Il n’y a pas de risque que la raison moderne s’accommode jamais de ses exagérations ; mais telles de ses opinions qui ont fâché si fort ses contradicteurs, au temps des premières illusions de la liberté, suggéreront toujours des doutes utiles à qui saura de quels fonds de tendresse et de bonté elles sont sorties. […] Voilà les faits, de nature si diverse, que nous avons vus analysés et décrits avec une précision supérieure, parmi d’attachants récits, dans des ouvrages dont la civilisation moderne et la révolution d’Angleterre ont fourni les sujets. […] Ni révolution, ni dictature, mais l’étude continuelle et la pratique résolue du vrai progrès, parmi les impatiences qu’excite et les séductions qu’exerce le faux progrès : tel est l’esprit de ce bel ouvrage, et c’est par là qu’il prend une des premières places à côté de ce qui s’est écrit de durable sur les choses romaines, pour l’enseignement du monde moderne.
Un fait également certain est l’absolue différence du langage musical employé par ces premiers artistes et de notre langage moderne. […] IV La musique moderne avait été préparée par quelques essais de Palestrina. […] Bach avait créé la musique moderne : il lui avait donné les émotions qu’elle devait exprimer, et la langue où elle les devait exprimer.
C’est une figure toute moderne et d’une ressemblance spirituelle que celle de ce jeune homme mûr et froid jusque dans ses passions et dans ses caprices. […] Le baron d’Estrigaud est le roué moderne, non plus frivole et léger, comme celui du dix-huitième siècle, mais pratique comme un fait, positif comme un chiffre, et appliquant aux spéculations l’immoralité savante que le Valmont de Laclos porte dans le plaisir. […] Décidément, ce Satan moderne est un pauvre diable.
Nous ne connaissons pas dans leur texte vrai les écrits latins antérieurs au ive siècle, car ils furent, à cette époque, récrits en langage moderne, purgés de tout ce qui semblait archaïque dans les mots, dans la syntaxe. […] Mais nous n’avons plus à différencier i et y et il suffira de noter que l’i latin, lui aussi, s’est changé jadis assez volontiers en u 127 : Affiblare Affubler Sibilare Subler128 Fimarium Fumier Piperata Purée Casibula, Casib’la : Chasuble Zizyphum Jujube Ce dernier mot est à lui tout seul la justification de nos deux monstres modernes. […] Du moins dans la période moderne de la langue.
La fondation de l’Académie des sciences, 1666, y aidait ; et le progrès des sciences physiques et mathématiques ; et l’influence de quelques hommes, au premier rang desquels il faut nommer Fontenelle2 ; et enfin et peut-être surtout l’agitation que soulevait dans le monde littéraire et intellectuel, aux environs de 1695, la querelle des Anciens et des Modernes. […] Rappelons-nous encore à ce propos les paroles de Pascal : « Les parties du monde ont un tel enchaînement l’une avec l’autre que je crois impossible de connaître l’une sans l’autre et sans le tout. » Il précise plus loin sa pensée : « La flamme ne subsiste point sans l’air : donc, pour connaître l’une il faut connaître l’autre. » La théorie moderne de l’unité des forces physiques, ou, dans l’ordre des sciences naturelles, les progrès de l’anatomie et de la physiologie comparées sont de belles « illustrations » de cette liaison, de cette connexité, de cette solidarité et de cette « relativité » de nos connaissances. […] On découvre sans peine que la société moderne lui est redevable de ses principales améliorations.
« Il faut, en ces temps modernes, avoir l’esprit européen… » disait Mme de Staël. […] Henry Bernstein, maître du théâtre contemporain, un historien de la scène moderne écrivait récemment : « Le monde des idées ne lui appartient pas. […] Mais, en définitive, la critique moderne est, à ses yeux, analogue à la médecine, un art individuel qui se fonde sur une science d’observations personnelles. […] Crémieux une attention plus originale et pour les analyser, le secours d’une théorie pour le moins aussi moderne. […] « Gazette internationale des lettres et des arts modernes.
je ne trouvais pas que l’œuvre moderne fût si écrasée par l’autre. […] Le poète nous met sous les yeux, ramassée en traits choisis, toute l’épouvante d’un des plus sombres épisodes de l’histoire moderne : l’occupation et la répression des Pays-Bas par le duc d’Albe. […] C’est comme si l’on disait : « Vigny a prêté des sentiments modernes aux hommes des temps anciens. […] Ces chansons modernes, quelque érudit sera-t-il un jour tenté d’en faire le recensement et de les classer par ordre ? […] Un autre groupe de chansons modernes, un des plus considérables, pourrait avoir pour titre général : « La Rue ».
