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1169. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Il a fait un livre d’une teinte grise, livre le plus dénué de poésie et de couleur, mais d’une observation générale des plus vraies et tristement éternelle.

1170. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Il m’a paru quelquefois à regretter que le livre destiné à devenir classique, une fois mis en lumière, une fois livré au public et imprimé, on ne détruisît pas tous les manuscrits, tous les moyens d’un contrôle éternel et toujours renaissant ; qu’il n’y eût pas un règlement définitif et un arrêté de compte qui permît ensuite à l’admiration toute sa sécurité et son entière plénitude.

1171. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Biot. Mélanges scientifiques et littéraires, (suite et fin.) »

Qu’est-ce, auprès de ces systèmes profonds, rigoureux, enchaînés, et d’une vérité éternelle, qui occupent la pensée d’un Newton ou d’un Laplace, que nos faibles observations passagères, nos remarques d’esprits fins et légers, sans suite, où le fil casse à chaque instant, nos aperçus rapides et fugitifs, ce que nous appelons traits d’esprit, saillies, reflets, étincelles aussitôt nées, aussitôt évanouies ?

1172. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Changez les noms, et mettez-en de plus modernes, si vous le voulez : l’épigramme est éternelle.

1173. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite et fin.) »

Ce sentiment éternel d’opposition et de mécontentement a extrêmement nui à ses œuvres ; car non seulement le malaise du poëte se communique au lecteur, mais toute œuvre d’opposition est une œuvre négative, et la négation, c’est le néant.

1174. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. » pp. 31-51

Elle n’est pourtant qu’à demi prêtresse ou plutôt elle n’est que dévote et, comme qui dirait, ayant le petit voile ; elle a été nourrie et a vécu jusque-là dans la contemplation, dans le culte de la déesse Tanit, l’éternelle Vénus, le principe femelle, de même que Moloch est le principe mâle.

1175. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Térence. Son théâtre complet traduit par M. le marquis de Belloy »

Images éternelles et vivantes !

1176. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Lettres d’Eugénie de Guérin, publiées par M. Trébutien. »

Dans le discours que Victor Hugo me fit l’honneur de m’adresser, quand il me reçut il y a vingt ans à l’Académie dont il était alors directeur, il eut à parler de Port-Royal, des personnages célèbres qui s’y rattachaient, des solitaires, et il les montra « cherchant dans la création la glorification du Créateur, et l’œil fixé uniquement sur Dieu, méditant les livres sacrés et la nature éternelle, la Bible ouverte dans l’église et le soleil épanoui dans les cieux. » C’était magnifique, mais à côté ; la description ne se rapportait pas exactement même aux plus grands des Jansénistes, cœurs profonds, mais à l’œil étroit et qui n’osaient regarder en face, la nature ni le soleil.

1177. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Entretiens sur l’histoire, par M. J. Zeller. Et, à ce propos, du discours sur l’histoire universelle. (suite.) »

Si l’on ne voit pas, dit-il, « que tous les temps sont unis ensemble, que la tradition du peuple juif et celle du peuple chrétien ne font qu’une seule et même suite, que les Écritures des deux Testaments ne font qu’un même corps et un même livre » ; si on n’y découvre pas « un dessein éternel toujours soutenu et toujours suivi » ; si on n’y voit pas « un même ordre des conseils de Dieu qui prépare dès l’origine du monde ce qu’il achève à la fin des temps, et qui, sous divers états, mais avec une succession toujours constante, perpétue aux yeux de tout l’univers la sainte Société où il veut être servi, on mérite de ne rien voir et d’être livré à son propre endurcissement comme au plus juste et au plus rigoureux de tous les supplices. » A un moment l’orateur impatient, le prédicateur se lève : « Qu’attendons-nous donc à nous soumettre ?

