Ces impressions de l’enfance, ressaisies plus tard dans les jugements ou dans les peintures, s’y font sentir par un fonds d’émotion singulière, et sont précisément ce qui y donne la finesse et la vie. […] De pareils jugements ne jugent dans l’avenir que ceux qui les ont portés.
Cette timidité et cette vacillation en politique n’est point rare chez de grands magistrats, qui ne retrouvent toute leur force et leur autorité que sur leur siège et sous les garanties extérieures qui laissent à leur jugement toute sa balance Mais les faiblesses mêmes d’un d’Aguesseau observent des principes et ont leurs limites ; elles naissent d’un fonds de scrupules, et elles méritent encore les respects. […] Dans les Instructions contenant un plan général d’études à l’usage de son fils, et qui sont datées de Fresnes, mais d’une date antérieure à ses exils, on saisit d’Aguesseau au complet avec tous ses goûts, ses principes et ses jugements littéraires régulièrement exposés.
Quand on juge les ouvrages d’un autre genre, on a affaire aux recherches d’un auteur, à ses raisonnements et à ses jugements, à son talent dans la partie extérieure et plus ou moins aguerrie ; ici, dans la poésie, on a affaire à la chimère secrète de chacun, à son idéal préféré. […] Je pourrais en détacher des tableaux pleins de suavité et d’éblouissement, les amours de Léda et du Cygne sur l’Eurotas, le Jugement de Pâris sur l’Ida entre les trois déesses ; mais j’aime mieux, comme indication originale, donner ici la pièce intitulée Midi.
Cela est surtout vrai lorsqu’on tient à associer le lecteur à ses jugements, et à faire que, par le seul exposé des faits, il en vienne à prononcer comme nous-même. […] C’étaient sans cesse des visites domiciliaires, des menaces de pillage et d’incendie ; on accusait Beaumarchais d’être accapareur de blés, puis d’être accapareur d’armes cachées, et de les entasser dans des souterrains qui n’existaient pas : Quant à moi, disait-il dans ces espèces de mémoires et pétitions à la Convention qu’il faudrait toujours mettre en regard du monologue de Figaro, quant à moi, citoyens, à qui une vie si troublée est devenue enfin à charge ; moi qui, en vertu de la liberté que j’ai acquise par la Révolution, me suis vu près, vingt fois, d’être incendié, lanterné, massacré ; qui ai subi en quatre années quatorze accusations plus absurdes qu’atroces, plus atroces qu’absurdes ; qui me suis vu traîner dans vos prisons deux fois pour y être égorgé sans aucun jugement ; qui ai reçu dans ma maison la visite de quarante mille hommes du peuple souverain, et qui n’ai commis d’autre crime que d’avoir un joli jardin, etc.
L’histoire et le jugement de la première doivent précéder l’histoire et l’examen de la seconde, la seule qui nous intéresse véritablement, et dont il soit convenable de nous occuper ici. […] Pour oser en offrir quelques-unes au jugement et au goût des artisans de nos faubourgs, il fallut les réduire aux proportions, les assujettir aux règles et aux bienséances de notre scène.
Il y avait enfin à prononcer sur l’homme devenu ministre le jugement définitif qu’un homme ayant en soi instinct de ministre, comme croyait l’avoir Saint-Simon, aurait du moins essayé de le prononcer ! […] La preuve est faite depuis ce jugement qui reste entier.
Doué de l’imagination la plus opulente, qui saisit et reproduit avec éclat toutes les analogies et toutes les différences, puissant par la vaste étendue de l’esprit et par une étendue non moins vaste de connaissances, Macaulay pourrait être regardé comme un critique complet s’il avait le jugement souverain, qui est le coup de hache définitif et mérité par lequel le critique ressemble à l’homme d’État, et dont l’un ne peut pas plus se passer que l’autre. […] Notre admiration pour les grandes et quelquefois charmantes qualités du critique de la Revue d’Édimbourg se changeait en colère, parce qu’il ne restait pas toujours dans le jour seyant à son talent, parce qu’il semblait faire défection à ses propres facultés en faisant défection à la littérature, et qu’il troublait, en introduisant la politique dans son œuvre, le jugement qu’on devait en porter.
