux.

1025. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vacquerie » pp. 73-89

» Dirait-on que ce tourbillon pensif, que cette salamandre de l’art, ait réfléchi en décrivant la critique comme il l’a décrite, la plume chaude encore de ses flamboiements contre le doux Racine, au sourire et au marbre éternels ?

1026. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Sabran et le chevalier de Boufflers »

… Ses deux enfants, seuls, passent comme deux ombres de lumière rose sur la contemplation éternelle qui est le fond noir de sa vie.

1027. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

C’est là et de là qu’il porta dans les résultats de ses travaux et dans sa manière de travailler, dans son style qui était l’homme et dans les moindres détails de la vie, cette hauteur tranquille et cette éternelle préoccupation de l’ordre et de la règle qui fit sa gloire et son bonheur, car il fut heureux !

1028. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVII. Saint-Bonnet »

La fonction de la Raison, en un mot, est de rappeler constamment l’homme des perceptions contingentes et personnelles aux perceptions impersonnelles et immuables ; de la nature physique où le retient le corps, à la Raison éternelle d’où lui descend la vérité. » Une telle faculté, qui soude presque l’homme à Dieu, s’il est permis de parler ainsi, devait être la première que la philosophie du dix-huitième siècle, la philosophie du moi et de la chose exclusivement humaine, dût fausser.

1029. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXI. Philosophie positive »

Littré, que les lois qui régissent l’humanité seront changées et qu’elle se déshabituera d’aller choquer sa noble tête contre les problèmes de sa destinée, insolubles dans ce monde-ci du moins, mais que son éternel honneur est d’incessamment agiter !

1030. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Dès l’origine, rien n’annonçait dans ses facultés éphémères qu’elle était plus qu’une jeune fille, — la jeune fille-type, la jeune fille éternelle, la charmante et volage combinaison de poussière rose, qui croule si vite en cendres grises sur nos cœurs !

1031. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Raymond Brucker. Les Docteurs du jour devant la Famille » pp. 149-165

Une fois demandé, il jaillit, comme tout jaillissait dans Brucker, cet homme-source, qui avait en lui tous les agissements et tous les bouillonnements de l’esprit humain… Mélange de tous les genres de livres dans un seul livre, tout à la fois roman et histoire, critique d’idées et de systèmes, invention de caractères et de personnages pour rendre plus vivantes et plus entraînantes ses théories ; dramatique, poétique, descriptif, mettant des tableaux de mœurs dans des paysages, naturel et intime, et, au milieu de tout cela, débordant de questions, d’explanations, d’argumentations, de démonstrations et de conversations qui roulent dans une verve de style semblable à un battement précipité d’artères, ce livre est peut-être un chaos de puissant ces trop alchimiquement entassées, mais c’est un chaos auquel il faut appliquer cet éternel mot de génie qu’on peut appliquer pour tout à Brucker, — à cet ébaucheur rapide et sublime !

1032. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Christophe »

l’histoire d’un seul Pape, dans l’histoire de l’Église, a de tels rayonnements en avant et en arrière que ce n’est plus l’histoire d’un siècle ni d’un Pape, mais l’histoire de l’Église universelle et éternelle, concentrée dans la minute d’un siècle ou d’une vie d’homme, comme tout un horizon répercuté et concentré dans une facette de diamant… En intérêt, l’Histoire de la Papauté pendant le xve  siècle, par l’abbé Christophe, vaut, avec d’autres événements et des personnalités différentes, son Histoire de la Papauté pendant le xive  siècle, et elle a le même mérite d’unité dans la variété qui est le caractère particulier de toutes les histoires détachées de l’histoire générale de l’Église, qui a bien raison de s’appeler catholique, c’est-à-dire universelle ; car si Dieu l’ôtait de ce monde, il s’y ferait un de ces trous, comme dit Shakespeare en parlant des monarchies qui croulent, que rien — quoi qu’on y jette — ne peut plus combler !

1033. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Achille du Clésieux »

La langue de Racine a presque disparu, et fait l’effet maintenant de ce spectre charmant de Francesca, dans un des poèmes de Byron, à travers la main pâle de laquelle passe un clair rayon de la lune… Et ce n’est pas dire pour cela que la langue de Racine dût être l’idéal — éternel et immobile — de la langue poétique.