1178. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand »

Je ne l’aimai jamais, et je me reproche d’autant plus de n’avoir pas assez résisté à cette séduction ; je me blâme comme particulier, et encore plus comme législateur, qui croit que les vertus de la liberté sont aussi sévères que ses principes, qu’un peuple régénéré doit reconquérir toute la sévérité de la morale, et que la surveillance de l’Assemblée Nationale doit se porter sur ces excès nuisibles à la société en ce qu’ils contribuent à cette inégalité de fortune que les lois doivent tâcher de prévenir par tous les moyens qui ne blessent pas l’éternel fondement de la justice sociale, le respect de la propriété.

1179. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — Note »

Au nord-est, on voit des cimes couvertes d’une neige éternelle, mais de hauts sapins ombragent tous les rochers qui entourent le vallon.

1180. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

Les plus tendres de cœur à Rome apporteront Quelques fleurs des landiers pour réjouir ton front ; Mais là-bas, près des mers, sous ta sombre chapelle, Fête-les au retour, bon Saint, et souris-leur Quand sur ton humble autel ils mettront une fleur De la Ville éternelle.

1181. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

On peut la rappeler pour dire avec regret que ces printemps éternels ne l’ont pas.

1182. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

au moment où elle apprécie le mieux le dévouement et les mérites du pauvre Maisonrouge, c’est l’autre encore qu’elle regrette ; avec une âme si ferme, avec un esprit si supérieur, misérable jouet d’une indigne passion, elle fuit qui la cherche, et cherche qui la fuit, selon l’éternel imbroglio du cœur.

1183. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre IV. De l’amour. »

Une femme dans ces temps affreux, dont nous avons vécu contemporains ; une femme condamnée à mort avec celui qu’elle aimait, laissant bien loin d’elle le secours du courage, marchait au supplice avec joie, jouissait d’avoir échappé au tourment de survivre, était fière de partager le sort de son amant, et présageant, peut-être, le terme où elle pouvait perdre l’amour qu’il avait pour elle, éprouvait un sentiment féroce et tendre, qui lui faisait chérir la mort comme une réunion éternelle.

1184. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre VII. De l’esprit de parti. »

Mais quand la fluctuation des idées ramène les affaires au point juste et possible, la puissance, la considération de l’esprit de parti est finie, le monde se rassoit sur ses bases ; l’opinion publique honore la raison et la vertu ; et cette époque inévitable peut se calculer comme les lois de la nature ; il n’y a point de guerre éternelle, et point de paix cependant sous la dictée des passions, point de repos sans accord, point de calme sans tolérance, point de parti donc qui, lorsqu’il a détruit ses ennemis, puisse satisfaire ses enthousiastes.

1185. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Préface » pp. 1-22

On saisit là quelque chose d’éternel ; le fond immuable des êtres est atteint ; on a touché la substance permanente.

1186. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Mais la chanson n’est pas devenue une ode : ni le sentiment de la nature et la communication sympathique avec la vie universelle, ni la profonde et frémissante intuition des conditions éternelles de l’humaine souffrance, ni enfin l’intime intensité de la passion, et l’absorption de tout l’être en une affection, ne venaient élargir le couplet de danse en strophe lyrique.

1187. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre II. Le mouvement romantique »

« Les passions de l’âme et les affections du cœur, disait Hegel, ne sont matière de pensée poétique que dans ce qu’elles ont de général, de solide, et d’éternel. » Aussi le grand, le puissant lyrisme n’est-il pas celui par où le poète se distingue de tout le monde, mais celui qui en fait le représentant de l’humanité.

1188. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Or ces deux sentiments, confiance ou soumission à l’ordre éternel des choses, ont assurément un caractère religieux.

1189. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Il y a, dans cette gaieté mécanique, une tension féroce, la rage froide d’une éternelle déformation à la Daumier.

1190. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

Mais il faut, pour cela, que se brisent les derniers liens qui unissent le critique au journalisme, c’est-à-dire qui rabaissent sa mission, lui donnent un sens d’utilité immédiate, et prolongent à son sujet l’éternel malentendu : pas plus que le roman ou le théâtre, la critique n’est une carrière, mais une vocation de l’esprit.

