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390. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Non : Fénelon nous ramène à Ronsard, ou plutôt à Du Bartas, presque à l’écolier limousin : il rêve d’inutiles synonymes, des composés de forme grecque ou latine, toute une fabrication artificielle de mots littéraires. […] C’est un roman pédagogique que Fénelon a composé pour donner au duc de Bourgogne un enseignement moral approprié à ses besoins, tout en lui faisant repasser la mythologie et l’histoire poétique de l’antiquité grecque. […] On retrouve, dans ses idées politiques et sociales, un curieux mélange du chrétien, du grand seigneur, et du lettré enivré des Grecs. […] Il est un des deux ou trois esprits qui, au xviie  siècle, ont été au-delà de Rome, et ont vraiment senti la riche simplicité de l’art grec. […] Éditions :Les Caractères de Théophraste, traduits du grec avec les Caractères ou les Mœurs de ce siècle, Paris, Michallet, 1688 (réimprimé chez Jonaust, Paris, 1867) ; 4e édit. 1689 ; 8e édit. 1694.

391. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Contrairement à l’opinion générale, les Grecs et les Romains en avaient fort peu. […] Les Grecs sont métissés de sémites dès le seizième siècle avant Jésus-Christ. […] N’est-ce point une preuve de la fameuse sémitisation des Grecs ? […] Si les Grecs sont des Sémites, d’où surgit brusquement cet art de Phidias apogée et résumé du génie grec qui n’a plus rien du tout de sémitique ? […] Cette sagesse était le fond de la morale grecque.

392. (1829) Tableau de la littérature du moyen âge pp. 1-332

Il avait auprès de lui des Gaulois lettrés et romains, comme Mahomet II eut des secrétaires grecs. […] Il apprenait, d’après quelques traités grecs et latins, les éléments de la géométrie. […] Beaucoup de siècles ont passé sur les Grecs ; et ils n’ont point fait à leurs rois une demeure pareille ou comparable. […] Le temps des croisades fut, comme la guerre de Troie pour les Grecs, l’âge héroïque des nations européennes. […] L’influence de ces conquérants fut passagère, et n’arrêta pas la décadence du peuple grec.

393. (1903) Propos de théâtre. Première série

Aussi bien, Sophocle est le plus philosophe des poètes grecs. […] N’es-tu pas l’ami de tous les Grecs avant d’être l’ami d’un seul ? […] Parlons des Grecs plutôt. […] Il a fait entrer dans son dessein poétique : Dieu, la famille, et l’art grec. […] C’est être grec que d’être chrétien ainsi.

394. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

« Il résista à ceux qui voulaient qu’il traitât les Grecs comme maîtres et les Perses comme esclaves. […] Il prit les mœurs des Perses, pour ne point désoler les Perses, en leur faisant prendre les mœurs des Grecs. […] « Alexandre qui cherchait à unir les deux peuples, songea à faire dans la Perse un grand nombre de colonies grecques. […] Est-ce que les Grecs n’ont pas vaincu la Sicile et les Campaniens ? […] Les Perses n’ont-ils pas prévalu longtemps sur les Grecs et sur tous les peuples septentrionaux de l’Inde ?

395. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

À la connaissance des Grecs et des Latins, il joignait celle des Italiens alors à la mode, à cause de la reine Catherine de Médicis. […] On répétait à la ronde que Ronsard parlait grec et latin en français. […] Mais, en conscience, est-ce donc là parler grec en français ? […] Ami des lettres et des sciences, il a laissé divers traités d’archéologie grecque et romaine. […] Malgré sa plus belle contrition, La Fontaine devait rester toujours le disciple des Grecs et des Latins.

396. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXIV » pp. 247-253

Ils veulent absolument voir dans la pièce grecque une autorité et un précédent direct pour les drames d’aujourd’hui, et non-seulement quant à la franchise et la crudité des actions, mais quant au style, mélange, assurent-ils, de naïveté et de recherche ; tellement qu’ils ont pu entrer tout droit chez le poëte d’Antigone en sortant de chez le poëte de Falstaff (ces messieurs ont en effet traduit et arrangé pour la scène quelque chose de Shakspeare). […] Il nous revient à l’esprit deux exemples de ce genre de défaut systématique, dont les traducteurs, peu versés sans doute dans la langue et la littérature grecques, paraissent avoir été dupes eux-mêmes.

397. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre Premier »

Cependant les mots du second et du troisième type peuvent avoir acquis, par le hasard des formations ou des déformations, une certaine beauté analogique  ; ils peuvent être tels qu’ils aient l’air d’être les frères véritables des véritables mots français ; cette pureté extérieure, qui ne fait point illusion au phonétiste, doit désarmer le littérateur ; il nous est parfaitement indifférent, en vérité, que hélice, agonie, gamme soient des mots grecs ; rien ne les différencie des plus purs mots français ; ils se sont naturellement pliés aux lois de la race et leur fraternité est parfaite avec lice, dénie, flamme, véridiques témoins. […] Tout en regrettant que le français se serve de moins en moins de ses richesses originales, je ne le verrais pas sans plaisir se tourner exclusivement du côté du vocabulaire latin chaque fois qu’il se croit le besoin d’un mot nouveau, s’il voulait bien, à ce prix, oublier qu’il existe des langues étrangères, oublier surtout le chemin du trop fameux Jardin des Racines grecques .

398. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXIII. Des panégyriques en vers, composés par Claudien et par Sidoine Apollinaire. Panégyrique de Théodoric, roi des Goths. »

Élevé à Constantinople, où il avait été livré comme otage, il y prit les connaissances des Grecs, et leur laissa leurs vices et leur mollesse. […] Il devint conquérant et homme d’état, protégea Byzance, subjugua Rome, la répara et l’embellit après l’avoir conquise, joignit partout les lumières au courage, établit différents tribunaux pour juger les Italiens et les Barbares, et fit en même temps une multitude de lois sages pour réunir les deux nations divisées, à peu près comme le vainqueur de Darius eut le projet de réunir les Grecs et les Perses.

399. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Il faut bien qu’il en ait été ainsi, puisqu’on le rencontre, tout au sortir de là, sachant extrêmement bien le grec, l’italien, l’histoire, la littérature, déjà enfin un savant. […] Les remarques du critique sont d’abord aussi justes que fines sur la littérature grecque, dont Mme de Staël traite avec étendue et soin, mais avec moins de connaissance immédiate qu’elle ne le fait pour les autres littératures. […] De fait, il ne s’occupait de littérature proprement dite que quand son intérêt pour un ami l’y poussait, comme il le fit pour Baggesen et pour Manzoni, et comme il fut poussé encore aux Chants grecs, indépendamment des autres affinités, par de nobles motifs de circonstance. […] Chants serbes, chants grecs, chants provençaux, romances espagnoles, moallakas arabes, il embrassait dans son affection et dans ses recherches tout cet ordre de productions premières et comme cette zone entière de végétation poétique. […] Piccolos, dans le journal grec l’Espérance (Athènes, 28 août 1844), s’est fait l’organe des témoignages bien dus par ses compatriotes à la mémoire du plus modeste et du plus effectif des écrivains philhellènes.

400. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Note I. De l’acquisition du langage chez les enfants et dans l’espèce humaine » pp. 357-395

Nous pouvons, par abstraction, distinguer entre les mots et la pensée, comme faisaient les Grecs quand ils parlaient du discours (logos) intérieur et du discours extérieur, mais nous ne pouvons jamais séparer l’un de l’autre sans les détruire tous les deux. […] Ainsi, dans le vieux nom aryen du cheval (asva en sanscrit, equus en latin, ἵππος en grec, ehu en vieux saxon), nous ne découvrons rien qui rappelle le hennissement d’un cheval, mais nous découvrons le concept de rapidité incorporé dans la racine ak, signifiant être aigu, être rapide, d’où nous ayons aussi tiré des noms pour désigner la promptitude intellectuelle, par exemple acutus. […] Ils furent appelés ahi en sanscrit, ἔχις en grec, anguis en latin, de la racine ah, étouffer ; ou sarpa, en latin serpens, de la racine sarp, ramper, aller. » De même hamsas (l’oie) signifie l’animal qui a la bouche béante ; varkas (le loup), celui qui déchire ; sus (le cochon), celui qui engendre, le plus prolifique des animaux domestiques. […] En abandonnant tout ce qui pouvait rappeler à l’auditeur le son spécial de tel objet emporté par un mouvement rapide, la racine pat devint apte à signifier le concept général du mouvement rapide, et cette racine, par sa végétation, fournit ensuite une quantité de mots en sanscrit, en grec, en latin et dans les autres langues aryennes. […] Or il n’y a là qu’une différence de degré, analogue à celle qui sépare une race bien douée, comme les Grecs d’Homère et les Aryens des Védas, d’une race mal douée, comme les Australiens et les Papous, analogue à celle qui sépare un homme de génie d’un lourdaud.

401. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Montaigne en voyage »

Toutes ces inscriptions latines ou grecques, au nombre de trente-trois22, sont loin d’être intactes, et il a fallu les déchiffrer, les restituer ni plus ni moins que des inscriptions antiques. […] On lit à Bordeaux, sur le tombeau de Montaigne, qui est dans la chapelle du lycée, deux épitaphes, l’une latine, l’autre grecque : M.  […] C’est dans cette étude comparée du style des diverses épitaphes grecques et latines composées par ce Saint-Martin, qu’est le piquant de l’ouvrage de M.  […] Il a saisi et défini en philologue des plus exercés la manière archaïque de ce Saint-Martin, qui, dans ses épitaphes latines, affecte l’imitation de Plaute, de Catulle et d’Apulée, et qui, dans ses épigrammes grecques, se plaît à coudre ensemble et à rassortir les réminiscences de l’Anthologie.

402. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

. — Un Soldat français instruisant les Grecs à la manœuvre de la pièce de canon. Nous approchons de 1822 et de la lièvre d’enthousiasme pour les Grecs. — La Vie d’un soldat (suite de lithographies de Delpech) : ses premiers jeux ; départ du jeune conscrit, pleurs de sa maîtresse ; équipement militaire du jeune Grivet (il est dragon) ; premier fait d’armes du jeune Grivet, il est blessé au bras, etc. — Ces diverses scènes, celle de l’Apprenti cavalier (un soldat sur un âne qui rue, 1819), et la Cuisine militaire et la Cuisine au bivouac, et le galant hussard, et le jeune invalide qui fait danser l’enfant sur la seule jambe qui lui reste, sont plutôt des caricatures du genre, et Horace Vernet ici côtoie le Charlet. […] Les Grecs tant vantés n’étaient qu’une belle race qui offrait à ses artistes en tout genre de plus heureux modèles. […] Par suite de je ne sais quel préjugé scolastique, nous sommes toujours tentés de faire plus de cas d’un peintre qui, pour peindre, s’enferme, regarde moins la nature, étudie les vieilles toiles et peut-être même les livres, que d’un peintre vif, avisé, extérieur, tourné à l’action, avide de mouvement, doué de toutes les adresses corporelles, excellent tireur, excellent lutteur, parfait cavalier, habile à tous les exercices qui eussent honoré un Grec du temps de Xénophon.

403. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre I. La tragédie de Jodelle à Corneille »

Les choses se passent en France à peu près comme en Italie : les humanistes tournent en élégant latin les œuvres les plus fameuses du théâtre grec ; ils s’exercent à les imiter dans des compositions originales. […] Ils ne savent que regarder les Grecs, Sénèque, les Italiens et les modernes latins qui reflètent Sénèque : depuis qu’un déplorable contresens de l’humanisme italien a donné à Sénèque les honneurs de la représentation, ce tragique de salon a tyrannisé la scène ; les Grecs, moins prochains, moins accessibles, n’ont été vus qu’à travers son œuvre. […] Le cas n’est pas castillan, il est humain : et ainsi en sera-t-il dès lors de toute tragédie : grecque, ou asiatique, ou romaine, elle n’aura en réalité qu’un objet et qu’un modèle : l’homme.

404. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 33, que la veneration pour les bons auteurs de l’antiquité durera toujours. S’il est vrai que nous raisonnions mieux que les anciens » pp. 453-488

Je nie seulement que nous raisonnions avec plus de justesse que les grecs et les romains, et je me contente de soutenir qu’ils auroient fait un aussi bon usage que nous des veritez capitales que le hazard nous a revelées, pour ainsi dire, s’il lui avoit plû de leur découvrir ces veritez. […] Les grecs et les romains nous ont-ils donné lieu de croire qu’ils ne fussent point capables de distribuer en differentes classes et de subdiviser en genres les nouvelles plantes qu’on leur auroit apportées d’Amerique et des extrémitez de l’Asie et de l’Afrique, ou de distribuer en constellations les étoiles voisines du pole Antarctique. […] Peut-être que les grecs et les romains eussent profité plûtôt que nous des lunettes de longue vûë. […] Quand nous n’avons pas la centiéme partie des livres des auteurs grecs et des auteurs romains, nous pouvons bien nous tromper en plaçant les bornes que nous marquons à leurs progrès dans les sciences naturelles, où nous les plaçons.

405. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Édelestand du Méril »

Il n’y a, au fond, dans toute cette histoire, reprise en sous-œuvre par du Méril, que la vieille histoire connue, qui peut s’écrire en quelques mots et qu’il a mise en cinq cents pages, — si brillantes de talent, du reste, qu’il semble ne pas avoir bavardé, — de la comédie, sortant partout de la danse, sa plus profonde racine ; dérivant, en peu de temps, du langage mimique au langage religieux et processionnel ; s’imprégnant plus tard de politique dans des sociétés fortement politiques comme les sociétés grecques, et vivant ainsi jusqu’au moment où l’imagination reconquiert ses droits et crée une autre comédie, la comédie désintéressée de tout ce qui n’est pas l’observation de la nature humaine… Et, vous le voyez ! […] Ce premier volume de l’Histoire de la Comédie telle que du Méril l’avait conçue contenait la Comédie primitive, la Comédie chinoise, le Théâtre indien et la Comédie grecque, jusqu’à celle d’Aristophane, avec toutes les questions de détail qui se rattachaient à un si vaste sujet. […] Le premier volume, je l’ai dit, se fermait à Aristophane ; le second s’ouvre à la Comédie grecque, qui suivit celle d’Aristophane, le Rabelais scénique de l’antiquité, et devint la Comédie nouvelle, puis le Drame satyrique, et, passant de Grèce en Italie, quand il n’y eut plus de comédie en Grèce, fut la Comédie italique, la Comédie classique et la Comédie romaine. […] J’ai parlé de l’enlevante et amusante peinture de la société et des mœurs chinoises, au premier volume de cette histoire, mais je crois supérieure encore la peinture de la société athénienne après la mort de Socrate, lors de l’invasion chez les Grecs de la Comédie nouvelle, dont Ménandre fut le poète comique, Ménandre, si compromis par les éloges des grammairiens.

406. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

Il est un Trissotin surveillé, correct, moderne, à linge blanc, ayant du monde, certainement moins cuistre que l’autre, mais nonobstant excessivement Trissotin, ayant, comme l’autre, son latin et son grec et de bien autres langues à sa disposition ; un Trissotin compliqué, perfectionné et polyglotte, qui se permet de cracher toutes sortes de mots étrangers et savants en ces Lettres, qui font l’effet d’un dégorgement de perroquet indigéré. […] Il n’embrasse pas son inconnue pour l’amour du grec, pas plus que pour l’amour d’autre chose. Mais il lui envoie de petits bouquets de mots grecs. Mais il veut à toute force qu’elle sache le grec et qu’elle lise Hérodote, pas moins !

407. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « M. Viguier »

Antiquité grecque, connaissance des langues et des littératures étrangères, philologie comparée, histoire reprise aux sources, philosophie et science du beau : M.  […] C’était Sophocle ou Euripide, texte grec, qu’il lisait. […] messieurs, quelles canailles que ces Grecs, mais qu’ils avaient donc de l’esprit ! 

408. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Après s’être fait d’abord tout grec et tout latin, on s’est jeté ensuite dans un excès opposé, et chez nous, par exemple, on était venu à tout franciser, sentiments et costume : les érudits eux-mêmes, comme l’abbé Barthélemy, trouvaient moyen de placer leur Chanteloup dans le pèlerinage d’Athènes. […] Mais nul ne fit plus alors pour ce renouvellement et, en quelque sorte, cette création moderne du sentiment antique que l’illustre auteur du Génie du Christianisme ; aucun de nos écrivains, depuis Fénelon, n’avait eu à ce degré l’intelligence vive du génie grec, et si Fénelon en avait goûté et rendu surtout les grâces simples et l’attique négligence, il était réservé à notre glorieux contemporain d’en exprimer plutôt les lignes grandioses et la sublimité primitive. […] e Schlegel sur les tragiques grecs eurent aussi leur effet chez nous, malgré les comparaisons peu aimables dont il les accompagnait et qui semblaient en compromettre la justesse.

