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73. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Il y a donc une science de l’esprit humain qui n’est pas seulement l’analyse des rouages de l’âme individuelle, mais qui est l’histoire même de l’esprit humain. […] La science de l’esprit humain, c’est l’histoire de l’esprit humain. […] Tel est l’esprit humain. […] On comprendra alors que la science de l’âme individuelle, c’est l’histoire de l’âme individuelle, et que la science de l’esprit humain, c’est l’histoire de l’esprit humain. […] Il ne reste donc qu’à y voir la condition de la science de l’esprit humain, la science des produits de l’esprit humain.

74. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre I. La lutte philosophique »

Diffusion de l’esprit philosophique. […] Ils vont faire de la philosophie la matière de tous les livres, la préoccupation de tous les esprits. […] Nombre de prélats grands seigneurs se désintéressaient de la défense de l’Eglise, coquetaient avec ses ennemis, dont l’esprit amusait leur esprit, tandis que d’autres ne songeaient qu’à jouir de la liberté du siècle. […] C’est un grand et lucide esprit qui ne prit point de part aux polémiques violentes du temps. […] Il n’opère que sur les idées, quelles qu’elles soient, et de quelque façon qu’elles aient pénétré dans l’esprit de l’homme.

75. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

Les vérités philosophiques ont sur l’esprit éclairé qui les admet le même empire que la vertu sur une âme honnête. […] On se trompe sans cesse sur l’esprit dans ses rapports avec les grandes conceptions politiques. Est-ce de l’esprit que l’art de tromper ? est-ce de l’esprit que l’art de tourmenter les individus et les nations ? est-ce de l’esprit que de gouverner sa fortune selon les intérêts d’une avide personnalité ?

76. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « X. Doudan »

Il en a le genre d’esprit et presque le genre de destinée. […] C’est bien plus vrai de certains esprits que de Catherine II, qui aurait été très attrapée si elle n’avait eu que cet empire-là… Doudan était justement de ces esprits qui ont leur empire dans leur front, et qui sont pauvres, excepté de cela. […] Il était un critique, et sans la voluptueuse paresse de son esprit, il aurait pu être un grand critique. […] Par quoi donc a-t-il eu l’esprit bouché, cet homme d’esprit pourtant, cet homme qui n’avait pas attendu, comme Goethe, que le temps le fît spectateur, qui l’était dès sa première jeunesse et qui même ne voulut jamais être que cela ? […] C’est une pitié que cet esprit-là !

77. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Armand Hayem »

Il n’y a que des Acamies pour poser, avec cette majesté et cette incorrection de cuistres officiels, des questions plus ou moins impertinentes aux esprits assez modestes et assez souples pour les accepter docilement et pour y répondre ; car il y a encore de ces esprits — et même ils sont nombreux — qui se plaisent à ces petits jeux byzantins ! […] C’est l’Esprit des lois, mais à la renverse, et pour lequel il faudrait au moins un génie égal en sagacité au génie de Montesquieu, attendu qu’il est assurément plus facile de discerner l’esprit des lois, qui les a faites, que l’esprit qui trouble ces lois, qui les méconnaît et qui les rejette ! […] Il a l’inconséquence des croyances fatales, plus forte que l’esprit humain… Son livre, sous sa forme froide, didactique et réfléchie, est, en somme, un hymne en l’honneur de la science… future. […] La limaille des erreurs de son siècle est sur lui comme s’il en était le forgeron, et il n’a pourtant forgé aucune des erreurs dont il rapporte sur son esprit la vile poussière. […] Gymnastiques des esprits robustes, les métaphysiques n’en sont pas moins, depuis que le cerveau du monde a commencé de respirer, un effort fatal et vain de la force intellectuelle de l’homme.

78. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre V. Un livre de Renan et un livre sur Renan » pp. 53-59

Certes, ce qui le caractérise n’est ni l’esprit anticlérical, ni l’esprit sceptique ou ironique, c’est l’esprit scientifique. […] Il y faut un esprit désintéressé. […] Elles reconnaissent un esprit intelligent et travailleur, un esprit probe qui ne veut pas se laisser imposer de vérité du dehors, soit un esprit cartésien : sur le doute provisoire, que bâtir ? […] Séailles, c’est un duel d’un esprit généreux avec lui-même. […] Les esprits sans résistance seront heureux de se laisser prendre par lui.

79. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Bruyère »

C’était donc un admirable moment que cette fin d’été radieuse, pour une production nouvelle de mûrs et brillants esprits. […] L’air qui circulait dans les esprits, si l’on peut ainsi dire, était alors d’une merveilleuse sérénité. […] Du reste, il a de l’esprit, du savoir et du mérite. » Nous reviendrons sur ce jugement de Boileau. […] Et ces Grands, rapides connaisseurs de l’esprit ! […] des Ouvrages de l’Esprit), qui ne se trouvait pas dans les premières éditions, s’adressait à cet honnête abbé de Villiers.

80. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

M. de Meilhan était un grand ambitieux, un ambitieux incomplet, puisqu’il était paresseux et sans esprit de suite ; mais, comme les gens de beaucoup d’esprit que l’ambition soulève, il voyait bien de loin, et sa pensée s’offre souvent avec des sillons rapides et dans un jour lumineux. […] Il reconnaît que « la Révolution de la France semble être celle de l’esprit humain » ; et il cherche en quoi cette Révolution peut consister. […] Tilly parle d’ailleurs de lui avec aversion, sans rendre justice à son esprit et en ne voyant que les ridicules. […] Ce qui distingue mon esprit, c’est son premier élan, c’est la facilité d’atteindre sans effort. […] Vous êtes un vantard d’égoïsme et un esprit fort d’insensibilité.

81. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame Necker. » pp. 240-263

Son goût de l’esprit y trouve son compte, ses besoins de cœur commencent à la faire souffrir : « Quel pays stérile en amitié !  […] Obligée, par mon état de femme, de captiver les esprits, j’ignorais toutes les nuances de l’amour-propre, et je le révoltais quand je croyais le flatter. […] On ne saurait mieux définir l’effet que produit ce genre d’esprit à part, élevé, isolé et peu sympathique, l’esprit doctrinaire, pour l’appeler par son nom, dont M.  […] Sans goût dans sa parure, sans aisance dans son maintien, sans attrait dans sa politesse, son esprit, comme sa contenance, était trop ajusté pour avoir de la grâce. […] Au fond, elle aurait voulu, non pas, comme elle le dit, se refaire tout à neuf, mais combiner deux esprits, marier en quelque manière l’esprit de son canton avec le nôtre.

82. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

L’unité, voilà le concept de son esprit, qu’il portait fièrement et impérieusement sur toutes choses, en tout sujet, en toute matière. […] l’esprit cruel entré dans une doctrine cruelle, comme il arrive toujours, — car nos doctrines sont faites par la nature de notre esprit, — c’est Calvin, le froid, le raide, l’étroit Calvin, mais ce n’est pas Joseph de Maistre. […] … Dans un temps où la Lâcheté d’esprit, devenue sybarite, tremble devant son pli de rose, on semble être cruel quand on a des principes nets et un style net qui les affirme. […] Il est de la famille d’esprits dont était Machiavel. […] Mais c’est précisément sur la question traitée par Joseph de Maistre en ces quelques pages qu’on pourra juger de l’esprit absolu de cet absolutiste tout d’une pièce, que nous maintenons, nous, malgré sa renommée, l’esprit le plus large, le plus prudent, le plus flexible, et, quand il s’agit de manier les choses et les hommes, le plus doux, — ce n’est pas assez dire !

83. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Les esprits curieux et libres, les esprits délicats et fins, sont enclins à ne pas goûter Bossuet, et ils ont leurs raisons pour cette antipathie. […] Du temps de Bossuet, un esprit des plus fins, M. de Tréville, jugeait assez sévèrement son caractère. […] Je ne sais qui a dit : l’esprit d’un homme, en définitive, ne fait jamais que ce qu’il est obligé et mis en demeure de faire. […] La première oraison funèbre se dessine dans son esprit. […] Son esprit est d’une autre sphère et d’un autre monde ; c’était avant tout un esprit de doctrine, d’ordonnance et d’exposition logique oratoire.

84. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre V. Subordination et proportion des parties. — Choix et succession des idées »

Ne croyez pas que tout ce que l’esprit dans sa première et rapide inspiration a saisi, soit bon. […] D’abord l’esprit, dans la ferveur de l’invention, ne se pique pas d’une rigoureuse logique. […] Ce n’est pas Corneille qui fait de l’héroïsme, ni Molière de l’esprit. […] Si vous renoncez à les exprimer, vous ne vous obligez pas à ne point les évoquer dans l’esprit de votre lecteur. […] Ce sont des artifices indignes le plus souvent d’un esprit sérieux.

85. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Les hommes violents ne peuvent s’allier qu’avec les esprits bornés ; eux seuls se soumettent ou se soulèvent à la volonté d’un chef. […] L’esprit sauvage lutte contre la philosophie, se défie de l’éducation, et se montre plus indulgent pour les vices du cœur que pour les talents de l’esprit. […] Il faut que l’esprit se replie sans cesse sur lui-même. […] Frédéric II, Marc-Aurèle, la plupart des rois ou des héros qui ont répandu leur éclat sur les nations, étaient en même temps des esprits très éclairés en philosophie. […] La raison n’a rien à craindre de la raison, et les esprits philosophiques fondent leur force sur leurs pareils.

86. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

Or, s’il les possède, ce n’est plus Roi qu’il faut l’appeler : qui dit Roi des Esprits dit Dieu même ; et alors on peut demander pourquoi donc ce Dieu des Esprits souille encore de ses restes une église chrétienne, et pourquoi ses adeptes et ses disciples, en cotisant leurs admirations et leurs œuvres, ne lui élèvent pas un monument ? […] N’a-t-il pas rassemblé, ce Protée de l’Enfer, sous sa houlette diabolique, toute cette race de béliers à qui l’admiration de l’esprit fort sert d’esprit ? […] Voltaire est particulièrement le séducteur des imbéciles, l’empoisonneur des gens malsains, et l’Esprit Saint de la canaille. […] on posera encore d’ici longtemps, les gens d’esprit, qui voient de plus haut que leur esprit même, doivent se montrer implacables, inexorables, inflexibles. […] Le cœur, non, mais l’esprit — l’esprit qui fait de si mauvaises choses quand il est seul ! 

87. (1809) Tableau de la littérature française au dix-huitième siècle

Tel est l’esprit dans lequel fut conçu cet ouvrage. […] Ce fut presque une transition insensible pour l’esprit de la nation. […] Du moins on y retrouvera quelque chose de dramatique qui frappera et attachera notre esprit. […] Un véritable esprit d’observation fut apporté dans l’étude des faits intellectuels. […] La démonstration est sans doute un grand moyen de contentement pour l’esprit humain.

88. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

Voltaire n’a pu produire en ce genre aucun effet théâtral, quelque piquante que soit la tournure habituelle de son esprit. […] Les véritables convenances, dans un état libre, ne peuvent être blessées que par les défauts réels de l’esprit ou du caractère. […] L’esprit républicain exige des vertus positives, des vertus connues. […] La comédie doit le ranger parmi les faiblesses du plus misérable esprit. […] On peut s’intéresser sans doute aux situations dont on n’a pas des exemples analogues dans son propre pays ; mais néanmoins l’esprit philosophique qui doit résulter à la longue des institutions libres et de l’égalité politique, cet esprit diminue tous les jours la puissance des illusions sociales.

89. (1861) Questions d’art et de morale pp. 1-449

L’esprit a pu se séparer complètement de la lettre. […] L’esprit rénovateur qui souffle sur le monde n’est pas un esprit différent de celui qui le créa et qui le meut dès l’origine. […] L’esprit de l’artiste, malgré le sentiment très vif des plus minces particularités de la forme, est un esprit essentiellement généralisateur. […] De la hiérarchie dans les œuvres de l’esprit. […] L’esprit seul agit sur l’esprit ; les objets extérieurs ne parlent à notre âme que parce qu’ils communiquent eux-mêmes à une autre âme, à une idée.

90. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

Nulle institution ne contribua plus directement à la restauration de l’esprit public et du goût. […] » disait un homme d’esprit ironique. Je suis persuadé que cet homme d’esprit avait tort, qu’il disait une chose piquante et fausse. […] L’esprit des auteurs n’en souffrirait pas, et y gagnerait plutôt. […] Cette presse y gagne en esprit et en trait.

91. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Et d’ailleurs, sous l’œil d’un esprit si clairvoyant, n’est-ce pas le seul digne hommage ? […] Les livres qui flattaient son esprit furent donc accueillis avec empressement. […] Chez un esprit de cette qualité, c’est une sorte de phénomène. […] C’est ici le goût vif de l’esprit pour l’esprit, qui se déclare, car on peut certes avoir de l’esprit autrement, et sous bien des formes différentes, et justes et fines ; mais en prenant le mot comme jet, comme source, comme fertilité continuelle, il n’est pas d’homme en France qui, d’emblée et à tout propos, ait plus d’esprit que ces deux-là. […] l’esprit trouve encore moyen de passer par-dessus.

92. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame Du Deffand »

C’est la perfection de l’esprit dans l’ennui, et l’ennui dans la perfection. […] Son esprit, qui n’était pas du génie pour en avoir les tristesses, était gai comme les esprits qui sentent leur vigueur. « La gaieté de l’esprit prouve sa force », prétendait cette rieuse de Ninon ! […] Elle appartenait à la première société du monde, sur laquelle elle régna sans être jamais détrônée, dans sa jeunesse par l’esprit et par la beauté, dans la vieillesse par l’esprit redoublé et multiplié de toutes les expériences de la vie et même du malheur de sa cécité. […] Les réputations sont si bêtes, et parfois à force d’esprit !

93. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Esprit à la fois philosophique et littéraire, il se voua dès lors à l’analyse des langues et de la sienne en particulier. […] Lui-même, dans des pages excellentes, en définissant l’esprit et le goût, il n’a pu s’empêcher de définir son propre goût, son propre esprit ; on ne prend jamais, après tout, son idéal bien loin de soi : L’esprit, dit-il, est en général cette faculté qui voit vite, brille et frappe. […] Il s’étalait d’abord et partout dans toute la splendeur et l’insolence de son esprit. […] L’esprit de critique est un esprit d’ordre ; il connaît des délits contre le goût et les porte au tribunal du ridicule ; car le rire est souvent l’expression de la colère, et ceux qui le blâment ne songent pas assez que l’homme de goût a reçu vingt blessures avant d’en faire une. […] Mais toutes ces intentions premières furent interceptées et arrêtées avant le temps par le malheur des circonstances, et surtout par l’esprit du siècle dans lequel Rivarol vécut trop et plongea trop profondément pour pouvoir ensuite, même à force d’esprit, s’en affranchir.

94. (1840) Kant et sa philosophie. Revue des Deux Mondes

Je vois à la philosophie de Kant deux grands antécédens : l’esprit général, le mouvement universel de l’Europe, puis l’esprit particulier de l’Allemagne. […] Ce système, ou du moins son esprit, se répandit parmi les plus beaux génies du siècle de Louis XIV. […] La nature de l’esprit humain ne variant pas, ses lois ne sauraient varier. […] Il est peu de philosophes qui aient considéré les connaissances dans leur rapport avec l’esprit humain. […] C’est qu’on a moins considéré les procédés de l’esprit dans la formation de ses connaissances que ces connaissances en elles-mêmes, relativement à leurs objets et indépendamment de l’esprit.

95. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre III : La science — Chapitre I : De la méthode en général »

C’est la question même de l’esprit philosophique qui est en jeu. […] Quant à l’idée elle-même, comment vient-elle naître dans l’esprit ? C’est ici que les règles sont insuffisantes, et qu’il faut avoir recours à la spontanéité de l’esprit. […] Il est des faits qui ne disent rien à l’esprit du plus grand nombre, tandis qu’ils sont lumineux pour d’autres. […] Le doute, en un mot, n’est autre chose que la liberté de l’esprit.

96. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIe entretien. Biographie de Voltaire »

Son génie, en effet, commença par la grâce, ce don féminin qui est la jeunesse de l’esprit. […] Ses premiers vers furent des sacrifices à ces indécences d’esprit. […] Cette audace d’esprit fort devint le symbole de l’impiété théologique contre toutes les révélations. […] Il méprisait profondément l’esprit démocratique de son antagoniste J. […] Tel fut Voltaire ; les esprits français, préoccupés d’un étroit orgueil national, ajouteront qu’il fut par sa justesse, par sa souplesse, par sa grâce, par son éclat, par sa légèreté dans le sérieux, l’esprit le plus français qui ait brillé dans le monde ; les esprits européens avoueront avec une plus haute appréciation qu’il fut l’esprit le plus universel.

97. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Chefs-d’œuvre de la littérature française (Collection Didot). Hamilton. » pp. 92-107

On a vu d’autres étrangers, Horace Walpole, l’abbé Galiani, le baron de Besenval, le prince de Ligne, posséder ou jouer l’esprit français à merveille ; mais pour Hamilton, c’est à un degré qui ne permet plus qu’on y distingue autre chose ; il est cet esprit même. […] Il y a du Voiture dans chaque homme d’esprit qui n’est que cela ; j’appelle Voiture cet esprit de mode qui n’a qu’une saison et qu’un souffle fane ; il y a beaucoup de Voiture dans les vers d’Hamilton. […] Qu’un esprit doux et poli, pénétrant et fin, répandant sur les choses et sur le prochain une raillerie légère universelle, qu’un tel esprit vienne à naître, cela ne suffit pas. […] Des esprits dans la mesure d’Hamilton auraient été moins goûtés dès lors et auraient dû forcer le ton pour être sentis. Au train dont y va le monde, l’espèce de ces esprits rares se perdra-t-elle ?

98. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Les esprits étaient profondément désenchantés. […] S’il y a, comme nous le croyons, des familles dans l’ordre intellectuel aussi bien que dans l’ordre naturel, on peut dire que l’esprit de M. de Bonald était de la famille de l’esprit de Joseph de Maistre plutôt que de la famille de l’esprit de Chateaubriand. […] La lutte entre les deux esprits et les deux principes continuait. […] Guizot manifestait cet esprit d’indépendance, M.  […] Esprit plus vif que sûr, M. 

99. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

Parmi ceux qui s’adonnent aux autres parties du travail de l’esprit, qui peut avoir la même assurance ? […] Ils avaient changé les bases de la vie ; mais leur confiance dans l’esprit humain était absolue. […] Le but du monde, c’est l’idée ; mais je ne connais pas un cas où l’idée se soit produite sans matière ; je ne connais pas d’esprit pur ni d’œuvre d’esprit pur. […] Ce que Pascal a dit de l’esprit de finesse et de l’esprit géométrique reste la loi suprême de ces discussions, où le malentendu est si facile. […] Sous cette influence, il s’est produit un vaste déchirement dans les esprits.

100. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Œuvres de Louis XIV. (6 vol. in-8º. — 1808.) » pp. 313-333

Les qualités solides, l’application laborieuse de son esprit, et les sentiments de son cœur, répondirent à ce vœu de la nature et au rôle de la destinée. […] Il examine, il écoute, il consulte ; puis il se décide par lui-même : « la décision a besoin d’un esprit de maître ». […] La forme de son esprit est d’être judicieux et raisonneur : c’est un esprit positif, qui aime les affaires, qui y trouve de l’agrément par l’utilité, et qui tient compte des faits dans le plus grand détail. […] Notez bien cet esprit solide et agissant, revêtez-le d’éclat et de majesté, voilà la meilleure définition qui se puisse donner de lui dans sa jeunesse. […] [NdA] « Il avait l’âme plus grande que l’esprit », a dit Montesquieu.

101. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Seulement, tels que les voilà, ces fragments, ils ont trois ou quatre beautés différentes pour les esprits sensibles à tous les genres de beauté. […] C’est qu’en lui, Michelet, comme dans tous les autres, l’esprit historique n’était pas assez fort pour maîtriser et gouverner l’historien. Eh bien, c’est cet esprit-là, — l’esprit historique, — si rare dans ce siècle, où le passé est traité insolemment de vieille barbe et de vieille guitare par des polissons qui auraient méprisé le sénat romain dans sa majesté, comme les Gaulois leurs ancêtres ! c’est cet esprit-là qui ne défaille jamais dans le livre du colonel Ardant du Picq. […] Mais, historien comme je l’ai dit, — historien à esprit historique, — il est allé, un jour, vers la fin des précieux fragments qu’on publie, jusque-là où vont tous les esprits sous la poussée d’un siècle aveugle, et il s’est demandé ce que, par ce temps de démocratie, deviendrait la guerre de demain.

102. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Du caractère et du tour d’esprit de Malherbe […] Du caractère et du tour d’esprit de Malherbe. […] Desportes ferait illusion même à des esprits cultivés, parce que les vices de sa langue viennent le plus souvent du mauvais emploi qu’il fait d’un esprit fin, délié, dont la retenue paraît venir du goût, plutôt que de la peur de tomber comme Ronsard. […] Cet esprit, c’était de rendre l’art difficile. […] C’est l’accord, dans de magnifiques vers, de l’esprit de discipline et de l’esprit de liberté.

103. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Le poème ne reçoit pas tout à fait la même interprétation dans l’esprit qui l’a fait, et dans ceux qui l’admirent. Le lecteur y trouve l’expression parfaite de ses vagues tendances, et de l’esprit général du siècle : mais Boileau y a mis quelque chose de plus, une doctrine originale et personnelle, qui, dans la vaste unité du siècle, sépare un certain groupe d’esprits, exprime l’idéal d’une école littéraire. […] Les mêmes excellents esprits, qui disent si bien le charme exquis des Fables de La Fontaine, Bussy et Mme de Sévigné, font aller de pair avec ce divin naturel l’esprit glacé des ballets de Benserade. […] Lié avec Mme de Scudéry, tenant par sa jeunesse au monde précieux, Bussy se trouve sur la fin de ses jours tout proche de Perrault et de Fontenelle, trop grand seigneur et trop bon esprit pour s’embrigader dans un parti littéraire, mais insensiblement et naturellement porté de ce côté par la pente de son esprit. […] Il n’a que de l’esprit ; l’abbé Delille mettra donc de l’esprit dans Virgile.

104. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

Il ne faut pas créer des états d’esprit anachroniques. […] Quel sera son esprit, quelle sera son œuvre ? […] Le patriotisme, l’esprit de corporation, l’esprit de caste sont probablement les formes les plus pures où l’égoïsme, soutenu du reste par un certain contingent d’esprit d’amour, puisse s’élever. […] Quelles étaient les tendances d’esprit ? […] Ce qu’il cherchait à concilier logiquement dans son esprit était concilié par juxtaposition dans l’esprit de ses contemporains.

105. (1856) Cours familier de littérature. I « IIe entretien » pp. 81-97

C’est le phénomène moitié matériel, moitié intellectuel, de la translation de la pensée de l’un dans l’esprit de l’autre, ou de la pensée d’un seul dans l’esprit de tous. Ce phénomène de la translation de la pensée de l’esprit de l’un dans l’esprit de l’autre, était nécessaire dans le plan divin pour que l’homme pût se communiquer à l’homme. […] Le corps de l’esprit, pour ainsi dire. La parole est si inconcevable, qu’il faut ces deux mots contradictoires pour en donner seulement l’idée : Le corps de l’esprit. […] La littérature est l’expression mémorable, c’est-à-dire digne de mémoire, de l’esprit humain.

106. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Marquis Eudes de M*** »

Telle est, en bloc, la thèse de l’auteur des Esprits. […] L’auteur des Esprits oppose la science à elle-même dans ses plus célèbres représentants, dont il ouvre les livres sous nos yeux, et, le croira-t-on ? […] Il collationne les traits des voyageurs contemporains les plus distingués, et partout il rencontre, sur toutes les latitudes, cette notion d’esprit si désagréable à la philosophie, l’ennemie née du surnaturel. […] L’auteur des Esprits et de leurs manifestations fluidiques a fait davantage : il les a implicitement résolues ; mais n’était-ce pas la meilleure manière de les poser ? […] Des Esprits et de leurs manifestations fluidiques, par le marquis de Mirville (Pays, 6 juillet 1833).

107. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

A l’esprit de classe et de distinction succéda l’esprit de société et de commerce. […] L’esprit de faction empêchait le développement de l’esprit de société, lequel est l’âme de la comédie. […] L’esprit de société se forma de ce rapprochement des deux classes, et du mélange des deux esprits propres à chacune. […] Le seul inconvénient de ce changement, l’abus du bel esprit, ne gâtait que les esprits médiocres ; les esprits distingués en devenaient plus délicats. […] L’esprit français fit comme le roi ; il revendiqua enfin son droit de préséance, en France, sur l’esprit espagnol.

108. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 348-356

Toute l’Europe convient généralement, que l’Esprit des Loix est un des plus beaux Ouvrages qui soient partis de la main des Hommes. […] Il étoit doué par excellence de cet esprit observateur, qui ne néglige aucune face des objets. […] Quoique le systême de l’Esprit des Loix ne paroisse pas offrir un enchaînement toujours suivi, l’Auteur ne s’écarte jamais de son objet. […] Autant l’esprit lumineux, méthodique & profond est au dessus de l’esprit superficiel, inconséquent & badin, autant le Législateur des Nations paroîtra au dessus du Peintre Historien de leurs mœurs, qui semble n’en avoir tracé le tableau, que pour amuser & tromper le Lecteur, au lieu de l’instruire. […] Il étoit si peu ennemi des principes de la Religion Chrétienne, que, dans son Esprit des Loix, il réfute ceux qui les ont combattus.

109. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre III. De la sécheresse des impressions. — Du vague dans les idées et le langage. — Hyperboles et lieux communs. — Diffusion et bavardage »

Quand travaille l’intelligence, la sensibilité se repose, et l’esprit s’endort dès que le cœur s’éveille. […] On ne porte point sa fourchette aux champs, ni sa bêche à table ; mais l’esprit a-t-il cette adaptation rigoureuse et exclusive ? […] Aussi voyez les effets : cet esprit léthargique ne s’éveille pas quand vous l’appelez. […] Si l’on sent encore le vide des propos et que l’on aspire à l’esprit, on arrive vite aux méchancetés, à la médisance. […] que l’on serait moins méchant si l’on savait user de son esprit !

110. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Son père, célèbre par de savants ouvrages, était de plus un homme d’esprit qui savait la Cour et les boudoirs. […] Quoi qu’il en soit, il demeure constant que la corruption de ce siècle et de cette cour l’avait atteint au cœur : la nature de son esprit s’en ressentit. […] On ne l’accusera pas dans ses écrits d’avoir accordé trop d’importance à l’homme d’affaires ; il s’attache plutôt à montrer qu’il avait l’esprit au-dessus de son emploi : Il ne faut, disait-il, qu’une dose très médiocre d’esprit pour avoir des succès dans les affaires. […] Sans esprit, on peut faire un livre sur l’administration, sur la morale, faire des vers, des couplets, des comédies. Tout le monde, en fait d’esprit, semble avoir dans ce siècle le nécessaire, mais il y a peu de grandes fortunes.

111. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre onzième. »

. — Esprit des retranchements et des corrections qu’il y a faits. — § VI. […] Le jour où elle paraît dans une nation comme une des branches de sa littérature, ce jour-là l’esprit particulier de cette nation commence à soupçonner qu’il est l’esprit humain. […] Moraliser a été presque de tout temps un tour d’esprit propre à notre pays. […] Son esprit mal employé ne servit qu’à l’engager plus avant dans de fausses voies. […] Des quatre éditions des Maximes, et dans quel esprit l’auteur y a fait des corrections et des retranchements.

112. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Avant-propos de la septième édition »

On étonnerait beaucoup un homme étranger aux spéculations philosophiques en lui disant que l’objet qu’il a devant lui, qu’il voit et qu’il touche, n’existe que dans son esprit et pour son esprit, ou même, plus généralement, n’existe que pour un esprit, comme le voulait Berkeley. […] Nous nous plaçons au point de vue d’un esprit qui ignorerait les discussions entre philosophes. […] Son tort fut de croire qu’il fallait pour cela transporter la matière à l’intérieur de l’esprit et en faire une pure idée. […] Mais, pour la rapprocher de nous, point n’était besoin d’aller jusqu’à la faire coïncider avec notre esprit lui-même. […] Comment en serait-il autrement, si la psychologie a pour objet l’étude de l’esprit humain en tant que fonctionnant utilement pour la pratique, et si la métaphysique n’est que ce même esprit humain faisant effort pour s’affranchir des conditions de l’action utile et pour se ressaisir comme pure énergie créatrice ?

113. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

L’esprit chrétien habitait d’ailleurs dans sa famille, et l’esprit chrétien, c’est le plus pénétrant et le plus profond des moralistes. […] La philosophie de Descartes est tout à l’usage de son esprit ; sa science est presque tout au service de sa santé. […] L’exemple en eût-il été meilleur pour l’esprit humain et pour les lettres françaises ? […] Pascal a eu toutes les qualités et toutes les dispositions de l’esprit humain. […] Il y suffit d’un très bon esprit, et l’exemple, qui en a été donné par d’autres, y peut beaucoup aider.

114. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

J’ai été élevée par une vieille grand-mère qui avait beaucoup d’esprit et une tête bien faite. […] L’esprit que Mme Geoffrin apportait dans le ménagement et l’économie de ce petit empire qu’elle avait si largement conçu, était un esprit de naturel, de justesse et de finesse, qui descendait aux moindres détails, un esprit adroit, actif et doux. […] Elle n’a pas adopté ni rejeté en entier ce plan, mais elle a tout à fait gardé l’esprit de la maxime. […] C’est elle qui a dit de l’abbé Trublet, qu’on appelait devant elle un homme d’esprit : « Lui, un homme d’esprit ! […] Ce sont des esprits qui redoutent un peu la fatigue et l’ennui, et dont le jugement sain et quelquefois perçant n’est pas continu.

115. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

Ces grands esprits aimaient les proverbes. […] Les proverbes, les sentences, toutes ces généralisations des esprits qui surent observer et réfléchir les premiers, sont du despotisme d’esprits supérieurs, s’imposant à l’esprit faible et bas des multitudes… C’est de la sagesse toute faite, non par les nations, mais pour elles. […] L’esprit de tout le monde — si respecté par tout ce qui n’est personne ! — n’est jamais que l’esprit de quelques-uns que tout le monde, un jour, enfin, a ramassé ! […] Il a la bonne humeur d’un esprit qui se porte bien, lorsque les Job se portent mal.

116. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

L’esprit sublime de Corneille n’est ni l’esprit exact de Boileau, ni l’esprit naïf de Lafontaine ; & l’esprit de la Bruyere, qui est l’art de peindre singulierement, n’est point celui de Malebranche, qui est de l’imagination avec de la profondeur. […] Un grand esprit peut tomber dans cette foiblesse, mais ce n’est pas le propre des grands esprits. […] Esprit de discorde, esprit de révolte, &c. […] Cet esprit de raison pénetre même dans les provinces. […] On lit les livres avec l’esprit des bons auteurs.

117. (1865) La crise philosophique. MM. Taine, Renan, Littré, Vacherot

Un esprit nouveau s’éveillait, l’esprit des sciences positives, qui se répandait avec une puissance incalculable. […] C’est de la même façon que mon esprit se refuse à confondre la cause et la loi. […] L’esprit élevé et scientifique de M.  […] En soi, Dieu est bien autre chose : il est le Père, le Fils et le Saint Esprit. […] On appelait paix des esprits leur indifférence et leur langueur.

118. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Tel est le procédé de l’esprit humain aux époques mythiques. […] La théorie du primitif de l’esprit humain, si indispensable pour la connaissance de l’esprit humain lui-même, est notre grande découverte et a introduit dans la science philosophique des données profondément nouvelles. […] Son grand souci, c’est l’histoire, et surtout l’histoire de l’esprit humain. […] Sans doute la connaissance universelle de l’esprit humain serait nécessaire pour cette histoire. […] Il faut laisser aux esprits médiocres la satisfaction de se croire invincibles dans leurs lourds arguments.

119. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Saint Anselme, par M. de Rémusat. » pp. 362-377

Il y a l’homme d’esprit sur tous les points, le causeur de salon, celui qui, nonchalamment assis, dans un cercle pas trop nombreux, agite, soulève, anime toutes les questions et aime à les laisser indécises en se levant. […] Mais M. de Rémusat est un auteur qui ne ressemble pas à un autre, il se juge deux fois trop ; il s’est dit qu’il était un esprit critique, qu’un esprit critique n’inventait rien d’excellent, et que dans l’art il n’y a que l’excellent qui compte. […] Sa conscience était inquiète, son esprit un peu timoré ; il n’aurait voulu pour aucun prix manquer au devoir de son ministère. […] Ainsi, au moment d’aller rejoindre Dieu selon sa ferme croyance, et de posséder le pur esprit à sa source, Anselme regrettait de manquer une dernière découverte intellectuelle, et de ne pas résoudre par lui-même un dernier problème sur les choses de l’esprit. […] Tant il est vrai que, là comme ailleurs, l’esprit humain naturellement aime encore mieux la poursuite que la possession, la chasse que la prise, a dit Pascal.

120. (1880) Goethe et Diderot « Diderot »

Quand l’esprit français mourait avec Voltaire, l’esprit allemand commençait avec Diderot. […] Je ferai le tour de son esprit. […] Avant lui, elle gisait déjà dans beaucoup d’esprits. […] Cet esprit faux en tant de choses avait la sensibilité juste. […] Ses idées culbutaient son esprit, et ses idées n’étaient pas plus son esprit que les Tartares qui envahissent la Chine ne sont la Chine.

121. (1911) Enquête sur la question du latin (Les Marges)

Leur esprit n’est point précis. […] Il y a un esprit breton, un esprit picard, un esprit normand, un esprit gascon, etc., etc., esprits tous très différents les uns des autres, surtout si nous les apprécions à travers leurs langages particuliers. […] Il n’y a plus là aucune manifestation de l’esprit français. […] L’esprit français est dangereusement menacé du fait que la connaissance de la langue périclite. […] C’est tout l’esprit de l’éducation qui se trouve en jeu.

122. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LONGUEVILLE » pp. 322-357

Et son esprit, notons-le bien, si brillant et si fin qu’il fût, n’avait rien qui s’opposât trop directement à ce manque de caractère. […] On peut avoir de la raison dans l’esprit et pas dans la conduite, le caractère entre les deux faisant faute. […] Il y a beaucoup de l’hôtel Rambouillet dans cet esprit-là. […] Nicole, cet esprit si délicat aussi, et qui la fréquenta si longtemps, l’a très-bien jugée. […] Une femme d’esprit me faisait remarquer que ce M. de Tréville était le M.

123. (1908) Après le naturalisme

L’esprit crée des notions, des idées. […] La vie crée en lui l’esprit et l’esprit, aussitôt devient indispensable. […] L’esprit n’y trouve pas de conformité. […] L’esprit, on a vu ce qu’il est. […] Que la nature obéisse à l’esprit.

124. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Ce mot lui revient souvent ; le côté de l’amusement de l’esprit le frappe, le séduit en toute chose. […] Ainsi, je ne me fatigue pas excessivement l’esprit…. […] Tout esprit qui a en soi une part d’art ou de système n’admet volontiers que ce qui est analogue à son point de vue, à sa prédilection. […] Un seul personnage ne pouvait suffire à la célérité et aux revirements toujours justes de son esprit mobile, empressé, accueillant. […] Le fait est que Bayle aimait peu les champs, qu’il n’avait aucun tour rêveur dans l’esprit, rien qui le consolât dans le commerce avec la nature.

125. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Ces réflexions sont un des ouvrages où l’esprit humain a montré le plus de profondeur. […] Les Maures donnaient aux Espagnols leur esprit de magnificence ; les Espagnols inspiraient aux Maures leur amour et leur honneur chevaleresque. […] L’esprit que ces derniers avaient porté dans la théologie, les Italiens l’introduisirent dans l’amour. […] L’affectation de l’amour porte les esprits au ton licencieux, comme l’hypocrisie de la religion à l’athéisme. […] L’esprit national influe sur la nature de la langue d’un pays ; mais cette langue réagit à son tour sur l’esprit national.

126. (1890) L’avenir de la science « IV » p. 141

Que ceux donc qui redoutent de voir les soins de l’esprit étouffés par les préoccupations matérielles se rassurent. […] Car, bien que « ce soit l’esprit qui vivifie et que la chair ne serve de rien », le grand règne de l’esprit ne commencera que quand le monde matériel sera parfaitement soumis à l’homme. […] Mais c’est ici-bas et non dans un ciel fantastique que se réalisera cette vie de l’esprit. […] Le sceptique et l’esprit frivole hausseront à loisir les épaules sur la folie de ces belles âmes ; que leur importe ? […] Dieu me garde d’insulter un esprit aussi distingué que Franklin.

127. (1912) L’art de lire « Chapitre II. Les livres d’idées »

Or que lisons-nous dans l’Esprit des Lois ! […] Il croit sans doute, comme a dit Montaigne, que la fatalité nous mâche ; il croit sans doute aussi que l’esprit humain peut réagir contre la fatalité. […] Avec, sans doute, la force de notre esprit même. […] Tel auteur est préféré par un lecteur, non pas parce que ce lecteur lui trouve l’esprit juste, mais parce qu’il lui trouve l’esprit faux, ce qui donne à ce lecteur le plaisir d’avoir toujours raison ou de croire toujours avoir raison contre lui, par suite de quoi c’est à cet auteur que ce lecteur revient constamment. […] Comme je vais avoir l’esprit juste ! 

128. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

notre esprit, cette vive lumiere, Quoi ! […] A ces traits-là reconnoît-on l’esprit ? […] Si notre esprit dépendoit de nos sens, Plus ses ressorts seroient fermes, puissans, Plus cet esprit atteindroit au sublime ! […] Nous connoissons peu d’Ouvrages aussi solidement pensés, aussi sagement écrits, & plus capables de former l’esprit & le cœur des jeunes gens. […] Eclairez, ramenez par la raison, les esprits obscurs ou violens ; ramenez-les doucement à leurs devoirs, & ne les poussez jamais à bout.

129. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 3. Causes générales de diversité littéraire. »

Trois principales influences diversifient le fond commun de l’esprit français dans les œuvres de notre littérature : la classe sociale, l’origine provinciale, le moment historique. […] Mais on conçoit sans peine que la société cléricale, en vertu du principe qui régit son activité et lui fixe son objet, ne lasse œuvre de littérature que par exception, ou par accident ; elle a autre chose à faire eu général, que de réaliser la beauté pour le plaisir de l’esprit. […] Comme d’un étage à l’autre de la société se perçoivent certaines différences d’esprit, il en éclate d’autres, et les mêmes dans tous les étages, quand on passe d’une région à l’autre. […] Un même esprit règne, par-dessus les frontières, chez les hommes de même condition, et la même littérature les enchante. […] Enfin l’esprit français, de siècle en siècle, revêt des formes ou reçoit des éléments nouveaux.

130. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Tel, est par exemple, l’esprit platonicien. […] C’est l’esprit de l’homme. […] D’après les idéalistes, l’esprit est tout. […] En quoi consiste donc l’essence de l’esprit ? […] C’est nous qui dirigeons notre esprit.

131. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

La sienne allumait les esprits. […] Il fallait, pour cela, l’âme et l’esprit de Paul Féval ! […] De Maistre, qui aimait Voltaire tout en lu maudissant, parce qu’il avait autant d’esprit que Voltaire, et que l’Esprit est toujours un Narcisse qui aime à se mirer et à se revoir dans l’esprit des autres ; de Maistre, qui était capable de rire, n’a ri que deux ou trois fois dans ses œuvres. Son génie absorba son esprit. […] Il ne fut pas frappé que dans son âme ; il le fut jusque dans son esprit.

132. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Chamfort, pour le caustique de l’esprit, aura beaucoup de Duclos en causant ; mais Duclos, pour l’envie, n’a rien de Chamfort dans le cœur. […] Les hommes de ce caractère se croient capables de tout… Les plus grandes affaires, celles du gouvernement, ne demandent que de bons esprits : le bel esprit y nuirait, et les grands esprits y sont rarement nécessaires. […] L’esprit est le premier des moyens : il sert à tout et ne supplée presque à rien. Il avait déjà dit ailleurs : Tout est compatible avec l’esprit, et rien ne le donne. […] [1re éd.] et qui lui imposèrent dans les choses de l’esprit.

133. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres de la marquise Du Deffand. » pp. 412-431

Puis on a Mme de Maintenon, esprit juste, tête saine, parole agréable et parfaite dans un cercle tracé. […] Dans sa fleur de beauté sous la Régence, elle en respira l’esprit ; elle fut la maîtresse du Régent et de bien d’autres. […] Le trait distinctif de son esprit était de saisir la vérité, la réalité des choses et des personnes, sans illusion d’aucun genre. […] Elle avait eu un vif attrait d’esprit pour l’aimable Mme de Staal (de Launay) qu’elle perdit de bonne heure. […] Elles avaient l’une et l’autre trop d’esprit, un esprit trop exigeant, et elles étaient de générations trop différentes.

134. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVII. De la littérature allemande » pp. 339-365

L’esprit des hommes de lettres doit donc se tourner vers la contemplation de la nature et l’examen d’eux-mêmes. […] Les Allemands écoutent encore avec plaisir les pensées les plus connues, quoique leur esprit en découvre chaque jour de nouvelles. […] Un joug volontaire met cependant obstacle, à quelques égards, au degré de lumières qu’on pourrait acquérir en Allemagne, c’est l’esprit de secte : il tient dans la vie oisive la place de l’esprit de parti, et il a quelques-uns de ses inconvénients. […] Cette distinction est d’un esprit faux et d’un cœur étroit ; et si nous périssions, ce serait pour l’avoir adoptée. […] Tout ce qu’il peut y avoir d’ingénieux dans l’esprit de Kant, et d’élevé dans ses principes, ne serait point, je crois, une objection suffisante contre ce que je viens de dire sur l’esprit de secte.

135. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

Rien ne contrebalance cet affaissement des organes que le mouvement de l’esprit. […] Il me dit : Un grand remède aux douleurs de l’âme, c’est d’enseigner ; rien ne donne plus d’activité à l’esprit[…] Mon cœur a besoin de sentiments, et je ne trouve ici que de l’esprit et de la bienveillance. — Vous avez ici une grande réputation d’esprit, et je vous en défends ; car on sous-entend souvent par le mot esprit des choses recherchées, faites à volonté et avec soin, tandis que l’esprit est ce qui échappe ; c’est le gaz de l’âme qui part inaperçu, le contraire de ce qu’on fait et fabrique. […] C’est pour moi une pierre de touche de l’esprit qu’on a.

