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1339. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Charles Monselet »

… Je connaissais le Monselet de tout le monde, le Monselet du journal, du théâtre, du café, du restaurant, le Monselet du boulevard et de Paris, le Monselet légendaire, celui qu’on a représenté les ailes au dos, comme Cupidon, parce qu’il a écrit Monsieur de Cupidon, celui-là qu’on a peint en abbé du xviiie  siècle, parce qu’il avait dans l’esprit comme dans le menton la voluptueuse rondeur des abbés du xviiie  siècle. […] Cet homme aimable, que tout le monde appelait Monselet tout court dans une chaleureuse et flatteuse sympathie et parce qu’il plaisait à tout le monde, ce nonchalant de mœurs, fait, à ce qu’il semblait, pour se chauffer, lazzarone d’esprit, au soleil de tous les printemps et au feu de toutes les cuisines, cette gloire de tout festin et que toute la terre qui sait dîner eut voulu avoir à sa table, hospitalité intéressée ! […] Les attitudes naturelles de son esprit faisaient illusion sur sa vie. […] Ce soupeur de la Maison-d’Or, qui s’enivrait de son esprit comme on s’enivre de la poudre, et qui le brûlait, comme la poudre, au milieu de toutes les furies et de tous les délires de cet esprit dont il abusait, retrouvait parfois, insensé superbe, même dans l’orgie, tout à coup, ce soupir de flûte que Monselet le viveur a aussi, cette note triste et irrésistible qui est pour moi la note fondamentale du poète… J’ai assisté quelquefois au triomphe de la note divine. […] Les femmes qui étaient là, imbéciles de tout excepté de beauté physique, ces femmes qui n’avaient guères plus d’esprit que des pêches et plus de cœur que des ananas, sentaient leurs pulpes traversées.

1340. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Le problème semblera d’autant plus important que l’esprit protestant apparaît non pas seulement chez Taine, mais chez ceux qui l’entouraient, chez Bourget (cf. […] — Depuis les années 1870 et 1871 qui ont beaucoup assombri mon caractère, mon esprit se reporte avec complaisance à la préparation à la mort. […] C’est dans cet esprit que j’ai voulu faire partie de l’Université, sans en adopter au reste les préjugés. Dans cet esprit encore, je fus heureux d’un fauteuil à l’Académie. […] Voilà peut-être l’expédient par lequel, sans rien sacrifier de la rigueur de notre méthode, nous pourrons unir de nobles esprits dans la paisible idée de l’infini et dans l’aspiration vers le bien idéal.

1341. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

L’æther serait le véhicule d’animus, l’air celui d’anima ; le premier circulant avec toute la rapidité des esprits animaux, la seconde plus lentement avec les esprits vitaux. […] Dans le retour de la barbarie au moyen âge, on disait imagination pour génie, esprit. […] Dans ces premiers temps où l’esprit humain n’avait point tiré de l’art d’écrire, de celui de raisonner et de compter, la subtilité qu’il a aujourd’hui, où la multitude de mots abstraits que nous voyons dans les langues modernes, ne lui avait pas encore donné ses habitudes d’abstraction continuelle, il occupait toutes ses forces dans l’exercice de ces trois belles facultés qu’il doit à son union avec le corps, et qui toutes trois sont relatives à la première opération de l’esprit, l’invention ; il fallait trouver avant de juger, la topique devait précéder la critique, ainsi que nous l’avons dit page 163. […] Leur esprit précisait, particularisait toujours, de sorte qu’à chaque changement dans la physionomie ils croyaient voir un nouveau visage, à chaque nouvelle passion un autre cœur, une autre âme ; de là ces expressions poétiques, commandées par une nécessité naturelle plus que par celle de la mesure, ora, vultus, animi, pectora, corda, employées pour leurs singuliers.

1342. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. VINET. » pp. 1-32

Benjamin Constant, grâce à l’atmosphère environnante qui favorisait la nature de son esprit, était à douze ans un enfant de Voltaire5. […] Mais les idées morales, religieuses, chrétiennes, eurent toujours le pas dans son esprit sur les opinions purement littéraires. […] La concaténation ininterrompue, comme il dirait peut-être, remplace souvent sans nécessité le libre jeu de l’esprit ; l’attention se reposerait utilement dans des endroits de diffusion heureuse. […] Mais c’est par la doctrine de charité, d’amour de Dieu, et non par l’esprit de secte, qu’il communique de ce côté. […] En rencontrant ces bouts de landes arides qui reviennent de temps en temps à travers une si riche nature, un homme d’esprit disait : « Ce sont là de ces petites mortifications que M.

1343. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Ferdinand Fabre  »

Il est absolument nécessaire, pour concevoir nettement et pour définir l’esprit ecclésiastique, de connaître aussi et même d’avoir l’autre, l’esprit laïque, l’esprit du siècle. […] Une dernière condition, ce serait d’entreprendre ces descriptions et ces études dans un esprit de sympathie respectueuse. […] Et pensez un peu à ce que c’est que la continence absolue, la nécessité de promener partout sa robe noire, le renoncement à toutes les curiosités de l’esprit, l’idée que l’on porte un signe indélébile et qu’on ne s’appartiendra jamais plus. […] Puis le scepticisme, le sens critique, le sentiment du ridicule, l’ironie, qui vient du diable, sont tout ce qu’il y a de plus opposé à l’esprit de sa profession. […] Qu’est-ce donc que cet esprit laïque ainsi opposé à l’esprit ecclésiastique ?