Que d’ailleurs cette confusion soit à l’origine de la plupart des difficultés soulevées par le problème de la connaissance, chez les anciens comme chez les modernes, cela ne nous paraît pas douteux. […] Des deux thèses ainsi définies, la première est caractéristique de la pensée antique ; la seconde appartient à la philosophie moderne. […] C’est un fait remarquable que l’éclipse du problème des genres dans la philosophie moderne. […] La raison en est que notre philosophie a son point de départ dans les grandes découvertes astronomiques et physiques des temps modernes. […] Quoi qu’il en soit, c’est la confusion des deux espèces d’ordre qu’on trouve derrière le relativisme des modernes, comme elle était déjà sous le dogmatisme des anciens.
Bien que son point de vue soit différent, Gobineau a des affinités certaines avec les Théophile Gautier, les Flaubert, les Goncourt, les Loti, tous les artistes ou esthètes contempteurs de ce que Renan nommait la panbéotie moderne. […] Il y eut sans doute des précédents à des époques plus reculées et encore plus barbares : mais pour notre âge moderne, c’est là l’origine de la tradition. […] Cette moderne paraphrase de l’antique est vigoureusement conçue. […] Charles de Pomairols a toujours été d’orientation chrétienne, ses opinions métaphysiques ont longtemps subi l’influence de la philosophie moderne. […] Avec Loti, ils conçoivent l’Orient musulman comme une oasis de vie contemplative, menacée par la banale et bruyante civilisation moderne.
C’est tout au plus si, par occasion, il s’est amusé çà et là à arranger quelque cottage vraiment anglais et moderne. […] L’édifice nouveau a été raccordé avec l’ancien ; même seul et moderne, il ne manque point de style ; les pignons, les meneaux, les grandes fenêtres, les tourelles nichées à tous les coins ont dans leur fraîcheur un air gothique. […] Il monte à cheval, il fait à pied de longues promenades, il chasse, il vogue en mer sur son yacht, il suit de près et par lui-même tous les détails de l’élevage et de la culture, il vit en plein air, il résiste à l’envahissement de la vie sédentaire, qui partout ailleurs conduit l’homme moderne aux agitations du cerveau, à l’affaiblissement des muscles et à l’excitation des nerfs. […] Elle semble faite exprès pour ces bourgeois opulents, cultivés, libres, héritiers de l’ancienne noblesse, chefs modernes d’une Angleterre nouvelle.
Je vivais familièrement avec son beau-frère, le prince Aldobrandini, et je voyais habituellement son mari, le prince Borghèse, le Crassus de l’Italie moderne. […] On voit que le costume, cet écueil de tous les peintres modernes, et l’homme sont sortis du même jet de son imagination pittoresque ; ses figures naissent toutes vêtues ; il a l’inspiration du haillon comme du soulier, de la guêtre, du manteau. […] Il n’a pas eu besoin de dénaturer le costume moderne pour peindre des hommes et des femmes d’hier en habits antiques ; son œil groupe la toile, le drap, le cuir, comme il groupe les personnages ; en restant vrai il transfigure tout en beau : le vulgaire devient idéal sous sa touche. […] Nous ne connaissons pas, dans toute la sculpture antique, ni dans toute la peinture moderne, de groupe pastoral plus simple et plus classique à la fois que ces buffles, ce bouvier, ce gendre, cette jeune femme, ce vieillard, ce serviteur, ces glaneuses, dans leurs attitudes, dans leurs perspectives, dans leurs contrastes, dans leurs expressions différentes et concordantes sur le char et autour du char de la moisson.