1034. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

Chez l’auteur de Colombes et Couleuvres, cette poésie humaine et vraie, qui prend sa source dans les sentiments éternels et que chaque poète exprime avec une voix différente, a une fraîcheur d’accent que rien n’a flétrie, et à laquelle se joint une morbidesse qui relève encore le charme de cette étrange fraîcheur… Autrefois, sous cette Monarchie qui mettait de la force dans les institutions et de la poésie dans les mœurs, le deuil de la cour était noir et rose.

1035. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

L’homme alors que tourmente un éternel souci S’interroge : — Est-ce là l’asile salutaire Où la pensée est sainte, où la joie est austère ? 

1036. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

précisément parce qu’ils ne jouaient pas en aveugles obstinés à cette stupide et éternelle martingale des mêmes noms et des mêmes œuvres, aimés de la foule, et qu’on use, sous le nombre des éditions, comme on crève les meilleurs chevaux de poste sous les aiguillons et sous le fouet, ils gagnaient davantage, — disons le mot, puisque c’est gagner qui est l’important ! 

1037. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Édouard Gourdon et Antoine Gandon » pp. 79-94

La Louise 10 d’Édouard Gourdon est, au contraire, une œuvre courte, fine, passionnée, sans grands événements extérieurs, un de ces livres dont le sens se perd un jour mais se retrouve l’autre, car il est éternel comme le cœur ; livres brefs, mais pleins, qui n’ont besoin pour intéresser le lecteur que d’une seule situation profondément creusée ou d’un seul sentiment éloquemment exprimé.

1038. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Arsène Houssaye » pp. 271-286

Il y est bien moins question du vice d’une femme que du vice du monde, qui est sa bêtise — sa bêtise éternelle ! 

1039. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Honoré de Balzac » pp. 1-15

Malgré cette surface d’orgueil que les petits amours-propres blessés aperçoivent, il avait une humilité éternelle.

1040. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Paul Féval » pp. 145-158

Dans Aimée, où il essaya de faire autre chose que de l’aventure, dans Le Drame de la Jeunesse, plus réussi, et où il révéla ce qu’il pourrait être, s’il voulait énergiquement remonter vers les hautes et profondes régions du roman ; dans Le Drame de la Jeunesse, où il reprit l’idée d’Aimée — l’influence des livres et du théâtre sur la pensée et la moralité modernes, l’altération du naturel par les réminiscences littéraires, la pose, la comédie éternelle jouée entre nous et Dieu, et qui nous empêche d’avoir l’originalité même de nos vices et de nos douleurs, — il poussa au comble du suraigu cette ironie15 qui est le caractère de son esprit et le symptôme de sa force, et qui pourrait faire de M. 

1041. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Ce n’est plus là le paysan éternel, retrouvé dans quelque anse des Cyclades, entre sa charrue et sa barque ; le même qu’il fut depuis la Bible jusqu’à Homère, et depuis Homère jusqu’aux chansons des Palikares, mais le paysan des temps où nous sommes, ce débris d’homme fruste qui se polit chaque jour, la dernière goutte du limon créateur, qui n’ait pas perdu sa virginité !

1042. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Arthur de Gravillon »

Elle a cette mesure d’or avec laquelle saint Jean vit, dans l’Apocalypse, l’archange mesurer le mur de la cité éternelle.

1043. (1868) Curiosités esthétiques « VIII. Quelques caricaturistes étrangers » pp. 421-436

C’est là ce qui marque le véritable artiste, toujours durable et vivace même dans ces œuvres fugitives, pour ainsi dire suspendues aux événements, qu’on appelle caricatures ; c’est là, dis-je, ce qui distingue les caricaturistes historiques d’avec les caricaturistes artistiques, le comique fugitif d’avec le comique éternel.

1044. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Tel est un morceau sur la cour ; sur ce mélange éternel qu’on y voit des plaisirs et des affaires ; sur ces jalousies sourdes au-dedans, et cette brillante dissipation au-dehors ; sur les apparences de gaieté, qui cachent une ambition si ardente, des soins si profonds, et un sérieux, dit l’orateur, aussi triste qu’il est vain.

