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1061. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Madame de Créqui »

En Grèce même, puisqu’il porte un nom grec, il ne se produisit que sous les Grecs du bon temps ; il fut le résultat de circonstances dont l’ensemble ne dura qu’un instant : archipel magnifique, ciel superbe, liberté de pirates, marbre à tailler pour créer des dieux, costume sobre, hospitalité flamboyante, le poignard à la ceinture, rois de toutes parts qui se recevaient tour à tour au milieu d’un état-major résolu pour vider ensemble la coupe d’Hercule sans broncher !

1062. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Alexis de Tocqueville »

Voilà pour la forme, c’est-à-dire pour ce qui fait la vie des livres et leur durée, quand les idées sur lesquelles ils reposent sont décrépites ou mortes ; mais pour le fond, c’est aussi les idées de tout le monde qui lui créent son originalité, à ce penseur, comme c’est la courte vue de tout ce monde qui se chausse de lunettes d’écaille qu’il promène sur les événements contemporains et la politique, qui devait les dominer… Seulement, penser et parler comme tout le monde pense et parle à une certaine hauteur de société, explique peut-être suffisamment aux esprits profonds que tout ce monde, qui se reconnaît en de Tocqueville, lui ait fait un honneur si exceptionnel !

1063. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XIII. Pascal »

ce qui le crée Pascal ; ce qui lui fait, par l’accent seul, une langue à lui à travers celle de Montaigne, dont il a les tours et dont il s’assimile les qualités ; ce qui lui donne une originalité incomparable entre tous les esprits originaux de toutes les littératures, et le fait aller si loin dans l’originalité que parfois il rase l’abîme de la folie et donne le vertige, c’est un sentiment, — un sentiment unique, un sentiment assez généralement méprisé par le superficiel orgueil des hommes, — et ce sentiment, c’est la peur !

1064. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Matter. Swedenborg » pp. 265-280

L’an des savants les plus illustres de la Suède et même de l’Europe, il avait créé en métallurgie ; et s’il n’avait pas fait des découvertes égales en physiologie, en anatomie et dans les autres sciences naturelles, il avait vulgarisé avec génie les Winslow, les Malpighi, les Morgagny, les Boërhaave, les Swammerdam, les Levenhoek.

1065. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « L’abbé Monnin. Le Curé d’Ars » pp. 345-359

On aurait pensé, dit superbement à cette occasion l’abbé Monnin, à qui l’admiration crée très souvent un style ; on aurait pensé que cet homme, qui entraînait tout dans sa sphère d’attraction avec une si intense harmonie, « avait un système comme les astres ».

1066. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Victor Cousin »

C’est là, en effet, ce qui a perdu Cousin, — et je dis perdu, malgré une position qu’il prend probablement pour de la gloire : — l’ambition de créer à son tour en philosophie !

1067. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Jules de Gères »

Seulement, par un privilège de ces adorables natures poétiques quelquefois délicieusement fondues, de temps à autre le muscle de la Force peut saillir tout à coup dans le doux contour de la Grâce, et créer alors cet hermaphrodisme divin dont les Grecs, moins prudes que nous et plus connaisseurs, faisaient deux beautés réunies, et non pas une monstruosité !

1068. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Musset »

Les éditeurs n’ont pas été créés et mis au monde pour faire les affaires  du génie.

1069. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Soulary. Sonnets humouristiques. »

Il a (regardez-y et même vous n’avez pas besoin d’y regarder pour en être frappé) la fécondité, la force, la profondeur, la grâce, la variété dans l’inspiration et cette unité dans le sentiment qui fait l’originalité d’un homme et qui lui crée son moi poétique, mais dans quelle proportion a-t-il tout cela, si ce n’est dans celle qui étouffe, en le restreignant, le génie, le génie à qui la place est nécessaire et qui ne peut jamais se passer d’horizons !

1070. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Auguste Barbier »

Lui, le Juvénal de 1830, il semblait avoir été créé et mis au monde de toute éternité pour pondre ces versiculets fadasses que les confiseurs paient un louis le mille à leurs faiseurs et qu’ils roulent autour de leurs bonbons… et c’était cela qui était effrayant !