Et dans quelle mesure ce jugement est-il un préjugé ? […] Mais comme il est très jeune, qu’il a bien peu observé et qu’il a plus de lecture que d’expérience, son jugement ne diffère point de ceux qu’on trouve partout.
Pourquoi ces jugements ? […] Des jugements inexplicables, une induction inexplicable, une certitude subie, à cela se réduit la science.
Après avoir reçu le livre, il écrivait à Mme d’Albany, le 14 octobre 1816, — et cette lettre est devenue désormais le jugement et le commentaire inséparables d’Adolphe : … J’ai profité du retard pour lire deux fois Adolphe ; vous trouverez que c’est beaucoup pour un ouvrage dont vous faites assez peu de cas, et dans lequel, à la vérité, on ne prend d’intérêt bien vif à personne.
Patin a recueilli, avec goût et jugement, tout ce qu’on sait et tout ce qu’on peut désirer pour le moment sur ces trois maîtres immortels, Eschyle, Sophocle, Euripide.
La France a eu de sévères reproches à lui adresser au sujet des jugements étranges dont il a rempli les Lettres de Paul et l’Histoire de Napoléon Bonaparte ; mais c’était, de sa part, légèreté et préventions d’habitude, bien plutôt que mauvais vouloir et système.
Ce fut lui qui introduisit dans le palais, dans la chambre de Napoléon, malgré les défenses, madame de Hazfeld dont le mari était en jugement et allait être condamné à mort : voir Napoléon, c’était obtenir la grâce.
Aucune pensée, aucun sentiment ne perd pour cela de son énergie ; l’élévation du langage conserve seulement cette dignité de l’homme en présence des hommes, à laquelle ne doit jamais renoncer celui qui s’expose à leurs jugements ; car cette foule d’inconnus qu’on admet, en écrivant, à la connaissance de soi-même, ne s’attend point à la familiarité ; et la majesté du public s’étonnerait avec raison de la confiance de l’écrivain.
Ce jugement d’un poète ami est le nôtre aussi.
d’Alembert n’attribuera pas à un abus de critique le jugement que nous portons sur ce qui nous paroît répréhensible dans ses Ouvrages.
Il se promit bien de cultiver toute sa vie l’amitié de Rousseau, de le consulter sur tous ses ouvrages, & de les soumettre à son jugement.
Il faudra même que l’on s’y reporte : premièrement, parce qu’on ne saurait négliger ces sources sans s’exposer à faire des découvertes qui n’en seraient pas ; et puis, parce que les jugements mêmes que les contemporains et ceux qui les ont suivis ont portés sur les œuvres de nos écrivains se sont comme incorporés à l’idée que nous nous formons d’elles.
Voltaire n’a flotté parmi tant d’erreurs, tant d’inégalités de style et de jugement, que parce qu’il a manqué du grand contrepoids de la religion : il a prouvé que des mœurs graves et une pensée pieuse sont encore plus nécessaires dans le commerce des Muses qu’un beau génie.
Une femme qui assiste au jugement de Suzanne, et qu’on ne reconnoît point à son air de tête ou à ses traits pour être la soeur ou la mere de Suzanne, ne doit pas montrer le même degré d’affliction qu’une parente.
Selon les milieux où nous nous sommes développés, nous élaborons des jugements, des raisonnements.
Je laisse au jugement des auditeurs si je me suis assez bien acquitté de ce devoir pour justifier par là ces deux scènes. […] Le Roi Rodrigue a raison : je prononce le jugement en sa faveur. […] Bref, ce Jugement d’un Bourgeois contient, en seize pages, beaucoup d’idées ; c’est pétillant de bon sens et d’esprit, et ce soi-disant marguillier n’admire pas en aveugle. […] Corneille ne demandait point ce jugement, et que, d’après ses statuts, elle ne pouvait juger d’un ouvrage que du consentement de son auteur ». […] Nous avons suffisamment parlé de ce jugement par ordre.