1045. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Vous en voyez plusieurs passionnés pour l’étude, et indifférents pour la gloire ; éloignés de cette ostentation, qui est toujours faiblesse ; ne s’apercevant pas même de ce qu’ils sont, ce qui est la vraie modestie ; honorant leurs bienfaiteurs, louant leurs rivaux, assez fiers pour faire du bien à leurs ennemis ; vous en voyez quelques-uns, ornés des grâces, qui, dans le monde, font pardonner les vertus ; mais ce qui fait le caractère du plus grand nombre, ce sont toutes les qualités que donne l’habitude de vivre plus avec les livres qu’avec les hommes : je veux dire des mœurs, les sentiments de la nature ; cette candeur si éloignée de toute espèce d’art ; Cette bonne foi de caractère qui agit d’après les choses, non d’après les conventions, et ne songe jamais à prendre son avantage avec les hommes ; une simplicité qui contraste si bien avec le désir éternel d’occuper de soi, vice des cœurs froids et des âmes vides ; l’ignorance de presque tout, hors des choses utiles et grandes ; une politesse qui quelquefois néglige les dehors, mais qui, au lieu d’être ou un calcul fin d’amour-propre, ou une vanité puérile, ou une fausseté barbare, est tout simplement de l’humanité ; enfin cette tranquillité d’âme, qui, ayant apprécié tout, et n’estimant dans ce songe de la vie que ce qui mérite de l’être, c’est-à-dire, bien peu de choses, ne se passionne pour rien, et se trouve au-dessus des agitations et des faiblesses.

1046. (1888) La vie littéraire. Première série pp. 1-363

Et c’est un mal éternel ; car l’amour durera autant que les mondes. […] Il ne se demande pas alors si un beau vers est une illusion dans l’éternelle illusion, et si les images qu’il forme au moyen des mots et de leurs sons rentrent dans le sein de l’éternelle Maïa avant même d’en être sortis. […] comme il révélait ironiquement la vétusté misérable des bouquins, ce sourire dans lequel brillait l’éternelle jeunesse de la nature ! […] La justice éternelle, je ne l’ai vue, pour ma part, que sur la toile fameuse de Prud’hon. […] Il professait une riante obéissance aux lois éternelles.

1047. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

Ils nous montrent, avec une grandeur tragique, l’éternelle déception à laquelle aucun de nous n’échappe, si peu qu’il ait songé. […] Mais la passion a des droits éternels, qu’elle ne perd jamais. […] Il la vit sur son lit de parade, endormie dans une attitude exacte, régulière et comme éternelle. […] C’est l’éternelle erreur de l’esprit prophétique, il n’y aura pas de grands changements, il n’y en aura jamais, j’entends de prompts ou de soudains. […] La félicité éternelle leur appartient sous le titre majestueux de royaume.

1048. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Qu’il ait regret à moi, pour son dernier supplice ; Et que mon souvenir jusque dans le tombeau Attache à son esprit un éternel bourreau ! […] Et que dois-je espérer, qu’un tourment éternel, Si je poursuis un crime, aimant le criminel ? […] Cette scène d’éternelle beauté appartient tout entière à Corneille : Rodrigue, pour forcer Chimène à lui ouvrir son cœur, lui déclare que, puisqu’elle s’obstine à vouloir sa mort, il ne compte point se défendre ; il se laissera tuer par Don Sanche. […] Mais par le style ces lieux-communs deviennent resplendissants et éternels. […] On attache à son nom un opprobre éternel !

1049. (1891) Enquête sur l’évolution littéraire

C’est l’éternelle histoire. […] — Celles, continua Maeterlinck, qui auront noté les joies et les douleurs des sentiments éternels : Homère… — Mais il m’assomme, Homère ! […] Les sentiments éternels ! […] il doit se mettre dans la position où l’Éternité appuie ses paroles, et chaque mouvement de sa pensée doit être approuvé et multiplié par la force de gravitation de la pensée unique et éternelle ! […] — Leur existence démontre ce que je vous disais : le public ne se satisfait plus de l’éternelle description des extériorités ; il veut qu’on ouvre son joujou pour lui en montrer l’intérieur.

1050. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Si la science nous isole, la religion nous isole plus encore ; ses racines sont plongées dans le ciel ; elle vit du monde spirituel et de l’idée éternelle. […] Alors, spectacle digne d’une mémoire éternelle, cette vérité chrétienne, qui est la vérité morale elle-même, s’échappe enfin de l’enceinte où elle était comme incarcérée, et répand au loin le ferment de la plus noble des insurrections. […] Mais Moïse est averti qu’il n’entrera pas dans le pays de la promesse, et, comme accablé du poids de la mission divine, il implore de l’Éternel la grâce du repos. Après lui, le peuple arrive dans la terre promise ; il s’en empare en exterminant les peuplades qui l’habitent, et dès lors sol et nation appartiennent à l’Éternel. […] Le problème éternel qu’ils agitent est de concilier le moi et le non-moi.