1191. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VIII. Les écrivains qu’on ne comprend pas » pp. 90-110

« En prétendant négliger les accidents de temps et d’espace pour ne nous montrer que des vérités éternelles, vous méconnaissez une loi de la vie, qui est de réaliser l’universel, mais seulement dans les individus. » C’est au plus un reproche imputable aux romantiques, et plus exactement aux derniers classiques.

1192. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIX. Cause et loi essentielles des variations du gout littéraire » pp. 484-497

Musset frappé, après Diderot, de cette éternelle mobilité des apparences, de cette ronde fantastique où nous sommes emportés avec tout ce qui nous environne, s’écriait avec éloquence192 : Oui, le premier baiser, oui, les premiers serments Que deux êtres mortels échangèrent sur terre, Ce fut au pied d’un arbre effeuillé par les vents, Sur un roc en poussière.

1193. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Parlant, il y a quelque temps, d’Horace Walpole dans la Revue des deux mondes, et jugeant le roman et la tragédie que s’avisait de composer à un certain jour cet esprit distingué, M. de Rémusat y reconnaît bien quelques mérites d’idée et d’intention, mais il n’y trouve pas le vrai cachet original, et il ajoute avec je ne sais quel retour sur lui-même : « Le mot du prédicateur : Faites ce que je vous dis, ne faites pas ce que je fais, est l’éternelle devise des esprits critiques qui se sont mêlés d’inventer. » Si M. de Rémusat a, en effet, pensé à lui-même et à ses essais de drames en écrivant ce jugement, il a été trop sévère ; je suis persuadé que, pour être artiste, c’est-à-dire producteur d’ouvrages d’imagination, pleins d’intérêt, il ne lui a manqué que d’être un peu moins nourri dès son enfance dans le luxe fin de l’esprit, et d’être aiguillonné par la nécessité, cette mère des talents.

1194. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Despréaux, avec le plus grand nombre des écrivains de son temps. » pp. 307-333

Il ne fallut rien moins que le courage de Despréaux, & ses cris éternels contre le mauvais goût, pour renverser cette idole.

1195. (1876) Du patriotisme littéraire pp. 1-25

Nous savons bien qu’une langue ne sera jamais fixée ; mais pourtant nous paraît-il (avantageux qu’elle garantisse une. certaine stabilité sans être comme l’allemand sans cesse à l’état malléable, fluide pour ainsi dire, et, suivant une des expressions de la philosophie germanique, « dans un éternel devenir ».

1196. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre premier. Considérations préliminaires » pp. 17-40

Louis XVIII s’est donc mis réellement à la tête de son siècle ; seulement il a dû, et il a voulu, sauver le principe éternel des sociétés humaines, en concédant une Charte au lieu de la recevoir, en faisant remonter la date de son règne à la mort de l’enfant douloureux qui devait être roi.

1197. (1936) Réflexions sur la littérature « 6. Cristallisations » pp. 60-71

Ce livre n’a pas eu besoin d’être habillé de vert par Alcan pour exprimer une philosophie authentique et pour proposer sur l’éternel sujet des idées neuves et bien pesantes.