Herman et Dorothée, pastiche admirable d’Homère, poème qui a la simplicité des scènes de Nausicaa ; le Comte d’Egmont, tragédie moderne ; enfin Faust, moitié drame, moitié poème, toujours rêve, mais rêve du génie, selon nous le plus vaste, le plus haut, le plus universel de ses chefs-d’œuvre. […] Supposez-vous spectateur, mais spectateur à loisir, spectateur solitaire ; non devant une scène bruyante, mais devant votre livre et votre lampe, ayant le temps et le silence nécessaires aux impressions réfléchies, et mesurez l’étendue et la profondeur de cette œuvre incomparable du génie moderne en Allemagne. […] XXVIII À ce moment Méphistophélès apparaît sous le costume d’un étudiant allemand élégamment vêtu, l’épée au côté, le manteau rejeté avec grâce sur l’épaule, le sourire du sceptique sur les lèvres, le ricanement ironique dans l’accent, la physionomie indécise entre l’homme d’esprit moderne et le satyre antique ; ses gestes sont saccadés et forcés comme ceux de l’homme qui dit une chose et qui en pense une autre. […] Méphistophélès et Faust paraissent sur le pas de la porte ; c’est là une des plus charmantes scènes inventées par le génie divin ou satanique de l’amour, et dont on ne trouve de trace ni dans le drame antique ni dans le moderne.
Ses citoyens sont restés les ancêtres de la civilisation moderne de l’Europe. […] Elle encourage les arts qui succèdent aux industries ; Florence se couvre de monuments, véritable diadème de l’Italie moderne ; elle semble gouvernée pour l’honneur de l’esprit humain par une dynastie de Périclès ; sa langue devient la langue classique de l’Italie régénérée ; ses mœurs s’adoucissent comme ses lois ; son peuple, déshabitué des guerres civiles, reste actif sans être turbulent ; il cultive, il fabrique, il navigue, il commerce, il bâtit, il sculpte, il peint, il discute, il chante, il jouit d’un régime tempéré et serein comme son climat ; les collines de l’Arno, couvertes de palais, de villages, de fabriques, d’oliviers, de vignobles, de mûriers, qui lui versent l’huile, le vin, la soie, deviennent pendant trois siècles l’Arcadie industrielle du monde ! […] Elle est par essence le temps d’arrêt des choses dans l’Europe moderne ; c’est sa force, et c’est aussi sa faiblesse. […] Devenu roi en 1831, son règne, jusqu’en 1848, fut le plus illibéral, le plus acerbe et le plus implacable de tous les règnes contre la liberté moderne, enfin le règne des ombrages autrichiens à Turin ; en religion, ce fut le règne monastique des jésuites, dont il paraissait moins le roi que le lieutenant temporel dans ses États ; ses rigueurs ne s’adoucirent pas un instant envers ses complices de 1820, proscrits à cause de lui par toute l’Europe.
L’Angleterre avait eu Shakespeare, la France Corneille, l’Allemagne Goethe et Schiller, ces frères jumeaux de la scène : pourquoi donc l’Italie moderne, dont le génie et la langue valent bien la langue et le génie de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la France, n’aurait-elle que des rimeurs de sonnets ? […] Je fermai aussitôt le livre, dépité de me connaître un tel rival parmi les modernes. […] Toutes les fois depuis que j’ai entrepris de traiter des sujets déjà traités par d’autres modernes, je n’ai voulu lire leur ouvrage qu’après avoir esquissé et versifié le mien ; si je l’avais vu au théâtre, je cherchais aussitôt à ne plus m’en souvenir, ou si malgré moi je m’en souvenais, je m’attachais à faire, autant que possible, le contraire en tout de ce qu’ils avaient fait. […] Alfieri cependant écrit tranquillement des tragédies nouvelles, la Conjuration des Pazzi, don Garcia, Oreste, en défi de Voltaire qu’il méprise et qu’il insulte comme Français, Rosemonde, Timoléon, Octavie ; il fouille toutes les histoires antiques ou modernes pour y découvrir un prétexte à tragédie.