1344. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Madame de Pompadour. Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre. (Collection Didot.) » pp. 486-511

Cette Mme de Tencin et son frère, si peu estimables, jugeaient ici les choses en gens de coup d’œil et d’esprit. […] Elle aimait les arts et les choses de l’esprit comme pas une des maîtresses de qualité n’eût su le faire. […] Louis XV, si méprisable par le caractère, n’était pas un homme sans esprit ni sans bon sens. […] Elle était femme, femme d’esprit et maîtresse du terrain ; elle se vengea. […] Il n’est rien, dans ce boudoir enchanté, qui ne semble faire sa cour à la déesse, rien, pas même L’Esprit des lois et l’Encyclopédie.

1345. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

Souvent, depuis quatre mois m’était revenue à l’esprit la discussion qu’avait provoquée le « cas » d’Andler. […] Je crois qu’Alfred Salabelle me dénaturait dans son esprit, mais nous serions impardonnables si nous risquions de méconnaître sous de rudes paroles une nature profonde. […] Thierry meurt, rend l’esprit avant que son esprit ait conquis la maîtrise de ces grandes hauteurs. […] Un esprit comme Thierry, quand il se trouve au bout d’une lignée pareille, arrive à en faire la théorie ; c’est la réflexion de l’activité la plus pure de la classe ouvrière. […] Thierry se sentait placé au service de quelque chose de grand qu’il anticipait : Il y avait chez lui de l’esprit monastique.

1346. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Ainsi, à propos de la séance royale du 4 février 90, de la prestation du serment civique et du discours de Louis XVI qui excita un si général enthousiasme, elle écrivait à Brissot le 11 du même mois : « Les esprits sont ici très-partagés… On prête son discours à M. […] A propos d’un pamphlet de Lally-Tollendal, elle disait des hommes de sa couleur : « Ils flattent les passions des mécontents, ils séduisent les hommes légers, ils ébranlent les esprits faibles : ôtez tous ces êtres de la société, comptez la classe ignorante qu’ils influencent à leur manière, et voyez le peu qui reste de bons esprits, de personnes éclairées, pour résister au torrent et prêcher la vérité !  […] Tous ces esprits en somme, depuis M. […] Mme Roland me choque, avec son accent d’esprit fort, lorsqu’elle fronde d’un sourire de supériorité les disciples de Jésus. […] « Quant au docteur Lanternas, disait-il en pleine Convention, tout le monde sait que c’est un simple d’esprit. » 82.

1347. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur de Latouche. » pp. 474-502

Émile Deschamps, cet aimable et vif esprit, s’effacer lui-même dans cette collaboration pour faire plus belle la part de M. de Latouche. […] C’était une souffrance de voir un si fin esprit si mal servi par son talent, et il était le premier à en souffrir. […] Son esprit, sa grâce, sa distinction, suppléaient à ses défauts physiques. […] On voit qu’il commence à se compléter à nos yeux par bien des points, esprit coquet, chatoyant, inquiet, furtif, lascif et fascinateur. […] « Son esprit s’émoussait de ses propres finesses », a dit de lui Janin.

1348. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre troisième. La reconnaissance des souvenirs. Son rapport à l’appétit et au mouvement. »

Est-il nécessaire ici, avec les spiritualistes, de faire intervenir le « pur esprit » comparant, du fond de son unité, les divers termes que le temps apporte et remporte ? Est-ce à l’aide du pur esprit qu’un chien reconnaît son maître, et les visages familiers, et la maison familière ? […] Le problème de la reconnaissance nous fait ainsi toucher aux dernières profondeurs de la conscience et aux actes les plus simples de l’esprit. […] Ces illusions sont inexplicables pour les partisans du pur esprit. […] C’est sans doute qu’il y a dans son esprit répétition, résurrection vague d’images d’objets semblables à celui qui est actuellement perçu.

1349. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Les exploits d’un conquérant peuvent occuper notre esprit, mais ils touchent très peu notre ame. […] C’est un dépôt de l’esprit qui regnoit dans ces siecles reculés. […] Ce ne sont, il est vrai, que des jeux de l’esprit, mais des jeux très abusifs. […] Il faut traiter l’esprit comme le corps. […] Notre esprit a aussi son enfance.

1350. (1881) Le roman expérimental

Pour moi, l’esprit romantique a passé par là. […] L’esprit scientifique nous a battus, ayons l’esprit scientifique avec nous si nous voulons battre les autres. […] Ce n’est pas tout, l’esprit a gâté M.  […] Maintenant, il me sera facile de déterminer notre esprit littéraire et de le comparer à l’esprit des siècles derniers. […] Ajoutez l’esprit littéraire.

1351. (1920) Action, n° 2, mars 1920

Les instincts sont vraiment dressés contre l’esprit. […] Un esprit divin confère la divinité à tout ce qu’il pense. […] — Paul Dermée (Esprit Nouveau). — Voilà un livre curieux. […] C’est là un fait curieux, car ce remarquable esprit s’obstine dans la recherche des « novas ». […] Le livre est publié par l’Esprit nouveau.