1071. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Laurent Pichat »

Seulement, ce que je veux exclusivement vous faire entendre pour vous prouver que nous avons ici affaire à un poète, ce n’est pas l’expression réussie de la haine qui se croit victorieuse, mais c’est l’accent éternellement cruel et doux de la vie passée, qui, finie, crée immédiatement l’infini du souvenir dans nos cœurs.

1072. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Je vois mieux ainsi ce sincère glorificateur du silence, ce trappiste de la Poésie, qui s’était créé comme une solitude monastique sous les rideaux et les persiennes de son salon de la rue des Écuries-d’Artois, si plein des portraits et des souvenirs de sa jeunesse, et dans lequel il s’était, de si longue main et de si bonne grâce, préparé à ce qu’il admirait le plus : — silencieusement mourir !

1073. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Jean Richepin »

Madame de Staël a créé Oswald peut-être en se ressouvenant, ce blondasse anglais, plus mou que ses bottes molles, et dont la misérable infidélité tue Corinne.

1074. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Madame Sand et Paul de Musset » pp. 63-77

C’est de plus l’histoire des lions qui croient savoir peindre… Madame Sand, comme toutes les femmes devenues des bas-bleus, et qui luttent d’orgueil contre l’homme, crée des hommes misérables dans tous ses romans, pour donner à peu de frais la supériorité à la femme.

1075. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Deux romans scandaleux » pp. 239-251

C’est de plus l’histoire des lions qui croient savoir peindre… Mme Sand, comme toutes les femmes devenues des bas-bleus, et qui luttent d’orgueil contre l’homme, crée des hommes misérables dans tous ses romans pour donner à peu de frais la supériorité à la femme.

1076. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Malot et M. Erckmann-Chatrian » pp. 253-266

Quand on n’est pas de force à créer un type, il faut ajouter aux types connus que l’on emploie.

1077. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Armand Pommier » pp. 267-279

On ne peut pas dire précisément qu’il ait créé le roman physiologique, mais il lui donna le grand caractère que son génie donnait à tout, et par son exemple il imprima plus profondément la marque de cette influence du temps, à laquelle nul ne peut se soustraire sans s’appauvrir, à tous les romans qui suivirent les siens.

1078. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Il est évident que l’auteur n’a pas eu la pensée de créer une individualité, en le créant.

1079. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIX. Panégyriques ou éloges composés par l’empereur Julien. »

Qu’il imite l’Être suprême dont il est le ministre : Dieu est le créateur du bien ; jamais cet être juste et bienfaisant n’a créé le mal.

1080. (1857) Réalisme, numéros 3-6 pp. 33-88

On l’accusa d’avoir créé le genre bas. […] Au lieu de créer, l’imagination de l’homme fait n’a pu aller au-delà de l’imagination de l’enfant qui brise ses poupées et transforme tout en mutilant tout. […] Alors l’effort suprême, la sublimité a été de retourner les plantes les racines en l’air, les feuilles en terre, et l’homme a créé des végétaux ; sur les épaules du lion il a mis une tête de femme, et il a créé des animaux. Il a donné son langage à tout ce qui n’en avait pas et il a créé un mouvement et une vie qui selon lui manquaient. […] Créer, voler dans l’air !

1081. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Ce langage a-t-il toute l’exactitude désirable, et n’est-ce point ici le cas de se rappeler que la critique du commencement de ce siècle a créé plus d’un mot qui prèle à l’équivoque ? […] Bientôt les poèmes héroï-comiques se multiplient, les parodies se répandent, le peuple crée le lai, le fabliau, la farce, pour donner à sa verve plus d’ouvertures. […] Diderot exprima plus d’une fois la même idée, bien que dans la pratique il ait enchéri sur les abstractions classiques en ne donnant aux êtres qu’il créait qu’un nom générique, celui de leur condition ou de leur fonction. […] Au lieu de créer un tout logique, ils fabriquèrent un tout aussi conforme que possible à la réalité apparente, et, comme elle, incohérent, complexe et concret. […] Cependant, s’ils ne sont pas à proprement parler des réalistes quand ils créent, ils le sont quand ils détruisent.