Mme Guyon et Fénelon s’en sont remis, comme on l’a vu tout à l’heure, au jugement de Bossuet. Ce jugement, d’accord avec M. de Noailles et M. […] d’examiner les drames de Diderot ; c’est Diderot qui l’a demandé, parce que La Virotte est comme lui de la société du marquis de Croismare, et qu’il en augure un jugement favorable. […] Il faut ajouter que c’était Bernis qui s’était avisé trop précipitamment de pousser Tercier à se livrer, en quelque sorte, je ne sais par quelle démarche, au jugement du parlement. […] » Il vaut la peine de faire observer que c’est ici sur Candide le jugement que porte Grimm, et presque dans les mêmes termes.
Toutefois, lorsqu’il se propose non plus de louer, mais de reprendre, il sait étayer son jugement d’une solide argumentation. […] Bien plus, le sentiment populaire devient ici l’un des considérants du jugement des raffinés, et personne d’entre eux ne trouverait réellement comique ce qui n’aurait pas auparavant fait rire tout le monde. […] Quand nous commencions à former nos jugements littéraires, Mirbeau se livrait à l’égard de M. […] Elles entraînent son approbation avant qu’il ait le temps de formuler son jugement. […] On se lasse de cette façon de renchérir sur un terme par le moyen d’un terme plus faible, en souvenir du fameux jugement prononcé dans le Monde où l’on s’ennuie sur ce poète qui a du génie, du talent, et même de la facilité.
Gardons-nous des jugements sommaires. […] Ce jugement est fondé, si l’on entend par littérature, au sens restreint du mot, la pratique professionnelle d’un art cultivé pour lui-même et suivant certaines règles. […] Ce jugement contiendra une part de vérité, il ne sera pas toute la vérité. […] Ce jugement n’est pas trop sévère, si on l’inflige à l’homme politique, — Dieu ! […] Il y a lieu d’en appeler de ces jugements rapides et exclusifs.
Depuis deux siècles la critique s’est exercée à constater les limites de sa propriété véritable ; mais les faits manquent à cet examen, et les jugements littéraires ont été communément déterminés par le désir de faire prévaloir telle ou telle prévention. […] Est-ce là ce qui aurait fait porter à Johnson ce singulier jugement : « Que la tragédie de Shakespeare paraît être le fruit de l’art, et sa comédie celui de l’instinct ? […] Le genre est bizarre et léger ; mais, la supposition admise, rien dans l’ouvrage ne choque le jugement et ne trouble l’imagination par l’incohérence des effets. […] Le jugement général et constant qui a placé Roméo et Juliette, Hamlet, le Roi Lear, Macbeth et Othello à la tête de ses ouvrages, suffirait pour le prouver. […] Rien n’est beau pour l’homme qui ne doive ses effets à certaines combinaisons dont notre jugement peut toujours nous donner le secret quand nos émotions en ont attesté la puissance.
Non point, certes, qu’il puisse scandaliser aucun lecteur de jugement droit, et il faut être imbu d’étranges préjugés pour y voir matière à scandale. […] C’est ce même préjugé qui a fait parfois hésiter un peu le jugement de Voltaire sur La Fontaine. […] Mais, contrairement à ce dont on l’incrimine, c’est toujours un jugement droit. […] Louis Bertrand était de réfuter ce jugement en ce qui concerne saint Augustin, il faut dire que son livre est manqué. […] Georges Duhamel, du Mercure de France, critique renommé et redouté pour la rudesse de ses jugements.
Ce n’est donc pas ici de la critique, toujours au sens originel du mot : « Critique, » dit le dictionnaire, « qui décide de la valeur, des qualités et des défauts d’une œuvre. » Mais si des impressions ne sont pas des jugements, elles aident à des jugements. […] Il lui échappe sans cesse des jugements qui le rattachent à la vieille Critique et dans lesquels il prend l’œuvre d’art comme l’objet unique de son analyse, sans tenir compte de l’auteur. […] Hippocrate ne considérait-il pas déjà la maladie comme un procès entre l’élément morbide et l’organisme, et l’issue comme le jugement ? […] Ils ne vivent pas. » Pour mettre ce jugement au point, il faudrait dire : ces personnages vivent, mais devant l’auteur et pas devant nous. […] C’est, à mon sens, le livre, non pas le meilleur, — il est toujours hasardeux de porter de pareils jugements, — mais le plus caractéristique de la manière de l’auteur, celui aussi où son idée maîtresse est le plus fortement précisée.