1352. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Revue littéraire. Victor Hugo. — M. Molé. — Les Guêpes »

Tout fait espérer que le retard apporté à cette élection aura été favorable au poète dans l’esprit de plusieurs académiciens, auxquels il ne manquait que de laisser tomber d’anciennes préventions et de le mieux connaître. […] Nous n’avons pas besoin de renouveler ici l’expression de nos vœux et de notre entière sympathie pour ce noble esprit, judicieux, élégant, ami des lettres, nourri par elles de bonne heure, et l’ayant prouvé par deux ouvrages que ses Mémoires, dès longtemps écrits, devront un jour couronner. […] Je concevrais plutôt encore une indignation réelle, sincère, ardente, souvent injuste, une vraie Némésis ; mais ces guêpes, si acérées qu’elles soient d’esprit, pourtant sans passion aucune, ces guêpes-là ne peuvent aller longtemps sans se manquer à elles-mêmes. […] On voudrait voir tant d’esprit et d’observation employé à d’autres fins.

1353. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre premier. De la stérilité d’esprit et de ses causes »

De la stérilité d’esprit et de ses causes Oui, j’écris rarement, et me plais de le faire, Non pas que la paresse en moi soit ordinaire, Mais, sitôt que je prens la plume à ce dessein, Je crois prendre en galère une rame à la main. […] Comment donc, avec tant de connaissances et de l’esprit, ne peut-on tirer de soi deux pages sans sueurs et sans agonies ? […] Passer des heures les yeux collés sur le papier, comme pour en faire surgir des idées par une magique évocation, cela n’avance à rien, et c’est léthargie plutôt qu’activité d’esprit. […] Il faut donc une réelle activité d’esprit pour écrire, de quoi qu’il s’agisse, au collège ou dans le monde, pour remplir une tâche, ou pour se satisfaire soi-même.

1354. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Jules Sandeau » pp. 322-326

Du trait dans la conversation, des pointes à tout propos, quelque chose de vif et de sémillant dans son bon temps ; avoir sur chaque sujet de passage une provision de bons mots plus ou moins préparés, comme on a des pastilles dans une bonbonnière d’écaille qu’on fait circuler aux mains des dames ; ne voir guère dans tout ce qui est sur le tapis, même dans ce qui est sérieux, que prétexte à paillettes et à étincelles ; ne jamais sortir d’un salon sans assurer et signaler sa sortie par un dernier petit trait qu’on lance en fuyant : tel était, tel nous vîmes pendant des années ce galant homme, homme d’esprit assurément, mais des plus précieux et non pas médiocrement frivole. […] D’ailleurs, une grande sûreté dans le commerce, une grande fidélité à ses amitiés, à ses opinions, le constant désir, le ferme propos d’être et de rester aimable jusque dans la ruine de la santé et au sein de la souffrance59, ces qualités sociales indiquaient en lui un fond de caractère plus solide que son esprit. Il se plaisait, dans les heures bien rares que lui laissait le monde, à écrire sur toutes sortes de sujets, et particulièrement à se souvenir de ses succès de salon, à en fixer la mémoire, à noter ses premières aventures d’esprit, à dénombrer ses nobles relations, et (plus homme de lettres en cela et moins homme du monde qu’on ne l’aurait cru) à tenir registre de tous les jolis mots qu’il avait semés dans sa carrière. […] On se sent aux mains d’un esprit supérieur qui vous conduit. […] Brifaut souffre beaucoup, mais son courage ne se dément pas ; ce qui pourrait paraître frivole dans son esprit devient admirable dans sa triste situation. » 60.

1355. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de Dampmartin, Maréchal de camp »

et, à l’aspect du nouvel ordre, quel était l’esprit qu’elle-même allait inévitablement subir ? […] Sans doute, en cette émancipation soudaine, des désordres, des délits furent commis par le grand nombre, et des crimes même par quelques-uns ; mais le mal était passager : ce qui dura, ce fut l’esprit national, je dirai presque l’esprit bourgeois de la milice régénérée ; ce fut cette fidélité au pays menacé, cette noble attache au sol envahi, sentiment irréprochable, qui triompha plus tard de tout l’ascendant des généraux les plus populaires, que ne purent égarer ni la pureté de La Fayette ni l’habileté de Dumouriez, et dont la tradition était certes affaiblie déjà, quand il fut donné à un homme de prévaloir par l’armée sur le peuple et sur la France. […] Et plus tard encore, quand on eut perdu jusqu’à l’excuse des illusions, et qu’il ne s’agit plus de vengeance, mais d’asile, que dire de cet incorrigible et cruel esprit de coterie qui perpétuait entre des compagnons d’exil la récrimination et l’épigramme, reprochant à l’un une distinction frivole, à l’autre une concession innocente, ne pardonnant nulle supériorité, et substituant en toutes choses les tracasseries de la mauvaise humeur à la dignité d’une grande affliction ? […] Sans avoir eu beaucoup à se louer de plusieurs de ses compagnons, M. de Dampmartin n’en parle pourtant jamais qu’avec un ton d’urbanité et de modération qui fait honneur à son esprit ; et c’est même le principal mérite de son livre.

