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950. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Elles regardent à travers les fenêtres des yeux et se jouent à fleur de lèvres. […] Joue donc le rôle que le sort t’a donné à jouer, et non celui d’un autre, et tu sortiras de ce monde avec la réputation d’un bon comédien, sans avoir à te repentir à ton lit de mort, comme le valeureux don Quichotte de la Manche, d’avoir manqué ta vie. […] Combien plus sages sont les muletiers qui le rouent de coups, les Maritornes qui le bernent et les aimables plaisants qui se jouent de lui ! […] Enfants, nous avons joué ensemble ; ensemble nous avons été élevés dans le même collège, ensemble nous avons passé la saison de l’adolescence. […] Et comme il était à son aise dans le rôle que la nature lui avait donné à jouer !

951. (1864) Études sur Shakespeare

Chez une nation ainsi homogène, et à travers les vicissitudes de sa destinée, le christianisme même ne joua point le rôle qui lui échut ailleurs. […] En 1583, peu de temps après le succès momentané des puritains contre les théâtres de cette ville, huit troupes de comédiens y jouaient chacune trois fois par semaine. […] Mais Shakespeare en a fait le Songe d’une nuit d’été ; au milieu de cette fade intrigue interviendront Oberon et son peuple de fées et d’esprits qui vivent de fleurs, courent sur la pointe des herbes, dansent dans les rayons de la lune, se jouent avec la lumière du matin, et s’enfuient à la suite de la nuit, mêlés aux douteuses lueurs de l’aurore. […] Il y a lieu de croire que tous ces spectacles rassemblaient à peu près le même public ; du moins est-il certain que les pièces de Shakespeare ont été jouées à Black-Friars et au Globe, deux théâtres différents, bien qu’appartenant à la même Troupe. […] La maison où naquit Shakespeare subsiste encore à Stratford, toujours montrée aux voyageurs, qui peuvent y voir toujours, et même, dit-on, y acheter constamment soit la chaise, soit l’épée du poëte, la lanterne qui lui servit à jouer, dans Roméo et Juliette, le rôle du frère Laurence, ou les morceaux de l’arquebuse qui tua le daim de sir Thomas Lucy.

952. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « LEOPARDI. » pp. 363-422

Ainsi, chez nous, Paul-Louis Courier jouait à l’Amyot. […] La rime joue d’ailleurs un rôle très-savant et compliqué dans les couplets des canzones de Leopardi ; elle reparaît de distance en distance et correspond par intervalles calculés, comme pour mettre un frein à toute dispersion. […] ) Le chant de la personne aimée joue un grand rôle dans ces diverses pièces. […] Ruysch éveillé regarde à travers les fentes de la porte, il a un moment de sueur froide malgré toute sa philosophie ; il entre pourtant : « Mes enfants, à quel jeu jouez-vous ?

953. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE CHARRIÈRE » pp. 411-457

Après l’avoir écouté avec une sorte de surprise : « Tout ce que je puis vous répondre, monsieur, c’est que M. de Charrière se promène beaucoup dans son jardin, lit une partie du jour, et joue tous les soirs… » Quand j’étais jeune, j’ai cent mille fois répété en arpentant le château de Zuylen : Un esprit mâle et vraiment sage, Dans le plus invincible ennui, Dédaigne le triste avantage De se faire plaindre d’autrui217. […] Il aimait dans son pays, il aime toujours Caliste, et celle-ci, créature adorable, l’aimait également : mais elle avait monté sur le théâtre, elle avait joué dans the Fair Penitent le rôle dont le nom lui est resté ; sa réputation première avait été équivoque. […] A l’âge d’environ douze ans (1779), on le voit, par une lettre à sa grand’mère, déjà lancé, l’épée au côté, dans le grand monde de Bruxelles ; il y parle de la musique qu’il apprend, des airs qu’il joue, et dans quelle manière : « Je voudrais qu’on pût empêcher mon sang de circuler avec tant de rapidité et lui donner une marche plus cadencée ; j’ai essayé si la musique pouvait faire cet effet. Je joue des adagio, des largo, qui endormiraient trente cardinaux.

954. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre III. — Du drame comique. Méditation d’un philosophe hégélien ou Voyage pittoresque à travers l’Esthétique de Hegel » pp. 111-177

Mais, dans la comédie, où l’accidentel et l’arbitraire jouent naturellement un rôle essentiel217, on ne saurait en faire une règle absolue. […] Il pouvait, en donnant à son drôle une imagination riche et une intelligence supérieure, l’affranchir de ses passions basses par le baptême de l’esprit, et élever sa personne à une hauteur infinie au-dessus du rôle injuste et faux joué par sa scélératesse. […] Après lui, le mariage fut profané sur la scène, ce qu’il y a de plus saint au monde put être sérieusement joué, et la victoire impie de l’individu sur le Divin fut proposée aux spectateurs comme l’objet le plus digne d’exciter leurs éclats de rire et leurs battements de mains. […] La tragédie n’offre pas la même latitude pour le développement de la personnalité du poète que la comédie, dans laquelle l’accidentel et l’arbitraire de l’individualité jouent naturellement un rôle essentiel.

955. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Sans cette vérité, le poème n’est plus épique, il est romanesque ; le poète ne chante plus, il joue avec son imagination et avec celle de ses auditeurs ; on l’admire encore, on ne le croit plus ; il fait partie des fables, il ne fait plus corps avec les traditions sérieuses, historiques, nationales, religieuses du genre humain. […] C’est un drame entièrement imaginaire et fantastique, qui pourrait aussi bien se jouer entre des ombres dans la lune, qu’entre des chrétiens et des musulmans dans la Palestine ; un rêve, en un mot, au lieu d’une réalité. […] « Le gazouillement des oiseaux qui saluent l’aurore, le fleuve qui murmure, le zéphyr qui se joue avec les ondes et soupire à travers les feuillages, la réveillent aux premiers rayons du jour : elle ouvre des yeux languissants et promène ses regards sur les asiles solitaires des bergers ; elle croit entendre une voix qui la rappelle à la douleur et aux larmes. […] Les chevreaux qui bondissent dans la plaine, les poissons qui se jouent dans les ondes, les oiseaux qui étalent au soleil leur superbe plumage, voilà mes spectacles et mes plaisirs.

956. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (3e partie) » pp. 5-96

L’homme qui s’est appelé Goethe dans Faust et dans Werther a joué du cœur humain comme d’un instrument sacré devant l’autel de Dieu ; Voltaire n’a joué que de l’esprit humain pour amuser les hommes de bon sens. […] Entre les chants, les Tyroliens jouèrent différentes danses nationales, sur une espèce de cithare couchée, avec un accompagnement de flûte traversière d’un son clair. […] Après lui, elle fut encore mère de trois autres fils, tous richement doués, tous ayant joué avec vigueur leur rôle dans le monde, et tous doués d’un certain talent poétique.

957. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

Si Mozart, au lieu de jouer du clavecin dès l’âge de trois ans, après très peu de temps d’exercice, eût joué une mélodie sans aucune étude préalable, on aurait pu assurer en toute vérité qu’il le faisait instinctivement. […] On a vu quel rôle important joue le travail d’excavation dans la construction des cellules ; mais ce serait faire erreur que de supposer les Abeilles incapables d’élever une cloison de cire où il en est besoin, c’est-à-dire dans le plan d’intersection de deux sphères contiguës. […] La sélection, au contraire, a dû jouer en ce cas un rôle très important.

958. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Shakespeare »