409. (1861) Cours familier de littérature. XI « Atlas Dufour, publié par Armand Le Chevalier. » pp. 489-512

Comptez les Grecs de la côte, les juifs de Samarie, ceux de Jérusalem, les Mutualis, amis ou ennemis de tous leurs voisins ; les Ansériés, tribu nomade, se glissant entre les groupes plus enracinés dans ces rochers, les Bédouins du désert, insaisissables par leur éternelle mobilité, les Arméniens, ces Génevois de l’Orient, tisseurs de tapis, brodeurs de soie, changeurs d’espèces monnayées, banque vivante de tout l’Orient, peuple qui s’enrichit d’industrie honnête, parce que l’industrie est travail, et que le travail règle et conserve les mœurs ; peuple plus épris d’ordre que de liberté, qui ne trouble jamais l’État par ses turbulences, comme les Grecs de Stamboul, qui n’intrigue point avec l’Europe et qui ne demande à l’empire ottoman que la liberté de son christianisme et la sécurité de son commerce. […] Géographie sacrée des Hébreux, géographie maritime des Phéniciens, géographie d’Alexandre qui efface les limites sous les pas de ses Grecs et de ses phalanges, de ses Ptolémée ; géographie des Romains, qui font l’Europe et qui refont une Afrique et une Asie Mineure avec Strabon ; géographie de Charlemagne, qui refait la moitié du globe chrétien avec les décombres du paganisme ; géographie de l’Angleterre, qui fait une monarchie navale et commerciale avec les pavillons de ses vaisseaux ; géographie de Napoléon, qui promène ses bataillons de Memphis à Madrid et à Moscou, conquérant tout sans rien retenir, et qui, de cette géographie napoléonienne de la conquête sans but, ne conserve pas même une île (Sainte-Hélène) pour mourir chez lui, après tant d’empires parcourus, en ne laissant partout que des traces de sang français versé pour la gloire ; géographie actuelle, qui se limite par l’équilibre des droits et des intérêts, qui élève contre l’ambition d’un seul la résistance pacifique de tous, et qui ne se dérange un moment par une ou deux batailles que pour se rétablir bien vite par la réaction naturelle de la liberté et de la paix.

410. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Le tempérament domine dans Estienne207, le savant auteur de l’incomparable Thésaurus de la langue grecque. […] Ayant démontré copieusement la conformité du langage français avec son cher grec, il n’eut pas de peine à se convaincre de la précellence de notre idiome sur le parler d’Italie, qui n’est que du latin : et comme il prouvait par exemples abondants la gravité, sonorité, richesse et souplesse du français, il était naturel qu’il tâchât d’en préserver la pureté des inutiles et plutôt dangereux apports de l’italianisme. […] Apologie pour Hérodote, 1566 ; Traité de la Conformité du langage français avec le grec, s. d.

411. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Cours de littérature dramatique, par M. Saint-Marc Girardin. (2 vol.) Essais de littérature et de morale, par le même. (2 vol.) » pp. 7-19

C’est ainsi que, prenant un à un les différents sentiments, les différentes passions qui peuvent servir de ressorts au drame, il nous en fait l’histoire chez les Grecs, chez les Latins, chez les modernes, avant et après le christianisme : « Chaque sentiment, dit-il, a son histoire, et cette histoire est curieuse, parce qu’elle est, pour ainsi dire, un abrégé de l’histoire de l’humanité. » M. de Chateaubriand avait, le premier chez nous, donné l’exemple de cette forme de critique ; dans son Génie du Christianisme, qui est si loin d’être un bon ouvrage, mais qui a ouvert tant de vues, il choisit les sentiments principaux du cœur humain, les caractères de père, de mère, d’époux et d’épouse, et il en suit l’expression chez les anciens et chez les modernes, en s’attachant à démontrer la qualité morale supérieure que le christianisme y a introduite, et qui doit profiter, selon lui, à la poésie. […] Des parties tout à fait belles et sérieuses, comme lorsqu’il parle de l’Antiquité grecque et des personnages d’Homère ou de Sophocle, ou encore lorsqu’il aborde cette autre Antiquité chrétienne des Augustin et des Chrysostome, font voir le maître dans son élévation et sa gravité, et rachètent quelques abus. […] Il prend ses termes de comparaison chez les Grecs, chez les Latins, dans le siècle de Louis XIV ; et enfin, quand il aboutit aux modernes, aux contemporains, il les bat, en les montrant inférieurs, malgré leur esprit, à ces maîtres plus naturels et plus graves.

412. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Évolution de la critique »

C’est ainsi qu’il essaie de dériver le génie particulier des écrivains anglais des propriétés originelles de l’esprit de la race anglo-normande, que la sculpture grecque, la peinture hollandaise et flamande lui paraissent refléter exactement les pays et les époques auxquels elles appartiennent. […] Émile Deschanel (1819-1904) : professeur, journaliste, écrivain et homme politique, cet helléniste enseigna la littérature grecque à l’École normale supérieure, puis au Collège de France. […] Comme critique, outre ses travaux sur le théâtre grec, il reste l’auteur d’une Physiologie des écrivains et des artistes ou essai de critique naturelle (Hachette, 1864), visant à remonter du style au corps de l’écrivain, puis au « climat physique et moral » qui enveloppe l’œuvre (p. 190), et du Romantisme des classiques (Calmann-Lévy, 1883), ouvrages qui ont fait date, et ont donné lieu à discussion.

413. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 34, que la réputation d’un systême de philosophie peut être détruite, que celle d’un poëme ne sçauroit l’être » pp. 489-511

Les institutes de Justinien, le plus respecté des livres prophanes, nous apprennent que les romains entendoient parler de Virgile toutes les fois qu’ils disoient le poëte absolument et par excellence, comme les grecs entendoient parler d’Homere toutes les fois qu’ils usoient de la même expression. […] On peut dire la même chose d’Eustatius, d’Asconius Pedianus, de Donat, d’Acron et des autres commentateurs anciens qui ont publié leurs commentaires quand on parloit encore la langue de l’auteur grec ou latin, l’objet de leurs veilles. […] Voudroit-on supposer que tous les habiles gens qui vivent ou qui ont vécu depuis que ces nations se sont polies aïent conspiré de mentir au désavantage de leurs concitoïens, dont la plûpart morts dès long-temps ne leur étoient connus que par leurs ouvrages, et cela pour faire honneur à des auteurs grecs et romains, qui n’étoient pas en état de leur sçavoir gré de cette prévarication.

414. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité » pp. 185-210

Section 12, des masques des comédiens de l’antiquité Je crois devoir faire ici une espece de digression sur les masques dont les comédiens grecs et les comédiens romains se couvroient la tête en joüant. […] Julius Pollux qui composa son ouvrage pour l’empereur Commode, nous assure que dans l’ancienne comédie grecque, qui se donnoit la liberté de caracteriser et de joüer les citoïens vivans, les acteurs portoient un masque qui ressembloit à la personne qu’ils représentoient dans la piece. […] Vitruve se plaint que de son temps les romains négligeassent de placer de ces echaea dans leurs théatres, à l’imitation des grecs, qui étoient soigneux d’en mettre dans les leurs.

415. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXI. De Thémiste, orateur de Constantinople, et des panégyriques qu’il composa en l’honneur de six empereurs. »

Cyrus n’aimait que les Perses, Auguste les Romains, Alexandre les Grecs ; aucun n’aimait les hommes, aucun n’était vraiment roi. […] » On sent bien qu’il devait parler des connaissances et des lettres avec dignité ; il fait voir qu’elles ont été chères à tous les princes qui ont été grands ; il cite Aristote comblé de bienfaits par Philippe, Xénocrate par Alexandre, Aréus par Auguste, Dion par Trajan, Sextus par Marc-Aurèle : « Tu imites ces grands hommes, dit-il à un empereur, la philosophie et les lettres marchent partout avec toi ; elles te suivent dans les camps ; par toi elles sont respectées, non seulement du Grec et du Romain, mais du Barbare même ; le Scythe épouvanté qui est venu implorer ta clémence, a vu la philosophie près de toi, balançant le sort des peuples, et décidant des trêves de la paix que tu accordes aux nations. […] En effet, on peut dire, d’après l’orateur grec, que la philosophie et les lettres ne meurent pas.

416. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXIII » pp. 133-140

. — les tragiques grecs. — saint-marc girardin. — sa sécheresse d’esprit. — opposé a m. de rémusat. […] Patin, qui vient de compléter son ouvrage sur les Tragiques grecs : l’ouvrage a peut-être plus de valeur encore que celle que vous indiquiez.

417. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Silvestre, Armand (1837-1901) »

Se doutent-ils qu’il y eut jadis chez cet étonnant fumiste de table d’hôte, chez ce grand et gros garçon taillé en Hercule qui courait, il y a quelques années, la foire au pain d’épice, relevant le « caleçon » des lutteurs (c’est le gant de ces gentilshommes) et sollicitant les faveurs des femmes géantes visitées par l’empereur d’Autriche, se doutent-ils qu’il y a peut-être encore chez ce Panurge bien en chair un Indou, un Grec, un Alexandrin ? […] Silvestre écrites en grec, à Alexandrie, et lues dans la fièvre par quelques disciples de

418. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « I »

Dans les pays que nous venons d’énumérer, rien d’analogue à ce que vous trouverez en Turquie, où le Turc, le Slave, le Grec, l’Arménien, l’Arabe, le Syrien, le Kurde sont aussi distincts aujourd’hui qu’au jour de la conquête. […] D’abord le fait que les peuples germaniques adoptèrent le christianisme dès qu’ils eurent des contacts un peu suivis avec les peuples grecs et latins.

419. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Ronsard, et Saint-Gelais. » pp. 120-129

Ils employoient tout leur temps à l’étude des langues Grecque & Latino. […] Mais sa muse, en François, parlant Grec & Latin, Vit dans l’âge suivant, par un retour grotesque, Tomber de ses grands mots le faste pédantesque.

420. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 29, si les poëtes tragiques sont obligez de se conformer à ce que la geographie, l’histoire et la chronologie nous apprennent positivement » pp. 243-254

Quoique les armées grecques et romaines marchassent avec plus de celerité que les nôtres, il est toujours vrai qu’il n’y a point de troupes qui puissent durant trois mois, et sans jamais sejourner, faire chaque jour près de huit lieuës, sur tout en passant par des païs difficiles et ennemis, ou du moins suspects, tels qu’étoient la plûpart des païs que Mithridate avoit à traverser. […] Il est vrai que les tragiques grecs ont fait quelquefois de semblables fautes, mais elles n’excusent point celles des modernes, d’autant plus que l’art devroit du moins être aujourd’hui plus parfait.

421. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 3, de la musique organique ou instrumentale » pp. 42-53

On trouve dans Athenée, dans Martianus Capella et dans plusieurs autres écrivains anciens, des recits surprenans de tous les effets prodigieux que produisoit la musique des grecs et celle des romains. […] Il est bon de se ressouvenir en lisant les ouvrages dont je viens de faire mention, que c’étoit sur des grecs ou sur leurs voisins que la musique produisoit des effets si merveilleux.

422. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

Langage vraiment chimérique, qui réunirait ainsi les qualités les plus locales des autres langues, les inversions du latin, les composés du grec et notre langage direct ! […] S’il a plus de délicatesse d’esprit et de sentiment que les héros d’Homère, on ne lui en sait pas plus mauvais gré qu’à l’Iphigénie de Racine d’être plus ingénieuse et plus tendre que les jeunes Grecques du temps d’Agamemnon. […] La mythologie grecque est restée la religion de l’imagination chez les peuples modernes. Le génie grec est encore notre idéal dans les arts. […] Une statue qui rappelle la beauté noble et naïve de la statuaire grecque donne à l’artiste qui la crée le premier rang dans les arts.

423. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « La religion dynamique »

Pour répondre à la question, il suffit de jeter un coup d’œil sur l’évolution de la philosophie grecque. […] Elle donna aux fonctions dialectiques de l’esprit tant de force et de souplesse qu’aujourd’hui encore, pour les exercer, c’est à l’école des Grecs que nous nous mettons. […] Or l’ancien était d’une part ce que les philosophes grecs avaient construit, et d’autre part ce que les religions antiques avaient imaginé. […] Il est chargé de philosophie grecque, et il a conservé bien des rites, des cérémonies, des croyances même de la religion que nous appelions statique ou naturelle. […] Par là, le Dieu d’Aristote n’a rien de commun avec ceux qu’adoraient les Grecs ; il ne ressemble guère davantage au Dieu de la Bible, de l’Évangile.

424. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Le rideau qui nous dérobait la Chine, ses religions, sa philosophie, son histoire, sa prodigieuse civilisation à peine soupçonnée des Grecs et des Romains, comme une de ces planètes lointaines dont les astronomes aperçoivent, à travers des distances infinies, quelques lueurs. […] On y reconnaît la source où la mythologie grecque puisa, en l’altérant, la fable de Proserpine. […] Sita, l’héroïne de l’épopée indienne, est la fille du sillon ; au lieu de naître de la mer comme la Vénus grecque, elle naît du sillon sous le soc de la charrue du roi laboureur son père. On reconnaît à ces fables le génie divers des philosophes ou des poètes qui les inventèrent et les firent accepter aux peuples : les Grecs, peuplades insulaires ou maritimes, faisant naître la déesse de la vie du sein des flots, les Indiens, peuples agricoles, la faisant naître du champ labouré. […] Ce double message est porté et reporté par ces divins messagers qui rappellent les colombes grecques de Vénus, établissant ainsi, par leurs voix modulées et harmonieuses, une secrète confidence entre les cœurs des deux amants.

425. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Je ne suis point étonné que des hommes qui méprisaient ou ignoraient les tragédies grecques, aient tant admiré les siennes. […] Ce qui avait fait pleurer les Grecs aurait bien pu nous faire mal au cœur. […] Les Grecs avaient l’empire de l’esprit ; ils sont devenus les esclaves des Romains, qui étaient des barbares ; les Grecs étaient les précepteurs des Romains ; ils ont été conquis par leurs disciples : ce ne sont donc pas là des marques infaillibles de grandeur. […] Brutus et ses pareils étaient fanatiques d’un ancien dogme des petites républiques grecques. […] Telle était la constitution de ces républiques grecques dont on vante la sagesse.

426. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Appendice. »

C’est évidemment traduit, raccourci, échenillé et arrangé par un Grec. […] — Et puis vous m’accorderez que les Grecs ne comprenaient rien au monde barbare. S’ils y avaient compris quelque chose, ils n’eussent pas été des Grecs. […] Il est simple, celui-là, je l’avoue, car c’est un tarif, et encore l’est-il moins que ce fameux Périple où perce un petit coin de merveilleux à travers le grec, — ne fût-ce que ces peaux de gorilles prises pour des peaux humaines et qui étaient appendues dans le temple de Moloch (traduisez Saturne), et dont je vous ai épargné la description […] « Vous regrettez que je n’aie point introduit parmi les Grecs un philosophe, un raisonneur chargé de nous faire un cours de morale ou commettant de bonnes actions, un monsieur enfin sentant comme nous.

427. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Vaugelas. Discours de M. Maurel, Premier avocat général, à l’audience solennelle de la Cour impériale de Chambéry. (Suite et fin.) »