1356. (1874) Premiers lundis. Tome I « Espoir et vœu du mouvement littéraire et poétique après la Révolution de 1830. »

L’esprit et ce qu’on appelait le goût survivaient toujours et foisonnaient à l’envi ; mais c’étaient comme les fleurs légères jetées sur des armes, comme des paillettes au fourreau de soie des épées. […] M. de Chateaubriand, plus fort, plus grand homme, et sachant mieux à quoi se prendre, frappa bien davantage ; lorsqu’il commença pourtant, il était moins que madame de Staël en harmonie avec l’esprit progressif et les destinées futures de la société, mais il s’adressait à une disposition plus actuelle et plus saisissable ; il s’était fait l’organe éclatant de tout ce parti nombreux que la réaction de 1800 ramenait vivement aux souvenirs et aux regrets du passé, aux magnificences du culte, aux prestiges de la vieille monarchie. […] Seulement ils voulaient l’harmonie, et comme la société d’alors n’était rien moins qu’harmonique, ils s’en prirent longtemps à l’esprit de révolution qui venait la troubler. Puis, plus tard, quand ils sentirent que cet esprit de révolution était la vie même et l’avenir de l’humanité, ils se réconcilièrent avec lui, et ils espérèrent, ainsi que beaucoup de gens honnêtes à cette époque, que la dynastie restaurée ferait sa paix avec le jeune siècle ; qu’on touchait à une période de progrès paisible ; et que la Monarchie selon la Charte ne serait pas un poème de plus par l’illustre auteur des Martyrs. […] Juillet 1830 étant venu interrompre d’un coup le développement de poésie et de critique auquel tant de jeunes esprits se confiaient de plus en plus, nous qui acceptions cette révolution tout entière et qui la jugions alors d’une bien autre portée qu’on n’a vu depuis, nous tâchions, dès les premiers moments, de remettre l’art en accord avec les destinées nouvelles que nous supposions à la société, et de le rallier à elle dans une direction agrandie et encourageante.

1357. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 326-344

Ils n'offrent à l'esprit qu'un Recueil de réflexions pleines d'enflure & de phrases si peu liées les unes avec les autres, qu'on pourroit en renverser l'ordre sans déranger l'économie du style. […] Les Lecteurs éclairés sont bien éloignés de penser ainsi, & d'être dupes d'un pareil charlatanisme, qui n'en impose qu'aux petits Esprits. Ils savent que rien n'est beau que le vrai ; que chaque chose doit être revêtue des couleurs qui lui sont propres ; que trop de faste dans le style est une preuve certaine de la stérilité de l'esprit ; que le naturel seul a droit de plaire, de saisir, de toucher. […] L'indulgence est devenue pléniere, dès qu'il s'est montré digne d'être admis in illo docto corpore, d'en saisir l'esprit & d'en adopter le terrible langage. […] A quoi bon se tant tourmenter pour se donner un air de supériorité qui n'en impose à personne, quand il n'est pas le fruit de la vigueur de l'esprit & de l'élévation de l'ame ?

1358. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

Les envahissements de la parole écrite étaient sans doute trop évidents et trop rapides, et l’on voulait en retarder l’effet, parce que les institutions étaient fondées dans un esprit de fixité. […] C’est la lettre qui remplace l’esprit. […] Je sais tout ce qu’il y a d’inévitable dans la succession des idées, et, j’oserais le dire, tout ce qu’il y a de fatal dans les progrès de l’esprit humain. […] Je ne sais pas jusqu’à quel point elle a accéléré le mouvement des esprits ; mais si elle l’a accéléré, ce n’est que par une sorte de puissance compressive. […] Il n’y a pas de l’ignorance à n’employer, à un âge de l’esprit humain, ou dans une sphère d’idées, que les directions applicables à cet âge, ou en harmonie avec cet ordre de choses.

1359. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

Mais ces divers passages, qui donnent une idée fort nette du genre d’esprit de Fréron, de sa manière de penser et d’exprimer sa pensée ; ne donnent pas du tout la manière personnelle du critique… Le penseur y est. […] L’impersonnalité n’est qu’une rêverie et une prétention de l’esprit humain. […] On est toujours quelqu’un ; on est donc toujours personnel… Et ceux qui veulent que la Critique fasse abstraction de la personne qui est toujours derrière un livre pour en expliquer le dedans, ou ne connaissent rien à la façon dont sont faites les œuvres des hommes, ou sont des esprits lâches, s’abdiquant eux-mêmes par lâcheté et prenant toutes les précautions de la lâcheté quand ils frappent. […] Il a cité l’ingénieuse Lettre sur Saadi à M. de Voltaire, qui raconte à Voltaire, sous le nom de Saadi, sa propre histoire ; et enfin le jugement sur Voltaire, qui n’a pas bougé depuis qu’il fut écrit, et que les admirateurs de Voltaire lui-même sont obligés d’accepter comme le dernier mot sur un homme qui, à force d’esprit, s’est fait prendre frauduleusement pour un génie. […] L’esprit n’en a que deux.

1360. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Vauvenargues » pp. 185-198

Vauvenargues est un esprit distingué, réfléchi, délicat, plus élevé certainement que les hommes de son temps, parce qu’il vécut à l’écart d’eux ; mais entre ces qualités et celles que lui donnait Voltaire, il y avait l’imagination et le caprice de cet esprit de vif-argent et de feu grégeois. […] Or, encore, quelques gouttes d’essence, fussent-elles de l’ambre le plus pur, filtrées avec beaucoup de peine et en trop petit nombre pour parfumer autre chose que le mouchoir de poche d’un homme d’esprit, ne suffisent pas pour mériter ce nom glorieux et sévère de moraliste auquel Vauvenargues prétendit et qu’on ne lui a pas assez marchandé. […] Sans la maladie, sans la douleur qui lui a donné le peu de fil et de mordant qu’on trouve dans ses œuvres, il aurait été, comme tous les humanitaires de son temps, un badaud, un optimiste, un philanthrope, un niais d’esprit, et sans la mort prématurée qui le fait vivre, il serait mort, sur pied, de son vivant ! […] Supposez-le riche et lancé dans le monde d’alors, il n’y aurait point englouti un puissant esprit qu’il n’avait pas, mais il y eût abaissé son âme. […] Il n’a aucune conclusion arrêtée et ferme dans l’esprit sur les grands problèmes de la destinée spirituelle ; mais il a des impressions d’enfance et des instincts.