136. (1870) La science et la conscience « Chapitre II : La psychologie expérimentale »

Mais faut-il délaisser ces enseignements pour la psychologie vers laquelle incline l’esprit de notre temps ? […] L’école expérimentale ne trouve pas qu’il soit nécessaire de recourir à l’hypothèse d’aucune loi de l’esprit. […] Selon lui, c’est parce que l’esprit associe l’idée de punition au fait qui la provoque que l’idée d’obligation lui arrive. […] Mon esprit n’a pas besoin d’une association habituelle pour lier d’une façon indissoluble les termes de ces jugements. […] Alors on entend la définition de l’être par Leibniz : tout être, esprit ou nature, est une force qui aspire au mouvement.

137. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Fontenelle, par M. Flourens. (1 vol. in-18. — 1847.) » pp. 314-335

Or, dans Fontenelle, cette partie d’esprit pur et de bel esprit sans aucun reste de chaleur composa tout l’homme. […] Le grand esprit de Fontenelle les a plus tard recouverts et fait oublier. — Non pas. […] Mais il y a aussi l’influence utile et sensée, prélude de celle que les plus grands esprits n’ont pas dédaigné d’exercer depuis. […] Fontenelle comprend avec son esprit tout ce qui peut être, même quand il ne le sentirait pas. […] Mais n’admirez-vous pas les oppositions des esprits ?

138. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — II. L’histoire de la philosophie au xixe  siècle — Chapitre II : Rapports de l’histoire de la philosophie avec la philosophie même »

Nous sommes tentés trop souvent d’appeler esprit faux quiconque ne pense pas comme nous : or c’est là un cercle vicieux. […] Je ne méconnais pas d’ailleurs la distinction établie entre les esprits justes et les esprits faux (quoique cette distinction soit assez difficile à expliquer psychologiquement) ; mais elle me paraît indépendante de la qualité des systèmes. […] Les systèmes ne représenteraient donc plus l’univers : ils représenteraient l’esprit lui-même, ils ne seraient plus que le miroir de la raison. […] Je dois à mon esprit la vérité, toute la vérité, et j’ai le droit et le devoir de la recueillir partout où j’ai l’espoir de la trouver. […] Cet aspect des choses, saisi par un esprit supérieur, est devenu pour lui l’univers tout entier.

139. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre III. “ Fantômes de vivants ” et “ recherche psychique ” »

Mais voilà justement ce qui déconcerte un assez grand nombre d’esprits. […] Ce n’est pas que l’esprit soit atteint directement. […] Mais par là il canalise, et par là aussi il limite, la vie de l’esprit. […] C’est la matière, et non plus l’esprit, qui eût été le royaume du mystère. […] il n’était ni possible ni désirable que l’esprit humain suivît une pareille marche.

140. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Raymond Brucker » pp. 27-41

Courageux esprit, parce qu’il croit à une vérité absolue, il ne respecte point cette peau de serpent que l’amour-propre empaille encore, quand nos esprits ont fait peau nouvelle. […] Brucker n’a pas fait l’Encyclopédie, et nous l’en félicitons de tout notre cœur, mais c’est un esprit encyclopédique et qui a encyclopédiquement écrit. […] Tous deux sont des esprits également puissants par la parole et par la plume, quoique, contrairement à Diderot, la parole l’emporte sur la plume chez M.  […] Brucker, c’est le moment béni où la Grâce, comme nous disons, nous autres chrétiens, s’empara de cet esprit rebelle, las des fausses théories et des menteuses lumières sous lesquelles il se débattait. […] Cela est douteux, car le bonheur, qui est bête comme un vieux bourgeois, n’est pas du côté des esprits aventureux et de cette chose qui dérange tout, — l’initiative.

141. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Ces images et ces idées, avant de se trouver dans l’œuvre d’art, ont dû se trouver dans l’esprit de l’homme qui l’a conçue et exécutée. […] Or on sait que l’esprit, le moi de tout homme, est constitué, comme le montre notamment M.  […] L’œuvre d’un artiste est le signe compréhensible de son esprit. Cet esprit, en tant qu’esprit humain, est constitué par le même mécanisme général de sensations, d’images, d’idées, d’émotions, de volitions, d’impulsions motrices et inhibitrices, que la généralité des entendements humains. Comme esprit individuel et surtout comme esprit supérieur, ce mécanisme général est affecté de certaines altérations particulières qui constituent à proprement parler, sa personnalité, sa discernabilité, son essence à part, les caractères par lesquels il se sépare et existe.

142. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXII. Philosophie politique »

Nous savons trop, pour nous en étonner, à quel ironique piquet de chèvre Dieu a attaché l’esprit humain, et ce qu’il lui donne de cette corde au bout de laquelle l’homme passe son temps à rêver l’infini ! […] M. de Beauverger nous fait l’effet d’un esprit ouvert, — trop ouvert pour le moment, — mais sensé et qui se refermera naturellement à bien des idées qu’il accepte. […] La foi en ces choses que la Philosophie travaille à la main, — les Constitutions, — a incliné M. de Beauverger à une admiration compromettante, parfaitement indigne d’un esprit qui a souvent de la critique et de justes appréciations. […] Disons, nous, quelque chose que les esprits, impatients de netteté et de consistance, puissent au moins saisir. […] Ce titre même de Tableau des progrès de la philosophie politique aurait contracté le mordant d’une ironie, et n’en serait ainsi que mieux entré dans les esprits.

143. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Préface de la première édition du quatrième volume »

Je me suis donc abstenu, attendant que l’ordre, rétabli dans la société et dans les esprits, me permît de les juger, non comme des auxiliaires appelés en de mauvais jours pour des œuvres de destruction, mais comme des maîtres de l’art et comme les guides de l’esprit humain au dix-huitième siècle. […] Rousseau a deux défauts pour lesquels je ne suis pas près de devenir endurant : c’est l’esprit de chimère et la déclamation. […] Rousseau, chez qui l’esprit de chimère vient d’une tête par moment troublée, et dont la vie a si violemment contredit les maximes ! La déclamation ne m’est guère moins antipathique que l’esprit de chimère dont elle est la sœur. Elle est le tour d’esprit de Rousseau, et c’est en cherchant la déclamation qu’il rencontre la grande éloquence.

144. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — III » pp. 132-153

Il reconnaît et constate un esprit d’amélioration générale et de raison moyenne qui gagne sensiblement. […] que de génie que d’esprit, que de choix de grandes choses ! […] Cet auteur est un homme d’une imagination forte, et son jugement ne vient qu’à la suite de son esprit. […] Il a dit du maréchal de Saxe, sous le titre de Génie, esprit : On n’a jamais si bien reconnu les effets de l’esprit et du génie qu’à l’occasion du maréchal de Saxe ; il n’avait point l’esprit de la guerre, mais il en avait le génie. […] Le génie est plus près de l’instinct que de l’esprit, cependant il est fort au-dessus de l’esprit.

145. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

) Elle se livra au public, elle s’associa à Messieurs de l’Académie, et établit chez elle un bureau d’esprit. […] C’est un air qui ne prouve pas la supériorité de l’esprit, mais le dérèglement du cœur. […] Rien ne rend plus heureux que d’avoir l’esprit persuadé et le cœur touché : cela est bon pour tous les temps. […] Avec ses égaux on se néglige ; l’esprit s’assoupit. » Voilà une remarque fine et juste. […] Ce sont « mes débauches d’esprit », disait Mme de Lambert.

146. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « I. Leçon d’ouverture du Cours d’éloquence française »

L’essentiel était de manifester une originalité personnelle, de créer de l’esprit ou un système, et de se montrer avantageusement à l’occasion de son auteur. […] On l’a dit, se défier de soi et d’autrui, c’est en deux mots tout l’esprit scientifique. […] Comment cet écrivain avait-il agi sur les esprits, et révélait-il sa qualité intime par son action ? […] Mais en répondant à l’appel de Sainte-Beuve, il retint de la forte discipline de Benoist une méthode impersonnelle et rigoureuse, le respect des textes et des faits, l’habitude de l’enquête patiente et scrupuleuse, la défiance de l’esprit brillant et de l’esprit de système. […] Très peu d’années nous séparaient ; et nous appartenions en somme à la même génération d’esprits.

147. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

Également distingué comme professeur et comme journaliste, homme d’esprit sous toutes les formes, M.  […] Il a l’esprit, le cœur naturellement modérés, et je ne lui ai jamais vu de passion. […] Avec son esprit et son habileté, il dissimule cette lacune du mieux qu’il peut. […] Je sais bien ce que l’homme d’esprit pourrait me répondre et ce qu’il a déjà répondu. […] C’est ce qui arrive de presque toutes les maladies de l’esprit humain qu’on se flatte d’avoir guéries.

148. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

Or, pour créer ces apparences, le moi ou l’esprit fait un usage constant des deux procédés que l’on a décrits ; il utilise à son service ces deux forces que l’on a montrées modelant la matière objective par les rapports qu’elles soutiennent entre elles. […] C’est par ce double geste d’association et de dissociation que l’esprit crée la diversité du monde phénoménal et rend lu connaissance possible. […] Ainsi faut-il expliquer par l’un ou l’autre de ces deux mobiles tout le travail d’association et de dissociation par lequel on a vu que l’esprit engendre la réalité phénoménale. […] Toutes ces conceptions où s’est tour à tour arrêté l’esprit scientifique ont été des vérités en leur temps. […] Ces vérités ont été le lieu où, en concevant la nature des choses autre qu’elle n’est, l’esprit humain est parvenu à se former quelque image de la réalité phénoménale.

149. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Les penseurs, repoussés de toutes parts par la folie de l’esprit de parti, s’attachent à ces études ; et comme la puissance de la raison est toujours la même, à quelque objet qu’elle s’applique, l’esprit humain qui serait peut-être menacé d’une longue décadence, s’il n’avait eu que les querelles des factions pour aliment, l’esprit humain se conserve par les sciences exactes, jusqu’à ce que l’on puisse appliquer de nouveau la force de la pensée aux objets qui intéressent la gloire et le bonheur des sociétés. […] L’on a employé les formes de la démonstration pour expliquer la théorie des facultés intellectuelles ; c’est une conquête pour l’esprit philosophique. […] Il est cependant de ces questions qui, déjà résolues, n’offrent plus à l’esprit de parti l’espérance d’aucun débat. […] Dans cette disposition de l’esprit humain, il y a des arguments pour tout, dans la langue même du raisonnement. […] Ce principe peut être fortifié par tout ce qui agrandit l’âme et développe l’esprit.

150. (1890) L’avenir de la science « XVI »

De là cette extrême complexité des œuvres primitives de l’esprit humain. […] Le livre sacré est l’expression de ce premier état de l’esprit humain. […] Tel est l’esprit humain des âges primitifs. […] Dans la synthèse primitive, les esprits différant à peine, l’harmonie était facile. […] Le retour à l’unité s’y opère par l’esprit ; car l’esprit n’est que la résultante unique d’un certain nombre d’éléments multiples.

151. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

C’était pourtant un rare esprit. […] Comme les esprits de race, il portait au vent de ce côté. […] Et je ne dis pas cela pour déprécier Chasles et pour le descendre, car l’esprit anglais est un grand esprit et la littérature anglaise la plus belle, selon moi, des littératures de l’Europe. […] Beaucoup d’esprits, en vivant quelque temps en Angleterre, ont contracté quelque chose de l’esprit anglais. Voltaire et Montesquieu furent de ces esprits-là.

152. (1903) La pensée et le mouvant

C’est la vision directe de l’esprit par l’esprit. […] Ainsi la nature détourne l’esprit de l’esprit, tourne l’esprit vers la matière. […] Cette vision directe de l’esprit par l’esprit est la fonction principale de l’intuition, telle que nous la comprenons. […] Contentons-nous du réel, matière et esprit. […] En un mot, l’esprit de synthèse n’est qu’une plus haute puissance de l’esprit d’analyse.

153. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XX. Du dix-huitième siècle, jusqu’en 1789 » pp. 389-405

La grâce piquante, le goût exquis qui régnaient dans ses ouvrages, lui rendaient presque nécessaire d’avoir pour juge l’esprit aristocratique. […] Ce n’est plus un art seulement, c’est un moyen ; elle devient une arme pour l’esprit humain, qu’elle s’était contentée jusqu’alors d’instruire et d’amuser. […] Montesquieu essaya ce genre de raillerie dans ses Lettres persanes ; mais il n’avait point la gaieté naturelle de Voltaire ; et c’est à force d’esprit qu’il y suppléa. […] La littérature du dix-huitième siècle s’enrichit de l’esprit philosophique qui la caractérise. […] Je vais maintenant examiner l’esprit actuel, et présenter quelques conjectures sur l’avenir.

154. (1757) Réflexions sur le goût

Il en est de frappantes et de sublimes, qui saisissent également tous les esprits, que la nature produit sans effort dans tous les siècles et chez tous les peuples, et dont par conséquent tous les esprits, tous les siècles et tous les peuples sont juges. […] Et comment le véritable esprit philosophique serait-il opposé au bon goût ? […] Abuser de l’esprit philosophique, c’est en manquer. […] Ce petit nombre de réflexions paraît devoir suffire pour justifier l’esprit philosophique des reproches que l’ignorance ou l’envie ont coutume de lui faire. Observons en finissant, que quand ces reproches seraient fondés, ils ne seraient peut-être convenables, et ne devraient avoir de poids que dans la bouche des véritables philosophes ; ce serait à eux seuls qu’il appartiendrait de fixer l’usage et les bornes de l’esprit philosophique, comme il n’appartient qu’aux écrivains qui ont mis beaucoup d’esprit dans leurs ouvrages, de parler contre l’abus qu’on en peut faire.

155. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Retranché dans sa maison, il laisse venir à lui le monde : du fond de son cabinet, il le domine par l’omniprésence de son esprit. […] Il n’y a pires sots que les gens d’esprit, quand la vanité s’y met. […] D’autre part, dans ce sujet infiniment vaste, il nous fait admirer l’incroyable netteté de son esprit. […] Enfin, cinq ou six chapitres, étalant la grandeur de l’esprit humain dans les lettres et les arts, couronnaient magnifiquement l’ouvrage. […] Il essaie réellement de faire l’histoire générale de l’esprit humain.

156. (1887) Essais sur l’école romantique

L’esprit des poésies de M.  […] Ce n’est pas son cœur ni son esprit qui l’ont touchée ; c’est sa belle mine. […] Où va l’esprit dans l’homme ? […] avec quelle justesse il caractérise la diversité de leurs esprits et de leurs talents ! […] Toute la partie supérieure de la figure est d’un homme éminent par les qualités de l’esprit.

157. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « III. Quelques mots sur l’explication de textes »

N’est-ce qu’une invention de pédant, une erreur pédagogique, un moyen de fatiguer inutilement les esprits ? […] Le postulat évidemment, est que les textes ont un sens en eux-mêmes, indépendamment de nos esprits et de nos sensibilités, à nous qui lisons. […] On s’occupe de faire briller son esprit. […] Les multiples enquêtes qu’impose l’obligation d’expliquer avec précision, nous conduisent à toutes sortes de découvertes dont notre esprit s’enrichit. […] On n’atteindrait jamais le livre, mais toujours un esprit réagissant un livre et s’y mêlant, le nôtre, ou celui d’un autre lecteur.

158. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Le Chevalier de Méré ou De l’honnête homme au dix-septième siècle. »

Qu’aurait-il pensé de N., qui a tant d’esprit et qui se croit si moral, mais qui dès sa jeunesse, et jusque dans ses frais d’esprit, n’a jamais rien fait d’inutile ? […] Le plus sensible est celui de l’amour ; mais il passe bien vite si l’esprit n’est de la partie. Et comme les plaisirs de l’esprit surpassent de bien loin ceux du corps, il me semble aussi que les extrêmes douleurs corporelles sont beaucoup plus insupportables que celles de l’esprit. […] qu’il avoit l’esprit juste ! […] Ninon paraît aussi avoir fait grand cas de l’esprit du maréchal.

159. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Esprit des lois, XXIV, ch. 19.] […] Esprit des lois, XXIV, ch. 14.] […] Mais, puisque l’on fait souvent encore entre « l’esprit de l’Encyclopédie » et « l’esprit classique » une confusion fâcheuse, qui rappelle celle que l’on a longtemps faite entre l’esprit de la réforme et l’esprit de la Renaissance ; puisque même on a voulu voir dans l’esprit encyclopédique le terme en quelque sorte préfix et l’aboutissement nécessaire de l’esprit classique [Cf.  […] De l’esprit, discours II, ch. 17]. […] De l’esprit, discours II, ch. 15].

160. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Bazin aimait avant tout la concision et la discrétion, les choses justes qui ne s’adressent qu’aux esprits faits pour les sentir. […] Celle-ci, bien que pure royaliste, se composait en grande partie de gens d’esprit, très libres de convictions et très désabusés. […] Bazin est un homme de beaucoup d’esprit et qui se pique de n’avoir rien, en écrivant, de l’érudit de profession et du pédant. […] J’aime bien mieux pourtant son morceau excellent sur Bussy-Rabutin, sujet moins élevé et où un tel genre d’esprit était plus de mise. […] Enfin, c’était un des esprits rares et l’un des originaux de ce temps-ci.

161. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

Le grec était la langue défendue : c’était une grâce de plus pour un esprit curieux et libre. […] Non qu’il n’y ait dans la partie bouffonne un certain sel qui pique même les esprits sérieux mais, pour la bien goûter, il y faut apporter une disposition d’esprit analogue : au lieu que, pour cette part de l’utile, tout esprit cultivé y est toujours assez préparé. […] Là sont les premières traditions et la première image de l’esprit français, depuis que, dans ce le commerce si fécond avec l’antiquité, il est devenu l’esprit humain. […] peut-être une ivresse d’esprit qui n’a été quelquefois que l’ivresse du vin. […] Ils se mêleront plus tard et leur union fera la perfection même de l’esprit français.

162. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre dixième. »

Le dramatique était son tour d’esprit. […] L’esprit de comparaison se forme insensiblement dans leurs tendres intelligences. […] L’idéal effarouche des esprits jaloux d’une liberté de spéculation illimitée ; ils s’en défient comme d’une règle. […] L’esprit se prête alors à sa pompe et se met à son pas. […] Les autres genres nous tendent plus ou moins l’esprit ; c’est même là leur propriété et leur puissance.

163. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre I. Roman de Renart et Fabliaux »

La ruse, ou l’esprit, en face de la force […] Esprit des fabliaux : intention comique. […] l’esprit des grandes intrigues et l’esprit des 1 sottes brimades, l’esprit du Prince de Machiavel et celui des clercs de Balzac, l’esprit plus fort que la force, voilà le spectacle qui se déploie dans le Roman de Renart : voilà sur quoi l’on arrête et l’on ramène toujours nos regards. […] Au fond, on ne s’étonne pas des méchants tours de Renart : il est naturel qu’il se serve de l’esprit que la nature lui a fait. […] En ce monde, il ne s’agit que d’avoir un esprit subtil — avec de bons poings, si l’on peut — mais l’esprit, l’« engin », est le principal.

164. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Cela n’a pas besoin d’être démontré pour la littérature religieuse ; mais la littérature laïque est imprégnée du même esprit. […] L’Église pâtit du petit esprit des sectes, de leur fanatisme injurieux. […] La cour enfonce dans les esprits l’idée qu’un dévot est un habile homme : sinon, il ne serait qu’un niais. […] L’esprit philosophique n’est autre que l’esprit scientifique : car la science est éminemment la connaissance rationnelle. […] Des réalités, des morceaux de nature entrent dans l’esprit de l’homme ; des images, des sensations s’infiltrent dans la littérature.

165. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXIII. Henry Gréville »

Mais Dosia m’a tiré de cette anxiété, car Dosia, c’est l’esprit ! C’est l’esprit plus que le talent… C’est l’esprit, de ce coup ! […] Mais l’esprit est sous l’œil de poudre ! […] C’est uni, dans une conversation fougueuse, brisée, un peu ivre et faisant les S de la griserie, l’esprit français et l’esprit russe ; car il y a de l’esprit français dans l’esprit russe. On dit que c’est l’esprit français qui l’y a mis, je n’en sais rien, mais il y est !

166. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — II. (Fin.) » pp. 364-380

Ce n’était point eux qui y mettaient de la finesse, c’était de la finesse qui s’y rencontrait… On accuse quelquefois les gens d’esprit de vouloir briller ; oh ! […] « Voyez, s’écrie le paysan, que de choses capables de débrouiller mon esprit et mon cœur ! […] Dans sa feuille périodique Le Spectateur français, parlant des Lettres persanes qui venaient de paraître, il les loue pour l’esprit, mais les critique sur un point. […] Marivaux avait dans l’esprit, on l’a vu, un coin de sérieux qui eût mérité de trouver grâce auprès des vrais et modestes philosophes, et que d’Alembert du moins a senti. Mais ce qui était bien véritable aussi et frappant, c’est que tout ainsi que Montesquieu pouvait dire : « L’esprit que j’ai est un moule, on n’en tire jamais que les mêmes portraits », l’esprit de Marivaux, à plus forte raison, devait paraître un patron d’où il avait tiré à la fin toutes les broderies et toutes les dentelles.

167. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — I » pp. 417-434

On a fait souvent l’éloge de l’esprit, et de sa vivacité conservée ou augmentée dans la vieillesse ; bien avant notre savant et ingénieux confrère M.  […] les La Fayette, les La Rochefoucauld, les Broglie, les Montmorency étaient atteints de la philosophie du siècle et touchés de l’esprit nouveau. Bonstetten fut au dehors de la France un de ces jeunes nobles, et des plus précoces, que l’esprit du xviiie  siècle enflamma et transforma. […] Gray avait de la gaieté dans l’esprit et de la mélancolie dans le caractère. […] Il paraît avoir craint qu’un si grand mouvement d’idées ne finît par quelque dérangement d’esprit.

168. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre III. Madame de Staël »

Caractère et esprit. […] Rod : ce sont des « esprits européens », comme disait la première. […] Ses intérêts de cœur ou d’esprit en rendirent la marche irrégulière et inégale. […] Dieu donnait à son esprit l’infini de la science comme à son cœur l’infini de l’amour. […] Son esprit se forme à entendre Raynal, Thomas, Grimm.

169. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Ô vanité de l’esprit ! […] Esprit, j’ai retrouvé ton aiguillon ! […] Déjà de son temps, on ne disait pas de Marivaux qu’il avait trop d’esprit, mais bien qu’il courait après l’esprit. […] un esprit doué d’une vue plus fine et plus déliée ? […] disait-il, c’est si facile de courir après l’esprit. » « Courir après l’esprit !

170. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Meurice » pp. 231-241

Paul Meurice Les Chevaliers de l’Esprit : Césara. […] Mais des Chevaliers de l’Esprit, il n’y en a eu que dans la tête de Meurice, que voilà obligé de nous apprendre ce qu’il entend par là dans l’introduction de son livre ; et, ce qu’il entend, le croiriez-vous ? […] En effet : « Qu’est-ce que l’esprit ? […] Il a femme et enfants, une femme à laquelle il aurait pu demeurer fidèle comme le premier honnête homme venu, si Meurice n’avait pensé que le Chevalier du libre esprit devait être en même temps le Chevalier du libre amour ! […] Tous ces insurgés de l’heure présente, dans un aveuglement que Dieu permet et qu’ils ont mérité, retournent, croyant faire du nouveau, l’esprit chrétien faussé contre le Christianisme.

171. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

L’esprit satirique est le principal assaisonnement d’un genre très-cultivé alors, et le plus approprié à cet âge de l’esprit français et de la langue. […] C’est là un trait de l’esprit français. […] Regardez-y de près : c’est toujours la guerre entre l’esprit de liberté et l’esprit de discipline, dont la réconciliation, à certaines époques, produit les chefs-d’œuvre. […] Le progrès était donc d’intéresser les esprits à des idées générales. […] On se donnait à volonté ce tour d’esprit.

172. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre III : Le présent et l’avenir du spiritualisme »

D’autres, plus éclairés, ayant eux-mêmes reçu plus ou moins le souffle de cet esprit moderne si détesté, voudraient que le catholicisme s’alliât à cet esprit pour le diriger, en adoptât hautement les maximes, et revendiquât pour l’Évangile même l’honneur de ces principes que l’on dirige faussement contre lui. […] L’esprit de secte nous est intolérable partout. […] On accuse notre philosophie d’être à la fois froide et timide, de ne donner complètement satisfaction ni à l’esprit religieux ni à l’esprit scientifique. […] L’esprit de secte les asservit ; l’esprit d’examen nous affranchit. […] L’esprit public, aveuglé et enivré par l’entraînement des réactions, les adoptera sans les reconnaître sous des noms différents ; puis viendra sans doute quelque esprit vigoureux qui, rassemblant ces éléments épars dans une synthèse nouvelle, rendra à la pensée spiritualiste sa puissance et son éclat.

173. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

À côté du plus séduisant esprit qui ait peut-être jamais existé, il a placé, pour en diminuer le charme par le mépris, l’immoralité et les turpitudes du caractère. […] Nicolardot a été cet esprit-là. […] Les voltairiens, qui croient bien à l’esprit de Voltaire, ne croient pas tout à fait autant à son caractère, à sa conscience, à son être moral enfin ! […] Nul n’a mieux vu et n’a mieux fait voir cette qualité d’esprit de Voltaire que M.  […] Nicolardot, les esprits indulgents qui se désarment de leur sévérité dans le rire ( j’ai ri, me voilà désarmé !

174. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

Pelletan, qui a l’esprit ardent des hommes faits pour la vérité, a mesuré la difficulté avec son courage. […] En quelle classe d’esprits le rangerons-nous ? […] Pelletan (et que d’esprits pensent comme lui à cette heure, ou du moins inclinent à penser comme lui !) […] Cela paraît si simple à l’esprit et cela est si doux à l’orgueil ! […] L’esprit, qu’on a méconnu en soi, s’est vengé.

175. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Les deux premières se confondent à quelques égards par les dates, mais leur esprit est extrêmement différent. […] Les Romains avaient sur les Grecs une avance de quelques siècles, dans la carrière de l’esprit humain. D’ailleurs, plus il existe de convenances à ménager, plus la pénétration de l’esprit est nécessaire. […] Le parallèle de Cicéron et de Démosthène se trouve donc presque entièrement dans la comparaison qu’on peut faire de l’esprit et des mœurs des Grecs, avec l’esprit et les mœurs des Romains. […] Des écoles publiques furent instituées pour étudier l’esprit des lois ; des commentateurs les analysèrent.

176. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Diffusion de l’esprit philosophique : salons, gens du monde et femmes. […] L’esprit de Beaumarchais : verve et réflexion. […] Cependant Rousseau pénètre dans les âmes, en dépit de l’obstacle que lui oppose l’incurable esprit du monde. […] L’originale propriété de son esprit pourrait, je crois, se définir par l’impertinence. […] Elle eut avec Voltaire, qui redoutait son esprit, et dont elle aimait l’esprit, une très intéressante correspondance. — Éditions : Correspondance complète de Mme la marquise du Deffand avec ses amis, pub. p.

177. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Retz écrivit ses Mémoires après 1671 : mais tout y est antérieur à 1660, esprit et style. […] Bussy les traite assez cavalièrement ; Horace n’est guère pour lui qu’un « garçon d’esprit » comme Despréaux. […] Le plus souvent, même avec sa fille, Mme de Sévigné surveille son inspiration, choisit, et fait effort pour dégager les qualités de son esprit, ou l’intérêt des choses. […] Elle appliqua aux filles le grand principe pédagogique que Port-Royal avait posé : elle voulut faire des caractères droits et des esprits justes. […] Certaines scènes sont d’une franchise remarquable, de vrais morceaux de réalité, sincèrement transcrite, sans outrance et sans esprit.

178. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Esprit et humeur de Fénelon : amour-propre, ambition, affection. […] La Bruyère n’est pas un esprit profond ; il n’a pas un point de vue original et personnel d’où il regarde les actions humaines, En un mot, il n’a pas de système. […] Il y a dans ce livre un merveilleux assez froid et un mélange bien incohérent de fictions païennes et d’esprit chrétien. […] Un semblable esprit anime les Dialogues des morts : ces dialogues sont encore instructifs et moraux. […] Jamais esprit ne s’est mû plus librement : car jamais il ne s’est lié par le respect de la logique ou le sens du possible.

179. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — Y. — article » pp. 529-575

Il faut néanmoins convenir, par esprit d'impartialité, qu'il n'a pas été plus heureux dans la défense que dans l'attaque. […] Telle étoit la raison des anciens Philosophes, de ces Sages qui ont dominé quelque temps les esprits : & que nous a-t-elle appris ? […] Ce qui prouve combien cette Foi est nécessaire, c’est le besoin que nous avons d’être fixés ; car notre esprit n’est pas destiné à se nourrir de doutes & d’incertitude ; c’est le besoin d’une Morale fixe & invariable, d’une Morale qui agisse sur l’esprit & sur le cœur. […] Qui ignore que les yeux de l’esprit sont encore plus variables & plus variés que ceux du corps ? […] Nous ne prétendons pas dire qu’elle soulage tous les maux : le tableau de la vie ne nous en présente que trop qui ne sont pas soulagés ; mais nous soutenons que l’esprit de la Religion les adoucit, & que si cet esprit étoit suivi, ils disparoîtroient tous de la surface de la terre.

180. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) «  Œuvres de Chapelle et de Bachaumont  » pp. 36-55

Mais en même temps qu’on se rendra mieux compte de la circonstance et du tour d’esprit naturel qui l’ont fait naître, il s’y joindra un regret : c’est qu’il soit arrivé à cette jolie pièce d’esprit un malheur qui arrive à toute chose nouvelle qui réussit, elle est devenue le point de départ d’une mode et d’un genre. […] Son père ne tarda pas à voir que ce fils n’était bon qu’à être un homme d’esprit en toute liberté, tantôt dans la bonne compagnie, tantôt dans la mauvaise. […] Tout cela, malgré ce qu’on y appelait esprit, est détestable. […] En un mot, dans une classification (si elle est possible) des esprits, Chapelle me paraît appartenir à une tout autre famille, et à une famille moins noble. […] [1re on a dit qu’il abusait de la permission qu’ont les gens d’esprit d’être laids !

181. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Ne croyez pas, mon cher ami, que ce soit encore ici une diversion comme l’autre fois ; non, mais je serais bien aise de vous obliger à un plan fixe, et surtout pour la conduite et pour l’action de votre esprit. […] Mais lorsqu’il lui est refusé d’étendre au dehors son action, elle l’exerce en elle-même, d’une manière inconnue aux esprits faibles et légers, que l’action du corps seul occupe. […] Les deux premiers n’ont que l’esprit de leur siècle, et les mœurs de leur patrie ; mais le génie de César est si flexible à toutes les mœurs, à tous les hommes, à tous les temps, qu’il l’emporte. […] L’on ne mesure bien, d’ailleurs, la force et l’étendue de l’esprit et du cœur humains que dans ces siècles fortunés ; la liberté découvre, jusque dans l’excès du crime, la vraie grandeur de notre âme ; là, la force de la nature brille au sein de la corruption ; là, paraît la vertu sans bornes, les plaisirs sans infamie, l’esprit sans affectation, la hauteur sans vanité, les vices sans bassesse et sans déguisement. […] Mais je ferai remarquer que les cœurs honnêtes et les esprits droits comme l’était Vauvenargues rabattent bien vite de certaines phrases en présence des faits.

182. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Ayons le cœur et l’esprit hospitaliers. […] Son esprit était prompt, solide, élevé ; sa forme déliée et aérienne. […] Cet esprit trop vif, qui ne savait pas marcher lentement, aimait à voler et à s’élever près d’elle. […] C’est de l’esprit distillé et fixé dans tout son suc : on n’en saurait prendre beaucoup à la fois. […] Puis, j’ai pris La Bruyère au chapitre des « Ouvrages de l’esprit ».

183. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

En 1800, on était à l’une de ces époques où l’esprit public tend à se reformer. […] La Décade, avant d’expirer, avait changé de nom et d’esprit. […] C’était un auxiliaire destiné à corriger en partie l’esprit antivoltairien des autres. […] De ce qu’un homme a des défauts et pis encore, ce n’est jamais une raison de mépriser son talent ni son esprit. […] Esprit exact, sincère et scrupuleux, possédant l’art d’une ironie fine, il manquait du sentiment élevé de la poésie.

184. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 15, le pouvoir de l’air sur le corps humain prouvé par le caractere des nations » pp. 252-276

Tous les peuples sont encore plus differens par les inclinations et par l’esprit que par le teint et par le corsage. […] Je ne veux pas citer les éloges que les écrivains grecs ont fait du goût et de l’esprit des atheniens. […] Dès que cette difference extérieure s’augmente, la difference des esprits devient immense. Les chinois n’ont point un esprit qui ressemble à celui des europeans. […] Les iberiens avoient un caractere d’esprit aussi different de celui des gaulois, que le caractere d’esprit des castillans l’est aujourd’hui du caractere d’esprit des françois.

185. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Vte Maurice De Bonald »

Les journaux qui expriment ces espérances, et qui s’efforcent de les fomenter et de les grandir dans les esprits et dans les cœurs, n’en parleront pas. […] Il a dans les veines du sang, et dans l’esprit de la pensée de son illustre et glorieux aïeul. Ce n’est pas un esprit de ces temps affolés. […] entre l’esprit monarchique et l’esprit révolutionnaire, dans laquelle il serait stipulé qu’il prend la France avec tout son inventaire révolutionnaire d’indépendances et de libertés, qui, d’ailleurs, ne trompent plus personne, tant elles nous ont de plus en plus précipités ! […] En cela moins fidèle (comme on peut le voir, page 76, dans une lettre du duc de Nemours), moins fidèle à l’esprit monarchique et traditionnel de sa race, que la maison d’Orléans à l’esprit et à la tradition révolutionnaires de la sienne.

186. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Telle elle avait été, toute sa vie, dans les maisons où elle avait vécu sur le pied d’amitié, y mettant l’ordre, la propreté, la décence, répandant l’esprit de travail autour d’elle, et en même temps faisant honneur tout aussitôt à l’esprit de politesse et de société. […] Il y avait parmi ces premières élèves et maîtresses de Saint-Cyr une Mme de La Maisonfort, femme distinguée, esprit curieux, amoureux des recherches, et qui était faite pour un tout autre cadre que celui qu’elle s’était choisi ; elle ne pouvait se résoudre à renoncer à la tendresse de son cœur, à la délicatesse de son esprit et de son goût. […] Il vous aurait édifiée, le pauvre homme, si vous aviez vu son humilité dans sa maladie, et son repentir sur cette recherche de l’esprit. […] Ce que vous sentez là-dessus est encore matière de sacrifice ; il faut, que votre esprit devienne aussi simple que votre cœur… Employez votre esprit non à multiplier vos dégoûts, mais à les vaincre, mais à les cacher en attendant qu’ils soient vaincus, mais à vous faire aimer les plaisirs de votre état. […] Le caractère grave de Mme de Maintenon se trouve empreint à chaque ligne dans le petit livre adressé aux Dames et intitulé : L’Esprit de l’institut des Filles de Saint-Louis.

187. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

La critique varie à l’infini selon l’objet étudié, selon l’esprit qui l’étudié, selon le point de vue où cet esprit se place. […] Elle est fort systématique et singulièrement partiale et incomplète ; mais comme l’esprit de M.  […] Ainsi sommes-nous conduits à noter deux autres caractères de l’esprit de M.  […] Or l’esprit d’analyse aboutit naturellement à une grande tristesse. […] Dumas fils — moins l’esprit.

188. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Montesquieu n’est pas de ces hommes qui aient à craindre la familiarité : il est un grand esprit de près comme de loin. […] Il lisait plume en main et en réfléchissant : « Au sortir du collège, on me mit dans les mains des livres de droit ; j’en cherchai l’esprit. » Cet esprit des choses du droit et de l’histoire fut la recherche de toute sa vie : il ne se reposa que quand il crut l’avoir trouvé. […] Dans L’Esprit des lois, il a souvent mêlé, on ne sait comment, l’épigramme à la grandeur. […] Quand on veut apprécier la nature et la forme d’esprit de Montesquieu, il faut se souvenir de ce qu’il écrivait lui-même, vers la fin de sa vie, à d’Alembert qui lui demandait pour l’Encyclopédie certains articles qu’il avait déjà traités dans L’Esprit des lois : « J’ai, disait-il, tiré, sur ces articles, de mon cerveau tout ce qui y était. […] Je suis presque aussi content avec des sots qu’avec des gens d’esprit… etc.

189. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre troisième »

Ces restes de l’esprit gaulois auraient cédé naturellement place à l’esprit français entrevoyant pour la première fois, sous les mots charmants de tragédie et de comédie, l’idéal d’un art que le dix-septième devait réaliser. […] Mais, dans tout cet esprit du Cid, le trait le plus semblable à la vie, c’est que le devoir a plus d’esprit que la passion. […] Ce jugement eût été vrai du haut d’une chaire ; d’une compagnie de gens d’esprit, il était excessif. […] Le tour d’esprit de son temps lui imposa le mélange de la politique et de la galanterie. […] Des Ouvrages de l’esprit.

190. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — I » pp. 246-260

Catinat, Vauban, Bois-Guilbert, Fénelon, jusqu’à un certain point Saint-Simon, Boulainvilliers, le duc de Chevreuse dans les entours du duc de Bourgogne, étaient de ces esprits réformateurs plus ou moins chimériques et systématiques, ou positifs et applicables. […] Quelques esprits prirent cette méthode au pied de la lettre et se mirent à la pratiquer, à l’appliquer en toute rigueur, ayant fait maison nette et table rase pour commencer ; cela menait droit et loin. Tant que d’autres esprits puissants et vigoureux, mais déjà en partie formés, imbus d’une forte éducation antérieure, nourris de la tradition et de la moelle des siècles passés, avaient pris du cartésianisme avec sobriété, à petites doses, en le combinant avec les autres éléments reçus, on n’avait eu que de ces résultats moyens, agréables, sans paradoxe, sans scandale, tels qu’on les rencontre chez Arnauld, chez Bossuet, chez Despréaux, chez La Bruyère ; mais quand le cartésianisme, je veux dire la méthode cartésienne, toute autorité étant mise de côté, présida dès l’origne à la formation et à la direction entière d’un esprit, on fut étonné du chemin qu’elle faisait faire en peu de temps sur toutes les routes. […] Mais il a écrit quelque part contre l’esprit moqueur ; n’ayant pas en lui même le sentiment du ridicule, il le désapprouvait naturellement chez les autres. […] Le cœur en trouve quelquefois de victorieuses, même contre l’esprit.

191. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

Attaquez une psychologie par une psychologie ; vous convaincrez quatre ou cinq esprits solitaires, mais la foule vous échappera. […] Je ne sais si depuis Fontenelle la science avait eu tant de souplesse et tant d’esprit. […] Le lecteur y reconnaît l’œuvre d’un esprit très-fin, très-délicat, très-conséquent et très-net. […] À notre avis, cette méthode est un des chefs-d’œuvre de l’esprit humain. […] et par quels moyens remplissent-ils l’esprit d’idées claires ?

192. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XIII » pp. 109-125

C’était un homme de qualité, un homme d’esprit, de belle figure, un homme de cour, mais non un de ces courtisans de profession, qui bornant leur ambition à obtenir une parole ou un regard du prince, se pâmaient de joie en s’entendant nommer pour un voyage de Mari y ou Ce Fontainebleau. […] L’entrée à l’hôtel Rambouillet de cette femme charmante, dont l’esprit et la grâce n’ont pas vieilli depuis deux siècles, dont la vertu a été aussi souvent citée que sa grâce et son esprit, n’est pas moins un hommage à la pureté de principes et de goût de la marquise de Rambouillet, que ne l’ont été la noble sagesse et l’austère vérité de Montausier, quand il s’y est établi. […] Il lui écrivait le 30 juillet 1654 : « Mon Dieu, que vous avez d’esprit, ma belle cousine, que vous écrivez bien, que vous êtes aimable !  […] Madame de Caylus parle aussi de l’hôtel de Richelieu : « Monsieur et madame de Richelieu avaient l’un et l’autre du goût pour les gens d’esprit. […] Madame de la Sablière disait de lui : « Il m’a donné de l’esprit, mais j’ai réformé son cœur. » C’était à l’occasion des Maximes, publiées en 1665, qu’ils faisaient l’utile échange de leurs sentiments et de leurs pensées.

193. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Pour l’excellence du langage, pour l’esprit, pour l’avidité de savoir, elle s’annonça de bonne heure ; elle avait, comme son frère, des étincelles de l’esprit du grand aïeul. […] L’esprit du grand aïeul se soutint cependant avec distinction encore, et se distribua comme en brillantes parcelles, dans la personne de plus d’un rejeton. […] C’était un homme instruit et d’esprit, qui ne pouvait paraître un génie que dans une coterie. […] Jamais, avec autant d’esprit, on n’a été plus naïvement déesse et bergère que la duchesse du Maine. […] Son esprit n’emploie ni tour ni figure, ni rien de tout ce qui s’appelle invention.

194. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution française »

… Les hommes, ces dupes orgueilleuses, s’échauffent comme les bêtes avec des tintamarres et quelques lambeaux d’écarlate secoués devant leurs majestueux esprits. […] Les pédants de l’Histoire les avaient traités d’esprits superficiels, parce qu’ils ne disaient que la sobre vérité, et ces esprits superficiels avaient raison ! Après de longues années de grandes phrases et de pretintailles philosophiques, un esprit perçant, avisé, calmé par la critique et la science, conclut comme eux. […] Armé d’une intelligence hardie, logique, inflexible, qui sait conclure, quand il a trouvé une turpitude dans un caractère ou une sottise dans un esprit, Cassagnac ne se laisse jamais imposer par l’opinion reçue sur cet esprit et sur ce caractère. […] Eh bien, c’est de cet à-peu-près, dont tant d’esprits se contentent, que Cassagnac n’a pas voulu !

195. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre deuxième »

Même, s’il pouvait être question de défauts dans un âge si tendre, j’y remarquerais le défaut des esprits clairs et nets, qui est une certaine sécheresse ; c’est comme la première forme d’un esprit sain qui n’est pas encore développé. […] C’est son habitude, sa physionomie ; c’est sous cette forme que l’esprit humain se manifestera par la langue française. […] La langue des spéculations de l’esprit y est encore tout entière à naître. […] Villehardouin représente certaines qualités de l’esprit français, Joinville en représente d’autres. […] Joinville est un esprit plus libre, plus curieux, plus animé que Villehardouin.

196. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre I. La poésie »

Rhétorique, ou esprit. […] Les élégiaques sont ou des libertins qui s’échauffent par des images polissonnes, ou des coquets insensibles qui font de l’esprit sur des idées d’amour. […] Il ne s’agit que de poser élégamment les termes du problème, de façon que la solution se présente instantanément à l’esprit. […] Je ne dis rien des contes ; la polissonnerie froide et concertée y étouffe l’esprit ; il n’y a là pour nous qu’ennui et dégoût. […] Il est le maître aussi dans les stances, les épitres, dans tous les genres agréables qui fixent l’esprit de la conversation.

197. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VIII. La mécanique cérébrale »

D’autres enfin Newton lui-même, Hartley et Bonnet, ont combiné les deux hypothèses en substituant aux esprits animaux un fluide plus général, qui obtient chaque jour plus de crédit dans la science moderne l’éther. […] Descartes et Malebranche se servaient de ces corpuscules ou esprits pour expliquer non-seulement les mouvements musculaires, ce qui se comprendrait aisément, mais la mémoire, l’imagination, les passions. […] Les esprits animaux, ressuscités de nos jours sous le nom de fluide nerveux, n’ont donc rien d’inadmissible. […] De toutes les facultés intellectuelles, celle dont on a le plus souvent tenté de donner une explication mécanique, parce qu’elle est en effet la plus automatique qui soit dans l’esprit humain, c’est la mémoire. […] Nous savons encore moins à que état particulier du cerveau correspond chaque état de l’esprit.

198. (1897) L’empirisme rationaliste de Taine et les sciences morales

D’après eux, il y a entre les choses des relations logiques, des rapports de parenté que la science a pour fin de découvrir et cette logique des choses est identique à celle de l’esprit. Aussi l’esprit, en la découvrant, ne fait-il que se retrouver lui-même ; il a en lui les principes de toute intelligibilité. […] Or, ce qui est le plus homogène à l’esprit, c’est l’élément simple et général. […] Pour repenser le monde dans ce qu’il a d’explicable, c’est-à-dire et tant qu’il est semblable à l’esprit, c’est assez que l’esprit se replie sur lui-même et prenne conscience de sa nature. […] Esprit analytique, il avait l’ambition des synthèses plus qu’il n’en avait le génie.

199. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Proudhon et Couture »

Après la révolution de Février, l’esprit français s’effeuilla en journaux. […] Certainement, c’est un esprit très fort que Proudhon, quand on regarde ses facultés en dehors de leur emploi, et pourtant sait-on bien de quoi se compose le système de preuves de cet esprit très fort ? […] C’est simplement un esprit faux dans un tempérament philosophique. […] De ces deux esprits, en effet, l’un est la négation absolue de l’autre. […] Esprit fortement généralisateur, il pose plus pour les idées qu’il ne les développe.

200. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Alors le principal caractère d’un esprit étant donné, on pourra en déduire plusieurs autres3. […] Nous faisons pour notre compte de simples monographies, nous amassons des observations de détail ; mais j’entrevois des liens, des rapports, et un esprit plus étendu, plus lumineux, et resté fin dans le détail, pourra découvrir un jour les grandes divisions naturelles qui répondent aux familles d’esprits. […] On ne saurait s’y prendre de trop de façons et par trop de bouts pour connaître un homme, c’est-à-dire autre chose qu’un pur esprit. […] Les esprits supérieurs ont plutôt un cachet qui se marque à un coin ; chez les autres, c’est tout un moule qui s’applique indifféremment et se répète. […] L’antagonisme des familles d’esprits achève ainsi de se dessiner.

201. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens III) Henri Rochefort »

Rochefort offense ma simplicité d’esprit. […] Rochefort et l’esprit de la cause qu’il défend. […] Il est constamment allé là où il pouvait avoir tout son esprit. […] On doit être fort tenté de croire aux idées qui vous donnent le plus d’esprit. […] Rochefort a, je crois, l’une de ces deux âmes avec l’esprit d’un boulevardier.

202. (1900) L’état actuel de la critique littéraire française (article de La Nouvelle Revue) pp. 349-362

En réalité, il y a toute une classe d’intelligences élevées qui sont peu armées pour inventer, mais qui ont l’esprit d’analyse, l’esprit de synthèse, et le tact d’appréciation à un haut degré. […] Il peut être l’« accoucheur d’esprits » que fut Socrate. […] Qui osera dire qu’un tel esprit n’équivaut pas les créateurs ? […] Des esprits comme celui de M.  […] Henry Bataille comme des esprits capables de se tourner avec bonheur vers la littérature d’essais.

203. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre douzième »

. — Esprit de l’école encyclopédique. — Ses effets. — § IV. […] Diderot. — Esprit de l’école encyclopédique. — Ses effets. […] Buffon peint d’idée tout ce qu’il voit, et il ne voit rien qu’avec les yeux de l’esprit. […] Un nouveau style vient ajouter aux plaisirs qui nous viennent des choses de l’esprit. C’est le style brillant, — si différent du style spécieux, — qui échappe par éclairs à un esprit capable de pensées solides.

204. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Bussy-Rabutin. » pp. 360-383

Il avait dans l’esprit de la délicatesse et de la force, de la gaieté et de l’enjouement. […] Il avait du feu dans l’esprit, mais il ne l’avait pas juste. […] Maintenant reconnaissons dans Bussy une qualité : il a du glorieux, du vaniteux, du goguenard et du railleur, du bel esprit et du malin esprit, mais au fond, tout au fond de tout cela, si l’on ose le dire, il y a du bon esprit. […] Il avait une grande étendue d’esprit capable de gouverner un État aussi bien qu’une armée. […] Tout à cheval qu’il était sur sa naissance et ses aïeux, Bussy tenait à l’esprit et y était sensible autant qu’à chose du monde.

205. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

n’avait-il pas compté (quel plus grand hommage d’esprit à esprit !) […] Je pourrais citer bien des preuves frappantes de cette disposition de son esprit dans ces volumes (tome i, pages 98, 108, 209, 237). […] Quel causeur, quel contradicteur réjouissant pour l’esprit ! […] ) — Sur l’esprit européen, si entreprenant, par contraste avec l’esprit asiatique : L’homme européen ; le fils de Japhet (audax Iapeti genus) veut changer, même sans profit. […] Pourquoi donc, quand on est un esprit essentiellement distinguée et brillant, aller prendre tant de soin pour se déguiser en couleurs de carnaval ?

206. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre II. Marche progressive de l’esprit humain » pp. 41-66

Marche progressive de l’esprit humain L’esprit humain marche dans une route obscure et mystérieuse, où il ne lui est jamais permis de rétrograder ; il ne lui est pas même permis d’être stationnaire. […] Enfin l’esprit humain a, ainsi que l’homme, ses âges et ses temps critiques. […] L’esprit humain survit aussi aux catastrophes qui viennent quelquefois changer la face du globe. […] L’esprit humain forme comme un vaste firmament éclairé de toutes parts d’étoiles de différentes grandeurs. […] Expliquez, si vous le pouvez, l’inspiration par laquelle ces chefs de dynasties ont saisi le sceptre des imaginations et des esprits.

207. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

que faire avec un esprit étrange et inconsistant ? […] Avec cet esprit-là il n’y a pas de guerre possible. […] Une question se pose donc à tout esprit réfléchi. […] Là aussi se ferait un salutaire changement dans l’esprit de la jeunesse. […] Voilà la question qui doit préoccuper le plus un esprit réfléchi.

208. (1899) Préfaces. — Les poètes contemporains. — Discours sur Victor Hugo pp. 215-309

Il est le sommet commun où aboutissent les voies de l’esprit. […] Un vrai poète n’est jamais l’écho systématique ou involontaire de l’esprit public. […] Le cœur est dur si l’esprit est tendre. […] M. de Lamartine n’est pas né croyant : c’est un esprit radicalement sceptique. […] C’est un esprit excessif, qui le nie ?

209. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Il se pose à nous sous une forme aiguë, parce que nous distinguons profondément la matière de l’esprit. […] On aboutit à déclarer matière et esprit également inconnaissables. […] De là l’impossibilité de comprendre comment l’esprit agit sur le corps ou le corps sur l’esprit. […] Mais la relation du corps à l’esprit en devient-elle plus claire ? […] Or, nous l’avons montré, la perception pure, qui serait le plus bas degré de l’esprit, — l’esprit sans la mémoire, — ferait véritablement partie de la matière telle que nous l’entendons.

210. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Dans la plupart des vaudevilles, on travaille directement l’esprit du spectateur. […] Car un mot d’esprit nous fait tout au moins sourire, de sorte qu’une étude du rire ne serait pas complète si elle négligeait d’approfondir la nature de l’esprit, d’en éclaircir l’idée. […] À qui l’homme d’esprit a-t-il affaire ? […] Voilà un mot d’esprit. […] » Mais il est inutile d’insister sur ce genre d’esprit.

211. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — II » pp. 254-269

Prud’homie parfaite, selon lui, a pour fondement « un esprit universel, galant, libre, ouvert et généreux, un esprit voyant partout, s’égayant par toute l’étendue belle et universelle du monde et de la nature ». […] Dans tout cet ordre moral et pratique, Charron, à son heure, est un instituteur utile et l’un des artisans éclairés qui préparent l’esprit de la société moderne. […] La véritable est celle qui ne s’applique point extérieurement et machinalement à l’esprit, qui ne lui impose pas des formes une fois trouvées, et par lesquelles on se croit dispensé du ressort intérieur et de l’invention naturelle. […] Les esprits solides et qui ne haïssent pas la pesanteur préférèrent même tout d’abord Charron à Montaigne. […] Esprit qu’on fait bien de ne plus y mettre47.

212. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Elle aurait tout son esprit ; aurait-elle ses grandeurs, sa noblesse, sa force, son éclat et, pour tout dire, sa trempe ? […] Il faut absolument, pour rétablir l’équilibre, pour maintenir la composition de l’esprit français, considéré dans son expression la plus haute, non seulement des esprits sérieux, mais des esprits dignes, des poëtes héroïques dans les âges d’héroïsme, de grands évêques éloquents dans le siècle monarchique religieux, des tragiques capables de sublime, des écrivains porte-sceptre, des autorités. […] Renan a exprimé les griefs de tous les esprits de son ordre. […] Renan le rôle du critique, et qui nous attestent en même temps l’exquise et rare qualité de son esprit. L’épiderme de cet esprit, si l’on peut dire, est extrêmement fin et répugne à de certains contacts.

213. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Dans l’esprit de retour et de réveil religieux auquel il appartient, il reste pur de toute réaction, il est également éloigné de tout extrême. […] C’est là l’honneur et le néant de la métaphysique ; elle élève et agite l’esprit humain, en mettant en question ce que le commun des hommes accepte. […] La lassitude, qui termine toutes les révolutions, a ramené tous les esprits et tous les cœurs à la monarchie. […] Ce dernier était assurément un des hommes dont la forme d’esprit contrastait le plus avec la manière d’être de Portalis. […] La découverte des choses vraies ou utiles est ordinairement la récompense des caractères modérés et des bons esprits.

214. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

A l’époque de l’Esprit des Lois, l’esprit de censure ne s’était pas encore déchaîné, comme il l’a fait à la fin du siècle. […] L’Esprit des Lois est lui-même, après les Lettres persanes, le commencement et un des premiers grands exemples de l’esprit de censure. […] Il est facile de le comprendre : Jean-Jacques Rousseau, c’est l’esprit d’indiscipline et de révolte, c’est en outre l’esprit d’utopie, c’est en un mot tout ce qu’il y a de plus contraire au principe de la tradition et de la discipline. […] Leur cœur sera avec le Christ, lors même que leur esprit est avec Descartes ou avec Kant. […] Ce siècle ne dit rien à son cœur, il ne parle qu’à son esprit.

215. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre III. Le théâtre est l’Église du diable » pp. 113-135

Elle donne un choc à l’esprit, et de ce choc dangereux, l’esprit a peine à se remettre ; il se souvient longtemps du spectacle animé de ces licences ; il y revient complaisamment, il les médite, et c’est pourquoi Tertullien appelle le théâtre : « l’Église du diable : Ecclesia diaboli !  […] Alors, et malgré soi, l’on s’incline en présence de ces grandes œuvres, justement parce qu’elles sont les œuvres les plus dangereuses de l’esprit humain ! […] Aussitôt le parterre est charmé de ce jeune esprit et de ce charmant visage. […] Il n’est pas fâcheux, chemin faisant à travers les comédies et les drames, de rencontrer des préceptes et des exemples dont la critique, attachée à son œuvre, puisse faire son profit. — Entre l’ignorance et le défaut d’esprit, il y a encore ce danger : le trop d’esprit ! […] Grâce à cette excommunication permanente, on leur pardonnait de bon cœur leur esprit, leur grâce, leur beauté, leur succès.

216. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre II. Mme Le Normand »

Si vous en avez, de ces lettres, dans lesquelles l’âme et l’esprit de l’une et de l’autre aient laissé leur trace enflammée ou parfumée, ou lumineuse, donnez-les ! […] bien souvent c’est la sottise d’esprit et la bassesse de l’âme des autres qui nous les donnent ! […] La biographie en question est précédée d’une haute notice sur les salons et l’esprit de salon — qui a presque des ambitions politiques. […] — de manières, d’élégance, de ton (le ton qui sert bien plus que l’esprit dans la vie et qui cache l’absence de l’esprit, quand on a le malheur de n’en pas avoir !). […] Les salons, c’est la rue qui a passé par le bain, la pâte d’amande, la grammaire et les bonnes manières, mais c’est toujours la rue, au fond des esprits et des cœurs !

217. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVI. Médecine Tessier »

L’Esprit philosophique a mis partout sa main insolente ; il faut partout la lui couper. […] Tessier est un de ces fermes esprits qui ne donnent pas dans ces majestueuses niaiseries. […] Il la trouve dans l’esprit humain et il ne veut point qu’on l’en arrache. […] Les cynismes du xviiie  siècle, en débauche d’esprit comme de mœurs, n’y ont rien changé. […] Le plus bel effort des esprits vigoureux est de renouer les traditions, en toutes choses, quand elles ont été rompues ; c’est de se rattacher à ce passé qui est toujours une vérité ensevelie.

218. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Elles duraient même chez des esprits bien cultivés, mais d’une culture spéciale et restreinte. […] Pour bien des esprits il substituait une vue claire et nette, presque riante, à un cauchemar effrayant et obscur. En se choisissant pour disciple un esprit de jeune femme, il s’adressait à son meilleur public, c’est-à-dire à des esprits plutôt vides et vacants que déjà occupés par d’opiniâtres erreurs ; il s’adressait à « l’esprit des ignorants qui, disait-il, étaient ses véritables marquises. » Mieux valait avoir affaire à un ignorant certes qu’à un esprit encroûté, entêté de la vieille science. […] Fontenelle, s’il ne conclut pas, s’il paraît se jouer en homme d’esprit et en sage peu entêté de son opinion, reste du moins exactement philosophe. […] que l’esprit de l’homme est donc faible !

219. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

Mme Sophie Gay, morte à Paris le 5 mars dernier, a été une personne de trop d’esprit et trop distinguée dans les Lettres pour être ensevelie en silence. […] C’est là qu’il faut réunir toutes les qualités d’un esprit attachant pour y paraître longtemps aimable. […] La Restauration arrive : donnez-lui le temps de s’asseoir et de recueillir son esprit. Dès que cet esprit aura parlé par la voix de quelques écrivains, par le chant, de quelques poètes, vous avez une génération de femmes toutes différentes. […] Elle aimait la gaieté, la jeunesse, les gens d’esprit et ceux qui ont le collier franc.

220. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Il y avait le Mérimée de talent, cet aquafortiste, et voilà qu’on y ajoute un Mérimée d’esprit et un Mérimée d’âme. […] C’était un talent, c’était un esprit, c’était principalement une âme ! […] je n’y ai vu ni tant d’esprit, ni tant de cœur. […] Et c’était véritablement à croire que ces esprits secs avaient été pris d’une violente sympathie pour leur commune sécheresse ; car Gustave Planche et Mérimée sont, avant tout, des esprits secs. […] Esprit de très courte haleine et de peu d’invention, ses romans rappellent toujours des romans plus forts que les siens.

221. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « M. Necker. — I. » pp. 329-349

Au milieu de ses succès de commerce, il avait gardé de l’enfance un trait de son caractère qui semblait en tout l’opposé de l’esprit d’entreprise. […] Necker est un fort honnête homme ; il a beaucoup d’esprit, mais il met trop de métaphysique dans tout ce qu’il écrit. […] Il y avait là une contradiction très réelle, qu’on a pu noter sensiblement chez les chefs de cette famille aristocratique d’esprits depuis M.  […] Necker, et ce en quoi il parut qu’il n’était qu’un homme d’infiniment d’esprit, non un véritable grand ministre. […] Necker excitait chez ses admirateurs tenait de l’esprit de secte.

222. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rivarol » pp. 245-272

Il l’était de droiture d’esprit, de tempérament, de prétention et presque de fatuité. […] Mais quoi qu’il fût d’ailleurs, il avait l’esprit, l’élégance, la tournure, la distinction, la beauté, toutes les aristocraties naturelles qui vengent de la seule qu’on n’ait pas ! […] Sa beauté célèbre commença ses succès, et son irrésistible esprit les acheva. […] En ce temps-là, les séminaires versaient dans la plus haute société française une corne d’abondance d’esprits distingués et supérieurs. […] L’histoire assainissait, froidissait, purifiait l’esprit de Rivarol.

223. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIIe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset » pp. 409-488

C’est cette détente agréable du corps et de l’esprit qu’on appelle le plaisir. […] Nous ne connaissons dans aucune langue une si charmante débauche d’esprit, de déraison et de style. […] Son livre n’est pas un livre, c’est un homme, et cet homme n’est pas un homme, c’est un esprit follet. […] C’était le règne de l’esprit, de la débauche, de la beauté, sous le spirituel et voluptueux Charles II. […] Ils sont rares et négligés aujourd’hui dans les bibliothèques ; c’est un malheur pour l’esprit français.

224. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Quelques-uns sont des esprits originaux et charmants. […] Les esprits vraiment originaux traversent ce journal, mais n’y séjournent pas. […] Tous trois sont hommes d’esprit ; M.  […] Il se pique lui-même de représenter, par une grâce spéciale d’en haut, l’esprit du boulevard. […] Cet homme d’esprit n’a jamais été spirituel, du moins à ma connaissance.

225. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Gratry »

Lamennais, à qui l’esprit de parti a élevé un catafalque, mais qu’il faudra bien, un jour ou l’autre, finir par juger, Lamennais se présente entre deux théories dont l’une est morte et l’autre n’a jamais vécu. […] Rien de plus simple, diront quelques esprits, mais les vers d’Athalie sont aussi fort simples, et dans les arts comme en métaphysique, ce qui perd tout, c’est le compliqué. […] On y sent la circulation rythmique d’un esprit abondant et réglé. […] Mais l’abbé Gratry montre encore mieux par son exemple quelle supériorité vivement tranchée l’habitude et la culture de la théologie chrétienne peuvent donner à l’esprit le plus robuste et le plus sain. […] N’est-il pas des esprits dont la misère est d’avoir besoin d’une tautologie pour comprendre, et qui n’entendraient rien aux mots les plus profonds dits par la religion aux hommes, si la philosophie ne venait les leur répéter ?

226. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Madame Émile de Girardin. (Poésies. — Élégies. — Napoline. — Cléopâtre. — Lettres parisiennes, etc., etc.) » pp. 384-406

Mme de Girardin est cause que je me suis souvent posé ces deux problèmes embarrassants : Comment, avec tant d’esprit et d’élégance, n’a-t-on pas toujours du goût, de ce goût qu’elle-même a si bien défini quelque part la pudeur de l’esprit ? […] On finit par croire qu’avec de l’esprit, beaucoup d’esprit, et un tour de main extrêmement habile, on peut tout faire, tout contrefaire : contrefaire, je ne le nie pas ; mais avec de l’esprit seul, on ne fera jamais ni du sentiment, ni de la passion, ni de la nature, ni du drame, ni de la religion. […] De l’esprit proprement dit, on n’en a pas plus qu’elle. […] Elle joue franc jeu, et son esprit y va de bon cœur. […] Cette femme avait bien de l’esprit.

227. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre I. Shakespeare — Son génie »

. — Avoir trop d’esprit. — N’avoir pas d’esprit. — Faire « trop grand ». — « Faire grand ». […] guerre à l’esprit nouveau ! […] Le préfet de police, négligent, laisse vaguer des esprits. […] le chêne aurait-il trop d’esprit ? […] Ce trouble, tous les esprits du premier ordre l’ont.

228. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

De l’esprit d’utopie en général. — § III. […] De l’esprit d’utopie. […] L’esprit d’utopie s’accroît à mesure que l’esprit de devoir diminue. […] L’esprit d’utopie chez J. […] Je vois bien des esprits de cet avis.

229. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre II. Vérification de la loi par l’examen de la littérature française » pp. 34-154

Je vais plus loin : l’esprit romanesque du temps, il est tout dans Corneille. […] Était-il possible de renouveler cette forme dans un esprit moderne ? […] L’esprit de son temps ne l’a pas voulu, et n’a vu en lui qu’un amuseur ou un pamphlétaire. […] Ici, l’esprit de l’époque a trouvé, créé, sa forme adéquate ; ce sont des œuvres d’absolue beauté. Ailleurs, il y a le plus souvent conflit entre la forme et l’esprit.

230. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Il se proposait de faire l’histoire naturelle des esprits, de les classer par familles. […] Notre manière de participer à la vie scientifique, la seule qui ne trompe pas, c’est de développer en nous l’esprit scientifique. […] L’esprit scientifique, d’autres l’ont dit déjà et mieux dit au cours de ces glorieuses fêtes, est essentiellement libre. […] Nous avons donné des fantasias, qui faisaient honneur à notre esprit, et n’apprenaient rien, ou rien de vrai, sur nos auteurs. […] Tous les hommes d’un même pays qui participent à l’esprit scientifique affermissent par là l’unité intellectuelle de leur patrie.

231. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Mais en même temps, il porte l’esprit aristocratique à un point qu’il est impossible à notre temps de comprendre ; il a pour l’industrie un mépris digne d’un grand seigneur féodal. […] Mais pour n’avoir pas l’air de déprécier un aussi grand esprit, je me hâte d’ajouter que Lamennais ne doit pas être seulement étudié dans ses écrits démocratiques. […] L’idée de l’organisation s’empare de tous les esprits : aux siècles critiques, on oppose les siècles organiques ; à l’analyse, la synthèse. […] Parmi ces esprits on peut signaler, par exemple, M.  […] C’est de l’un des plus intéressants entre ces esprits libres, personnels, originaux, que nous allons, dans les pages qui suivent, exposer les principes et les idées.

232. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le capitaine d’Arpentigny »

Quelques-uns de ces esprits qui sentent le style se récrièrent, dans le premier mouvement d’une sensation très vive, mais ce fut tout. […] Il est des esprits bien autrement exquis que celui du capitaine d’Arpentigny (celui de Joubert, par exemple), qui manquent profondément de fécondité. […] Prouvons que la forme de son livre mérite qu’on s’y arrête, et prenons sur elle la mesure d’un esprit que le fond de son ouvrage ne donne pas. […] Il est évident que l’esprit et la volonté l’entraînent dans une voie qui n’est pas la sienne. […] Mais le capitaine d’Arpentigny n’a jusqu’ici produit qu’un seul livre, et ce livre, frappé par son titre, est resté bien à l’écart de tous les esprits.

233. (1894) Les maîtres de l’histoire : Renan, Taine, Michelet pp. -312

Nul causeur, sauf Michelet, n’a su allier à ce point la poésie et l’esprit. […] Les esprits les plus opposés se réclament de lui. […] L’esprit critique domine. […] Débile et toujours souffrant, l’esprit chez lui soutenait le corps. […] Il porte la trace de l’amusant embarras où se trouvait cet homme d’esprit.

234. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Cet esprit affirmatif et tranchant, et même arrogant, produit le même effet que les esprits fuyants qui glissent sur les idées sans vouloir jamais les saisir. […] En son fond, Proudhon était certainement de ce second groupe d’esprits. […] Ce démocrate a eu un esprit extrêmement aristocratique. […] Les esprits curieux trompent ainsi. […] Il lui prodigue les « favorables noms. » Il l’appelle bon sens, sens du réel, esprit judicieux, esprit de prudence, raison.

235. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

L’esprit a presque fait son volume à propos de celui-là. […] La philosophie du dix-huitième siècle, éclairée ou intimidée par la Révolution, a dit M. de Rémusat, formait l’esprit de ce recueil. […] Mais son esprit ne se réservait pas à de certains jours. […] Ce ne fut pourtant pas le moindre triomphe de l’esprit de M. […] Elle les ajoutait à mesure qu’ils lui venaient à l’esprit, et sans scrupule, en se disant : C’est pour ma mère ! 

236. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Henri Rochefort » pp. 269-279

Comme les balles, elles sont dures, rapides, cassant tout très net sur leur passage, et le chalumeau d’où elles sortent ressemble beaucoup au tube de fer d’un pistolet… Henri Rochefort a, dans l’esprit, les qualités de son nom, qui exprime deux fois la force. […] Au Tintamarre, ce sont les Bacchanales de l’esprit français, dans sa verve la plus échevelée. […] La Chronique, cette Armide du Journalisme pour les jeunes esprits qu’elle amollit, retiendra-t-elle et dépensera-t-elle à son service stérile de poste aux lettres cette force vive que je vois en Rochefort ? Pulvérisera-t-elle cet esprit ? […] l’esprit de Voltaire lui-même, l’homme pourtant le mieux organisé pour elle, avec son activité aux cent plumes, ne pourrait pas y résister.

237. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Jamais langue plus belle, plus riche, plus fine, plus libre, ne fut parlée par des hommes de plus d’esprit et de meilleure race. […] Saint-Évremond est, avec un peu plus de naturel et de vivacité, un esprit de l’ordre et de la famille de Fontenelle. […] Il comprenait l’amitié de l’esprit comme celle du cœur ; les deux n’étaient pas séparables chez lui. […] Jamais personne n’a eu si bon esprit, ni plus d’esprit qu’elle. […] Cousin d’avoir donné de lui une telle idée ; il n’y a que les esprits despotiques et dominateurs qui inspirent de ces craintes.

238. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Sans doute la sélection des perceptions parmi les images en général est l’effet d’un discernement qui annonce déjà l’esprit. […] En passant de la perception pure à la mémoire, nous quittions définitivement la matière pour l’esprit. […] On fait de la perception une opération désintéressée de l’esprit, une contemplation seulement. […] Avec la mémoire nous sommes bien véritablement dans le domaine de l’esprit. […] Ils existent plutôt virtuellement, de cette existence qui est propre aux choses de l’esprit.

239. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Il est clair qu’elle ne pénètre pas dans un esprit vierge de toute impression similaire. […] L’esprit est toujours frappé fortement par un contraste. […] On doit donc se garder de soumettre à l’esprit des coordinations contradictoires. […] En un mot, on pourrait dire que la fantaisie, c’est de l’esprit dans l’imagination. […] Nous-même, nous nous apercevons que notre esprit est moins homogène que celui de nos pères et qu’il est en proie à l’esprit d’analyse.

240. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Jean-Jacques Ampère »

C’étaient les princes de l’esprit, et l’on n’envoie pas des princes pour ambassadeurs. […] Il s’y plongeait tête baissée, il en jouissait en dilettante de l’esprit. […] Il obéissait de plus dans ce dégoût à une disposition de son esprit. […] Cela tient à l’esprit même qui circule dans tout son travail et qui est un esprit de polémique contemporaine très-sensible. […] Guessard étaient utiles assurément pour s’opposer au trop de légèreté et de promptitude des gens d’esprit ; mais un homme d’esprit comme Ampère, même en allant trop vite, avait le sentiment de lois dont la pratique de M. 

241. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

Quels moyens reste-t-il alors à l’éloquence pour frapper les esprits par des pensées ou des expressions heureuses, par le contraste du vice et de la vertu, par la louange ou par le blâme distribués avec justice ? […] à qui viendrait-il dans l’esprit de s’imposer une contrainte inutile, puisque personne n’en comprendrait le motif et n’en recevrait l’impression ? […] L’esprit serait moins faussé, l’éloquence ne serait point perdue, si l’on s’était contenté de commander, dans les délibérations comme à la guerre, par le simple signe de la volonté. […] Ce que les anciens appelaient l’esprit divin, c’était sans doute la conscience de la vertu dans l’âme du juste, la puissance de la vérité réunie à l’éloquence du talent. […] Quelle honte cependant que de montrer de l’esprit à l’appui des actes de rigueur ou de servitude !

242. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

Harrington, Sidney, etc., indifférents aux questions théologiques, s’efforcèrent de rattacher les esprits aux principes de la liberté, et leurs efforts ne furent pas entièrement perdus pour la raison. […] Tout porte l’esprit aux idées générales plutôt qu’aux observations particulières ; mais lorsque les sociétés brillantes de la cour et de la ville ont un grand crédit politique, le besoin de les observer pour y réussir développe un grand nombre de pensées fines ; et si, d’un côté, il y a moins de philosophie pratique dans un tel pays, de l’autre, les esprits sont nécessairement plus capables de pénétration et de sagacité. […] Montesquieu semble donner la vie aux idées, et rappelle à chaque ligne la nature morale de l’homme au milieu des abstractions de l’esprit. […] On pouvait si rarement se flatter en France d’influer par ses écrits sur les institutions de son pays, qu’on ne songeait qu’à montrer de l’esprit dans les discussions même les plus sérieuses. […] Sans nier assurément les avantages de cette fixité, il s’ensuit néanmoins que l’esprit de discussion et d’analyse est plus important dans les assemblées actuelles que le talent d’émouvoir.

243. (1890) L’avenir de la science « IX »

Il était d’ailleurs difficile au XVIIe siècle de deviner la haute critique et le grand esprit de la science. Leibniz le premier a réalisé dans une belle harmonie cette haute conception d’une philosophie critique, que Bayle n’avait pu atteindre par trop de relâchement d’esprit. […] La culture délicate et l’exercice multiple de l’esprit sont à ce point de vue la seule logique légitime. […] Tant il est difficile de savoir apprécier la nécessité et la légitimité des révolutions successives de l’esprit humain. […] — État de l’humanité et de l’esprit humain à ses premiers jours.

244. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Jacques Demogeot » pp. 273-285

En mettant son volume entre lui et nous, il nous a séparés de son âme de toute l’épaisseur de son esprit. Ce n’est pas que cet esprit soit épais. […] Il est des esprits qui tendent naturellement et de primesaut à une congélation tonique et forte. […] C’est même leur manière, à ces esprits, de se développer. […] Du moins ne l’est-il pas dans les formes extérieures et les mouvements de son esprit.

245. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre premier. Aperçu descriptif. — Histoire de la question »

» — « Que cherche notre esprit quand il cherche une pensée ? […] 41 » Il repousse cette conséquence, pourtant inévitable, de son système, que l’esprit serait l’esclave de la mémoire verbale ; celle-ci « offre ses expressions », mais « l’esprit les demande, les cherche, la raison les examine… ; l’esprit fait plus : il les crée lorsque la mémoire… ne lui en présente que d’insuffisantes… ; la mémoire n’est qu’un dictionnaire à l’usage de l’esprit…, un dépôt d’expressions où chaque esprit choisit celles qui peuvent le mieux rendre sa pensée » ; c’est pourquoi « chaque écrivain a son style, expression de son esprit »42. […] L’accident arrivé dans son esprit même aux prémisses de sa doctrine n’a pu ébranler la foi sans réserve qu’il avait accordée dès l’origine à ses conclusions. […] De même sur la méthode : Bonald pratique à toute occasion, et sans aucun esprit critique, l’étymologie des significations [ch. […] Un esprit tout différent anime l’ouvrage de notre maître Albert Lemoine sur La physionomie et la parole.

246. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

C’est d’ailleurs un homme d’esprit ; il a plus de ressources que Sganarelle pour donner une couleur honnête à ses travers ; en revanche son esprit lui tend plus de pièges. […] Quant aux maris affligés de femmes d’esprit, il n’est raillerie qu’il n’en fasse. […] un homme de son esprit serait vaincu par une sotte et un étourdi ! […] Chacun parle avec son tour d’esprit, ou son travers. […] Arnolphe, mieux appris, tient le milieu entre l’esprit de Sganarelle et l’esprit des gens de cour ; il ne voit pas beaucoup plus loin que Sganarelle, mais il s’en fait plus accroire.

247. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Essais de politique et de littérature. Par M. Prevost-Paradol. »

Ceux qui prisent par ses meilleurs côtés ce jeune et brillant esprit, n’en ont pas assez et ne sont pas contents. […] Son esprit très réel, très vif, était pédantesque, livresque, et sentait quelque peu le collège. L’esprit de M.  […] Si le terme de pédant choquait, je l’explique aussitôt et je le réduis dans ce cas à sa stricte valeur : je veux dire que Rigault est non seulement armé d’esprit, mais pointu d’esprit ; il s’ajuste, il se concerte, il prend ses avantages, et il vous fait ensuite la leçon impitoyablement, agréablement. […] Quel rôle pour de jeunes esprits intelligents, et (j’ose le dire à mon tour) pour des esprits généreux, qui, laissant là les questions secondaires de mécanisme et se dégageant des formules, embrasseraient dans sa vérité leur époque entière, pour étudier, en l’acceptant, tout ce qu’elle contient !

248. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Esprit rationaliste et méthode scientifique : opposition intime et accord passager du cartésianisme et du christianisme. […] Puis il avait, à défaut du génie, l’esprit juste, le goût assez fin. […] Leur galanterie est activité d’esprit, plus que sensibilité. […] Les Méditations sont traduites en français par le duc de Luynes, un fervent janséniste ; et l’on verra qu’il ne faut pas opposer, comme on fait souvent, l’esprit de Pascal à l’esprit de Descartes. […] Par certains côtés la philosophie de Descartes correspond exactement à l’esprit classique.

249. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Hippolyte Babou »

Or, il n’y a dans les nouvelles que nous venons de lire rien de moins sec que l’esprit d’Hippolyte Babou. […] Babou a bien de l’esprit comme un possédé, mais je crois que cet esprit le possède plus, lui ! […] Je crois que son esprit est son maître plus qu’il n’est le maître de son esprit. […] » Et l’homme d’esprit, c’est Babou lui-même ! […] Mais, au fond, pour les esprits qui lui font l’honneur d’être difficiles, rien de plus.

250. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Préface »

Cette rude école de dispute, où l’esprit européen s’est engagé depuis Abélard, produit des moments de sécheresse, des heures d’aridité. […] Le but du monde est le développement de l’esprit, et la première condition du développement de l’esprit, c’est sa liberté. […] Un poids colossal de stupidité a écrasé l’esprit humain. […] Tout devient moins grossier, mais tout est plus vulgaire. » Au moins peut-on espérer que la vulgarité ne sera pas de sitôt persécutrice pour le libre esprit. […] Des gens d’esprit vivent cependant en Amérique, à condition de n’être pas trop exigeants.

251. (1880) Goethe et Diderot « Introduction »

Mais, pour la nôtre, il importe de constater que c’est la France, plus qu’aucune autre, qui a le plus vivement poussé à cette gloire de Goethe, qui n’est pas seulement une gloire allemande, mais une gloire de l’esprit humain1. […] … Qu’y avait-il de plus contraire à l’esprit suraigu et à la netteté transcendante de l’esprit de Napoléon que cette grande nébuleuse de l’esprit de Gœthe, qui, du reste, n’embarrasse pas beaucoup ses adorateurs puisqu’ils la comparent à la Voie Lactée et en font un fourmillement d’indiscernables étoiles ? […] … Je sais bien que l’esprit français, l’esprit de la race, s’était laissé entamer bien avant l’avènement de Gœthe par l’idée protestante et philosophique dont l’Allemagne moderne et Gœthe sont sortis. […] Trente-six autres depuis, et dont pas un seul ne mérite l’énorme réputation dont tous jouissent, lui valurent d’être le roi absolu — le Re netto — de l’esprit au xixe  siècle. […] Philarète Chasles, qui était critique, mais aussi professeur, avait assez d’esprit pourtant pour oser être libre en jugeant Goethe2, mais il n’a exprimé sur lui que l’admiration la plus plate et la plus servile.

252. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

… L’esprit du temps parfois est ingrat. […] — Moore sur Sheridan, — un esprit médiocre affecté sur un grand esprit négligé. […] Il aurait produit une œuvre plus louable encore s’il avait opposé l’esprit du catholicisme, taillé sur les proportions de l’esprit humain, à la sécheresse indigente de l’esprit protestant. […] Mort douce comme sa vie, et comme son esprit ! […] L’étude des hommes n’avait pas flétri ce cœur et cet esprit plus fort que toutes les expériences.

253. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Voiture. Lettres et poésies, nouvelle édition revue, augmentée et annotée par M. Ubicini. 2 vol. in-18 (Paris, Charpentier). » pp. 192-209

Cet esprit de Voiture et de son monde n’était pas seulement un esprit de riposte et de trait, c’était aussi un esprit inventif, et qui se mettait en frais d’imagination pour divertir et pour plaire avec abondance et récidive. […] L’esprit de Voiture était toujours en action et en mouvement comme pour un théâtre de société. […] Mais on conçoit très bien cette supériorité de M. d’Avaux sur son ami ; les esprits sérieux et nourris de choses solides, s’ils viennent à se détendre, l’emportent sur les esprits légers qui ont passé leur vie à voltiger sur des pointes d’aiguilles et à enfler des bulles de savon. […] Il mourut l’année suivante (1648), à cinquante ans ; il disparut à temps avant la Fronde : « Ce fut son dernier trait d’esprit », M.  […] En effet, il avait une délicatesse dans l’esprit qui pouvait quelquefois plutôt se nommer caprice que délicatesse, tant elle était excessive.

254. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vie de Jésus, par M. Ernest Renan »

A voir ces réveils d’enthousiasme sans cause suffisante, on s’apercevait bien que l’esprit humain est toujours le même, promptement inflammable, aisément crédule. […] Le plus grand nombre des esprits ne croit pas, et en même temps n’est pas décidément ni systématiquement incrédule. […] Cette masse flottante d’esprits, qui est trop imbue des résultats généraux ou des notions vaguement répandues de la science et qui a respiré trop librement l’esprit moderne pour retourner jamais à l’antique foi, a besoin pourtant d’être édifiée à sa manière et éclairée. […] Alors des esprits chagrins et sombres se seront levés et y auront passé à leur tour, abattant et dévastant tout avec rudesse autour d’eux, et, en ce temps-là, ceux qui seront plus attachés à l’esprit qu’à la lettre, plus chrétiens de cœur encore qu’orthodoxes de forme, s’écrieront : « Qu’on nous rende la Vie de Jésus de Renan ! […] Renan est aussi une adoration, mais à l’usage des esprits libres et philosophiques.

255. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Ce sont surtout les Anciens qui sont l’objet de cette idolâtrie ; et l’on ne pense guère la plupart du temps jusqu’où les meilleurs esprits peuvent se laisser entraîner. […] Ce n’est certes pas avec le précédent contradicteur et adversaire, un esprit trop élémentaire vraiment, que j’irai confondre M.  […] Alors la page de l’esprit est toute blanche, et la mémoire boit avidement tout ce qu’on y verse. […] Il faut, en toute espèce d’art, une éducation préalable et une première docilité de l’esprit. […] Ne nous figeons pas ; tenons nos esprits vivants et fluides.

256. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Idée générale de la seconde Partie J’ai suivi l’histoire de l’esprit humain depuis Homère jusqu’en 1789. […] Il faut donc examiner d’abord les deux principaux obstacles qui se sont opposés au développement des esprits, la perte de l’urbanité des mœurs, et celle de l’émulation que pouvaient exciter les récompenses de l’opinion. […] La conviction de l’esprit cependant ne peut être un aussi ferme appui que la conscience de l’âme. […] Néanmoins, ou l’esprit ne serait qu’une inutile faculté, ou les hommes doivent toujours tendre vers de nouveaux progrès qui puissent devancer l’époque dans laquelle ils vivent. Il est impossible de condamner la pensée à revenir sur ses pas, avec l’espérance de moins et les regrets de plus ; l’esprit humain, privé d’avenir, tomberait dans la dégradation la plus misérable.

257. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

C’en est fait, me disais-je, l’esprit est déshérité… Mais non. […] la plus belle place est encore à l’esprit. […] Depuis l’origine, c’est l’esprit qui a mené les choses (christianisme, croisades, Réforme, Révolution, etc.), et pourtant l’esprit est resté humble, méconnu, persécuté. […] L’école ancienne était pour tous les âges le gymnase de l’esprit. […] Dieu est un esprit, il a tous les attributs des esprits.

258. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Le marquis de la Fare, ou un paresseux. » pp. 389-408

Louvois sentait en La Fare non seulement un rival auprès d’une femme aimée, mais aussi et surtout un esprit indépendant, jugeur et qui ne pliait pas. […] En attendant, il eut des années de plaisir et d’une débauche assaisonnée et corrigée du moins par les jouissances de l’esprit. […] Ce fut pour lors que tout le monde prit l’esprit de servitude. […] La Fare a un malheur, il n’est pas assez de son siècle, lequel fut un grand siècle ; il n’en aime ni l’esprit, ni le courant général, ni la direction : il n’en voit que les excès et les inconvénients. […] Les Mémoires de La Fare, dans les trop courts récits et les portraits qu’ils renferment, sont pleins d’esprit, de finesse, de bonne langue, et tous les jugements qu’il fait des hommes sont à considérer.

259. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Les quatre moments religieux au XIXe siècle, (suite et fin.) »

Peu importe ici la part qui revient à chaque groupe complice : tout cela se confondait pour le dehors dans un même esprit et une collaboration commune. […] La première action à exercer fut sur l’esprit de Louis XVIII, lorsque, séparé de M.  […] Toutes les fois qu’il y aura dépravation ou exagération (comme on le voudra) de l’esprit ecclésiastique dans un certain sens, dans le sens le plus antipathique au brave et malin esprit français, un résultat analogue se produira. […] Que deviendront, on peut se le demander, ces trois courants si dissemblables d’esprit, en se rencontrant dans la société future, dans celle de demain ? […] Je sais que les esprits généreux aiment à avoir à faire et à lutter ; il se forme aujourd’hui, dans la libre et studieuse jeunesse, bien des intelligences.

260. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Maintenon. » pp. 369-388

L’esprit de Mme de Maintenon fait qu’on lui pardonne les torts que l’histoire est en droit de lui reprocher. […] L’esprit devenait aisément une position et presque une dignité. […] On n’a en quelque sorte que le dessin et la gravure de l’esprit de Mme de Maintenon, on n’en a pas le coloris. […] Sa grande coquetterie est là, c’est une coquetterie d’esprit ; en avançant, ce fut une ambition et une carrière. […] Mme de Maintenon y imprima son esprit, et elle y brille dans un cadre fait tout exprès pour elle.

261. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

La conscience a été entraînée par le côté où l’esprit penchait depuis si longtemps. […] Grâce aux efforts d’un parti qui se croit l’Église militante, l’idée qu’exprime Saint-Chéron a pris consistance dans beaucoup d’esprits. […] Elle est impatiente de lui devoir davantage : — l’esprit de ses institutions. […] On n’y sent circuler que l’errante préférence de l’esprit. […] Hurter sait beaucoup sans doute, mais jusqu’à la borne de son esprit, et on la trouve vite.

262. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Les snobs » pp. 95-102

C’est l’alliance d’une docilité d’esprit presque touchante et de la plus risible vanité. […] Puisque, forcément, les esprits médiocres sont toujours en majorité, il faut bien que ce soient des esprits médiocres, mais inquiets et préoccupés de nouveauté, qui assurent la victoire des innovations viables. Ce qu’on appelle les bons esprits, c’est-à-dire ceux qui sont à la fois dociles et modestes, seraient plutôt capables de retarder cette victoire. […] J’ai dit que ce qui distingue les snobs des autres esprits soumis et dépourvus d’originalité, c’est qu’ils ont la docilité vaniteuse et bruyante. […] En somme, tradition ou progrès, l’une ne s’établit et l’autre ne se détermine que par la docilité et la crédulité des esprits subalternes, et par la suggestion qu’exercent sur eux quelques esprits supérieurs autour desquels se rangent, en deux camps, les snobs de la nouveauté et les snobs de l’habitude, diversement, mais également dociles, et satisfaits de l’être.

263. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 2, du génie qui fait les peintres et les poëtes » pp. 14-24

En effet, l’extrême lassitude et l’épuisement, qui suivent une longue contention d’esprit, rendent sensible que les travaux d’imagination font une grande dissipation des forces du corps. […] D’un autre côté, si ce feu qui provient d’un sang chaud et rempli d’esprits manque en un cerveau bien disposé, ses productions seront régulieres, mais elles seront froides. […] Voilà pourquoi on dit que l’homme d’esprit peut bien faire un couplet ; mais qu’il faut être poëte pour en faire trois. […] Voilà pourquoi leur esprit semble les abandonner quelquefois, et quelquefois les tirer par l’oreille, suivant la phrase d’Horace, pour les obliger d’écrire ou de peindre. […] Ainsi quand les préceptes tombent en un esprit disposé, ils germent heureusement, et cet esprit, pour ainsi dire, rapporte une graine de meilleure qualité que la graine qui lui fut confiée.

264. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — III. (Fin.) » pp. 371-393

À qui et dans quel esprit confier les fonctions de l’enseignement ? […] Chateaubriand lui paraît « un esprit romanesque et au rebours ». […] ) C’est peut-être un mal que je commande en personne ; mais c’est mon essence, mon privilège… … J’ai plus d’esprit… Et que me fait votre esprit ? c’est l’esprit de la chose qu’il me faut. […] L’émulation de supériorité inspirée par l’égalité de droits, c’est ainsi qu’il définit l’esprit de la France.

265. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Je dis seulement que l’esprit de M.  […] et dont on se détache un peu en voyant de quelle suffisance elle emplit les esprits médiocres. […] Et, naturellement, il fit aussi de la critique littéraire, et de la plus libre et de la plus pénétrante ; et son esprit s’élargit encore à voir quelle est la variété des esprits. […] non pas : car d’abord, si l’esprit de M.  […] Ces données si simples sont faites pour enchanter les esprits malheureux qui n’aiment pas les romans compliqués.

266. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Au reste, il est moins intéressant de chercher, dans le développement d’un esprit supérieur, la trace de toutes les influences qui y ont aidé, qu’il ne résulte utile de considérer cet esprit dans ce qu’il a été et ce qu’il a produit ; puisque, aussi bien, — quelles qu’aient pu être les premières impressions d’un écrivain, ce n’est que grâce à un pouvoir intrinsèque d’en conserver en soi l’empreinte qu’il aura réussi à s’en organiser. […] L’influence d’un esprit qui lui est apparu, non certes sans raison, comme un des plus vastes de ce siècle, et dont c’est la théorie desséchante que cette exclusive royauté de la sensation, — nous parlons de M.  […] France que son esprit croit suivre et ne suit pas en soi les choses, mais se borne à les voir faire et elles-mêmes s’affirmer, — de quelle façon prismatique, on s’en rend compte. […] Mais cela ne nous fixe pas sur la volupté qu’un esprit nourri peut trouver à s’adapter, moins aux lois des choses qu’à leurs projections fantasmagoriques. […] France, qui nous porte à lui vouer, non pas cette admiration émue, correspondante, valide, que le ton de la sincérité éveille, mais cette estime, cette flaterie, que l’esprit obtient de l’esprit même, surtout quand l’art le seconde et la compréhension de l’art l’appuie, quand, en d’autres termes, c’est l’heure pour l’esprit de briller, parce que c’est le moment pour lui d’être à peu près sûr qu’on l’appréciera.

267. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Broglie. » pp. 376-398

En un mot, on ne connaît jamais mieux un esprit, un talent, un caractère ou un amour-propre, que quand on l’a vu quelque temps à ce jeu-là. […] Mais, en même temps, M. de Broglie est un des esprits les plus originaux de notre époque, un des esprits les plus curieux, les plus compliqués dans leur formation et dans leur mode de pensée. […] Il est, pour tout esprit qui se forme, un régime et un climat qui lui conviennent : évidemment l’Empire n’était pas le climat le plus favorable et le plus propice à la tournure d’esprit morale et un peu idéologique du jeune Victor de Broglie. […] Nous touchons là à l’un des traits principaux qui caractérisent l’esprit de M. de Broglie, et en général l’esprit doctrinaire, en prenant ce mot dans son vrai sens primitif. […] Esprit méthodique, son improvisation elle-même porte ce cachet de méthode et n’a rien du laisser-aller ni de l’abandon.

268. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Mademoiselle de Scudéry. » pp. 121-143

Et dans ce portrait de Sapho toujours, qui nous est précieux, elle arrive enfin aux charmes de l’esprit, sur lesquels elle s’étend avec un redoublement de complaisance : Car les charmes de son esprit surpassent de beaucoup ceux de sa beauté. […] Il y régnait, depuis quelques années, un goût de l’esprit, du bel esprit littéraire, dans lequel il entrait beaucoup plus de zèle et d’émulation que de discernement et de lumières. […] Pour une La Fayette et une Sévigné, que d’ignorances et d’oublis étranges, même chez les femmes d’esprit et de renom ! […] Si elle rencontre un personnage historique, elle le met à l’unisson des gens de sa connaissance ; elle nous dira de Brutus, de celui qui condamna ses fils et qui chassa les Tarquins, qu’il était né « avec le plus galant, le plus doux et le plus agréable esprit du monde » ; et du poète Alcée, elle dira que c’était « un garçon adroit, plein d’esprit et grand intrigueur ». […] » Et cela même quand, parmi ces quinze ou vingt femmes, il y en aurait de beaucoup d’esprit.

269. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Quant à l’esprit, elle en a prodigieusement, surtout lorsqu’elle ne cherche pas à en avoir. […] — L’état des esprits en France, écrit-il encore, est le sujet favori de toutes mes méditations, et par conséquent de toutes mes conversations. […] M. de Maistre sent, avec l’instinct des grands esprits, que, s’il est un seul instant mis en mesure de s’expliquer devant cet autre grand esprit, Napoléon, il sera compris, et, dans tous les cas, apprécié et déchiffré. […] La nature a donné à son esprit ce coup d’œil à distance, cette prévision merveilleuse qui saisit et devance les moments décisifs, et il en abuse. Il tranche du prophète et n’est pas lui-même sans s’apercevoir de ce tic de son esprit.

270. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre V. Des orateurs anciens et Modernes. » pp. 223-293

C’est-là ce qu’on appelle être exact à la lettre & à l’esprit. […] Il y a quelques traits qui choquent, & qui marquent un esprit assez singulier. […] Que d’esprit & de sentiment à la fois ? […] L’onction & la chaleur sont rares chez lui, parce qu’il avoit plus d’esprit que de génie, plus l’esprit des tours que celui des pensées, & beaucoup plus l’esprit de l’antithèse que celui des autres tours. […] On y voit tout l’esprit, tout le sçavoir de M.

271. (1907) Le romantisme français. Essai sur la révolution dans les sentiments et dans les idées au XIXe siècle

Son esprit s’ouvrait à toutes les semences. […] Il arrive à Paris, l’esprit hyperesthésié par cette débauche. […] de l’esprit, encore de l’esprit et toujours de l’esprit »72. […] ce lâche esprit ? […] L’esprit de la littérature romantique est un très petit esprit.

272. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

On peut observer une marche à peu près pareille depuis Auguste jusqu’aux Antonins, avec cette différence cependant, que les empereurs qui ont régné pendant ce temps, ayant été des monstres abominables, l’empire n’a pu se soutenir, l’esprit général a dû se dégrader, et un très petit nombre d’hommes ont conservé la force d’esprit nécessaire pour se livrer aux études philosophiques et littéraires. […] L’opinion qui domine est un centre avec lequel les individus conservent toujours de certains rapports ; et l’esprit général du siècle, s’il ne change pas le caractère, modifie les formes que l’on choisit pour le montrer. […] Il faut donner de l’amusement à l’esprit pour être lu par des hommes isolés entre eux, et dont l’ambition ne peut rien faire ni rien attendre de la pensée. […] C’est ce genre de progression qui se fait sentir dans les écrivains de la dernière époque de la littérature latine, malgré les causes locales qui luttaient alors contre la marche naturelle de l’esprit humain. […] C’est sous la tyrannie que ces recherches indépendantes ont souvent captivé les esprits, qui ne voulaient ni se révolter ni s’avilir.

273. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre I. Les travaux contemporains »

Celui qui ne croit qu’à la matière ne doit pas s’attribuera lui-même le monopole de la vérité scientifique et renvoyer au pays des chimères celui qui croit à l’esprit. […] L’ouvrage de la Physiologie de la pensée est écrit dans un très bon esprit, dans cet esprit de circonspection et de doute que l’on peut appeler socratique. Peut-être même cet esprit y est-il un peu trop accusé, peut-être est-il bien près de dégénérer en scepticisme. […] Celui-ci, esprit net, rigoureux, sans déclamation, mais un peu systématique, incline à exagérer les rapports physiologiques du cerveau et de la pensée. […] Dans un tout autre esprit, un savant éminent de l’Allemagne, M. 

274. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

Ôtez la moralité exagérée, hypocrite si vous voulez, de l’Angleterre, cet affreux Cant contre lequel tant d’innocents de beaucoup d’esprit ont crié, et vous n’avez plus de lord Byron. […] l’esprit qui aperçoit et qui combine plus ou moins ingénieusement ses aperçus ne manque point en France. […] Quand il en est ainsi, du reste, la forme, qui tient à l’impuissance de tous, s’impose aux esprits les plus graves et les plus féconds, s’il en est encore. […] Un rare esprit qu’on n’accusera point de mysticité, un des critiques de ce temps qui prend le mieux l’aire de vent de l’esprit humain dans une époque, Philarète Chasles, signalait hier encore ce mouvement singulier de la pensée moderne vers le surnaturel et vers l’infini, et nous prouvait par toute une littérature spéciale, en Angleterre et en Amérique, à quel point ce mouvement actuel est entraînant et accéléré. […] Il ne sait pas, ou il veut ignorer, qu’elle est, après tout, la faculté qui tient le plus de place dans l’esprit humain, et qui pèse le plus sur la volonté.

275. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

C’est surtout quand la finesse de l’esprit est en jeu, que l’écrivain réussit. […] La Correspondance fait bien sentir le rapport légèrement inégal de ces deux esprits, somme toute, si éminents. […] Il a besoin de circonstances favorables, d’un certain état du Gouvernement et d’une certaine disposition des esprits. […] C’a été, vous le savez, le besoin de tous les esprits supérieurs, et nous lui devons la perfection de leurs œuvres. […] Royer-Collard fut flatté du portrait ; il ne le désavoua point ; il daigna y sourire : « Vous n’avez pas seulement bien de l’esprit, monsieur, mais votre esprit est aimable : il pare tout ce qu’il vous plaît de dire.

276. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre III : Examen de la doctrine de Tocqueville »

Je le répète, est-ce là un fait accidentel et passager, un résidu de l’esprit révolutionnaire qui doit disparaître peu à peu et céder la place à un sage esprit de progrès ? […] Son esprit n’était nullement tourné de ce côté. […] Un des premiers, il a montré le lien étroit qui unit le panthéisme et l’esprit de démocratie exagéré. […] L’esprit de nos contemporainscourt de lui-même de ce côté. […] Il montre comment la doctrine de l’intérêt bien entendu est conforme à l’esprit démocratique.

277. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. LOUIS DE CARNÉ. Vues sur l’histoire contemporaine. » pp. 262-272

1833 Dans les dernières années de la Restauration, quelques jeunes hommes, attachés à ce régime par leur naissance, leur éducation et leurs premières doctrines, mais aussi empreints, à un certain degré, de l’esprit du siècle, ou du moins comprenant et appréciant cet esprit avec une impartialité remarquable, fondèrent, sous le titre de Correspondant, un journal qui, avec moins d’éclat et d’influence, suivit, dans l’école religieuse et royaliste, une ligne assez analogue à celle du Globe dans l’école libérale et philosophique. […] M. de Carné, en certains endroits, qualifiant l’Opposition non parlementaire et non légale sous la Restauration, se sert des locutions esprit révolutionnaire et jacobinisme (voir t.  […] Cet homme s’appelle La Fayette, et il est le dernier des anciens hommes de l’Europe en qui vit encore l’esprit de sacrifice ; débris de l’esprit chrétien. » Dans le livre de M. de Carné, bien que le fond et le tissu en soient véritablement historiques et politiques, l’idée religieuse domine et rabat souvent les autres considérations à un ordre tout secondaire. « Plus les événements marcheront, dit-il, et mieux on comprendra que la question purement politique perd chaque jour de son importance, qu’elle s’amoindrit à vue d’œil, à mesure que se dessine et grandit la question de la régénération morale. » L’auteur s’est attaché surtout à démontrer que la réforme de 89 fut chrétienne dans son principe, bien qu’elle ne dût malheureusement s’accomplir qu’à travers une apostasie, au moins temporaire, du dogme religieux. […] Son christianisme actif le sauve peut-être en cela de quelques-unes des tendances de son esprit ; il croit avec ferveur au progrès social, au travail ininterrompu de l’esprit divin dans l’humanité ; il énumère sans ambiguïté les résultats ou instruments acquis et déjà victorieux, la presse, le jury, le principe électif. « Je suis tellement convaincu, » s’écrie-t-il quelque part, « du triomphe définitif des principes de 89, que je ne les considérerais pas comme compromis pour longtemps, quand, par suite de vicissitudes placées en dehors de nos prévisions, je verrais les Prussiens campés de nouveau dans la cour du Louvre, et les chevaux de l’Ukraine se désaltérer aux bassins de marbre des Tuileries. » Historiquement, et en tout ce qui concerne le mouvement, les phases et les hommes de la Restauration, les jugements de M. de Carné nous semblent approfondis et satisfaisants, du moins dans leur ensemble et eu égard à son point de vue. […] Je citerai surtout l’endroit où, discutant la loi du sacrilége de 1825, il se met lui-même en scène par un brusque mouvement, et se peint tel qu’il était alors sur ces matières avec les agitations de son esprit et les perplexités de sa conscience.

278. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

Esprit changeant ! […] Gozlan avait de l’esprit ; à partir de demain, il n’en aura plus. […] Ainsi beaucoup de gens m’ont déjà reproché de manquer d’esprit. […] Vous appelez cela avoir l’esprit large, je l’appelle avoir l’esprit trouble. […] Il ne pouvait abjurer tout à fait l’esprit français.

279. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre I. Vue générale du seizième siècle »

La fécondité du moyen âge semblait tout à fait épuisée à la fin du xve  siècle : le dogme limitait l’essor des esprits, et fermait de tous côtés l’horizon. […] Le xvie  siècle, au point de vue strictement littéraire, n’est en somme que l’histoire de l’introduction de l’idée d’art dans la littérature française, et de son adaptation à l’esprit français. […] Cinq ou six fois en une trentaine d’années, le flot de l’invasion française s’étale sur la terre italienne, et se retire sur le sol français : vers 1525, la pénétration de l’esprit, de la civilisation d’Italie dans notre esprit, notre civilisation, est chose faite, et notre race a fécondé tous les germes qu’elle portait en elle159. […] Les studieux jeunes gens nés dans les dernières années de Louis XI, que l’éducation scolastique avait laissés inquiets et affamés, lisent avidement, avec un esprit nouveau, avec l’esprit des Pogge, des Valla, des Guarino, les grandes œuvres latines dont le moyen âge n’avait ni pénétré le sens profond ni senti l’admirable forme : ils reçoivent la révélation de ce qu’avaient caché trop longtemps les bibliothèques des couvents. […] L’art s’élimine aussi, par la tendance essentielle de l’esprit français, des autres ouvrages de la pensée.

280. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

On le croyait autrefois ; beaucoup d’esprits sont aujourd’hui tentés d’en douter. […] Or, pour peu que l’on fasse ce partage entre les plaisirs, on s’aperçoit que, parmi les œuvres de l’esprit, il en est précisément qui plaisent toujours, qui plaisent à tous, ou au moins aux esprits éclairés, capables de les comprendre, qui plaisent à l’esprit et au cœur, et non aux sens : ce sont ces œuvres que l’on nomme belles, et elles le sont plus ou moins, suivant qu’elles se rapprochent plus ou moins du modèle que je viens de tracer. […] Peut-être pourrait-on lui reprocher de ne pas faire la part assez grande à l’imagination dans les ouvrages d’esprit. […] Cette réserve faite, le principe des vérités générales me paraît un excellent critérium pour distinguer le bon et le mauvais dans les ouvrages de l’esprit. […] C’est là un des caractères de l’esprit français ; tout s’y fait par coup d’État.

281. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

L’esprit ne pétille point dans ce livre ; mais il y a des réfléxions aussi importantes que solides sur les productions romanesques. […] Ses Egaremens du cœur & de l’esprit ne sont peut-être que trop agréables. […] L’auteur a beaucoup de feu & d’esprit ; il connoît le cœur humain ; il sçait développer habilement un caractère. […] Je ne connois point de livre, où il y ait autant d’esprit, de gaieté, de bonne plaisanterie, de naïveté. […] Ce genre est fort à la mode depuis qu’un homme de beaucoup d’esprit, M. de Marmontel, donna les siens en 1761. en deux vol.

282. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel » pp. 355-368

Nous sommes avec un esprit sage, prudent, modéré, doué des qualités civiles ; il a ses préférences, ses convictions ; il ne les cache pas, il les professe ; mais nous sommes aussi avec un esprit droit qui ne procède point par voies obliques ; lui du moins, en écrivant l’histoire, il ne songe à faire de niches à personne (ce qui est indigne d’esprits éclairés et mûrs, ce qui fait ressembler des hommes réputés graves, des hommes à cheveux gris et à cheveux blancs, à de vieux écoliers malins tout occupés à jouer de méchants tours à leur jeune professeur) ; il ne pense pas sans cesse à deux ou trois choses à la fois, il ne regarde pas toujours le présent ou l’avenir dans le passé : il étudie ce passé avec scrupule, avec étendue et impartialité, et il nous permet de faire avec lui, ou même sans lui, toutes sortes de réflexions sur le même sujet. […] On peut raisonner tant qu’on le voudra sur l’esprit des choses et la nature des institutions, mais, en fait, on ne peut séparer la Restauration de la personne des princes restaurés. […] L’esprit public est choqué, à tout instant, par des mesures dont ceux même qui les ont prises n’ont point calculé ni soupçonné l’effet. […] Chacun disait que les choses ne pouvaient durer ainsi, et, bien qu’il fût encore impossible de prévoir de quel côté viendrait l’orage, les esprits étaient déjà en proie à cette agitation fébrile qui précède presque toujours les grands mouvements. […] Royer-Collard ; vers la fin il n’y avait plus en lui que ce qu’il était tout d’abord, le bel esprit, le petit esprit du xviiie  siècle.

283. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VII. Du style des écrivains et de celui des magistrats » pp. 543-562

Le style donc doit subir des changements, par la révolution qui s’est opérée dans les esprits et dans les institutions ; car le style ne consiste point seulement dans les tournures grammaticales : il tient au fond des idées, à la nature des esprits ; il n’est point une simple forme. […] Marivaux, par exemple, ne présentant jamais que le côté recherché des aperçus de l’esprit, il n’y a ni philosophie, ni tableaux frappants dans ses écrits. […] C’est dans le style surtout que l’on remarque cette hauteur d’esprit et d’âme qui fait reconnaître le caractère de l’homme dans l’écrivain. […] Cette sorte de style n’est point un art que l’on puisse acquérir avec de l’esprit, c’est soi, c’est l’empreinte de soi. […] Ce que vous admirez véritablement, ce n’est pas une idée complètement inattendue, c’est une surprise assez graduée pour que l’esprit soit satisfait, et non pas troublé.

284. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre II » pp. 12-29

Femme d’un esprit médiocre, la reine excusait ces emportements par les infidélités du roi, le roi excusait ses infidélités par les emportements de la reine : c’était l’histoire de tous les mauvais ménages2. […] En pleurant ce prince, on lui reprocha sa mort même ; ce furent en effet son malheureux amour pour la femme de son neveu, la persécution du jeune époux, et les préparatifs d’une guerre sans autre objet que celui de tirer la belle Charlotte de la cour de Bruxelles où le prince de Condé l’avait conduite, qui rallumèrent cet esprit de la Ligue que Henri alors dans sa sagesse et dans sa vertu avait pris tant de soin à calmer et à éteindre, cet esprit qui arma un bras fanatique contre lui4. […] La pipe, le cigare, la bière, le thé, le vin, mêlent leur excitation et leurs fumées au faible mouvement des esprits et des imaginations. […] C’était sous l’influence de l’heureux besoin dont les esprits étaient alors pressés, que s’ouvrait l’hôtel de Rambouillet aux gens de la cour ennemis des scandales, aux gens du monde poli de la capitale, aux gens de lettres de profession, aux esprits cultivés de toutes les classes ; c’était par cet intérêt que les femmes les plus distinguées y étaient amenées et reçues avec des hommes d’élite, par une des plus belles, des plus jeunes, des plus riches et des plus respectables femmes de la cour. […] Le fils et la bru du financier s’illustrèrent par leur esprit.

285. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

L’homme de bon sens tâche de fermer son esprit aux préjugés, et tient l’imagination en bride sans l’étrangler. […] Je les écoute parce qu’ils me flattent ; ils sont gens d’esprit et de raison puisqu’ils pensent comme moi. […] L’exemple seul est puissant sur l’esprit public. […] C’est une remarque de Sénèque que la lecture trop prolongée énerve l’esprit ; il en est de même de la critique. […] Elle ne forme ni ne guide l’esprit public, elle le suit, et c’est pourquoi chaque siècle a sa critique.

286. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre premier. De la première époque de la littérature des Grecs » pp. 71-94

L’esprit de réflexion se montre rarement dans la poésie des Grecs. […] Mais l’esprit d’encouragement n’a jamais cessé d’exercer parmi eux la plus grande force. […] La démocratie qui appelle tous les hommes distingués à toutes les places éminentes, portait les esprits à s’occuper des événements publics. […] Maintenant la médiocrité toute puissante force les esprits supérieurs à se revêtir de ses couleurs effacées. […] Cette contrainte aigrit quelques esprits, étouffe dans les autres les talents auxquels l’essor et l’abandon sont nécessaires.

287. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section première. Des passions. — Chapitre III. De la vanité. »

il a vieilli dans les affaires sans y prendre une idée, sans atteindre à un résultat, cependant il se croit l’esprit des places qu’il a occupées ; il vous confie ce qu’ont imprimé les gazettes ; il parle avec circonspection même des ministres du siècle dernier ; il achève ses phrases par une mine concentrée, qui ne signifie pas plus que les paroles ; il a des lettres de ministres, d’hommes puissants, dans sa poche, qui lui parlent du temps qu’il fait, et lui semblent une preuve de confiance ; il frémit à l’aspect de ce qu’il appelle une mauvaise tête, et donne assez volontiers ce nom à tout homme supérieur ; il a une diatribe contre l’esprit à laquelle la majorité d’un salon applaudit presque toujours, c’est, vous dit-il, un obstacle à bien voir que l’esprit, les gens d’esprit n’entendent point les affaires. Licidas, il est vrai que vous n’avez pas d’esprit, mais il n’est pas prouvé pour cela que vous soyez capable de gouverner un empire. […] La figure d’une femme, quelle que soit la force ou l’étendue de son esprit, quelle que soit l’importance des objets dont elle s’occupe, est toujours un obstacle ou une raison dans l’histoire de sa vie ; les hommes l’ont voulu ainsi. […] Les femmes ne sont presque jamais honorées par aucun genre de prétentions ; les distinctions de l’esprit même, qui sembleraient offrir une carrière plus étendue, ne leur valent souvent qu’une existence à la hauteur de la vanité. […] Une femme qui se croit remarquable par la prudence et la mesure de son esprit, et qui n’ayant jamais eu deux idées dans la tête, veut passer pour avoir rejeté tout ce qu’elle n’a jamais compris, une telle femme sort un peu de sa stérilité accoutumée, pour trouver mille ridicules à celle dont l’esprit anime et varie la conversation : et les mères de famille, pensant, avec quelque raison, que les succès mêmes du véritable esprit ne sont pas conformes à la destination des femmes, voient attaquer avec plaisir celles qui en ont obtenu.

288. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre V. De la lecture. — Son importance pour le développement général des facultés intellectuelles. — Comment il faut lire »

Qu’ils prennent donc des traductions, celles plutôt qui sont fidèles à l’esprit et à la couleur qu’au sens littéral. […] Horace traduit n’est plus Horace : on ne saurait pourtant s’abstenir tout à fait de pratiquer cet esprit charmant. […] On ne craindra pas les systématiques : ce sont les esprits puissants, qui ont eu la vision et comme l’hallucination d’une idée juste. […] Elles ne soupçonnent point les difficultés : tout est clarté sans ombre, ou nuit sans lueurs dans leur esprit. […] Cet orgueil, cette suffisance sont une forme de l’esprit, non un vice du cœur.

289. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

L’Homme est jetté dans l’Univers avec un esprit, des sens & des passions. […] Dignes compagnes de l’homme, osez penser avec lui ; la Nature vous a donné le même esprit. […] Pourquoi ne pas donner une égale éducation à des esprits également doués de raison ? […] Si leur esprit étoit plus enrichi, notre éducation y gagneroit. […] Pourquoi enfin, leur interdisant toute noble carrière, leur envions nous encore les jeux & les plaisirs de l’esprit ?

290. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Aujourd’hui, un homme d’esprit bien connu de nos lecteurs252, M.  […] Ce qu’elle ajoute ne prête pas moins à l’observation : « Son image fixe remplissoit uniquement mon esprit. […] Si elle a manqué plus d’un à-propos de destinée, elle a rencontré du moins celui de l’esprit, de la langue et du goût. Ses moindres mots sont entrés dans la circulation de la société et dans les richesses d’esprit de la France. […] On n’y regardait pas de si près en ce temps-là, quand il s’agissait de s’assurer les plaisirs de l’esprit.

291. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Le cœur est éternellement original, même quand l’esprit est plagiaire. C’était un écrivain de cœur, un génie du foyer, un esprit domestique. […] Voulez-vous voir le chef-d’œuvre, dépouillez la statue ; cela est aussi vrai de l’esprit que du corps. […] Elle n’est rebelle et avare que pour les faibles ou pour faire accomplir de plus vigoureux efforts à l’esprit. […] On n’a pas assez remarqué la puissance de cette institution de la chaire sur l’esprit littéraire d’une nation.

292. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Elles étaient de deux races d’esprit opposées. […] Mme de Créqui, on l’a vu, goûtait peu Mme de Staël et ne devinait pas son grand esprit sous son enthousiasme. […] En général, Mme de Créqui, excellent type de fin de société, ne devine pas l’avenir et ne pressent pas l’esprit nouveau. […] On jouit singulièrement par la partie la plus civilisée de l’esprit. […] Chaque esprit, au reste, y porte sa nuance particulière ; l’un y met le sel, la gaieté ou l’âcreté de la réplique, l’autre une fleur de raillerie et de délicatesse.

293. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre III. Le Bovarysme des individus »

Ce sont des formes, sous lesquelles l’esprit groupe des intuitions particulières offrant entre elles des analogies, des formes par l’entremise desquelles l’esprit met en relation, selon des rapports variés de conjonction ou d’opposition, les intuitions particulières, afin de bâtir la trame de la pensée. […] Sitôt que l’esprit, en proie à cette prévention, entre en contact avec l’intuition, celle-ci, qui est infaillible et exprime le rapport direct de l’esprit avec le réel, fait apparaître la contradiction ou le désaccord qu’il y a entre l’objet tel qu’il était conçu et l’objet tel qu’il est. […] En faisant appel à ses propres souvenirs chacun peut se représenter combien est pauvre à cet âge le pouvoir sur l’esprit de la réalité, combien grand, au contraire, le pouvoir de déformation de l’esprit à l’égard du réel. […] La pauvreté de son esprit percerait aux motifs de ses jugements. […] Quelques esprits réservés et modestes ne se hasardent point à considérer des matières aussi subtiles et leur silence semble un aveu de sa supériorité.

294. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Lettres inédites de Jean Racine et de Louis Racine, (précédées de Notices) » pp. 56-75

Il ne pétille pas seulement d’esprit, mais de pensées, et de pensées qui nous regardent. […] Cet esprit arrogant s’est montré tendre pour le fils de Racine, comme l’éminent Montesquieu avait été d’une indulgence charmante pour Rollin : cela sied aux forts. […] Il n’était pas au niveau d’un siècle où Duclos disait : « Mon talent à moi, c’est l’esprit. » De l’esprit argent comptant et à tout instant, voilà ce que la société demandait alors avant tout et ce que Racine fils avait moins que personne à lui donner. […] tout est sauvé ; on a pensé avec l’esprit d’un autre et parlé avec ses paroles. […] L’esprit humain ne compte que sous un perpétuel aiguillon.

295. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

C’est proprement, de par la nature différente des esprits, la chose impossible. […] La contre-épreuve de ceci, c’est l’esprit critique chez l’auteur lui-même. […] De son temps, « esprit critique » signifiait le plus souvent esprit de dénigrement, ou tout au moins esprit de mécontentement. Quand Boileau dit : « Gardez-vous, dira l’un, de cet esprit critique », il veut dire, on le sent assez : gardez-vous de cet épigrammatiste. […] Voilà au moins quelques éléments de cet esprit critique dont parle La Bruyère et entendu comme il l’entend.

296. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Croce ; il est un des esprits les plus puissants, les plus originaux, de la critique et de la philosophie contemporaines. […] Mais encore pourrait-on se demander : l’effet voulu ne serait-il pas beaucoup plus considérable si la forme était adéquate à l’esprit ? […] Nous créons alors des rubriques de « tout y va » ; ce sont des tiroirs, pour l’œil ; ce n’est pas de l’ordre, de la lumière pour l’esprit. — Il faudrait se résoudre à bouleverser beaucoup de nos catégories ; pour cela il faut s’habituer d’abord à voir autrement, à embrasser d’un coup d’œil la ligne d’ensemble (esprit général) et le cas individuel, et surtout à saisir, derrière la forme souvent trompeuse, l’état d’âme. […] L’esprit critique, c’est Méphisto : « ich bin der Geist, der stets verneint » ; le créateur, c’est Faust. […] L’esprit moraliste, étroitement apparenté à l’esprit satirique, provoque à mon sens des réserves semblables en histoire littéraire.

297. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Il s’appliqua, suivant la nature de son esprit observateur, à tout deviner, à tout démêler dans cet événement extraordinaire, et il en fit, à son retour à Paris, des récits qui charmèrent la société. […] Voltaire, tout aristocratique au contraire, ne s’adresse qu’à quelques-uns, et la réforme qu’il prêche aux rois, aux grands et aux esprits d’élite, est plutôt civile et religieuse que politique. […] Mais bientôt, cette direction échappant aux mains des gouvernants, la société tout entière entra dans une de ces agitations profondes dont aucun esprit clairvoyant ne pouvait prévoir le terme ni les crises. Rulhière, averti d’ailleurs par son intérêt personnel, fut dès le principe un de ces esprits clairvoyants. […] Mais ses meilleures raisons étaient encore dans son caractère et dans le tour de son esprit, qu’on pourrait définir, de tout temps, libéral mais ministériel.

298. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — I. » pp. 401-420

Il nous arrive à nous-même presque comme à Louis XIV ; Mme des Ursins regagne dans notre esprit, du moment qu’elle parvient à être écoutée. […] Les grâces et l’esprit de cette reine enfant n’y auraient pas suffi sans les directions de ce guide continuel, et qui l’était aussi du jeune roi en bien des choses. […] De l’esprit dont on connaît Louis XIV, il devait trouver inouï qu’on donnât cette importance à une femme qu’il avait placée là pour le servir. […] Ce qui me paraît plus sûr, c’est qu’indépendamment même de la politique, il y eut là un triomphe de l’esprit. […] L’esprit de Mme des Ursins est un esprit sérieux, positif, un peu sec au fond, mais ouvert, délibéré et hardi.

299. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

Cette date de soixante et dix ans qu’on donne pour époque à ce renouvellement prétendu des esprits est mal choisie. […] Cela ne vient point de ce que les esprits aïent été, pour ainsi dire, regenerez. […] Depuis quatre-vingt ans que les esprits ont commencé à devenir si justes et si pénetrans, on n’a fait aucune découverte de l’importance de celle dont nous parlons. […] L’esprit philosophique, les physiciens speculateurs ne faisoient point usage des faits. […] Qu’on juge quelle part peut avoir eu dans l’établissement de ce dogme l’esprit philosophique né depuis quatre-vingt ans.

300. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Planter un tas d’interprètes différents sur la même œuvre d’un homme, c’est appliquer réellement à tue-tête, aux choses de l’esprit, le principe économique de la division du travail. […] reste toujours dans la couleur de son esprit, et la couleur de l’esprit de M.  […] Voilà quels furent, et tout de suite saillants, les caractères primitifs de cet esprit bien né et bien portant, si succulent, si frais et si robuste, d’un sang très pur, sans humour ni humeur, sans enfin une seule des maladies intellectuelles qui font si souvent des esprits anglais, et même des plus grands, ou des maniaques sublimes ou tout au moins des excentriques et des originaux. […] Pour être un grand critique, en effet, il faut n’avoir souci que d’œuvres et d’esprits. […] Si, comme l’a dit Pascal, plus on a d’esprit, plus on voit de différences entre les choses qui se ressemblent, Macaulay a dû en avoir une fière quantité ce jour-là.

301. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Théodore Leclercq. » pp. 526-547

De là la guerre à mort qui s’engagea bientôt entre lui et tous les esprits sensés qu’un intérêt étroit et direct n’aveuglait pas. […] À côté d’un esprit aussi éminent et aussi prononcé, M.  […] L’esprit de M.  […] Leclercq : c’était assurément lui reconnaître de l’esprit. […] Représentons-nous bien ce qu’était le proverbe dramatique à l’origine et dans le véritable esprit du genre.

302. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Michaud, de l’Académie française. » pp. 20-40

Michaud parut hésiter et tâtonner dans l’application de son esprit. […] C’est dans ce dernier âge seulement que se déclara tout entier l’esprit de M.  […] L’art de faire passer l’esprit des anciens chroniqueurs dans un récit moderne, ferme et neuf, n’était pas trouvé à cette date de 1811, à laquelle M.  […] On n’avait pas impunément de l’esprit devant lui. […] Il en est comme d’un flacon d’essence qui se brise ; la goutte exhalée se répand sur l’ensemble de leur esprit et y laisse un petit parfum.

303. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Ernest Hello » pp. 207-235

Le livre d’Ernest Hello a pu résister à ces admirations dangereuses d’esprits sans critique, entraînés pas leurs sentiments. […] S’il était moins chrétien, par le fait de la nature de son esprit il irait droit au paradoxe. […] Le livre de l’Homme doit attirer tous les esprits qui aiment encore les choses de la pensée. […] Il y reste sur les bases de sa personnalité, — avec le genre particulier d’esprit que nous lui connaissions. Le physionomiste des Saints est le même esprit, le même talent que l’auteur de l’Homme.

304. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. Joubert »

des esprits tout envahis d’eux-mêmes, de leurs prétentions rivales, de leurs intérêts d’amour-propre, et, pour le dire d’un mot, des esprits trop souvent perdus de tous ces vices les plus hideux de tous que la littérature seule engendre dans ses régions basses. […] Joubert le marquaient entre les esprits de son siècle et en vont faire un critique à part. […] J’y veux donner à mes pensées plus de pureté que d’éclat, sans pourtant bannir les couleurs, car mon esprit en est ami. […] Joubert est un esprit délicat avec des pointes fréquentes vers le sublime ; car, selon lui, « les esprits délicats sont tous des esprits nés sublimes, qui n’ont pas pu prendre l’essor, parce que, ou des organes trop faibles, ou une santé trop variée, ou de trop molles habitudes, ont retenu leurs élans. » Charmante et consolante explication ! […] Les idées religieuses prenaient sur cet esprit élevé plus d’empire de jour en jour.

305. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Il eut des lacunes aussi dans l’esprit. […] Mais qui sait si son aversion pour de telles recherches est faiblesse ou droiture d’esprit ? […] Son Dieu philosophique était un postulat que son esprit acceptait, et qui n’intéressait pas son cœur. […] C’est là surtout qu’il faut chercher l’action et l’esprit de Voltaire. […] II, p. 85-87, 1777 ; Commentaire sur l’Esprit des Lois, 1778.

306. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Esprits qui s’entendent comme des cœurs ! […] Il aimait l’esprit comme les truffes, et il le trouvait comme on les trouve. […] L’homme d’esprit a tout gâté, l’homme d’esprit qui ne veut pas-avoir l’opinion des imbéciles, comme si l’opinion des imbéciles n’était pas toute la politique de la vie ! […] Il a des remords, pourtant, et des tiraillements d’homme d’esprit. […] La barbe est blanche, mais l’esprit est vert.

307. (1890) L’avenir de la science « VII »

C’est une intime pénétration de l’esprit philosophique, qui se manifeste non par une tirade isolée, mais par la méthode et l’esprit général. […] Des travaux entrepris sans ce grand esprit peuvent même servir puissamment au travail de l’esprit humain, indépendamment des intentions plus ou moins mesquines de leurs auteurs. […] Quel fait immense dans l’histoire de l’esprit humain que l’initiation du monde latin à la connaissance de la littérature grecque ! […] Des esprits vifs et élevés auraient-ils mené à fin ces immenses travaux sortis des ateliers scientifiques de la congrégation de Saint-Maur ? […] Celui-là a le plus vécu, qui, par son esprit, par son cœur et par ses actes, a le plus adoré !

308. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

Si cet enthousiasme divin, qui rend les peintres poëtes, et les poëtes peintres, manque à nos artisans, s’ils n’ont pas, comme le dit Monsieur Perrault, ce feu, cette divine flâme, l’esprit de notre esprit, et l’ame de notre ame. […] Les esprits les plus communs, sont capables d’être des peintres et des poëtes médiocres. […] Un homme né avec le génie du commandement à la guerre, et capable de devenir un grand capitaine à l’aide de l’expérience, c’est un homme dont la conformation organique est telle que sa valeur n’ôte rien à sa présence d’esprit, et que sa présence d’esprit n’ôte rien à sa valeur. […] On n’acquiert point la disposition d’esprit dont je parle ; on ne l’a jamais si on ne l’a point apportée en naissant. […] Des hommes sans aucun esprit, sont aussi rares que les monstres, dit celui de tous les hommes qui s’est fait la plus grande réputation dans la profession d’instruire les enfans.

309. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 10, du temps où les hommes de génie parviennent au mérite dont ils sont capables » pp. 110-121

L’étenduë de l’esprit, la subtilité de l’imagination, l’application même ne sçauroient y suppléer. […] Quintilien, que sa profession obligeoit d’étudier le caractere des enfans, parle avec un sens merveilleux sur ce qu’on appelle communément des esprits tardifs et des esprits précoces. […] Son esprit a contracté une faineantise intérieure qui lui laisse attendre des impulsions exterieures pour se déterminer et pour agir. L’esprit contracte aussi facilement une habitude de paresse que les jambes et les pieds. […] Dans l’enfant élevé sans tant de soins, l’interieur s’évertuë de lui-même, et l’esprit devient actif.

310. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Renier la première moitié de sa vie pour l’homme qui n’a qu’une vie à vivre, c’est un martyre d’esprit dont peu d’esprits sont capables. […] C’était la gloire, l’esprit, le génie, l’éloquence en foule. […] C’était l’esprit et le cœur qui coulaient. […] Ce grand homme d’esprit ne faisait jamais d’esprit. […] Il n’y avait ni altération dans son sourire, ni affaiblissement dans son esprit.

311. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Sa forme d’esprit était la plus contraire à la leur et tout à fait inverse. […] On voit là tout ce que la liberté d’esprit, la franchise et la vérité des faits peuvent produire d’excellent. […] Quel abîme que l’esprit humain ! […] Avec tous les défauts de sa manière, Fontenelle est un grand esprit, une haute intelligence. […] Ô myopie des gens d’esprit !

312. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Quand un certain vent se remet à souffler, il suffit des moindres occasions ou des moindres prétextes pour jeter les plus honnêtes esprits, et les plus bourgeois, dans des irritations déraisonnables et disproportionnées dont profite aussitôt l’esprit de parti. […] Les discours remarquables qu’il prononce de temps en temps à la Chambre laissent toujours un doute dans l’esprit : que veut-il en définitive ? […] Les esprits y éprouvent depuis quelque temps un malaise singulier ; et, au milieu d’un calme plus grand que celui dont nous avons joui depuis longtemps, l’idée de l’instabilité de l’état de choses actuel se présente à beaucoup d’esprits. […] Cependant cet aspect de l’état des esprits doit faire sérieusement réfléchir. […] J’ai cherché dans tout ce qui précède à te faire bien comprendre l’état de mon esprit.

313. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 234-238

Bayle, à le bien examiner, n’est qu’un tissu de contradictions, où l’abus du raisonnement se fait toujours sentir au préjudice de la raison même, ce qui doit le rendre moins dangereux pour tout esprit éclairé & solide. […] Que reste-t-il dans l’esprit après qu’on a lu ses Ouvrages ? […] Tel est le travers ordinaire de ces esprits versatils, que l’intempérance des idées porte indiscrétement au pour & au contre sur chaque objet. […] Ailleurs ce sont des obscénités présentées sans ménagement, ou plutôt avec une complaisance qui prouve un cœur corrompu, &, par une consequence assez légitime, un esprit obscurci par cette corruption même. […] A quoi en seroit réduit l’esprit humain, s’il n’avoit pour se conduire, que ces lumieres incertaines qui l’abusent & le fatiguent sans le fixer ?

314. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 457-512

On y a démontré des milliers d’erreurs, qui n’ont été défendues que par d’autres erreurs, plus absurdes & plus multipliées ; d’où il est aisé de conclure, qu’en voulant peindre l’esprit des Peuples, il n’a peint véritablement que son propre esprit, c’est-à-dire, un esprit asservi à toutes les bizarreries d’une imagination déréglée, aveuglé par les travers d’une raison inconséquente & sans suite, emporté par les inquiétudes d’un caractere audacieux & sans frein. […] Trouve-t-on dans cet Ouvrage, & dans tous les autres du même Auteur, ce nerf historique, cette combinaison des matieres, cet esprit de liaison & de suite, cet ensemble qui nourrit & soutient l’esprit du Lecteur, & forme une chaîne non interrompue de tableaux qui le fixent & l’intéressent jusqu'à la fin ? […]   Dans la Littérature, il a porté le même esprit & les mêmes variations. […] Jamais Homme fut-il plus le jouer de son amour-propre, de son esprit, de son imagination, de son cœur, & de sa fausse raison ! […] La véritable doit également agir sur l'esprit & sur le cœur : sur l'esprit, par des principes éclairés, solides, & invariables ; sur le cœur, par des sentimens honnêtes, supérieurs, & à l'épreuve de tout : c'est par ce rapport des pensées & des sentimens qu'elle éleve l'Homme au dessus de la classe ordinaire.

315. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre II : Examen critique des méditations chrétiennes de M. Guizot »

Ces hommes, si éminents qu’ils soient par l’esprit et le caractère, que sont-ils dans l’Église ? […] Le positivisme, dans son esprit, dans sa vraie idée, dans la pensée d’Aug. […] Nous ne connaissons pas plus l’essence de la matière que l’essence de l’esprit, pas plus l’essence de l’esprit que l’essence de la matière. […] quelle délivrance pour l’esprit ! […] » Je comprends le silence, l’humiliation de l’esprit et de l’âme devant des problèmes insondables.

316. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre quatrième »

Ces poëtes avaient pris pour l’esprit français un tour d’esprit passager, et propre à leur époque. […] Cet éloge des biens de l’esprit est déjà de la haute poésie la Renaissance et la Réforme ont passé par là. […] C’est un pas de l’esprit français dans la poésie ; et Saint-Gelais n’est pas un vain nom, puisque ce pas est marqué par son recueil. […] C’était l’image de ses mœurs, et l’expression de son tour d’esprit. […] Il y avait de plus ce que ne donnent pas les théories, de la verve et de l’esprit.

317. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

Cette seconde discussion générale est indispensable pour achever de faire connaître dès l’origine le véritable esprit de ce cours. […] Ces diverses tentatives ont même été, en général, si mal conçues, qu’il en est résulté involontairement, dans la plupart des bons esprits, une prévention défavorable contre toute entreprise de ce genre. […] Mais je ne pense pas qu’une telle entreprise, même indépendamment de son étendue, puisse être convenablement tentée dans l’état présent de l’esprit humain. […] Ainsi, dans l’état présent de l’esprit humain, il y aurait une sorte de contradiction à vouloir réunir, dans un seul et même cours, les deux ordres de sciences. […] Car il est peu de bons esprits qui ne soient convaincus aujourd’hui qu’il faut étudier les phénomènes sociaux d’après la méthode positive.

318. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre IV. La langue française au xviie  »

Les précieux et la langue française296 L’intime identité de l’esprit mondain du xviie siècle et de l’esprit cartésien apparaît sensiblement dans la constitution de la langue. […] Ils l’essayèrent sans nul doute, par goût de la distinction et par amour de l’esprit. […] Elles ne mettent en jeu que l’esprit : ce sont, à vrai dire, non des visions, mais des rébus. […] Il y a là, dans le langage précieux, une tendance que le goût italien alors à la mode fortifie, mais qui, du reste, est contraire à l’esprit général du siècle : car elle encourage la fantaisie individuelle. […] Enfin ce fut Chapelain qui, s’inspirant de l’esprit des statuts, trouva le seul ouvrage que quarante personnes pussent faire ensemble pour « l’embellissement de la langue » : un Dictionnaire.

319. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre III : Le problème religieux »

C’est là un fait en quelque sorte isolé, et la persistance des grandes religions orientales prouve avec quelle ténacité l’esprit humain reste attaché aux formes religieuses qu’il a une fois adoptées. […] Le christianisme a justement prouvé sa supériorité sur toutes les religions de l’univers par sa facilité à s’assouplir à tous les états d’esprit, à tous les états de sociétés. […] Malheureusement, il faut le reconnaître, cette forme de christianisme qu’ont admise et rêvée les plus grands esprits, a peu de chances de succès dans notre pays. […] Lorsque l’on considère notre société sans cet esprit de pessimisme qui est aussi dangereux que l’esprit contraire, on remarque qu’entre les deux termes extrêmes du matérialisme brutal et de l’orthodoxie dogmatique il y a un nombre considérable et de plus en plus grand d’esprits qui d’une part répugnent à un dogme précis, et qui de l’autre répugnent à l’abaissement de l’esprit devant la matière. […] Une fois cette grande Église philosophique constituée, qui l’empêcherait de prendre pour temple la vieille Église chrétienne, rajeunie, émancipée, animée du vrai souffle des temps modernes, entraînée par l’esprit nouveau, mais le purifiant, le pacifiant par cet esprit d’amour dont l’Évangile, plus qu’aucun livre religieux, a eu le secret ?

320. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Mathilde de Toscane »

Il écrit l’histoire pour l’histoire, sans esprit de retour et sans allusion. […] pour un esprit qui n’est encore que politique, il n’était pas possible d’aller plus loin, de notre côté ! […] Grégoire, comme Luther, fut un esprit dominateur. […] Il avait les passions élevées, les passions de l’esprit : c’est par là qu’il nous saisit et qu’il nous entraîne. […] Le Moyen Age a vécu des conceptions de ce grand esprit qui garda toute son autorité après sa mort.

321. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Chamfort »

L’esprit est une réminiscence. […] Il ne se douta pas, l’homme d’esprit, qu’il riait de lui-même ! […] C’est là que Chamfort a souvent visé sans toucher ; esprit forcené plutôt que juste. […] Mais supposez-le duc, il était gai ; et Ninon l’a dit : La gaîté de l’esprit prouve sa force. […] L’esprit n’est pas tout, même en France.

322. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

En vivant longtemps dans l’étude de ce grand esprit, M.  […] La peur de Pascal était digne de son âme et de son esprit. […] L’ivresse de la terreur, d’une terreur sans bornes, a pu seule donner à l’âme d’un homme la force de briser un esprit pareil, car l’âme et l’esprit sont adéquats chez Pascal. […] peut-être n’y a-t-il pas d’autre manière de mettre les pieds sur ces deux révoltés tenaces, le cœur de l’homme et son esprit ! […] La croyance au surnaturel, qui était le seul naturel pour Pascal, a diminué dans les esprits, retournés vers l’en-bas des choses.

323. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre II. Attardés et égarés »

L’esprit mondain, son caractère et son influence sur la littérature. — 4. […] Rien ne vaut que pénétré ou orné d’esprit. […] L’esprit de la société polie, esprit précieux d’abord, puis simplement esprit de cour ou de salon, n’est en somme que la forme charmante, étroite, inférieure, du goût classique : c’est au-dessus de lui, bien que souvent pour lui, que se firent les chefs-d’œuvre. […] Car le merveilleux de l’esprit se rencontrait plus facilement hors de chez nous. […] Il a dépensé plus d’esprit à dire des riens, qu’un autre à exprimer des pensées solides.

324. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Rien ne survécut à cet accès de colère sacrée de l’esprit humain contre lui-même. […] Esprit du même ordre, mais avec le don de plus qui élève la pensée jusqu’au ciel, la poésie. […] J’aime à assister, par la pensée, à cette lente conception dans l’esprit de l’exilé de Florence. […] Son orthodoxie parfaite pour lui-même était une charité d’esprit parfaite aussi pour les autres. […] Écoutons dans quelques belles pages cette voix d’Ozanam si digne de parler des choses de l’esprit.

325. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Le concept vient donc de l’esprit ; sans doute, il est formé à l’occasion de l’expérience et avec des matériaux empruntés à l’expérience, mais c’est l’esprit qui le forme. […] Nous sommes ici livrés aux intuitions de notre esprit. […] Il est dû à l’activité de l’esprit humain. […] Le trait essentiel de l’esprit historique, aimait à dire M.  […] L’esprit ne meut la matière ni immédiatement ni même médiatement.

326. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

SON STYLE ET SON ESPRIT. […] Son style et son esprit. […] Selon qu’un esprit y est propre ou non, il est capable, ou incapable. […] Il dit vrai : les esprits comme le sien sont les plus féconds. […] L’esprit positif semble en devoir exclure toutes les idées allemandes ; et cependant c’est l’esprit positif qui les introduit.

327. (1910) Études littéraires : dix-huitième siècle

Pascal dirait que le moraliste a l’esprit de finesse et le psychologue l’esprit de géométrie. […] quelle intelligence, quelle finesse, que d’esprit ! […] L’Esprit des Lois nous montrera, agrandies, toutes les faces différentes de l’esprit de Montesquieu. […] Pour Montesquieu, Dieu, c’est l’Esprit des Lois. […] Ce grand esprit, c’est un chaos d’idées claires.

328. (1890) L’avenir de la science « A. M. Eugène Burnouf. Membre de l’Institut, professeur au Collège de France. »

Ne donner à l’étude et à la culture intellectuelle que les moments de calme et de loisir, c’est faire injure à l’esprit humain, c’est supposer qu’il y a quelque chose de plus important que la recherche de la vérité. […] Grâce aux sentiments qu’elles m’ont inspirés, j’ai traversé de tristes jours sans maudire personne, plein de confiance dans la rectitude naturelle de l’esprit humain et dans sa tendance nécessaire à un état plus éclairé, plus moral et par là plus heureux. […] J’ai pensé toutefois que quelques jeunes âmes, amoureuses du beau et du vrai, trouveraient dans cette confidence consolation et appui, au milieu des luttes que doit livrer à un certain âge tout esprit distingué pour découvrir et se formuler l’idéal de sa vie. J’ai voulu aussi professer, à mon début dans la science, ma foi profonde à la raison et à l’esprit moderne, dans un moment où tant d’âmes affaissées se laissent défaillir entre les bras de ceux qui regrettent l’ignorance et maudissent la critique. […] C’est à cette preuve vivante que je voudrais convier tous ceux que je n’aurais pu convaincre de ma thèse favorite : la science de l’esprit humain doit surtout être l’histoire de l’esprit humain, et cette histoire n’est possible que par l’étude patiente et philologique des œuvres qu’il a produites à ses différents âges.

329. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion statique »

Bien différente est l’attitude d’esprit du primitif. […] Ne parlons donc pas ici d’esprits différents du nôtre. […] Chaque esprit est attaché à l’endroit où il se manifeste. […] C’est aux esprits que nous en étions restés. […] Ces dieux se surajoutent d’ailleurs aux esprits, mais ne les remplacent pas, Le culte des esprits reste, comme nous le disions, le fond de la religion populaire.

330. (1904) Essai sur le symbolisme pp. -

Comment donc se hisser jusqu’au faîte de l’esprit ? […] La critique, comme l’esprit, souffle où elle veut. […] On sait que pour l’idéaliste américain la nature n’est qu’un symbole de l’esprit. […] De là l’influence des objets naturels sur l’esprit. […] Au fond, le symbole est une vérité que la langue de l’homme ne peut pas dire à l’oreille de l’homme et que l’esprit dit à l’esprit. » Ballanche.

331. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Gabriel Naudé »

Ainsi la moyenne des esprits restait grossière, et la sublimité des élus se montrait sauvage. […] Il ne faut pas tant de lecture dans la pratique à un esprit bien fait ; et il insiste sur cette vérité de bon sens en homme d’esprit, tout à fait dégagé du métier. […] c’est le cercle ordinaire, le manège de l’esprit humain. […] C’est là un faible dans cet esprit si sain. […] Son article manque au Dictionnaire de Bayle, ce plus direct héritier de son esprit.

332. (1893) Du sens religieux de la poésie pp. -104

Ces fatalités, disons-le tout de suite, un mot les résume : l’esprit critique. […] Alors, l’esprit critique dormait. […] Pendant ce temps l’esprit critique a grandi. […] Je n’ai pas à entrer dans le détail de ce long duel de l’esprit poétique et de l’esprit critique. […] En elles l’esprit poétique et l’esprit critique font alliance.

333. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre sixième »

c’est l’esprit. […] C’était un homme d’esprit et de goût. […] Il y a dans tout brouillon un esprit satirique. […] Aussi que d’esprit déployé pour être applaudis ! […] Ce genre d’esprit abonde dans Beaumarchais.

334. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

…… L’esprit humain a-t-il commencé par l’imbécillité et la barbarie ? […] Nous sommes en impuissance et en décadence : l’esprit humain s’en va, comme on a dit des rois et des dieux. […] Quant à nous, nous ne croyons nullement au monstre, car l’Europe est grosse de l’esprit divin. […] L’Italie est pleine d’hommes de la même trempe de cœur et d’esprit, auxquels il ne manque que la voix. […] J’en avais les yeux las et l’esprit saturé ; j’avais tant vu que je ne regardais plus rien.

335. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

C’est la même que Boileau désignait pour la femme de France qui avait le plus d’esprit et qui écrivait le mieux. […] Mme de Choisy, par exemple, avait prodigieusement d’esprit naturel, en conversation ou par lettres, mais pas même d’orthographe. […] Mme de La Fayette, qui avait l’esprit solide et fin, s’en tira à la manière de Mme de Sévigné, en n’en prenant que le meilleur. […] Mais le digne Adry, qui fait autorité comme bibliographe, a l’esprit un peu esclave de la lettre. […] L’auteur d’un tel écrit était, certes, un esprit capable d’affaires positives.

336. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la liberté de l’enseignement »

Est ce parce que les esprits faisant partie de cette classe ne sont pas associés, affiliés entre eux, unis comme cela a lieu pour les sectes et communions religieuses ? […] L’heure de la reconnaissance, pour cet ordre considérable d’esprits, a depuis longtemps sonné. […] Dans le rapport d’ailleurs excellent et plein d’esprit (c’est tout simple), et de justesse quant aux conclusions, que vous avez entendu, l’honorable rapporteur, M.  […] qu’il vienne, qu’il s’élève de quelque part ce libre esprit et peintre à la fois, ce génie dramatique incisif, amer et éloquent ! […] Un moraliste religieux, un ami de Chateaubriand et de Fontanes, un des hommes qui ont le mieux senti et pratiqué selon l’esprit le vrai christianisme, M. 

337. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre I. Polémistes et orateurs, 1815-1851 »

Et notez qu’il est brave et patient ; ce n’est pas le manque de cœur, c’est le tour d’esprit qui en fait un mauvais officier. […] Il ne remuait pas les passions, il n’enchantait pas les fantaisies : il emplissait les esprits. […] « L’esprit particulier de la classe moyenne, écrit M. de Tocqueville697, devint l’esprit général du gouvernement ; il domina la politique extérieure aussi bien que les affaires du dedans : esprit actif, industrieux, souvent déshonnête, généralement rangé, téméraire quelquefois par vanité et par égoïsme, timide par tempérament, modéré en toute chose, excepté dans le goût du bien-être, et médiocre… » L’éloquence se ressentit, ainsi que le gouvernement, de cet esprit étroit et positif. […] S’il voulait philosopher et moraliser, il avait la profondeur de Scribe, son contemporain, une autre incarnation du même esprit. […] Il n’a pas eu la puissance d’esprit qu’il aurait fallu pour le rôle qu’il prenait.

338. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Mais que produiroit une pareille composition dans l’esprit du lecteur ? […] J’entens enfin par grande idée, les pensées qui étonnent l’esprit, ou qui flatent l’orgueil humain. […] Ce qui est familier à l’esprit, n’y sçauroit plus faire qu’une impression languissante. […] Le poëte y doit compter sur toute l’attention du lecteur ; et tâcher toujours d’exercer son esprit par un grand sens, que la superfluité des mots ne fasse pas languir. […] Il avoit l’esprit étendu, varié, délicat et fleuri.

339. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Sainte-Beuve » pp. 43-79

Les esprits qui honorent le plus la pensée moderne ont gardé le goût du terroir, l’accent inaliénable de la patrie. […] Mais ceci montre, par un dernier trait, à quel point des curiosités sans grandeur avaient réduit son esprit en miettes. […] , n’est plus le même Sainte-Beuve d’esprit et de talent que nous avons connu de son vivant ou dans ses écrits. […] C’est un malheur, mais pourquoi étaler cette indigence d’esprit épistolaire dans une publication intempestive, au-devant de laquelle personne ne courait ? […] Nous, nous pouvons dire de simple intuition et par le fait de notre connaissance présumée du genre d’esprit de Sainte-Beuve, de cet esprit si travaillé, si tortillé, à trompe déliée d’insecte, mais d’insecte empâté souvent dans des viscosités sucrées, qu’un tel esprit n’était pas troussé lui-même pour trousser une lettre.

340. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Μ. Ε. Renan » pp. 109-147

Après tout, on est bien aise de connaître sur quel pilotis est bâti l’esprit d’un homme qui a fait une minute dans le monde le bruit qu’y a fait M.  […] Renan et le trouvent un grand esprit ! […] Ils ne connaissaient pas l’esprit scientifique ! […] Renan, Marc-Aurèle avait été un esprit religieux, il aurait eu l’initiative du temps qui devait suivre et il aurait ouvert son empire aux idées chrétiennes. […] Pauvre esprit qui ne s’entend pas lui-même !

341. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — II » pp. 112-130

Ce que j’ai d’esprit, je l’ai juste. […] On court à l’esprit, on le cultive, on devient tout spirituel. C’est l’esprit joint au cœur qui forme l’héroïsme, le courage, le sublime, et d’où résulte le génie. […] Aussi, quand l’esprit est mauvais, le sophisme fait les vices. — Il me semble qu’il n’y a plus aujourd’hui d’hommes d’esprit et de conversation, comme dans ma jeunesse.

342. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — II » pp. 454-475

Un jour viendra où dans le calme on examinera ces nombreuses discussions enfantées au milieu du tumulte et de l’effervescence de l’esprit de parti, et l’on fera paisiblement un choix éclairé de résultats utiles à l’humanité. […] Toutes les idées politiques répandues et dans L’Esprit des lois, et dans l’ouvrage si bien fait, si sagement ordonné, sur la grandeur et la décadence des Romains, sont contenues en germe dans les Lettres Persanes, et le sujet y permet certaines idées qui déparent la dignité d’un ouvrage aussi grave que L’Esprit des lois. […] Maintenant nous connaissons M. de Meilhan par les parties les plus sérieuses et par les plus beaux jets de son esprit et de sa conversation. […] L’ambition est une passion dangereuse et vaine, mais ce serait un malheur pour la plupart des hommes que d’en être totalement dénués ; elle sert à occuper l’esprit, à préserver de l’ennui qui naît de la satiété ; elle s’oppose dans la jeunesse à l’abus des plaisirs, qui entraînerait trop vivement ; elle les remplace en partie dans la vieillesse, et sert à entretenir dans l’esprit une activité qui fait sentir l’existence et ranime nos facultés. […] Certes, il était plus qu’un homme d’esprit dans le sens ordinaire et même dans le sens distingué où on emploie le mot.

343. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. J. J. AMPÈRE. » pp. 358-386

Deux tendances principales semblent s’être partagé de bonne heure l’esprit et l’imagination de M. […] Qu’est-ce, par exemple, que cet esprit de poésie appliqué en dessous à la critique, à l’histoire littéraire ? […] Pour que l’esprit le plus éminent qui y ait participé, M. […] L’esprit de communauté interdit l’esprit personnel. […] Combien la sensibilité du poëte s’y trahit sous l’esprit !

344. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Il élargit sa curiosité, il ouvrit sa cour, sa faveur, son esprit à Budé, aux graves éruditions, à la grande antiquité. […] Faut-il supposer chez ce Méridional une lointaine survivance du vieil esprit d’hérésie qui avait causé trois siècles plus tôt la ruine du Midi ? […] Poète de cour, il refléta l’esprit et les besoins de la cour, hors de laquelle il ne pouvait vivre en joie. […] Mais ce qu’il y a de plus original ou de plus excellent dans Marot, c’est la saine robustesse de cet esprit si fin : nullemièvrerie italienne, nulle aristocratique préciosité n’ont altéré chez lui le fonds d’esprit français dont il avait hérité. […] Et voici ce qu’on y trouvait, et par où il s’adaptait admirablement à l’esprit des deux siècles qui suivirent.

345. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre douzième. »

S’il s’indigne, c’est si à point et si sobrement, qu’il paraît bien que cette indignation est le soulagement d’un esprit honnête et délicat, et non la complaisance d’un esprit chagrin pour sa mauvaise humeur. […] Le mélange de réflexions et de portraits, dans La Bruyère, flatte singulièrement une de nos habitudes d’esprit. […] Cette galerie si riche, si variée, c’est la part que La Bruyère a faite à notre esprit de médisance. […] Si, par vanité ou faute d’esprit, nous ne savons pas l’y trouver, nos amis s’en chargeront. […] Mais pour un petit nombre d’endroits où il tourne autour des esprits sans y entrer, combien d’autres où il y entre en vainqueur et en maître !

346. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Il y a parfois de l’esprit dans ces lettres, mais un ton en général commun, et même grossier dans la plaisanterie. […] Bacon, Pascal lui-même, Fontenelle, Lessing, tous ces grands esprits, ont eu cette vue-là. […] Le dernier chapitre de l’Esquisse des progrès de l’esprit humain, par Condorcet, est l’exemple le plus frappant, chez un homme éclairé, des illusions et des chimères possibles en ce genre de raisonnement aride et sombre. […] On entrevoit assez comment et en quel sens Condorcet, malgré ses mérites, a été un grand esprit faux, et n’a pas toujours été un cœur droit. […] Mme de Staël l’a désigné comme offrant au plus haut degré le caractère de l’esprit de parti, et elle a eu raison.

347. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 11-15754

Un esprit abstrait, c’est un esprit inattentif, occupé uniquement de ses propres pensées, qui ne pense à rien de ce qu’on lui dit. […] Esprit invisible. […] Un terme ambigu présente à l’esprit deux sens différens. […] L’or, l’argent, l’esprit, &c. […] A l’égard de il a beaucoup d’argent, d’esprit, &c.

348. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Pour le garçon, peut-être est-ce prévention, mais je le trouve aimable ; c’est une jolie figure, il a beaucoup de vivacité et, je crois, de l’esprit pour son âge. […] Il demande perpétuellement à l’esprit quelque chose de ferme et de délié, la douceur dans la manière, l’énergie au fond. […] Il a de l’imagination jusque dans l’esprit. Hamilton lui-même a ce trait distinctif et le porte dans l’esprit français. […] Jouissez de votre esprit et conservez la santé de votre corps.

349. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Les esprits les plus distingués et les plus divers se sont honorés en s’occupant de lui. […] N’y a-t-il pas des choses qui affectent immédiatement l’esprit ? […] Mais qui peut soutenir son esprit et son cœur au-dessus de sa condition ? […] il est plus sûrement de leur famille par l’instinct et le naturel, que l’abbé Barthélemy par l’esprit et l’érudition. […] Suard ont été, après sa mort, infidèles à son esprit par la manière dont ils l’ont tiré à eux de ce côté.

350. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Histoire du chancelier d’Aguesseau, par M. Boullée. (1848.) » pp. 407-427

là où la rhétorique ne paraît pas trop, il y a de l’onction en lui, et l’impression qu’on reçoit est comme douce au toucher de l’esprit. […] Saint-Simon cite les exemples les plus curieux de cette indécision d’un si vaste esprit, laquelle se prolongeait jusqu’au dernier moment. […] Il apporte dans ces matières toutes les qualités de son tempérament et de son esprit, et qui ailleurs seront des défauts. […] Toute cette lettre, au fond, ne signifie autre chose, sinon que Racine fils, qui faisait d’assez beaux vers, ne paraissait nullement un homme d’esprit. […] Il avait de l’esprit proprement dit, de la plaisanterie et du badinage en causant.

351. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Cependant, dans tous les esprits, un grand mélange subsistait encore. […] Ayant été amenée un jour à les montrer à un père Ferrier33 de Chambéry, ce docte personnage fort versé aux choses de l’esprit en fut très frappé, et pressa l’évêque de Genève de les publier. […] Hors de là, leurs esprits diffèrent de toute la distance d’un pôle à l’autre : le ton affectueux de Montaigne déguise mal quelque égoïsme ; l’inspiration de saint François de Sales est tendre, affective avec chaleur, et toute brûlante de l’amour d’autrui. […] Il y avait alors, comme de tout temps, et plus qu’en aucun temps, des esprits qui aimaient à se poser des questions épineuses pour s’y blesser et s’y courroucer. […] Faisant la part des différences du siècle et du goût, j’ai cherché à aller au-delà, et à me bien définir la différence d’esprit des deux méthodes, et la double famille des deux âmes.

352. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Mais il en est un second, sur lequel j’insisterai avec plus de précision encore parce qu’il est l’honneur de cet esprit gonflé, éclatant, plein de sève, et notre espérance à nous tous de le voir aboutir un jour, cet esprit à plusieurs puissances, et ce point, c’est l’idée générale, vers laquelle il remonte toujours de la critique la plus particulière. […] Hope dans l’ordre de la critique littéraire : c’est, en un mot, un esprit généralisateur. […] Or, qu’il l’apprenne s’il l’ignore, mais je crois bien qu’un esprit comme le sien s’en doute, les critiques sans métaphysique ressemblent un peu trop aux moralistes qui n’en ont pas non plus. […] Elle tient à la double race des esprits. […] Xavier Aubryet est peut-être l’esprit le plus nativement distingué de ce siècle… Je ne connais pas d’aristocratie spirituelle plus accusée et plus délicate.

353. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

On restera dans cette lumière tonifiante, non pas seulement pour l’esprit, mais pour le cœur. […] Mais ce n’est pas dans cette tourbe d’hommes qui ne veulent plus être des âmes, qui ne veulent plus être que des esprits, et des esprits déchaînés contre la spiritualité même de leur substance, qui était leur gloire autrefois ! […] Où les Schopenhauer et les Hartmann, ces grimaçantes et risibles caricatures de la Pensée, sont quelque chose, lui, l’auguste esprit ne doit être rien. […] il s’en faut, au contraire, mais des gens d’esprit qui savent ce qu’il faut servir à la curiosité dépravée des sociétés en décadence. […] C’est la déjection de leurs esprits !

354. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — I. » pp. 19-35

Avouons-le : on sent la force et l’ascendant de ce rare esprit, soit qu’il prêche de génie et sans préparation, soit qu’il prononce un discours étudié et oratoire, soit qu’il explique ses pensées dans la conversation. […] Il touche, il accommode le détail, il y verse un esprit d’onction. […] Au-dedans, vous avez à surmonter le goût d’une vie délicate, un esprit hautain et dédaigneux, avec une longue habitude de dissipation. […] S’il a l’esprit sérieux, il le dérobe souvent, il a l’enfance de l’imagination ; la langue de son temps y prête, et il en use comme d’un privilège qui lui serait singulier. […] En général, on le voit, la simplicité délicate de Fénelon n’est pas cette simplicité d’où l’on part, c’est celle à laquelle on revient à force d’esprit, à force d’art et de goût.

355. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Bayle lui-même, le Voltaire anticipé du genre, l’esprit le plus émancipé du calvinisme, n’a rien qui sente le Français de pure race, du milieu et du cœur de la France. […] Il a du bon sens et de l’esprit, assez pour être au-dessus des génies ordinaires ; mais on ne peut pas dire de lui que ce soit un grand génie. […] La plupart des hommes croiraient ne savoir pas vivre s’ils les entretenaient naturellement et d’autre chose que d’elles-mêmes ; il leur paraît que de ne pas dire à une femme, du moins de temps en temps, qu’elle est belle et qu’elle a de l’esprit, ce serait lui faire entendre que la beauté et l’esprit lui manquent. […] Il y a un corps d’hommes choisis entre tous les gens d’esprit, entre les plus fameux écrivains de la nation, et qui en prend même le nom comme par excellence, un corps voué à la pureté du discours et à l’éloquence, et qui, par sa supériorité d’esprit, impose aux autres et les règle. […] Genève a été de tout temps une forte nourrice des esprits ; elle peut l’être encore.

356. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Viollet-Le-Duc était, de tous les professeurs nouvellement nommés, celui dont le Cours était le plus attendu parce que l’Histoire de l’Architecture qui en fait le sujet est d’un intérêt plus général, et que le professeur représente un esprit connu, un esprit nouveau dans l’enseignement. […] L’esprit ne gagne jamais à avoir pour auxiliaire ce qui est le contraire de l’esprit. […] Tout ce qui est d’intelligence générale et qui intéresse l’esprit humain appartient de droit à la littérature. […] Je ne ferai que rentrer dans l’esprit de ces Entretiens de M.  […] , qu’il y ait de ces paroles de dédain qui ne sont pas à leur place entre esprits si distingués ?

357. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Ce sont les manœuvres dévoués et pieux des belles architectures édifiées par les grands esprits. […] L’érudition est très propre à développer en nous l’esprit de détachement, la pitié, la bonté. […] Gaston Paris a d’abord, au plus haut degré, l’esprit scientifique. […] Et ce collationneur de vieux textes a l’esprit éminemment philosophique. […] On dira : — Ce n’est là qu’un effort de l’esprit critique, une sympathie artificielle et acquise.

358. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

La connaissance est un état de l’esprit ; la notion d’une chose matérielle est une chose mentale. […] Nous ne pouvons parler que d’un monde présenté à notre esprit. […] « Cependant un monde possible implique un esprit possible pour le percevoir, tout comme un monde actuel implique un esprit actuel. » La conclusion de M.  […] Matière et esprit, externe et interne sont les synonymes populaires, mais ils sont moins à l’abri de suggestions trompeuses. […] « Le contraste est la reproduction de la première loi de l’esprit, la relativité ou discrimination.

359. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

L’esprit scientifique moderne l’avait pris peu à peu et gagné, comme la lumière qui se lève à l’horizon et qui ne tarde pas à remplir tout l’espace. […] Or, c’est non seulement ce que l’État en France n’a jamais admis, c’est aussi ce que notre esprit public semble ne pas comporter. […] Je sais des gens qui, par esprit d’opposition, après avoir passé leur vie à combattre la philosophie de M.  […] Très peu d’esprits, dans ce cas, sont appelés à l’être. […] Eugène Burnouf, esprit supérieur, pour la méthode et le tact scientifique, il concourut par de savants Mémoires pour des prix proposés par l’Institut.

360. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

D’abord la besogne du journalisme souffre merveilleusement une certaine médiocrité d’esprit. […] Ceux mêmes qui sont nés avec quelque originalité d’esprit ont beaucoup de peine à la garder intacte. […] Il n’est guère ni d’esprit mieux meublé ni de plus grand travailleur. […] Cet homme qui n’a guère de foi ni de principes a d’excellentes habitudes d’esprit. […] Mais ce philosophe si indulgent et si raffiné est, comme j’ai dit, un esprit très sain.

361. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’Empire Chinois »

Il n’a pas les enfantillages à effet de l’esprit faux et pointu de Victor Jacquemont, qui trouvait joli de nier les Indes aux Indes, et de nous faire croire qu’il n’y en avait pas. […] Or, cette palpitation fébrile de l’esprit philosophique des Chinois prouve, du moins, qu’il vivait encore, tandis qu’à présent le Rationalisme et l’indifférence ont mieux narcotisé la Chine que l’opium anglais. […] Mais l’esprit y pétille encore. […] « On n’a jamais tant besoin de son esprit que quand on a affaire à un sot. […] Il n’a plus l’esprit qui tient à la santé du cœur et à la pureté des sentiments.

362. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Préface de la seconde édition » pp. 3-24

Ceux qui pensent que leurs opinions, en fait de gouvernement, les obligent à combattre la perfectibilité de l’esprit humain, font, ce me semble, un grand acte de modestie. […] Quels sont donc les dangers qu’un esprit raisonnable et indépendant peut redouter d’un tel système ? […] Les erreurs en tout genre se rectifient successivement par l’esprit de calcul. […] Il importe d’ailleurs de distinguer entre la perfectibilité de l’espèce humaine et celle de l’esprit humain. […] Premièrement, en parlant de la perfectibilité de l’esprit humain, je ne prétends pas dire que les modernes aient une puissance d’esprit plus grande que celle des anciens, mais seulement que la masse des idées en tout genre s’augmente avec les siècles.

363. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VII. La littérature française et les étrangers »

Wieland porte dans toutes ses œuvres et toute sa vie l’empreinte profonde des idées et de l’esprit français. […] Plus universelle encore et plus absolue est la souveraineté qu’exerce l’esprit français par les formes sociales où il s’exprime. […] Ceux qui ne pouvaient venir ou revenir vers le commun centre de tous les esprits, la France allait les trouver. […] Mais telle est la séduction qu’exercent l’un sur l’autre ces deux grands et lucides esprits, qu’ils ne pourront rester brouillés. […] Elle aime les idées de Diderot, de Voltaire, leur esprit, leur style.

364. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ernest Hello » pp. 389-403

Ernest Hello, à chacune de ses publications, a été signalé et salué par moi comme un de ces esprits qui, dans un temps donné, — hélas, toujours trop long ! […] Aujourd’hui, c’est une autre face de cet esprit multiface, sur un fond identique, que je vais montrer. […] temps désespérant et désespéré que celui où l’esprit humain, qui se croit entier, a fini par se mutiler de sa propre main et s’est émasculé de la plus grande de ses facultés, — la faculté religieuse. […] Brucker — le Charles-Quint de son propre esprit qu’il abdiqua — la subit, et n’en souffrit pas. […] Il sait qu’en tombant dans la sphère de l’action et de la volonté, les erreurs de l’esprit deviennent toujours immanquablement les vices du cœur, et ce sont ces erreurs de l’esprit sur lesquelles il porte aujourd’hui le coup de hache de son regard.

365. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

Cette conséquence, que nous tâcherons de faire ressortir avec force, n’a point échappé à Lerminier, esprit sagace, qui sait sa portée, mais qui ne l’indique pas toujours. […] Et cet enseignement, c’est (du moins en partie) ce que nous disions plus haut sur les fascinations et les égarements produits, dans les meilleurs esprits, par l’Histoire mal étudiée ou mal comprise. […] Une chose morte peut avoir laissé aux choses vivantes une âme, un esprit, que sais-je ? […] Cette différence ne prend-elle pas tout d’abord aux yeux l’esprit du lecteur ? […] Et, d’ailleurs, quelle influence Aristote exerça-t-il sur l’esprit et les affaires de la Grèce ?

366. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Jacques Cœur et Charles VII »

Un esprit sain comme de l’eau de roche, Pierre Clément, l’a compris ainsi. […] L’idéal de ces sortes d’esprits est en Angleterre, le pays du Fait par excellence. […] Nous le répétons : par le temps qui court, une telle qualité d’esprit, tout ensemble solide et aiguisée, est fort rare. […] Où allait-il porter l’activité puissante de son esprit et de son âme ? […] Mais il la portait dans sa tête, et elle était dans son esprit comme ces étoiles qui sont fixes autour du pôle ».

367. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « II. Jean Reynaud »

Jean Reynaud, théologien agrandi par la philosophie, l’a réputée mesquine, enfantine et débordée par ce triomphant Esprit humain, qui a le droit d’exiger mieux. […] C’est qu’au fond il n’a rien de net, de ferme, de péremptoire et d’arrêté dans l’esprit. […] Malheureusement l’esprit de M.  […] On dirait le procédé Gannal appliqué à notre esprit tout vivant. […] Observation et Rêverie, voilà les tiges-mères de toutes les familles de l’esprit humain !

368. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

c’est moins l’auteur et la force de son esprit qui créent le succès que les circonstances. […] L’imbécilité même, en matière d’idées, n’est pas une innocence ; et l’esprit humain est conformé de sorte que la bêtise peut, dans un jour donné, avoir le triste honneur d’être un fléau. […] L’esprit de M. de Rémusat a eu la maturité des femmes blondes, — il a passé. […] Par la nature de son esprit, par la prétention de son système, par l’isolante force ou faiblesse de son principe, je pense, donc je suis, Descartes est l’orgueil de la personnalité solitaire. […] M. de Rémusat a-t-il jamais eu la faculté des esprits nets et droits qui vont de primesaut aux réalités importantes ?

369. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

Nous n’en continuerions pas moins de penser que le libraire qui ne sait que vendre servilement au goût du public n’est qu’une moitié de libraire, et n’a pas l’esprit de son état. […] S’il y eut jamais un homme d’esprit tourné pour comprendre Henri Beyle, c’est à coup sûr Paulin Limayrac. […] » Limayrac se fait une réponse beaucoup trop aimable pour Brillat-Savarin, qui est le dieu de l’esprit aux yeux des gens vulgaires, et dont la réputation s’en ira du même côté que celle de Berchoux, qui est partie. Berchoux, l’auteur du poème de La Gastronomie et de La Danse ou les dieux de l’Opéra, était aussi un homme d’esprit et gai. […] Il procède de lui-même et de l’esprit universel.

370. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Francis Wey »

Telle est l’explication d’une obscurité dans laquelle a été trop tenu comme romancier un homme digne du grand jour par tous les côtés de son esprit. […] C’est là un nom qui dit l’esprit du livre. […] L’esprit trouvé dans le roman de Christian nous a rappelé Chamfort et de Latouche. […] Comme chez de Latouche et Chamfort, ce qui domine chez lui, c’est l’esprit, l’esprit, ce roi en France, qui fera un succès plus grand certainement que celui de Christian à cette chose ravissante, l’Été de la Saint-Martin, mise là, à la fin du volume, à ce qu’il semble pour le finir, et qui en sera la fortune ! Seulement, cet esprit, supérieur au talent chez Francis Wey, n’a pas le charme empoisonné et atroce qu’il a sous les plumes implacables de de Latouche et de Chamfort.

371. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

Ici c’est l’esprit original et ardent ; là, l’esprit de discussion et d’une sage lenteur ; celui-ci a le secret de ses forces, et marche avec audace ; celui-là, pour affermir tous ses pas, les calcule. […] Un tact très fin, et pour lequel l’esprit ne suffit pas, a pu seul lui indiquer cette mesure. […] Son art de présenter les objets, est pour l’esprit ce que le télescope est pour l’œil de l’observateur : il abrège les distances. […] On a beaucoup parlé de l’esprit de Fontenelle ; ce genre d’esprit ne paraît nulle part autant que dans ses éloges. […] Plus un siècle a d’esprit, plus on peut supprimer d’idées ; il faut alors plus de résultats que de détails.

372. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Taine » pp. 231-243

Être le plus brillant des suivants d’Auguste Comte, ne voilà-t-il pas, pour un esprit comme M.  […] Cette jolie petite fleur de son esprit, il lui est à présent interdit de fleurir ! […] Taine comme un parti pris de sa volonté, non comme une inspiration sincère et primesautière de son esprit. […] Taine, qui n’a pris que par la Critique position dans le monde au regard de beaucoup d’esprits. […] Taine, dans sa notice, a traduit des morceaux de Carlyle d’une grande beauté et d’une grande bizarrerie, et comme il a le génie de la traduction en toutes choses, il n’a pas traduit que la lettre de certains passages, il a traduit, pour ainsi parler, l’homme tout entier dans l’originalité de son esprit et des opérations de son esprit.

373. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Maintenon » pp. 27-40

Du reste, on laisserait de côté cette explication inattendue du xviie  siècle, trop fine peut-être pour frapper et pour attirer la majorité des esprits, qu’on ne pourrait pas oublier la grande personnalité historique qui remplit le livre, et qui, à elle seule, aurait suffi pour appeler et justifier, dans l’esprit d’un homme ayant l’instinct des grandes choses humaines, l’idée d’une histoire de l’institution de Saint-Cyr. […] Saint-Simon et la Philosophie, voilà les deux causes des préjugés qu’on trouve encore dans les meilleurs esprits de nos jours quand il s’agit de madame de Maintenon. […] Les favoris ou les favorites ont un règne qui dure davantage, parce qu’ils établissent leur empire non sur les fougues éphémères des sens ou du cœur, mais sur les faiblesses, à poste fixe, de l’esprit ou du caractère. […] Voyez comme La Bruyère lui-même, un grand esprit pourtant, bien au-dessus des apparences, a traité cette profonde figure de Guillaume d’Orange, qui finit par devenir poétique à force de soucis et d’ombres redoublées sur son front souffrant ! […] Le calme et la solidité qui nous donnent l’idée des choses éternelles, et qui faisaient comme la substance de l’esprit de madame de Maintenon, n’attirent guères que les esprits qui savent ce que valent, et quelquefois ce que coûtent, de telles qualités.

374. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Valmiki »

Nous avions lu Humboldt ; nous avions l’esprit plein de tous les mirages des Schlegel ; nous nous asseyions sur « le Divan » de Goethe. […] Comme d’autres esprits moins richement et moins profondément cultivés, il n’a pu être dupe de cette adoration pour les choses médiocres qui prend fatalement le cœur ou l’esprit de l’homme quand il vit dans l’isolement du Beau. […] Trouvée là comme une goutte de rosée, oubliée par le soleil, dans les feuilles brûlantes de quelque lotus desséché, cette poésie tranche sur l’esprit indien et s’en sépare tout en s’y unissant. […] Esprits d’une civilisation si complètement différente avec des habitudes et des mœurs qui pénètrent jusque dans ce que l’intelligence a de plus impersonnel et de plus intime, nous ne pouvons chercher dans les livres comme celui-ci que ce qui est universel par le sentiment humain et par la beauté. […] On sortira de sa lecture l’esprit fourbu.

375. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VI. Du raisonnement. — Nécessité de remonter aux questions générales. — Raisonnement par analogie. — Exemple. — Argument personnel »

Au reste, c’est le procédé naturel de l’esprit, et qu’emploient chaque jour les plus ignorants de toute rhétorique. […] Les esprits bornés aux idées particulières, incapables de séparer l’accidentel de l’essentiel, sont le désordre même : tout est, chez eux, sur le même plan. […] Ce ne sont pas des esprits hargneux, contredisants ; ce sont des esprits étroits, à courte vue. […] Les grands esprits et les esprits fins sont ceux qui savent apercevoir sous le flot sans cesse renouvelé des phénomènes les lois éternelles de la nature et de l’esprit. […] Il y faut la jeunesse des sens et de l’esprit, une âme neuve dans la nature neuve.

376. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre II. Utilité de l’ordre. — Rapport de l’ordre et de l’originalité »

Les grands esprits, qui prennent les choses de haut, n’ont qu’à se lancer, portés au but par le droit jet de l’inspiration. […] À supposer que l’esprit soit assez décidé ou assez alerte pour ne pas s’inquiéter de l’absence de plan et n’en pas ralentir sa marche, il s’exemptera de la crainte de l’erreur, mais non de l’erreur même. […] Je ne sais pas si la confusion et la mauvaise distribution n’ont pas fait tomber plus d’ouvrages que la pauvreté d’invention, le manque d’esprit, le mauvais style, et tous les défauts ensemble qu’on peut imaginer. […] Un moindre génie, qui sait ordonner ses inventions, touche plus sûrement le but, fait une œuvre plus forte et plus belle qu’un grand esprit qui dédaigne ce soin asservissant. […] Bossuet évite comme une dangereuse tentation du mauvais esprit l’ombre d’une idée nouvelle, et ne veut rien dire qui ne soit dans l’Écriture ou dans les Pères.

377. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

Voltaire fut un comique dans un pernicieux et misérable esprit. […] Mais il ne faut pas imputer à la forme de sa pensée historique les perversités et les scélératesses de son esprit. […] À côté de la tragédie, il y a donc de la comédie dans l’histoire, puisqu’il y en a dans l’humanité, et il est des esprits essentiellement faits pour elle. […] Journaliste expert et aiguisé, mais bien au-dessus de son état de journaliste, car il faut être au-dessus de son état pour être bon journaliste, Vitu, dont l’esprit a beaucoup de goûts divers et cette irisation de connaissances très multipliées qu’on pourrait nommer l’encyclopédisme, a cependant assez d’assiette dans les facultés pour résister aux goûts qui lutinent son esprit et condenser cette irisation de connaissances dans la pleine lumière d’une seule chose. […] Vitu a toujours la justesse de l’esprit, et très souvent son étincelle.

378. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

Il faudrait se débarrasser de cette pensée étrangère qui encombre encore notre esprit. […] Leur pensée qui nous accapare défigure l’esprit de la race. […] Là survit l’esprit national. […] Notre esprit s’est éclairci en présence d’un tel univers. […] Je ne désire pas insister sur l’esprit poétique qui anime les jeunes écrivains.

379. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

Voilà pourquoi les nations qui habitent sous des climats differens, sont si differentes par l’esprit comme par les inclinations. […] Il doit donc en vertu de cette vicissitude, survenir quelquefois des changemens dans l’esprit et dans l’humeur des hommes d’un certain païs, parce qu’il doit y avoir des siecles plus favorables que d’autres à l’éducation physique des enfans. […] Cependant l’humeur, et même l’esprit des hommes faits, dépendent beaucoup des vicissitudes de l’air. […] Un françois refugié en Hollande se plaint du moins trois fois par jour, que sa gaïeté et son feu d’esprit l’ont abandonné. […] Le hemvé ne devient une peine de l’esprit, que parce qu’il est réellement une peine du corps.

380. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [M. de Latena, Étude de l’homme.] » pp. 523-526

Cette honorable famille d’esprits a pour chefs des moralistes immortels, et qui rendent après eux le travail difficile si l’on veut être neuf en même temps que rester judicieux. […] Joubert furent publiées pour la première fois en 1842, elles eurent du succès auprès des esprits d’élite, mais elles ne firent pas fureur. […] Dans ces commencements on reconnaît un esprit droit et sage qui a essayé de se rendre compte par lui-même de ces problèmes les plus élevés, sur lesquels il est bon d’avoir une solution avant d’en venir à l’étude particulière de l’homme en société. […] La métaphysique préliminaire que M. de Latena expose, avec ses nobles professions de croyances, d’espérances consolantes, avec les incertitudes légères qui s’y mêlent et les lacunes qu’il faudrait combler, exprime assez bien la disposition commune en ce temps-ci à beaucoup d’esprits bien faits et distingués. […] et, en supposant qu’il ne soit pas un peu téméraire d’écrire aujourd’hui sur une matière qui a exercé tant d’esprits supérieurs, n’aurais-je pas dû au moins étudier leurs ouvrages ?

381. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIX. De la littérature pendant le siècle de Louis XIV » pp. 379-388

Cette littérature, sans autre but que les plaisirs de l’esprit, ne peut avoir l’énergie de celle qui a fini par ébranler le trône. […] Le livre de Télémaque était alors une action courageuse ; et Télémaque ne contient cependant que des vérités modifiées par l’esprit monarchique. […] Une sorte d’esprit madrigalique attestait le sang-froid lors même qu’on voulait peindre l’entraînement ; et l’on se servait souvent d’un langage qui n’appartenait ni à la raison ni à l’amour. […] Les guerres religieuses avaient fait naître un esprit de parti qui change plusieurs histoires en plaidoyers théologiques ; l’esprit de corps, différent encore de l’esprit de parti, mais non moins éloigné de la vérité, dénature également les faits. […] Je me borne seulement à tracer la route qui a conduit les esprits, depuis le siècle de Louis XIV jusqu’à la révolution de 1789.

382. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Avertissement »

Ils assoupliront la rudesse de leurs esprits masculins ; ils dépouilleront leur logique d’une certaine âpreté sèche et brutale ; ils comprendront ce qu’a d’efficace pour persuader et convaincre cette force subtile qui ne s’analyse pas, la sincérité d’un cœur ému ; capables de poursuivre méthodiquement la vérité, ils acquerront de plus le sens de ces choses insaisissables, que nulle méthode ne révèle, et qui sont presque toute la beauté, dans la littérature comme dans l’art ; enfin, ils gagneront insensiblement cette politesse de l’esprit, qui ne se rencontre pas toujours avec la culture, et qui rend la science aimable. […] À mettre entre les mains des débutants un livre de théorie, on risquerait de gêner, d’entraver leurs esprits, encore gauches et lents à se mouvoir. […] Jusqu’à ce que leur intelligence ait acquis un peu de force et de fécondité, permettons-leur les écarts et l’irrégularité, ou plutôt redressons les fautes quand elles se produisent, aux occasions particulières ; n’essayons pas de les prévenir par un règlement universel qui paralyserait les esprits et les empêcherait de remuer. […] Ils auront aussi plus de réflexion et seront plus aptes à saisir l’esprit des préceptes, pour les appliquer avec fruit. […] Tout traité sur l’art d’écrire, s’il est autre chose qu’un recueil de recettes et d’artifices, contient la manière de bien penser sur les ouvrages de l’esprit, comme disait le P. 

383. (1915) La philosophie française « II »

Il faut, en effet, avoir poussé jusqu’au bout la décomposition de ce qu’on a dans l’esprit pour arriver à s’exprimer en termes simples. […] Pascal a dit que l’« esprit géométrique » ne suffisait pas : le philosophe doit y joindre l’« esprit de finesse ». […] Mais, si elle ne s’était pas dégagée plus tôt, c’est justement parce qu’elle était naturelle à l’esprit français, esprit souple et vivant, qui n’a rien de mécanique ou d’artificiel, esprit éminemment sociable aussi, qui répugne aux constructions individuelles et va d’instinct à ce qui est humain. […] Mais, si la philosophie française a pu se revivifier indéfiniment ainsi en utilisant toutes les manifestations de l’esprit français, n’est-ce pas parce que ces manifestations tendaient elles-mêmes à prendre la forme philosophique ? […] En ce sens, l’esprit français ne fait qu’un avec l’esprit philosophique.

384. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

D’une Grecque, célèbre par sa beauté et son esprit. […] l’asservissement de l’esprit et l’abêtissement. […] Si la verve et l’esprit s’y joignent, c’est un régal. […] L’esprit s’en ressent nécessairement. […] et des yeux qui sont des torrents d’esprit !

385. (1861) La Fontaine et ses fables « Conclusion »

Ce caractère l’approprie et la réduit à la culture d’un certain esprit comme à la conception d’une certaine beauté. […] En sorte qu’on doit le considérer comme le représentant et l’abrégé d’un esprit duquel il reçoit sa dignité et sa nature. Si cet esprit n’est qu’une mode et règne seulement quelques années, l’écrivain est un Voiture. Si cet esprit est une forme littéraire et gouverne un âge entier, l’écrivain est un Racine. Si cet esprit est le fond même de la race et reparaît à chaque siècle, l’écrivain est un La Fontaine.

386. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — G — article » pp. 453-457

Freron, annoncent un Littérateur formé sur l’étude réfléchie des bons modeles, un Critique doué de l’esprit d’analyse, & d’une sagacité merveilleuse pour saisir les beautés & les défauts d’un Ouvrage ; un Ecrivain correct, zélé pour les vrais principes, & capable d’y ramener les esprits qui s’en écartent. […] Les Productions de l’esprit ont toujours eu une influence marquée sur le génie des Nations, sur leurs mœurs, sur les révolutions qu’elles ont éprouvées, & peuvent même être la source de ces révolutions. […] Au milieu de ce renversement général, que chaque moment peut rendre plus rapide & plus funeste, il existe cependant des Esprits sages, des Ames honnêtes, des Citoyens zélés pour le véritable honneur de leur patrie : mais à quoi peuvent se réduire les efforts de leur zele ? […] Ne vaudroit-il pas mieux s’attacher aux vrais modeles, ne point pervertir les genres, profiter de la critique, que de crier à l’injustice, pour soutenir des Productions dont le succès dangereux n’est appuyé que sur les suffrages de l’ignorance, de la séduction ou de l’esprit de parti ? […] qu’il est aussi permis aux Journalistes & aux Esprits éclairés qui en sentent les défauts, de les mettre en évidence, pour en corriger les autres, qu’il est permis à un Juge de rappeler à l’autorité des Loix quiconque s’en écarte ?

387. (1927) Des romantiques à nous

Reynaud de l’esprit anglo-germanique. […] Reynaud reproche aux productions bâtardes de l’esprit français et de l’esprit germanique. […] Elle résultait de l’étrange composition de son esprit. […] Je n’approuve pas son jugement sur l’esprit de la Renaissance qui n’a nullement été un esprit d’orgueil. […] Mais il est de la même famille d’esprits.

388. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Le cœur est plus conséquent que l’esprit. […] Jamais le sage ne se laissera ravir la liberté d’esprit. […] Le cœur va au but bien plus sûrement que l’esprit. […] j’avois tousjours l’esprit de ce costé. […] Il a de l’esprit ; à quoi bon tant façonner là-dessus ?

389. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

Son esprit. —  Sa puissance et ses limites. —  L’esprit prosaïque et positiviste […] La haine et le malheur trouvent leur sol natal dans ces esprits despotiques. […] Le lord, homme d’esprit, lui répondit doucement. […] Pour comprendre ce que devint l’une, il faut comprendre ce qu’était l’autre : l’art dépendit des affaires, et l’esprit des partis fit l’esprit des écrivains. […] Ses passions, comme son esprit, sont trop fortes.

390. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

C’est un esprit grave quand il le faut, mais jamais lourd. […] Est-ce l’esprit, l’imagination, la critique, l’art de composer, le talent de peindre ? […] Ce sera le sens de toute son histoire, ce n’est pas le nôtre ; de là d’inévitables dissentiments entre l’esprit de cette histoire et l’esprit de notre commentaire. […] Son esprit était brillant, original, mais inculte. […] Pitt est une des rares préventions d’esprit et une des rares injustices de cœur de M. 

391. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre II. L’antinomie psychologique l’antinomie dans la vie intellectuelle » pp. 5-69

Dans cette hypothèse, il ne peut être question, bien entendu, d’une antinomie entre l’esprit individuel et l’esprit social. […] * * * L’esprit individuel est-il réductible à l’esprit social ? […] Puisque l’esprit supérieur s’identifie à l’esprit vulgaire, il est supérieur précisément dans la mesure où il s’assimile davantage à l’esprit de la masse. […] Il n’est jamais le nombre ; il n’incarne jamais l’esprit du groupe. […] Discours sur l’esprit positif.

392. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

La possibilité d’une carrière profane ne me vint même pas à l’esprit. […] Les idées ne se choquaient pas dans leur esprit par leurs parties sonores. […] Je ne fus pas prêtre de profession, je le fus d’esprit. […] Certaines erreurs que je professe eussent été le fait d’un homme qui a l’esprit de son état. […] Son esprit n’avait d’autre culture que celle de l’homme du monde d’une excellente éducation.

393. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre IV. Le Séminaire d’Issy (1881) »

On croit avoir fait des chrétiens ; on a fait des esprits faux, des politiques manqués. […] J’ai toujours cru à l’esprit humain. […] L’esprit scientifique était le fond de ma nature. […] Il ne comprit rien à la nature de mon esprit, ne devina passes futures évolutions logiques. […] L’éclair qui avait traversé un moment l’esprit de M. 

394. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Il est curieux, en attendant, de considérer l’effort des esprits depuis Philadelphie jusqu’à Venise. […] Pauvre esprit humain, je le répète ; que tu as besoin de lumières ! […] Le génie s’en empare & lui donne ce trait de lumiére qui rayonne dans tous les esprits. […] Voyez comme on a salué l’arrivée de l’Esprit des Loix, &c. […] Sous la burre on peut avoir un cœur & un esprit de Roi, ainsi qu’il y a souvent sous la pourpre un cœur & un esprit bas.

395. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE RÉMUSAT » pp. 458-491

Douée d’une maturité et d’une prudence supérieure à son âge, son âme droite évita les écueils, et son esprit ferme recueillit les enseignements. […] La fatigue et le détachement des esprits étaient grands sur la fin de l’Empire. […] Une fois au delà, l’esprit mieux rassis mesure ses pertes et s’aperçoit des consolations qui lui restent. […] Par eux, elles deviennent plus courageuses d’esprit. […] Tout le but, tout l’esprit en est dans l’accord de la morale, du sérieux et de la grâce.

396. (1895) Hommes et livres

Elle eût été plus nationale et plus populaire, sinon d’esprit, au moins de forme. […] Les entreprises de l’exégèse religieuse, les analyses de la philosophie n’avaient point fait éclater encore l’essentielle incompatibilité de l’esprit chrétien et de l’esprit scientifique. […] Un des caractères de l’esprit français, et de l’esprit classique qui en est la plus pure expression, c’est l’absence d’une certaine imagination. […] Rien de l’esprit des salons, qui est un jeu d’idées ; c’est un jet de sensation, comme l’esprit du peuple. […] Il mêle partout l’esprit ou l’ironie.

397. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Introduction. Origines de la littérature française — 2. Caractère de la race. »

Car un abîme sépare aujourd’hui le génie celtique5 de l’esprit français. […] Quant aux Francs, ce n’est pas par ce qu’ils ont mis en nous de l’esprit germanique que leur action se marque. […] Sa forme frivole, c’est l’esprit mondain, creux et brillant, mousse légère d’idées qui ne nourrit ni ne grise. Sa forme exquise, c’est cet esprit sans épithète, fine expression de rapports difficiles à démêler, qui surprend, charme, et parfois confond par l’absolue justesse, où l’expression d’abord fait goûter l’idée, où l’idée ensuite entretient la fraîcheur de l’expression. […] Voilà les ressources et les dispositions principales que l’esprit français apporte pour faire sa littérature, sans parler des autres caractères qui se rapportent moins directement à cet objet : voilà les traits principaux et permanents qu’il a dégagés pendant dix siècles d’intense production littéraire.

398. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Law »

Cochut ne manque point de talent, et même d’esprit, d’un esprit qui est au talent comme la mousse est au vin, qui le rend plus piquant et qui le couronne. […] … Dans l’esprit humain et dans l’Histoire, qui est la glace de l’esprit humain, mais une glace où les traits restent au lieu de passer, rien n’est isolé, tout se tient, tout s’enchaîne, et le devoir de l’historien est de montrer ces enchaînements, ces jointures, ces articulations, qui constituent l’ensemble de l’Histoire et de son unité. Law, l’aventurier Law, n’est point un accident dans le xviiie  siècle ; il n’est point un aérolithe vivant tombant du pays des Chimères, dans une époque et dans un pays où l’esprit du temps prenait son ivresse pour sa force. […] Il n’ose le condamner ni l’absoudre, et cette hésitation est déjà un jugement qui révèle la pente naturelle de l’esprit. […] Les économistes oublient trop une pensée de Bonald, qu’il est peut-être bon de leur rappeler : « Les révolutions, comme les grandeurs des peuples, ont des causes matérielles et prochaines qui frappent les yeux les moins attentifs, mais ces causes ne sont, à proprement parler, que des occasions ; les véritables causes, les causes profondes et efficaces, sont toujours des causes morales, que les petits esprits et les hommes corrompus méconnaissent. » 1.

399. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Joseph de Maistre »

On retrouve dans ces petits débats toute la vivacité et tout le mordant de ce libre esprit ; ainsi dans une lettre à M.  […] De nos jours, les esprits aristocratiques n’ont pas manqué, qui ont cherché à exclure de leur sphère d’intelligence ceux qui n’étaient pas censés capables d’y atteindre : de Maistre, par nature et de race, était ainsi ; les doctrinaires, les esprits distingués qu’on a qualifiés de ce nom, ont pris également sur ce ton les choses, et par nature aussi, ou par système et mot d’ordre d’école, ils n’ont pas moins voulu marquer la limite distincte entre eux et le commun des entendements. […] non : nul esprit, si élevé qu’il se sente, n’a ce droit de se montrer insolent avec les autres esprits, si bourgeois que ceux-ci puissent paraître, pourvu qu’ils soient bien conformés. […] Les esprits de feu, les esprits subtils et rapides, vont plus vite ; ils franchissent les intervalles, ils ne s’arrêtent qu’au rêve et à la chimère, si toutefois ils daignent s’y arrêter ; mais, après tout, il est un moment d’épuisement où il faut revenir ; on retombe toujours, on tourne dans un certain cercle, autour d’un petit nombre de solutions qui se tiennent en présence et en échec depuis le commencement. On a coutume de s’étonner que l’esprit humain soit si infini dans ses combinaisons et ses portées ; j’avouerai bien bas que je m’étonne souvent qu’il le soit si peu.

400. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre I. Malherbe »

Je sens chez Malherbe, dans le choix des idées et des thèmes, un effort pour écarter le particulier, le subjectif : il choisit les sujets où son esprit communie avec l’esprit public, les sujets d’intérêt commun. […] Esprit exact plutôt que vaste, minutieux, formaliste, il s’attache passionnément à perfectionner la langue. […] On peut blâmer ses décisions dans le détail, et il y en eut d’injustes, de bizarres, d’ineptes : en principe, par l’esprit général, son travail était excellent. […] Il porte le même esprit dans la réforme de la poésie : il n’invente pas, il choisit. […] Ils trouvaient en lui des idées et un esprit conformes aux leurs.

401. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

La main d’une Créqui n’a pas écrit le livre, mais l’esprit d’une Créqui y circule, ou du moins l’esprit d’une société qui fut la sienne. […] Nous avons pour répondants d’autres hommes que cet ambigu comique de Courchamp, qui eut tout douteux, excepté l’esprit et la verve ! […] a mis son rare esprit à méconnaître. […] Malgré l’appréciation la plus délicate et la plus subtile de chaque détail isolé des lettres, l’auteur de l’Introduction n’a pas porté le jugement qu’il méritait sur cet esprit d’un charme si sérieux, si animé et si profond. […] Atticisme, poésie, loisir, loisir surtout, presque bafoué dans nos sociétés ouvrières, toutes ces choses qui produisent des esprits comme cette marquise de Créqui, par exemple, disparaîtront, dans un temps plus prochain qu’on ne le croit, pour ne plus revenir.

402. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VII. Vera »

La grosseur d’un tel ridicule s’est augmentée de toute la grandeur de son esprit, et le ridicule n’en a été que plus gros. […] Il est plus digne de l’esprit de la Providence, qu’il meure sous une plaisanterie de son pays. […] Nous saurons enfin ce que c’est que l’hégélianisme et ce qu’il doit tenir de place dans l’histoire de l’esprit humain. […] S’il ne s’y agissait que de talent, que d’invention quelconque, que d’effort, de ressource et de profondeur dans l’invention, nous dirions, tout aussi bien qu’un autre, qu’Hegel est un esprit formidablement puissant. […] Je n’ai jamais vu d’esprit si fort et moins indépendant.

403. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Athanase Renard. Les Philosophes et la Philosophie » pp. 431-446

C’est celle de l’esprit de leurs livres. […] Il se vanterait presque du contraire, s’il n’était pas le plus aimable et le plus humble des esprits puissants, qui savent être humbles parce qu’ils sont chrétiens. […] Un jour, elle a passé, cette terrible idée, dans l’esprit d’un homme de génie, et Dieu sait le trouble qu’elle y jeta ! […] Il y tomba sous la pression de cette idée du sens commun prise comme criterium de toute vérité, et que tous les esprits faussés par une révolte quelconque de l’esprit ou du cœur peuvent invoquer. […] Quoique sans génie, sans talent, sans esprit, sans homme d’intelligence première, elles s’emparent de l’esprit moderne avec un effroyable ascendant, et elles rencontrent précisément dans le « sens commun » d’un temps matérialisé de mœurs par une corruption de deux siècles, le plus redoutable auxiliaire.

404. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Ch. Bataille et M. E. Rasetti » pp. 281-294

Il y a des esprits qui se mettent en vibration les uns par les autres ; M.  […] Charles Bataille a fait le sien impétueusement, de compte à demi avec un autre esprit (bah ! […] Bataille, s’il n’y prend garde et s’il ne se met en défense, c’est l’invasion de l’esprit par le tempérament ; et, déjà, attention ! […] Celle-ci accuse le servage de l’esprit dans la conception de l’héroïne d’un livre, c’est-à-dire dans son personnage le plus important. […] Antoine Quérard qui, selon les prétentions du livre, est un grand esprit, se conduit, lui, le plus souvent, la tête carrée, comme une tête vide.

405. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXIV. Des panégyriques depuis la fin du règne de Louis XIV jusqu’en 1748 ; d’un éloge funèbre des officiers morts dans la guerre de 1741. »

D’un bout du royaume à l’autre, l’esprit n’eut qu’une idée, et l’âme qu’un mouvement. […] Vers 1744, les esprits changèrent. […] Peu à peu les imaginations en France se calmèrent, la direction des esprits changea, et la réflexion qui médite prit la place de l’enthousiasme qui sent. […] Alors on s’éloigna plus que jamais du ton de l’éloquence ; d’autres causes qui agissaient en même temps, développèrent chez la nation l’esprit philosophique, qui devint peu à peu l’esprit général. Cet esprit, qui discute toujours avant de juger, et qui sans cesse sur ses gardes, parce qu’il craint la surprise du sentiment, fit la loi aux orateurs même.

406. (1891) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Première série

Il semble être un esprit pur. […] Il connaissait la faiblesse de l’esprit humain. […] C’était un esprit européen dans une âme française. […] L’esprit littéraire était dans cette maison. […] Mes yeux se reposent et aussi mon esprit.

407. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Quand je vois des gens d’esprit se lancer dans la vie active par saillies et se résigner d’ailleurs si bien pour l’ordinaire, et comme pis-aller, à la condition oisive, j’ai toujours un doute sur leur vocation réelle, et, quand ils s’en prennent ensuite aux astres de n’avoir point réussi, j’incline à croire qu’ils sont de moitié pour le moins dans leur étoile. […] On voit que Lassay, quand il se mêle d’envisager et de définir, a bien de la netteté dans le trait, de la finesse et de la précision décisive dans l’esprit. […] Récapitulant tous les talents et toutes les facultés qu’il reconnaît ne posséder que d’une manière secondaire et inférieure à ce qu’il avait vu chez d’autres, il ajoute que pour l’esprit de connaissance et de discernement, il croit que peu de personnes l’ont plus que lui : Et cela, conclut-il, m’a fait penser bien des fois fort extravagamment que, de toutes les charges qui sont dans un royaume, celle de roi serait celle dont je serais le plus capable ; car l’esprit de connaissance et de discernement est juste celui qui convient aux rois : ils n’ont qu’à savoir bien choisir ; et, donnant à un chacun l’emploi qui lui convient, ils se servent de toutes ces sortes d’esprits que Dieu a distribués aux hommes, sans qu’il soit nécessaire qu’ils les aient. […] Il n’aimait la campagne que comme temps de repos, pour se remettre en vivacité et comme en appétit de société : Un homme qui a de l’esprit, disait-il, est plus aimable à la campagne qu’ailleurs ; on lui trouve la tête débarrassée des affaires et des intrigues du monde ; il est affamé de conversation, et son esprit, qui est reposé et rempli de mille réflexions qu’il a faites, est plus vif qu’à l’ordinaire. […] [NdA] Voici quelques-unes des maximes de Lassay qui approchent le plus du mot que rapporte Chamfort ; mais encore sont-elles d’un homme du monde désabusé et sans illusion, plutôt que d’une âme ulcérée et d’un cœur aigri : Il n’y a rien de si beau que l’esprit de l’homme, et rien de si effroyable que son cœur. — L’usage du monde corrompt le cœur et perfectionne l’esprit. — La plupart des connaissances qu’on a sont nos véritables ennemis ; car, pour l’ordinaire, ce ne sont pas les hommes avec qui nous ne vivons point qui nous font du mal.

408. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

C’est un esprit français, bourgeois, de bon aloi et de bonne trempe. […] Toujours Mathieu Marais maintiendra la mémoire de Despréaux et s’y montrera fidèle, même alors que le goût public aura le plus changé et que l’esprit des Fontenelle et des La Motte prévaudra. […] » Ce sont ces nobles sentiments, autant que la solidité de son esprit, qui élèvent Mathieu Marais au-dessus des disciples ordinaires des grands hommes. […] Et à cela, je vous répondrai : il avait plusieurs esprits ; il en avait de familiers, et c’était avec ceux-là que j’avais commerce. […] L’esprit lui aussi, — l’esprit des livres — s’en va en poussière comme le corps.

409. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IV. De la philosophie et de l’éloquence des Grecs » pp. 120-134

Je dois cependant considérer d’abord la philosophie des Grecs séparément de leur éloquence : mon but est d’observer les progrès de l’esprit humain, et la philosophie peut seule les indiquer avec certitude. […] Moins ils étaient avancés dans la carrière des sciences, moins ils reconnaissaient les bornes de l’esprit humain. […] Aristote cependant, qui vécut dans le troisième siècle grec, par conséquent dans le siècle supérieur pour la pensée aux deux précédents, Aristote a mis l’esprit d’observation à la place de l’esprit de système ; et cette différence suffit pour assurer sa gloire. […] Plutarque, contemporain de Tacite, appartient à une époque différente de l’esprit humain. […] Mais ils n’avaient point ce sentiment intime, cette volonté réfléchie, cet esprit national, ce dévouement patriotique qui ont distingué les Romains.

410. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Chastel, Doisy, Mézières »

Nul concurrent ne pouvait ou n’aurait osé s’y tromper… Des hommes si profondément littéraires, connaissaient trop l’histoire pour supposer que l’esprit de parti ou de secte la violât dans un travail qu’ils devaient juger et couronner. […] On ne saurait trop en prévenir les esprits qu’attire une certaine impartialité de langage : il faut se défier infiniment de E.  […] Les arêtes de l’esprit de secte n’y blessent pas. […] De tous les protestants, c’est le moins protestant peut-être, mais l’erreur a ses conséquences inévitables et que rien ne peut neutraliser, même la bonté native ou la force de l’esprit dans laquelle elle a pénétré. […] telle est la pensée qui naîtra dans l’esprit de tout homme de sens et de bonne foi en lisant, après l’écrit de E. 

411. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Certaines héroïnes de Heine, légères et touchantes comme des esprits de mortes, sont les sœurs de Viola et de la princesse Hedwige. […] Il devint prosateur, journaliste, polémiste ; aussi quelques traits de l’esprit français sont-ils marqués dans toutes ses œuvres. […] À cet idiome désarticulé et dispos, Heine a infusé un esprit qui ressemble quelquefois au nôtre. […] Son esprit a passé et repassé le Rhin comme sa personne. […] Son esprit, d’après le mot de Nicole, est « douloureux de partout ».

412. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre III. De l’étude. »

L’homme, dont il faut occuper les facultés de l’esprit, obtient de même par leur exercice le moyen d’échapper aux tourments du cœur. Les occupations mécaniques calment la pensée en l’étouffant, l’étude, en dirigeant l’esprit vers des objets intellectuels, distrait de même des idées qui dévorent. […] Ce qui importe, c’est de donner à son esprit cette impulsion, de se commander les premiers pas, ils entraînent à tous les autres. […] L’esprit répugne de lui-même à ce qui est incomplet, il aime l’ensemble, il tend au but, et de même qu’il s’élance vers l’avenir, il aspire à connaître un nouvel enchaînement de pensées qui s’offre en avant de ses efforts et de son espérance. […] et lorsque le hasard a pu combiner ensemble la réunion la plus fatale au bonheur, l’esprit et la sensibilité, n’abandonnez pas ces malheureux êtres destinés à tout apercevoir, pour souffrir de tout ; soutenez leur raison à la hauteur de leurs affections et de leurs idées, éclairez-les du même feu qui servait à les consumer !

413. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « I » pp. 1-20

Mais ces deux volumes contiennent de nouveaux témoignages de son esprit et de ses grâces, et sont généralement assez purs de ses excès. […] Voltaire qui représente l’esprit ne conçoit nulle limite à son essor, et dès le premier jour il fraie sur le pied d’égalité avec les premiers. […] Un esprit partagé rarement s’y consomme, Et les emplois de feu demandent tout un homme. […] Même quand il eut tout le loisir, il n’eut jamais le recueillement ; son esprit, de tout temps, resta partagé. […] Il est un moment et un milieu où les talents et les esprits, jusque-là tout jeunes et adolescents, s’achèvent, se font et deviennent adultes : l’Angleterre a été ce lieu pour Voltaire.

414. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Madame de Motteville. » pp. 168-188

Cette sévérité, très adoucie et très ornée chez la sœur aînée, ne méritait que le nom de raison et de bon esprit. […] C’est dans son esprit qu’il faut chercher les traits fins et charmants qui la distinguent. […] Pour achever de la représenter telle que je l’ai vue, il faut avouer qu’elle avait infiniment de l’esprit, de cet esprit brillant qui plaît aux spectateurs. […] Il faut lire toute cette page, que l’aimable auteur couronne par de très beaux vers italiens qui montrent qu’en se soumettant, son esprit ne renonçait point à s’orner raisonnablement et à s’embellir. Cette personne rare, cette honnête femme de tant de jugement et d’esprit, mourut en décembre 1689, vers l’âge de soixante-huit ans.

415. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — I. » pp. 287-307

Il eut de bonne heure de l’esprit de conduite, et il en eut besoin : Rousseau est le seul qui l’ait accusé d’y mêler de la fausseté. […] Pour tout le reste, pour l’esprit et le ton, Grimm venait de faire ses preuves ; il avait gagné ses éperons en français : « De quoi s’avise donc ce Bohémien, disait Voltaire, d’avoir plus d’esprit que nous ?  […] Grimm eut l’esprit assez élevé et assez équitable pour ne point donner dans ce petit côté et pour ne point faire céder le jugement à la passion ou à une curiosité maligne. […] Grimm, avant qu’il eût une position diplomatique officielle, était de fait le résident et le chargé d’affaires des puissances auprès de l’opinion française et de l’esprit français, en même temps qu’il était l’interprète et le secrétaire de l’esprit français auprès des puissances. […] En second lieu, l’esprit exact de Grimm avait plus d’une fois percé à jour, et à l’endroit le plus sensible, les prétentions de Rousseau.

416. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Non content de donner des regles par rapport à la conduite de l’esprit, il en donne aussi pour celle des mœurs. […] Gibert eût l’esprit & le style de M. […] La Maniere de bien penser dans les ouvrages d’esprit, Paris 1688. […] Les exemples sont tous tirés des Auteurs françois, & ils sont à la portée de tous les esprits. […] Les morceaux qu’il cite sont pris très-souvent dans des Orateurs qui avoient plus d’esprit que de goût.

417. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre V. La philosophie. Stuart Mill. »

. —  Son genre d’esprit. —  À quelle famille de philosophes il appartient […] Concordance de cette doctrine et de l’esprit anglais. —  Liaison de l’esprit positif et de l’esprit religieux. —  Quelle faculté ouvre le monde des causes. […] Cela dépend de la structure de notre esprit. […] Il a décrit l’esprit anglais en croyant décrire l’esprit humain. […] L’esprit religieux et l’esprit positif y vivent côte à côte et séparés.

418. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Il est trop bon esprit et trop sincère pour le charlatanisme ou pour la chimère brillante ; il n’est pas de nature assez haute et assez fine pour concevoir le grand art en rien ni le vrai beau. […] C’était véritablement la fleur des pois que Mme de Prie alors, la plus jolie figure, et parée encore plus de grâces que de beauté, un esprit délié et qui allait à tout, du génie et de l’ambition, étourdie avec de la présence d’esprit. […] » Il avait des vues, de l’invention, des expédients sans rouerie, et qui tenaient compte des règles et de l’esprit des corps ; il appuyait ses projets d’un savoir étendu et judicieux, qu’il augmentait chaque jour par une lecture assidue. […] Il dit cela dans un mémoire lu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres ; il y succéda en 1733, comme membre honoraire, à l’abbé de Caumartin, son oncle, évêque de Blois, et dont nous savons les grâces d’esprit. […] C’était un esprit nerveux, un esprit de courage, et le cœur presque aussi courageux que l’esprit ; une justesse infinie avec de l’étendue.

419. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite) »

Ce style produit sur l’esprit, à la longue, une impression certaine, inévitable, qui va quelquefois jusqu’aux nerfs. […] À vrai dire, ce sont moins encore des explications que des épreuves : c’est du moins la plus noble et la plus généreuse des disputes pour la race future, un tournoi perpétuel autour des grands esprits. […] Il a l’esprit lucide et l’imagination limitée. […] Je ne suis choqué, dans la description que j’ai citée et que j’abrège, que du choix des mots, de la façon rude, désobligeante, dont on le traite, et qui tend à le ridiculiser dans l’esprit du lecteur. […] Je ne vois rien à tout cela de ridicule ni qui ne fasse honneur à ce jeune et fertile esprit.

420. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

En somme, tout ce qui était pensée mâle et ferme allait droit à son esprit sensé et vigoureux. […] « Quels plaisirs surpassent ceux de l’esprit ? » s’écriait Frédéric à vingt-cinq ans, — l’esprit, c’est-à-dire la raison brillante, la raison enjouée et vive. […] Toute illusion a cessé, et il ne reste plus que ce goût vif de l’esprit qui se manifeste encore. […] Le meilleur remède est de se faire violence, pour se distraire d’une idée douloureuse qui s’enracine trop dans l’esprit.

421. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

M. de Bonald était chez nous le plus éminent, mais n’était peut-être pas le plus exagéré des esprits qui réagissaient dans cette voie. […] Rubichon, le plus rétrograde des économistes gens d’esprit. […] Afin de mieux se rendre compte des restes de l’esprit ancien, subsistant au cœur d’anciennes provinces, il est allé jusqu’à acheter successivement de grandes propriétés rurales dans des contrées où il savait ne point devoir résider longtemps, à cette seule fin de se mettre en commerce plus intime avec l’esprit des populations. […] L’indifférence est propre aux esprits blasés, aux régimes usés, et elle amène avec elle à sa suite la décadence et la ruine. […] On n’analyse pas un livre aussi nourri et aussi dense ; j’en ai seulement indiqué l’esprit.

422. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Sir Henry Bulwer, homme d’État et étranger, moins choqué que nous de certains côtés qui ont laissé de tristes empreintes dans nos souvenirs et dans notre histoire, a jugé utile et intéressant, après étude, de dégager tout ce qu’il y avait de lumières et de bon esprit politique dans le personnage qui est resté plus généralement célèbre par ses bons mots et par ses roueries ; « L’idée que j’avais, dit-il, c’était de montrer le côté sérieux et sensé du caractère de cet homme du XVIIIe siècle, sans faire du tort à son esprit ou trop louer son honnêteté. » Il a complètement réussi à ce qu’il voulait, et son Essai, à cet égard, bien que manquant un peu de précision et ne fouillant pas assez les coins obscurs, est un service historique : il y aura profit pour tous les esprits réfléchis à le lire. […] Il y règne un esprit de dénigrement et de haine, c’est évident ; mais l’enquête préparée de longue main, grossie de toutes les informations successives et collectives, a été serrée de près. […] C’est aussi en cette occasion qu’on voit apparaître et figurer pour la première fois dans la vie de Talleyrand son aide de camp habituel et le plus digne de lui, Montrond, un homme d’audace et d’esprit, un intrigant de haut vol.  […] Son excellent esprit, qui avait horreur des sottises, n’était pour lui qu’un moyen. […] On n’est, tout au plus alors, et sauf le suprême bon ton, sauf l’esprit de société où il n’avait point son pareil, qu’un diminutif de Mazarin, moins l’étendue et la toute-puissance ; on n’est guère qu’une meilleure édition, plus élégante et reliée avec goût, de l’abbé Dubois.

423. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Toutefois ces réceptions n’étaient point publiques ; les compliments n’avaient lieu qu’à huis clos, et il se faisait ainsi bien des frais d’esprit et d’éloquence en pure perte. […] Cette nécessité, cette convenance, qui est à la portée de moindres esprits, devient quelquefois une difficulté pour des talents supérieurs beaucoup plus faits à d’autres régions. […] Étienne, une vogue littéraire des plus animées, et finalement une mêlée des plus curieuses et des plus propres à faire connaître l’esprit du moment. […] Il y a toujours beaucoup d’intérêt, selon moi, à voir un bon esprit, un esprit judicieux, aborder un sujet qu’on croit connaître à fond, et qui est nouveau pour lui. Sur ce sujet qui nous semble de notre ressort et de notre métier, et sur lequel, à force d’y avoir repassé, il nous est impossible désormais de retrouver notre première impression, soyez sûr que cet esprit bien fait, nourri dans d’autres habitudes, longtemps exercé dans d’autres matières, trouvera du premier coup d’œil quelque chose de neuf et d’imprévu qu’il sera utile d’entendre, surtout quand ce bon esprit, comme dans le cas présent, est à la fois un esprit très-délicat et très-fin.

424. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

L’esprit de l’homme et l’influence de l’œuvre. — 4. […] Et son esprit qui lui survit prouve par l’excellence de son action la bonté de sa doctrine. Renan n’a pas été populaire : il offre peu de prises, par sa richesse et sa souplesse, aux moyens esprits. […] L’idéalisme philosophique n’est pas à l’usage de-toutes les intelligences : l’idéalisme religieux est accessible aux plus humbles esprits. […] De là cette curieuse conséquence : pour nombre d’esprits, Renan a rendu la foi impossible, et il a rendu impossible aussi la guerre à la foi.

425. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

« Si les enfants, dit-il, avaient les bras hors du maillot, l’exercice prématuré du toucher leur donnerait plus d’esprit. » L’usage de laisser aux nouveau-nés les bras libres est devenu général ; en avons-nous plus de gens d’esprit ? […] On reconnaît là son point faible : trop de confiance dans la vue de l’esprit, et l’observation négligée comme le petit côté du naturaliste. […] Buffon voulait rendre la science populaire ; il y fallait un peu de mode, et par qui avoir la mode en France, si ce n’est pas les esprits frivoles ? […] Dans la théorie de Buffon, les mêmes règles s’appliquent à la fois aux choses de l’esprit et aux choses de la conduite. […] Elle ne tient pas compte de la diversité des voies de l’esprit.

426. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Saint-Simon, qui conteste la noblesse de tout le monde, a contesté celle de Chaulieu : il l’a qualifié « homme de fort peu, mais de beaucoup d’esprit, de quelques lettres, et de force audace ». […] Il vint étudier à Paris, au collège de Navarre, et s’y lia avec les fils du duc de La Rochefoucauld (l’auteur des Maximes), gens d’esprit eux-mêmes. […] Pour réparer son échec de Pologne, il prend le parti de s’attacher entièrement aux jeunes princes de Vendôme, et s’insinue si bien par son esprit, qu’il devient le maître absolu de leurs affaires, l’intendant et l’arbitre de leurs plaisirs. […] C’est la définition qui reste la plus vraie des mœurs comme de l’esprit des Chaulieu et des La Fare. […] Mais il a laissé des Mémoires sérieux, intéressants, d’un jugement ferme, élevé, indépendant, et qui le classent au premier rang des esprits éclairés d’alors.

427. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — I. » pp. 441-459

Les esprits comme Portalis servent du moins, quand le pas est fait qu’ils n’auraient pas voulu, à rejoindre et à renouer la chaîne. […] Rien ne démontrerait mieux, à notre sens, la légitimité de 89 que cette argumentation habile de la part d’un homme aussi éclairé, et de laquelle il résulte que la France n’était pas un seul État ni un corps mû d’un même esprit. […] Il est plus aisé de rendre des décrets que de former des hommes. » Il demande donc du temps et du soin pour corriger et ramener les esprits. […] Ce n’était pas seulement l’esprit d’humanité, c’était aussi l’esprit de parti qui s’emparait à l’instant de ces belles paroles de Portalis. […] [NdA] Il y a ici un souvenir de Montesquieu, Esprit des lois, livre II, chap. 

428. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Où parut la première lumière de l’esprit moderne ? […] Elle offre la plus vive image de l’esprit du temps. […] C’est un grand travail de l’esprit humain. […] Quelle idée s’en fait-on, soit que l’esprit monacal, soit que l’esprit philosophique retrace seul ces grands souvenirs ? […] Il aimait, à sa manière, les plaisirs de l’esprit.

429. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

même à l’esprit ! […] Un homme en vaut un autre, et les raffinements qui constituent l’esprit artistique n’ont qu’une valeur secondaire devant les grands aspects de l’esprit général. […] L’esprit d’un temps ne se transmet pas comme un héritage. […] esprit d’harmonie, ensuite esprit de nombre, esprit de mesure, esprit de rime, esprit de patience surtout ! […] Un esprit arrogant ne verra jamais la nature dans toute sa beauté.

430. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre IV : La philosophie — I. La métaphysique spiritualiste au xixe  siècle — Chapitre I : Principe de la métaphysique spiritualiste »

Voilà la doctrine de l’esprit telle que se la représentent le sens commun et l’école : c’est une sorte de matérialisme spiritualiste qui révolte les esprits raffinés et délicats tout autant que l’autre. […] Chez l’un, c’est l’esprit logique qui domine ; chez l’autre, c’est l’esprit psychologique. […] L’esprit humain ne connaît donc pas seulement des phénomènes, il connaît son propre être : il plonge dans l’être, il en a conscience. […] D’abord il est évident que le sujet pensant, l’esprit, ne sait rien par l’intuition directe de son commencement. […] L’esprit ne sait rien intuitivement sur son passé, il n’en sait pas davantage sur son avenir.