1198. (1856) Articles du Figaro (1855-1856) pp. 2-6

C’est ici le lieu de marquer l’éternel point de contact qui rapproche les théâtres en apparence les plus dissemblables le théâtre des Grecs et le théâtre de Louis XIV, celui de Shakespeare et celui des Allemands. […] C’est alors qu’il laisse éclater, dans leur nudité brutale, cette sceptique indifférence et ce mépris de l’humanité communs à tous ceux qui se croient appelés à gouverner leurs semblables. — Aux sommets d’où il la contemple, il prend en risée la vie sociale et flagelle la morale éternelle du revers de son éloquence. […] En vérité, je vous le dis, le ponsardisme est éternel, l’école du Bon Sens remonte aux premiers âges du monde, — mais son règne ne fut jamais mieux établi, plus universel et plus florissant que de nos jours. […] Outre que l’art aura fait un pas immense dans la voie de la vérité, les honnêtes gens y gagneront cet avantage de rompre avec les habitudes d’une sotte hypocrisie. — Par exemple, les écrivains ne seront plus obligés de refaire en tête de leurs préfaces cet éternel mensonge : « Chers lecteurs et belles lectrices » ; les bourgeois ne seront plus forcés de trouver leurs femmes charmantes, nécessité misérable qui dure depuis des siècles. […] Au lieu de finir par crier à la fausseté et au mensonge de ces redites éternelles, nous nous carrons avec fatuité dans notre stalle, et nous passons galamment sur notre menton les barbes de plume caressantes de l’amour propre.

1199. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

Le ridicule que je nomme éternel tient aux passions naturelles du genre humain, telles que l’envie, la jalousie conjugale, l’intérêt, la vanité, la peur, et les appétits grossiers. […] Vers excellents, qui impriment un ridicule éternel à toutes les sociétés d’Aristarques qui s’arrogent le droit de faire et défaire les renommées. […] Tant qu’on ne marquera pas bien tous les traits, toutes les couleurs, et jusqu’aux moindres nuances qui distinguent spécialement le ridicule éternel et éphémère, général et particulier, la comédie manquera de son relief principal, de son nerf et de sa vie, et l’on ne nous fera pas assez rire pour n’avoir plus à pleurer Molière. […] Revoyez son théâtre, et comptez le nombre de ses pièces marquées au coin de ce ridicule éternel qui touche directement les maris, vous vous assurerez qu’il surpasse le nombre de ses drames où sont raillés les autres ridicules. […] Ces faiblesses produisent encore les ridicules éternels de l’intérêt, de l’avarice, et de la confiance aveugle à la médecine.

1200. (1842) Discours sur l’esprit positif

Son indépendance fondamentale et même son ascendant normal résultèrent enfin, autant qu’il était alors possible, du régime monothéique propre au Moyen Âge : cet immense service social, dû surtout au catholicisme, formera toujours son principal titre à l’éternelle reconnaissance du genre humain. […] L’esprit métaphysique, qui a souvent tendu à dissoudre activement la morale et l’esprit théologique, qui, dès longtemps, a perdu la force de la préserver, persistent néanmoins à s’en faire une sorte d’apanage éternel et exclusif, sans que la raison publique ait encore convenablement jugé ces empiriques prétentions. […] Les chimériques espérances inhérentes à l’ancienne philosophie ont trop souvent conduit, au contraire, à négliger avec dédain de tels progrès, ou à les écarter par une sorte d’ajournement continu, d’après la minime importance relative que devait naturellement leur laisser cette éternelle perspective, immense compensation spontanée de toutes les misères quelconques. […] L’une peut, chaque jour, dans ses mille tribunes sacrées, préconiser, à son gré, l’excellence absolue de son éternelle doctrine, et vouer tous ses adversaires quelconques à une irrévocable damnation ; l’autre, dans les nombreuses chaires que lui entretient la munificence nationale, peut journellement développer, devant d’immenses auditoires, l’universelle efficacité de ses conceptions ontologiques et la prééminence indéfinie de ses études littéraires.

1201. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Le Monsieur n’aperçoit, lui, que le monde monotone, sans spectateur éternel. […] Tu n’es que ce que tu penses, pense donc éternel… « Ce qui passe ou change vaut-il qu’on se le rappelle ? […] S’il incarne un rêve plus élevé, plus près de la raison pure et de l’éternelle passion, ce sera Axel. […] Les tableaux qui suivront sont pris des sentiments et des monuments à la fois éternels et d’une minute de cette humanité à la fois stable et kaléidoscopique telle que la veut voir le poète. […] En écartant comme un léger rideau les faits proches, on retrouve l’éternelle et infinie complexité des passions, qui sont tout l’homme, toute la nature et qui ne varient guère que de mode.

