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703. (1891) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Quatrième série

Ou bien, dirons-nous qu’à mesure qu’une société se compose, s’organise, et se règle, ce sont les chevaliers d’autrefois qui deviennent les gueux d’aujourd’hui ? […] Une société nouvelle était née, qui grandissait tous les jours, non pas précisément encore athée, ni même délibérément incrédule, mais déjà libertine, indifférente, ou toute laïque. […] Il continue cependant d’exister une société de cartésiens, et, comme nous l’avons dit, l’espèce a bien pu s’en cacher, elle ne s’est pas perdue. […] « Je n’ai jamais ouï parler du droit public, a-t-il dit dans ses Lettres persanes, que l’on n’ait commencé par rechercher soigneusement quelle est l’origine des sociétés, — ce qui me paraît ridicule. » Il a raison ; qu’importe l’origine, si le droit public ne commence lui-même qu’avec la société formée ? […] Nous sommes nés pour la société, pour en exercer les devoirs, sans en attendre, en les exerçant, d’autre récompense que d’en avoir, chacun pour notre part, entretenu le culte.

704. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires du marquis d’Argenson, ministre sous Louis XV »

Dès 1723, un certain abbé Alary avait fondé une société politique, composée de membres libres, et appelée le club de l’Entresol du nom du lieu où se tenaient les conférences. […] M. d’Argenson se complaît à nous transmettre les plus menus détails de cette société libre, qu’il compare à cet âge d’or tant regretté de l’Académie française, et dont, sans lui, le secret serait encore ignoré de nous.

705. (1887) Discours et conférences « Appendice à la précédente conférence »

Ne pas détruire les religions, les traiter même avec bienveillance, comme des manifestations libres de la nature humaine, mais ne pas les garantir, surtout ne pas les défendre contre leurs propres fidèles qui tendent à se séparer d’elles, voilà le devoir de la société civile. […] Comment chaque religion se comportera-t-elle avec le régime de la liberté, qui s’imposera, après bien des actions et réactions, aux sociétés humaines ?

706. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre premier. Impossibilité de s’en tenir à l’étude de quelques grandes œuvres » pp. 108-111

A toute époque, il y a dans une société certaines idées nouvelles qui naissent à la fois dans un grand nombre d’esprits, des germes de pensées et de sentiments qu’on sent flotter autour de soi et qu’on respire, pour ainsi dire, dans l’air ambiant. […] Il est le grand homme du jour, de l’année, de l’époque, du siècle, suivant que son accord avec la société environnante a plus ou moins de durée, suivant aussi que son talent a plus ou moins d’éclat et de vigueur.

707. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Nulle âme n’était plus faite que celle de Bonstetten pour sentir et pour exprimer avec fraîcheur la douceur de la société, pour respirer la fleur de sociabilité dans son parfum et l’esquisser avec ses différentes nuances. « En passant d’une nation à l’autre, disait-il, on distingue bien vite le sentiment par lequel on est abordé. […] Cette fois, c’était l’érudit, l’économiste, l’antiquaire, qui se préoccupait encore plus de l’état des choses que des plaisirs de la société, et qui s’attacha surtout à l’étude de Rome et de ses environs. […] À Paris, il était surtout occupé, non de la politique, mais de la société ; il faisait part à Mme de Staël de ses observations ; elles sont piquantes, et trouveraient encore leur à-propos aujourd’hui. […] Son esprit que je suppose supérieur, en plaçant des idées centrales parmi les idées isolées et traînantes de la société où elle se trouve, fera éprouver le charme de ce que j’appelle harmonie à toutes les personnes qui l’écoutent. […] Les gens qui en manquent admirent votre savoir ; peu voient l’esprit et le bon esprit qu’il y a, et presque personne ne veut rendre justice au style français, parce que presque tous ont le sentiment que ce style est étranger à Genève, où l’on manque de goût et, à peu d’exceptions près, du talent d’écrire, que vous avez éminemment. — Le talent de bien écrire vient de l’âme ; ses formes se prennent dans la société

708. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Dans la seconde partie, je compte examiner les gouvernements anciens et modernes sous le rapport de l’influence qu’ils ont laissée, aux passions naturelles aux hommes réunis en corps politique, et trouver la cause de la naissance, de la durée, et de la destruction des gouvernements, dans la part plus ou moins grande qu’ils ont faite au besoin d’action qui existe dans toute société. […] Les hommes, privés d’occupations fortes, se resserrent tous les jours plus dans le cercle des idées domestiques, et la pensée, le talent, le génie, tout ce qui semble des dons de la nature, ne se développe cependant que par la combinaison des sociétés ; le même nombre d’hommes divisé, séparé, sans mobile et sans but, n’offre pas un génie supérieur, une âme ardente, un caractère énergique ; tandis que dans d’autres pays, parmi les mêmes êtres, plusieurs se seraient élevés au-dessus de la classe commune, si le but avait fait naître l’intérêt, et l’intérêt l’étude, et la recherche des grands moyens et des grandes pensées. […] On est d’accord, je pense, sur l’impossibilité du despotisme, ou de l’établissement de tout pouvoir qui n’a pas pour but le bonheur de tous ; on l’est aussi, sans doute, sur l’absurdité d’une constitution démagogique2, qui bouleverserait la société au nom du peuple qui la compose. Mais les uns croient que la garantie de la liberté, le maintien de l’ordre, ne peut subsister qu’à l’aide d’une puissance héréditaire, et conservatrice ; les autres, reconnaissent de même la vérité du principe, que l’ordre seul, c’est-à-dire l’obéissance à la justice, assure la liberté : mais ils pensent que ce résultat peut s’obtenir sans un genre d’institutions que la nécessité seule peut faire admettre, et qui doivent être rejetées par la raison, si la raison prouve, qu’elles ne servent pas mieux que les idées naturelles, au bonheur de la société. […] L’avantage de l’aristocratie de naissance, c’est la réunion des circonstances qui rendent plus probables dans une telle classe les sentiments généreux : l’aristocratie de l’élection doit, alors que sa marche est sagement graduée, appeler avec certitude les hommes distingués par la nature aux places éminentes de la société. — Ne serait-il pas possible que la division des pouvoirs donnât tous les avantages et aucun des inconvénients de l’opposition des intérêts, que deux chambres, un directoire exécutif, quoique temporaire, fussent parfaitement distinctes dans leurs fonctions ; que chacun prit un parti différent par sa place, mais non par esprit de corps, ce qui est d’une toute autre nature ?