La prononciation, le sort de certains mots semblaient être encore, selon l’expression des Grecs, sur le tranchant du rasoir : il dépendait d’un rien qu’on allât à droite ou à gauche. […] Une autre règle pratique qu’il suivait dans ses doutes sur la langue et qu’il pose en principe général, c’est qu’en pareil cas « il vaut mieux d’ordinaire consulter les femmes et ceux qui n’ont point étudié que ceux qui sont bien savants en la langue grecque et en la latine. » Ces derniers, en effet, quand on les interroge sur un cas douteux qui ne peut être éclairci que par l’usage, compliquent à l’instant leur réponse, et en troublent, pour ainsi dire, la sincérité par le flot même de leurs doctes souvenirs, oubliant trop « qu’il n’y a point de conséquence à tirer d’une langue à l’autre. » Ainsi Erreur est masculin en latin, et féminin en français ; Fleur, de même ; c’est l’inverse pour Arbre. […] Il trouvait mauvais qu’on simplifiât l’orthographe de ces mots dérivés du grec, par égard pour les ignorants et les idiots, car c’est ainsi qu’il appelait poliment, et d’après le grec, ceux qui ne savaient que leur langue. […] Tout cela est bien et irréprochable pour le fond : mais lui-même, on ne saurait en disconvenir, il a une manière de dire bien peu propre à persuader ; il abonde en termes et locutions déjà hors d’usage et dont le français ne veut plus ; il dit translations pour métaphores, allégations grecques et latines pour citations ; il dira encore en style tout latin : « La lecture est l’aliment de l’Oraison », Quoiqu’il contînt, on le voit, de bonnes idées, bien du sens et de la doctrine, ce traité de l’Éloquence de La Mothe-Le-Vayer péchait donc de bien des manières, et surtout en ce qu’il naissait arriéré, sans à-propos, sans rien de vif ni qui pût saisir les esprits.

428. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre cinquième »

Quant aux moyens d’enrichir la langue, outre les mots d’origine grecque ou latine, la technologie des métiers, celle des exercices et des amusements de la noblesse, il avait fait appel à tous les patois pour former la langue française, à peu près comme un politique qui eût ressuscité toutes les souverainetés féodales pour en former la monarchie absolue. […] Ronsard ayant à choisir entre le grec et le latin pour en tirer ses doctes obscurités, avait préféré au mot âme le mot entéléchie comme plus savant, et parce qu’aucune analogie ni ressemblance quelconque avec notre langue ne l’exposait à être compris de la foule. […] Il préférait d’ailleurs les Latins aux Grecs, moitié par esprit de réaction contre la trop grande part que l’école de Ronsard avait faite à ceux-ci, moitié par un instinct supérieur qui lui faisait voir les profondes analogies et en quelque sorte la filiation directe du français et du latin. […] Pour ce dernier, c’était visiblement l’impression des excès où l’imitation de ce poëte avait fait tomber Ronsard outre qu’il sentait que cette forme de poésie, déterminée par deux choses exclusivement propres aux Grecs, la musique et le culte, ne pouvaient convenir ni aux idées modernes ni à l’esprit français. […] « Il s’est enrichi, dit très-bien Godeau, de la dépouille des Grecs et des Romains ; mais il n’en a pas été idolâtre. » Pour les fictions, il les avait, dit Racan, en aversion.

429. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 août 1885. »

Il n’agit qu’entouré, à la Grecque, de la stupeur mêlée d’intimité qu’éprouve une assistance devant des mythes qui n’ont presque jamais été, tant leur instinctif passé s’isole ! […] En sortant du théâtre ou du concert, impossible de rentrer chez moi : il me fallait errer par les rues monotones, sous le regard des statues de généraux ou de héros grecs dégouttants de pluie, ou bien me réfugier à la Kneipe où j’étais toujours sûr de trouver quelques compatriotes attablés devant la bonne bière brune. […] Une véritable œuvre d’art dépend jusqu’à un certain point de son milieu : les Grecs le savaient bien, et Wagner l’a compris, en choisissant pour son théâtre ce coin retiré des montagnes bavaroises qui fait penser à un fond de tableau de Dürer : la promenade sous les vieux arbres du parc évoque déjà le moyen-âge, et l’on sent passer je ne sais quels souffles mystiques dans le paysage que domine la plate-forme de l’édifice : une étendue bosselée dont le vert est piqué des taches plus foncées des bois de sapins… En sorte que l’âme est toute prête aux accords religieux qui accompagnent la marche des chevaliers du Graal, et toute prête aussi à pénétrer le sens profond que lui offre la légende du « Pur-Simple, sachant par compassion… » J’ai entendu l’œuvre de Wagner un peu partout : à Cologne, la vieille ville amie, à Munich, à Berlin, à Bayreuth, et dans ce froid théâtre de Covent Garden qui devrait être à jamais réservé aux exhibitions mondaines. […] Dans la suite de cette étude, remarquons encore le passage suivant : « L’Idéalisme transcendantal appliqué à l’art est encore une revendication de Hegel pour qui l’art, c’est « l’idée pénétrant et transformant la matière » : en sorte que, selon lui, l’art grec, où l’idée, sacrifiée à la beauté plastique, ne se dégage pas de la forme extérieure, serait inférieur à l’art oriental, dont le symbolisme révèle une profonde aspiration vers l’infini. […] Mallarmé retient également de la pensée wagnérienne le retour au mythe et au modèle grec.

430. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIVe entretien. Épopée. Homère. — L’Odyssée » pp. 445-524

À l’époque où je suis venu au monde surtout, les vestiges et les traditions du régime féodal volontaire, vestiges encore mal effacés entre les châteaux et les chaumières, rappelaient à s’y tromper les mœurs et les habitudes de cette féodalité primitive et rurale qui existait du temps d’Homère dans Ithaque et sur le continent grec des bords de la mer Adriatique. […] Le château était une tribu dont le chef grec ou le scheik arabe était notre oncle ; les maîtres et les serviteurs y vivaient presque dans l’égalité et dans la familiarité de la tente antique ; la différence n’était que dans la diversité des soins et des travaux. […] La flamme du foyer et quelques lampes grecques à bec de grue l’éclairaient de lueurs fantastiques. […] Il avait chanté une guerre entre les Grecs et les Troyens d’Ilion, appelée l’Iliade ; après cette histoire, il voulut chanter une histoire moins héroïque et plus familière, dans laquelle, non pas les héros seulement, mais tout le monde, depuis le héros jusqu’au berger, depuis la princesse jusqu’à la servante, retrouvât l’image de sa propre vie. […] Ulysse était un roi d’une petite île grecque appelée Ithaque, dans la mer Adriatique, en face de la grande Grèce.

431. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Malherbe et son école. Mémoire sur la vie de Malherbe et sur ses œuvres par M. de Gournay, de l’Académie de Caen (1852.) » pp. 67-87

Rendant hommage aux poètes français du xvie  siècle, à ceux que Malherbe avait eu le tort de trop dépriser, et leur faisant jusqu’à un certain point réparation, Godeau, dans le discours qui servait de préface à la première édition de Malherbe, ajoutait pourtant : « La passion qu’ils avaient pour les anciens était cause qu’ils pillaient leurs pensées plutôt qu’ils ne les choisissaient. » Et il fait sentir que la méthode habile et combinée, cette méthode d’abeille par laquelle Horace imitait les Grecs, a succédé en France, grâce à Malherbe, à l’imitation confuse, à l’importation trop directe et trop entière des originaux grecs eux-mêmes. […] Horace est ici imité comme lui-même avait imité les Grecs, c’est-à-dire en n’y prenant pas tout et en y mettant du sien. […] On aura plus tard d’éclatants retours, et plus d’un jet moderne surpassera en puissance et en largeur la source première : on ne retrouvera plus cette veine charmante et trop peu suivie, qui n’a d’ancien qu’une plus douce couleur, cette veine non plus italienne, ni grecque, ni espagnole, mais purement française de ton et de goût jusque dans ses réminiscences d’Horace.

432. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Boileau »

Nous venons de dire que le sens du moyen-âge était déjà perdu depuis longtemps ; il n’avait pas survécu en France au xvie  siècle ; l’invasion grecque et romaine de la Renaissance l’avait étouffé. […] Et lorsque dans leurs idées de réforme, ils ont décidé de revenir à l’antiquité grecque et romaine, toujours fidèles à cette logique incomplète du bon sens qui n’ose pousser au bout des choses, ils se tiennent aux Romains de préférence aux Grecs ; et le siècle d’Auguste leur présente au premier aspect le type absolu du beau. […] Racine lit, un jour, cette observation de Denis d’Halicarnasse, et vite il la communique à Boileau qui niait les termes prétendus vils et bas, reprochés par Perrault à Homère : « J’ai fait réflexion, lui écrit Racine, qu’au lieu de dire que le mot d’âne est en grec un mot très-noble, vous pourriez vous contenter de dire que c’est un mot qui n’a rien de bas, et qui est comme celui de cerf, de cheval, de brebis, etc.

433. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Monsieur de Bonald, (Article Bonald, dans Les Prophètes du passé, par M. Barbey d’Aurevilly, 1851.) » pp. 427-449

En tout M. de Bonald, par la forme et la direction de son esprit, est hébraïque, romain, patricien à l’antique, et l’ennemi des Grecs. Jamais il ne parle des Grecs qu’avec mépris et dédain comme d’une nation de femmes et d’enfants , ne songeant qu’au plaisir, et qui, dans leurs arts, « ôtèrent la pudeur même à la chasteté » 55 : ou encore comme d’une « nation d’athlètes » devenue bien vite un peuple de rhéteurs et de sophistes, et qui, en philosophie, « ne cherchèrent jamais la sagesse que hors des voies de la raison ». […] « Il n’aimait pas les Grecs, a dit quelqu’un, et les Grecs le lui ont bien rendu : il manque d’atticisme. » Il manque de grâce, de délicatesse et de charme.

434. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Notice historique sur M. Raynouard, par M. Walckenaer. » pp. 1-22

Massillon, Fléchier, Sieyès, qui étaient aussi du Midi, avaient en prononçant l’esprit doux, comme disaient les Grecs ; Raynouard, plus agreste, avait l’esprit rude, quelque chose de fort et de mordant dans la prononciation. […] Le goût du théâtre était très vif à cette époque ; on était las des Grecs et des Romains, et, depuis plusieurs années, aucune nouveauté n’avait réussi. […] Il traita de la tragédie considérée dans son influence sur l’esprit national : il se plut à montrer dans la tragédie des anciens, dans celle des Grecs, une institution politique. […] Supposant un concours solennel entre les poètes de toutes les nations, chaque nation n’ayant droit qu’à nommer un seul représentant : Les Grecs, s’écrie Raynouard, nommeraient Homère ; les Latins, Virgile ; les Italiens, le Tasse ou l’Arioste (il serait, je crois, plus juste de mettre Dante) ; les Anglais, Milton (lisez plutôt Shakespeare) ; et nous tous, — oui, vous-mêmes qui savez admirer Racine… ah !

435. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Seconde Partie. De l’Éloquence. — Éloquence du barreau. » pp. 193-204

Les Grecs & les Romains, qui ont été nos maîtres presque en tout, en poësie aussi-bien qu’en histoire, sont cause que nous avons été longtemps égarés dans ce genre d’éloquence. […] Les orateurs, les historiens, les poëtes Grecs & Latins, l’écriture sainte, les pères de l’église, étoient un repertoire de passages.

436. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre VI. Conclusions » pp. 232-240

Il faudrait se souvenir que Boileau lisait toujours dans l’original et que Racine savait par cœur le Sophocle et l’Euripide grecs. […] Depuis qu’il est à nouveau question de Renaissance Latine ou Grecque, on a oublié ceux qui les premiers l’avaient préconisée comme le remède sauveur, la panacée infaillible des lettres françaises.

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