1361. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XV. Vauvenargues »

Je vais vous lire encore… Votre état me touche (continuait-il en 1745), à mesure que je vois les productions de votre esprit si vrai, si naturel, si facile et quelquefois si sublime… » Et en 1746, faisant toujours la boule de neige de ces incroyables éloges : « Je vais lire vos portraits, lui mandait-il. […] Vauvenargues est un esprit distingué, réfléchi, délicat, plus élevé certainement que les hommes de son temps, parce qu’il vécut à l’écart d’eux, mais entre ces qualités et celles que lui donnait Voltaire, il y avait l’imagination et le caprice de cet esprit de vif-argent et de feu grégeois. […] Sans la maladie, sans la douleur qui lui a donné le peu de fil et de mordant qu’on trouve dans ses œuvres, il aurait été, comme tous les humanitaires de son temps, un badaud, un optimiste, un philanthrope, un niais d’esprit, et sans la mort prématurée qui le fait vivre, il serait mort, sur pied, de son vivant ! […] Supposez-le riche et lancé dans le monde d’alors, il n’y aurait point englouti un puissant esprit qu’il n’avait pas, mais il y eût abaissé son âme. […] Il n’a aucune conclusion arrêtée et ferme dans l’esprit sur les grands problèmes de la destinée spirituelle.

1362. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Caro. Le Pessimisme au XIXe siècle » pp. 297-311

Ils sont à peu près, dans le train actuel de l’esprit humain, comme s’ils n’avaient jamais existé. […] Assurément, un esprit plus mâle que M.  […] c’est un esprit doux, tempéré et même timoré, comme nous pouvons le voir dans plus d’un endroit de son livre. […] Caro a certainement le sentiment des monstrueux sophismes et des monstrueux ridicules dont il s’est avisé de nous tracer l’histoire, mais il l’a dans la proportion de son âme et avec le caractère de son esprit. […] Ce pessimisme de quelques esprits qui nous conduit à ce que M. 

1363. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Favrot »

C’est un médecin de décision rapide et hardie, un homme d’une pratique expérimentée, un de ces esprits qui ne vont pas, comme on dit, par quatre chemins, mais par un seul, droit comme une flèche. […] Il n’a pas montré les initiatives que j’attendais de cet esprit qui n’a pas peur. […] Il n’en reste absolument rien dans leurs nerfs ou dans leurs esprits, et c’est véritablement à faire croire que la superficialité humaine, qui paraissait si monstrueuse à Pascal, est peut-être tout le secret de vivre, et que si les hommes étaient plus profonds ils mourraient de leur profondeur. […] Si la masse commune des esprits était organisée comme Edgar Poe, la question qui nous occupe aujourd’hui serait depuis longtemps résolue ; mais, avec la pincée de cervelle de poulet que nous avons dans nos crânes frivoles, elle ne le sera pas encore demain ! […] pas une idée au compte du docteur Favrot, pas une initiative de cet esprit vif et allègre qui aime d’ordinaire à grimper à la difficulté et qui n’en craint pas l’escarpement !

1364. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Les Mémoires d’une femme de chambre » pp. 309-321

Seulement, le roman qui pouvait être, dans ces Mémoires, charmant ou puissant, selon le genre d’esprit de l’auteur, s’il avait pénétré tout ce qu’enferme l’idée de son titre, n’y est guère qu’abject et inepte, par une de ces combinaisons comme on en rencontre encore quelquefois… Oh ! […] Il n’y a que dans un temps comme le nôtre, épris et raffolant d’égalité, qu’un livre intitulé : les Mémoires d’une femme de chambre pouvait promettre et donner les jouissances démocratiques les plus vives aux esprits qui sont friands de ce genre de jouissances… Il n’y avait que dans un pareil livre qu’on pouvait rabattre — joliment et bien ! […] Je pensais au livre terrible de Swift sur les domestiques, et je me demandais si nous allions avoir affaire à un esprit de cette cruauté tigre, ou à un de ces esprits androgynes qui ont de la femme autant que de l’homme dans leur organisation intellectuelle. […] Son livre n’a pas même le genre d’esprit qui dit : « Je me moque de tout, pourvu que je place mes mots. » Il n’a rien à placer. […] ne craignons pas de l’affirmer, si la Critique, oubliant ses devoirs, n’intervient pas avec une cruauté salutaire et ne donne pas son coup de balai vengeur à cette dépravante littérature, non-seulement l’instinct littéraire, mais aussi l’instinct moral dans l’appréciation des œuvres de l’esprit, seront avant peu, tous les deux, entièrement perdus.

1365. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Jouffroy »

Tout esprit est plus ou moins armé, en présence des idées, du bouclier ou miroir de la réflexion, et du glaive de l’invention, de l’action pénétrante et remuante : réfléchir et oser. […] Il y a à dire que l’intelligence, si fidèle qu’elle soit, ne donne pas tout, que son miroir le plus étendu ne représente pas suffisamment certains points de la réalité, même dans la sphère de l’esprit. […] Il cherchait à tirer des antécédents historiques, des conditions géographiques et de l’esprit religieux des peuples, la loi de leur mouvement et de leur destinée. […] Damiron publia de lui, peu après, un volume posthume de Nouveaux Mélanges philosophiques ; la haine et l’esprit de parti s’en emparèrent. […] Je trouve dans l’Esprit des Journaux, mars 1788, page 232 et suiv., une lettre là-dessus, tirée du Journal de Paris : Lettre d’un Gentilhomme flamand à mademoiselle Émilie d’Ursel, âgée de cinq ans.