V Les pères de la physique moderne, Descartes, Bacon, Newton, Leibniz, Laplace, se rapprochent d’Aristote toutes les fois qu’ils s’approchent de la vérité. […] Entre la science grecque et la science moderne, il y a bien une différence de degré ; mais il n’y a pas une différence de nature ; et, pour rappeler une très équitable opinion de Leibniz, Aristote n’est pas du tout inconciliable avec des successeurs dont les travaux n’eussent peut-être point été aussi heureux, si les siens ne les eussent précédés. […] On voit que la science médicale moderne ne dépasse pas les éléments qu’Hippocrate avait laissés à ses descendants ; c’est une folie d’imaginer que la science anatomique de l’homme ait attendu des milliers d’années pour éclairer la pratique des médecins ; la vie a toujours cherché dans la mort son secret : le progrès n’est ni aussi lent ni aussi ignorant qu’on le dit. […] Sur quatre doctrines, la Grèce nous en offrira donc trois à elle seule ; les temps modernes ne nous en fourniront qu’une.
L’équilibre, la conciliation de l’individualité croissante et de la solidarité croissante, tel est le difficile problème qui se pose pour les sociétés modernes. […] Les écrivains modernes ne sont pas seulement amenés a l’étude des vices ou des passions fortes, mais aussi à l’étude des monstruosités, et cela pour diverses raisons : la première est l’intérêt scientifique ; on éprouve une plus grande curiosité à l’égard de tout ce qui est dans l’espèce une anomalie, un « phénomène » ; en outre la science moderne, — physiologie ou psychologie, — attache une importance croissante à l’étude des états morbides, parce que ces états permettent de saisir sur le fait la dégradation de nos diverses facultés, de constater celles qui ont la plus grande force de résistance, d’établir ainsi des lois de la vie physique ou psychique valant même pour les êtres bien portants. […] Et parmi les plus graves défauts de notre littérature moderne, il faut compter celui de peupler chaque jour davantage ce cercle de l’enfer où se trouvent, selon Dante, ceux qui, pendant leur vie, « ils pleurèrent quand pouvaient être joyeux » 300.
La conception de ce poème du Saule est indécise et obscure, mais dans l’exécution et dans l’inspiration de certaines scènes, la poésie moderne ne monte pas plus haut et ne plane pas plus vaporeusement dans l’éther ; mais le poète est insaisissable comme le caprice. […] Quels vers modernes, même ceux de Byron le premier des modernes, égalent ceux qui éclatent à la fin de cette nuit de mai ? […] ………………………………………………………… ………………………………………………………… Est-ce qu’il n’y a pas véritablement une poésie moderne, se demande-t-on après avoir lu ces pages délicieuses de mélancolie ?
Telles sont les grands poèmes épiques de l’Inde, de la Perse, de la Grèce, de Rome, de l’Europe moderne même. […] La plus douce vertu de la terre, la pitié, exclue ainsi du ciel, a révolté les cœurs tendres ; les supplices indescriptibles de ses créatures faisant partie de la félicité du Créateur ont rendu le dogme des enfers à perpétuité un des textes de la foi moderne les plus difficiles à inculquer dans le cœur des chrétiens les plus orthodoxes. […] Nous convenons même avec eux, et plus qu’eux, qu’il est malheureux pour leur littérature moderne que les poètes qui sont venus après le Dante, tels que Tasse, Pétrarque, Arioste et leurs disciples, ne se soient pas collés davantage sur les traces du poète de la Divine Comédie pour conserver à leur langue l’énergie un peu fruste, mais plus simple et plus latine, de sa diction. […] Nous le démontrerons bientôt en traitant de l’Arioste, de Machiavel, du Tasse, de Pétrarque et des grands écrivains italiens de notre siècle, et en cela nous croirons faire une œuvre de piété filiale envers cette Italie que nous reconnaissons comme la mère du génie moderne européen.