431. (1904) Propos littéraires. Deuxième série

Les timides qui ont de l’esprit ont l’esprit de l’escalier. […] Il a l’esprit antique en lui. […] Esprit éminemment littéraire. […] Esprit exclusif. […] L’esprit n’est rien.

432. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 181-190

Parmi le petit nombre d’hommes de génie de notre Nation, qui ont cultivé la Philosophie, il a la gloire de n’avoir à se reprocher que les erreurs attachées à la foiblesse de l’esprit humain. […] Il s’adonna d’abord, par le conseil d’un de ses Confreres, qui ne connoissoit pas la trempe de son esprit, à un genre d’étude pour lequel il n’étoit point né. […] Malebranche, le talent de mettre à la portée de tous les esprits, les idées les plus profondes & les plus abstraites. […] En conséquence, il s’occupoit plus à éclairer son esprit qu’à charger sa mémoire. […] Il étoit extrêmement ménager de toutes les forces de son esprit, & soigneux de les conserver à la Philosophie….

433. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Si je ne me trompe pas, les cœurs honnêtes et les esprits sensés me doivent quelque estime, même quelque encouragement et quelque appui. […] M. de Tocqueville posait un peu pour l’observation méthodique, profonde et raisonnée… » Il ne posait pas, c’était l’attitude naturelle de son esprit, de toute sa personne ; mais il faisait un peu cet effet aux militaires, à ceux qui ont l’esprit prompt, l’observation facile et nette, et même brusque : ce sont des familles d’esprits différentes et même opposées ; il n’y a rien d’étonnant que quelque antipathie se prononce. […] Comme le même homme peut être supérieur dans le premier emploi de son esprit, et médiocre dans l’autre, et réciproquement ! […] Ces esprits faits, quand ils s’y mettent, ont sur les livres des jugements droits et justes, et qui ne sentent en rien le métier. […] [NdA] Dans l’étude des esprits de différents ordres, rien ne me plaît comme les rapprochements, les comparaisons, les contrastes.

434. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

L’esprit pédagogique est un nouvel avatar de l’esprit prêtre. […] Or l’éducation mnémonique vise à faire de la mémoire de l’individu un raccourci de la mémoire de l’humanité ; elle tend à river l’individu au passé, à faire de lui un esprit historique, un esprit de passivité et de règle. […] Au lieu d’inculquer des notions toutes faites, elle peut s’efforcer d’éveiller et de développer l’esprit critique. Soit ; mais il ne faut pas perdre de vue que l’esprit critique se convertit vite en esprit dogmatique et même cette conversion est inévitable quand il s’agit d’un esprit critique enseigné. Car l’esprit critique s’enseigne suivant certaines formes, certaines méthodes, et dans un certain plan de pensée.

435. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Les qualités du cœur se déclarèrent de bonne heure chez le jeune Fauriel à l’égal de celles de l’esprit. […] Il compte davantage sur l’esprit des autres et aime à les supposer de la même famille que lui. […] Villers, comme plus tard Benjamin Constant, établissait pour cause générale de la corruption de l’esprit religieux la surcharge et la grossièreté des formes qui servent d’organes à cet esprit. […] Fauriel, en qui la sagacité, la justesse d’esprit et la grâce de langage semblent s’être personnifiées. […] Pour nous, nous aurons assez atteint notre objet, si nous avons réussi à montrer l’homme et l’esprit même.

436. (1856) La critique et les critiques en France au XIXe siècle pp. 1-54

La critique militante gagna alors deux choses, de l’esprit et du style. […] Sans découvrir d’œuvres nouvelles, on découvrit l’esprit des anciennes œuvres. […] Homme du monde, ou du moins homme d’esprit, il évite d’ordinaire le ton sec et hargneux d’un pédant. […] Il est bien difficile d’être tout à fait indépendant de l’esprit de parti, de regarder du même œil et Troyens et Rutules. […] Esprit des Lois, I, i.

437. (1907) L’évolution créatrice « Chapitre IV. Le mécanisme cinématographique de la pensée  et l’illusion mécanistique. »

Le remplacé n’existe que comme conception de l’esprit. […] Telle est l’hypothèse qui se présente à l’esprit. […] On eût exigé de l’esprit qu’il renonçât à ses habitudes les plus chères. […] S’agit-il de l’esprit ? […] La nature se reflète donc dans l’esprit.

438. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

C’est un mystère de la chimie des esprits. […] Les Italiens aussi ont bien de l’esprit ; ils ont à la fois de cette sorte d’esprit qui réside dans la pensée et de cet autre esprit artificiel qui naît du clinquant des mots. […] C’est, en effet, le caractère spécial de l’esprit français de n’être pas, comme l’esprit anglais, l’esprit allemand, l’esprit espagnol, voire l’esprit italien, qui a été le précurseur et qui n’est plus qu’une partie du nôtre, un esprit trop spécial. […] L’esprit a beau rire et se moquer. […] L’esprit jalouser la sottise !

439. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre huitième »

De la sensibilité dans les ouvrages de l’esprit. — § III. […] Mais la mode, dans les choses de l’esprit, n’est souvent que l’excès d’une disposition vraie. […] De la sensibilité dans les ouvrages de l’esprit. […] C’est le tour d’esprit qui leur convient. […] Le détail de ces deux conduites est présent à tous les esprits cultivés.

440. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

L’histoire naturelle des esprits. […] Il se piquait de faire « l’histoire naturelle des esprits ». Il pensait qu’il y a des familles d’esprits, comme en histoire naturelle il y a les races et des variétés. Mais on ne voit pas que Sainte-Beuve ait constitué ces familles d’esprits : il a poursuivi partout l’individualité, en ce qu’elle a de plus distinct. […] Mais il a changé ses procédés, non son esprit.

441. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires touchant la vie et les écrits de Mme de Sévigné, par M. le baron Walckenaer. (4 vol.) » pp. 49-62

Voilà la vraie réponse à ces gens d’esprit raffinés qui ont voulu voir dans l’affection de Mme de Sévigné pour sa fille une affectation et une contenance. […] Vous savez que je suis comme on veut, mais je n’invente rien. » Cela veut dire que ce charmant esprit avait tous les tons et savait s’accommoder aux personnes. […] Son esprit ne put jamais se priver de cette vivacité d’éclairs et de cette gaieté de couleurs. […] C’est la personne la moins semblable au moral à Mme de Sévigné, mais elle peut en être rapprochée sans injure pour l’esprit et pour la grâce. […] Pour de l’esprit, j’en ai plus que personne ; je l’ai naturel, plaisant, badin, capable aussi des grandes choses, si je voulais m’y appliquer.

442. (1912) L’art de lire « Chapitre IX. La lecture des critiques »

J’ai souvent dit : un critique est un homme qui sert à vous faire lire un auteur à un certain point de vue et dans certaines dispositions d’esprit qu’il vous donne. […] Ce point de vue où le critique m’aura mis, c’est le sien ; cette disposition d’esprit où il m’aura mis, c’est la sienne. […] C’était un très grand profit ; je n’étais pas toujours, après révision, de leur avis ; je n’en étais même jamais ; mais j’avais relu avec un esprit nouveau, et c’est cela qui est important. […] Il y a le professeur qui ne cherche qu’à rapprocher tous ses élèves d’un type convenu de bon sens, de rectitude d’esprit et de bon goût. […] C’est d’un professeur de ce genre qu’un de ses collègues disait : « Voilà Fliegenfanger qui est encore à la recherche d’un esprit faux ».

443. (1915) La philosophie française « I »

On trouverait surtout cette idée que la pensée existe d’abord, que la matière est donnée par surcroît et pourrait, à la rigueur, n’exister que comme représentation de l’esprit. […] Bornons-nous à constater que Descartes et Pascal sont les grands représentants des deux formes ou méthodes de pensée entre lesquelles se partage l’esprit moderne. […] Mais l’esprit humain ne renonce pas facilement à ce dont il a fait sa nourriture pendant bien des siècles. […] À l’opposé de Kant (car c’est à tort qu’on l’a appelé le « Kant français »), Maine de Biran a jugé que l’esprit humain était capable, au moins sur un point, d’atteindre l’absolu et d’en faire l’objet de ses spéculations. […] Bref, il a conçu l’idée d’une métaphysique qui s’élèverait de plus en plus haut, vers l’esprit en général, à mesure que la conscience descendrait plus bas, dans les profondeurs de la vie intérieure.

444. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 189-194

Il établit chez lui une espece d’Académie, où l’on agitoit des questions de Littérature, propres à faire naître l’émulation de tous les gens d’esprit qui y assistoient. […] On est fâché qu’il soit l’inventeur de l’Anagramme, genre pitoyable, à la portée de tout le monde, parce qu’il n’exige qu’un peu d’application, & point du tout d’esprit. […] Son exemple prouvera vraisemblablement dans la suite, que beaucoup d’esprit, beaucoup d’Ouvrages & beaucoup de vogue, ne sont rien moins que des titres solides pour une réputation durable. […] Mais tous ces dons d’un esprit agréable sont-ils suffisans pour se soutenir, & peut-on ignorer que rien n’est plus sujet à perdre ses charmes ? […] Dorat a fait de ses talens, mais ne doit pas en affoiblir l’estime auprès des esprits qui sauront les apprécier en eux-mêmes.

445. (1902) Le critique mort jeune

Voilà quelles qualités et quelle disposition d’esprit M.  […] Et nous avons vu quel esprit et quel art il y dépense. […] Sa curiosité d’esprit les étendit encore. […] L’esprit, le ton prophétique sont pareils. […] L’esprit de sacrifice n’était point dans sa nature.

446. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Singlin, qui la gouvernât, Mme de Longueville se servit moins de son esprit que de celui des autres. […] Un seigneur aussi grand en esprit qu’en naissance en est l’auteur. Mais ni son esprit ni sa grandeur n’ont pu empêcher qu’on n’en ait fait des jugements bien différents. […] Le degré où l’ennui prend est l’indice le plus direct peut-être de la qualité de l’esprit. […] M. de Roquelaure et M. de Miossens avoient beaucoup d’esprit, mais ils se louoient incessamment : ils avoient un grand parti.

447. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre quatrième. La propagation de la doctrine. — Chapitre I. Succès de cette philosophie en France. — Insuccès de la même philosophie en Angleterre. »

Au milieu de son Esprit des lois, Montesquieu avait placé une invocation aux Muses. […] Il ne s’agit ici que des grands hommes, des maîtres de l’esprit public. […] Nulle flatterie plus délicate ; nous lui savons gré de nous rendre contents de notre esprit. […] La vérité est pourtant qu’il a quelque chose de leur esprit. […] Défense de l’Esprit des lois.

448. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Introduction. » pp. -

Au fond il n’y a ni mythologie, ni langues, mais seulement des hommes qui arrangent des mots et des images d’après les besoins de leurs organes et la forme originelle de leur esprit. […] Toujours on rencontre pour ressort primitif quelque disposition très-générale de l’esprit et de l’âme, soit innée et attachée naturellement à la race, soit acquise et produite par quelque circonstance appliquée sur la race. […] Il y eut une de ces contrariétés, lorsqu’au dix-septième siècle, le rude et solitaire génie anglais essaya maladroitement de s’approprier l’urbanité nouvelle, lorsqu’au seizième siècle le lucide et prosaïque esprit français essaya inutilement d’enfanter une poésie vivante. […] Sitôt que nous savons quelle est la condition suffisante et nécessaire d’une de ces vastes apparitions, notre esprit a prise aussi bien sur l’avenir que sur le passé. […] Montesquieu, Esprit des lois, Principes des trois gouvernements.

449. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre I. Décomposition du Moyen âge — Chapitre II. Le quinzième siècle (1420-1515) »

Charles d’Orléans : esprit et grâce. […] Brutalité et grossièreté de l’esprit du temps. […] Je ne parle pas de la qualité des idées, mais du rapport des idées à l’esprit. […] Commynes a trop d’esprit pour n’avoir pas observé que ce n’est pas toujours l’esprit qui fait le succès, ni le manque d’esprit le malheur. […] Et ne voit-on pas combien cet esprit-là est voisin de l’esprit du xviie  siècle ?

450. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Appendice. »

Trois hommes éminents exercèrent alors par leur enseignement public la plus décisive influence sur la marche et la direction des esprits : MM.  […] Que manquait-il donc à ce brillant esprit, à cet esprit de haut vol, si plein de vues et même d’éclairs de bon sens sur toutes choses, pour être un vrai génie et pour mériter d’être salué de ce nom ? […] Malgré sa santé très-affaiblie, elle avait conservé son goût de la société, sa curiosité du spectacle politique, son entière rectitude et fermeté d’esprit. […] Elle est morte pleine de jours, avec son entière liberté d’esprit, universellement vénérée et regrettée. […] Elle est marquée à tout jamais dans mon respect, dans mon esprit et, permettez-moi d’ajouter, dans mon cœur.

451. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre II. De la métaphysique poétique » pp. 108-124

Ce monde social étant indubitablement l’ouvrage des hommes, on pouvait en lire les principes dans les modifications de l’esprit humain. […] Plus elle était matérielle, plus ses créations furent sublimes ; elles l’étaient au point de troubler à l’excès l’esprit même d’où elles étaient sorties. […] Leurs créations réunirent les trois caractères qui distinguent la haute poésie dans l’invention des fables, la sublimité, la popularité, et la puissance d’émotion qui la rend plus capable d’atteindre le but qu’elle se propose, celui l’enseigner au vulgaire à agir selon la vertu. — De cette faculté originaire de l’esprit humain, il est resté une loi éternelle : les esprits une fois frappés de terreur, fingunt simul credunt que , comme le dit si bien Tacite. […] Mais, à une époque si avancée de la civilisation, les esprits, même du vulgaire, sont trop détachés des sens, trop spiritualisés par les nombreuses abstractions de nos langues, par l’art de l’écriture, par l’habitude du calcul, pour que nous puissions nous former cette image prodigieuse de la nature passionnée ; nous disons bien ce mot de la bouche, mais nous n’avons rien dans l’esprit. […] Il est impossible que la matière soit esprit, et pourtant l’on a cru que le ciel, d’où semblait partir la foudre, était Jupiter.

452. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Il est toujours piquant de revenir après des années sur des œuvres d’esprit, sur des écrits ou des discours qui ont eu un grand éclat et ont exercé une influence décisive. […] Mais l’esprit humain ne se comporte pas ainsi ; il est impatient et même un peu séditieux de sa nature, il ne sait pas se tenir tranquille au gré des régnants. […] L’esprit de M.  […] Ajoutons vite que ce dernier aspect n’a prévalu si complètement que parce qu’il est le plus riche, le plus brillant et le plus saisissable pour le grand nombre des esprits. […] Aussi cet esprit de feu qui avait animé sa parole publique ne lui a pas fait défaut dans la solitude du cabinet, et l’ancien travail refondu en est ressorti très-vivant.

453. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre V. Chanteuses de salons et de cafés-concerts »

Son âme, simple et profonde, ne put s’enfermer en ces formes créées par son esprit compliqué et puéril : il écrivit des Romances sans paroles. […] Il faut une bravoure inconnue des contemporains pour dire que le vide des Trophées crie le vide de cet esprit et de cette âme. […] Ce théoricien est un esprit admirablement systématique et les hommes du dix-huitième siècle auraient aimé sa construction ingénieuse et ruineuse. […] Sully-Prudhomme, lui, n’a rien pu dire, car il souffre du désaccord de son âme et de son esprit : de son âme lyrique et romantique dont les « vrais vers ne seront pas lus » ; de son esprit didactique, polytechnicien et parnassien qui traduit en pauvretés les inquiètes richesses profondes. […] Mais Sully-Prudhomme est timide d’esprit presque autant que de caractère.

454. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

Il ajoutera certainement à la confusion des esprits. […] C’était une idée assez simple pour que la manière dont elle serait développée fît toute sa valeur, car on sait bien — et les esprits les plus vulgaires autant que les esprits les plus élevés — que les révolutions, comme les bâtardises, ont des parentés naturelles, et qu’elles ne viennent pas sans un germe dans le régime qu’elles détruisent plus tard. […] Si merveilleusement administrative que soit la France dans son esprit, elle ne l’est cependant pas à ce point qu’un changement survenu dans sa centralisation ait été la cause décisive et suprême de la plus terrible, de la plus profonde de ses révolutions ! […] Ce n’est qu’une exécution timidement faite dans le brouillard d’un esprit confus. […] L’esprit de Tocqueville n’est pas assez étendu pour fournir sur toutes les idées qu’on peut discuter.

455. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Guizot » pp. 201-215

Guizot, malgré les qualités de son esprit et même en raison de ces qualités qui ont leur envers, c’est-à-dire leur défaut, ne nous paraît pas apte à traduire comme il faut Shakespeare. […] Esprit sobre, Guizot a ajouté la sobriété de son esprit à la pénurie de son sujet, et tout cela n’a pas fait quelque chose d’immense. […] On sent que l’esprit prudent, magistral (un plus malin que moi dirait magister) et sceptique de l’illustre auteur, car Guizot est sceptique, sous sa forme arrêtée et décidée, — seulement il est sceptique avec réserve, — on sent que cet esprit n’a pas l’inconvénient qu’auraient eu peut-être, s’ils avaient écrit sur Shakespeare, d’autres esprits trop émus et trop fécondés par l’idée d’écrire sur ce grand homme. […] On dit qu’une autre illustration de ce temps se prépare à traiter ce sujet, enflammant pour les esprits ambitieux par sa difficulté même. […] Et après lui comme après Guizot, la Vie de Shakespeare n’en restera pas moins toujours au concours de l’Esprit humain.

456. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

Quoique son Esprit des Lois ait trente-deux livres et un nombre infini de petits chapitres coupés comme les losanges de l’habit d’Arlequin, son esprit, à lui, très subtil, n’avait pas d’ampleur. […] Jusque-là, il dut opposer au Christianisme l’imperméable et native sécheresse d’une âme sans enthousiasme et d’un esprit à peu près sans foi. […] Elle était dans son esprit au même degré, et c’est là ce qui l’empêcha, quand il crut l’être, d’être poète. […] Il ne fut honteux ni de Grandeur et décadence, ni de L’Esprit des Lois… Que serait-il, sans ces deux-là ? […] Il y passa deux ans, et son esprit y prit des lettres de naturalité.

457. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Lamennais »

L’auteur de l’Essai sur l’indifférence, ce logicien ardent, cet esprit péremptoire, ce polémiste formidable qui vivait sous cette visière baissée de son génie, était, le croira-t-on ? […] III Et cet esprit-là, c’est l’esprit même, — comme on dit en France, — l’esprit, un don, le plus précieux des dons intellectuels, le plus beau diamant qui puisse fermer la couronne du génie et que le génie n’a pas toujours à l’agrafe de sa couronne. […] Elles sont spirituelles, en effet, et elles doivent l’être énormément pour le paraître encore du sein des flammes de tant de colères ; car la colère éteint d’ordinaire l’esprit d’un homme en l’enflammant. La colère peut dilater la verve et emporter à l’éloquence, mais l’esprit s’allume à d’autres sources, et il n’y a que Lamennais peut-être, Lamennais, l’encoléré sublime, qui pût trouver le moyen de mêler aux torrents d’une imprécation presque biblique comme celle qui bouillonne dans ses lettres, cette pointe d’esprit aiguë et subtile qui se plante aux articulations de toutes choses et entre en brillant comme un glaive de cristal ! […] quand on pense à la destinée et au caractère du vieux Roi auquel il souhaitait cette houlette, on peut se dire que la grâce de l’esprit n’a jamais été plus atrocement cruelle !

458. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Flourens est un de ces esprits issus de Buffon dont on pourrait dire : Si Buffon n’avait pas été, existeraient-ils ? […] Le fait de son esprit qui finît, nous le reconnaissons, par devenir tout-puissant par l’ordre (toujours l’ordre !) […] Flourens, se trompa d’abord sur la méthode, rien n’étant moins dans la nature de son esprit que les nomenclatures et les caractères généraux. […] Flourens relève Buffon de l’autre, en ajoutant qu’il se fit plus tard une méthode, parce qu’il était un esprit toujours en marche, progressif et se complétant, M.  […] C’était l’habitude de son esprit, et c’en était aussi la force, de comprendre, de féconder, d’élargir les faits qu’il n’avait pas découverts.

459. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « E. Caro »

Caro pourrait bien arriver à temps pour enfin terminer un débat sans bout dont tout le monde est las, et dont il restera, je le crains, à l’esprit français, — cet esprit qui d’ordinaire traverse les questions comme une balle, — un immense appesantissement ! […] Eh bien, qui sait si Caro ne sera pas cet homme d’esprit-là ? […] Mais l’opinion impose ses lieux communs même aux esprits distingués qui les détestent. […] Caro, au contraire, aura de l’influence sur tous les esprits, et ils sont nombreux ! […] Quelque peu satisfaisant et dominateur que nous paraisse toujours, à nous, un système qui glisse sur l’esprit plutôt qu’il ne raccroche (et il faudrait le crocheter !)

460. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Xavier Aubryet et Albéric Second » pp. 255-270

Ce sont des esprits trop personnels et trop libres pour faire partie de ce qu’on appelle une École, — ce manège de cheval auquel les gens d’esprit, ces audacieux casse-cous, répugnent. […] À travers cette odeur de Paris, comme dirait Veuillot, qui s’exhale trop de son livre, est aussi le parfum de son esprit à lui-même, et ce parfum est aussi fort à sa façon que l’odeur de Paris à la sienne. C’est, en effet, un esprit musqué qu’Aubryet, et si ce mot de musqué, qui ne représente plus qu’un ancien parfum démodé, offense sa délicatesse élégante de parisien, disons de lui qu’il a de l’opoponax dans le talent, et il ne se fâchera plus. […] C’est un esprit acéré de toutes les manières, qui porte à la tête comme le syringa, et aux yeux comme des paillettes d’acier ou les facettes du diamant. […] sa grande vie dans l’avenir et sa grande gloire, ce sera d’avoir créé des caractères et fouillé l’âme qui est infinie jusque dans ses dernières profondeurs, et cela sans petite couleur locale de temps et d’espace, et dans des langages immortels comme l’esprit humain !

461. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Le Sage » pp. 305-321

« Les gens d’esprit font les livres qu’ils lisent », a dit Montesquieu. […] Il s’agit pour Le Sage d’intéresser cette curiosité vulgaire, et il est lui-même d’un esprit assez vulgaire pour l’intéresser… Cette vulgarité foncière de l’esprit, on ne s’imagine pas comme c’est un bonheur, pour le succès, que de l’avoir, mais quand elle est mêlée avec quelques souples facultés d’emploi. […] Paul Féval, la grande victime du roman feuilleton, lequel a cent fois plus d’esprit et de fécondité que Le Sage, a du moins plus de franchise qu’Alexandre Dumas. […] Leurs pièces, à tous les deux, représentent des sociétés finies ; mais Beaumarchais a donné l’immortalité de l’esprit à sa peinture. […] La passion dans l’esprit n’était pas le fait de Le Sage.

462. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — B — article » pp. 358-361

Bourdaloue, [Louis] Jésuite, né à Bourges en 1632, mort en 1704 ; le Fondateur de l’Eloquence Chrétienne parmi nous, & le plus parfait modele de cette Eloquence forte, convaincante & rapide, qui entraîne l’esprit & triomphe de la résistance. […] La Lecture des Saints Peres avoit enrichi son esprit de cette abondance de preuves qu’il développe avec supériorité, & auxquelles son génie ajoute une nouvelle force, qui les met dans un jour nouveau, & plus frappant que dans leur source même. […] Est-ce au suffrage de quelques esprits frivoles, que doit se borner l’homme apostolique ? […] Est-ce en s’accommodant au ton du monde & de la société, qui n’est que l’image des travers qui nous déshonorent, qu’on pourra frapper les esprits & changer les cœurs corrompus ? […] C’est ainsi, ajoute un homme d’esprit qui rapporte cette anecdote, qu’il traitoit en grand homme une fonction dont tant d’autres ne font qu’un métier.

463. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

L’Académie ne fut d’abord qu’une espèce de commission établie pour juger ceux qui entreprendraient d’avoir plus d’esprit et de talent que lui. […] On se délasse dans le commerce d’un homme simple et droit, qui dit ce qu’il pense, et le dit avec la force et l’accent de la vérité : on aime son esprit, parce que son esprit est d’accord avec son âme. […] Chacune des veuves a le ton, l’esprit et le langage du poète qui l’a créée et mise au théâtre. […] C’étaient les tragédies du moment où elles sont nées ; elles flattaient alors l’effervescence d’une nation égarée ; elles enflammaient tous les esprits faux. […] Le cœur n’est ému qu’autant que l’esprit est occupé : l’intérêt s’éteint quand l’action languit, quand la scène est vide.

464. (1889) La littérature de Tout à l’heure pp. -383

L’Esprit ! […] Est-il dans les objets ou dans notre esprit ? […] sur les esprits engagés dans la voie lumineuse. […] M. de Goncourt n’a pas l’esprit religieux. […] Ponchon, qui ont tant d’esprit !

465. (1911) La morale de l’ironie « Chapitre IV. L’ironie comme attitude morale » pp. 135-174

Il a l’esprit étroit et débile, il lui faut des béquilles. […] C’est ce que n’ont pas toujours su voir des esprits élevés qui ont failli quelquefois. […] Une ironie assez basse marque certains esprits. […] Et le tiers esprit ne s’illusionnerait point trop à son sujet. […] Le tiers esprit se gardera de cet écueil.

466. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

Prenant l’esprit humain adulte, ils ont considéré ses formes constitutives comme des conditions initiales. […] Pourquoi l’esprit des brutes, qui ont des sens semblables aux nôtres, est-il si différent du nôtre ? […] Y a-t-il deux existences distinctes, matière, esprit ? […] L’idéaliste dit : il n’y a qu’une existence, l’esprit. […] Le métaphysicien répond : oui, l’esprit continue et lie en une synthèse toutes ses manifestations.

467. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Deuxième partie. — L’école critique » pp. 187-250

William Schlegel a beaucoup de savoir, beaucoup d’esprit, et le sens commun est faillible. […] Des gens d’esprit se réunissent dans sa loge. […] Lysidas, avec infiniment plus d’esprit, ne la goûte-t-il pas davantage ? […] Mais il n’a pas montré son esprit, en concluant de là que Molière n’est guère comique. […] Il voit jusque dans les plastiques tragédies d’Eschyle, la lutte de l’esprit et de la chair.

468. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite et fin.) »

Le récit de Rulhière si piquant et tant contesté est aujourd’hui vérifié, dans son esprit du moins et dans ses circonstances principales. Rulhière était alors à Pétersbourg et dans la confidence du ministre français, M. de Breteuil, homme d’esprit et qui était lui-même très-porté pour Catherine. […] Elle était incomparablement supérieure à ce monarque par l’esprit et de sa personne. […] Elle appelle, en commençant, Voltaire « le premier moteur de son goût et de son plus cher amusement. » Elle lui dit un joli mot : « Votre esprit en donne aux autres. » Il y a en effet de l’esprit qui n’est que de l’esprit une fois produit, et qui n’en donne pas : l’esprit de Voltaire est un boute-en-train. […] Ses lettres sont bien de la femme préoccupée de plaire, qui disait au prince de Ligne : « N’est-ce pas que je n’aurais pas assez d’esprit pour Paris ?

469. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre II. Précurseurs et initiateurs du xviiie  siècle »

Il révéla au rationalisme mondain son essentielle identité avec l’esprit scientifique : il vulgarisa la science et ses principes. […] Il enfonce dans les esprits la foi au progrès, par le spectacle de toutes les découvertes que la raison a faites dans les sciences au siècle précédent. […] L’esprit humain, dans l’ignorance, aime le merveilleux. […] Les oracles n’ont cessé que lorsque l’esprit humain s’est éclairé : la philosophie les a fait taire. […] C’était un probe et fort esprit, excite plutôt que tourmenté par l’impossibilité de savoir où est la vérité.

470. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre VII » pp. 56-69

Jamais il ne lui est venu dans l’esprit de se venger d’elle par une guerre civile, et il trouve bien plus honnête le nom d’innocent banni, que celui de coupable victorieux. […] Jamais les plaisirs de l’esprit ne furent mieux goûtés que par ces gens-là. […] Mais ils trouvèrent un fonds si heureux, que d’abord le bon esprit fut chez eux une chose populaire. […] Ils seraient ridicules dans les entretiens d’une femme sans esprit, sans jugement, qui aurait la vanité de faire la savante. Ils seraient ridicules dans un pays où tous les esprits seraient tendus aux affaires publiques, soit par la nature de la constitution, soit par une révolution flagrante, ou récente, ou imminente.

471. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — La synthèse »

L’effet de l’œuvre étant l’émotion qu’elle suscite, et cette émotion accompagnant l’image sensible de son contenu dans l’esprit de son sujet, c’est la reproduction de l’œuvre qu’il faudra tenter, en accompagnant de son indice émotionnel. […] Chaque détail sera réfléchi sous l’angle de son incidence, chaque moyen rendu par son action, et les effets même de l’œuvre considérés et goûtés à nouveau par un esprit qui saura non plus seulement les discerner mais les ressentir, seront figurés du même coup et mesurés dans la description de leur nature et de leur charme. […] Pour la connaître pleinement et exactement, la notion de son mécanisme, de ses parties, de sa genèse, ne sera pas plus importante que celle de la manière dont elle existe, dont elle se comporte, dont elle agit sur la matière vivante, du choc harmonieux, saccadé ou lent dont elle frappe les esprits, un esprit, une âme individuelle et figurée. […] C’est ce groupe, ses principaux représentants, sa formation, sa durée, sa condition, ses mœurs, que la synthèse sociologique devra retrouver avec de délicats procédés d’enquête, conjecturant, décrivant, résumant, agglomérant les données les plus hétérogènes, parvenant enfin à exprimer visiblement les créatures dans lesquelles a vécu l’esprit de l’œuvre et de son auteur. […] Ainsi, dans le texte consacré à Stendhal, on peut lire : « (…) nous autres, qui venons après lui et souffrons comme lui de cette excessive acuité de l’esprit d’analyse, nous arrivons pour soutenir que les curiosités, ou plutôt les cas pathologiques par lui décrits sont bien les nôtres » (P.

472. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Pour tout cœur pur et tout esprit juste, il est évident que la reproduction des Évangiles est la meilleure exposition des vérités de notre foi. […] En cela, il a répondu toujours par l’histoire, par le texte, par le fait, — les meilleures réponses de ce temps, — à de certaines notions erronées et dangereuses qui circulent, à cette heure, dans une foule d’esprits ignorants ou prévenus. […] » Des esprits de tout ordre ont été pris à cette horrible gageure de parti, et c’est parce que le mal a été grand à cet égard et qu’il augmente, que la vulgarisation des Évangiles est devenue de la plus grande opportunité. […] Le catholicisme a cela de remarquable que, par cela seul qu’il est la vérité, il élève tous les esprits dans une sphère de lumière qui les échauffe et les pénètre. […] Nous l’avons dit en commençant et nous le répétons en finissant ; car c’est l’idée qui doit incessamment planer sur tous les esprits religieux.

473. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Sa tournure d’esprit. […] Ce corps ne pesait guère devant cet esprit. […] Caractère, tournure d’esprit, idées littéraires. […] L’esprit qui parle de plain-pied à l’esprit et quelquefois te cœur qui parle au cœur. […] Un compliment, c’est un peu d’amour dans beaucoup d’esprit ; c’est juste la mesure du cœur et de l’esprit de Marot.

474. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

. — esprit des institutions militaires, par le duc de raguse. — mort d’alexandre soumet. — jules de rességuier. — latour de saint-ibar. — virginie. […] Un sentiment élevé d’intelligence et d’impartialité circule à travers l’ouvrage et fait honneur au cœur aussi bien qu’à l’esprit de M. […] Espérons que l’esprit public et patriotique en France en recevra une heureuse influence. […] Villemain redouble, nous dit-on, de vivacité et d’esprit ; il est comme ces coursiers généreux qui, ayant bronché un moment, se redressent et reprennent le galop avec plus de frémissement et de vigueur. […] Vinet a dépensé, dans le Semeur, tant de bon esprit et de victorieuses raisons sans parvenir à entamer la conviction de l’auteur.

475. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Un homme qui a plus que du talent, un grand esprit et une plume éloquente, c’est nommer M. […] Le côté même sérieux de ces discussions ne sortait pas du pur domaine de l’esprit. […] Oui, l’esprit qui présida à cette première édition fut, je ne crains pas de le proclamer (et tout ce qui s’est passé à l’occasion de la dernière vient assez hautement à l’appui), fut, dis-je, un esprit de discrétion, de respect, de ménagement et d’édification pour les lecteurs. […] Cet esprit se dit, et avec raison : « Mettons tout Pascal quand même !  […] Et cela indépendamment de la grandeur de leurs esprits et de la nature des idées.

476. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Deuxième élément, l’esprit classique. […] C’est pourquoi, dans toutes ses parties, vocabulaire et grammaire, la langue se réforme et se reforme sur le modèle de leur esprit, qui est l’esprit régnant  En premier lieu, le vocabulaire s’allège. […] En effet, c’est l’idéologie, dernier produit du siècle, qui va donner de l’esprit classique la formule finale et le dernier mot. […] Ils ne soupçonnent pas qu’il y ait rien de plus ; l’esprit classique n’a que des prises courtes, une compréhension bornée. […] Condorcet, Esquisse d’un tableau historique de l’esprit humain, neuvième époque.

477. (1892) Boileau « Chapitre IV. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » » pp. 89-120

Non, la raison de Boileau n’a rien de commun avec l’esprit positif, calculateur, prosaïque, de la bourgeoisie de 1830. […] Ils enjolivaient à plaisir une idée de leur esprit ou de l’esprit public, et figuraient Artamène ou Astrate, qui ne représentent aucune réalité vivante. D’autres plongeaient dans le fin du fin, et trouvaient des délicatesses infiniment subtiles de pensée et d’expression : il leur fallait avoir un esprit qui ne fût qu’à eux, quelque chose d’exquis et de rare, dont il n’y eût pas d’autre exemplaire en aucun lieu du monde des esprits. […] Avec la dévotion la plus ardente, il garde toute la liberté de son esprit, et il exprime ce qu’il a en lui, lorsqu’il semble traduire ce qui était chez les anciens. […] Car, si l’imitation de la nature, et de la nature qu’aperçoivent et reflètent tous les esprits, est la loi souveraine, il semble bien que l’œuvre d’art doive avoir ces deux caractères : objectivité et impersonnalité.

478. (1894) Écrivains d’aujourd’hui

Et il manque d’esprit. […] Sa vigueur d’esprit. […] Les limites de son esprit sont aussi bien celles dont l’esprit français ne sort que rarement. […] Son tour d’esprit. […] Il fera travailler les esprits.

479. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Introduction » pp. 3-17

Comme exemple, je citerai deux axiomes de la critique française, que bien certainement aucun esprit assez mal fait, en France, n’a jamais eu, n’aura jamais l’idée de mettre en doute. […] Or, 1º la personne d’Alfred de Musset remplit son théâtre : il est l’amant de Camille, le neveu de Van Buch ; il montre trop d’esprit et trop de son esprit, quand il dispute contre son oncle ; 2º il rêve, il fait de la fantaisie sur la scène, de même que dans ses Nuits ou dans Rolla ; qu’est-ce qu’une comédie qui s’ouvre par le chant d’un chœur : « Doucement bercé sur sa mule fringante, Messer Blazius s’avance dans les bluets fleuris1 ?  […] Fions-nous à toutes les impressions du beau et du laid, du sublime, du comique, du tragique, etc. sur notre esprit et sur notre âme, en priant notre bon ange de nous garder des théories et des définitions, qui ôtent au sens littéraire sa candeur naïve, et de la logique, qui lue la liberté. […] Ce sont moins des écoles que trois différents esprits de la critique, et, pour ainsi dire, trois moments par lesquels doit passer successivement la pensée de tout homme qui, dans ce siècle où chaque chose est mise en question, examine la question de la critique littéraire : 1º le moment dogmatique (l’esprit humain affirme d’abord) ; 2º le moment critique (c’est vraiment la crise de l’intelligence ; nous ne croyons plus : resterons-nous sceptiques ?)  […] Ce livre est l’histoire d’un esprit qui a passé par ces trois moments.

480. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 140-155

En Religion, comme en Morale, tout est établi & calculé par une Providence sage, tandis que tout devient incertain & arbitraire dès que l’esprit n’a plus de frein. […] Les ressources de l’esprit se tournent alors du côté de l’intérêt des passions. […] Ce Traité d’éducation, le plus chimérique qu’un homme ait pu concevoir, est un assemblage continuel de sublime & de sublimités, de raison & d’extravagance, d’esprit & de puérilité, de Religion & d’impiété, de philanthropie & de causticité. […] Rousseau, un Auteur doué d’un génie fécond, mais versatil ; d’une imagination brillante, mais exaltée ; d’une ame sensible, mais trop sévere ; d’un esprit judicieux, mais bizarre. […] Il seroit en effet injuste de le confondre avec le commun des Esprits forts, s’il est vrai sur-tout qu’il ait été réellement dupe de ses idées.

481. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « I. Saint Thomas d’Aquin »

L’auteur a l’esprit de sa consigne. […] Jourdain, car les esprits absolus n’acceptent rien et veulent tout prendre, mais l’Académie les a acceptées. […] Esprit de juste milieu qui se démène, — rendons lui cette justice, — pour être juste, il reste milieu, mais non juste, à peu près en toutes choses, et c’est par là qu’il a triomphé ! […] Les qualités de cet esprit pour lequel on pouvait inventer, mieux que pour personne, le mot d’esprit fort, sont l’énormité de la puissance dans la nuance, la force d’équilibre, la statique, la froideur du front. […] Même saint Thomas dans le problème humain, dans l’ordre des connaissances naturelles, ne peut rien quand il s’agit d’ajouter une certitude à celles que l’esprit de l’homme craint de ne pas avoir.

482. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Notes et pensées » pp. 441-535

En un mot, l’homme qui passe pour avoir eu le plus d’esprit, est celui qui a l’esprit de demain et d’après demain. […] Ampère, — cet homme d’esprit qui causait avec tant d’agrément et qui professait d’une manière si pénible. […] Villemain est un rhétoricien, le contraire d’un esprit sincèrement historique et d’une nature vérace. […] bien peu d’esprits y résistent, et surtout quand le talent y trouve son compte. […] Il ne voulait pas perdre ni laisser tomber à terre une seule des miettes de son esprit.

483. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Le goût des mathématiques pourtant survécut peu en lui à ce double effort ; celui des sciences physiques occupa plus longtemps son esprit. […] On peut dire que, pour bien des esprits distingués, c’était un compte rendu de leurs impressions et de leurs jugements sous une forme nette qu’ils durent vite adopter et reproduire9. […] En France, vers 1820, des esprits éminents s’occupaient avec ardeur, chacun dans sa voie, de cette réforme considérable. […] Guizot, continuait pourtant lui-même l’histoire philosophique, tout en la transformant ; il analysait les faits, les élevait à l’idée, les réduisait en éléments, les groupait enfin et les distribuait selon les vues de l’esprit ; mais, comme cet esprit était très-étendu, très-perçant, très-impartial dans l’ordre des idées, il évitait cette direction exclusive qu’on reprochait aux écrivains du xviiie  siècle. […] Est-ce exagération d’un système absolu dont un homme d’esprit a peine lui-même à se défendre ?

484. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Son art n’est que la hardiesse d’un esprit timide et le feu d’un homme froid. […] Cet esprit-là ne regarde en face ni lui ni les autres. […] Il s’ajoutait à cette première illusion un esprit de patriotisme respectable. […] Il trouva les esprits et les cœurs tout prêts. […] Et pourtant, tel est le péril que fait courir la mode aux esprits les plus originaux, qu’on n’est pas fâché de le voir, las tout d’abord de Paris, voyager deux ans en Suisse, en Italie, visiter en Orient les horizons de son enfance, et mettre les monts et les mers entre lui et le tour d’esprit passager qui rendait Bertin, Parny et Lebrun populaires.

485. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVIII. Des obstacles qui avaient retardé l’éloquence parmi nous ; de sa renaissance, de sa marche et de ses progrès. »

Outre que l’éloquence n’influe en rien sur l’État, et qu’il n’y a presque jamais de grands talents sans de grands objets, les esprits, les âmes, les caractères, tout y est assujetti à une certaine mesure. […] En général, nous avons de la vivacité dans le caractère, et de la sagesse dans l’esprit. […] Depuis François Ier, époque de la renaissance des lettres, l’esprit national s’avança peu à peu vers ce terme. […] Alors les esprits comme les caractères se combattent ; tout se heurte et se repousse ; tout prend le poids que lui donne sa force. […] Les esprits se trouvaient dans cette disposition, quand Louis XIV, à qui il fut enfin permis d’être roi, développa son caractère, et fit naître de grands événements.

486. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 92-99

Pour les former, il faut qu’elle réunisse tous les talens & toutes les vertus, un esprit capable de toutes les connoissances, un cœur rempli de tous les sentimens. […] Sa maniere de traiter les matieres les plus abstraites a cela de particulier, qu’elle est à la portée de tous les esprits. […] On ne peut se rendre ainsi maître de l’esprit des autres, qu’après s’être, avant toutes choses, rendu maître du sien. […] Aussi tous les genres de savoir, acquis par une application infatigable, avoient-ils concouru à enrichir l’esprit de M. Daguesseau de la substance de tous les autres esprits.

487. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre V. Comment finissent les comédiennes » pp. 216-393

Que d’esprit du côté du Prince des Sots ! […] L’hiver, il s’illumine de cet esprit. […] comment va l’esprit en toute cette affaire ! où est l’esprit ? […] Quelle gaieté jetée à pleines mains comme l’esprit !

488. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Nous sommes sujets à la léthargie du cœur comme à celle de l’esprit. […] On décrit, on peint, on colore les choses d’épithètes flamboyantes, quand on a l’esprit sec et délié. […] Essayez de démêler les principaux traits de votre caractère et de votre esprit, et ne prenez que ce qui en vient directement. […] Il en de si peu naturel aussi que de vouloir mettre toute son âme, tout son esprit dans chaque mot. […] Le temps présent est dur pour la culture délicate de l’esprit.

489. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

Michaud, vous devez être content, il y a de l’esprit dans notre journal. » — « Oui, répondit l’ami de M. de Bonald, et c’est précisément ce que je n’y aime pas : il y a toujours quelque chose de satanique dans l’esprit. » On croit entendre M. de Bonald lui-même. En tout M. de Bonald, par la forme et la direction de son esprit, est hébraïque, romain, patricien à l’antique, et l’ennemi des Grecs. […] À un homme d’esprit il ne faut qu’une femme de sens : c’est trop de deux esprits dans une maison. […] Peu à peu les antipathies d’esprit et de nature pourtant se déclarèrent ; et la politique les fit éclater après 1815. […] M. de Bonald, en causant, avait de ces mots d’homme d’esprit, et sur lui-même.

490. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Mémoires du cardinal de Retz. (Collection Michaud et Poujoulat, édition Champollion.) 1837 » pp. 40-61

Un homme de beaucoup d’esprit, et, ce qui vaut mieux, d’un très bon et judicieux esprit, M. de Sainte-Aulaire, a fait de cette vue l’idée principale de son Histoire de la Fronde ; il s’est attaché à en dégager en quelque sorte l’élément constitutionnel trop tôt masqué et dénaturé au gré des factions. […] Les nouvelles de la révolution de Naples, celles de la révolution d’Angleterre, apportaient alors aux esprits comme un vent de sédition. […] Elle en avait une même dans l’esprit qui avait ses charmes, parce qu’elle avait des réveils lumineux et surprenants ». […] Le style de Retz est de la plus belle langue ; il est plein de feu, et l’esprit des choses y circule. […] Il avait le don de la parole, et ce qui se jouait et se peignait dans son esprit ne faisait qu’un bond sur le papier.

491. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Fiévée, en causant avec Bonaparte, fasse preuve de tout son esprit, et en use en toute liberté et franchise, rien de plus simple et de mieux entendu. Un homme ne doit jamais s’effacer devant un homme, et surtout quand c’est son esprit que l’on consulte. […] Pour séduire une société en dissolution, il fallait plus d’esprit, d’ironie, d’immoralité, que de raisonnements dogmatiques ou profonds. […] La Correspondance en avançant se gâte un peu ; l’inconvénient de n’être qu’un homme d’esprit se montre. […] En l’écoutant, il était aisé de voir qu’il aimait l’esprit avant tout ; c’est encore ce qu’il aimait le mieux dans le monde.

492. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Grimm. — II. (Fin.) » pp. 308-328

C’est à de tels esprits qu’il était vraiment honorable de plaire. […] En l’interrogeant là-dessus, nous ne tarderons pas à le connaître dans la qualité de son esprit et dans l’excellence de son jugement. […] Insensible à tout autre genre de beauté, tout ce qui ne finissait pas par un tour d’esprit était nul pour lui. […] Alors il essaye de la poésie didactique et philosophique à la suite de Voltaire ; mais le vent tourne encore, et L’Esprit des lois de Montesquieu vient tenter Helvétius d’entreprendre ce malencontreux livre De l’esprit, qui arrivera lui-même quand le moment de faveur sera passé. […] Catherine, informée par Grimm, voulut réparer ce malheur d’une femme d’esprit, et y mit elle-même une délicatesse de femme, jointe à une grandeur de souveraine.

493. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Monsieur Arnault, de l’Institut. » pp. 496-517

Arnault est un de ceux qui ont une physionomie et un caractère ; il est bien de sa date, et il en est avec esprit, avec naturel et sans fadeur. […] Ses goûts étaient ceux d’un honnête homme qui avait du mouvement dans l’imagination, du trait dans l’esprit, et de bons sentiments dans le cœur. […] Dans une première conversation qu’il eut avec Arnault, Regnault de Saint-Jean-d’Angély présent, il le fit causer de Paris et de l’esprit qui y régnait, puis ne dédaigna point de causer lui-même et de parler de ses opérations de guerre, de sa tactique et de l’esprit qu’il y apportait. […] Je pourrais raconter là-dessus des anecdotes intéressantes qui prouveraient combien Arnault, cet homme d’esprit un peu caustique, était droit et bon. […] Mais, encore une fois, je renvoie aux fables et apologues où ce côté de son esprit revit tout entier.

494. (1919) L’énergie spirituelle. Essais et conférences « Chapitre VI. L’effort intellectuel »

Il y a des travaux de l’esprit dont on ne conçoit pas qu’ils s’accomplissent avec aisance et facilité. […] L’esprit reste, comme nous Le disions, sur un seul et même « plan de conscience ». […] Mais l’unité vers laquelle l’esprit marche alors n’est pas une unité abstraite, sèche et vide. […] Il faut donc bien que le problème soit représenté à l’esprit, et tout autrement que sous forme d’image. […] À côté du développement de l’esprit sur un seul plan, en surface, il y a le mouvement de l’esprit qui va d’un plan à un autre plan, en profondeur.

495. (1922) Le stupide XIXe siècle, exposé des insanités meurtrières qui se sont abattues sur la France depuis 130 ans, 1789-1919

Le silence de l’esprit de raillerie et de fronde prouve l’universalité de l’esprit de jobarderie. […] Joie de l’esprit et du regard ! […] L’esprit est dans les lettres du roi Henri IV, esprit léger, se raillant soi-même, et mesurant le rire à la grandeur. […] Attendu qu’elle meuble l’esprit, mais ne le forme pas. […] Au lieu que le mal de l’esprit (qui fut celui de notre Stupide) peut parfaitement se traiter par l’esprit.

496. (1892) Boileau « Chapitre VI. La critique de Boileau (Fin). La querelle des anciens et des modernes » pp. 156-181

Il ne faut pas oublier cependant que l’Art poétique est le terme d’une évolution commencée avant Descartes, et par conséquent hors de son influence : il est l’expression complète de l’esprit classique, qui n’a point son origine et sa cause dans l’esprit cartésien ; mais l’esprit classique et l’esprit cartésien sont deux effets parallèles et deux manifestations formellement différentes d’une même cause, d’un certain esprit général qui s’est trouvé formé au commencement du xviie  siècle d’une association d’éléments et par un concours d’influences dont je n’ai pas ici à tenter l’analyse. […] Au contraire Racine, Molière, La Fontaine ont tous dans l’esprit un idéal d’art, un type formel où la nature s’exprime dans son énergie et son caractère, mais de plus se revêt d’une absolue beauté. […] Il annonçait l’intention de passer en revue tous les arts, toutes les sciences et tous les genres littéraires : architecture, sculpture, peinture, astronomie, géographie, navigation, physique, chimie, mécanique, éloquence, poésie ; et dresser le bilan des progrès de l’esprit humain. […] Il eût fallu à l’honnête Despréaux plus d’agilité et de souplesse d’esprit, plus de légèreté de main qu’il n’en avait, pour sortir à son honneur de cette polémique. […] Au reste, si Perrault était imbu de l’esprit cartésien, Boileau ne l’était pas moins.

497. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits de Fénelon. (1850.) » pp. 1-21

Destouches, alors âgé de quarante-trois ans, servait dans l’artillerie et avec distinction ; il était homme d’esprit, cultivé, et goûtait fort Virgile. […] Ceux qui les ont faites avaient beaucoup d’esprit, mais ils ont voulu en avoir ; il ne faut en avoir que par mégarde et sans y songer. Elles sont faites dans l’esprit de Tacite, qui creuse dans le mal. […] Des traits sérieux et touchants traversent ces jeux de l’esprit. […] Fénelon a eu l’esprit de piété, et il a eu l’esprit de l’Antiquité.

498. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Mais après la Révolution française, le vide s’était fait dans les esprits, et les adversaires du sensualisme s’attachèrent au premier point d’appui qui se présenta. […] Royer-Collard, pénétrantes et distinctes, entraient dans l’esprit comme les sons perçants d’un battant d’acier. Au besoin, il les multipliait ; coup sur coup, répétées, résonnantes, elles tintaient et emportaient dans leurs volées vibrantes l’esprit étourdi et accablé. […] J’étudie la perception extérieure pour réfuter les sceptiques et discipliner l’esprit humain. […] Celui que nous apercevons est un fantôme de notre esprit.

499. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 338-339

Quelques Poésies fugitives, pleines d’esprit, de délicatesse & de sentiment, à la tête desquelles il faut placer le Rajeunissement inutile, ont établi sa réputation pendant qu’il vivoit, & pourront même la soutenir encore après sa mort. […] Des Génies qui se manifestent, en s’emparant des Esprits qui contribuent aux progrès de l’Esprit même, qui sont animés d’une passion constante pour l’Esprit en général, sans presque aucun retour sur la portion d’Esprit qu’ils ont eux-mêmes. Le sang l’attachoit * au Ministre **, dont la confiance & la faveur lui étoient nécessaires ; &, par un double engagement, ce digne Ministre animoit & favorisoit les productions de l’Esprit par ce goût que nous avons naturellement pour nos propres richesses.

500. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

il n’est pas, dans tout cet inventaire, un livre dont le titre éveille l’esprit, l’attire et donne à penser qu’il y ait une idée derrière le titre. […] Franchement, en voyant cela, on tremble un peu pour la société dont on fait partie, si, comme le disait un grand esprit exact et sévère, et comme on l’a tant répété depuis, la littérature est l’expression de la société. […] Auguste Nicolas, effrayé de l’influence d’un nom imposant, même sur les esprits les plus fermes, s’est cru le devoir de répondre à Guizot, et sa réponse, qui s’est grossie de toutes les alluvions d’une donnée féconde et d’un esprit naturellement fertilisant, a été la démonstration de l’impossibilité radicale, absolue, pour le catholicisme, de cette coalition à laquelle il est invité. La meilleure raison qu’on puisse invoquer de cette impossibilité, qui vient de la nature des choses et non de l’intolérance des esprits, tient à l’essence même du protestantisme, à son origine et à sa descendance. […] Pour des hommes du monde, toute cette politesse, qui n’est jamais affectée et qui est toujours infinie, serait peut-être d’une ironie cruelle et profonde ; mais les gens du monde ignorent trop combien la charité a d’esprit et de loyauté dans l’esprit, et comme saint Vincent de Paul l’emporte, même en amabilité, sur Voltaire.

501. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Fénelon. Sa correspondance spirituelle et politique. — II. (Fin.) » pp. 36-54

Il en eut pourtant toujours quelque chose dans l’esprit, dans le tour raisonneur, appliqué, logique, en même temps que dans le docte, poli et pur langage. […] Le duc de Chevreuse n’en profita pas tout à fait dans le sens et dans l’esprit qu’il aurait fallu. […] C’est que vous suivez trop votre esprit d’anatomie et d’exactitude en chaque chose. […] Et encore : « Vous êtes trop accoutumé à laisser votre esprit s’appliquer. […] Ce fut alors une inspiration générale, un souffle naturel qui se répandait dans toute une classe d’esprits élevés, ou simplement humains, sensés et doux.

502. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Le peuple dit : « Il est beau comme un ange, et il a de l’esprit comme un démon. » Voilà le sens commun. […] Leur théorie ne laisse pas d’éprouver de secrets échecs, et il y a bien des moments où le corps a raison de l’esprit. […] Son traité, à en résumer l’esprit et les termes, est la gageure chrétienne la plus poussée que j’aie vue contre la nature. […] Il y a aussi des indigestions d’esprit. […] Mme Swetchine n’eut pas de cesse qu’elle ne l’eût amené à se priver de cette montre, par esprit de mortification.

503. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Il avait commencé comme le peuple commence ; il finit comme aiment à finir les esprits cultivés et avertis. […] Les esprits droits et logiques (et tout esprit simple l’est aisément), qui comptent trop sur une vraie fable, peuvent être parfois un peu déconcertés. […] Dans de telles lectures, notons-le bien, l’épreuve est réciproque : on éprouve dans une certaine mesure l’ouvrage qu’on soumet ; on n’éprouve pas moins les esprits à qui on le soumet. […] Il y a un symptôme général à constater, et dont on serait coupable de ne pas tenir compte : l’esprit de la classe ouvrière à Paris s’améliore. […] » Le règne de ces théories délicieuses, de ces jouissances raffinées de l’esprit et de l’amour-propre, est passé.

504. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Son esprit comme son cœur porta toujours l’empreinte de ces deux moments. […] Après Horace, après Socrate et Franklin, après tous les moralistes, il avait aimé simplement à converser sur le thème éternel, à rappeler quelques vérités aux esprits revenus, capables de les entendre ; il avait espéré les insinuer surtout aux esprits jeunes, à ceux qui le liraient dans l’âge des résolutions généreuses. […] Cet éloge, qu’il composa presque en entier avec un heureux tissu de phrases choisies dans Montaigne, annonce, par la pensée comme par le ton, un esprit juste, une oreille juste, une âme sensible, noble, élevée. […] Droz, au plus durable, et à celui qui lui assure un rang définitif parmi les meilleurs esprits. […] En quoi l’esprit nobiliaire régnant en France était-il différent de l’esprit aristocratique ?

505. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Peu d’esprits ont su concilier avec une semblable impartialité les idées les plus diverses et en apparence même les plus opposées. […] C’est en cela surtout qu’il était original et se distinguait des autres esprits de son temps. […] Lui-même signale quelque part avec esprit cette maladie de ses contemporains. […] Un niveau général de médiocrité s’impose ainsi aux choses de l’esprit. […] En un mot, ce qu’il appelait tempérer la démocratie, c’était y répandre l’esprit de liberté.

506. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

La cervèle se prend aussi pour l’esprit, le jugement ; ô la belle tête ! […] la tête lui a tourné, c’est-à-dire, qu’il a perdu le bon sens, la présence d’esprit. […] Les amateurs de la simple vérité aiment bien mieux avouer qu’ils ignorent, que de fixer ainsi leur esprit à des illusions. […] Paul, la lettre tue et l’esprit done la vie. […] Ce choix est un éfet de la finesse de l’esprit, et supose une grande conoissance de la langue.

507. (1902) Le culte des idoles pp. 9-94

Tel est l’esprit de la science, paraît-il ; c’est de n’en point avoir. […] Cette idée de l’esprit classique, M.  […] Taine une pareille lecture serait indigne d’un grand esprit. […] Taine, ou l’un de ses disciples, vous répondra : « Vous n’avez pas l’esprit philosophique. » Car non seulement M.  […] Histoire de l’Esprit Français.

508. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

Les histoires amoureuses de Bussy et les historiettes de Tallemant, bien qu’appartenant les unes et les autres à la chronique plus ou moins scandaleuse, ne doivent pas être rangées pourtant sur la même ligne ni se rapporter au même esprit. […] Mme de Montglat avait en Bussy un homme d’esprit à elle, et elle voulait l’occuper à son usage. […] Ainsi pour l’esprit ; les uns l’avaient tout raffiné, d’autres à deux pas étaient encore grossiers ou barbares. […] Il est homme de qualité, il a toujours eu beaucoup d’esprit, et je l’ai vu autrefois en état de pouvoir espérer une haute fortune, à laquelle sont parvenus beaucoup de gens qui lui étaient inférieurs. […] Paul Boiteau a été pour lui un annotateur comme il s’en voit peu, d’un éveil, d’un entrain, d’une verve mêlée à l’esprit, d'une poésie même, dans un genre qui en comporte peu.

509. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Légendes françaises. Rabelais par M. Eugène Noël. (1850.) » pp. 1-18

Je dirai tout à l’heure un mot de l’esprit dans lequel a été composée cette petite brochure, quand j’aurai moi-même causé un moment avec le maître, et essayé de m’en rafraîchir l’idée. […] Laissons ces esprits sans amour et sans flamme, sans désir ; ce sont les tièdes : ils manquent du feu sacré dans les lettres. […] Ces esprits-là ne sont pas indifférents comme les autres ; ils ne sont pas tièdes, mais un peu volages et libertins : je crains que, nous autres critiques, nous n’en tenions. […] Il y a de tout dans son livre, et chaque admirateur peut se flatter d’y découvrir ce qui est le plus analogue à son propre esprit. […] Nul auteur n’a été plus admiré que Rabelais, mais il l’a été de deux manières et comme par deux races, très distinctes d’esprit et de procédé.

510. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

On a du loisir et de la liberté d’esprit et l’on se croit en droit d’en profiter sans beaucoup de reconnaissance. […] Le danger, aujourd’hui, pour quantité d’esprits distingués, atteints dans leurs habitudes, dans leur symbole politique, et qui ont à se plaindre des choses, serait de se fixer dans une disposition habituelle de rancune, d’hostilité sans grandeur, de jugement ironique et satirique : il en résulterait une altération, à la longue, dans le fond même de leur esprit et de leur jugement. […] Un esprit bien fait, qui saura ces choses, et qui y joindra assez de latin pour goûter seulement Virgile, Horace et Tacite (je ne prends que ces trois-là), vaudra tout autant pour la société actuelle et prochaine que des esprits qui ne sauraient rien que par les livres, par les auteurs, et qui ne communiqueraient avec les choses réelles que par de belles citations littéraires. […] des gens qui croiraient de ces choses dix ans de suite, n’en sortiraient pas sans un tic fâcheux dans l’esprit. […] Je leur rappelle donc, pour qu’ils s’en méfient, ce qu’ils savent aussi bien que moi : De toutes les dispositions de l’esprit, l’ironie est la moins intelligente.

511. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Sachez cependant parler son langage à chacun de ces esprits dont se compose l’esprit universel. Soyez brillant avec les esprits brillants ; soyez sobre avec les esprits bornés ; ayez soin de vêtir convenablement la vérité un peu nue ; aimez à dégager la beauté des voiles qui la gênent. — Un grand esprit a le défaut suprême de ne voir que l’ensemble et de négliger les détails ; un petit esprit a cette grande qualité d’embrasser une quantité d’objets curieux, utiles, bons à étudier, bons à savoir ; l’esprit enjoué, grâce à sa bonne humeur, fait passer bien des choses d’une rude et cruelle digestion. […] — Enfin, pas un mortel, pas même Voltaire, n’eut jamais en partage, à lui seul, tous les genres d’esprit ; c’est l’esprit qu’on n’a pas qui gâte celui qu’on a. […] Bulwer a tant d’esprit ! […] Bulwer n’eût pas fait ce drame déshonorant pour son esprit.

512. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Louis XIV. Quinze ans de règne »

Ainsi, ne l’oublions pas et mettons-la au premier rang, l’histoire de la Régence, par Lémontey, cet esprit profond dans la finesse comme il y a des esprits fins dans la profondeur. […] On a beau s’être voué au culte sévère de l’Histoire et s’efforcer de grandir en soi ce sentiment de l’impartialité qui fait de l’homme plus qu’un homme, on est entraîné par la nature de son esprit vers les sujets qui ont avec cet esprit de mystérieuses analogies. […] C’est un esprit calme et lucide, que les choses, quand elles sont puissantes et colorées, teignent de leurs reflets, mais sans le troubler. […] Ernest Moret n’appartient pas à cette race d’esprits. […] En France, l’esprit, dont on a tant, est si souvent le roi fainéant des idées communes !

513. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Les livres, se disait-elle, ont toujours plus d’esprit que les hommes qu’on rencontre. […] La vie politique était encore trop agitée pour que les hommes d’un esprit supérieur dirigeassent leurs spéculations vers le monde des esprits. […] Mais en même temps, Sismondi marque avec énergie la ligne à laquelle il s’arrête, et où bien des esprits éclairés s’arrêteront avec lui. […] Sa société était celle des savants de Genève où les femmes sont fort mêlées : « Malgré tous nos malheurs, disait-il, c’est encore à Genève, je crois, qu’on trouve le plus d’esprit chez tout le monde, et comme marchandise commune. » Ailleurs, à Coppet, à Paris, à Florence, Sismondi devait faire des frais : à Genève il s’en tirait avec son esprit de tous les jours. […] Il a tout changé pour elle, patrie, condition, figure, esprit.

514. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

Le naturalisme, par l’importance même qu’il attribue à l’objet, pousse facilement à diminuer la part de l’ouvrier ; et d’autre part les artistes qui ne savent pas très bien leur métier, ou les gens d’esprit qui ne sont pas artistes, oublient facilement que la faculté de sentir n’implique pas toujours une puissance égale d’expression, jet que l’image qu’on a dans l’esprit ne s’objective pas toute seule, sans grand labeur et contention d’esprit. […] Comme s’il ne fallait pas d’autant plus d’esprit et de talent que la chose est plus grande, pour la bien exprimer ! […] Boileau n’affranchit jamais, quand il s’agit de poésie, le jugement rationnel de l’esprit de la sensation irraisonnée de l’oreille. […] Dans l’ancienne société, bien assise, qui se croyait fondée pour l’éternité et sur la vérité, les lettres étaient le charme des loisirs, un repos et une agréable distraction des esprits. […] Il ne leur déplaisait pas de sentir entre leur esprit et la nature un esprit puissant ou fin, un intermédiaire officieux qui se chargeait d’accommoder celle-ci à celui-là.

515. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

On voit l’esprit général du livre et de l’auteur dans sa préface. […] Je n’ai point naturellement l’esprit désapprobateur. […] Il n’y a qu’un esprit des lois, c’est le rapport exact des lois et des croyances. On ne peut pas faire un ouvrage dogmatique sur l’esprit des lois. […] Les législateurs en axiomes sont des esprits chimériques ou menteurs.

516. (1864) Le positivisme anglais. Étude sur Stuart Mill

Il en est de même pour l’esprit. […] Cela dépend de la structure de notre esprit. […] Il n’y a pas d’esprit plus rigoureux. […] Il a décrit l’esprit anglais en croyant décrire l’esprit humain. […] L’esprit religieux et l’esprit positif y vivent côte à côte et séparés.

517. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

Une fois Saint-Cyr établi, Mme de Maintenon s’y adonne tout entière ; se considérant comme chargée d’une mission par le roi et par l’État, elle y consacre les moindres parcelles de son temps et y dirige toute la lumière et tout l’effort de son esprit. […] Une femme poète, mère de famille, pieuse et sans tache, un esprit profond et doux, Mrs. […] L’une de ces pièces s’adresse à un mort ou à une morte chérie : À un esprit qui s’en est allé Du haut des brillantes étoiles, ou du sein de l’air invisible, ou de quelque monde que n’atteint point l’humaine pensée, Esprit ! doux Esprit ! […] Ton esprit, nourri parmi ces collines et ces ombrages, a-t-il toujours respecté ses premiers et ses plus hauts songes ?

518. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre V. La Fontaine »

En pleine force du corps et de l’esprit, il lâcha tout, charge, femme et fils, pour venir à Paris, et vivre à la solde d’amateurs généreux. […] C’est un artiste en plaisirs, qui excelle à s’en fabriquer de toutes sortes et de toutes qualités, avec tous ses sens et tout son esprit. […] De la tradition gauloise, c’est-à-dire purement française, il tient l’esprit, le récit leste et vif, la raillerie subtile et pénétrante, sans parler de l’immoralité qui est un jeu de l’esprit plutôt qu’une fougue des sens. […] L’esprit l’a séduit d’abord, et tous les précieux, les Italiens, Voiture. […] Un vif courant de sensualité épicurienne circule dans leurs œuvres, où les appétits de la chair excitent l’indépendance de l’esprit.

519. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Pensées de Pascal. Édition nouvelle avec notes et commentaires, par M. E. Havet. » pp. 523-539

Pascal était un grand esprit et un grand cœur, ce que ne sont pas toujours les grands esprits : et tout ce qu’il a fait dans l’ordre de l’esprit et dans l’ordre du cœur, porte un cachet d’invention et d’originalité qui atteste la force, la profondeur, une poursuite ardente et comme acharnée de la vérité. […] On peut rester incrédule après avoir lu Pascal, mais il n’est plus permis de railler ni de blasphémer ; et, en ce sens, il reste vrai qu’il a vaincu par un côté l’esprit du xviiie  siècle et de Voltaire. […] Tous les corps ensemble, et tous les esprits ensemble, et toutes leurs productions, ne valent pas le moindre mouvement de charité ; cela est d’un ordre infiniment plus élevé. […] De tous les corps et esprits, on n’en saurait tirer un mouvement de vraie charité ; cela est impossible, et d’un autre ordre, surnaturel. […] Sa conclusion résume bien l’esprit même de tout son travail : « En général, dit M. 

520. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence de la chaire. » pp. 205-232

Il croyoit l’art directement opposé à l’esprit de l’évangile : la manière de prêcher des apôtres étoit la seule qu’il approuvât. […] Aucun n’a négligé de convaincre l’esprit, d’échauffer le cœur, & de triompher des passions. […] On court puérilement après les fleurs & après l’esprit. […] Mais point d’esprit. […] Il entraîne, dans son petit carême, le courtisan, l’académicien & l’homme d’esprit.

521. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Prouvant que le soi-disant progrès de la civilisation a pour résultat l’amalgame des races, Gobineau reconnaît qu’on fait fausse route si l’on cherche dans les qualités d’une race la cause du développement de l’esprit démocratique ; mais il regarde cet esprit comme résultant de cet amalgame lui-même. […] Un rêve de cerveaux trop courts, tel serait, à en croire l’anthropologie renouvelée41, l’esprit égalitaire. […] Elle se présente à l’esprit comme la plus naturelle et la plus simple. […] Analysez l’esprit de la Révolution : vous trouvez au fond de votre creuset l’esprit cartésien, l’esprit classique, l’esprit chrétien44, c’est-à-dire des systèmes de pensées découverts ou des façons de penser instituées par des hommes supérieurs. […] S’agit-il surtout de la transmission d’un système d’idées, supposez deux esprits idéalement différents que peut l’un sur l’autre ?

522. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

C’est là l’esprit français. […] L’esprit de M.  […] Esprit ingénieux, curieux, laborieux. […] Penguilly soit dénué d’esprit poétique. […] Comme les maîtres qu’il affectionne, il possède l’énergie et l’esprit.

523. (1885) L’Art romantique

Son esprit de domination, esprit bien légitime, fatal d’ailleurs, avait presque entièrement disparu sous mille gentillesses. […] Seulement ainsi on en comprendra le sens et l’esprit. […] , elle s’est également bien moulée dans le fond de mon esprit. […] Mais cette explication est trop simple pour séduire longtemps un esprit philosophique. […] La folie de l’art est égale à l’abus de l’esprit.

524. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Oui, il est nécessaire de le répéter aux esprits superbes qui depuis quelque temps ont exagéré les proportions de chaque chose : dans l’orgueil de leurs sciences trompeuses, comme dans les grandes pyramides, il n’y a, au fond de l’Histoire, que des cadavres qui se remuèrent quelques jours ! […] Un esprit de cette gravité, de cette conscience, dédaignerait, après les grands travaux qu’il a publiés, de jeter au public les larves d’une pensée qui vivrait ailleurs, forte, organisée et complète. […] Il est des contagions d’idées qui attaquent plus ou moins les esprits de toute une époque. […] Et ceci tiendrait-il à un développement nouveau de cet esprit vigoureux, ou au genre du sujet qu’il traite ? […] Comme tous les esprits qui se froidissent en montant, — car l’esprit est soumis dans sa sphère aux lois que subit le corps dans la sienne, — Guizot a touché cette période de la vie morale qui faisait dire à un grand esprit calmé, l’illustre Goethe : « Le temps m’a rendu spectateur. » Pour tout homme, c’est la disposition qui le met le plus près de l’accomplissement de tout son être, qu’il s’appelle d’ailleurs Shakespeare, Machiavel, Walter Scott, trois grands hommes qui eurent aussi, tous les trois, cette froideur d’impartialité qui n’est pas la glace de l’âme, mais la sérénité du génie.

525. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIV. Vaublanc. Mémoires et Souvenirs » pp. 311-322

Tel fut cet homme politique que l’on connaît peu, mais qu’il faut apprendre à connaître ; qui traversa, sans se démentir, la Révolution, l’Empire et la Restauration ; esprit lucide, conséquent et ferme, resté au second rang, mais fait pour le premier ! […] Pour être lus et recherchés, il faut en effet que les Mémoires d’un homme qui n’est, d’ailleurs, ni Chateaubriand, ni Talleyrand, ni La Fayette, passionnent les esprits auxquels ils s’adressent, rallument des haines et vengent des revers. […] Ils rendent des services ; mais on ne taille pas dans un mâle esprit comme Vaublanc, qui parle toujours pour dire quelque chose, comme on taille dans les bavardages d’une commère de lettres comme Mme de Genlis. […] Eh bien, c’est cette justesse d’esprit nécessaire à l’homme le plus fort pour qu’il ait réellement du caractère, qu’avait suprêmement le comte de Vaublanc. […] En effet, il aurait été au pouvoir ce qu’il avait été pendant sa proscription, et il y eût certainement montré l’esprit de ressource et l’intrépidité froide et rusée qui forment le génie des hommes d’action en politique comme à la guerre.

526. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

pauvre esprit moderne, pauvre Werther ! […] L’harmonie fraternelle de l’esprit métaphysique et de l’esprit poétique ! […] Et qu’est-ce que l’esprit poétique, considéré pur également de tout mélange et réduit à son domaine propre, sinon l’esprit à qui suffit ce monde secondaire des effets que dédaigne l’esprit métaphysique ? […] D’où résulte en effet le véritable esprit religieux, sinon d’une alliance pareille à celle que nous découvrions tout à l’heure chez Dante et Goethe, entre l’esprit métaphysique et l’esprit poétique ? […] Comme chez lui l’équilibre entre l’esprit métaphysique et l’esprit poétique est peu naïf, peu instinctif, et qu’il est facile à rompre !

527. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Grandeur morale de l’esprit janséniste. […] Mais les rigueurs ne pouvaient vaincre à elles seules les esprits. […] Ainsi furent suspendues pour trois quarts de siècle les tendances qui composèrent l’esprit de l’âge suivant. […] Ils ont été des premiers à s’emparer du cartésianisme, ils en ont neutralisé l’esprit en s’en appropriant la méthode. […] Il est certain que l’esprit général de la casuistique catholique tend à adoucir l’austérité de la morale évangélique.

528. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Rassurez-vous, messieurs, les grands hommes en tout genre, — et surtout, je le dirai, dans l’ordre de l’esprit, — ne sont jamais des fous et des barbares. […] La critique et l’érudition, guidés par l’esprit historique, se sont livrés depuis quelques années à un grand travail qui a son prix, et dont je me garderai bien de diminuer l’importance et l’utilité incontestable. […] On est fier de simples trouvailles curieuses (quand elles le sont), qui n’exigent aucune méditation, aucun effort d’esprit, mais seulement la peine d’aller et de ramasser. […] Maintenons, messieurs, les degrés de l’art, les étages de l’esprit ; encourageons toute recherche laborieuse, mais laissons en tout la maîtrise au talent, à la méditation, au jugement, à la raison, au goût. […] Mais aussi il y a, même dans le cercle régulier et gradué des admirations légitimes, une certaine latitude à laisser à la diversité des goûts, des esprits et des âges.

529. (1868) Curiosités esthétiques « IV. Exposition universelle 1855 — Beaux-arts » pp. 211-244

J’en demande humblement pardon aux esprits académiques de tout genre qui habitent les différents ateliers de notre fabrique artistique. […] Il m’arrivera souvent d’apprécier un tableau uniquement par la somme d’idées ou de rêveries qu’il apportera dans mon esprit. […] Aux excentriques, aux blasés, à mille esprits délicats toujours en quête de nouveautés, même de nouveautés amères, il plaisait par la bizarrerie. […] Cette collection a été choisie avec beaucoup de tact, de manière à nous fournir des échantillons concluants et variés de son esprit et de son talent. […] Eh bien, la peinture de Delacroix me paraît la traduction de ces beaux jours de l’esprit.

530. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Le père Lacordaire. Quatre moments religieux au XIXe siècle. »

La vieillesse, qui flétrit le corps, rajeunit l’âme, quand elle n’est pas corrompue et oublieuse d’elle-même, et le moment de la mort est celui de la floraison de notre esprit. […] J’avoue que de grands coupables par l’esprit peuvent avoir des noms glorieux ; mais cette gloire est d’un ordre que les cœurs chrétiens ne reconnaissent pas. […] Mais ici je ne souris plus, et je dis avec toute l’énergie et la conviction d’un sentiment qui a aussi sa certitude : De telles assertions, mises en pratique, et appliquées dans l’éducation, seraient la mort des bonnes et saines études et du véritable esprit qui doit y présider, — de l’esprit proprement moderne. […] Honneur à elle, et à tous ces braves et nets esprits que les dogmes scolastico-religieux et la lettre des textes n’ont point arrêtés dans l’examen de la nature, dans l’inspection du ciel, dans la découverte de ses lois ! […] J’avais dix-sept à dix-huit ans quand je lisais cette suite de débauches d’esprit, et jamais depuis je n’ai eu la tentation d’en ouvrir un seul volume ; non par crainte, il est vrai, qu’ils me fissent du mal, mais par le sentiment profond de leur indignité.

531. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — S. — article » pp. 214-215

., Auteur qui a eu le courage de publier un Livre intitulé Tableau de l'Esprit & du Cœur, où il proscrit les conversations instructives & les Ouvrages agréables, en disant, avec un grand jugement, que l'utile est fait pour la plume, l'agréable pour la langue. […] A l'en croire, un sot est né pour bâiller, un homme d'esprit pour s'ennuyer. Il assure, avec un grand sang froid, qu'il n'y a qu'à ne rien désirer ici bas, & que tous les désirs seront remplis ; que l'aigreur de la prononciation annonce un esprit obscur & embarrassé ; que tous les gens brusques n'ont pas des idées nettes. […] J'ai quelquefois admiré , dit-il, la patience des Romains ; il falloit qu'elle fût bien grande, d'être obligés d'écouter un Orateur aussi babillard ; leur esprit étoit d'une furieuse trempe, pour résister au torrent d'un babil qui ne veut rien dire . […] Quand on sait faire ainsi le Tableau du Cœur & de l'Esprit, le cœur, ou tout au moins l'esprit de l'Auteur, & l'Auteur lui-même, ne doivent-ils pas se cacher bien loin derriere le Tableau ?

532. (1865) Introduction à l’étude de la médecine expérimentale

Notre esprit peut toujours rester libre de les accepter ou de les discuter. […] L’esprit vraiment scientifique devrait donc nous rendre modestes et bienveillants. […] Il s’agit là d’une création spontanée de l’esprit, et cela n’a plus rien de commun avec la constatation des phénomènes naturels, dans lesquels notre esprit ne doit rien créer. […] Le point d’appui du corps, c’est le sol dont le pied a la sensation ; le point d’appui de l’esprit, c’est le connu, c’est-à-dire une vérité ou un principe dont l’esprit a conscience. […] En effet, dans toute initiative, l’esprit raisonne toujours, et même quand nous semblons faire les choses sans motifs, une logique instinctive dirige l’esprit.

533. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre II. Les génies »

Et je criai : « Esprit, viens des quatre vents, souffle, et que ces morts revivent. » L’Esprit vint. […] Jean est un esprit. […] Ces poètes sont des combattants de l’esprit. […] Tous sont l’Esprit. […] L’esprit allemand est brumeux, lumineux, épars.

534. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

C’est un être qui tient le milieu entre l’homme tel que nous sommes et l’esprit pur. […] C’est la communion d’esprit, en eux, qui était difficile. Ce n’est pas aux hommes d’esprit qu’il appartient de traiter de La Fontaine. C’est un malheur, pour La Fontaine, de tomber entre les mains d’un homme d’esprit. […] Lessing a été violemment contre La Fontaine, d’abord parce que Lessing, qui est un grand esprit, est aussi un esprit éminemment professoral, un esprit éminemment magistral, un esprit qui juge de tout, et ce n’est pas une faute, mais c’est une étroitesse, qui juge de tout au point de vue de l’antiquité.

535. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

Que ceux dont l’esprit a conçu et fixé nos mirages nous délivrent. […] On n’invente pas ce tour d’esprit, on le raconte lorsqu’on l’a. […] Sa nerveuse argumentation ne cesse de saisir nos esprits. […] Tous les genres se confondent dans les tournures d’esprit. […] Ces secousses guerrières se sont communiquées aux esprits.

536. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

Les anciens étaient des enfants en tout : en tout, les modernes représentent la maturité de l’esprit humain. […] La nature est toujours la même, inépuisable en sa force, constante en ses effets : donc il naît autant de bons esprits aujourd’hui que jadis. Chaque âge de l’humanité lègue aux suivants ses découvertes : donc les bons esprits d’aujourd’hui possèdent toutes les pensées des bons esprits de l’antiquité, et de plus celles qu’ils peuvent former eux-mêmes. […] Il suffit de lire dans Malebranche451 les mordants chapitres où il malmène les adorateurs de l’antiquité, pour comprendre ce que pouvait donner l’esprit cartésien quand on l’appliquait aux lettres et aux arts452. […] Et les gens du monde n’hésiteront pas : ils reconnaîtront dans ces modernes leurs préjugés, leur esprit, leur confiance dans la raison de leur temps et de leur classe, leur penchant à ridiculiser tout ce qui n’est pas conforme à leurs manières et accessible à leur intelligence, leur incapacité artistique, leur impuissance à goûter d’autres beautés que celles de l’esprit de conversation et de la vie élégante.

537. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Je pose la tasse et me tourne vers mon esprit. […] Tel est vraiment le premier temps de son esprit, quand il s’exerce. […] C’est son esprit tout seul qui a été jusqu’à elles. […] C’est un effort de l’esprit, de l’intelligence sur l’informe qui s’agite en nous et c’est une victoire de cet esprit, une victoire de cette intelligence. […] Auguste Comte : Discours sur l’Esprit Positif, p. 18.

538. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — I » pp. 93-106

Je ne sais rien de plus fait que ces deux volumes pour confirmer et accroître l’estime et le respect qu’inspirait déjà un des esprits les plus distingués et des plus honorables caractères de ce temps-ci. […] La complexité, qui est l’essence même de cet esprit distingué, fait aussi le cachet de son œuvre, et a pu faire hésiter quelquefois le lecteur superficiel sur son but véritable. […] J’admire les esprits dits philosophiques d’avoir, en telle matière, de ces certitudes. […] Dans ses dernières années comme dans les premières, « le grand problème que présente l’avenir des sociétés modernes est sans cesse devant son esprit », et jusqu’à l’offusquer, jusqu’à l’empêcher de voir autre chose. […] Un livre, quel que soit son succès, n’ébranle donc point l’esprit public et ne saurait même attirer longtemps, ni de la part du grand nombre, l’attention sur son auteur.

539. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Conclusion »

Ce qu’est l’âme ou l’esprit, elle l’ignore. […] La perception du monde extérieur n’est pas un état purement passif, où l’esprit ressemblerait à un miroir reflétant fatalement les objets. […] Matière et Esprit, Externe et Interne en sont les synonymes populaires, mais prêtent plus à l’équivoque. […] Elle oublie que dans l’acte de la connaissance, l’esprit met du sien au moins autant qu’il en reçoit. […] C’est une question de genèse que vous n’examinez pas, parce que vous raisonnez toujours dans l’hypothèse d’un esprit adulte et complètement constitué.

540. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

La goutte d’eau qui tombe du rocher perce la montagne, pourquoi la goutte d’eau qui tombe d’un esprit ne percerait-elle pas les problèmes historiques ? […] L’esprit de tout rêveur chausse les bottes de sept lieues. […] Chacune de ses lettres est le sac où il vide la recette que son esprit a faite dans la journée, et dans ce sac, il n’en disconvient pas, il y a souvent plus de gros sous que de Louis d’or. […] Que signifieraient ces deux cents pages ainsi isolées de tout le travail qui s’était fait dans l’esprit de l’auteur pendant son exploration du Rhin ? […] Les lettres qu’il avait écrites durant son voyage se présentèrent alors à son esprit.

541. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Sainte Térèse » pp. 53-71

Elle prend le corps, le cœur, l’esprit, leur dresse un Thabor sous les pieds et les transfigure. […] Nous chercherions sans les trouver son esprit, son âme, et ce parfum d’un corps transfiguré, — comme son esprit et son âme, — ce parfum immortel qu’exhale encore ce qui nous reste d’elle, nous affirment ceux qui l’ont respiré. […] On ne comprend plus, même le langage de sainte Térèse, ce langage trop simple, trop raréfié, trop irrespirable pour l’épaisseur de nos esprits. […] Seulement, avant de terminer, nous voulons dire un mot d’un livre plus facile à comprendre pour les esprits positifs du siècle (positifs ! […] C’était une grande scrutatrice humaine, un esprit trempé et aiguisé pour découvrir.

542. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Huet, évêque d’Avranches, par M. Christian Bartholmèss. (1850.) » pp. 163-186

« Je puis donc dire, ajoutait Huet, que j’ai vu fleurir et mourir les Lettres, et que je leur ai survécu. » Ce qu’il disait là, ce n’était point par esprit chagrin, ni en qualité de vieillard qui dénigre le présent et se plaît à glorifier le passé ; personne n’eut l’esprit plus uni, plus égal et moins chagrin que Huet. […] Vous avez les mains fort blanches et la peau fort fine… Pour de l’esprit, vous en avez assurément autant qu’on en peut avoir, et votre esprit ressemble à votre visage ; il a plus de beauté que d’agrément. […] Voltaire a justement remarqué que ce traité posthume de Huet sur la Faiblesse de l’esprit humain semble contredire et démentir sa Démonstration évangélique ; mais Huet n’était point de ces esprits qui vont en tout à l’extrême, et qui poussent les choses à leurs dernières limites. […] [NdA] « Chapelain, qui, enfin, avait de l’esprit », dit le cardinal de Retz. […] Et cette chenille d’Andrieux, peut-on avoir l’esprit plus tortu ?

543. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « L’abbé de Choisy. » pp. 428-450

Dans tous les états où il parut successivement, on le vit d’ailleurs porter le même esprit de légèreté, de grâce, d’étourderie spirituelle. […] Son esprit et sa plume semblent avoir gardé l’âge de Chérubin. […] Il a l’esprit à la fois fin et crédule ; il pressent le dessous de cartes de bien des choses, mais en même temps sa mobilité le retient à la superficie. […] à connaître un peu le caractère, la légèreté et aussi l’esprit gracieux de l’abbé de Choisy, et peut-être à lui pardonner. […] Choisy a, de plus, cette espèce de courage d’esprit qui s’allie très bien avec la légèreté.

544. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Il oppose au théologien non-seulement les découvertes et l’esprit moderne, mais les Écritures et l’esprit ancien. […] L’esprit de Balzac. […] Esprit de son théâtre. […] Voilà les alentours de Racine ; c’est cet esprit de la race et du siècle auquel s’est accommodé son esprit. […] Son caractère et son esprit.

545. (1882) Autour de la table (nouv. éd.) pp. 1-376

Ainsi, voilà un grand esprit, M.  […] Au troisième chant, nous le voyons égarer l’esprit du grand Hildebrand. […] Toujours cette chimère dans l’esprit ? […] (D’autres esprits s’élèvent.) […] Loin d’ici au corps de boue ; esprit, je revêtirai des ailes !

546. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre VI » pp. 394-434

Elle, comme une femme d’esprit, s’en est consolée bien vite en redoublant de jeunesse et de bonne grâce. […] Pauvre société perdue à force d’esprit, d’élégance, de scepticisme ! […] disait-elle, homme heureux, qui reste absolument le maître des esprits et des âmes ! […] Que d’esprit elle avait, — et, mêlée à cet esprit, quelle intelligence sûre et prompte, nette et vive ! […] Elle a emporté avec elle sa belle grâce, ses élégances et les ressources infinies d’un esprit qui ne s’épuisait jamais.

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