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464. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre V. Jean-Jacques Rousseau »

Si la société est mauvaise en son principe, et si tout son progrès a été de devenir plus mauvaise, il suit de là que le signe de l’état social le plus avancé est un indice de corruption plus complète. […] On s’est souvent étonné de cette affirmation hardie : l’homme est bon, dans l’état primitif, tel que la nature l’a fait. […] Il en aura conscience lui-même : les théories de son Contrat social seront calquées sur la constitution de Genève, non sur l’état actuel de corruption, mais sur la pureté de l’organisation primitive, ou sur l’idéal plus ou moins représenté par la réalité. […] La moralité est une acquisition de l’humanité éloignée déjà de ses origines animales, et hors d’état d’y retourner : idée purement évolutionniste. […] Julie et Saint-Preux, c’est Mme d’Houdetot et Jean-Jacques ; mais c’est aussi une jeune fille, un jeune homme quelconque, ce sont moins des caractères, que des états d’âme très généraux.

465. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — III. Le Poëme épique, ou l’Épopée. » pp. 275-353

Ils s’érigèrent en maîtres d’un art qu’aucun d’eux, à l’exception de Ramsay, n’étoit en état de connoître. […] Ils regardoient l’admiration pour les anciens comme la plus sûre marque de l’élévation, ou de la chute des lettres & des états. […] Quel dommage, dit-elle, qu’il ne puisse être donné à aucun mortel d’avoir son inspiration divine, pour être en état de le rendre en vers. […] On le blâma beaucoup d’avoir traité un sujet peu convenable à la dignité de son état. […] quels portraits des différens états de la vie !

466. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Relégué par l’indifférence sur ces hautes matières dans les grandes études théologiques de son état, le prêtre ne peut guère en sortir. […] … Il est bien probable que les devoirs de son état, — immenses alors, — l’auraient dévoré. […] Ces livres, manqués et médiocres, où le talent n’existe qu’à l’état d’éclair, étaient des tentatives dans des genres différents, et ils n’ont à présent d’autre intérêt que le profond mystère du développement des facultés d’un homme qui a battu opiniâtrement le buisson pour découvrir les sentiers cachés par où l’esprit s’élève, trace plus difficile à indiquer que celle du chamois. […] Les partis qui allaient consommer l’odieux attentat de 1830 et qui l’avaient préparé par une comédie de quinze ans, ne trouvaient pas assez leur compte au livre d’Audin pour en faire grand état ou grand bruit. […] Ôtez le docteur Pusey et son école, qui remontent vers Rome par la science, vous n’avez plus sur cette terre des Free-Thinkers que les préjugés du xviiie  siècle, passés à l’état de momies.

467. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Dijon, dans les dernières années, était devenu comme une seconde patrie pour Santeul : il y accompagnait M. le duc, qui y allait tenir les états, et il y réussit par son tour d’esprit et son sel plus qu’à Paris même. […] Les pièces de vers que Santeul composa pour glorifier les états de Bourgogne et leur zèle à fournir des subsides au roi durant la guerre, lui valurent de leur part une sorte de récompense nationale, c’est-à-dire un cadeau de plusieurs feuillettes de vin de Bourgogne. […] On a raconté qu’étant à Dijon pendant la tenue des états, en août 1697, un soir, à un souper chez M. le duc, ce dernier se divertit à pousser Santeul de vin de Champagne, et de gaieté en gaieté il trouva plaisant de verser sa tabatière pleine de tabac d’Espagne dans un grand verre de vin, et de le faire boire à Santeul pour voir ce qui en arriverait. […] Il est mort fort résigné, dans des sentiments également vifs, touchants et chrétiens, demandant publiquement pardon du scandale qu’il avait pu causer par sa conduite, peu conforme à son état.

468. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

On aura remarqué que ce mot de journal revient bien souvent depuis quelques années au titre des livres que la critique a pour devoir d’annoncer : Journal de Dangeau, Journal de d’Argenson, Journal de d’Andilly, Journal du duc de Luynes… C’est qu’en effet l’on est devenu singulièrement curieux de ces documents directs et de première main ; on les préfère même, ou peu s’en faut, à l’histoire toute faite, tant chacun se sent en disposition et se croit en état de la faire soi-même. […] Parmi ces nobles mêmes, voués à servir une royauté devenue byzantine, et qui en faisaient partie, il y en eut qui, les premiers, sentirent le dégoût de ce qu’ils avaient sous les yeux et de leurs propres fonctions si enviées ; les La Rochefoucauld-Liancourt et d’autres opposants de cette volée, précurseurs et complices du tiers état, ne sortaient-ils pas de la garde-robe royale et des petits appartements ? […] Sa perspicacité ne devance point les temps, et, ce qui devient une qualité chez un témoin, il ne se presse point sur les événements, il suit toutes les vicissitudes et les fluctuations des choses, il passe lui-même par les états successifs de l’opinion et nous traduit au naturel l’inconséquence de beaucoup d’honnêtes gens. […] Ce ne sont pas seulement les pages et laquais, ce n’est pas seulement le menu peuple, qui est ingrat envers le cardinal, c’est le roi qui, en mourant dévotement, lui paye cette dette de reconnaissance pour toute la grandeur qu’il avait donnée à son règne ; et en effet qu’aurait-il été, ce roi, sans le cardinal qui, pendant vingt ans, ne lui avait jamais fait faire les choses que par contrainte : « De sorte que pendant sa maladie il disait que les peines et contraintes que le cardinal avait faites sur son esprit l’avaient réduit en l’état où il était. » Louis XIII mort, la rage du bon peuple est au comble ; neveux et nièces du cardinal, les marquis de Brezé et de Pont-de-Courlay et la duchesse d’Aiguillon, sont obligés de se retirer d’appréhension et de se jeter dans le Havre.

469. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

On a fort discuté pour savoir si Lamennais, à un moment de sa jeunesse, et avant d’entrer dans l’état ecclésiastique, avait cessé entièrement de croire. […] Il n’estimait que cet état de croyant. […] Il a eu la seconde et la troisième vue trop promptes, mais il a anticipé bien des choses qui s’opéreront ; il les a vues à l’état de catastrophe, tandis que ce ne sera peut-être que par voie de transformation qu’elles s’introduiront insensiblement ; mais si le résultat est au bout, cela peut suffire pour l’indulgence des futurs neveux. […] J’ai besoin d’air, de mouvement, defoi, d’amour, de tout ce qu’on cherche vainement au milieude ces vieilles ruines… Le Pape est pieux et voudrait lebien ; mais, étranger au monde, il ignore complètement etl’état de l’Église et l’état de la société. » Ses lettres de cette date sont tout entières à lire dans le volume ; elles exhalent des cris d’aigle et de prophète.

470. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

. — Étude biographique sur les deux amis ; tableau des mœurs, état des lettres et de la poésie sous Justinien ; traduction élégante, celle même de M.  […] Il est bien vrai que ces poèmes sont le produit d’un état moral et primitif dans lequel, avant tout, il est besoin de se replacer pour bien se rendre compte, sinon de leur charme qui se sent de lui-même, dit moins de leur mérite ; autrement on est sujet à leur prêter, après coup, quantité d’intentions et de beautés réfléchies qui ne sont, à vrai dire, que des reflets de notre propre esprit, des projections de nous-mêmes, de pures illusions de perspective. […] C’est à ce moment que Wood eut charge de porter à Sa Seigneurie les préliminaires du Traité de Paris, si glorieux et si fructueux pour l’Angleterre : « Je le trouvai, dit-il, dans un tel état de faiblesse que je lui proposai de remettre l’affaire à un autre jour. […] Il n’est aucun critique français aussi bien informé de l’état des questions que M. 

471. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Sa pensée va plus loin, mais il ne s’y livre point avec trop de promptitude, il ne s’y obstine pas : il sait que rien n’est sûr, qu’indépendamment de la rareté de ces débris qui peuvent sembler les témoins d’un des états du monde disparus, sa pensée à lui-même est un instrument bien imparfait, qu’il lui suffirait d’un sens de plus ou de moins, ou du moindre degré changé dans la perspicacité de l’un des cinq sens, pour que tout lui parût sous un jour tout autre. […] Mais savez-vous bien que ce n’est pas là un état agréable ? me dira-t-on. — Et qui vous a dit que ce fût un état agréable ? […] Mais je me souviens trop bien des phases morales par lesquelles j’ai passé dans ma jeunesse, de mes sensibilités et de mes inconstances poétiques, de l’âge où j’ai rêvé les Consolations de celui où j’ai écrit Volupté et nombre de pages de Port-Royal , pour avoir jamais la prétention de m’offrir à l’état d’un type quelconque.

472. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

En examinant l’état actuel des lumières, l’on reconnaît aisément que nos véritables richesses ce sont les sciences. […] Si l’on jugeait à ces signes de l’état des lumières, on croirait l’esprit humain reculé de plus d’un siècle en dix années ; mais la nature des arguments dont on se sert en faveur des préjugés mêmes, est une preuve incontestable des progrès qu’a faits la raison. […] Aussi longtemps qu’existera ce désordre, des circonstances favorables, des hasards heureux pourront établir, dans quelques pays, des institutions conformes à la raison ; mais les principes généraux de la politique n’y seront pas fixés, l’application de ces principes aux différentes modifications de l’état social n’y sera pas assurée. […] L’effet des injustices est tel dans un état, qu’il le désorganise nécessairement.

473. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

Des molécules organiques partout répandues ou partout naissantes, des sortes de globules en voie de déperdition et de réparation perpétuelles, qui, par un développement aveugle et spontané, se transforment, se multiplient, s’associent, et qui, sans direction étrangère, sans but préconçu, par le seul effet de leur structure et de leurs alentours, s’ordonnent pour composer ces édifices savants que nous appelons des animaux et des plantes ; à l’origine, les formes les plus simples, puis l’organisation compliquée et perfectionnée lentement et par degrés ; l’organe créé par les habitudes, par le besoin, par le milieu ; l’hérédité transmettant les modifications acquises330 : voilà d’avance, à l’état de conjectures et d’approches, la théorie cellulaire de nos derniers physiologistes331 et les conclusions de Darwin. […] En tout cas, il nous est utile de connaître ces conditions, soit pour améliorer notre état, soit pour le prendre en patience, tantôt pour exécuter les réformes opportunes, tantôt pour renoncer aux réformes impraticables, tantôt pour avoir l’habileté qui réussit, tantôt pour acquérir la prudence qui s’abstient. […] Depuis le commencement de la vie jusqu’à l’état actuel, quarante mille ans. Depuis l’état actuel jusqu’à la congélation totale et l’extinction de la vie, quatre-vingt-treize mille ans.

474. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Regnard. » pp. 1-19

Ayant à parler en un endroit d’une tempête qu’il essuie sur la Baltique, et où le vaisseau se trouve échoué sur un banc pendant une nuit obscure : Il n’y a point de termes, confesse-t-il ingénument, qui puissent exprimer le trouble d’un homme qui se trouve dans ce misérable état ; pour moi, Monsieur, je ne me ressouviens d’autre chose, sinon que, pendant tout le reste de la nuit, je commençai plus de cinq cents Pater, et n’en pus jamais achever aucun. […] Je considérai l’état de ma vie présente, les voyages vagabonds, les changements de lieux, la diversité des objets et les mouvements continuels dont j’étais agité. Je me reconnus tout entier dans l’un et dans l’autre de ces états, où l’inconstance avait plus de part que toute autre chose, sans que l’amour-propre vint flatter le moindre trait qui empêchât de me reconnaître dans cette peinture. […] Le couplet qui commence ainsi : Oui-da, l’état de veuve est une douce chose !

475. (1912) L’art de lire « Chapitre III. Les livres de sentiment »

Toucher, c’est faire partager au lecteur les sentiments qu’on a prêtés à ses personnages ; c’est nous mettre, par une sorte de contagion, dans l’état d’âme et dans les divers états d’âmes des personnages qu’on a créés. […] C’est un état suggestif. […] Ce qui nous fait sortir de la vie où nous sommes, ce n’est ni la littérature, si romanesque ou si poétique qu’elle puisse être, ni la peinture, ni la sculpture, c’est l’architecture et la musique, aux deux pôles, pour ainsi dire, de l’art : l’architecture qui, tout compte fait et quoiqu’on ait pu dire, ne copie rien et n’est que combinaison de belles lignes tout abstraites et tirées de notre conception intime et pure des belles lignes ; la musique qui ne copie rien et qui ne peint que des états d’âme et qui ne suggère que des états d’âme.

476. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Casuistique. » pp. 184-190

Ce meurtre enveloppé, invisible, et qui ne saurait être confondu avec l’infanticide proprement dit, si quelque pauvre servante l’a commis dans un accès de désespoir et de demi-folie et parce qu’elle n’avait à choisir qu’entre cela et être jetée sur le pavé pour y mourir de faim… il ne la faut point absoudre sans doute, mais comme il faut avoir pitié d’elle, et comme il faut se demander quelle part de responsabilité revient, dans son crime, à la dureté de notre état social ! […] La réforme de l’humanité, ou simplement de notre état social (ce qui est la même chose), dépasse tout à fait mon pouvoir.

477. (1887) Discours et conférences « Appendice à la précédente conférence »

La liberté de sa pensée, son noble et loyal caractère me faisaient croire, pendant que je m’entretenais avec lui, que j’avais devant moi, à l’état de ressuscité, quelqu’une de mes anciennes connaissances, Avicenne, Averroès, ou tel autre de ces grands infidèles qui ont représenté pendant cinq siècles la tradition de l’esprit humain. […] Il s’agit pour les parties éclairées du christianisme et de l’islam, d’arriver à cet état d’indifférence bienveillante où les croyances religieuses deviennent inoffensives.

478. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Troisième faculté d’une Université. Faculté de droit. » pp. 506-510

Il faut que les citoyens de tous les états puissent assister à ces réceptions et que Sa Majesté Impériale veille par ses représentants à ce que l’incapacité et le vice ne l’emportent pas sur la science et les bonnes mœurs. […] Il est rare que l’âme conserve de la dignité et de l’élévation dans un état subalterne qui ne mène à rien d’important.

479. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre V. Première partie. Les idées anciennes devenues inintelligibles » pp. 106-113

La Chambre de 1815, qui a été l’objet de tant d’éloges et de tant de critiques, eut cela de remarquable qu’elle représentait très bien le mouvement des opinions françaises, qu’elle représentait très bien aussi cet état d’anxiété, de trouble, d’incertitude, résultat nécessaire de la lutte des mœurs et des opinions. […] Il faut donc que la France soit sauvée, sous peine d’entraîner tous les autres états de la vieille Europe dans une vaste ruine.

480. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Ainsi il faut considérer la préposition à en deux états différens. […] Dans son état simple : 1°. […] Nous avons vû divers animaux cesser de vivre ; nous nous sommes arrêtés à cette considération intéressante ; nous avons remarqué l’état uniforme d’inaction où ils se trouvent tous en tant qu’ils ne vivent plus ; nous avons considéré cet état indépendemment de toute application particuliere ; & comme s’il étoit en lui-même quelque chose de réel, nous l’avons appellé mort. […] L’Architecture est-elle aujourd’hui en Orient dans le même état où elle étoit quand on bâtit Babylone ou les pyramides d’Egypte ? […] Voyez l’état où sont aujourd’hui les Arts chez les Egyptiens & chez les Grecs : les pyramides d’Egypte & tant d’autres monumens admirables que l’on trouve dans les pays les plus barbares, sont une preuve bien sensible de ces révolutions & de cette vicissitude.

481. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Ce n’est pas à une nation démocratiquement constituée comme la nôtre, et chez laquelle les vices naturels de la race ont une malheureuse coïncidence avec les vices naturels de l’état social, ce n’est pas à cette nation qu’on peut laisser prendre aisément l’habitude de sacrifier ce qu’elle croit sa grandeur à son repos, les grandes affaires aux petites ; ce n’est pas à une pareille nation qu’il est sain de laisser croire que sa place dans le monde est plus petite, qu’elle est déchue du rang où l’avaient mise ses pères, mais qu’il faut s’en consoler en faisant des chemins de fer et en faisant prospérer au sein de la paix, à quelque condition que cette paix soit obtenue, le bien-être de chaque particulier. […] Cependant cet aspect de l’état des esprits doit faire sérieusement réfléchir. […] Je me crois donc plus en état que je ne l’étais, quand j’ai écrit la Démocratie, de bien traiter un grand sujet de littérature politique. […] J’ai cherché dans tout ce qui précède à te faire bien comprendre l’état de mon esprit. Toutes les idées que je viens de t’exprimer l’ont mis fort en travail ; mais il s’agite encore au milieu des ténèbres, ou du moins il n’aperçoit que des demi-clartés qui lui permettent seulement d’apercevoir la grandeur du sujet, sans le mettre en état de reconnaître ce qui se trouve dans ce vaste espace.

482. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

« Tandis que quelques personnes, lui écrivait-on de Dresde, vous attribuent la présence de vos trois corps d’armée à Wurschen et vantent avec chaleur ce service à l’occasion duquel elles rappellent les autres, l’état-major retentit contre vous des plaintes les plus vives. » Ces plaintes consistaient dans un esprit d’indépendance qui aurait empêché Jomini de faire expédier ses états de situation d’après des modèles qu’on lui avait donnés. […] Mais le grief principal qu’on alléguait, c’était le retard dans l’envoi des états de situation qu’on dressait tous les quinze jours, et qu’il avait cru pouvoir différer, parce qu’il n’avait pas reçu à temps de la division Souham, toute composée de régiments provisoires, les états nécessaires pour rédiger le sien. On sait quelle importance l’Empereur attachait à ces états de situation ; il ne s’endormait jamais sans les lire. […] … Ce qu’il y a de plus terrible dans mon affaire, c’est que le misérable état de situation qui en est le prétexte arrivait sans doute à Dresde au moment même où le courrier qui vient de me déshonorer aux yeux de l’armée en partait.

483. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIIe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis »

Quand les premières atteintes de l’âge lui annoncèrent sa fin prochaine, il ne résista pas, il se résigna avec sérénité aux lois de la nature, il repassa avec sa famille et ses amis l’état de son immense fortune, noblement acquise, généreusement occupée pour la gloire des arts et des lettres ; il indiqua à ses héritiers l’usage qu’il convenait d’en faire après lui pour l’accroître et la conserver par sa destination au bien public. […] Ne pouvant en même temps se dissimuler l’état d’infirmité où il était lui-même, il les exhortait à ne se plus considérer comme des enfants, mais comme des hommes ; car il prévoyait que les circonstances où ils allaient se trouver les réduiraient bientôt à la nécessité de mettre à l’épreuve leurs talents et leurs moyens personnels. « On attend à toute heure l’arrivée d’un médecin de Milan, leur dit-il ; mais pour moi, c’est en Dieu seul que je mets ma confiance. » Soit que le médecin ne fût pas arrivé, ou que le peu de confiance que Pierre avait dans ses secours fût bien fondé, environ six jours après, le premier jour d’août de l’année 1464, Côme mourut, à l’âge de soixante et quinze ans, profondément regretté du plus grand nombre des citoyens de Florence, qui s’étaient sincèrement attachés à ses intérêts, et qui craignaient que la tranquillité de la ville ne fût troublée par les dissensions qui allaient probablement être la suite de ce triste événement. […] En effet, mon cher Laurent, quoique vous ayez donné des preuves d’un mérite et d’une vertu qui semblent à peine appartenir à la nature humaine ; quoiqu’il n’y ait point d’entreprise, si importante qu’elle soit, dont on ne puisse espérer de voir triompher cette prudence et ce courage que vous avez développés dès vos plus jeunes années ; et quoique les mouvements de l’ambition, et l’abondance de ces dons de la fortune qui ont si souvent corrompu des hommes dont les talents, l’expérience et les vertus donnaient les plus hautes espérances, n’aient jamais pu vous faire sortir des bornes de la justice et de la modération, vous pouvez néanmoins, pour vous-même et pour cet État dont les rênes vont bientôt vous être confiées, ou plutôt dont la prospérité repose déjà en grande partie sur vos soins, tirer de grands avantages de vos méditations solitaires ou des entretiens de vos amis sur l’origine et la nature de l’esprit humain : car il n’y a point d’homme qui soit en état de conduire avec succès les affaires publiques, s’il n’a commencé par se faire des habitudes vertueuses, et par enrichir son esprit des connaissances propres à lui faire distinguer avec certitude pour quel but il a été appelé à la vie, ce qu’il doit aux autres et ce qu’il se doit à lui-même. » Alors commença entre Laurent et Alberti une conversation dans laquelle ce dernier s’attache à montrer que, comme la raison est le caractère distinctif de l’homme, l’unique moyen pour lui d’atteindre à la perfection de sa nature, c’est de cultiver son esprit, en faisant entièrement abstraction des intérêts et des affaires purement mondaines. […] X Cependant l’état maladif de Pierre de Médicis, aggravé par les embarras du pouvoir et par les exigences de ses partisans, amena sa mort, en 1469. […] Cela lui donne occasion de développer les dogmes philosophiques de Platon ; et après avoir soigneusement examiné la valeur réelle de tous les biens d’un ordre inférieur, de tous les avantages purement matériels et temporels, il conclut que ce n’est ni dans la condition brillante et élevée de l’un, ni dans l’état humble et obscur de l’autre, qu’il faut chercher le véritable et solide bonheur ; mais qu’on ne saurait le trouver, en dernière analyse, que dans la connaissance et l’amour de la première cause, de l’Être suprême et infini.

484. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Quand on les a lus à la file, comme on doit le faire quand on est critique de son état, on éprouve d’abord le besoin de respirer. […] Et si beaucoup, après cet « entraînement », finissent peut-être par exercer le sacerdoce comme un métier, par songer surtout à leur bien-être et à leur avancement temporel, cette médiocrité d’âme n’implique chez eux ni l’absence de foi ni le manquement aux devoirs essentiels de leur état. […] J’ai essayé d’indiquer quelle éducation il faudrait avoir reçue et par où il faudrait ensuite avoir passé pour être en état de les comprendre et de les peindre. […] Ce plaisir si rare et si noble, le plus pauvre desservant peut sans doute le goûter ; mais on connaît, d’autre part, l’état de sujétion absolue où les prêtres sont tenus par leurs évêques. […] … Moi, pécheur (tu le sais, je péchai souvent en ta présence, Malum coram te feci, comme dit le roi David)… » Le sentiment d’une vie surnaturelle, se mêlant intimement aux passions humaines, produit ainsi chez les prêtres des états d’esprit fort singuliers.

485. (1895) La musique et les lettres pp. 1-84

Moi-même y contredis, en ce qui est de chez nous, imbu de je ne sais quelle hostilité contre les états de raretés sanctionnés par les dehors, ou qui purement ne sont l’acte d’écrire : je rentre mes aspirations à la solitude nécessaire quand ce ne serait que pour paraître songer. […]         Un intérêt de votre part, me conviant à des renseignements sur quelques circonstances de notre état littéraire, ne le fait pas à une date oiseuse. […] Tout l’acte disponible, à jamais et seulement, reste de saisir les rapports, entre temps, rares ou multipliés ; d’après quelque état intérieur et que l’on veuille à son gré étendre, simplifier le monde. […] Je réclame la restitution, au silence impartial, pour que l’esprit essaie à se rapatrier, de tout — chocs, glissements, les trajectoires illimitées et sûres, tel état opulent aussitôt évasif, une inaptitude délicieuse à finir, ce raccourci, ce trait — l’appareil ; moins le tumulte des sonorités, transfusibles, encore, en du songe. […]   Un grand dommage a été causé à l’association terrestre, séculairement, de lui indiquer le mirage brutal, la cité, ses gouvernements, le code, autrement que comme emblèmes ou, quant à notre état, ce que des nécropoles sont au paradis qu’elles évaporent : un terre-plein, presque pas vil.

486. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Il n’y a pas que la tragédie des poètes ; il y a la tragédie des politiques et des hommes d’état. […] Ils ont une autre excuse encore : l’état cérébral du genre humain lui-même au moment où ils apparaissent ; le milieu ambiant des faits, modifiables, mais encombrants. […] La Division d’où sort le Règne, c’est là le despote à l’état abstrait. […] Le jardin de Valerius Asiaticus plaît à l’empereur, le visage de Statilius déplaît à l’impératrice : crimes d’état ; on étrangle Valerius parce qu’il a un jardin et Statilius parce qu’il a un visage. […] Sans doute, et l’on ne nous reprochera point de n’y pas insister, l’histoire réelle et véridique, en indiquant les sources de civilisation là où elles sont, ne méconnaîtra pas la quantité appréciable d’utilité des porte-sceptres et des porte-glaives à un moment donné et en présence d’un état spécial de l’humanité.

487. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Quel œil serait assez perçant pour prévoir et deviner toutes les conséquences qu’un état social aussi nouveau peut produire dans le monde ? […] Lorsque la noblesse, dans les états généraux, forçait le tiers état à parler à genoux, ne préparait-elle pas elle-même contre elle-même de tristes représailles ? […] Cependant il ne paraît pas croire que l’on puisse accuser un tel état social d’être fondé sur le privilège et l’inégalité. […] La démocratie met donc l’homme dans l’état où il doit être ; mais c’est à lui d’être ce qu’il doit être.

488. (1767) Sur l’harmonie des langues, et en particulier sur celle qu’on croit sentir dans les langues mortes

Je suppose à présent que la langue française n’existât, comme la langue latine, que dans un très petit nombre de bons livres ; et je demande si dans cette supposition on pourrait se flatter de la bien savoir, et être en état de la bien écrire ? […] Mais, dit-on, nous connaissons, en latin même, la différence des styles ; nous sentons, par exemple, que la manière d’écrire de Cicéron vaut mieux que celle de Sénèque, que le style de Tite-Live n’est pas celui de Tacite, et ainsi du reste ; donc nous sommes très au fait de la langue latine, et par conséquent très en état de la parler et de l’écrire. […] C’est comme si on disait : un étranger très médiocrement versé dans la langue française, s’apercevra aisément que le style de nos vieux et mauvais poètes n’est pas celui de Racine ; donc cet étranger sera en état de bien écrire en français. […] Il prétend (page 172) que des religieux, voués par état à la prière, doivent être plus propres par cette raison même à faire des progrès dans la physique, la géométrie et les autres sciences profanes, parce que S.  […] Mais, encore une fois, que nous sommes peu en état d’apprécier cette sorte d’imitation !

489. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Il était trop engagé et trop passé à l’état d’oracle de Delphes. […] Tous les membres de cette famille végétale sont plus ou moins « en état de souffrance ». […] Sans réduire l’état de sainteté à l’état de fakirisme, on peut admettre que le saint est surtout un contemplateur. […] Ce qui entre en nous, comme objet perçu, ce n’est pas l’arbre à l’état d’arbre, mais l’arbre à l’état d’image. […] L’un de ces deux états, l’un ou l’autre, est l’état normal de celui qui écrit ; cela est élémentaire et connu.

490. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Quelquefois il le regarde, entre ces deux états extrêmes, dans la médiocrité de la vie réelle ; il raille ses ridicules, et il laisse percer quelque chose du génie de Molière ; jamais sa pensée ne se détache de ce sujet unique de son étude. […] En même temps que Dieu lui envoyait la maladie à la suite de la santé, lui-même s’infligeait la pauvreté pour expier la fortune qu’il avait connue ; traversant ainsi les divers états de l’homme, dont il voulait pénétrer le mystère redoutable. […] Une fois que de la raison de Descartes elles sont passées dans la mienne, elles y demeurent à l’état de notions claires, indestructibles, mais inactives. […] Quand on demandait à Descartes quel serait l’état de l’âme après la mort : « Adressez-vous, disait-il, à M. d’Igby, qui en a bien plus de connaissance que moi44 », se déchargeant ainsi sur un obscur théologien de ce qu’il y a de plus difficile dans le problème de l’existence de l’âme. […] Et de même qu’il a une langue pour tous les états de son âme, il en a une pour toutes les passions de ceux qui le lisent.

491. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre II. Le rôle de la morale » pp. 28-80

Et jusque-là, le mot de liberté ne peut avoir aucun autre sens que celui de « liberté du bien », de ce que l’on considère comme le bien, impliquant forcément la répression de ce que l’on considère comme le mal, ou encore le mot de liberté ne prendra de valeur que par rapport à l’état constitué, c’est-à-dire qu’il signifierait le droit pour chacun de faire respecter sa liberté par l’État, mais non par les autres individus. […] L’élément qui remplit bien sa fonction sera mis en état de la continuer, celui qui ne peut ou ne veut s’en acquitter sera éliminé ou mis hors d’état de nuire. […] Un boulanger a le devoir de faire un pain agréable au goût et sain pour l’estomac, il a, en revanche, le droit de recevoir de ses clients de la monnaie qui ne soit point fausse, et, d’une façon ou de l’autre, d’être mis en état de vivre et de continuer son travail tant qu’il pourra bien servir ainsi la société. […] Cependant la conscience morale nous a été représentée aussi comme un moyen de résister à l’oppression, comme un point d’appui contre la société, contre l’état, contre toute force extérieure. […] Et l’on pourrait, sur le même sujet, dire bien des choses encore ; rechercher, par exemple, le rapport de l’obligation morale avec les formes primitives de la religion et de l’état, analyser les prescriptions et les interdictions religieuses, le tabou, etc.

492. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

Molière se dégoûta de l’état de tapissier et s’engoua de celui de comédien. […] Elle crut que la campagne ne lui serait pas moins favorable ; mais à Rouen, au lieu de préparer le lieu de son spectacle, elle mangea ce qu’elle avait d’argent avec un gentilhomme de M. le prince de Monaco, nommé Olivier, qui l’aimait à la fureur, et qui la suivait partout ; de sorte qu’en très peu de temps sa troupe fut réduite dans un état pitoyable. […] Cette femme, n’ayant aucune ressource, et connaissant l’humeur bienfaisante de Molière, alla le prier de lui prêter son théâtre pour trois jours seulement, afin que le petit gain qu’elle espérait de faire dans ses trois représentations lui servît à remettre sa troupe en état. […] Ils regardaient tous ce bon accueil comme la fortune de Baron, qui ne fut pas plutôt arrivé chez Molière, que celui-ci commença par envoyer chercher son tailleur pour le faire habiller (car il était en très mauvais état), et il recommanda au tailleur que l’habit fût très-propre, complet, et fait dès le lendemain matin. […] Cela l’engagea à lui dire : « Mon pauvre monsieur Molière, vous voilà dans un pitoyable état.

493. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre V. Du jeu, de l’avarice, de l’ivresse, etc. »

On ne trouve de bon dans la vie que ce qui la fait oublier ; et si l’émotion pouvait être un état durable, bien peu de philosophes se refuseraient à convenir, qu’elle serait le souverain bien. […] Cet état devient quelquefois tellement nécessaire à ceux qui l’ont éprouvé, qu’on voit des marins traverser de nouveau les mers, seulement pour ressentir l’émotion des dangers auxquels ils ont échappé.

494. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Malherbe, avec différens auteurs. » pp. 148-156

Il ajoutoit qu’ un bon poëte n’est pas plus utile à l’état qu’un bon joueur de quilles . […] expression qu’il employoit souvent, pour demander si l’on étoit encore en état de leur plaire.

495. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Voici les principales de ces lois : 1º C’est d’abord le passage constant d’un état plus simple, relativement homogène, à un état plus complexe d’hétérogénéité. […] L’Univers est la marche d’un état homogène à un état hétérogène : mais cette marche suppose un point de départ. […] Il faut donc admettre, à l’origine, un état d’homogénéité absolue. […] Les Idéalistes, construisant leur système évolutionniste du monde, s’arrêtent volontiers à l’état le plus homogène concevable, ne se souciant point de nier que cet état plus homogène soit déjà composé. […] Ce que nous appelons la nature n’est pas un état primitif et immuable : c’est déjà un état secondaire, un progrès sur des états antérieurs.

496. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

De là l’état de suspicion où elle a toujours été tenue par la puissance publique sous les noms les plus divers, jansénisme, jésuitisme, quiétisme, idéologie. […] Le livre des Maximes, selon lui, n’était pas utile à tout le monde ; il ne convenait qu’à certaines âmes, dans un certain état. […] Le représentant du catholicisme, c’est-à-dire de l’universel, devait repousser une doctrine à l’usage d’esprits de choix, d’âmes placées dans un certain état, laquelle corrompait l’excellence même du christianisme, qui est d’être la religion de tout le monde, des esprits de toute nature et de tout état. […] Instruction sur les états d’oraison. […] Instruction sur les états d’oraison.

497. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

. — Trait de ressemblance entre ce gouvernement et l’état des lettres. — § II. […] Influence du gouvernement de Louis xiv. — Trait de ressemblance entre ce gouvernement et l’état des lettres. […] Avant Louis XIV, l’état de la société n’était guère propice à la comédie. […] Cet état s’est peint dans un genre de poème dramatique qui n’a jamais pu prendre racine dans notre pays, la tragi-comédie, si populaire en Espagne. […] L’état de la société française à cette époque, presque autant que le tour de son génie, lui avait donné le goût des sujets héroïques et lui fournissait des ressemblances pour les comprendre et les traiter.

498. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vernet » pp. 130-167

Qui sait le temps que je passai dans cet état d’enchantement ? […] — C’est que la société leur a fait un goût et des beautés factices. — Il me semble que la logique de la raison a fait bien d’autres progrès que la logique du goût. — Aussi celle-ci est-elle si fine, si subtile, si délicate, suppose une connaissance si profonde de l’esprit et du cœur humain, de ses passions, de ses préjugés, de ses erreurs, de ses goûts, de ses terreurs, que peu sont en état de l’entendre, bien moins encore en état de la trouver. […] Il revient par le soupçon, le doute, à l’état de l’enfance. […] C’est l’affaire du moment, de l’état du corps, de l’état de l’âme ; une petite querelle domestique, une caresse faite le matin à sa femme, avant que d’aller à l’attelier : deux gouttes de fluide perdues et qui renfermaient tout le feu, toute la chaleur, tout le génie ; un enfant qui a dit ou fait une sottise, un ami qui a manqué de délicatesse, une maîtresse qui aura accueilli trop familièrement un indifférent ; que sais-je ? […] C’est un état bien singulier que celui du rêve.

499. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Le grand avantage que je trouve ici, ce sont les remarquables facilités que l’on a pour le travail, lequel est devenu pour moi un besoin et, eu égard à mon état intérieur, un devoir. […] Les textes se cantonnaient bien dans ma mémoire ; ma tête était à l’état d’un Sic et non d’Abélard. […] Je ne vois approcher qu’avec effroi l’époque où l’état intérieur le plus indéterminé devra se traduire par les démarches les plus décisives. […] Je sais bien que l’orthodoxe doit me dire que c’est par ma faute que je suis tombé en cet état. […] Tout cela ne peut coexister sans contradiction avec mon état général.

500. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Gibbon. — I. » pp. 431-451

Jugeant trop des autres d’après lui, et aussi d’après le milieu parisien de son temps, Gibbon crut le monde arrivé à un état complet d’indifférence et de scepticisme. […] Dans son premier écrit (l’Essai sur l’étude de la littérature), et quinze ans avant de publier sa grande composition historique, il décelait déjà sa préférence pour ce grand tout continu et pacifique de l’Empire romain ; il le place presque au niveau de ce que l’Europe est devenue depuis ; il fait remarquer de plus, à l’avantage de cet ancien état du monde, que des pays, aujourd’hui barbares, étaient éclairés alors et jouissaient des bienfaits de la civilisation : Du temps des Pline, des Ptolémée et des Galien, dit-il, l’Europe, à présent le siège des sciences, l’était également ; mais la Grèce, l’Asie, la Syrie, l’Égypte, l’Afrique, pays féconds en miracles, étaient remplis d’yeux dignes de les voir. […] Avant d’avoir terminé son ouvrage, il était en état d’en juger les imperfections et les vides : « La découverte de ma propre faiblesse, dit-il, fut mon premier symptôme de goût. » Mais le grand fait, l’accident mémorable du séjour de Gibbon à Oxford, est sa conversion passagère à la religion catholique. […] Selon Gibbon, les Géorgiques de Virgile ont eu un grand à-propos sous Auguste, un but politique et patriotique mêlé à leur charme : il s’agissait d’apprivoiser aux travaux de la paix et d’attacher à la culture des champs des soldats vétérans devenus possesseurs de terres, et qui, avec leurs habitudes de licence, avaient quelque peine à s’y enchaîner : « Qu’y avait-il de plus assorti à la douce politique d’Auguste, que d’employer les chants harmonieux de son ami (son ami est une expression un peu jeune et un peu tendre) pour les réconcilier à leur nouvel état ?

501. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Le maréchal de Villars. »

Pour s’en rendre compte, il faut avant tout remonter en arrière et se former une juste idée de l’état de la France pendant les campagnes précédentes. […] Aussi l’historien des Mémoires militaires, rédigés sous Louis XVI et publiés seulement de nos jours, n’hésite-t-il pas à conclure son récit de la campagne de 1710 en ces termes, si avantageux à Villars : « Ce général sauva, pour la deuxième fois, la France ; peut-être aurait-il conservé quelque place de plus si, d’un côté, un reste d’espérance de paix, et, de l’autre, le danger de mettre le royaume au hasard d’un événement douteux, n’eût dicté les ordres du roi à son général, et si le général lui-même n’eût été retenu et par la crainte des risques auxquels un combat pouvait l’exposer, et par le mauvais état dans lequel étaient les troupes. […] Villars et le duc d’Ormond, prévenus chacun très secrètement de l’état et du progrès des négociations entre leurs Cours, devaient éviter de s’engager, et il ne fallait pas que Villars, par trop d’insistance guerrière et par quelque mouvement imprudent, plaçât le duc d’Ormond entre son devoir et son honneur. […] Le récit du maréchal de Montesquiou, très-distinct de celui de Villars, paraît n’être arrivé d’abord au roi que par voie verbale également ; mais on possède une relation écrite que ce maréchal fit avec détail et complaisance pour être mise sous les yeux de Louis XIV, lorsqu’il dut produire ses titres et état de services avant d’être admis dans l’Ordre du Saint-Esprit.

502. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Il nous la montre « aimable dans ses reparties, ingénieuse dans le détail de ses réponses et de ses propos ; ayant le cœur droit, excellent », très aimée, populaire même ; digne fille d’un vertueux père « qui avait répandu en elle toute la bonté et la candeur d’un monarque honnête homme ; ennemie de la dépense, souffrant des tourments réels et des supplices quand elle apprenait quelque calamité publique » ; une vraie mère des Français ; adoptant et admirant tout des grandeurs de la nation ; ne se considérant d’ailleurs que comme la première sujette de son époux : « Véridique avec le cardinal Fleury, hardie même auprès de lui plutôt que fausse, elle sortait, mais rarement, de cet état d’indifférence où elle s’était mise, et lui reprochait avec esprit et doucement les petites tracasseries qu’il lui faisait auprès du roi ; elle souriait un peu malignement, le déconcertait quelquefois et prenait alors le ton de reine de France ; elle lui disait que c’était à lui qu’elle était redevable d’une telle parole du roi. […] On ne saurait montrer d’une manière plus maligne et plus piquante qu’elle ne le fait l’état des deux camps et des deux Cours sitôt le danger passé et pendant la convalescence du roi. Louis XV était un peu honteux de tout ce qu’on lui avait fait faire, et comme les gens faibles qui ont baissé pavillon, il en voulait à ceux qui l’avaient mis ou surpris en cet état ; il avait hâte de prendre sa revanche. […] La dame d’honneur en était si dévotement persuadée qu’un jour, trouvant le roi en état de donner à la reine des marques certaines d’une réconciliation sincère, elle fit changer le lit de la reine en une couche nuptiale et mettre deux oreillers sur le traversin.

503. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite et fin.) »

Mais il faut plus que jamais penser que toutes les classes d’hommes, quand ils sont honnêtes, sont nos sujets également, et savoir distinguer ceux qui le sont, partout et dans tous les états. […] Le roi a une grâce d’état ; il se porte aussi bien que si rien n’était arrivé… » Tout à côté des paroles douloureuses et concentrées de la reine, on a de ces journées un récit complet, circonstancié, par une correspondante qui ne va plus cesser d’écrire durant ces trois années, et qui est du caractère le plus naturel, le plus accentué, le plus vif, je veux dire Madame Élisabeth. […] Tout d’abord je dois dire, pour qu’il n’y ait pas à se méprendre sur les éloges si dus à cet état d’une belle âme inaltérable et pure, que l’angélique princesse est au fond dans l’inintelligence politique la plus entière de la situation ; elle voit nettement les faits, et elle les rend comme elle les voit ; mais la raison, la nécessité qui les produit et les enchaîne lui échappe. […] Mes chagrins s’augmentent, mon cher frère, de l’état de votre santé ; je ne saurais vous dire combien j’ai été touchée de la bonne longue lettre que vous m’avez écrite de votre lit de souffrance.

504. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Mais ne soyons pas ingrat nous-même en cherchant à faire quelques objections minutieuses, quelques chicanes insignifiantes à un livre des plus intéressants qui nous annonce un bon écrivain de plus, et qu’un mathématicien du premier ordre était seul en état de dicter à un littérateur distingué, réuni dans le même homme. […] L’état mental de la majorité du monde sur ces questions et ces phénomènes est d’accord avec les vraies solutions, bien que tel ou tel individu puisse en être très éloigné pour la complète intelligence ; mais on n’a pas à revenir du tout au tout ; on n’a pas à dissiper des monstres, des chimères, des dragons armés, des préventions ennemies. […] Sans doute ils avaient près d’eux Bossuet, Fénelon, Du Guet, La Bruyère lui-même (chapitre Des Esprits forts), pour leur dispenser quelques-unes de ces vérités physiques à l’état et sous forme de preuves de l’existence de Dieu ; mais c’était là de la science morale toujours, plus encore que de la physique. […] » Cette idée une fois posée à l’état de question, il s’en empare, il la presse et la développe.

505. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Les Confessions de J.-J. Rousseau. (Bibliothèque Charpentier.) » pp. 78-97

En me livrant à la fois au souvenir de l’impression reçue et au sentiment présent, je peindrai doublement l’état de mon âme, savoir au moment où l’événement m’est arrivé et au moment où je l’ai décrit ; mon style inégal et naturel, tantôt rapide et tantôt diffus, tantôt sage et tantôt fou, tantôt grave et tantôt gai, fera lui-même partie de mon histoire. […] Lent à penser, prompt à sentir, avec des convoitises ardentes et rentrées, avec une souffrance et une contrainte de chaque jour, Rousseau arrive à l’âge de seize ans, et il se peint à nous en ces termes : J’atteignis ainsi ma seizième année, inquiet, mécontent de tout et de moi, sans goût de mon état, sans plaisirs de mon âge, dévoré de désirs dont j’ignorais l’objet, pleurant sans sujet de larmes, soupirant sans savoir de quoi ; enfin caressant tendrement mes chimères, faute de rien voir autour de moi qui les valût. […] Lorsque, quittant sa patrie, à la fin du premier livre des Confessions, il se représente le tableau simple et touchant de l’obscur bonheur qu’il aurait pu y goûter ; quand il nous dit : J’aurais passé dans le sein de ma religion, de ma patrie, de ma famille et de mes amis, une vie paisible et douce, telle qu’il la fallait à mon caractère, dans l’uniformité d’un travail de mon goût et d’une société selon mon cœur ; j’aurais été bon chrétien, bon citoyen, bon père de famille, bon ami, bon ouvrier, bon homme en toute chose ; j’aurais aimé mon état, je l’aurais honoré peut-être, et, après avoir passé une vie obscure et simple., mais égale et douce, je serais mort paisiblement dans le sein des miens ; bientôt oublié sans doute, j’aurais été regretté du moins aussi longtemps qu’on se serait souvenu de moi. […] « Rousseau avait l’esprit voluptueux. » a dit un bon critique ; les femmes jouent chez lui un grand rôle ; absentes ou présentes, elles et leurs charmes, elles l’occupentc, l’inspirent et l’attendrissent, et il se mêle quelque chose d’elles à tout ce qu’il écrit : Comment, dit-il de Mme de Warens, en approchant pour la première fois d’une femme aimable, polie, éblouissante, d’une dame d’un état supérieur au mien, dont je n’avais jamais abordé la pareille…, comment me trouvai-je à l’instant aussi libre, aussi à mon aise que si j’eusse été parfaitement sûr de lui plaire ?

506. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Son génie lui parla ; un état médiocre ne lui parut point valoir assez pour être mis en balance avec cette destinée nouvelle qu’il tenait entre ses mains : « Il vaut mieux, pensa-t-il, déroger à sa qualité qu’à son génie » ; et, se reportant aux grandes actions qu’il avait été donné à d’autres plus heureux d’exécuter, il se dit : « Qu’il paraisse du moins, par l’expression de nos pensées et par ce qui dépend de nous, que nous n’étions pas incapables de les concevoir. » Cette prédominance, cette préoccupation toujours présente de l’action et de l’énergie vertueuse, supérieure et préférable à l’idée elle-même, est un des caractères du talent littéraire de Vauvenargues, et elle contribue à conférer aux moindres de ses paroles une valeur et une réalité qu’elles n’auraient pas chez tant d’autres, en qui l’auteur se sent à travers tout. En lui on sent au contraire que l’esprit ne s’est fixé à l’état de pensée et de maxime, que faute d’avoir pu se déployer et sortir en action. […] » Il ne se résigne pas toujours si aisément, il s’écrie : Si l’on pouvait, dans la médiocrité, n’être ni glorieux, ni timide, ni envieux, ni flatteur, ni préoccupé des besoins et des soins de son état, lorsque le dédain et les manières de tout ce qui nous environne concourent à nous abaisser ; si l’on savait alors s’élever, se sentir, résister à la multitude… ! […] On ne voit pas qu’il ait été occupé des femmes dans les années où il écrit, et le peu qu’il en dit nous montre un homme revenu : « Les femmes ne peuvent comprendre, dit-il, qu’il y ait des hommes désintéressés à leur égard. » Il semble que, brisé avant l’âge par les maladies, il se soit retranché sur ce point jusqu’aux regrets stériles : « Ceux qui ne sont plus en état de plaire aux femmes et qui le savent, s’en corrigent. » Sans être insensible aux lumières de son temps et sans y fermer les yeux, il était loin de s’en exagérer l’importance, et il se préoccupait du perfectionnement moral intérieur, bien plus que de cette perfectibilité générale à laquelle il est si commode de croire et de s’abandonner.

507. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Sans avoir qualité d’historiographe, Rulhière était donc un historien d’office encore plus qu’un poète de société, et l’on dit que, malgré son bon goût, il en laissait deviner quelque chose : M. de Rulhière, dit Mme Necker, laissait percer dans sa conversation une nuance de son état d’historien, qui visait à la pédanterie ; il mettait une trop grande importance à l’examen d’un petit fait et à toutes ses circonstances ; il ne voulait jamais voir l’Opéra que derrière les coulisses. […] Comme historien et comme écrivain honorablement sérieux, il prit rang en 1788 par ses Éclaircissements historiques sur les causes de la révocation de l’édit de Nantes et sur l’état des protestants en France. […] Dans l’état d’études plus avancées où l’on est aujourd’hui sur le xviie  siècle, on est amené à reconnaître que cette fatale révocation, dont la dévotion finale de Louis XIV fut le moyen et l’occasion, préexistait depuis longtemps, ou du moins flottait dans l’esprit de ce prince à l’état de projet politique, et qu’il ne fit en dernier lieu que réaliser un vœu ancien, dans lequel il fut insensiblement assisté et comme encouragé par une complicité presque universelle.

508. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Si le spectacle des troubles et des émotions civiles où elle a été mêlée a semblé servir quelquefois à la fortifier et à l’élever même, un tel spectacle la contriste encore plus, et l’égarerait à coup sûr en se prolongeant : c’est surtout à l’heure où ces troubles s’apaisent et où ils sont encore à l’état de récent et de vif souvenir, que la littérature peut heureusement s’en inspirer pour jouir du calme rétabli, du sentiment de la civilisation reconquise, pour y porter un zèle ému, une ardeur trop longtemps contrainte et retardée, pour y signaler et pour y produire à quelque degré l’effet d’une renaissance. […] « Je m’étais de moi-même, dit-il, destiné à l’état ecclésiastique » ; et pour lui, l’Église, c’était ce qu’elle fut à tant d’époques, un asile de paix et d’étude, un abri pour les doctes et innocentes recherches dont un esprit orné et sage ne veut point être distrait. […] De quel état êtes-vous ? […] La partie sérieuse du mérite de l’abbé Barthélemy comme antiquaire, et avant son Voyage d’Anacharsis, échappe à mon appréciation : ce qu’on peut dire en général, c’est qu’il a rendu surtout de vrais services dans la science des médailles, et qu’il a contribué à la tirer de l’état de simple curiosité pour en faire un des appuis suivis et réguliers de l’histoire.

509. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Mais comment voulez-vous que le talent résiste et que l’art se conserve, si vous joignez à cette épidémie vermineuse la multitude de sujets perdus pour les lettres et pour les arts, par la juste répugnance des parents à abandonner leurs enfants à un état qui les menace d’indigence ? […] Avec le tems, par une marche lente et pusillanime, par un long et pénible tâtonnement, par une notion sourde, secrette, d’analogie, acquise par une infinité d’observations successives dont la mémoire s’éteint et dont l’effet reste, la réforme s’est étendue à de moindres parties, de celles-cy à de moindres encore, et de ces dernières aux plus petites, à l’ongle, à la paupière, aux cils, aux cheveux, effaçant sans relâche et avec une circonspection étonante les altérations et difformités de nature viciée, ou dans son origine, ou par les nécessités de sa condition, s’éloignant sans cesse du portrait, de la ligne fausse, pour s’élever au vrai modèle idéal de la beauté, à la ligne vraie ; ligne vraie, modèle idéal de beauté qui n’exista nulle part que dans la tête des Agasias, des Raphaëls, des poussins, des Pugets, des Pigals, des Falconnets ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont les artistes subalternes ne puisent que des notions incorrectes, plus ou moins approchées que dans l’antique ou dans leurs ouvrages ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie que ces grands maîtres ne peuvent inspirer à leurs élèves aussi rigoureusement qu’ils la conçoivent ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie au-dessus de laquelle ils peuvent s’élancer en se jouant, pour produire le chimérique, le sphinx, le centaure, l’hippogriphe, le faune, et toutes les natures mêlées ; au-dessous de laquelle ils peuvent descendre pour produire les différents portraits de la vie, la charge, le monstre, le grotesque, selon la dose de mensonge qu’exige leur composition et l’effet qu’ils ont à produire, en sorte que c’est presque une question vuide de sens que de chercher jusqu’où il faut se tenir approché ou éloigné du modèle idéal de la beauté, de la ligne vraie ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie non traditionelle qui s’évanouit presque avec l’homme de génie, qui forme pendant un tems l’esprit, le caractère, le goût des ouvrages d’un peuple, d’un siècle, d’une école ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie dont l’homme de génie aura la notion la plus correcte selon le climat, le gouvernement, les loix, les circonstances qui l’auront vu naître ; modèle idéal de la beauté, ligne vraie qui se corrompt, qui se perd et qui ne se retrouveroit peut-être parfaitement chez un peuple que par le retour à l’état de Barbarie ; car c’est la seule condition où les hommes convaincus de leur ignorance puissent se résoudre à la lenteur du tâtonnement ; les autres restent médiocres précisément parce qu’ils naissent, pour ainsi dire, scavants. […] Je ne dis pas qu’une nature grossièrement viciée ne leur ait inspiré la première pensée de réforme et qu’ils n’aient longtemps pris pour parfaites des natures dont ils n’étoient pas en état de sentir le vice léger ; à moins qu’un génie rare et violent, ne se soit élancé tout à coup du troisième rang où il tâtonnait avec la foule, au second. […] Je vous ai prévenu sur ma stérilité, ou plutôt sur l’état d’épuisement où les sallons précédents m’ont réduit.

510. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Charles Baudelaire  »

Toute cette observation minutieuse d’états pathologiques misérables, dans lesquels l’homme a perdu l’équilibre et la possession de soi-même et n’a trouvé jamais que le bonheur sot de la sensation, est revêtu de l’expression qui ferait tout lire et presque tout pardonner. […] Les uns y ont vu une étude très soignée, très épinglée, très atomistique, où rien n’est oublié des sensations et des nuances de sensation par lesquelles on passe dans les états qu’il décrit… et j’aime mieux le croire que d’y aller voir. […] Baudelaire me rappelle souvent ce kief oriental dont il parle, cet état de visions splendides et doucement terrifiantes et en même temps plein de consolations . Joli état, excellentes et juteuses épithètes !

511. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Je touche là à un inconvénient pour eux en même temps qu’à un avantage, quelques-uns sont restés à l’état méditatif et expectant, faute de cet aiguillon souverain de la nécessité. […] Ces formes de la langue indiquent bien et accusent l’état et, pour ainsi dire, la posture habituelle de l’âme : la sienne était toute bandée, comme dirait Montaigne, vers un but relevé et hautain. […] Voilà, à ce qu’il me paraît, ce que j’ai gagné. » Dans cette disposition alternative, dans ce double état d’excitation ou de calme relatif, que de questions également il s’adresse ?

512. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Les conteurs limitent leur ambition et leur effort : entre la bouffonnerie épique, l’universalité scientifique de Rabelais, et la gauloiserie satirique sans portée des anciens couleurs français, ils déterminent une voie moyenne : Noël du Fail205, surtout, mêle le réalisme pittoresque de la description des mœurs à la satire particulière des divers caractères de l’homme et des divers états de la vie. […] Henri Estienne, dénonçant par la bouche de son Celtophile tous ces vocables étrangers qui supplantaient les bons et natifs français, procéda à une épuration nécessaire : il fut de ceux qui amenèrent l’opinion à cet état où le succès de Malherbe était assuré. […] Souvent les œuvres littéraires furent des actes politiques, quelquefois des actes décisifs : mais surtout l’état politique créa des conditions qui permirent à certains genres de grandir, ou de se transformer, ou d’éclore.

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