Et enfin, répandant sur tout le drame les reflets de sa pénétrante sagesse et de sa plus touchante pitié, et y éteignant toute cette vie qui y pétille et brûle pour la rendre plus douce à la Mort, — à la Mort qui va venir tout à l’heure, — il y a un des personnages les plus délicieusement nuancés de tout le théâtre de Shakespeare, le frère Laurence, l’aimable prêtre, la bonté de Dieu dans un homme, ce rôle savamment composé que s’était réservé Shakespeare, quand il jouait, ce délicat Shakespeare, ce grand acteur exquis, à la voix de médium veloutée et à la physionomie « purement humaine », comme l’a très bien remarqué Tieck ; — car rien d’animal ou d’inférieur ne pourrait tacher, même une minute, en y passant, la calme splendeur de l’angle facial de Shakespeare ! […] François Hugo qui dans ses précédentes préfaces, a joué aux petits ronds dans le puits de Shakespeare, a fini ce jeu et met la main sur une idée juste. […] Elle était tirée d’un épisode du roman de Brut (1153), et elle avait été mise à la scène et jouée sous différents noms d’auteurs, je ne sais combien de fois. […] C’est là, en effet, que vous trouverez ce personnage charmant du Fou du roi dont la folie est une sagesse, et cet admirable rôle du possédé que joue Edgar pour se déguiser, cet insensé de Pauvre Tom, dont l’effet fut si grand que la première édition du drame de Shakespeare portait ce titre : Vie historique du Roi Lear et de ses filles, avec la vie infortunée d’Edgar, fils du comte de Glocester, et sa sombre humeur assumée de Tom de Bedlam (1608).

959. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Paul Féval » pp. 107-174

Un siècle sédentaire comme le xviiie  siècle, qui vivait dans des salons ou dans des cafés, dut naturellement raffoler de Gil Blas, de ce gentilhomme de grande route, l’idéal impossible d’un bonhomme parfaitement cul-de-jatte en fait d’aventures, qui passa sa vie en habit gorge de pigeon à jouer au domino au café Procope, entre sa tabatière et sa bavaroise, dans la plus grasse et la plus bourgeoise des tranquillités ! […] Dans Aimée, où il essaya de faire autre chose que de l’aventure ; dans Le Drame de la jeunesse, plus réussi, et où il révéla ce qu’il pourrait être s’il voulait énergiquement remonter vers les hautes et profondes régions du roman. — Dans Le Drame de la jeunesse, où il reprit l’idée d’Aimée (l’influence des livres et du théâtre sur la pensée et la moralité modernes, l’altération du naturel par les réminiscences littéraires, la pose, la comédie éternelle jouée entre nous et Dieu, et qui nous empêche d’avoir l’originalité même de nos vices et de nos douleurs), il poussa au comble du suraigu cette ironie15 qui est le caractère de son esprit et le symptôme de sa force, et qui pourrait faire de Paul Féval, s’il la développait dans des sujets de cœur, un romancier d’un comique amer de la plus poignante originalité. […] Paul Féval, qui joue depuis plus de trente ans avec les haltères du feuilleton, a gardé les habitudes que ce diable de feuilleton nous donne. […] Le voilà, avec ses traits hardis, bizarrement fouillés, sa joue longue, creuse et blême, hachée de rides dont chacune trahit un sarcasme guéri, une colère apaisée, une plainte réduite au silence.

960. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — I. » pp. 301-321

Mais au moment où ce défaut sommeille, en ces instants reposés où il redevient Italien, Milanais, ou Parisien du bon temps ; quand il se trouve dans un cercle de gens qui l’entendent, et de la bienveillance de qui il est sûr (car ce moqueur à la prompte attaque avait, notez-le, un secret besoin de bienveillance), l’esprit de Beyle, tranquillisé du côté de son faible, se joue en saillies vives, en aperçus hardis, heureux et gais, et en parlant des arts, de leur charme pour l’imagination, et de leur divine influence pour la félicité des délicats, il laisse même entrevoir je ne sais quoi de doux et de tendre dans ses sentiments, ou du moins l’éclair d’une mélancolie rapide : Un salon de huit ou dix personnes aimables, a-t-il dit, où la conversation est gaie, anecdotique et où l’on prend du punch léger à minuit et demi73, est l’endroit du monde où je me trouve le mieux. […] Quand il ne fait que se prendre corps à corps aux adversaires du moment, à ceux qui parlent de Shakespeare sans le connaître, de Sophocle et d’Euripide sans les avoir étudiés, d’Homère pour l’avoir lu en français, et dont toute l’indignation classique aboutit surtout à défendre leurs propres œuvres et les pièces qu’ils font jouer, il a raison, dix fois raison.

961. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — I. » pp. 413-433

Il se joue cependant avec Catulle ; il s’applique déjà à Horace ; puis une bien autre ambition le tente, l’épopée elle-même, l’épopée moderne avec toutes ses difficultés et ses réalités positives, ennemies du merveilleux ; âgé de vingt ans, il ne voit là rien d’impossible : il compose donc son Washington ou la Liberté de l’Amérique septentrionale, et, choisissant le siège de Boston comme fait principal et comme centre de l’action, il achève un poème en douze chants dont on pourrait citer des vers honorables, et qu’il accompagne d’une préface modeste et judicieuse. […] Vous êtes en petit la Sagesse éternelle qui se jouait en créant l’univers : vous l’imiterez sans doute en ne précipitant rien.

962. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Le prince embellissait ses jardins, y créait des accidents heureux, y fondait des monuments commémoratifs avec des inscriptions longuement méditées pour les guerriers qui lui étaient chers ; il dessinait, peignait quelquefois, s’amusait à faire des vers, à écrire des pièces de théâtre qu’on jouait devant lui, ou inspirait les motifs de leurs opéras les plus applaudis aux compositeurs de sa petite cour. […] Pendant tout le séjour qu’il a fait à Paris, il venait constamment à mes soirées musicales, ne redoutait point la présence des premiers virtuoses, et je ne l’ai jamais vu refuser de faire sa partie dans un quatuor à côté de Viotti, qui jouait le premier violon.

963. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — IV » pp. 103-122

C’était le théâtre auquel il aspirait le plus et où son ambition allait trouver tout son emploi ; car c’est là que se portaient les grands coups et que se jouait le sort du royaume. […] Villars, après avoir étudié le terrain, suivant son principe « que, quand on doit jouer une furieuse partie de paume, il faut au moins connaître le tripot », vit bien que d’attaquer Eugène dans ses lignes commencées de Landrecies était chose téméraire, et il se décida à porter son effort contre le camp de Denain, qu’il savait plus abordable, et dont le maréchal de Montesquiou (d’Artagnan) lui avait le premier parlé11.

964. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier (suite et fin.) »

Les dix années qu’elle passa avec son ami furent tout entières consacrées par elle à adoucir son amertume, à favoriser ses goûts, à y entrer autant qu’elle le pouvait, soit qu’il voulût jouer la tragédie, — ses propres tragédies, — à domicile (ce qu’il fit d’abord avec le feu et l’acharnement qu’il mettait à toute chose), soit qu’il lui plût de s’enfermer et de tirer le verrou pour travailler comme un forçat, versifier jour et nuit ou étudier le grec à mort : c’étaient les seules diversions assez fortes pour l’absorber et pour l’aider, tant bien que mal, à endurer les invasions intermittentes de la Toscane par les armées républicaines. […] Le dimanche soir régulièrement, elle réunissait toute la jeunesse de la ville, jeunes filles et jeunes garçons qui venaient jouer et danser.

965. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance »

Dans ses jeux, tout enfant, il jouait avec d’autres compagnons de son âge à la république. — à une petite république vertueuse et heureuse. […] « Les autres emplois civils et militaires avaient été également distribués, par élection, entre ces républicains imberbes qui s’engageaient à secourir les pauvres (on avait un trésor) et à défendre les faibles. » D’autres joueront au drame ; d’autres, à la guerre et au conquérant : ici c’est l’économiste et le philanthrope en herbe qui se dessine.

966. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Corneille. Le Cid(suite et fin.)  »

Il est temps que la beauté du langage vienne faire oublier ce qu’il y a d’un peu singulier, et même d’un peu comique, dans la situation du vieillard : « Tout cassé que je suis, je cours toute la ville… » Dès que don Diègue et Rodrigue se sont rencontrés, Corneille retrouve ses accents et traduit admirablement son modèle, lequel, à cet endroit, est des plus beaux : « Touche ces cheveux blancs à qui tu rends l’honneur ; Viens baiser cette joue, et reconnais la place Où fut jadis l’affront que ton courage efface. » — Admirable ! […] « Sans faire aucun des deux ni vaincu ni vainqueur. » Elle joue, à ses propres yeux, l’indifférente et la neutre.

967. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Une femme d’esprit disait en parlant d’un ancien amant qui avait pris toute sa jeunesse : « Il m’a laissée là quand il m’a vue flétrie ; mais je me suis dit : Je vais me venger et lui jouer un bon tour, je resterai son amie. » Mme Dufrenoy avait pensé à peu près la même chose, mais elle l’avait dit sans un malin sourire et d’un ton plus élégiaque et tout sentimental : Amour, redonnez-lui le dessein de me plaire ; Mais, quoi que l’ingrat puisse faire, Ne sortez jamais de mon cœur ! […] Il m’a avoué qu’il ne joue que pour cela26. » On assiste à ce commérage spirituel qui faisait le tous-les-jours de Béranger dans l’intervalle de ses chansons, et qui n’a pas discontinué pendant plus de trente ans.

968. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres inédites de F. de La Mennais »

Il n’en avait gardé, disait-il, que deux souvenirs : il se rappelait l’avoir vue réciter son chapelet et jouer du violon. […] Ils méritent d’être donnés en entier et sont le plus éloquent commentaire de ce qu’a raconté de ce Concile national M. d’Haussonville au tome iv de l’Église romaine sous le premier Empire « (La Chesnaie, 1811.) — Gratien arrive et me remet tes paquets. — Comme la Providence se joue des passions humaines et de la puissance de ces hommes qu’on appelle grands !

969. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

Jean-Jacques, M. de Chateaubriand, Benjamin Constant et Mme de Staël, essayant de s’exprimer en vers, m’ont toujours fait l’effet de Minerve, qui, voulant jouer de la flûte au bord d’une fontaine, s’y regarde et se voit si laide, qu’elle jette de dépit la flûte au fond des eaux. […] L’adorable drôlerie, A quoi rêvent les Jeunes Filles, imbroglio malicieux et tendre qu’on peut lire entre le Songe d’une Nuit d’Été ou Comme il vous plaira et le cinquième acte de Figaro, n’est que le gracieux persiflage de cette idée de chaos où il se joue, de même que Frank m’en paraît la personnification sombre, fatiguée et luttante.

970. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Quand il s’agit de juger la vie, les actions, les écrits d’un homme célèbre, on commence par bien examiner et décrire l’époque qui précéda sa venue, la société qui le reçut dans son sein, le mouvement général imprimé aux esprits ; on reconnaît et l’on dispose, par avance, la grande scène où le personnage doit jouer son rôle ; du moment qu’il intervient, tous les développements de sa force, tous les obstacles, tous les contrecoups sont prévus, expliqués, justifiés ; et de ce spectacle harmonieux il résulte par degrés, dans l’âme du lecteur, une satisfaction pacifique où se repose l’intelligence. […] Il y soigne sa santé, il y traite ses amis Rapin, Bourdaloue, Bouhonrs ; il y joue aux quilles ; il y cause, après boire, nouvelles de cour, Académie, abbé Cotin, Charpentier ou Perrault, comme Nicole causait théologie sous les admirables ombrages de Port-Royal ; il écrit à Racine de vouloir bien le rappeler au souvenir du roi et de madame de Maintenon ; il lui annonce qu’il compose une ode, qu’il y hasarde des choses fort neuves, jusqu’à parler de la plume blanche que le roi a sur son chapeau ; les jours de verve, il rêve et récite aux échos de ses bois cette terrible Ode sur la prise de Namùr.

971. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIIIe entretien. Chateaubriand, (suite) »

Sous leurs pinceaux, les accidents de la nature se transformèrent en esprits célestes : la Dryade se joua dans le cristal des fontaines ; les Heures, au vol rapide, ouvrirent les portes du jour ; l’Aurore rougit ses doigts, et cueillit ses pleurs sur les feuilles de roses humectées de la fraîcheur du matin ; Apollon monta sur son char de flammes ; Zéphire, à son aspect, se réfugia dans les bois, Téthys rentra dans ses palais humides, et Vénus, qui cherche l’ombre et le mystère, enlaçant de sa ceinture le beau chasseur Adonis, se retira avec lui et les Grâces dans l’épaisseur des forêts. […] Joubert se promenait à l’écart dans une allée sablée ; deux chiens de garde et une chatte se jouaient autour de nous, tandis que des pigeons roucoulaient sur le bord du toit.

972. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) «  Mémoires et correspondance de Mme d’Épinay .  » pp. 187-207

Ici, au xviiie  siècle, ce n’est plus la vieille Macette, mais une Macette plus jeune et plus fine d’esprit, plus fraîche de joue, c’est Mlle d’Ette qui remplit exactement le même rôle auprès d’une jeune femme du monde. […] On joue éperdument la comédie, et cette comédie n’est qu’un prétexte à se mêler, à s’isoler, à se retrouver sans cesse : « Ils sont là une troupe d’amoureux, écrit Mlle d’Ette à son chevalier.

973. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame Geoffrin. » pp. 309-329

On a dernièrement imprimé ce petit billet d’elle à David Hume, comme échantillon de sa façon de bourrer les gens quand elle en était contente ; je n’y supprime que les fautes d’orthographe, car Mme Geoffrin ne savait pas l’orthographe, et ne s’en cachait pas : Il ne vous manquait, mon gros drôle, pour être un parfait petit-maître, que de jouer le beau rigoureux, en ne faisant pas de réponse à un billet doux que je vous ai écrit par Gatti. […] Il en fut tout étonné lui-même, et, comme elle lui faisait compliment de sa bonne conversation en sortant, il répondit : « Madame, je ne suis qu’un instrument dont vous avez bien joué. » Mme Geoffrin était une habile virtuose.

974. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Saint-Évremond et Ninon. » pp. 170-191

De même en musique, quand elle jouait du luth ; elle préférait une expression touchante à la plus savante exécution : « La sensibilité, disait-elle, est l’âme du chant. » On a donné tant de portraits de Ninon, que je me bornerai à en indiquer un qui nous la montre dans sa jeunesse, sous son jour le plus favorable et le plus décent. […] On y causait et on n’y jouait pas.

975. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

[NdA] Cette tragédie en cinq actes et en vers fut représentée pour la première fois le 22 juin 1810, à Saint-Cloud, devant l’Empereur, « qui, avant de la laisser jouer au Théâtre-Français, voulut qu’elle fût donnée à la Cour ». […] L’Empereur en a paru convaincu, et a dit qu’ayant été trompé une fois à la lecture d’une tragédie, il n’en laisserait désormais jouer aucune qu’elle n’eût été préalablement représentée sur le théâtre de la Cour. » (Journal et souvenirs de Stanislas Girardin, t. 

976. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Ceci devait mourir dans le même lieu qui l’a fait naître ; mais ceux qui vivent dans une société ont des devoirs à remplir ; nous devons compte à la nôtre de nos moindres amusements. » Il semble même qu’en terminant ce mémoire, Montesquieu s’attache trop à diminuer le mérite de l’observateur, lequel a souvent besoin de toute sa subtilité d’esprit et de son invention ingénieuse pour amener le fait sous son regard : Il ne faut pas avoir beaucoup d’esprit, disait Montesquieu, pour avoir vu le Panthéon, le Colisée, des Pyramides ; il n’en faut pas davantage pour voir un ciron dans le microscope ou une étoile par le moyen des grandes lunettes ; et c’est en cela que la physique est si admirable : grands génies, esprits étroits, gens médiocres, tout y joue son personnage. […] Dans les Lettres persanes, Montesquieu, jeune, s’ébat et se joue ; mais le sérieux se retrouve dans son jeu ; la plupart de ses idées s’y voient en germe, ou mieux qu’en germe et déjà développées : il est plus indiscret que plus tard, voilà tout ; et c’est en ce sens principalement qu’il est moins mûr.

977. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Ivan Tourguénef »

Tourguénef ait fait tout un livre de scènes rustiques, il est impossible d’en extraire une somme d’idées générales concordantes sur le paysan russe ; et quoique ses romans se jouent d’ordinaire entre des nobles de haute ou de petite fortune, quelque chose qui ressemble au type du gentilhomme russe ne s’y trouve pas. […] » Par une dernière infortune, il s’est épris d’une jeune fille loyale, ferme, qui croit de toutes ses forces aux idées révolutionnaires et se prépare sans hésiter à évangéliser le peuple ; son amour pour Nejdanof est né en dernière analyse, du rôle d’agitateur que celui-ci a prétendu jouer.

978. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

Le rôle le plus imposant que puisse jouer un Orateur profane, c’est d’être l’interprête de son Roi ou l’organe de la patrie ; le théatre le plus brillant qu’il puisse s’ouvrir, c’est un Sénat, une Cour, une place publique ; les sujets les plus frappans qu’il puisse traiter sont l’homme & ses besoins, le tems & ses vicissitudes. L’Orateur sacré joue un plus grand rôle, celui d’être l’interprête de son Dieu, & l’organe de la Religion.

979. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre III : Concurrence vitale »

Je dois ajouter que les heureux effets de croisements fréquents et les effets fâcheux des fécondations entre individus proches parents jouent aussi leur rôle en pareil cas ; mais je ne veux pas m’étendre ici sur cette difficile question. […] La multiplication de toute espèce est donc toujours entravée par diverses causes qui agissent à différentes périodes de la vie, et qui, en différentes saisons de l’année, jouent leur rôle tour à tour ; quelques-unes sont plus puissantes, mais toutes concourent à déterminer le nombre moyen des individus ou l’existence même de chaque espèce.

980. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

. — Cousin est peut-être celui des trois qui, sans effort, atteindrait le mieux au grand style d’autrefois et qui jouerait le plus spécieusement, plume ou parole en main, la majestueuse simplicité du siècle de Louis XIV. — Pour Villemain, par l’éclat même et les élégantes sinuosités de sa recherche, il trahit un âge un peu postérieur ; il enchérit à quelques égards sur le xviiie  siècle, en même temps qu’il le rafraîchit, qu’il l’embellit avec charme et qu’il l’épure.

981. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « APPENDICE. — M. DE VIGNY, page 67. » pp. -542

Le Père Joseph, qui écoute toujours caché derrière les portes, les tapisseries, et jusque dans le confessionnal, joue ici en sandales le rôle des petits nains du romancier écossais.

982. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. De la France en 1789 et de la France en 1830 »

A ceux qui, séduits par des ressemblances extérieures, ne voyaient dans notre révolution de 1830 que le pendant de celle de 1688, et n’en prétendaient guère tirer plus de conséquences, nous avons tâché de prouver que ces ressemblances assez piquantes ne jouaient qu’à la surface, n’apparaissaient que dans les hommes ou dans les mouvements des partis, mais qu’au fond les différences politiques étaient considérables.

983. (1874) Premiers lundis. Tome I « Vie, poésies et pensées de Joseph Delorme. Deuxième édition. »

Sainte-Beuve de leurs hostilités, jouent, sans s’en douter, un mauvais jeu.

984. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre III. Ce que c’est que le Romanticisme » pp. 44-54

comment se figurer Sylla joué sans changements de décorations ?

985. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre X. Zola embêté par les jeunes » pp. 136-144

Dans les anciens palais-royal on jouait Arnal embêté par Ravel.

986. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « L’état de la société parisienne à l’époque du symbolisme » pp. 117-124

Félix Faure joue au souverain, restaure, à son profit, le cérémonial des cours, fait marquer à son chiffre les serrures de l’Élysée et passe le temps qu’il dérobe aux réjouissances, à imaginer un costume d’apparat aux vives chamarrures dont il puisse se prévaloir aux yeux des foules éblouies.

987. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 39-51

Il faut, en effet, que l’horizon de ce petit Etat offre, sans interruption, des météores, des phénomenes, des monstres ; qu’on y joue des scenes plaisantes, qu’on y fasse des tours d’adresse : sans cela, qui voudroit s’en occuper ?

988. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre II. Bovarysme essentiel de l’être et de l’Humanité »

Mais le sentiment même de cette liberté originelle, lorsqu’elle apparaît en quelques individualités héroïques, les condamne à connaître en même temps la minutieuse fatalité qui les contraint à jouer leur rôle individuel, tel qu’ils se rappellent l’avoir eux-mêmes composé naguère, strictement délimité par le rôle précis d’une infinité d’autres personnages et par le contour inflexible des décors.

989. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Milton, et Saumaise. » pp. 253-264

« Anglois, qui vous renvoyez les têtes des rois comme des balles de paume ; qui jouez à la boule avec des couronnes ; qui vous servez de sceptres comme de marottes ; &c. » Les monarchomaques triomphèrent.

990. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — De la langue Latine. » pp. 147-158

La fureur de montrer de l’esprit, & de jouer sur les mots, a gagné nos latinistes, autant que les écrivains François.

991. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Sur un plan plus enfoncé, et correspondant au persécuteur terrassé, vu de face, un soldat sur son cheval ; le cheval tranquille est plus brave que l’homme qui est fort effrayé, mais à la vérité d’un faux effroi, d’un effroi de théâtre ; ce gros soldat joue la parade.

992. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Wallon »

Il s’est donné pour but de déshonorer le fondateur de l’éclectisme comme philosophe en l’honorant comme écrivain, comme orateur, comme… — il faut bien dire la chose puisqu’elle est, — comme le plus prestigieux comédien intellectuel qui se soit joué des comédies à soi-même, et, pour le déshonorer mieux, il l’honore trop.

993. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou Le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (2e partie) » pp. 365-432

Amenez-lui un frère de Lacenaire, converti en un Jean Valjean philanthrope, et vous verrez s’il lui donnera sa fille, et s’il jouera ses enfants et le renom si pur de sa famille à ce croix ou pile du réformateur ! […] Ce fut le conventionnel qui le rompit (car évidemment l’évêque, confondu, ne savait plus que dire) ; il se souleva sur un coude, présenta son pouce et son index replié un peu vers sa joue, comme on fait machinalement lorsqu’on interroge et qu’on juge (c’était donc maintenant le conventionnel qui, arrogamment, interrogeait et jugeait l’évêque ; le pénitent intervertissait les rôles, et jetait à ses pieds le confesseur au nom de ses doctrines glorifiées) ; il interpella l’évêque avec un regard plein de toutes les énergies de l’agonie. […] Quand la paupière fut pleine, la larme coula le long de sa joue livide, et il dit presque en bégayant, bas, et se parlant à lui-même, l’œil perdu dans les profondeurs : « Ô toi !

994. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

Pour les 1re et 2e parties, l’originalité des raisonnements de Pascal est dans l’application des méthodes scientifiques au problème théologique : le physicien et le géomètre se retrouvent dans ces étonnantes démonstrations où la religion est tantôt offerte par hypothèse, comme le système astronomique de Copernic, opposé à celui de Ptolémée, se vérifie par la concordance de ses conséquences logiques avec les faits observés, et tantôt jouée comme à la roulette, sur un calcul de probabilités. […] Quand on joue à la paume, c’est une même balle dont on joue l’un et l’autre ; mais l’un la place mieux. » Pascal excelle à placer la balle.

995. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

Elle ne joue pas moins dans l’un que dans l’autre. […] Le bergsonisme est si peu contre la raison que non seulement il a fait rejouer les vieilles articulations de la raison mais qu’il en a fait jouer des articulations nouvelles. […] Mais depuis Bacon tout homme qui se lèverait de bon matin avec le ferme propos d’appliquer les règles baconiennes, et qui n’aurait que ce ferme propos, qui ne ferait jouer que ce ferme propos, ce tout homme ne ferait pour cela ni une invention, ni une découverte, ni un mouvement de la pensée.

996. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre III. Le Petit Séminaire Saint-Nicolas du Chardonnet (1880) »

Un Gascon, sans que je le susse, jouait en moi des tours incroyables au Breton et lui faisait des mines de singe… Ma famille elle-même était partagée. […] Un jour (j’avais six ans), je jouais avec un de mes cousins et avec d’autres camarades ; nous nous amusions à choisir notre état pour l’avenir :   — Et toi, qu’est-ce que tu seras ? […] J’essayerai enfin de montrer comment l’étude directe du christianisme, entreprise dans l’esprit le plus sérieux, ne me laissa plus assez de foi pour être un prêtre sincère, et m’inspira, d’un autre côté, trop de respect pour que je pusse me résigner à jouer avec les croyances les plus respectables une odieuse comédie.

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