Si j’avais concentré toutes les forces de ma sensibilité, de mon imagination, de ma raison, dans la seule faculté poétique ; si j’avais conçu lentement, écrit paisiblement, retouché sévèrement mon épopée sur un de ces grands et éternels sujets qui touchent à la fois à la terre et au ciel ; si j’avais semé à travers les dogmes et les hymnes de la philosophie religieuse ces épisodes d’héroïsme, de martyres et d’amour qui font couler autant de larmes que de vers dans les épopées du Tasse, de Camoëns ou du Dante ; si j’avais encadré mes drames épiques dans ces grandioses descriptions du ciel astronomique ou dans ces descriptions de la nature pastorale et maritime, de la terre et de la mer ; si j’avais emprunté les pinceaux et les couleurs tour à tour des grands poètes épiques de l’Inde, d’Homère, de Virgile, de Théocrite, et si j’avais répandu à grandes effusions toute la tendresse et toute la mélancolie de l’âme moderne d’Ossian, de Byron ou de Chateaubriand, dans ces sujets ; je me flatte, sans doute, mais je crois, de bonne foi, que j’aurais pu accomplir quelque œuvre, non égale, mais parallèle aux beaux monuments poétiques de nos littératures. […] « Mes amis, nous dit alors le bon professeur, je vais faire une chose inusitée, peut-être répréhensible, je vais tenter sur vos esprits une épreuve de goût ; je vais voir si l’impression qu’un livre tout moderne m’a faite ce matin en parcourant ses pages est une illusion de la nouveauté, ou si c’est une admiration légitime et motivée pour des images et pour un style aussi réellement beaux que l’antique où nous cherchons ensemble le beau. […] Cependant M. de Chateaubriand fut certainement une des mains puissantes qui m’ouvrirent dès mon enfance le grand horizon de la poésie moderne. […] L’approche de la mort, qui attendait le poète à la porte de sa prison sur l’échafaud, avait changé le diapason de ce jeune Grec en diapason moderne.
et, avant de s’y asseoir franchement, dans cet ordre moderne, que de revirements et d’erreurs encore ! […] Habile capitaine plutôt que grand général, sa mesure à cet égard est difficile à prendre, et j’aimerais assez à entendre là-dessus des gens du métier : à le traduire à la moderne, ce qui est toujours hasardeux, vu l’extrême différence des moyens en usage aux différents siècles, il me fait l’effet d’être ou d’avoir pu être, comme militaire, quelque chose entre Gouvion Saint-Cyr et Macdonald, et plus près du premier à cause des pensées.
Il faut le dire, il y a deux idées différentes et presque contraires, qui ont présidé à la constitution de l’Académie française, telle qu’elle existe à présent, sous sa forme moderne, et il convient d’autant plus de les démêler que l’une s’est insensiblement substituée à l’autre et la masque tout à fait aujourd’hui. […] Roman, nouvelles, etc., (ce genre si moderne, si varié, et auquel l’Académie a jusqu’ici accordé si peu de place).
Mais il faut en prendre son parti : si l’art était la forme la plus haute sous laquelle l’Antiquité aimait à concevoir et à composer l’histoire, la vérité au contraire est la seule loi, décidément, que les modernes aient à suivre et à consulter. […] Il s’ensuivit, depuis 1700, une guerre déclarée, une querelle par thèses et pamphlets virulents entre les défenseurs des deux sortes de vins : la querelle des Anciens et des Modernes n’était pas plus vive.
D’autres lettres de lui, publiées il y a quelques années17, et se rapportant la plupart au dernier temps de son séjour en province, à Soissons, l’avaient montré littérateur instruit, sachant même un peu d’hébreu, lisant les langues modernes, l’italien, l’anglais, citant à propos ses auteurs, et justifiant le mot de Voltaire qui le définit quelque part « un homme laborieux, exact et sans génie. » Ce n’est pas de celui-là qu’on dira que l’esprit lui sortait par tous les pores. […] Ami du poète novateur Le Brun, célébré et magnifiquement pleuré par lui, par ce futur ami d’André Chénier, le jeune Racine, de qui son père jugeait un peu sévèrement tant qu’il vécut, disant de lui, comme d’un jeune présomptueux, « qu’il voudrait tout savoir et ne rien étudier », était-il d’étoffe à être un poète novateur aussi, à oser dans le sens moderne, à désoler, puis à enorgueillir ce père redevenu et resté tant soit peu bourgeois, à l’étonner par un classicisme repris de plus haut ou par un romantisme anticipé, à être un peu plus tôt, et à la face de Voltaire vieillissant, quelque chose de ce qu’André Chénier, a été plus tard ?
C’est un point sur lequel on ne peut lâcher pied sans que l’économie même de notre histoire moderne française soit bouleversée, et la vraie notion du progrès confondue. […] Mais qu’on n’aille pas dire, à cause de cette inévitable imprévoyance mêlée à tant d’espérances légitimes et depuis justifiées, que le xviiie siècle, dans son ensemble comme dans son élite, ne reste pas incomparablement supérieur à la seconde moitié du xviie siècle par les lumières et la connaissance de l’homme vrai, de l’homme moderne en société, de l’homme civil, religieux, politique, tel qu’il sort et se prononce dans les cahiers des États-Généraux, et tel qu’il se retrouve, somme toute, après le naufrage même, au temps du Consulat : ce serait substituer un préjugé littéraire à un fait positif, à une vérité historique incontestable.