1051. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

C’est au théâtre, c’est dans le roman, c’est dans les œuvres des poètes, c’est dans les jugements que les contemporains portent sur les choses de la politique et de la morale, qu’on découvre de quelle façon les lois ont nuancé l’éternel fonds humain. […] Tirer sur eux dans l’éternelle bataille de la vie, j’ai la vanité de croire que ce serait faire feu sur les miens. […] Qu’y a-t-il de plus éternel que l’amour ? […] mais je ne m’amuse pas ici, moi. » C’est tout ce qu’il y voit ; et, pour conclusion, son éternel « Je m’en vas !  […] La vengeance est le plaisir des dieux, qui sont éternels.

1052. (1886) Le roman russe pp. -351

Puis vint l’éternelle désillusion, la ruine périodique de tout ce que l’homme bâtit sur le creux de sa raison. […] Voilà un grand réconfort pour l’éternelle inquiétude de l’âme ! […] Mais sous les variations du goût, le fond de l’être humain ne change pas, il demeure avec son éternel besoin de sympathie et d’espérance ; on ne nous prend que par ces nobles faiblesses, on ne nous prend bien qu’en nous soulevant de terre. […] Néanmoins, sous le ciel trop rude et parmi tant de traverses, nous allons voir lever la semence obstinée ; elle est si nécessaire à l’homme qu’il semble avoir apporté, on ne sait d’où, un printemps éternel pour la sauvegarder dans tous les climats. […] Le ministère éprouvait l’éternel étonnement de la poule qui a couvé des canards.

1053. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Les personnages de cette pièce sont tous d’une vérité frappante, mais n’appartiennent pas exclusivement à la bourgeoisie parisienne du dix-septième siècle : ils sont empreints d’un caractère général qui leur assure une éternelle durée. […] Nous n’espérons pas que notre avis, si juste qu’il puisse être, suscite un poète selon notre volonté, irréprochable aux yeux de notre conscience, et pour lequel nous n’ayons plus à chanter qu’un éternel hosannah. […] Puisqu’il n’a pas le courage d’avouer son amour pour Jeanne, il devrait avoir au moins la prudence de sa lâcheté, et se jeter aux genoux de la reine pour lui jurer une éternelle affection. […] Angelo ne reparaît plus dès que sa femme est endormie du sommeil qu’il espère éternel. […] Pourvu qu’il ait à sa disposition une salle gothique et une demi-douzaine de pourpoints brodés, il ramène à tout propos son éternelle antithèse de la passion dans le vice, de la magnanimité dans l’humiliation.

1054. (1902) Le critique mort jeune

Mais la Révolution se fit par Rousseau, et ce fut la Révolution éternelle, la Révolution qui doit toujours s’écrire avec un R majuscule, la Révolution illimitée, la Révolution infinie, la subversion universelle. […] La Révolution, c’est l’Évangile éternel. […] Tous trois ont pour sujet le mariage, sujet éternel mais que renouvellent aussi sans cesse les changements des idées et des mœurs. […] L’autorité de l’expérience et de la tradition et une raison supérieure à la raison raisonnante peuvent seules prévenir les malheurs dont cet éternel esprit d’anarchie menace les peuples et la civilisation. […] Fleurirait-elle jamais l’éternelle justice ?

1055. (1890) Les princes de la jeune critique pp. -299

c’est que le jour où il a parlé d’eux il a éprouvé une impression nette et simple, c’est qu’il n’a point vu ou voulu voir deux faces à la vérité ; c’est que par hasard ou par oubli, par agacement ou par sympathie, il n’a plus songé à son éternel Que sais-je ? […] Ce n’est pas lui qui suivra d’une sympathie ardente les efforts désespérés des peuples vers la justice éternelle. […] Il croit à l’éternelle coexistence de deux principes contraires qui se disputent le monde ; la nature est mauvaise, mais l’homme peut être bon. […] France commente abondamment ce vers connu en prose élégante : « Au milieu de l’éternelle illusion qui nous enveloppe, une seule chose est certaine, c’est la souffrance… Elle est l’unique témoignage d’une réalité qui nous échappe. » — Ah ! […] Il les convie donc à plonger au plus profond de la vie moderne ; et il approuve en eux tout ce qui jette quelque lumière sur les mystères du cœur, sur les replis de la conscience, sur la façon dont se comportent aujourd’hui les passions, qui sont le fond éternel de la nature humaine.