1202. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Vivre sans gêne dans un loisir éternel, c’est la vie des bienheureux dans l’autre monde. » Il parle avec enchantement « du précieux farniente, de l’occupation délicieuse et nécessaire d’un homme qui s’est dévoué à l’oisiveté. » Vainement il avait cherché d’abord à se le dissimuler à lui-même, il y avait en lui un esprit de liberté que rien n’avait pu vaincre. […] Je songe à ceux qui, le matin de leurs jours, ont trouvé leur éternelle nuit ; ce sentiment me repose et me console, c’est l’instinct du soir. » Il examine alors les objections qui s’élèvent contre le suicide : les devoirs envers l’amitié, la patrie, l’humanité. […] Son seul grief contre ce sentiment c’est qu’il n’est point éternel, et que « ce n’est qu’un songe que le bonheur qui doit finir. » Ce n’est pas tout, au-dessus des amours terrestres le poète sent en lui un autre amour plus pur, plus vaste, l’amour de Dieu lui-même. […] Combien j’aime mieux l’attitude plus effacée d’une autre femme, Mlle Louise Bertin qui, dans ses Glanes (1842), a décrit avec talent nos éternelles aspirations vers un idéal qui nous échappe sans cesse, et le sentiment de la fragilité et de l’imperfection des bonheurs humains. […] Cet être invisible est dans tout, et sa voix remplit l’espace d’un éternel sanglot.

1203. (1930) Le roman français pp. 1-197

Si, comme il y en a des apparences, c’est à une involontaire suggestion produite par une ancienne lecture de La Nouvelle Héloïse que nous devons cette « présentation » de Julien, rien que cela nous imposerait une reconnaissance éternelle à Jean-Jacques. […] Type éternel, universel de la femme amoureuse et romanesque, mêlant la banalité à un besoin d’amour attendrissant. […] Mais non pas toutefois un animal comme les autres : dans les ténèbres où il avance, malgré les crimes qu’il commet, devant ses yeux faibles et vacillants, éternelle, inextinguible pourtant, une lumière : l’idée de Justice. […] Souvent, il semblerait suggérer : « Ceci n’est qu’un amusement passager ; seul le vers est fait pour l’éternel. » Il est alors à la fois nonchalant et vif, tragique avec ironie, ou plutôt une sorte de voluptueux dédain. […] Mais la vérité intérieure et suprême, c’est que le roman, avant tout, c’est des hommes et des femmes, éternels dans leurs passions toujours les mêmes, quoique vivant dans des conditions changées, et réagissant les unes sur les autres.

1204. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Molière »

Molière Il y a en poésie, en littérature, une classe d’hommes hors de ligne, même entre les premiers, très-peu nombreuse, cinq ou six en tout, peut-être, depuis le commencement, et dont le caractère est l’universalité, l’humanité éternelle intimement mêlée à la peinture des mœurs ou des passions d’une époque. […] Dans une épître adressée en 1669 au peintre Mignard, sur le dôme du Val-de-Grâce, Molière a fait une description et un éloge de la fresque qui s’applique merveilleusement à sa propre manière ; il y préconise, en effet ; Cette belle peinture inconnue en ces lieux, La fresque, dont la grâce, à l’autre préférée, Se conserve un éclat d’éternelle durée, Mais dont la promptitude et les brusques fiertés Veulent un grand génie à toucher ses beautés ! […] Plus cette mer d’oubli du passé s’étend derrière et se grossit de tant de débris, et plus aussi elle porte ces mortels fortunés et les exhausse ; un flot éternel les ramène tout d’abord au rivage des générations qui recommencent.