Le chapitre VII, dans lequel il commente à sa guise le conseil d’Aristote, que celui qui veut se réjouir sans tristesse n’a qu’à recourir à la philosophie, nous le montre, au milieu de cette fougue du temps, savourant ce profond plaisir du sceptique qui consiste à voir se jouer à ses pieds l’erreur humaine, et laissant du premier jour échapper ce que, vingt-cinq ans plus tard, il exprimera si énergiquement dans le Mascurat : « Car, à te dire vrai, Saint-Ange, l’une des plus grandes satisfactions que j’aie en ce monde, est de découvrir, soit par ma lecture, ou par un peu de jugement que Dieu m’a donné, la fausseté et l’absurdité de toutes ces opinions populaires qui entraînent de temps en temps les villes et les provinces entières en des abîmes de folie et d’extravagances. » Aussi quelle pitié pour lui que la Fronde, et que toutes les frondes ! […] Mais j’irais trop loin en parlant ainsi ; on ne saurait trop se méfier de ces jugements absolus en telle matière, et l’Apologie renferme sur Zoroastre, Orphée et Pythagore, sur toutes ces belles âmes calomniées, ces génies des lettres, Omnes cœlieolas, omnes supera alla tenentes, des pages élevées, presque éloquentes, qui indiquent chez lui le sentiment ou du moins l’intelligence du Saint plus que je n’aurais cru. […] L’intervalle des deux Frondes fut un assez bon temps pour Naudé ; il y composa (1649) son ouvrage le plus intéressant, le plus original et le plus durable : Jugement de tout ce qui a été imprimé contre le cardinal Mazarin, depuis le sixième janvier jusques à la Déclaration du premier avril mil six cens quarante-neuf, ou plus brièvement le Mascurat. […] La lettre de Naudé à Peiresc, datée de Riète, 30 juin 1636, nous montre plus que nous ne voudrions l’irritation de l’offensé et son jugement secret sur l’homme qu’il avait tant admiré et célébré publiquement.
Son jugement n’est jamais indépendant ni inventif. […] On ne saurait dire précisément jusqu’où allait sa liberté de jugement, mais on sent qu’elle était grande. […] Dans le moindre de ses jugements il tient compte d’une chose considérable en effet : le jugement exprimé ou supposé des morts, qui sont plus nombreux que les vivants.
quand l’histoire s’abaisse et se souille, ne pas abaisser son jugement, ne pas laisser souiller sa pensée, et c’est là ce que Μ. de Cassagnac a su faire. […] L’auteur de la Chute de Louis-Philippe ne fut jamais, en effet, quoi qu’on ait pu dire, inféodé de sa personne, de ses principes ou de sa raison, à la maison d’Orléans, et rien ne devait invalider ou affaiblir le jugement qu’il avait à porter sur elle. […] Les jugements qu’il porte sur eux, non seulement attestent cette volonté de s’abstraire de son temps qui fait la moralité d’une histoire contemporaine, mais, nous ne craignons pas de l’affirmer, ils seront, à bien peu de choses près, l’opinion de l’avenir. […] » La forme oratoire de ce ferme jugement sur l’ancien orateur de la gauche n’en a pas compromis l’exactitude.