1056. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

Entre les émotions à demi effacées de l’enfance et les soins encore inconnus de l’âge mûr, le poète nous raconte enfin cette joie suprême de la jeunesse : l’amour et l’éternelle union dans l’amour. […] La vie continuait autour de lui son cours éternel ; l’indifférente déesse gardait son inaltérable beauté ; les femmes passaient et repassaient, jeunes comme autrefois, joyeuses, légères, irrésistibles. […] Peut-être même n’y a-t-il guère d’état plus enviable que celui de l’âme chrétienne, lorsqu’atteinte des blessures de la vie elle se réfugie en elle-même et y retrouve, déjà fatiguée, l’éternelle jeunesse de la foi avec les pénétrantes douceurs de l’amour divin. […] Calvin prétend que les damnés ne sont damnés qu’afin d’être aux élus un éternel et splendide témoignage de la puissance divine. […] quelque chose d’éternel plane au-dessus d’eux qui, les soustrait aux souillures de ce monde périssable et leur interdit d’être vulgaires.

1057. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « L’abbé Fléchier » pp. 383-416

Mais voici ce qu’ajoute Fléchier, et qui est plus curieux que tout, car on y retrouve cette éternelle question des biens chez une race avare et âpre au partage : « Ils étaient encore persuadés que le roi n’envoyait cette compagnie que pour les faire rentrer dans leur bien, de quelque manière qu’ils l’eussent vendu, et sur cela ils comptaient déjà pour leur héritage tout ce que leurs ancêtres avaient vendu, remontant jusques à la troisième génération. » En n’ayant l’air que de sourire, le futur évêque de Nîmes se montre encore ici un connaisseur très clairvoyant et très expérimenté de la nature humaine, et ne versant d’aucun côté. […] Un peu avant son retour il envoyait un exemplaire de ce petit poème à l’éternel et inévitable Chapelain, qui lui répondait (11 février 1666) : J’ai eu un fort grand sujet de contentement dans la lecture de votre poème latin sur la justice des Grands Jours, qui est sans doute l’un de vos meilleurs, bien qu’il ne sorte rien que d’excellent de vous.

1058. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

La raison austère et détrompée pouvait quelquefois sourire de cette éternelle jeunesse de son cœur ; mais ce sourire était sans malignité, et sur la fin de sa vie Mme d’Houdetot trouva encore dans le monde cette indulgence affectueuse que l’enfance aimable paraît avoir seule le droit de réclamer. […] Alors on rougira en la regardant ; on dira tristement comme cette courtisane grecque qui consacrait son miroir à la Beauté éternelle : Je le donne à Vénus puisqu’elle est toujours belle… N’est-il pas plus sage de se prémunir d’avance contre l’amertume d’un pareil moment, et de chercher des consolations contre l’inévitable mécompte dans le courage avec lequel on l’aura prévu ?

1059. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

La soudaineté de la chute, l’incertitude prolongée, les vicissitudes de crainte et d’espérance, la bataille qui se livrait aux portes et dont ils étaient le prix sans même voir les combattants, les coups de canon, la fusillade retentissant dans leur cœur, s’éloignant, se rapprochant, s’éloignant de nouveau comme l’espérance qui joue avec le moment, la pensée des dangers de leurs amis abandonnés au château, le sombre avenir que chaque minute creusait devant eux sans en apercevoir le fond, l’impossibilité d’agir et de se remuer au moment où toutes les pensées poussent l’homme à l’agitation, la gêne de s’entretenir même entre eux, l’attitude impassible que le soin de leur dignité leur commandait, la crainte, la joie, le désespoir, l’attendrissement, et, pour dernier supplice, le regard de leurs ennemis fixé constamment sur leurs visages pour y surprendre un crime dans une émotion ou s’y repaître de leur angoisse, tout fit de ces heures éternelles la véritable agonie de la royauté. […] M. de Malesherbes mourut pour crime de dévouement, M. de  Sèze en reçut la récompense dans l’éternel honneur de son nom.