Gustave d’Eichthal, une intelligence élevée, consciencieuse, tenace, imbue d’une religiosité forte et sincère, en quête, dès la jeunesse, de la solution du grand problème théologique moderne sous toutes ses formes, s’était appliqué avec une incroyable patience à une comparaison textuelle des Évangiles et en avait tiré des conséquences ingénieuses qui ont, à la fois, un air d’exacte et rigoureuse, vérité2. […] Cette masse flottante d’esprits, qui est trop imbue des résultats généraux ou des notions vaguement répandues de la science et qui a respiré trop librement l’esprit moderne pour retourner jamais à l’antique foi, a besoin pourtant d’être édifiée à sa manière et éclairée.
Il a dans la pensée un type de théâtre à lui, une scène idéale de magnificence et d’éclat, de poésie en vers, de style orné et rehaussé d’images, de passion et de fantaisie luxuriante, d’enchantement perpétuel et de féerie ; il y admet la convention, le masque, le chant, la cadence et la déclamation quand ce sont des vers, la décoration fréquente et renouvelée, un mélange brillant, grandiose, capricieux et animé, qui est le contraire de la réalité et de la prose : et le voilà obligé de juger des tragédies modernes qui ne ressemblent plus au Cid et qui se ressemblent toutes, des comédies applaudies du public, et qui ne lui semblent, à lui, que « des opéras-comiques en cinq actes, sans couplets et sans airs » ; ou bien de vrais opéras-comiques en vogue, « d’une musique agréable et légère, mais qui lui semble tourner trop au quadrille. » Il n’est pas de l’avis du public, et il est obligé dans ses jugements de compter avec le public. […] Théophile Gautier y arrivait tout plein de la Grenade des Ballades et des Orientales ; il dut rabattre de quelques illusions au premier abord devant la Grenade réelle et moderne ; mais bientôt, à la visiter en détail et à la bien pénétrer, il retrouva tous ses ravissements.
Si l’on connaissait bien les Anciens, on accordait trop aussi à certains auteurs modernes, à ceux dont on s’exagérait de loin le prestige à travers les grilles ; on prenait trop au sérieux et au pied de la lettre des ouvrages qui mêlaient à l’esprit et au talent bien des prétentions et de petits charlatanismes ; on leur prêtait de sa bonne foi, de son sérieux, de sa profondeur ; il en reste encore quelque chose aujourd’hui après des années, même dans les jugements plus mûrs. […] Mais laissez-moi vous dire que vous supposez trop aisément que ces romans tout modernes, ces passages de dialogue cités par vous, sont acceptés ou l’ont été à leur naissance comme des types de délicatesse actuelle.
Il y a des temps décisifs dans la vie des individus, où leur constitution physique ou morale subit de graves changements et se fonde comme derechef, où l’on refait bail, pour ainsi dire, sur un certain pied et à de certaines conditions avec ses idées, avec ses moyens ; il y a, enfin, des années critiques, climatériques, comme disaient les anciens médecins, palingénésiques, comme disent de modernes philosophes. […] Si une conciliation entre toutes les parties généreuses et saines peut sembler possible au sein de la littérature moderne, c’est surtout en contemplant celle qui s’est faite avec les années dans ce haut esprit de plus en plus étendu, attentif et accueillant.
Les anciens n’ont point approfondi les passions humaines, comme l’ont fait quelques moralistes modernes ; leurs idées même sur la vertu s’y opposaient nécessairement. […] Les Romains sont supérieurs aux Grecs dans la carrière de la pensée : mais combien toutefois dans cette même carrière ne sont-ils pas au-dessous des modernes !