Mézeray, très bon historien pour ces derniers siècles, portait de Sully le jugement juste et vrai qu’il faut qu’on en porte encore, mais sans embellissement et sans enthousiasme : « Outre qu’il était infatigable, ménager et homme d’ordre, dit-il, il avait la négative fort rude, et était impénétrable aux prières et aux importunités, et attirait à toutes mains de l’argent dans les coffres du roi. » Tant que Louis XIV régna, il fut assez peu question des grandeurs et des gloires des règnes précédents. […] Quand Tallemant des Réaux, par exemple, s’appuyant du manuscrit d’un ancien secrétaire de Du Plessis-Mornay, c’est-à-dire d’un témoignage ennemi, s’amuse à nous conter que tous les soirs, à l’Arsenal, jusqu’à la mort de Henri IV, Sully, déjà arrivé à la cinquantaine, continuait d’aimer si fort la danse « qu’il dansait tout seul avec je ne sais quel bonnet extravagant en tête, qu’il avait d’ordinaire quand il était dans son cabinet », une telle anecdote, qui n’a aucun rapport prochain ni éloigné avec les actes publics de Sully et qui ne saurait être contrôlée, est indigne d’être recueillie par un historien et n’est propre (fût-elle exacte à quelque degré) qu’à déjouer et à dérouter le jugement général, bien loin d’y rien apporter de nouveau.
Daru procédera de la sorte : en matière administrative, ce sera sa méthode ; et même en littérature, son jugement aimera à s’appuyer sur des matériaux préparatoires amassés avec soin et digérés avec sens. […] Ce ministre, homme de bien et de mérite, s’appliqua à tenir une comptabilité régulière, et, après une année d’exercice, il soumit le tableau complet de ses opérations au jugement des Conseils législatifs et du public ; il le fit avec sincérité, sans réticence.
Ainsi en tout il avait ses jugements, sa manière à lui de voir et de penser. […] Elle en écrivait son impression à une amie de son âge en des termes qui valent mieux qu’un jugement, et qui représentent le profit qu’en ont tiré des générations entières : J’ai promis, ma bonne Henriette, de le communiquer mon opinion sur l’Odyssée : je vais répondre à ton désir.
Toutefois, le bon sens y est ; dès qu’un certain nombre d’hommes sont en présence, il est toujours quelque part, grâce à la diversité et à la contrariété des natures ; et si, plus tard, la postérité croit trouver la première les jugements justes et se flatte en quelque sorte de les inventer, c’est qu’elle n’a pas été informée des contradictions et protestations contemporaines : mais, après tout, les hommes qui se voient de près ne sont pas tous dupes ou enthousiastes, ils se connaissent et se jugent ou tout haut ou tout bas, mais aussi bien qu’on le fera jamais. […] Costar a peu de jugement… » « Diverses bévues de M.
Insistant sur l’utilité dont peut être une bonne dialectique pour prémunir contre les faux jugements : « Il est certain, dit-il, que la lecture fréquente des ouvrages de Bayle donne à l’esprit une certaine volubilité sur cette matière, qu’il ne tiendra jamais uniquement des avantages de la nature. » Tout en recommandant particulièrement à son frère quelques écrits de son auteur de prédilection, il ajoute que lui-même est occupé de faire imprimer en ce moment un extrait du Dictionnaire ; il compte que cet abrégé, qui porte principalement sur la partie philosophique de l’ouvrage, se répandra dans le public et pourra être utile : Je suis persuadé que la mauvaise conduite de la plupart des hommes vient moins d’un principe de méchanceté que d’une suite de mauvais raisonnements ; et je crois par conséquent que si on pouvait leur apprendre à raisonner d’une façon plus juste et plus conséquente, leurs actions s’en ressentiraient d’une manière avantageuse. […] [NdA] On peut voir au tome vii des Mémoires de Napoléon (édition de 1830, pages 323-324) le jugement définitif porté sur le prince Henri comme général et sur ses opérations militaires durant la guerre de Sept Ans : La campagne de Saxe du prince Henri a été beaucoup trop vantée, dit Napoléon ; la bataille de Freyberg n’est rien, parce qu’il y a remporté la victoire sur de très mauvaises troupes ; il n’y a pas déployé de vrais talents militaires… Dans cette campagne (celle de 1762) ce prince a constamment violé le principe que les camps d’une même armée doivent être placés de manière à pouvoir se soutenir… La campagne de 1761 est celle où ce prince a vraiment montré des talents supérieurs.