709. (1868) Alexandre Pouchkine pp. 1-34

Pleins d’une misanthropie dédaigneuse, de dégoût pour les conventions de la société, ils sont tous les deux un peu enclins à l’exagération ; ils recherchent l’étrange, ils prennent pour beau ce qui est excessif ou terrible. […] On sait leurs griefs contre la société où ils étaient nés. […] Condamné d’avance par les dévots et par ceux qui avaient intérêt à passer pour tels, il laisse voir dans ses ouvrages une irritation haineuse contre la société, dont le premier jugement à son égard n’avait pas été fort injuste, il faut en convenir. […] Avant Sterne, Rabelais, avec sa verve et l’originalité de son style incomparable, avait fait la satire de l’Église, de la cour et de la société tout entière, à la faveur d’un conte à dormir debout. […] Ne donnez jamais quelques qualités aimables à un héros qui pèche contre les dix commandements ; on dira que vous sapez les bases de la société : Plutarque n’a fait déjà que trop de mal avec ses soi-disant grands hommes.

710. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Discours préliminaire, au lecteur citoyen. » pp. 55-106

Après avoir invectivé les sociétés particulieres, sans rien perdre de l’estime publique, les Philosophes ont cru pouvoir s’en prendre à l’Espece humaine, sans craindre de voir diminuer le nombre de leurs benins admirateurs. […] On a vu des pays du Nouveau-Monde où les animaux avoient fait plus de progrès que l’homme vers l’état de perfection & de société Hist. […] Rien de si comique, m’a-t-on dit, que de le voir se démener dans les sociétés, pour prouver que si M. l’Abbé Martin, mort il y a environ quatre ans, n’est pas l’Auteur des Trois Siecles, [c’est le nom du Vicaire avec lequel j’ai eu des liaisons d’amitié], il l’est au moins des meilleurs morceaux de cet Ouvrage, ainsi qu’il l’a donné lui-même à entendre à plusieurs Habitués de Paroisse. […] Voici pour sa justification : Mais qu’un homme de bien [l’expression est modeste] dénonce à la société l’ennemi & le calomniateur des talens, il fait une action honnête & juste. […] J’ai donc fait du mal aux hommes, en prenant la défense des principes qui soutiennent la société & assurent la tranquillité des individus ; & les Philosophes leur ont fait beaucoup de bien, en déclamant contre toutes les classes de Citoyens, en prêchant l’indépendance, en s’efforçant de briser tous les liens, en ôtant le frein des passions, en favorisant les crimes secrets, les désordres de toute espece, en arrachant du cœur des vertueux infortunés tout espoir de dédommagement, &c.

711. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Malesherbes. » pp. 512-538

La société a eu peur, et, depuis qu’elle se rassoit, elle n’est pas devenue très raisonnable sur cet article de la presse. […] La société verra qu’elle n’a raisonnablement rien à regretter ni à vouloir reprendre de ce bon vieux temps, et les écrivains verront aussi qu’ils n’ont pas trop à se plaindre du temps d’aujourd’hui. […] Voltaire avait riposté par une plaisanterie, Les Quand, qui fit beaucoup rire cette société désœuvrée. […] Malesherbes, ce Franklin de vieille race, avait très nettement embrassé la société moderne dans ses articles fondamentaux ; il l’avait d’avance prévue et anticipée ; mais s’il ne s’était pas trompé sur le but, il s’était fait illusion sur les distances et sur les incidents du voyage. […] C’est là une sorte d’erreur contre laquelle il est bon d’être toujours en garde, car il y a plus d’un bras, disent les géographes, à la mer Rouge, et il serait désagréable à la société d’en avoir un à traverser encore, si petit qu’il fût.

712. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chateaubriand homme d’État et politique. » pp. 539-564

Ce faux biens d’ici-bas, selon le poète, c’est la réalité, c’est le monde politique, c’est le gouvernement de la société et des autres hommes ; les poètes, quand ils ont épuisé leurs songes et leurs chimères, veulent bien y arriver et y condescendre, les uns comme M. de Lamartine avec plus de sérénité et de clémence, les autres comme M. de Chateaubriand avec plus d’irritation et d’amertume. […] Du moment que vous aspirez à gouverner les hommes et à devenir le pilote de la société, sachez du moins le vouloir avec suite et sérieusement. […] autant ces choses de la poésie sont délicieuses et adorables dans une âme restée vierge et doucement enivrée, autant elles révoltent quand elles ne viennent qu’à titre de mépris jeté à des intérêts après tout sérieux et sacrés, puisqu’ils sont ceux de la société même. […] Et la société ! […] Mais elle a droit, cette société, de demander au moins le sérieux de leur ambition à ceux qui veulent être ses guides et ses pilotes.

713. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1861 » pp. 361-395

* * * — Le péril, le grand péril de la société moderne est l’instruction. […] De cette folie générale, de cette manie partout répandue dans le bas de la société de jeter ses enfants par-dessus soi, de les porter au-dessus de son niveau, comme on porte les enfants au feu d’artifice, il s’élève une France de plumitifs, d’hommes de lettres et de bureau, une France où l’ouvrier ne sortant plus de l’ouvrier, le laboureur du laboureur, il n’y aura bientôt plus de bras pour les gros ouvrages d’une patrie. […] * * * — Dans toute société d’hommes, un don, une qualité de l’individu impose sa reconnaissance et son autorité à tous. […] On sent dans ces portraits, l’ordre de la société passée, avec l’orgueil chez chacun, de sa profession, de sa position. […] * * * — « Voulez-vous, nous dit Gavarni, le secret, de toute société, de toute association ?

714. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Troisième partie. — L’école historique » pp. 253-354

Il semble que La Fontaine ait trop vécu dans la société des animaux qu’il a peints. […] Voilà l’honnête homme, œuvre de la société dans une race sociable. […] Cette opposition des sociétés spirituelles et oisives contre le gouvernement revêtit au siècle de Louis XIV un caractère moral et religieux. […] Dates données par Roederer, Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie. […] Roederer, Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie.

715. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Il évitait la société, il vivait retiré, enfermé en lui-même, avec une sauvagerie qui n’était point de son âge, et qui l’isolait. […] Dumas ne s’attache à décrire que les mœurs de la classe particulière de la société dans laquelle cette question se pose le plus fréquemment et dans toute sa puissance. […] Mais la société n’est pas une bouteille, l’humanité n’est pas un liquide et, comme on dit, comparaison n’est pas raison. […] Son activité de moraliste : sa critique de la société et des mœurs ; caractère de cette critique. […] Seule, la stricte obéissance à ce commandement peut ramener les hommes, comme individus et comme société, dans la voie du salut.

716. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Toutes les sociétés et toutes les civilisations se sont plaintes de la souffrance de vivre. […] L’étude des langues mortes a été délaissée par une société qui n’a pas de temps à perdre. […] La laideur humaine se cache sous le joli décor de société. […] Car, du jour où les hommes renonceraient à l’hypocrisie, c’en serait fait de la société. […] Si peu mondain soit-il, il a toujours recherché la société de quelques femmes d’élite.

717. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

Si donc la poésie ne faisait pas entendre aujourd’hui ce concert de douleur qui annonce le besoin d’une régénération sociale, et si en même temps elle ne jetait pas déjà, dans toutes les âmes capables de la sentir, le germe de cette régénération ; si elle n’y versait pas, avec la douleur de ce qui est, le désir de ce qui doit être ; en un mot si elle n’était pas, ce qu’elle a toujours été, prophétique, nous aurions tort de représenter l’état actuel de la société comme une crise qui doit enfanter une société nouvelle. […] C’est d’abord que leur pensée est devenue plus forte avec l’âge ; c’est ensuite que tout a chancelé autour d’eux ; c’est qu’ils ont vu cette société qu’ils croyaient rentrée dans la voie de la tradition s’en écarter de nouveau ; c’est que cette tentative si bien nommée restauration, qui prétendait rendre à la France son ancien ordre social et religieux, a déçu toutes leurs espérances, partagés qu’ils étaient entre les sentiments de gloire et de liberté de notre âge, et cette gloire du passé qui avait bien de quoi les séduire. […] M. de Chateaubriand s’est chargé de la Restauration de toute manière, comme religion et comme société ; il l’a précédée, introduite dans le monde, exaltée tour à tour et abaissée : il l’a corrigée comme une mère corrige son enfant, abandonnée comme on abandonne un fils ingrat ; et l’enfant s’étant tué à force de folies, il en porte encore le deuil. […] Byron dans tous ses ouvrages et dans toute sa vie, Goethe dans Werther et Faust, Schiller dans les drames de sa jeunesse, Chateaubriand dans René, Benjamin Constant dans Adolphe, Senancourf dans Oberman, Sainte-Beuve dans le livre que nous venons de caractériser, une innombrable foule d’écrivains anglais et allemands, et toute cette littérature de verve délirante, d’audacieuse impiété et d’affreux désespoir qui remplit aujourd’hui nos romans, nos drames et tous nos livres, voilà l’école ou plutôt la famille de poètes que nous appelons Byronienne : poésie inspirée par le sentiment vif et profond de la réalité actuelle, c’est-à-dire de l’état d’anarchie, de doute et de désordre où l’esprit humain est aujourd’hui plongé par suite de la destruction de l’ancien ordre social et religieux (l’ordre théologique-féodal) et de la proclamation du principe de l’Égalité, qui doit engendrer une société nouvelle. […] Seulement l’une, la poésie que nous appelons Byronienne, sort des entrailles mêmes de la société actuelle, si je puis m’exprimer ainsi ; elle découle naturellement de la Philosophie du Dix-Huitième Siècle et de la Révolution Française ; elle est le produit le plus vivant d’une ère de crise et de renouvellement, où tout a dû être mis en doute, parce que, sur les ruines du passé, l’Humanité va commencer l’édification d’un monde nouveau ; tandis que l’autre, bien que progressive en ce qu’elle révèle le même besoin par son retour au Christianisme, est pour ainsi dire l’inspiration du passé voulant vivre dans le présent, le résultat d’une reprise momentanée de l’ancien ordre social et religieux dont l’Humanité, inquiète et reculant d’effroi devant l’enfantement de ses destinées nouvelles, s’est donné à elle-même une représentation avant de le délaisser à jamais : ainsi les Juifs dans le désert, marchant vers la terre promise, recommencèrent un jour à adorer les dieux d’Égypte.

718. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Si je regarde celles des Pensées qui touchent à la société, aux gouvernements, à la justice, aux grands, Pascal voit plus loin que Descartes, dont la politique est de s’accommoder de ce qui est établi ; plus loin que Bossuet, qui bornait ses vues à la monarchie absolue tempérée par des lois fondamentales. […] Le bon père jésuite qui trahit sa société sans le savoir, qui professe honnêtement une méchante morale, sera toujours bien plus dans la nature que Gorgias, lequel, après tout, n’est pas dupe de sa fausse rhétorique. […] Pour peu qu’on le pousse, il va faire des ignominies de cette morale une affaire d’honneur ; et n’y a-t-il pas péril à offenser, dans la personne d’un de ses membres, une société qui permet de tuer pour une pomme ? Une profonde connaissance de l’homme se révèle dons la diversité des tours qu’emploie Pascal, pour se décharger sur le père jésuite de ce qu’il y a de plus dur, dans l’accusation qu’il dresse contre la société. […] Aussi la société moderne se manquerait-elle à elle-même, si Démosthène, défendant sa ville contre l’ambition de Philippe, la touchait plus que Pascal défendant les vérités de la morale, l’honneur chrétien, la vie humaine, au prix où l’a mise le christianisme, contre des sophistes qui autorisaient le vice, la calomnie et l’homicide.

719. (1895) Hommes et livres

Comme s’il n’y avait eu dans l’ancienne France que la société polie et la cour ! […] Quelle relation existe entre la société polie et la littérature classique ? […] Ce jour-là se révèle le mal profond, et peut-être irrémédiable, de notre société. […] Et leurs fortunes au théâtre ont été aussi diverses qu’elles le sont dans la société. […] Taine pour décrire la société de l’ancien régime, ont puisé leurs renseignements.

720. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Le xvie  siècle avait été dans son ensemble une vaste décomposition de l’ancienne société religieuse, catholique, féodale, l’avénement de la philosophie dans les esprits et de la bourgeoisie dans la société. […] Le xvie  siècle eut pour mission de réparer ce désordre, de réorganiser la société, la religion, la résistance ; à partir d’Henri IV, il s’annonce ainsi, et dans sa plus haute expression monarchique, dans Louis XIV, il couronne son but avec pompe. […] Aujourd’hui que nous jugeons les choses à distance et par les résultats dégagés, Molière nous semble beaucoup plus radicalement agressif contre la société de son temps qu’il ne crut l’être ; c’est un écueil dont nous devons nous garder en le jugeant. […] Plaute avait-il une arrière-pensée systématique quand il se jouait de l’usure, de la prostitution, de l’esclavage, ces vices et ces ressorts de l’ancienne société ? […] Mais son goût du théâtre l’emporta décidément, et, revenu à Paris, après avoir hanté, dit-on, les tréteaux du Pont-Neuf, suivi de près les Italiens et Scaramouche, il se mit à la tête d’une troupe de comédiens de société, qui devint bientôt une troupe régulière et de profession.

721. (1927) Des romantiques à nous

Un original, un amateur, tellement séduit par sa liberté d’imagination, sinon d’action, qu’il en a refusé de s’engager dans aucune des voies régulières de la société, afin de muser dans leurs intervalles, et auquel la société pourra gracieusement octroyer sa pitance, s’il l’amuse, mais sans la lui assurer par contrat Un rêveur, un épicurien de la rêverie et du vagabondage qui pourra être un grand poète comme Jean-Jacques, un mélange de grand poète et de paresseux charmant comme Gérard de Nerval, ou simplement un raté distingué, un bohème pittoresque… Il faut à la société quelques êtres a-sociaux (je ne dis pas anti-sociaux) de cette sorte, pour la détendre. […] Seulement, comme ils sont fort intelligents, ce « tout » qu’ils désirent, ils ne jugent pas que la société le leur doive ni qu’elle pèche contre Dieu en ne venant pas le déposer à leurs pieds. […] La lutte des partis, des doctrines, prend une place importante dans la société. […] Pour qui ne borne pas ses regards à une élite assez peu nombreuse, mais les étend à la masse de la société, il ne s’en est pas vu encore d’aussi puissante que la religion. […] Il a pu y avoir à toute époque des ouvrages qui cherchaient leur clientèle dans la partie ignorante de la société, comme il y a aujourd’hui des feuilletons écrits pour les midinettes et les concierges.

722. (1842) Discours sur l’esprit positif

Quoique cette première forme de la philosophie théologique se retrouve avec évidence dans l’histoire intellectuelle de toutes nos sociétés, elle ne domine plus directement aujourd’hui que chez la moins nombreuse des trois grandes races qui composent notre espèce. […] La philosophie théologique n’a été, pendant l’enfance de l’Humanité, la seule propre à systématiser la société que comme étant alors la source exclusive d’une certaine harmonie mentale. […] Pour lui, l’homme proprement dit n’existe pas, il ne peut exister que l’Humanité, puisque tout notre développement est, dû à la société, sous quelque rapport qu’on l’envisage. Si l’idée de société semble encore une abstraction de notre intelligence, c’est surtout en vertu de l’ancien régime philosophique ; car, à vrai dire, c’est à l’idée d’individu qu’appartient un tel caractère, du moins chez notre espèce. […] Ces derniers sont seuls immédiatement aux prises avec la nature, tandis que les premiers ont surtout affaire à la société.

723. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIe entretien. L’homme de lettres »

D’abord perdu dans les plus basses classes de la société, puis jeté au milieu d’un monde corrompu, il apprit à mépriser les grands et les petits ; mais il ne put apprendre à se passer de leur estime. […] Aimé Martin et sa charmante femme formaient le fond de cette société de philosophes. […] Comme les plus accrédités d’entre eux n’avaient pas rougi de se déclarer publiquement athées, je me suis trouvé dans la nécessité de combattre leur système destructeur de toute morale et de toute société. […] Il y va de la vérité fondamentale de toute société humaine, du frein à imposer aux méchants qui se feraient une autorité de votre silence, et du repos des gens de bien qui en frémiraient. […] Au milieu de nos sociétés divisée par tant de préjugés, l’âme est dans une agitation continuelle ; elle roule sans cesse en elle-même mille opinions turbulentes et contradictoires, dont les membres d’une société ambitieuse et misérable cherchent à se subjuguer les uns les autres.

724. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Ce sont là les grandes causes, car ce sont les causes universelles et permanentes, présentes à chaque moment et en chaque cas, partout et toujours agissantes, indestructibles et à la fin infailliblement dominantes, puisque les accidents qui se jettent au travers d’elles, étant limités et partiels, finissent par céder à la sourde et incessante répétition de leur effort ; en sorte que la structure générale des choses et les grands traits des événements sont leur œuvre, et que les religions, les philosophies, les poésies, les industries, les formes de société et de famille, ne sont, en définitive, que des empreintes enfoncées par leur sceau. […] La race a émigré, comme l’ancien peuple aryen, et le changement de climat a altéré chez elle toute l’économie de l’intelligence et toute l’organisation de la société. […] La famille est un État naturel, primitif et restreint, comme l’État est une famille artificielle, ultérieure et étendue ; et sous les différences qu’introduisent le nombre, l’origine et la condition des membres, on démêle, dans la petite société comme dans la grande, une même disposition d’esprit fondamentale qui les rapproche et les unit. […] La question posée en ce moment est celle-ci : Étant donné une littérature, une philosophie, une société, un art, telle classe d’arts, quel est l’état moral qui la produit ? […] Il y a un système particulier d’impressions et d’opérations intérieures qui fait l’artiste, le croyant, le musicien, le peintre, le nomade, l’homme en société ; pour chacun d’eux, la filiation, l’intensité, les dépendances des idées et des émotions sont différentes ; chacun d’eux a son histoire morale et sa structure propre, avec quelque disposition maîtresse et quelque trait dominateur.

725. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

N’est-il donc point au xve  siècle de ces sentiments généraux, qui font courir à travers une société, du haut en bas, une commune aspiration à quelque idéale et hautaine manière d’être ou d’agir ? […] Il habitait chez son père adoptif, où il trouvait une honnête et point trop grave société de gens d’église et, gens de loi. […] Mais il hantait la pire société, fils de famille endettés, clercs débauchés ; de la Pomme de Pin à l’hôtel de lu Grosse Margot, il n’était cabaret, et pire, qu’il ne connût. […] Et dans l’incompréhensible fatalité à laquelle nul ne se dérobe, ce pauvre diable qui a vécu dans les sales dessous de la société, saisit une grande et pathétique leçon d’égalité : mais c’est le corps encore qui la lui donne, l’entassement indiscernable des squelettes et des crânes dans les charniers ; ce sont les ossements anonymes, également nus, décharnés, dégoûtants. […] Leyde, 1882 ; Un Poète inconnu de la société de Fr.

726. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Additions et appendice. — Treize lettres inédites de Bernardin de Saint-Pierre. (Article Bernardin de Saint-Pierre, p. 420.) » pp. 515-539

Randon, et à toute la charmante société. […] Vous croiriez que j’en ai beaucoup, car je suis sans cesse dans les plus aimables et les plus brillantes sociétés du monde ; eh bien ! […] Faites-moi part de tout ce qui vous regarde, de vos affaires, de votre économie, de vos plaisirs, de votre société ; rien ne m’est indifférent de votre part. […] Si je vous parlais de ma société, elle n’aurait rien de digne de vous. […] Il n’y a point ici de société.

727. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Daru était au camp de Boulogne, et cette lettre peint assez bien le mouvement de la petite société littéraire dans son temps de parfaite union : Nos déjeuners ont recommencé le dimanche 14 (brumaire). […] La société se gâta bientôt en s’étendant. […] Daru alors en Allemagne, en Westphalie (août 1808), et lui apprenant que « les bons Parisiens sont menacés de quatre grandes, comédies en vers », d’Andrieux (Les Deux Vieillards), de Picard (Les Capitulations), de Lemercier (Le Faux Bonhomme), et de lui-même Duval qui se met à lui citer des vers de son Aventurière, et qui regrette de ne le pouvoir consulter plus en détail : « Je me rappelle vos observations sur Le Tyran domestique, ajoute-t-il ; elles m’ont contrarié sans doute, mais j’en ai profité. » D’un caractère à part dans ce groupe des amis d’alors ; ombrageux, jaloux, très sensible à la critique, mais doué d’une certaine force de conception dramatique et de la faculté d’intéresser, Alexandre Duval, Breton de naissance, se pliait malaisément au ton de la petite société des dimanches ; il dépassait un peu par sa chaleur et sa poussée d’imagination l’ordre de critiques de style et d’observations de détail si goûtées d’Andrieux et de ses dociles émules. […] Pour être complet, je me contenterai d’indiquer du doigt un troisième groupe encore, celui qui se rattachait plus particulièrement à la société d’Auteuil et au monde philosophique, les littérateurs plus ou moins républicains de l’époque du Directoire, les Ginguené, les Chénier, les Daunou, les Tracy.

728. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Je ne fais qu’indiquer un portrait du général ministre Grumbkow, persécuteur odieux de Frédéric et de sa sœur : dans son duel avec le prince d’Anhalt, elle le montre effaré et tremblant, et rappelle toutes les autres preuves qu’il avait données de la même disposition, soit à la bataille de Malplaquet, où il était resté dans un fossé pendant tout le temps de l'action, soit au siège de Stralsund, où il s’était démis fort à propos une jambe dès le commencement de la campagne, ce qui le dispensa d’aller à la tranchée : « Il avait, conclut-elle, le même malheur qu’eut un certain roi de France, qui ne pouvait voir une épée nue sans tomber en faiblesse61 ; mais, excepté tout cela, c’était un très brave général. » Et ailleurs, montrant le roi son père qui ne s’accommodait pas des manières polies et réservées du prince héréditaire de Bareith, tout en le lui donnant pour mari : « Il voulait un gendre, dit-elle, qui n’aimât que le militaire, le vin et l’économie. » Certes, dans une société idéale où l’on se figure réunis les Caylus, les Hamilton, les Grammont, les Sévigné, les Coulanges, les Saint-Simon, les Staal de Launay, les Du Deffand, la margrave n’eut pas été hors de sa place ni dans l’embarras ; elle eût trouvé bien vite à payer son écho par maint trait d’esprit et de raillerie bien assénée, qui eût été applaudi de tous et de toutes, de même que son frère, en causant, n’était en reste de mots excellents ni avec Voltaire, ni avec personne ; mais à la lecture, et eu égard au genre et à la nature des tableaux, elle garde sa couleur étrange et son accent exotique. […] Douée de la plus heureuse intelligence, d’un esprit plein de lumière et de saillies, d’une mémoire merveilleuse, de bons et droits sentiments, d’une belle âme faite pour la vertu, jolie dans sa jeunesse avant que le mal l’eût détruite, et ornée de grâces naturelles, elle fut pourtant dès l’enfance une des personnes les plus malheureuses, les plus cruellement maltraitées qui se puissent voir dans aucune classe de la société (je n’excepte pas la plus inférieure), et elle eut de tout temps une existence souffrante et tourmentée, avec bien peu de doux moments. […] Elle avait de la philosophie dans le meilleur sens du mot, et, avec le sentiment de ce qu’elle était et la volonté de ne condescendre à rien d’indigne, elle souhaitait avant tout une vie sérieuse et tranquille, l’étude, les beaux-arts et la musique, les charmes de la société. […] Ces gens n’ont d’esprit que dans la société ; ils sont sévères sur leurs ouvrages pour ne point être critiqués par d’autres, et indulgents sur leur conduite, qui d’ordinaire est ridicule, et qu’ils croient ne point passer à la postérité.

729. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Oeuvres inédites de la Rochefoucauld publiées d’après les manuscrits et précédées de l’histoire de sa vie, par M. Édouard de Barthélémy. »

On l’a beaucoup loué, il y a trois ou quatre ans, pour avoir réimprimé un recueil de Portraits de société du XVIIe siècle, dont un petit nombre sont vraiment curieux, et la plupart d’une fadeur, d’une insipidité écœurante. […] En nous parlant du La Rochefoucauld de la fin, de celui qui n’était plus que l’auteur des Maximes et le plus aimable homme de la société, vous dites : « Il paraît aussi désormais s’être médiocrement occupé de la politique, quoique cependant il ait encore demandé, en 1666, la place de gouverneur du Dauphin… » Mais est-ce que c’était s’occuper de politique que de désirer la charge de gouverneur du Dauphin ? […] « M. de La Rochefoucauld avait l’esprit trop élevé, l’intelligence trop haute, le sens moral trop profond pour ne pas être un catholique véritable ; la société au milieu de laquelle il vivait était essentiellement chrétienne, et, on aura beau faire, il faudra nous laisser cette grande illustration et renoncer à la joindre à la cour, trop brillante malheureusement, de l’incrédulité. » Rien n’est plus estimable que d’être catholique fidèle et docile, surtout si l’on est à la fois chrétien de cœur ; je suis loin de prétendre que l’élévation de l’intelligence ne fût point compatible, en ce grand siècle, avec la croyance régnante, et l’on y eut d’assez beaux exemples de cette concorde et de cette union ; mais, en vérité, raisonner comme vous le faites, avec cette légèreté, cette sérénité imperturbable, et trancher ainsi une question de foi chez un moraliste de cet ordre et de cette école, chez un raffiné de la qualité et de la trempe de M. de La Rochefoucauld, c’est montrer que vous ne vous doutez même pas de la difficulté. […] M. de La Rochefoucauld fit les siennes ; il y prit goût ; il eut l’idée d’y mettre en entier les résultats de sa philosophie et de son expérience, et c’est ainsi que de simples jetons de société sont devenus par lui des médailles immortelles.

730. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Idées et sensations : par MM. Edmond et Jules de Goncourt. »

Après tout, en parlant ainsi, c’est pour leurs goûts et leurs préférences, c’est pour leur art favori, c’est pour leur maison qu’ils plaident : « Lire les auteurs anciens, quelques centaines de volumes, en tirer des notes sur des cartes, faire un livre sur la façon dont les Romains se chaussaient, ou annoter une inscription — cela s’appelle l’érudition ; on est un savant avec cela ; on est de l’Institut, on est sérieux, on a tout : mais prenez un siècle près du nôtre, un siècle immense ; brassez une mer de documents, trente mille brochures, deux mille journaux, tirez de tout cela non une monographie, mais le tableau d’une société, vous ne serez rien qu’un aimable fureteur, un joli curieux, un gentil indiscret. […] l’art, parce qu’il doit surtout satisfaire les artistes, c’est-à-dire les connaisseurs, doit-il donc se condamner ainsi à ne plaire qu’à eux, à eux seuls, à déplaire nécessairement aux bourgeois (ce mot va loin), à la moyenne du public, à l’ensemble d’une société, à nos semblables ? […] Mais je préfère à toute autre page du recueil le morceau final où MM. de Goncourt se montrent bien tels qu’ils sont dans l’habitude, plus amis de l’intimité que du grand monde, et plus amis surtout de la société que de la nature. […] Et quelle joie dénaturé égale cette joie de société que l’homme se fait ? 

731. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

On aurait tort de croire qu’il y a faiblesse et perte d’esprit à regretter ces agréments envolés, ces fleurs qui n’ont pu naître, ce semble, qu’à l’extrême saison d’une société aujourd’hui détruite. […] La société moderne, lorsqu’elle sera un peu mieux assise et débrouillée, devra avoir aussi son calme, ses coins de fraîcheur et de mystère, ses abris propices aux sentiments perfectionnés, quelques forêts un peu antiques, quelques sources ignorées encore. […] Marie-Joseph Chénier a écrit sur Mme de Souza, avec la précision élégante qui le caractérise, quelques lignes d’éloges applicables particulièrement à Eugène : « Ces jolis romans, dit-il, n’offrent pas, il est vrai, le développement des grandes passions ; on n’y doit pas chercher non plus l’étude approfondie des travers de l’espèce humaine ; on est sûr au moins d’y trouver partout des aperçus très-fins sur la société, des tableaux vrais et bien terminés, un style orné avec mesure, la correction d’un bon livre et l’aisance d’une conversation fleurie…, l’esprit qui ne dit rien de vulgaire, et le goût qui ne dit rien de trop. » Mais indépendamment de ces louanges générales, qui appartiennent à toute une classe de maîtres, il faut dire d’Eugène de Rothelin qu’il peint le côté d’un siècle, un côté brillant, chaste, poétique, qu’on n’était guère habitué à y reconnaître. […] Elle s’instruisit par la société, par le monde ; elle s’exerça à voir et à sentir dans un horizon tracé.

732. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. L’Histoire »

Il faut voir avec quelle sûreté d’analyse, et quelle subtilité habile à se déguiser sous une sévère exactitude, Guizot étudie les quatre éléments de la société du moyen âge : aristocratie féodale, Église, royauté, communes, en conduit les relations et les progrès, de façon à faire apparaître le régime de 1830 comme le couronnement nécessaire et légitime de toute l’Histoire de France. […] La haute conception qui jadis avait permis à Bossuet d’étudier si librement les sociétés païennes de l’antiquité, et de rechercher les causes physiques ou morales des événements, la croyance au gouvernement de la Providence, a mis Tocqueville à l’aise : assuré que la France allait où Dieu la menait, il a regardé sans haine et sans désespoir la civilisation issue de la Révolution. […] Ce progrès a frappé Tocqueville comme le fait caractéristique de la société nouvelle. […] Quand il abordait l’histoire de France, il voyait dans l’affranchissement des communes « une véritable révolution sociale, prélude de toutes celles qui ont élevé graduellement la condition du Tiers État » : remontant plus haut, il crut trouver dans l’invasion franque « la racine de quelques-uns des maux de la société moderne : il lui sembla que, malgré la distance des temps, quelque chose de la conquête des barbares pesait encore sur notre pays, et que des souffrances du présent on pouvait remonter, de degré en degré, jusqu’à l’intrusion d’une race étrangère au sein de la Gaule, et à sa domination violente sur la race indigène ».

733. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Il nous parle de cette « aristocratie submergée qui se maintient, vaille que vaille, à la surface de notre société remuée — dont elle pourrait bien n’être que l’écume, quoiqu’elle affiche assez volontiers la prétention d’en être la crème. » Il ne dissimule point que la vie qu’on mène là est « nulle et attirante comme le vide », ni que les membres de cette confrérie flottante ne sont point tous des modèles de grâce et de distinction : Quand ils furent assis côte à côte sur deux de ces chaises de louage si bêtement alignées pour le plus interminable des divertissements chorégraphiques, ils furent frappés en même temps de la vulgarité d’ensemble de cette pépinière de mondains et de mondaines. […] La fâcheuse franchise, mortelle aux fictions, avec laquelle il juge la société mondaine, il la retrouve dans cette société même, comme une cause de dissolution : … Après le monologue, des trépignements de joie, auxquels se mêlèrent, il est vrai, bon nombre d’appréciations résumées d’un mot par des gommeux pleins de bon sens : Idiot ! […] Tout le monde s’ennuyait à fond et presque franchement  La franchise et le besoin de vérité, qui sont l’honneur et font l’ennui de notre époque, condamnent à une mort prochaine les débris à peine vivants de la société.

734. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

Les scènes de « La fenaison » offrent un tableau plein de charme et de grâce assurément, mais on y voit tout à côté cet éternel plaidoyer entre la société et la nature, entre les gens de loisir et les gens du peuple ou de labeur, ceux-ci ayant invariablement l’avantage. […] On y peut voir aussi, à quelques-unes de ses paroles, une protestation contre la société au nom des êtres disgraciés et intelligents ; mais, ici, toutes ces idées sont arrêtées à point et revêtues de formes si vivantes, si gracieuses et si peu philosophiques, qu’on n’a le temps ni l’envie de les discuter. […] Ici du moins le rôle de l’homme n’est pas subordonné ni sacrifié ; mais c’est à titre de revanche pour le pauvre enfant trouvé, et parce que la société l’avait sacrifié déjà. […] La marquise de Rambouillet avait coutume de dire : « Les esprits doux et amateurs des belles-lettres ne trouvent jamais leur compte à la campagne. » Cette impression a duré longtemps ; tout le xviie  siècle et une partie du xviiie en sont restés plus ou moins sur cette idée de Mme de Rambouillet, qui est celle de toute société polie et, avant tout, spirituelle.

735. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

La voilà donc à dix-sept ans (1652), dans sa première fleur de beauté, mariée à un mari infirme et qui ne pouvait lui être de rien, au milieu d’une société joyeuse et la moins scrupuleuse de propos comme de mœurs : il lui fallut tout un art précoce et un sentiment vigilant pour se faire considérer et respecter de cette jeunesse de la Fronde. […] Nous n’avons qu’une partie de son esprit dans ses lettres, le goût, le bon ton, la raison parfaite et le tour parfois piquant ; mais ce qui animait la société, cet enjouement qu’elle mêlait discrètement à ses récits, à ses histoires, ce qui pétillait de brillant et de fin sur son visage quand elle parlait d’action, comme dit Choisy, tout cela a disparu et ne s’est point noté. […] Les femmes m’aimaient parce que j’étais douce dans la société, et que je m’occupais beaucoup plus des autres que de moi-même. […] L’esprit de Mme de Maintenon, très juste également, ne l’était aussi que dans un cercle restreint, pour les choses de famille et de société, pour ce qui se passait dans l’intérieur d’une chambre : elle ne voyait pas et ne prévoyait pas au-delà de la muraille.

736. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Par une délicatesse qui égalait et surpassait toutes les excuses, Le Barbier de Séville fut joué au Petit Trianon par la société intime de la reine, le 19 août (1785), et les acteurs étaient la reine elle-même dans le rôle de Rosine, le comte d’Artois dans celui de Figaro, M. de Vaudreuil faisant Almaviva, etc. […] Les actions de la société avaient été portées fort haut, et peut-être d’une manière artificielle. […] Beaumarchais entra dans la lice, défendant la société et les administrateurs ; je crois qu’au fond il avait complètement raison. […] Toute cette société se mit donc en mouvement pour la pauvre femme, et Beaumarchais en tête, un peu Don Quichotte de philanthropie, on le voit : J’offris la main, ajoute-l-il, à Mme la princesse de Nassau pour aller chez M. 

737. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Pour être utile, il faut être agréable, et j’ose espérer que le tribut que je devais à Dieu et aux hommes plaira à mon siècle. » Et en effet, les Études de la nature, qui furent publiées en décembre 1784, étaient faites exprès pour le siècle même et pour l’heure où elles parurent, pour cette époque brillante et paisible de Louis XVI, après la guerre d’Amérique, avant l’Assemblée des notables, quand une société molle et corrompue rêvait tous les perfectionnements et tous les rajeunissements faciles, sans vouloir renoncer à aucune de ses douceurs. Bernardin de Saint-Pierre, dont le plan embrassait « la recherche de nos plaisirs dans la nature et celle de nos maux dans la société », prenait ce beau monde par son faible, et le flattait, même en le critiquant. […] La dernière partie des Études est plutôt relative à la société, à ses maux, et aux remèdes que propose l’auteur. […] Là-dessus cette société gracieuse et sentimentale s’émut : on imagina de faire à ce chien chéri des funérailles, un petit tombeau avec branche de saule pleureur à la Jean-Jacques.

738. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Marguerite, reine de Navarre. Ses Nouvelles publiées par M. Le Roux de Lincy, 1853. » pp. 434-454

La conversation élégante date de plus loin qu’on ne suppose ; la société polie a commencé plus tôt qu’on ne croit. Le caractère de la conversation comme nous l’entendons en société, et ce qui la distingue chez les modernes, c’est que les femmes y ont été admises ; et c’est ce qui fait qu’au Moyen Âge, aux beaux moments, dans certaines cours du Midi, en Normandie, en France ou en Angleterre, il a dû y avoir de la conversation charmante. […] Tel est le ton de société que les nouvelles de Marguerite de Navarre nous rendent d’autant plus naïvement que le but n’en est nullement déshonnête. […] C’est à ce point précis de la société, et pour ce monde devenu plus chatouilleux, que La Fontaine a donné le précepte encore plus sûrement que l’exemple, en d’agréables vers souvent cités : Qui pense finement et s’exprime avec grâce        Fait tout passer, car tout passe ;        Je l’ai cent fois éprouvé :        Quand le mot est bien trouvé, Le sexe, en sa faveur, à la chose pardonne : Ce n’est plus elle alors, c’est elle encor pourtant.

739. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Nul, maintenant qu’Émile Augier est mort, ne tentera plus de raconter les douleurs, les joies, les défaillances, les passions et les préjugés d’une classe, d’une caste qui disparaîtra un jour dans l’affairement compliqué, le fracas et l’instabilité de nos sociétés modernes. […] Il a compris et il a dit, en de rudes apostrophes, quel rôle dissolvant l’argent — le nitrate d’argent — jouait dans la désorganisation, dans la désagrégation de la société bourgeoise. […] S’il n’a point l’œil assez vaste, le regard assez puissant, pour voir, d’ensemble, la société qui s’agite à ses pieds, il s’attachera à en étudier la fraction qui, par son importance sociale, son intelligence, son éducation, le rôle qu’elle a joué a le plus d’affinités avec lui-même. […] La nouvelle formule grandissait avec lui : l’observation exacte, la vie réelle mise à la scène, la peinture de notre société, en une langue sobre et correcte.