Déjà Buffon et surtout Lamarck, dans leurs ébauches grandioses et incomplètes, esquissent avec une divination pénétrante les principaux traits de la physiologie et de la zoologie modernes. […] Poussez plus loin cette idée avec Turgot et Condorcet344, et, à travers des exagérations, vous verrez naître, avant la fin du siècle, notre théorie moderne du progrès, celle qui fonde toutes nos espérances sur l’avancement indéfini des sciences, sur l’accroissement du bien-être que leurs découvertes appliquées apportent incessamment dans la condition humaine, et, sur l’accroissement du bon sens que leurs découvertes vulgarisées déposent lentement dans l’esprit humain.
Ainsi, de la Gaule ancienne à la France moderne, quels changements profonds ! […] la découverte de l’Amérique eut, à l’aurore des temps modernes, un effet analogue.
Il accueillait les idées et les formes modernes dans une certaine mesure ; il ne pensait pas que les anciens eussent d’avance tout trouvé. […] » Au point de vue politique toujours, il fait sentir les inconvénients d’un tel système pour le rôle de la France au-dehors et dans les relations internationales : Nos alliés, nos voisins, sont catholiques ou chrétiens ; chez les peuples modernes, la conformité des idées religieuses est devenue, entre les gouvernements et les individus, un grand moyen de rapprochement et de communication.
Cousin, professeur de philosophie, a pris soin de recueillir, dans de nombreux petits volumes très exactement revus, et très curieusement remaniés, la série de ses leçons sur l’Histoire de la philosophie moderne, tant celles de 1815 à 1820, que celles de 1828 à 1830. […] Guizot voulait, en effet, moins encore enseigner l’histoire que constituer et professer le gouvernement moderne de la France ; M.
Chez les modernes, lorsque le vaillant roi de Portugal don Sébastien eut péri en Afrique à la bataille d’Alcazar-Kebir, il y eut aussi des faux Sébastien en quantité, et qui furent accueillis avec faveur : la nationalité portugaise ne pouvait se faire à l’idée d’avoir perdu sans retour son dernier représentant et son défenseur. […] Mérimée écrit l’histoire est saine, simple, pleine de concision et de fermeté ; il y porte un esprit et un tour qui n’est qu’à lui entre les historiens modernes, et que j’aurai soin de définir, d’autant plus que cette forme n’a pas encore acquis tout son développement.
C’est dans une page détachée de ses Mémoires que le célèbre poète moderne, parlant des premiers livres qu’on lui donnait à lire dans son enfance, s’est exprimé ainsi : On me faisait bien apprendre aussi par cœur quelques fables de La Fontaine ; mais ces vers boiteux, disloqués, inégaux, sans symétrie ni dans l’oreille ni sur la page, me rebutaient. […] On a eu, du temps de d’Urfé, un essai de roman qui rappelle à quelques égards le genre métaphysique et analytique moderne.
Quand on a passé toute sa vie dans la chasteté du travail, dans le recueillement de l’étude, quand on est — par la science, du moins, — un moderne bénédictin de l’histoire, quelle fin à faire que le livre de Michelet ! […] le poisson étant, comme je l’ai dit, la plus grande préoccupation du naturaliste, qui tient bon encore dans Michelet au milieu de toutes les idées modernes de l’homme d’application qui l’envahissent et le ravissent ; car Michelet est ravi.
À son avis, l’incertitude des gouvernements contemporains, l’impatience des peuples modernes, la fragilité de toutes nos charpentes sociales et de toutes nos machines politiques, n’ont d’autre cause que la chute du christianisme et l’attente d’une religion nouvelle. […] Les Méditations, le Vicaire savoyard, et les Théodicées modernes, ne font que traduire pour un autre siècle et dans un autre style le Monologium et le Proslogium du vieil archevêque.
. — Mais Descartes était mort depuis deux siècles, et deux siècles sont beaucoup ; on aurait voulu quelque chose de plus moderne, de plus approprié aux sciences nouvelles, de plus frappant, de plus grandiose, de plus attrayant. […] Cours de l’hist. de la phil. moderne, 1815 à 1820 ; 3e édition, préface.
Pierre a soixante ans, une petite tête spirituelle et sereine, des traits nets vivement coupés, des yeux souriants et perçants, un beau front uni, un peu fuyant, régulièrement encadré par des lignes géométriques de cheveux gris, rien de maladif, d’inquiet, d’âpre ou de vague, comme dans nos figures modernes. […] Comparez les deux traductions, la complète et l’incomplète, la moderne et l’ancienne, et vous apercevrez l’analyse, sa nature, ses instruments et ses effets : « L’estomac change les aliments en bouillie. » Voilà la science ancienne ; elle tient en une ligne.