1082. (1853) Histoire de la littérature française sous la Restauration. Tome I

Or, la situation révolutionnaire étant donnée, il n’y a que les montagnards qui puissent créer le gouvernement atroce de cette atroce situation. […] Tout se passe entre une intelligence que Dieu a créée capable de recevoir et de former les idées, surtout par la parole, et les intelligences qui la lui transmettent comme elles l’ont elles-mêmes reçue. […] Ce n’était donc pas une affaire de choix pour le premier consul devenu empereur, que ce joug imposé à la presse ; c’était un acte inévitable dans les conditions du nouveau pouvoir qu’il venait de créer. […] Or, le premier consul, bientôt après empereur, ne consentait à souffrir aucune autre influence intellectuelle que la sienne ; il ne voulait point laisser se créer une force d’idées qu’il n’aurait point dans les mains. […] Ou bien une nouvelle philosophie ne ferait-elle pas son avènement, et le dix-neuvième siècle, dédaignant de se régler sur les temps antérieurs, ne créerait-il pas tout à nouveau, la philosophie comme la politique, la littérature comme la religion ?

1083. (1858) Du roman et du théâtre contemporains et de leur influence sur les mœurs (2e éd.)

Rousseau, on peut le dire, qui a réellement créé le roman philosophique et réformateur : Rousseau est le vrai père de tous nos déclamateurs modernes. […] Le bien et le mal, ce sont des distinctions que nous avons créées. […] « La femme a été créée pour appartenir à un maître qu’elle possède », a dit un spirituel écrivain91. […] Vous accomplissez son grand œuvre ; il crée en vous, vous êtes sa main droite. […] Lui aussi s’est plu à créer des personnages monstrueux et difformes, à entasser les infamies et les saletés.

1084. (1910) Propos littéraires. Cinquième série

Or, chercher en soi et chez les autres ce qu’il y a de respectable, c’est un peu le créer, puisque, pour le trouver, il n’est, souvent, pas inutile, et quelquefois il est nécessaire, de l’inventer. […] Donc, voici la suite des choses : Un peuple se crée. […] Le peuple est créé, de par ces motifs de cohésion. […] Comme libéral, il a salué avec enthousiasme la Révolution de 1830 et pleuré en voyant le drapeau tricolore sur les bords du Rhin ; mais comme patriote, il faut bien qu’il avertisse son pays que 1830 a créé un danger extérieur nouveau. […] Il avait publié Les Liaisons dangereuses et créé le type de Valmont.

1085. (1927) Approximations. Deuxième série

Il sait réduire à l’unité des impressions pour créer la simultanéité, se situer au point d’intersection du réel et de l’imaginaire. […] Car, tout de suite, tel Adam créant son Eve, Remy a créé une Marinette en lui-même, telle qu’il la veut, telle qu’il la lui faut, telle qu’il l’aime, selon ses goûts et ses désirs, ses ordres et ses besoins. […] Il souffrait de la solitude, non seulement de cette solitude que crée l’exil, mais de celle qui enveloppe une supériorité dont on a conscience et qui n’est pas reconnue. […] La chair palpitante qu’il crée est aussi et toujours une figure décorative qui fait partie du gigantesque motif de sa tapisserie, tout comme dans Petrouchka les marionnettes sont des êtres humains et les êtres humains des marionnettes. […] Rivière les connaît tous, y compris le plus spécieux, celui que crée l’exercice de la sincérité elle-même qui peut devenir déformante rien que par l’importance dont elle investit les nuances les plus passagères des sentiments.

1086. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Cléopâtre est dans Shakespeare cette courtisane voluptueuse et rusée que nous peint l’histoire ; comme Antoine, elle est remplie de contrastes : tour à tour vaniteuse comme une coquette et grande comme une reine, volage dans sa soif des voluptés, et sincère dans son attachement pour Antoine ; elle semble créée pour lui et lui pour elle. […] Il a tout créé cependant ; car, dans ces faits si exactement empruntés à autrui, il a mis la vie qui n’y était point. […] Ainsi crée le poëte, et tel est le génie poétique. Les événements, les situations même ne sont pas ce qui lui importe, ce qu’il se complaît à inventer : sa puissance veut s’exercer autrement que dans la recherche d’incidents plus ou moins singuliers, d’aventures plus ou moins touchantes ; c’est par la création de l’homme lui-même qu’elle se manifeste ; et quand elle crée l’homme, elle le crée complet, armé de toutes pièces, tel qu’il doit être pour suffire à toutes les vicissitudes de la vie, et offrir en tous sens l’aspect de la réalité. […] Mais arrive enfin le moment où ses moyens de séduction ne suffisent plus à surmonter les difficultés qu’il s’est créées, où l’appât qu’il peut présenter aux passions des hommes n’est plus de force à surmonter l’effroi qu’il leur a inspiré sur leurs intérêts les plus pressants ; alors ceux qu’il avait divisés pour les faire succomber l’un par l’autre se réunissent contre lui.

