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531. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

On sentait qu’il y avait chez l’altier théocrate bien des vues justes et perçantes, au moins en ce qui était de l’appréciation du passé. […] Michel Chevalier le rédigea presque seul pendant plus d’un an (1830-1832), on serait frappé de tout ce qu’il contient de vues grandioses qui se sont réalisées depuis ces trente dernières années ; et, dans cette sorte de prédication ou de prophétie positiviste à laquelle il vaquait chaque matin, non pas sans inspirateur, mais sans collaborateur, et d’une verve incessante, la partie dès aujourd’hui conquise paraîtrait plus considérable, j’en suis certain, que celle qui n’a pas abouti. […] Vous riez de cette religion sous cloche ; mais, pour plus d’un esprit jusque-là fermé à cet ordre de vues et de perspectives, la démonstration de l’importance de la chose religieuse n’en était pas moins donnée.

532. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

Elle communiqua avec eux tant qu’elle put à travers les geôliers et ne les perdit pas de vue jusqu’au dernier instant. […] On avait donc une Chambre élue aristocratique, mais d’une aristocratie provinciale, sans élévation, sans grandeur, toute aux vues mesquines de répression, de représailles et de vengeance. […] Cette ressource a disparu pour la France ; et l’Ordonnance de dissolution du 5 septembre a plus fait sans doute qu’elle ne croyait faire. » Cette vue, on peut l’affirmer hardiment et d’après l’expérience, est fausse : il n’est pas exact de dire que l’état de mécontents, d’inactifs et d’émigrés à l’intérieur, entretenu et prolongé durant dix et quinze ans, ait jamais pu être une bonne préparation pour l’intelligence et le maniement des affaires publiques.

533. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Legkzinska »

Ni belle ni laide, laide même, si l’on veut, mais assez agréable d’ensemble, ce fut l’impression générale qu’on eut d’elle à première vue, et chacun se louait de sa modestie, de sa raison, de sa bonté. […] On prétend qu’il fit choix lui-même de la comtesse de Mailly qu’il jugea propre à remplir ses vues. […] J’avoue ma perplexité : nous sommes ici avec la reine devant des portraits assez différents ; c’est bien la même personne, mais elle est vue par les uns bien en beau, et par les autres assez en laid.

534. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Mais surtout sa gloire acquise par des œuvres critiques et dogmatiques, ses vers passés en proverbes ou reconnus pour les lois de l’art d’écrire, persuadent à des gens de lettres par toute l’Europe que les théoriciens peuvent créer une littérature ou lui imposer une direction : on perd de vue tout ce que l’œuvre de Despréaux continue et achève ; au lieu d’un terme et d’un couronnement, on y voit un commencement, une création de mouvement ; et l’on agit en conséquence. […] Il n’en a pas, faute d’abord de sentiment et d’imagination ; quand le sentiment et l’imagination s’éveillent, il n’en a pas encore, faute d’un certain sens de la forme, par une sorte d’atrophie de l’ouïe et de la vue. […] Les questions de goût et de bienséance prennent le pas sur la vérité des choses, et la communication est si bien fermée entre la réalité vivante et l’esprit français, que les formes nouvelles de l’art conçues théoriquement en vue d’une vérité plus grande n’arrivent pas à se réaliser dans des œuvres moins conventionnelles que celles qu’il s’agit de remplacer : je parle de la comédie larmoyante et du drame, qui prétendent se substituer à la tragédie.

535. (1890) L’avenir de la science « V »

Disséquer le corps humain, c’est détruire sa beauté ; et, pourtant, par cette dissection, la science arrive à y reconnaître une beauté d’un ordre bien supérieur et que la vue superficielle n’aurait pas soupçonnée. […] Mais ce ne peut être que par l’effet d’une vue incomplète des résultats de la science. […] Le dogmatisme sectaire est inconciliable avec la critique ; car comment s’empêcher de vérifier sur soi-même les lois observées dans le développement des autres doctrines, et comment concilier avec une telle vue réfléchie la croyance absolue ?

536. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre III : Les Émotions »

Les harmonies de la vue sont plus frappantes encore : n’y a-t-il pas des harmonies de couleur ? […] Une brusque interruption est survenue : la vue de cette chèvre ne peut causer une émotion égale à celle de la réconciliation des deux amants ; il y a donc un surplus d’émotion qui doit s’écouler ; la décharge se produit par le canal qu’elle trouve ouvert et produit le rire. […] L’auteur l’a vue, posée, l’appelle même une difficulté « formidable en apparence » : j’ose dire qu’il ne l’a nullement résolue.

537. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Il s’était fort lié avec Riouffe, que son livre sur les prisons et ses relations avec les Girondins avaient mis très en vue, et qui était le Silvio Pellico du moment. […] Il n’assista qu’à deux ouvertures de corps : Jamais, dit-il, l’impression que fit sur moi la vue des deux cadavres ne s’effacera de mon esprit. […] Si l’on ne composait ces notices que pour les lire devant des confrères et des connaisseurs, gens du métier, on pourrait s’en tenir aux traits simples et rester dans un parfait accord avec le sujet ; mais les séances publiques amènent le désir et le besoin des applaudissements, et les applaudissements s’obtiennent rarement par des traits fins et justes, par des nuances bien saisies, ou même par des vues simplement élevées.

538. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Il garda de cette éducation commencée sous les belles années de Louis XVI, la faculté d’espérance sociale et de bienveillance universelle, une vue riante de l’humanité, une teinte de philanthropie dont il avait en lui le principe et le foyer, mais dont la couleur se ressentait de la date de son enfance et de sa première jeunesse. […] Dans les divers journaux auxquels il travailla de 1816 à 1820, il n’exprime jamais que des vues de conciliation et d’espérance. […] Droz avait composé des ouvrages dignes d’estime ; « mais les sujets qu’il avait traités ne lui avaient pas donné l’occasion de nous montrer des études aussi profondes, des vues si élevées, un jugement si ferme, un sens politique si exquis et si juste ».

539. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Dans son Histoire de la Restauration, M. de Lamartine revient aux premières scènes de sa jeunesse, et, bien qu’il y revienne avec un complet dégagement de vues, il saura en ressaisir suffisamment les émotions et le ton : il les embellira même peut-être ; mais, qu’il se montre plus ou moins indulgent ou sévère, il ne saurait ici être dangereux. […] Il mêle à ces tableaux des réflexions rapides, des vues morales ou politiques, souvent judicieuses et profondes. […] Tous ces portraits séduisent à première vue, et offrent des traits heureux, des couleurs neuves : mais, en général, ils sont outrés et passent la mesure.

540. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XII : Pourquoi l’éclectisme a-t-il réussi ? »

Pour la première fois, la science des méthodes et des vues d’ensemble demeurait nulle, laissant les sciences particulières marcher à leur gré et toutes seules, rattachée tout entière à la morale, commentaire du Vicaire savoyard, demandant à la religion place à côté d’elle, et réduite à lui offrir respectueusement un secours suspect94. […] De vues nouvelles, ne lui en demandez point, il n’en a pas ; bien plus, il n’en cherche point ; il aurait peur de quitter les opinions saines et de s’engloutir dans l’invention, qui est l’hérésie. […] Je lui vois deux portes ; il se peut qu’un savant comme Ampère et Geoffroy Saint-Hilaire réunisse les découvertes des sciences positives, forme avec elles un système du monde, et que ces vues d’ensemble s’imposent au public comme la loi d’attraction, ou l’hypothèse du plan animal unique.

541. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » p. 82

Après avoir enseigné, pendant plus de vingt ans, la Rhétorique, il est étonnant que cet Ecrivain paroisse avoir perdu totalement de vue cette réflexion de Longuin :« Rien n’avilit autant le Discours, que les termes bas & vicieux ; ce sont comme autant de taches & de marques honteuses qui flétrissent l’expression. »  

542. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Vous ne le connaissez que de vue et il ne vous a pas été présenté. […] D’autant plus qu’à première vue ce que font ces hommes ne paraît pas difficile du tout. […] Car, bien que je sois allé la voir trente ou quarante fois, je ne l’ai pas vue. Personne ne l’a vue : il y avait trop de monde. […] Personne ne l’a vue, vous dis-je, votre Exposition !

543. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome II pp. 5-461

La fille que vous avez vue souffletée l’a-t-elle été sans sujet ? […] Il y a là unité de vue. […] Il y a là unité de vue. […] Une seule vue philosophique brille en chacun de ces gais et charmants ouvrages. […] Chacun les a vues dans le monde, et chacun applaudit à leurs risibles portraits.

544. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIIe entretien. Revue littéraire de l’année 1861 en France. M. de Marcellus (1re partie) » pp. 333-411

Ce portefeuille, ouvert sans indiscrétion après la mort de tous les hommes principaux qui s’y dévoilent, et après la chute de la Restauration qu’on y voit agir, atteste une supériorité de vues et une richesse d’intelligence et de caractère diplomatique dans cette grande négociation du règne de Louis XVIII, qui fait contraste avec les négociations de la royauté de 1830 ! […] Dans ce démembrement de notre propre légation, j’avais perdu de vue la charmante ambassadrice. […] J’avais appris que plusieurs voyageurs, qui s’étaient hardiment et sans préambule présentés chez elle, en étaient partis sans l’avoir vue. […] Quelques arcs et deux carquois remplis de flèches étaient suspendus aux murs ; sur un côté du divan paraissait un grand tableau représentant un cheval libre franchissant un torrent, et, derrière le cadre, je reconnus un portrait de Bonaparte presque entièrement dérobé à la vue. […] XLI Quand on a participé à cette illusion des grandes âmes, et qu’on l’a vue s’éteindre, on a trop vécu ; on prend en dégoût l’Europe où ces scènes se sont passées, on désire oublier ou renouveler sa vie dans un autre continent !

545. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Car, longtemps avant la naissance de l’art, les diverses sensations s’étaient associées : nos sens avaient acquis la propriété de s’appeler les uns les autres, et l’un d’eux surtout, la vue, avait obtenu, merveilleusement, cette fonction suggestive. […] L’art des sensations a, dès le début, été l’art plastique de la Vue. […] Parce que la vue devenait, déplus en plus, le sens spécial de l’art plastique, et son instrument, les lumières ; mais surtout parce que l’art, à mesure que les esprits s’affinent, exige sans cesse davantage des procédés différents de ceux qu’emploie la réalité, pour nous suggérer la même vie. […] La scène a été vue par un artiste qui l’a voulu recréer franchement : elle nous console des nombreuses illustrations techniques : intérieurs d’usines, équipes d’ouvriers, etc., que nous étalent là, sous le prétexte de naturalisme, MM.  […] Assise ou debout, la jeune fille qu’il a vue séduit par l’aspect d’une délicate et artistique vie.

546. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « III »

Nous allons d’abord analyser ce que perçoit la vue dans le drame wagnérien. […] Après avoir exposé sa théorie, Wagner en vient à son application pratique. — Avant tout, il est une condition nécessaire à la représentation d’une œuvre quelconque, et Hector Berlioz l’avait vue, en même temps que Wagner cette condition seule obtenue, le théâtre pourra avoir une signification, et, en France, dans le pays où fleurit l’espèce cabotine, nous sommes encore loin de l’admettre. […] « Nous reconnûmes bientôt la nécessité, dit-il, de relever les mouvements plastiques en leur donnant un rythme. » Comme le grand éloignement qui se trouve entre l’acteur et le spectateur est supprimé dans le théâtre de Bayreuth (voir plus haut), le premier peut exprimer les mouvements expressifs des émotions intérieures, qui sont alors visibles pour le spectateur. — Aux gestes exagérés des bras, qu’il reprochait à l’instant aux acteurs, Wagner oppose des mouvements plus modérés : « Nous pensâmes, dit-il, qu’une simple élévation du bras ou un mouvement caractéristique de la main ou de la tête, suffirait à exprimer les émotions de l’acteur. » A cette immobilité contre nature du chanteur, à cette situation étrange où se trouvent les acteurs, dans les ensembles des opéras, a cette nécessité enfin de parler devant le public ou de se dérober aux trois-quarts à sa vue, Wagner remédie par une simple attitude, basée sur l’observation de la nature : « Nous tirâmes, dit-il, de la passion même du dialogue le changement de poses que nous cherchions : nous avions observé que les accents les plus pathétiques de la fin d’une phrase donnaient lieu naturellement à un mouvement de la part du chanteur. « En effet, la force de l’expression se porte toujours à la fin d’une phrase, et, même dans la conversation ordinaire, nous faisons involontairement un geste pour ponctuer en quelque sorte le sens de notre discours (tome X, 389 et sq.) « Ce mouvement fait faire à l’acteur un pas en avant et, en attendant la réponse, il tourne à demi le dos au public ; ce mouvement le montre en plein à son partenaire : celui-ci, en commençant sa réponse, fait aussi un pas en avant, et, sans être détourné du public, il se trouve face à face avec le premier. » Ce jeu de scène paraîtra bien simple et indigne d’explication à nos critiques qui n’y verront « qu’un truc » comme un autre. […] Par un très rapide changement à vue, nous entrons dans un milieu très lumineux où la guirlande succède au zig-zag. […] Le miracle vient alors donner l’expression suprême du Gral, et, quand il est terminé, tout semble s’effacer, et Parsifal reste seul bien en vue.

547. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — N. — article » p. 399

Le dernier sur-tout rebute par un appareil de citations grecques & latines, qui font perdre de vue l’objet principal.

548. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 132-133

Fléchier à la femme d’un Président de Rennes : « A l’égard de Mlle Descartes, son nom, son esprit, sa vertu, la mettent à couvert de tout oubli, & toutes les fois que je me souviens d’avoir été en Bretagne, je songe que je l’ai vue, & que vous y êtes ».

549. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » p. 485

Il est très-supérieur à celui qui l’avoit précédé, & l’on ne peut qu’être fâché que la perte de sa vue l’ait empêché de continuer son travail.

550. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » p. 6

Malgré l’envie que nous aurions de les louer, ses Tragédies d’Astarbé & de Caliste, son Héroïde d’Armide à Renaud, sa Traduction ou son Imitation en vers de quelques Nuits d’Young & du Temple de Gnide, semblent être d’un autre Auteur, par la froideur & la foiblesse du style, dont les accessoires font presque toujours perdre de vue l’objet principal.

551. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Roland de la porte » p. 203

Il est très-bien, mais ces sortes de morceaux ne sont pas la magie noire ; c’est ce qu’ignorent ceux qu’ils attirent par l’illusion qu’ils font au sens de la vue.

552. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

. — Quant à la description en elle-même, au point de vue littéraire, je la trouve, moi, très-compréhensible, et le drame n’en est pas embarrassé, car Spendius et Mâtho restent au premier plan ; on ne les perd pas de vue. […] La moindre vue sur le monde est là pour prouver le contraire. […] Dans la modeste condition où je vis, c’était déjà un grand luxe que d’en avoir un, et je n’y ai été amené d’assez bonne heure que par une faiblesse de vue et comme une tendresse d’organes qui se lassait aisément et m’obligeait à user d’autrui. […] Je l’ai perdu de vue après quelques années, et, parti un matin comme pour une absence passagère, il ne m’est plus revenu.

553. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

Ce n’est pas qu’elle portât une bien grande chaleur dans les divers sujets et dans les idées qui l’occupaient, ni aucune vue ou espérance d’avenir ; elle avait fait dès longtemps sa retraite dans la lecture et dans la pensée, n’y cherchant que le plaisir d’une réflexion solitaire. […] … J’avais d’autres vues, de grands projets alors… D’ailleurs, moi, je suis pour l’application. […] En changeant peu à peu d’horizon, Sismondi porte, dans ses vues dernières, sa parfaite bonne foi, son bon sens, cette cordialité qui élève et qui touche. […] Toutes les circonstances extérieures et sociales empruntées au personnage de Mme Lindsay, et qui étaient faites dans le temps pour donner le change à la curiosité, ne détruisent pas cette vue intime.

554. (1875) Premiers lundis. Tome III « De la loi sur la presse »

Ce pays est si prompt, si mobile, si tourné à espérer, qu’il se créa pendant quelques jours comme un courant rapide de vues, de projets, d’entreprises pacifiques et politiques. […] Mais ce qu’il faut dire, eu général, c’est que la satire pourtant ne s’adresse jamais — presque jamais — qu’à ceux qui sont en vue ou qui s’y mettent ; et ceux-là, s’ils ont la raison pour eux, le bon droit et un peu de patience, n’ont qu’à attendre, à laisser beaucoup dire, à laisser s’épuiser les sois propos, pour voir finalement les gens sensés et même les rieurs se retourner de leur côté, et pour mettre les malveillants dans leur tort. […] Par quantité de règlements qui ne sont pas tous mauvais ni inutiles, et qui sont même, quelques-uns, d’une bonne police, la France, la nouvelle France, s’est vue réduite et rangée à un régime quotidien où ne s’était jamais vue la vieille France, celle de nos grands-pères ; à bien des égards elle a été mise en classe, et il n’est pas impossible qu’elle s’accoutume à y rester.

555. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quinzième. »