Tout le monde sait à cet égard ce que les langues greque, latine, teutone, & celtique, ont fourni aux langues modernes de l’Europe, & ce que celles-ci ont mutuellement emprunté les unes des autres ; & il est constant que l’on trouve dans la langue des Tartares, dans celle des Perses & des Turcs, & dans l’allemand moderne, plusieurs radicaux communs. […] Dans les trois langues modernes, on employe ces lettres pour représenter différentes articulations ; & cela à-peu-près dans les mêmes circonstances : c’est un premier vice. […] Pourquoi l’autorité des modernes le céderoit-elle sur ce point à celle des anciens, ou pourquoi ne l’emporteroit-elle pas, du-moins par la pluralité des suffrages ? C’est, dit-on, que l’usage moderne ne doit son origine qu’à la négligence de quelques copistes malhabiles, & que celui des Grecs paroît venir d’une institution réfléchie. […] On peut dire que cette lettre est propre à l’alphabet françois, puisque de toutes les langues anciennes que nous connoissons, aucune ne faisoit usage de l’articulation qu’elle représente ; & que parmi les langues modernes, si quelques-unes en font usage, elles la représentent d’une autre maniere.
On mêlera des convenances modernes à ces mœurs anciennes que l’on voudroit voir une bonne fois dans toute leur intégrité ! […] D’après cette fausse idée moderne, le livre de Lebrun des passions contiendroit une suite des plus justes portraits moraux, & les caractères de Théophraste devroient sur la scène réussir bien supérieurement à ceux de Térence. Rien de plus commun parmi nos Auteurs modernes, que le défaut de tracer ainsi des caractères dramatiques, d’après une idée abstraite, & de croire que des idées personnifiées sont des personnages vraiment agissans. […] L’histoire de ce peuple isolé seroit plus curieuse que celle de tous les peuples connus, anciens & modernes. […] Nous citerons ici une petite fable Persanne, intitulée : La Tragédie moderne.
Les mille petites commodités, les petits luxes modernes nous cachent l’essentiel de civilisation. […] Il partit, se promettant d’évangéliser la Babylone moderne, mais son rôle fut des plus modestes. […] de la créance aux miracles anciens, que voici des théories sur le Miracle moderne. […] Aussi les appellations modernes sont-elles très rares. […] C’est la belle doctrine d’Epicure mise ; au ton de la sensibilité moderne.
Mais, théoriquement, nous voyons la comédie moderne (tragédie bourgeoise ou comédie tragique) sortir d’elle-même des grands ouvrages de Molière. […] Reinach et Ducros appellent la « comédie moderne », aurait fort bien pu (je l’ai montré une fois) sortir assez aisément des grandes pièces de Molière. […] Mme Crosnier a été bonne, mais n’a peut-être pas été assez moderne dans celui de Mme Berlandet. […] Ainsi les écrivains, vers la fin des littératures, imaginent des composés imprévus, et font de savoureux mélanges du moderne et de l’antique. […] Elle est moins faite pour la tragédie que pour les grands rôles féminins de la comédie moderne.
« Toute la philosophie moderne dérive de Descartes », dit M. […] « Lavoisier est considéré à juste titre comme le fondateur de la chimie moderne », dit M. […] Que toute la philosophie moderne dérive de Descartes, cela peut se démontrer ; M. […] Et, donc, les principales doctrines de la philosophie moderne proviennent de Descartes. […] Géométrique, la philosophie de Descartes a fondé le rationalisme : et la philosophie moderne est rationaliste.
Ce n’est pas ici un travail d’éditeur vulgaire, supplément plus utile au libraire qu’au lecteur ; c’est un monument historique et domestique tout ensemble, consciencieusement élevé avec les lumières modernes et la véracité antique.
Quant au public, le drame moderne ne l’a pas changé : le peuple d’Athènes aimera toujours la comédie.
Par cela seul qu’elles en détournaient leur attention, elles en éloignaient les esprits bien faits, comme aujourd’hui le dégoût du public pour les abominables farces, qu’on appelle le théâtre moderne, en amène sensiblement la chute et l’oubli.