1087. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Mais des rapports de ce genre, la prose peut en créer à chaque minute. […] Plus la poésie serait haute moins en créerait-elle. […] Poésie deux fois inaccessible aux humbles, puisqu’elle s’est créée une langue nouvelle. […] Or il est vrai sans doute qu’un grand poète, autrement dit qu’un grand mystique, est un magnifique créateur d’images, « mais non pas à ses plus hauts moments d’inspiration. » ce n’est pas parce que le poète excelle à créer des similitudes qu’il est grand mystique, " c’est parce qu’il a une pleine vision du mystère des réalités. […] Que je suis d’accord avec tous ceux qui créent ou sentent poétiquement lorsque la fausse raison ne les trompe pas ?

1088. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

« La nature, dit-il, a fait la propriété nécessaire : donc elle a nécessairement créé l’espèce d’homme nécessaire à la culture de cette propriété. » C’est encore l’argumentation des blancs possesseurs des noirs dans nos colonies, et il a fallu une révolution pour saper ce faux raisonnement. […] Il faut créer en plus grand nombre de nouvelles phratries ; il faut substituer aux sacrifices particuliers des fêtes religieuses, peu fréquentes, mais publiques ; il faut confondre autant que possible les relations des citoyens entre eux, en ayant soin de rompre toutes les associations antérieures. […] À son avis, les révolutions viennent de ce que rien ici-bas ne peut subsister éternellement, et que tout doit changer dans un certain laps de temps ; et il ajoute que “ces perturbations dont la racine augmentée d’un tiers plus cinq donne deux harmonies, ne commencent que lorsque le nombre a été géométriquement élevé au cube, attendu que la nature crée alors des êtres vicieux et radicalement incorrigibles”.

1089. (1899) Les industriels du roman populaire, suivi de : L’état actuel du roman populaire (enquête) [articles de la Revue des Revues] pp. 1-403

Qu’ils recherchent donc nos lectures, qu’ils y prennent part, qu’ils observent le public ; que, dans les universités populaires qui vont être créées, ils entrent en communion plus intime avec une élite du peuple. Ce n’est pas par vertu ou par raison qu’on créera une littérature nouvelle : c’est spontanément, quand on se sera placé dans les conditions nécessaires pour cela. […] Il est dans notre destinée de ne réaliser un bien que pour nous créer des devoirs nouveaux et plus difficiles.

1090. (1860) Cours familier de littérature. X « LXe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 401-463

Cet habile négociateur jugea, au contraire, qu’il était de l’intérêt bien entendu de la France de s’allier avec la maison d’Autriche pour empêcher la Russie de déborder trop irrésistiblement sur l’Occident, et pour empêcher la Prusse de créer à son profit cette unité ambitieuse de l’Allemagne qui étoufferait sous sa masse toute influence française sur le Rhin et au-delà du Rhin. […] Quelle que soit l’antipathie plus ou moins jalouse que l’on puisse porter comme Français à l’Angleterre, il suffit d’être homme pour s’enorgueillir, comme homme, d’une puissance de civilisation, de richesse, de commerce, d’intelligence, de navigation, d’armées de mer et d’armées de terre, capable d’avoir créé, dans cette poignée d’Anglo-Saxons, sinon les maîtres, du moins les modèles des peuples civilisés. » Lamartine.

1091. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

« Cette jeune reine semblait avoir été créée par la nature pour attirer à jamais l’intérêt et la pitié des siècles sur un de ces drames d’État qui ne sont pas complets quand les infortunes d’une femme ne les achèvent pas. […] La nature semblait avoir créé exprès, et les différents ordres de la société avoir mis en réserve pour cette œuvre, les génies, les caractères et même les vices les plus propres à donner à ce foyer des lumières du temps la grandeur, l’éclat et le mouvement d’un incendie destiné à consumer les débris d’une vieille société, et à en éclairer une nouvelle.