1366. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

Il est un art plus qu’exclusivement allemand ; il est une nécessité de l’esprit moderne : il ne peut donc prospérer que là où cette nécessité est sentie. […] Aujourd’hui, après vingt-cinq années, le miracle s’est accompli, — l’apparition du printemps après l’hiver ; le moment est arrivé pour l’esprit artistique français, où nécessairement le printemps doit venir. […] Cependant, l’esprit humain fut plus sage que les hommes ; durant cette longue campagne hivernale, il préparait le printemps là où chaque année il naît avec le soleil à l’est. […] C’est que désormais l’esprit religieux n’a plus pour tâche de faire que Dieu devienne homme (Deus fiat homo), mais bien que l’homme parvienne à Dieu, son idéal. […] Pour saisir l’âme Aryenne en France et pour ne pas être trompé par les séparations historiques, il faut assister à une représentation suivant l’esprit vraiment Aryen, c’est-à-dire Wagnérien.

1367. (1891) Esquisses contemporaines

L’esprit se perd dans l’observation de ses surfaces, de ses mouvements et de ses lois. […] « Phénoménologie de l’esprit » ! […] Hors quelques esprits chagrins qui prévoyaient une banqueroute, ce fut un éblouissement. […] Issue de patientes et laborieuses analyses, elle pousse irrésistiblement l’esprit vers l’analyse. […] Elle ne résulte pas, comme chez eux, d’une paresse de l’esprit, mais au contraire de son activité.

1368. (1894) Critique de combat

Il se pique d’être un homme pratique, un esprit positif. […] Il est intelligent, et en lui l’esprit n’a pas tué le cœur. […] C’est dans le même cadre un esprit tout autre. […] C’est qu’il redoute, là comme ailleurs, l’esprit de réforme ! […] On lui met un uniforme à l’esprit comme au corps.

1369. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « De l’influence récente des littératures du nord »

Il est bien vrai que l’impression d’un seul peut, par la confiance que sa personne inspire ou l’ascendant qu’elle exerce, commander et entraîner la masse des esprits qui ont avec le sien quelque ressemblance. […] Cette pudeur, cette retenue, ce scrupule incurable s’expliquent encore par l’esprit religieux dont ils restent quand même imprégnés. […] On ne secoue réellement que ce qui est réellement un joug ; on ne s’insurge à fond que contre une religion qui interdit toute liberté d’esprit. […] On peut craindre que la caractéristique de nos esprits ne finisse par s’atténuer ; qu’à force d’être européen, notre génie ne devienne enfin moins français. […] Rosny, pour ne citer que ceux-là, ne présagent-ils point la conciliation de deux esprits qui, chez nous, furent trop souvent séparés ?

1370. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Gustave Flaubert »

Ce n’est pas un esprit facile, et c’est même un compliment que je lui fais là. Les esprits faciles, après des commencements charmants, restent médiocres et finissent par se noyer toujours dans le crachat de leur facilité. […] Malheureusement, si Flaubert a le bonheur de n’être pas un esprit facile, il n’a nullement celui d’être un esprit fécond. […] Mais le génie, le tempérament, l’esprit, et surtout le comique, un comique immense, qu’il mêle à ces images, en diminuent le dégoût et le danger. […] Je suis de ceux qui pardonnent à la verve, cette impétuosité de l’esprit, bien des entraînements.

1371. (1925) Portraits et souvenirs

Pour cela, il a sa figure, son esprit et le reste. […] La comtesse de la Baume possédait toutes les distinctions du cœur et de l’esprit. […] Les meilleurs esprits sont dupes de ces illusions aussi bien que le commun des lecteurs. […] Barrès a infléchi le jet primitif de son esprit selon la courbe d’un bel arc. […] D’accord avec l’esprit de son temps, il en avait obtenu l’estime et la considération.

1372. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Il a de l’esprit certainement, il a de la finesse, il n’a nul génie ; et s’il voit de loin, je l’ai dit, c’est par une sorte d’infirmité, c’est qu’il est presbyte. […] Thiers, de l’intelligence, qui consiste à entrer dans l’esprit des situations et dans les vues des hommes d’État, nécessairement différentes selon les époques. […] Le second fut de détruire finement, doucement et lentement dans l’esprit du maître, tous ceux qui entraient en quelque faveur. […] Pour lui trouver de l’esprit (et il en avait), il faut ne le prendre qu’à toutes petites doses et sur des mots qui lui sont échappés. […] On aimerait, pour inscription ou pour épitaphe, à en rester avec lui sur le mot charmant de Saint-Simon : « Il avait de l’esprit, des lettres et des chimères ».

1373. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIII. Des tragédies de Shakespeare » pp. 276-294

Les peuples libres ont un esprit de propriété pour tous les genres de gloire qui illustrent leur patrie ; et ce sentiment doit inspirer une admiration qui exclut toute espèce de critique. […] Ce sont ces beautés et ces bizarreries que je veux examiner dans leur rapport avec l’esprit national de l’Angleterre et le génie de la littérature du Nord. […] En Angleterre, les troubles civils qui ont précédé la liberté, et qui étaient toujours causés par l’esprit d’indépendance, ont fait naître beaucoup plus souvent qu’en France de grands crimes et de grandes vertus. […] Shakespeare a fait, dans ses tragédies, la, part des esprits grossiers. […] Tout ce qui est dans la nature peut intéresser l’esprit ; mais il faut, au spectacle, ménager les caprices des yeux avec le plus grand scrupule ; ils peuvent détruire sans appel tout effet sérieux.