Sensibilité vive, mais passagère et sans vapeurs ; raison nourrie sans être profonde, n’enfonçant guère dans les choses, mais parfois, et de la première vue, en découvrant le fond ; gaieté, sans rien d’éventé ; une douce mélancolie qui se forme et se dissipe au moment où elle s’exprime ; pas de vieillesse, sans la prétention de ne pas vieillir ; beaucoup de mobilité, avec le lest d’un grand sens qui écarte de la conduite l’imagination et les caprices ; du goût pour les gens en disgrâce, mais sans rancune contre les puissants ; une pointe d’opposition, comme chez tous les frondeurs pardonnés qui n’osaient ni se plaindre ni regretter, et qui se ménageaient pour un retour de fortune ; le cœur de la meilleure mère qui fut jamais, quoi qu’on en ait dit, capable d’amitiés persévérantes, et qui craignit l’amour plutôt qu’elle ne l’ignora ; tels sont les principaux traits de ce caractère, où le solide se fait sentir sous l’aimable, et où l’aimable n’est jamais banal. […] Saint-Simon raconte ce qui ne se voit pas, ou ce qui a peu de témoins : négociations, intrigues, vues secrètes, et non seulement les intentions exprimées par les paroles, mais celles que les paroles servent à déguiser ; les vrais mobiles des actions, non d’après certains lieux communs de morale, mais sur ce qu’il en a surpris ou pénétré ; les passions avec les nuances qu’elles reçoivent des situations et des caractères. […] Notre langue n’aime pas les vues confuses, le demi-jour ; elle ne prête sa clarté qu’aux choses bien conçues : Saint-Simon écrit quelquefois comme s’il parlait à demi-mot à un confident. […] Un même attachement pour le duc de Bourgogne les unissait, malgré des diversités de vues, dans une commune espérance de ce règne futur, qui devait restaurer la noblesse et rendre les affaires aux évêques et aux ducs.

556. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre I : L’histoire de la philosophie »

Ceci, dit-on, est un fait, non une théorie ; c’est-à-dire une vérité indiscutable, non une vue discutable de la vérité. […] En d’autres termes, les sens perçoivent les phénomènes, mais n’observent ni ne peuvent observer les noumènes : anticipation de la plus grande découverte de la psychologie, vue par Anaxagore quoique obscurément et confusément206. » M.  […] Il en est de même pour les sensations de la vue, quoique le préjugé contraire soit plus fort ici à déraciner. […] Son grand mérite a été d’apercevoir clairement les rapports de la psychologie avec la science de la vie, reconnaissant ainsi une grande vérité, déjà clairement vue par Aristote et exprimée ainsi par saint Thomas d’Aquin : « Impossibile est in uno homine esse plures animas per essentiam différentes, sed una tantum est anima intellectiva quæ vegetativo et sensitivo et intellectivo officiis fungilur.

557. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

C’est par rapport au très grand monde seulement que Chamfort a pu dire : « Il paraît impossible que, dans l’état actuel de la société, il y ait un seul homme qui puisse montrer le fond de son âme et les détails de son caractère, et surtout de ses faiblesses, à son meilleur ami. » C’est ce grand monde uniquement qu’il avait en vue quand il disait : « La meilleure philosophie relativement au monde est d’allier, à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l’indulgence du mépris. » C’est pour avoir trop vécu sur ce théâtre de lutte inégale, de ruse et de vanité, qu’il a pu dire son mot fameux : « J’ai été amené là par degrés : en vivant et en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze. » J’ajouterai, pour infirmer l’autorité de certaines maximes de Chamfort et pour en dénoncer le côté faux, qu’elles viennent évidemment d’un homme qui n’a jamais eu de famille, qui n’a pas été attendri par elle ni en remontant ni en descendant, qui n’a pas eu de père et qui, à son tour, n’a pas voulu l’être. […] Chamfort était l’homme qui fournissait le plus d’idées et de vues à ses amis en causant ; il suffisait de le mettre sur un sujet et de l’animer un peu : « Je ne puis me refuser, lui disait Mirabeau, au plaisir de frotter la tête la plus électrique que j’aie jamais connue. » Je n’ose répéter tous les éloges de Mirabeau, qui sembleraient exagérés. […] Un homme qui, comme lui, avait débuté par des prix d’académie, qui en avait fait sa carrière, qui avait toujours eu l’Académie en vue, qui avait mis en jeu tous ses amis, même ses amis de cour, jusqu’à ce qu’il y eût été admis, cet homme devait être le dernier à prendre la plume pour dénoncer publiquement les abus et pour solliciter la destruction du corps dont il était membre. […] Autrefois, quand il allait dans le monde, il avait souffert de n’avoir point de voiture à lui : « J’ai une santé délicate et la vue basse, écrivait-il a un ami (vers 1782) ; je n’ai gagné jusqu’à présent dans le monde que des boues, des rhumes, des fluxions et des indigestions, sans compter le risque d’être écrasé vingt fois par hiver.

558. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1856 » pp. 121-159

Des choses autour de moi, que je connais, que j’ai vues et revues cent fois, me vient une insupportable sensation d’insipidité. […] Dans sa poche, il remue les clefs de tout cela, nerveusement, et il nous montre les titres de propriété pour se les remontrer, et se refaire la certitude que ce n’est point un rêve : cette certitude qu’il semble à tout moment avoir besoin de raffermir, avec la vue du testament, de l’envoi en possession. […] Des antipathies et des sympathies à première vue, et vives et braves, et des sourires d’une complicité délicieuse pour ceux qui la comprennent, et des figures longues, comme dans le fond d’une cuiller, pour les raseurs, les jeunes gens à citations, les bêtes ; et mal à l’aise dans le mensonge du monde, disant ce qui lui vient, comme il lui vient, avec une entente singulière de l’esprit d’atelier, avec un tour de mots tintamarresque : — cette gaieté de surface venant d’un fond d’âme mélancolique, où passent des visions de blanc enterrement et reviennent des notes de la marche funèbre de Chopin. Passionnée pour monter à cheval, pour conduire un panier, elle se trouve mal à la vue d’une goutte de sang, a la terreur enfantine du vendredi, du nombre treize, possède tout l’assemblage des superstitions et des faiblesses humaines et aimables chez une femme : faiblesses mêlées à d’originales coquetteries, celle du pied par exemple qu’elle a le plus petit du monde, et qu’elle porte toujours chaussé d’un soulier découvert à talon… Mal jugée et décriée par les femmes et les petites âmes qui ont l’horreur de la franchise d’une nature, elle est faite pour être aimée d’une amitié amoureuse par des contempteurs comme nous des âmes viles et hypocrites du monde.

559. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1870 » pp. 321-367

Année 1870 1er janvier Aujourd’hui, premier jour de l’année, pas une visite, pas la vue de quelqu’un qui nous aime. […] Et le château, et le jardin, et le petit bois, me paraissaient grands, comme les choses qu’on a vues avec ses yeux d’enfant. […] Tout l’après-midi, son chapeau de paille lui barrant la vue, il reste assis en face d’un arbre, dans une immobilité tristement farouche. […] * * * Vers le 26 mai Dans le passage galopant de tous ces landaus, de toutes ces calèches, de toutes ces victorias, dans tout ce luxe roulant, et jetant avec fracas, parmi la verdure, les couleurs voyantes de la mode de cette année, je suis frappé par la vue, au fond d’une de ces voitures, du rigide et noir costume d’une Sœur, c’est un rappel de la mort dans cette joie et cet éblouissement.

560. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Du docteur Pusey et de son influence en Angleterre »

Pour les bien juger, dans leur source comme dans leurs conséquences, il ne faut pas perdre de vue que l’anglo-catholicisme est du catholicisme encore, faussé, il est vrai, adultérisé par une haine impie et stupide contre Rome, mais pourtant du catholicisme, et du catholicisme protestant à son tour contre le Protestantisme de Henri VIII, c’est-à-dire le circonscrivant. […] Dans une vue de haut enseignement et d’édification chrétienne, ces écrivains ont recueilli jusqu’aux noms des hommes qui sont revenus de l’anglicanisme au catholicisme en passant par les idées du Dr Pusey, et ils les ont publiés avec l’immense joie de la charité satisfaite10. […] Au milieu de ces conversions qui se sont suivies, en vingt années, — comme certains éclairs se suivent à l’horizon, — avec une électricité silencieuse, Oxford, appuyée sur sa force séculaire, et d’ailleurs la vue affaiblie comme tous les pouvoirs qui ont fait leur temps, pouvait endormir ses inquiétudes dans le souvenir orgueilleux de son passé. […] Quand nous avons vu récemment se produire, au sein des Chambres britanniques, une si bonne et si enthousiaste disposition vers le Saint-Père, les hommes d’État, les hommes à vue longue, avaient-ils l’instinct de la situation que leur créerait immédiatement une entente profonde avec Rome ?

561. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XIII. »

« L’or et la boue sont confondus pendant la vie de l’artiste, et la mort les sépare », dit la Bruyère, parlant de ces faux parallèles que fait, à toutes les époques, la vue partiale et confuse des témoins du temps. […] Mais cette vue de l’Iliade, que plus tard Horace concentrait, comme sous le miroir brûlant d’Archimède, au foyer de quelques strophes, l’artiste érudit du Muséum l’a obscurcie de quinze cents hexamètres, où sont prodiguées, avec toutes les raretés de la mythologie, les plus difficiles curiosités du langage. […] Ils embrassèrent, avec la vue du ciel, des notions plus exactes de la terre ; ils appliquèrent même la poésie aux phénomènes célestes, à la géographie, aux sciences naturelles, à l’ait de guérir. […] Une trace d’imitation est reconnaissable encore dans d’autres hymnes de Callimaque, qui semblent, à la première vue, tout mythologiques.

562. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

L’encens perpétuel dont l’enivraient ses adorateurs lui avait de temps en temps troublé la vue. […] Quelques figures dessinées d’un trait vigoureux, mais qu’on a vues souvent ailleurs. […] C’est un jeu sans doute ; mais combien fécond en vues originales et en aperçus inédits ! […] Qu’il regarde le monde de ses yeux d’observateur sans compter sur la double vue ! […] Sardou nous peint une Amérique de fantaisie, vue prise de Marly-le-Roy.

563. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

Toutes ces impressions d’une âme sympathique avec l’esprit nouveau des temps, cette croyance à une philosophie plus réelle et plus humaine, cette liberté morale reconquise, cette spontanéité reconnue, cette confiance accordée aux facultés les plus glorieuses et les plus désintéressées de notre être, toutes ces qualités et ces vues de madame de Staël, en passant dans les livres d’art qu’elle composa, leur donnèrent un tour unique, une originalité vraiment moderne, des trésors de chaleur, d’émotion et de vie, une portée immense quoique parfois hors de mesure avec la réalité. […] En reproduisant cet article au milieu du volume à l’endroit où la continuité de vues et de système cesse ou du moins fléchit, nous voulons indiquer de quelle manière nous concevions alors la transformation de l’école romantique et critique de la Restauration : mais les programmes en divers genres ont eu tort.

564. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

Une œuvre a de l’unité, si les parties qui la composent sont en nombre assez restreint pour que l’esprit les embrasse toutes ensemble d’une seule vue, si ces parties ont entre elles assez d’affinité pour qu’il en saisisse aisément la liaison, si enfin les impressions qu’elles font sur lui ne sont pas diverses au point de se contrarier et de s’annuler. […] Ce n’est, pas la diversité continue d’un paysage qui se déroule aux yeux du voyageur, à mesure qu’il s’avance : ce sont les verres d’une lanterne magique, que l’opérateur présente successivement, et non pas si vite qu’il n’y ait entre les diverses vues un court moment où l’on ne voit rien.

565. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre I. Les origines du dix-huitième siècle — Chapitre I. Vue générale »

Chapitre I Vue générale 1. […] Elle ne consent pas non plus à rendre des arrêts en théorie, pour les voir annulés dans la pratique : elle prononce a priori, et veut que sa vue idéale des choses détermine la réalité.

566. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre II. La tragédie »

Elève attentif du xviie  siècle, il a des vues justes, moyennes, peu personnelles, sur le mécanisme de l’âme humaine. Aussi dessine-t-il des caractères vraisemblables, en indications rapides, un peu sommaires ; voilà pourquoi ses tragédies gagnent à être vues plutôt que lues, s’il y a un bon acteur pour compléter l’esquisse tracée par le poète.

567. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XIX. Progression croissante d’enthousiasme et d’exaltation. »

Un moment, le maître semble approuver ceux qui se mutileraient en vue du royaume de Dieu 873. […] La grandeur de ses vues sur l’avenir était par moments surprenante.

568. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Royalistes et Républicains »

Je l’ai dit : Ce n’est là qu’une accusation contre le parti royaliste et qu’une menace, et rien de plus, pas la plus petite vue de plus ! […] pas une vue quelconque hors de ce cercle étroit.

569. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « César Daly »

Jusque-là, je crois, il n’avait été mis en vue que par lui-même, que par des projets plus ou moins brillants ou ingénieux, et surtout par cette Revue de l’Architecture qui est, elle aussi, un véritable monument ! […] Cette question et cette vue très individuelles, qui rayonnent à tant de places dans la revue de Daly, sont plus particulièrement la visée (ai-je besoin de le dire ?)

570. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Antoine Campaux » pp. 301-314

Bien des gens seraient allés d’abord aux choses plus grosses, plus matériellement en vue dans Villon. […] Campaux a eu des soins plus mâles, une virilité de vue plus profonde.

571. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Henri de L’Épinois » pp. 83-97

Si aujourd’hui, par impossible, les atroces Tartuffes qui veulent la mort du Christianisme par l’appauvrissement de la Papauté, et les imbéciles, plus nombreux encore, qui croient que pour la gloire et le renouvellement de la Papauté, avilie, selon eux, dans le pouvoir et les richesses, il faudrait la jeter vivante à la voirie des grands chemins et qu’elle allât tendre sa tiare à l’aumône comme Bélisaire y tendait son casque, avaient une vue juste de la réalité, le sou que la Chrétienté y ferait pleuvoir de toutes parts serait l’atome constitutif d’un pouvoir temporel nouveau, qui — le monde étant différent de ce qu’il était il y a dix-huit siècles — ne se développerait pas comme la première fois, mais trouverait une autre forme de développement. […] Je n’avais, moi, à propos du livre de M. de L’Épinois sur le gouvernement temporel de la Papauté, qu’à rappeler à ceux qui l’incitent perfidement à renier son passé et son origine en donnant d’une seule fois sa démission de toutes ses couronnes, le principe de son existence historique, et, ce qu’il ne faut jamais perdre de vue, la grandeur morale — quand elle fut la plus politique — de son action.

572. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Sophie Arnould »

Qu’ils ne l’aient pas vue comme je la vois, moi, cette abjection, je n’en suis pas surpris. […] … Il est véritablement incroyable que MM. de Goncourt n’aient pas vu une chose si facile à voir, — et cela est d’autant plus regrettable que, s’ils l’avaient vue et s’ils l’avaient dite, leur livre y aurait gagné au moins un accent de tristesse, qui l’aurait rendu plus éloquent et plus beau !

573. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXVI. Médecine Tessier »

», la doctrine, l’immuable doctrine, qui a bien pu modifier des vues de détail, mais qui est la même dans ses conclusions qu’aux jours où elle ne se cachait pas. […] Il suit avec une longueur de vue et une implacabilité de logique, auxquelles rien n’échappe, les conséquences de ces doctrines dont la science est empoisonnée, et, Dieu merci !

574. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « L’abbé Brispot »

Ajoutez à cette vue générale et dominatrice que cette reproduction du texte saint, que cette vie de Notre-Seigneur, écrite par la plume inspirée de ses apôtres, était une de ces publications les plus indiquées et les plus appelées par les récentes polémiques de notre âge. […] Comme un de ces grands artistes lapidaires du Moyen Âge, il a incrusté de pierres précieuses le tabernacle… Mais c’est moins un but d’adoration et de rayonnement splendide qu’il a eu en vue, que la pensée plus mâle de la propagation des idées et des faits qui sont pour nous la vérité.

575. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Théophile Gautier. » pp. 295-308

Ici, j’ai cru, je l’avoue, un moment, que les aventures de ce soi-disant roman d’aventure allaient naître, mais je n’ai vu rien suivre de plus que ces événements assez vulgaires : quelques représentations de la troupe comique à Poitiers, l’amour furieux d’un certain duc de Vallombreuse, beau comme le jour, pour la jeune fille aimée de Sigognac avec une chasteté et un dévouement chevaleresques, le duel de Sigognac avec le duc qu’il blesse, — plus tard, l’enlèvement d’Isabelle par ce duc enragé et son contre-enlèvement par Sigognac, enfin la reconnaissance d’Isabelle par le père de ce duc de Vallombreuse à la simple vue d’une bague d’améthyste qu’il avait donnée à sa mère, et le mariage d’Isabelle et de Sigognac ! […] amant tigre changé subitement en mouton, avec la prestesse d’un changement à vue théâtral, mariage final des amants restés vertueux, telles sont les étonnantes découvertes de M. 

576. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

Enfin Mme d’Aulnoy, qui suivit Louise d’Orléans en Espagne, nous a esquissé au crayon noir sur papier rose une vue des mœurs et de la cour de ce pays, qui restera comme une peinture d’histoire, plus sinistre, je crois, que le plus sombre des Goya… Plus tard, tout descendant et se rapetissant, on ne trouve plus, il est vrai, au dix-huitième siècle que l’insignifiante Mme de Haussez de chez la Pompadour. […] Il a les yeux pleins du jaune de l’envie ; et d’ailleurs il est sensuel au point d’être toujours bêtement hors de lui à la vue du moindre corsage.

577. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « L’Abbé *** »

Si vous joignez de plus à cela l’horripilation impudique que causent, à ces sensitives du mariage des prêtres, le dogme de l’immaculée Conception et la haine profonde pour le Marianisme, — cette affreuse religion entrevue par Michelet, — qui remplacerait prochainement le Christianisme si nous n’avions pas pour le sauver des docteurs comme des Julio de la Clavière et des abbés Trois-Étoiles, vous aurez à peu près tout ce qu’il y a de vues et de choses nouvelles dans ce Maudit, que j’appelle plutôt le mal dit ; car il est impossible de plus mal dire, il est impossible de plus manquer que ce livre du talent qui sait exprimer même des sottises, et qui parfois les fait passer ! […] … Le livre qu’il commet n’est ni médiocre ni mauvais ; il est nul, puisque l’on n’y trouve que des idées qu’on a vues ailleurs et qui y sont noyées dans un style bien moins ridicule qu’ennuyeux.

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