1092. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

C’est le progrès selon la doctrine des progressistes indéfinis, ces adorateurs obstinés du temps qui les dément dans les langues comme dans les choses ; ces adorateurs du présent qui les dévore eux-mêmes et qui anéantit tout autant de choses humaines qu’il en crée. […] Pygmalion, en effet, dont on a fait le symbole de l’amour profane, n’est que le symbole du génie ; il n’adore pas seulement le beau, il le crée.

1093. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Chateaubriand, comptant sur l’immense popularité de son nom, créa, au lieu de vingt-cinq centimes, ses billets à mille francs ; il fut trompé dans son espoir, et ne plaça que trois billets : M.  […] Parvenu au but de ses désirs, qui était de renverser les libéraux modérés du ministère, pour créer et protéger un ministère de royalistes auxquels il prêterait son talent, puis, de le renverser ensuite et de se substituer seul à M. de Villèle, il semble d’abord ressentir ou affecter pour madame Récamier une passion de jeunesse sans mesure, qui n’a pour objet que de revenir de ses ambassades à Paris pour s’enivrer de sa passion équivoque auprès d’elle, dans la solitude et dans le désintéressement de son amour ; puis, après le congrès de Vérone et sa nomination au ministère des affaires étrangères, d’autres passions moins platoniques paraissent le refroidir et l’éloigner de madame Récamier.

1094. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Werther sent la Nature, et par là il se sent artiste, il se sent puissant : mais où tourner cette puissance, que faire de son art, que créer ? Créer, c’est aimer ; l’amour universel est le grand artiste et le créateur du monde.

1095. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Quand Noménoé, au ixe  siècle, organisa pour la première fois d’une manière un peu régulière cette société d’émigrés à demi sauvages, et créa le duché de Bretagne en réunissant au pays qui parlait breton la marche de Bretagne, établie par les Carlovingiens pour contenir les pillards de l’Ouest, il sentit le besoin d’étendre à son duché l’organisation religieuse du reste du monde. […] Le sentiment dont nous parlons ne tue que celui qui l’éprouve, et voilà pourquoi la race bretonne est une race facilement chaste ; par son imagination vive et fine, elle se crée un monde aérien qui lui suffit.

1096. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre X »

Sur quoi, M. de Cayolle lui réplique que l’argent ne sert pas seulement à tirer Jean Giraud et compagnie du néant, mais encore à créer et à susciter les grands hommes. […] Les génies de cette sphère obéissent à un plus noble aiguillon ; ils créent par instinct et par vocation, sans plus se soucier de la rétribution de leurs œuvres que l’arbre ne s’inquiète du prix de ses fruits.

1097. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Romans et nouvelles » pp. 3-80

D’aventures, il est bien entendu que je n’en ai nul besoin ; mais les impressions de petite fille et de toute petite fille, mais des détails sur l’éveil simultané de l’intelligence et de la coquetterie, mais des confidences sur l’être nouveau créé chez l’adolescente par la première communion, mais des aveux sur les perversions de la musique, mais des épanchements sur les sensations d’une jeune fille, les premières fois qu’elle va dans le monde, mais des analyses d’un sentiment dans de l’amour qui s’ignore, mais le dévoilement d’émotions délicates et de pudeurs raffinées, enfin, toute l’inconnue féminilité du tréfonds de la femme, que les maris et même les amants passent leur vie à ignorer… voilà ce que je demande. […] Je me suis appliqué à rendre le joli et le distingué de mon sujet et j’ai travaillé à créer de la réalité élégante ; toutefois — et là était peut-être le gros succès, — je n’ai pu me résoudre à faire de ma jeune fille l’individu non humain, la créature insexuelle, abstraite, mensongèrement idéale des romans chic d’hier et d’aujourd’hui.