Villars, durant ces années de campagne en Flandre, fit vers lui bien des avances ; Fénelon, tout en les accueillant d’un air de bonne grâce, réservait son jugement, et dans sa correspondance particulière avec le duc de Chevreuse, dans les mémoires et instructions confidentielles à l’usage du duc de Bourgogne, on voit qu’il n’estimait point Villars à sa valeur. […] Le jugement de Mme de Maintenon sur Villars fait contrepoids à celui de Fénelon.
Je ne reviendrais pas sur ce volume qui a paru il y a plus d’un an, qui a été accueilli assez favorablement par la critique, qui a appris à ceux qui l’ignoraient que La Beaumelle (ce La Beaumelle tant honni de Voltaire et resté en si mauvais renom comme éditeur) avait de l’esprit, de la plume et du tour ; mais dans lequel ce qu’on avait surtout remarqué c’étaient les quatre-vingt sept lettres du grand Frédéric à Maupertuis ; — je n’y reviendrais pas aujourd’hui, un peu tard, s’il n’y avait quelque chose de nouveau et d’essentiel à en dire, et si une obligeance amicale ne m’avait mis à même d’en porter un jugement bien fondé. […] Malgré l’ignorance qui nous environne, nous étudions, nous disputons sans cesse, et cette soif de savoir n’est jamais assouvie ; il me semble, en lisant les philosophes et les théologiens, voir des aveugles qui errent dans l’obscurité, qui s’entre-heurtent, qui, en voulant s’éviter, se font choir, qui embrassent l’ombre pour le corps, et qui se servent quelquefois, pour s’assommer, du bâton qui leur a été donné pour se conduire, Un petit nombre, tel que vous, Euler et Clairaut, élevés dans une plus haute région, rient de leurs folies et de leurs méprises, Qu’est-ce qui produit tant de faux jugements ?
Il est vrai qu’il varie souvent sur son compte : écrivant au jour le jour, ses jugements et ses degrés d’estime sont à la merci de son impression actuelle ; il n’est jamais à une rétractation près. […] Ne croyez pas qu’il s’en tienne à ce jugement ; il aura bientôt des accès de colère et des coups de boutoir contre Fleury qui ne l’emploie pas, qui ne s’en va pas, contre ce doux vieillard qui s’obstine à vivre, à durer, dont la longévité est la plus grande des ruses et déroute tant d’ambitions qui attendent.
Nous devions le signaler, parce que, sous une forme ou sous une autre, la question Rambouillet recommence toujours ; parce que, de plus, ces politesses excessives et ces complaisances de langage servent à revêtir de coulantes facilités de jugement. […] Chez Mme Récamier, on était tenu, pour tout tribut, à quelques mollesses de goût et à quelques complaisances de jugement.
Un autre témoin fort digne d’être écouté à son sujet, Dutens, un esprit sérieux et solide, le premier éditeur complet de Leibnitz, Anglais d’adoption et de jugement, qui avait visité les principales Cours d’Europe et qui avait en soi bien des termes de comparaison, a parlé de ce prince dans le même sens que le président Hénault : « M. le prince de Conti était l’un des plus aimables et des plus grands hommes de son siècle : il avait la taille parfaitement belle (il dérogeait par là notablement à la race des Conti, qui avait la bosse héréditaire), l’air noble et majestueux, les traits beaux et réguliers, la physionomie agréable et spirituelle, le regard fier ou doux, suivant l’occasion ; il parlait bien, avec une éloquence mâle et vive, s’exprimait sur tous les sujets avec beaucoup de chaleur et de force ; l’élévation de son âme, la fermeté de son caractère, son courage et sa capacité sont assez connus en Europe pour que je me dispense d’en parler ici. […] J’ai entendu parler d’un homme de grand jugement, nullement lié avec vous, qui soutenait en public dans une compagnie que, si le bruit était fondé, rien ne pourrait donner une plus haute idée des louables et nobles principes de votre ami] (le prince).