1205. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CLe entretien. Molière »

On n’avait fait à Bernardin de Saint-Pierre qu’un reproche envieux et injuste : on l’accusait, lui, homme sans fortune, d’avoir sollicité avec trop d’anxiété des libraires, de l’Académie, du gouvernement, des ministres, les modestes tributs que l’État accordait à son génie indigène ; mais on oublia qu’il n’avait aucun patrimoine que ce génie, qu’il avait à nourrir un enfant et une jeune épouse, qu’il sentait derrière lui, à peu de distance, la mort, épiant sa fin prochaine, les menacer d’un abandon éternel. […] Là, votre pruderie et vos éclats de zèle Ne furent pas cités comme un fort bon modèle ; Cette affectation d’un grave extérieur, Vos discours éternels de sagesse et d’honneur, Vos mines et vos cris aux ombres d’indécence Que d’un mot ambigu peut avoir l’innocence, Cette hauteur d’estime où vous êtes de vous, Et ces yeux de pitié que vous jetez sur tous, Vos fréquentes leçons et vos aigres censures Sur des choses qui sont innocentes et pures ; Tout cela, si je puis vous parler franchement, Madame, fut blâmé d’un commun sentiment. […] L’amour qui nous attache aux beautés éternelles N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles : Nos sens facilement peuvent être charmés Des ouvrages parfaits que le ciel a formés.

1206. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

Ses raisons pour conquérir ces grades le plus vite possible et pour se faire tuer, s’il le faut, à les mériter, il les dit ingénument, il ne les va point puiser dans de hautes régions métaphysiques : ce sont les motifs éternels qui, dès le temps d’Homère, dès le temps de Tyrtée, agissaient sur le cœur des hommes, et qui font de ceux qui y vibrent le mieux des héros. […] Mais il a touché le terme, et, comme dans l’épopée antique, le fantôme de la mort l’environne jusque durant sa victoire et se tient debout à ses côtés. « Si je triomphe, avait-il dit en s’embarquant, je ne resterai pas longtemps à jouir du succès ; j’aurai fait plus que ma tâche, et je laisserai le reste à faire à d’autres ; mon rôle sera fini dans ce monde, nous vivrons pour nous dans la retraite et le repos. » Il écrivait cela à la maréchale en se flattant peut-être ou plutôt en la flattant ; il n’y avait plus pour lui que l’éternel repos.

1207. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. BALLANCHE. » pp. 1-51

Ballanche, l’homme peut faire sa destinée ; mais il ne peut rien sur les destinées du genre humain ; Dieu, dans ses conseils éternels, saura bien se passer de vos pensées mûries avant le temps. […] Ballanche, cette pensée éternelle d’un hymen à la fois accordé et impossible, cette initiation au vrai et au bien par la chasteté et par la douleur : « La douleur, dit Orphée, sera le second génie qui m’expliquera les destinées humaines. » Chaque page nous offre des pensées de tous les temps, dans la magnificence de leur expression : « Souvenez-vous que les Dieux immortels couvrent de leurs regards l’homme voyageur, comme le ciel inonde la nature de sa bienfaisante lumière. » Et encore : « Toutes les pensées d’avenir se tiennent ; pour croire à la vie qui doit suivre celle-ci, il faut commencer par croire à cette vie elle-même, à cette vie passagère. » Enfin, les approches de la mort d’Orphée, les troubles et l’agonie orageuse de cette grande âme qui, comme toutes les âmes divines au terme, se croit un moment délaissée, ont une sublimité égale aux plus belles scènes des épopées modernes.

1208. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Charles Nodier »

Mais ces grands chemins, c’est-à-dire les admirations légitimes et consacrées, à mesure qu’on avance, on ne les évite pas impunément ; tout ce qui compte y a passé, et l’on y doit passer à son tour : ce sont les voies sacrées qui mènent à la Ville éternelle, au rendez-vous universel de la gloire et de l’estime humaine. […] Maugis ne diffère en rien du pur traître des vieux romans de chevalerie ou de ceux de l’éternel mélodrame.

1209. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (2e partie) » pp. 177-248

Thiers pervertirait ici la morale éternelle, si on n’en signalait pas le sophisme et le danger aux hommes. […] Bonaparte, mécontent d’une condamnation trop douce pour un crime d’État, se hâte de l’éloigner de la France et lui achète ses biens pour lui faciliter l’exil éternel.