1374. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

La main gauche du progrès se nomme la Force, la main droite se nomme l’Esprit. […] Royer-Collard, cet ami original et ironique de la routine, était, à tout prendre, un sagace et noble esprit. […] Ce redoutable et consolant Ézéchiel, le révélateur tragique du progrès, a toutes sortes de passages singuliers, d’un sens profond : — « La voix me dit : remplis la paume de ta main de charbons de feu, et répands-les sur la ville. » Et ailleurs : « L’esprit étant entré en eux, partout où allait l’esprit, ils allaient. » Et ailleurs : « Une main fut envoyée vers moi. […] Versez tous les esprits depuis Ésope jusqu’à Molière, toutes les intelligences depuis Platon jusqu’à Newton, toutes les encyclopédies depuis Aristote jusqu’à Voltaire. De la sorte, en guérissant la maladie momentanée, vous établirez à jamais la santé de l’esprit humain.

1375. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IX. La pensée est-elle un mouvement ? »

Encore le spiritualisme, en séparant ces deux choses, n’a-t-il devant lui que cette difficulté : comment le corps agit-il sur l’esprit et l’esprit sur le corps ? Mais ses adversaires en ont une bien plus grave à résoudre, à savoir : comment le corps devient-il esprit ? […] Un corps qui pense serait donc un corps qui se transforme en esprit. […] Broussais et ses modernes disciples ont souvent recours à une échappatoire qui leur réussit assez bien auprès des esprits peu réfléchis. […] La superstition seule, et la plus triste des superstitions, peut faire croire que l’on communique ici-bas avec de tels esprits.

1376. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VIII. M. de Chalambert. Histoire de la Ligue sous le règne de Henri III et de Henri IV, ou Quinze ans de l’histoire de France » pp. 195-211

Victor de Chalambert, esprit droit et ferme, profondément convaincu, mais très calme dans ses convictions, d’une expression sereine et lucide, comme son sentiment intérieur, a écrit l’histoire spéciale de la Ligue. […] Il faudrait, en effet, plus que les deux volumes de M. de Chalambert, si estimables qu’ils puissent être, pour ruiner complètement le préjugé sur la Ligue et changer soudainement toutes les conditions de lumière à travers lesquelles beaucoup d’esprits continuent de la voir et de la juger. […]Esprit léger chez une nation légère, il en était le type littéraire élevé à sa plus haute puissance. […] Quand les historiens qui auront parlé de la Ligue avant ou après lui (peu importe), mais comme lui, seront tous convaincus d’erreur, de mauvaise foi ou d’ignorance, quand leurs assertions, réduites à néant, sous le souffle d’une Critique puissante, ne feront plus nuée sur les faits, et ne cacheront plus le vrai des choses, l’influence de Voltaire déshonorée se retrouvera encore dans une foule de têtes, comme un tic incorrigible dont l’esprit français ne guérira pas, tant, cet esprit, il l’a détraqué ! […] Il est tellement pénétré, pour son propre compte, de tout ce que son devoir (qu’il nous permette d’écrire ce mot-là) serait de pousser vigoureusement dans l’esprit de ceux qui ne veulent pas comprendre, comme on pousse une épée dans le cœur de ceux contre qui on se bat et qui résistent, que, chose singulière et naturelle !

1377. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « VIII. Du mysticisme et de Saint-Martin »

Mais sérieusement, et pour qui n’ignore pas la pente des choses, et où la logique pousse l’esprit encore plus qu’elle ne le mène, pour qui nous a prouvé que le mysticisme de Saint-Martin, comme tout mysticisme en dehors de la règle posée par l’Église, traîne l’esprit jusqu’au panthéisme, pour un homme expérimenté en ces matières, qui sait fort bien qu’il n’y a plus maintenant face à face, en philosophie, que le Catholicisme et le Panthéisme, et que toute idée se ramène forcément à l’un ou à l’autre de ces grands systèmes, sans pouvoir jamais en sortir, était-ce bien la peine de s’interrompre et de s’arrêter ? […] Saint-Martin n’a point le rare privilège des grands esprits nets, des hommes à découvertes dans l’ordre de la pensée et à résultats positifs. […] On ne le nommait pas partout par son vrai nom ; mais partout, du moins, il se sentait, et les esprits les plus matériels, les plus attachés aux angles des choses positives, portaient ses invisibles influences, comme on porte une température. […] En les lisant, on est surtout frappé de cette idée que le dix-huitième siècle, dans sa haine contre le catholicisme, n’a pas seulement trouvé, pour la servir, des raisonneurs et des impies, comme l’affreuse société qui soupait contre Dieu chez d’Holbach, mais aussi des âmes d’élite, des cœurs tendres, aux intentions pures, de nobles esprits qui croyaient au ciel. […] C’est qu’effectivement Saint-Martin n’est qu’un protestant modifié C’est un protestant par l’esprit, avec un tempérament catholique.

1378. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

Flaubert échappe à cette coutume qui semble une loi de l’esprit humain. […] — autour de la pensée du romancier et presque toujours au moment où on le voudrait sérieux et sincère, — par exemple, quand il s’agit des détails de l’éducation religieuse de sa Mme Bovary, l’ouvrage n’offre à l’esprit qu’une aridité désolante, malgré le vif de sa douleur et de son style. […] En l’abordant avec la fermeté et la netteté de son mâle esprit, M.  […] Prudhomme, le type universel dont le fantôme plane actuellement sur tous les esprits, si peu aptes au comique du dix-neuvième siècle. […] Les procédés habituels d’un écrivain donnent la nature de son esprit.