Rousseau, à peine arrivé en terre libre, à Yverdun, s’était empressé d’écrire à M. et à Mme de Luxembourg ainsi qu’au prince de Conti, pour les remercier de leurs bontés ; dans ces premiers moments d’inquiétude et de délivrance, ses sentiments obéissant à la pente naturelle n’étaient pas encore aigris par la réflexion, ni son jugement faussé par la méfiance : il faut du temps et du travail pour en venir à sophistiquer et à se dénaturer à soi-même cette première sincérité des impressions involontaires. […] Mais, ne pouvant égaler le vainqueur de Darius, Diogène voulut au moins le braver du fond de son tonneau… » L’explication toute médicale, qu’on a eue depuis, des travers et de la manie de Rousseau, Mme Riccoboni ne l’avait pas encore ; mais, pour tout le reste, l’ensemble de ce jugement est parfait.
Le jugement rendu par le Parlement dans l’affaire du collier fut un coup de tonnerre qui acheva de réveiller Marie-Antoinette d’un beau songe. […] Telle est depuis longtemps mon idée sommaire de Marie-Antoinette, et rien de ce que je viens de lire dans les volumes nouveaux ne m’en a fait revenir et n’a réfuté en moi un jugement qui n’a rien d’ailleurs d’une accusation ni d’un reproche.
Bien qu’un poëte ne soit pas nécessairement un critique, que mille éléments suspects animent les jugements littéraires qu’il laisse tomber d’un ton d’oracle, et qu’on ne doive pas lui en demander un compte trop scrupuleux, pourtant la préface en vers de M. de Musset renferme, entre autres opinions contestables, un rapprochement entre Mérimée et Calderon, qui m’a semblé dépasser toutes les bornes de la licence poétique en pareille matière : L’un, comme Calderon et comme Mérimée, Incruste un plomb brûlant sur la réalité, etc. […] A l’appui de ce jugement sur M.
y a-t-il lieu surtout de réformer à quelques égards le jugement établi sur son talent ? […] On peut voir dans le Journal de Collé, mai 1759 (tome II, page 292), un jugement fort modéré et fort sensé sur la publication de cette lettre et sur Gresset lui-même.
Hier encore, un estimable journal, du très-petit nombre de ceux dont les jugements comptent, le Semeur 86, tout ému de charmantes lettres d’amour écrites en 1814 par Benjamin Constant, et dont M.de Loménie a publié des extraits, semblait en conclure que nous avions perdu notre cause, comme si nous nous étions mêlé de cette délicate matière, et comme si nous avions rien dit qui pût faire injure à ces tendres billets. […] Dans cette voie si périlleuse de la biographie contemporaine, il a su éviter les écueils de plus d’un genre, et atteindre le but qu’il s’était proposé : de la loyauté, de l’indépendance, aucune passion dénigrante, de bonnes informations, la vie publique racontée avec intelligence et avec bon sens, la vie privée touchée avec tact, ce sont là des mérites dont il a eu l’occasion de faire preuve bien des fois en les appliquant à une si grande variété de noms célèbres tant en France qu’à l’étranger ; cela compense ce que sa manière laisse à désirer peut-être au point de vue purement littéraire, et ce qui doit manquer aussi à ses jugements en qualité originale, car l’étendue même de son cadre lui impose un éclectisme mitigé.
» Et il lui eût été fort égal d’être taxé d’optimisme, c’est-à-dire, au jugement de quelques-uns, d’ingénuité. […] Car (pour ramener la complexité des choses à des expressions toutes simples) on aurait presque tout dit en disant que si la Grèce s’éleva par sa générosité charmante, elle périt par quelque chose d’assez approchant de ce que nous nommons le dilettantisme ; et de même, si c’est en somme par la vertu que grandit la république romaine, dire que, avant de mourir par les barbares, l’Empire mourut du mensonge initial d’Auguste et de n’avoir pas eu les institutions qui en eussent fait une patrie au lieu d’un assemblage de provinces, et à la fois de la corruption païenne et de l’indifférence chrétienne à l’égard de la cité terrestre, et encore de l’abus de la fiscalité qui amena la disparition de la classe moyenne, c’est dire, au fond, qu’il périt faute de franchise ou de bon jugement chez ses fondateurs, faute de liberté et d’égalité, faute de communion morale entre ses parties et, finalement, faute de bonté. — Et toutefois le sévère historien sait gré à Rome d’avoir eu quelque chose de ce qu’il lui reproche de n’avoir pas eu assez.