1210. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CIXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (1re partie) » pp. 5-79

Ayant rendu à Sa Sainteté les actions de grâces qui lui étaient dues, je crus de mon devoir de lui en garder, ainsi qu’à sa famille, une éternelle reconnaissance. […] Condamné à un éternel exil de Rome, il choisit Livourne pour lieu de son ostracisme dans l’espoir de rejoindre Pie VI à la Chartreuse de Florence, pour adoucir la captivité de ce pontife.

1211. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIIe entretien. Madame de Staël. Suite. »

tout cela à la fois peut-être ; mais rien de cela n’est assez grand pour n’être pas dédaigné au besoin par une grande âme, et pour motiver l’éternelle désolation qui gémit depuis ce jour dans les écrits et dans les sanglots de madame de Staël. […] Les bosquets, les fleurs et les ruisseaux aux poëtes du paganisme ; la solitude des forêts, l’Océan sans bornes, le ciel étoilé peuvent à peine exprimer l’Éternel et l’infini dont l’âme des chrétiens est remplie.

1212. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Molière n’emprunte que ce qui appartient à la nature ; il le fait sien en le rapprochant, par les choses qu’il y change ou y ajoute, de l’éternel modèle. […] J’ai indiqué, pour Molière en particulier, les causes de cette éternelle jeunesse de la comédie.

1213. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

— L’être tend à croître dans son être ; et cette tendance, tantôt elle se nomme tendance à la perfection, tantôt désir du salut, tantôt progrès ; c’est la montée vers l’idéal, la recherche de l’absolu, le besoin de l’assouvissement, la complétude des fonctions ; encore, l’entrée en Dieu, l’absorption en l’infini, l’effacement en le néant ; encore, la suprême sagesse, l’ataraxie ; et cet éternel formulement, l’aspiration à l’idéal ; la nommerons-nous encore le désir de l’accomplissement. […]   Conclusion ; objection extra-artistique. — Le Parsifal est l’émotion née de la contemplation de l’éternel désir, et la synthèse de l’existence.

1214. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

» Et il me raconte les choses les plus curieuses et les plus humoristiquement observées, en les longs séjours, qu’il a faits dans les hôpitaux, pendant d’éternelles maladies, entre autres pour une hydarthrose du genou. […] Mme de Nittis, dépeignée, un caraco mal boutonné sur une camisole, une jupe attachée de travers, de l’égarement dans les yeux, va incessamment d’un bout à l’autre du long salon, tombant un moment sur un fauteuil ou sur un canapé, qu’elle trouve en son chemin, se relevant aussitôt, et reprenant son éternelle promenade, avec des pieds qui traînent et qu’on sent las, et qui marchent toujours.

1215. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

V Il s’ensuit enfin que tous les peuples, depuis l’origine des peuples, ont imaginé un monde invisible, surnaturel et éternel, faisant suite et complément au monde passager où nous agissons. […] « Pleurez donc ce grand capitaine, et dites en gémissant : Voilà celui qui nous menait dans les hasards ; sous lui se sont formés tant de renommés capitaines que ses exemples ont élevés aux premiers honneurs de la guerre : son ombre eût pu encore gagner des batailles ; et voilà que, dans son silence, son nom même nous anime, et ensemble il nous avertit que, pour trouver à la mort quelque reste de nos travaux et n’arriver pas sans ressources à notre éternelle demeure, avec le roi de la terre il faut encore servir le roi du ciel.

1216. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

une simple idée ne lui vient pas en 1787, c’est que la monarchie sous laquelle il vit n’est pas un édifice indestructible, une voûte éternelle : « De nos jours, dit-il, la puissance des souverains est assise sur des bases inébranlables » ; et il part de là, comme d’un point fixe, dans sa supposition étrange d’une langueur et d’une insipidité sociale croissante.

/ 1793