1098. (1902) La métaphysique positiviste. Revue des Deux Mondes

Scientifiquement il est pour Berkeley, qui le nie, ce qu’il était pour les diocésains de son évêché de Cloyne, et, scientifiquement, il ne diffère pas pour Johann Gottlieb Fichte, qui le crée, de ce qu’il est pour les étudians de l’Université d’Iéna. […] est celle qui n’affirme l’absolu, — ou l’Inconnaissable — qu’autant qu’elle s’y est, pour ainsi dire, heurtée dans toutes les directions qu’elle a prises pour y échapper ; qui ne s’incline en quelque manière devant le mystère des choses qu’après avoir épuisé les moyens humains d’en éclairer la profondeur ; et qui ne se propose pas enfin, comme celle de Fichte, de créer de son fond, et vraiment du néant, ex nihilo, l’homme, et le monde, et Dieu, mais, plus modestement, de les reconnaître, et de les définir, dans la mesure de notre pouvoir.

1099. (1833) De la littérature dramatique. Lettre à M. Victor Hugo pp. 5-47

Ces règles, Monsieur, ne sont point créées par moi ; elles sont le fruit de l’expérience des siècles : et en supposant qu’en les violant on pût obtenir par hasard un succès, cela ne prouverait rien contre leur utilité indispensable. […] Il faut se défendre également de cet orgueil despotique, qui veut en dépit de la raison et des lois nous faire briser les obstacles que nous nous sommes créés nous-mêmes.

1100. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

L’auteur des Révolutions d’Italie n’aurait-il donc pas la notion du bien et du mal, du mal, qui est un moins sur le bien, un attentat sur la chose créée ? […] C’est un artiste, Italien de partout, chez qui l’Italie a tout créé, le bien et le mal.

1101. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

Illusoire serait donc notre conscience de choisir, d’agir, de créer. […] Nous croyons que les images se créent au fur et à mesure de leur apparition, justement parce qu’elles semblent nous apparaître, c’est-à-dire se produire devant nous et pour nous, venir à nous.

1102. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Elle se comprend, sans qu’il y ait rien à ajouter à ce que nous avons dit en traitant du mouvement uniforme : l’accélération ne saurait créer ici des conditions nouvelles, puisque ce sont nécessairement les formules de Lorentz qu’on applique encore (en général à des éléments infinitésimaux) quand on parle de Temps multiples et ralentis. […] C’est l’accélération de M₂ qui a créé la dissymétrie : on reconnaît ici le caractère absolu de l’accélération.]

1103. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers »

Ce général, qui connaissait les Anglais pour les avoir combattus si vaillamment en Espagne, appréciait leur force, leur solidité, et, les supposant déjà massés en grand nombre aux Quatre-Bras, apprenant d’ailleurs par un des plus braves officiers de l’armée le mouvement général des Prussiens vers Fleurus, estima qu’il y aurait péril à avoir les Anglais devant soi aux Quatre-Bras et les Prussiens à dos ; mais ce retard même allait créer le danger aux Quatre-Bras, où les Anglais, assez faibles jusqu’à midi, convergeaient de toutes parts et se renforçaient à vue d’œil.

1104. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

L’humanité lui paraissait depuis longtemps sortie de ses voies ; les hommes, en s’écartant de la nature, s’étaient créé mille passions factices dont ils devenaient tour à tour instruments et victimes.

1105. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

La critique, en effet, cette espèce de critique surtout, ne crée rien, ne produit rien qui lui soit propre ; elle convie au festin, elle force d’entrer.

1106. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Là il rencontre, comme Dante au vestibule de son Enfer, les cinq ou six poëtes souverains dont il est épris ; il les interroge, il les entend ; il convoque leur noble et incorruptible école (la bella scuola), dont toutes les réponses le raffermissent contre les disputes ambiguës des écoles éphémères ; il éclaircit, à leur flamme céleste, son observation des hommes et des choses ; il y épure la réalité sentie dans laquelle il puise, la séparant avec soin de sa portion pesante, inégale et grossière ; et, à force de s’envelopper de leurs saintes reliques, suivant l’expression de Chénier, à force d’être attentif et fidèle à la propre voix de son cœur, il arrive à créer comme eux selon sa mesure, et à mériter peut-être que d’autres conversent avec lui un jour.

1107. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Que si cette vue, d’ailleurs, concorde assez bien avec les circonstances éparses, si seulement ces circonstances s’y prêtent et que le talent soit doué d’assez de puissance, non pas pour les créer (à lui seul il n’y suffirait pas), mais pour les rallier en faisceau, il en résulte les grands succès.

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