1379. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre premier. Sensation et pensée »

Cette organisation n’est pas due au pur esprit, mais à la conformation héréditaire de mon œil ou de mon cerveau, au concert de leurs parties. […] En fait, ce n’est pas le pur esprit qui fait les choses semblables ou différentes, unes ou multiples : il ne fait que dégager les rapports des objets. […] Vous en êtes réduit à dessiner deux lignes égales, c’est-à-dire que vous représentez seulement les lignes et laissez à l’esprit le soin de percevoir, s’il en est capable, l’égalité. […] N’est-ce pas plutôt, comme le remarque Horwicz, l’idée de la préservation qui s’impose d’abord à l’esprit de l’animal et de l’enfant sous cette forme impérieuse : Que faire ? […] Il y a en définitive, dans tout acte de l’esprit, trois éléments dus à la conscience et inexplicables par l’influence du dehors.

1380. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

La retraite dépouille insensiblement l’homme de l’esprit social. […] Mais qui est-ce qui n’a pas l’esprit de parti ? […] L’esprit s’y trouve comme la violette sous les feuilles, sans se montrer, sans vouloir briller. […] L’esprit s’est donc porté ailleurs. […] L’ambition s’est emparée de presque tous les esprits, le luxe de tout le monde.

1381. (1875) Revue des deux mondes : articles pp. 326-349

Cette tendance est spontanée ; une idée préconçue a toujours été et sera toujours le premier élan d’un esprit investigateur. […] L’esprit humain a passé par trois périodes nécessaires dans son évolution. […] Elle proclame la liberté de l’esprit et de la pensée. […] Maintenant cette aspiration de l’esprit humain aura-t-elle une fin, trouvera-t-elle une limite ? […] Il en est de même des philosophes : ils ne peuvent que suivre la marche de l’esprit humain, et ils ne contribuent à son avancement qu’en attirant les esprits vers la voie du progrès, que beaucoup n’apercevraient peut-être pas ; mais ils sont encore en cela l’expression de leur temps.

1382. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

C’était une belle âme, ce n’était pas un grand esprit ; mais il avait tout ce que l’âme donne à l’esprit, c’est-à-dire l’élévation des idées, la loyauté du caractère, la magnanimité des sentiments, la sincérité des opinions. […] Son esprit paraissait peu parce qu’il était dénué de toute prétention, mais il était juste et modéré, réfléchi, autant que son cœur était bon et solide. […] En 1815, madame de Krüdener, sibylle mystique attachée à l’esprit de l’empereur Alexandre de Russie, la rechercha ; mais madame Récamier n’avait rien des sibylles que la beauté. […] Ampère, qui voyage en ce moment dans je ne sais quel coin du monde, était un esprit et un caractère qui échappent, par leur perfection, au portrait ; il y avait en lui du saint Jean par la candeur et l’attachement, du jeune homme par la chaleur d’amitié, du vieillard par la sûreté, du savant par la science héritée de son père, du poète par l’imagination, du voyageur par la curiosité désintéressée de son esprit, du politique par la sévérité antique des opinions, de l’amant par l’enthousiasme, de l’ami par la constance, de l’enfant par le dévouement volontaire. […] Que ces larmes durent être douces à son esprit transfiguré sur son propre cercueil de la chapelle de l’Abbaye-aux-Bois !

1383. (1855) Préface des Chants modernes pp. 1-39

L’inutile exagération des derniers jours de la période romaine a envahi les esprits les meilleurs. […] Aussi, nous l’avouons sans pâlir, nous les haïssons de toute la force de notre amour pour les lettres et de notre respect pour les grandeurs de l’esprit humain ! […] C’était l’esprit du bien, aveugles qui ne savez pas le reconnaître, et qui, renversant vos propres textes, créez votre Dieu à votre image ; c’était l’esprit du bien qui se répandait parmi les hommes et leur mettait entre les mains les instruments sacrés qui doivent défricher les plaines du fécond avenir ! […] Son but, son devoir, sa mission, sa raison d’être est de travailler sans relâche à l’agrandissement de l’esprit humain. […] J’affirme l’esprit sinon la lettre ; je cite de mémoire.

1384. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

Idée générale de son esprit et de son caractère. —  Sa famille. —  Son éducation […] Il a l’esprit lucide et l’imagination limitée. […] Chez de si massifs raisonneurs, on ne cherchera point l’esprit. L’esprit est l’agilité de la raison victorieuse : ici, parce que tout est puissant, tout est lourd. […] La lourdeur extraordinaire de ces gentillesses annonce des esprits encore empêtrés dans l’érudition naissante.

1385. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 451-455

L’esprit n’est plus qu’un faux brillant, La beauté qu’un faux étalage, Les caresses qu’un faux semblant, Les promesses qu’un faux langage. […] Panard offre une Collection agréable de petites Poésies, où l’esprit & le sentiment brillent sans affectation. […] Quoiqu’il eût infiniment plus d’esprit & de talent que n’en ont les Laharpe & les Marmontel, il vécut & mourut dans l’indigence. […] La candeur de son ame, l’égalité de son caractere, & la gaieté de son esprit, ne laissoient pas soupçonner qu’il eût besoin de rien.

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