740. (1874) Premiers lundis. Tome II « Hippolyte Fortoul. Grandeur de la vie privée. »

Dans une Introduction, l’auteur raconte somment, en un château assez voisin de Paris, chez le duc de…, qui, par ambition, s’est fait partisan très avancé des idées nouvelles, une société nombreuse, composée de militaires, de députés, d’artistes, de journalistes, se met à discuter un soir le grand sujet à la mode, à savoir si la source du progrès est dans la vie publique et sociale, ou s’il la faut chercher au foyer domestique. […] Et puis toute cette société réunie dans le château nous est donnée comme très factice, très bigarrée, très déplaisante en somme, et elle doit l’être. […] Lui aussi, il veut dire à la société ce qu’il pense d’elle ; il veut essayer si son esprit ne serait point par hasard le pivot sur lequel ce siècle doit tourner. » Simiane se déclare alors, et, pour le guérir du fatal projet, après avoir consulté Juliette du regard, il raconte sa propre histoire.

741. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre IV. Littérature dramatique » pp. 202-220

Qu’il soit l’esclave du luxe, de la frivolité et de la spéculation industrielle, comme dans notre société aveulie, et le théâtre ne sera guère autre chose que le reflet chatoyant et trompeur des vices, des ignorances et des lâchetés d’une époque. […] Le théâtre actuel est l’image docile et passive de l’histoire et de la société ambiante. Le théâtre de l’avenir remoulera l’homme et la société à son image.

742. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Police générale d’une Université et police, particulière d’un collège. » pp. 521-532

Rien n’est plus funeste à la société que ce dédain des pères pour leur profession et que ces émigrations insensées d’un état dans un autre. […] Un des vices de notre éducation, c’est de ne mener à rien, à aucun des grades de la société. […] Si la place d’un maître est importante par son honoraire et par son rang distingué entre les conditions de la société, si cet honoraire est toute sa ressource, s’il se déshonore et se ruine en perdant son état, il en aura ou en simulera les vertus.

743. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Berlin avait vu naître une secte qui s’appela plus tard la secte d’Avignon et qui fut suivie de la grande société des « Éclaireurs » (Aufklærer), laquelle se répandit dans l’Allemagne entière et jusque sur les pics de la Suisse. […] Pénétré, dès sa jeunesse, des influences fatalement mystiques d’une société qui, comme le dit excellemment M.  […] En les lisant, on est surtout frappé de cette idée que le dix-huitième siècle, dans sa haine contre le catholicisme, n’a pas seulement trouvé, pour la servir, des raisonneurs et des impies, comme l’affreuse société qui soupait contre Dieu chez d’Holbach, mais aussi des âmes d’élite, des cœurs tendres, aux intentions pures, de nobles esprits qui croyaient au ciel.

744. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Marie Desylles » pp. 323-339

Évidemment trop pures pour une société grossière sous ses fausses élégances, ces lettres virginales restèrent dans leur obscurité vierge. […] Elle est moins céleste ; elle est plus humaine… Elle est d’un autre temps et d’une autre société… Elle est de notre siècle, à nous, avec les développements d’esprit et de passion de notre siècle. […] J’ai bien compris qu’une femme, à une certaine hauteur d’éducation et de société, et qui aime, ne peut pas s’empêcher d’aimer avec toutes les facultés qu’elle a, — et à travers toutes les occupations de sa vie.

745. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

En obéissant à son goût naturel et réfléchi, M. de Latena cependant ne s’y est point laissé aller comme un simple amateur ; il n’a pas jeté au hasard et sans suite les remarques que lui suggérait l’étude de l’homme ou le spectacle de la société, et, sans enchaîner précisément toutes ses notes et ses aperçus dans une combinaison de chapitres se succédant avec méthode et transition, il a tenu à y établir un ordre général qui maintient la liaison des principales parties ; il a fait et voulu faire un ouvraget ; il a eu tout le respect du sujet qu’il traitait. […] Dans ces commencements on reconnaît un esprit droit et sage qui a essayé de se rendre compte par lui-même de ces problèmes les plus élevés, sur lesquels il est bon d’avoir une solution avant d’en venir à l’étude particulière de l’homme en société.

746. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XI » pp. 39-46

L'un des traits les plus singuliers et les plus réguliers de la société de Paris, c’est que tous les quinze jours environ on a un sujet, un lieu commun de conversation nouveau, grand ou petit, comète ou révolution, tremblement de terre ou vente de charité, ou question d’Orient, ou Colomba, ou Lucrèce : on cause partout de la même chose, l’invention est rare, même pour les sujets de conversation ; chaque personne qui entre remet sur le tapis l’éternel dada. […] Mais rien de gravement menaçant au fond pour une nation, pour une société qui les secouera d’un revers de main le jour où ils oseraient oublier qu’ils n’ont jamais été chez eux en terre de France.

747. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre XI. De l’ignorance de la langue. — Nécessité d’étendre le vocabulaire dont on dispose. — Constructions insolites et néologismes »

Quant au vocabulaire, il faut distinguer entre les sens et les mots nouveaux que la mode met en vogue, qui tiennent à ce qu’il y a de plus fugitif, de plus léger dans les mœurs et les idées d’une époque, et les acquisitions définitives du langage, qui répondent aux mouvements décisifs de l’esprit, et aux transformations réelles de la société. […] Il faut posséder assez bien sa langue, avoir dans le cerveau un dictionnaire assez complet, pour que l’intelligence puisse concevoir toutes les idées et profiter de l’expérience des siècles, accumulée et déposée dans les mots, sans être obligée de refaire pour son compte l’œuvre des sociétés primitives, où chaque pensée, lentement, péniblement conçue, aboutissait à créer son expression.

748. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Les sociétés modernes sortiront-elles de la crise où elles sont engagées ? […] N’oubliez jamais que, par votre éducation exceptionnelle, vous avez des devoirs plus stricts que les autres envers la société dont vous faites partie.

749. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIX » pp. 207-214

On peut distinguer dans les courtisans, comme dans toutes les classes de la société, l’élite, le vulgaire et la lie. […] Il l’était enfin quand il dégageait la profession de médecin de son avidité sordide et de sa funeste charlatanerie, lui imposait de saines études et un désintéressement sans lequel cette profession honorable est ignoble et pernicieuse à la société.

750. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Voiture, et Benserade. » pp. 197-207

Son plus grand talent étoit pour l’ordonnance d’une fête, pour les vers de société. […] Point de cotterie, point de société de bel-esprit, qui n’ait fait cent fois leur parallèle.

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