1060. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIVe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (5e partie) » pp. 65-128

Cela lui suffisait, il était resté gai comme l’insouciance, pourvu que la conscience fût en repos, et qu’il contemplât comme le philosophe Vico les grandes et les petites oscillations de ce pendule alternatif des révolutions des empires, mouvement toujours, progrès quelquefois, vicissitude éternelle qui va du bien au mieux, du mieux au mal, du mal au pire, de la vie à la mort, de la vieillesse des sociétés à la mort des peuples, et qui se confie à Dieu du sort des nations ; il était content. […] L’histoire, à quelque opinion qu’elle appartienne, en versera d’éternelles sur cet échafaud.

1061. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIe entretien. Vie du Tasse (1re partie) » pp. 5-63

J’ai revu bien souvent depuis la Ville éternelle, mais jamais sa physionomie désolée ne me parut convenir davantage qu’alors à la mélancolie de son nom. […] Ces belles apparitions de la nature, parmi ces laideurs et ces vulgarités de la misère romaine, attestaient encore, dans cette noble et forte race, la puissance éternelle de la sève qui produisit jadis tant de gloire et en qui germe toujours la beauté.

1062. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Je présume que le paradis sera quelque chose comme l’éternelle surprise et l’éternel aveu d’un premier amour, entre ceux qui s’aimaient et qui ne se l’étaient jamais dit !

1063. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Figurines (Deuxième Série) » pp. 103-153

Lisez, par exemple, dans Leur beau physique, le soliloque de ce mourant qui se fait apporter sur son lit toutes ses cravates, et les palpe, et les caresse, et s’enivre d’elles mélancoliquement avant d’entrer dans l’éternelle nuit. […] Et Sapho — avec les différences que vous sentez et qui sont toutes à l’avantage de Daudet — est simplement la Manon Lescaut de ce siècle : c’est notre version, à nous gens d’à présent, de l’éternelle aventure des captifs de la chair ; version parfaite et définitive, d’une signification si générale et d’une couleur si particulière !

1064. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

La Somme de saint Thomas d’Aquin, résumé de la scolastique antérieure, est comme un immense casier qui, si le catholicisme est éternel, servira à tous les siècles, les décisions des conciles et des papes à venir y ayant leur place en quelque sorte d’avance étiquetée. […] Je vois ces contradictions avec une évidence si absolue que je jouerais là-dessus ma vie, et par conséquent mon salut  éternel, sans hésiter un moment.

1065. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre VIII, les Perses d’Eschyle. »

Mais défigurer la face vénérable de la Mère commune par des mutilations sacrilèges, déformer les traits de sa géométrie éternelle, rompre l’équilibre des éléments et des choses, faire craquer leur balance en y portant le poids exagéré du travail humain ; là commençait l’attentat, l’excès prévu par Némésis et sujet à ses châtiments. […] Elle était sortie du cercueil, lourde du sommeil éternel, engourdie par l’immobilité souterraine, lente à s’émouvoir des douleurs terrestres qui s’agitaient autour de sa tombe.

1066. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Les offres que vous me faites, l’intérêt que vous prenez à moi, les soins de votre tendre amitié, sont pour mon cœur des objets éternels d’attachement. […] Je désire vos climats glacés et vos forêts agitées par d’éternels aquilons84.

1067. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Edgar Allan Poe  »

Cela s’évanouit promptement dans une extrême quiétude, puis dans un plaisir purement sensuel… Une année s’écoula… Le sentiment de l’être avait à la longue entièrement disparu, et à sa place, à la place de toutes choses, régnaient, suprêmes et éternels autocrates, le Lieu et le Temps. […] Car dans le panthéisme original de Poe, Dieu, suivant un rythme grandiose, tantôt se dissocie et s’immerge dans l’univers, cessant d’exister par cette incarnation dilatée, tantôt se concentre et se récupère en une unité mystique : Il fut une époque dans la nuit du temps, où existait un être éternel, — composé d’un nombre absolument infini d’êtres semblables qui peuplaient l’infini domaine de l’espace infini… De même qu’il est en ta puissance d’étendre ou de concentrer tes plaisirs (la somme absolue de bonheur restant toujours la même), ainsi une faculté analogue a appartenu et appartient à cet être divin, qui ainsi passe son éternité dans une perpétuelle alternation du Moi concentré, à une diffusion presque infinie de Soi-Même.

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