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795. (1866) Nouveaux essais de critique et d’histoire (2e éd.)

Dans ce paradis qui sera la terre transformée, les vins, les légumes, les inventions culinaires atteindront une perfection inexprimable ; de grandes députations des principaux États du globe viendront travailler et concourir ensemble pour améliorer les petits gâteaux ; car la pâtisserie est un des bonheurs de la bouche, et pourquoi la bouche serait-elle privée d’un de ses bonheurs ? […] Si on les interroge, ils présentent chacun un corps d’idées liées et précises sur la fin de l’homme, sur son bonheur, sur ses facultés et sur ses passions. […] « Et des promesses de bonheur, de liberté ! […] De là un bonheur conjugal vraiment unique, chacun tirant à soi, tous deux trompés dans leurs espérances, usant de leur esprit pour se picoter en secret et s’aimer en public. […] Par sa propre nature le bonheur s’attache à la vertu et le malheur, au vice, comme l’ombre au corps.

796. (1902) La poésie nouvelle

En même temps, il sent qu’il n’a pas d’aptitude à ce bonheur calme, et que « l’inactivité le tuerait infailliblement ». […] C’était alors la joie de vivre qui l’enchantait, une sorte de félicité presque physique et que nulle pensée ne troublait, le bonheur de participer à l’épanouissement général des êtres et des choses sur le sol fertile, sous le bon soleil. […] Sournoise, elle s’infiltre ; elle est la mort au bonheur ! […] Aux alentours, le silence se fait, et, sous le front brûlant du rêveur las, passe la vision pathétique du bonheur fini :‌ Vides, les îles d’or, là-bas, dans l’or des brumes, ‌ Où les rêves, assis sous leur manteau vermeil, ‌ Avec de longs doigts d’or effeuillaient aux écumes ‌ Les ors silencieux qui pleuvaient du soleil. ‌ […] Tous les chemins vont vers la ville, vers sa clarté fallacieuse et son fantôme de bonheur.

797. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Sa taille n’était ni petite ni haute, mais admirablement proportionnée ; telle à vingt ans, telle à cinquante : le temps n’y touchait pas ; ni gras, ni maigre, la matière n’avait rien à faire avec cette nature éthérée et immuable ; tempérament du bonheur inaltérable aux passions : il en avait cependant, mais il les contenait par le sang-froid de son caractère ; elles n’étaient pour lui que les tentations de la vie éprouvées en silence, parce qu’elles ne demandaient rien à la vanité, mais qu’elles étaient toutes discrètes comme l’amitié, mystérieuses comme l’amour. Tel était l’homme presque parfait avec lequel j’ai eu le bonheur d’être lié, depuis le jour où il répandit son nom dans le monde, jusqu’à aujourd’hui où je le pleure ; notre liaison n’a jamais eu ni une ivresse ni une déception, même aux jours les plus orageux de mon existence, parce qu’il a compris mes faiblesses comme j’ai compris sa raison. […] dit Cinq-Mars, je vous ai ouvert celui du précipice ; mais précipitons-nous dans la mort généreusement, et nous surgirons dans la gloire et le bonheur du ciel. […] Ô quel bonheur ! […] si l’on savait ce bonheur que j’ai…, on n’hésiterait pas si longtemps !

798. (1856) Cours familier de littérature. II « Xe entretien » pp. 217-327

Scènes de notre enfance, après quinze ans rêvées, Au plus pur de mon cœur impressions gravées, Lieux, noms, demeure, et vous, aimables habitants, Je vous revois encore après un si long temps, Aussi présents à l’œil que le sont des rivages À l’onde dont le cours reflète les images, Aussi frais, aussi doux, que si jamais les pleurs N’en avaient de mes yeux altéré les couleurs ; Et vos riants tableaux sont à mon âme aimante Ce qu’au navigateur battu par la tourmente Sont les songes dorés qui lui montrent de loin Le rivage chéri de son bonheur témoin, L’ondoyante moisson que sa main a semée, Et du toit paternel le seuil, ou la fumée ! Tu n’as donc pas quitté ce port de ton bonheur ; Ce soleil du matin qui réjouit ton cœur, Comme un arbre au rocher fixé par sa racine, Te retrouve toujours sur la même colline ; Nul adieu n’attrista le seuil de ta maison, Jamais, jamais tes yeux n’ont changé d’horizon, L’arbre de ton aïeul, l’arbre qui t’a vu naître N’a jamais reverdi sans ombrager son maître ; Jamais le voyageur en voyant du chemin Ta demeure fermée aux rayons du matin, Trouvant l’herbe grandie, ou le sentier plus rude, N’a demandé, surpris de cette solitude, Sur quels bords étrangers, dans quels lointains séjours Le vent de l’inconstance avait poussé tes jours. […] Elle me parla de ma mère, qu’elle avait connue à la cour dans son enfance ; de mes vers, qui révélaient, disait-elle, une fibre malade dans un cœur sain ; du danger de la solitude absolue à mon âge, qui fausse ou qui aigrit les impressions, ces sens du génie ; du bonheur qu’elle aurait à remplacer pour moi ma famille éloignée et à m’introduire dans la sienne comme un enfant de plus parmi les charmants enfants dont la Providence avait orné son foyer et consolé ses vieux jours. […] Madame la duchesse de Broglie jetait encore sur tout ce bonheur de situation et sur tout ce mérite personnel le prestige du plus grand nom littéraire du siècle. […] Je suis las des soleils, laisse mon urne à l’ombre : Le bonheur de la mort, c’est d’être enseveli.

799. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Enfin du vrai bonheur Nous porterons les signes. […] « Tous, attelés au char de la puissance, « Du vrai bonheur vous quittez le chemin. […] Qui aurait osé seulement se souvenir du chansonnier quand on avait comme moi le bonheur de voir agir et d’entendre parler l’homme qui avait été Béranger, mais qui savait être Tacite ou Montaigne selon l’heure ? […] Si je n’ai pas le bonheur d’avoir la religion du Dieu de la paroisse, j’ai toujours eu et j’ai de jour en jour davantage la religion du Dieu de l’univers. […] Béranger les conduisait lui-même à son canapé de paille ; il écoutait patiemment le récit de leur détresse et les vœux de leur vieillesse : c’étaient deux lits dans le même hospice, pour ne pas mourir séparés après une longue vie de bonheur, de travail et de souffrance en commun.

800. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « M. DE LA ROCHEFOUCAULD » pp. 288-321

Il me semble parfois que, dans le système d’équité de la nature inexorable, presque chaque homme ici-bas, malgré l’apparente inégalité des lots, obtient au fond sa part à peu près équivalente de bonheur et de malheur, et qu’aussi, faut-il le dire ? […] A un certain âge, tout l’art du bonheur, si cela méritait encore ce nom, serait de pouvoir s’isoler à point des hommes. […] A tous ces édifices fantastiques, à ces façades de palais enchantés que nos philosophes construisent au plus grand honneur et bonheur de l’homme, je lis toujours cette ironique inscription tirée du plus pieux des poëtes : Mortalibus œgris !

801. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXVIIIe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 65-128

Je ne sais pas où je les prenais, mais le bonheur de savoir qu’il m’aimait et le soulagement que j’éprouvais de lui avoir osé dire enfin : « Je t’aime !  […] Par bonheur, je n’assistai pas à la lecture de la sentence, parce que, dans ces occasions, la justice ne laissait entrer avec elle que le bargello. […] À peine, dans ces moments-là, regrettions-nous d’être en prison, tant le bonheur de nous être avoué notre amour nous inondait tous les deux !

802. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIIe entretien. Madame de Staël »

Nous sommes convaincu qu’il n’y a pas un jeune homme cherchant une compagne de sa vie, qui ne reculât d’effroi si on lui disait d’avance : « La femme que vous recherchez pour épouse deviendra une femme célèbre ; au lieu de placer son bonheur dans son amour, et sa gloire dans sa modestie, elle placera son bonheur dans l’admiration du monde pour son génie, et sa gloire dans le vent du bruit public, et le nom modeste mais honorable que vous allez lui donner sera mis en contraste perpétuel avec la funeste célébrité du nom importun qu’elle va vous faire. […] Ses bras étaient d’une éclatante beauté ; sa taille, grande, mais un peu forte, à la manière des statues grecques, caractérisait énergiquement la jeunesse et le bonheur ; son regard avait quelque chose d’inspiré.

803. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLVe entretien. Vie de Michel-Ange (Buonarroti) »

« Giorgio, disait-il un jour avec enjouement à son ami Vasari, à l’époque où il remplissait déjà l’Italie de son nom et de ses œuvres, si j’ai eu quelque grandeur et quelque bonheur dans le génie, cela m’est venu d’être né dans la pauvreté et dans l’élasticité de votre air des collines d’Arezzo ; et c’est ainsi que je tirai, pour ainsi dire, du lait de ma nourrice, à Settignano, le ciseau et le maillet avec lesquels je fais mes figures. » III La famille de Ludovico Buonarroti devenue plus nombreuse avec les années, par la fécondité de sa femme, le père de Michel-Ange, pour élever ses fils, fut obligé de les mettre en apprentissage dans les manufactures de laine et de soie de Florence, qu’on appelait en Toscane les Arts, et qui, dans un pays gouverné par des artisans devenus princes, ne dérogeaient point à la noblesse des familles. […] Ne pas voir, ne pas sentir, m’est un grand bonheur ! […] Michel-Ange, déjà mûr et vieillissant, mais toujours jeune de séve et de cœur, disciple de Dante et de Pétrarque, avait rencontré, comme ces grands hommes, pour son bonheur, sa Laure et sa Béatrix.

804. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre V. Le Séminaire Saint-Sulpice (1882) »

Ce sont des épreuves pénibles, mais au fond honorables et salutaires, et je n’estimerais pas beaucoup celui qui arriverait au sacerdoce sans les avoir traversées… Je t’ai dit comment une force indépendante de moi ébranlait en moi les croyances qui ont fait jusqu’ici le fondement de ma vie et de mon bonheur. […] Cela me sert à bien des fins : d’abord à acquérir des connaissances belles et utiles, puis à me distraire de certaines choses en m’occupant d’autres… Il ne manquerait rien à mon bonheur si les désolantes pensées que tu sais ne m’affligeaient continuellement l’âme, et cela selon une effroyable progression d’accroissement. […] Ce qui devrait faire mon bonheur cause mon plus grand chagrin.

805. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1878 » pp. 4-51

Vendredi 13 septembre Ce matin, j’ai reçu la visite d’une Russe très distinguée, d’une comtesse Tolstoï, d’une cousine de l’écrivain, qui avait fait demander le bonheur de voir l’auteur de Renée Mauperin. […] Samedi 12 octobre Vaguant dans les rues campagnardes de Montmorency, en sa belle santé, la princesse appuyée sur mon bras, et souriant au beau soleil de la journée, au bonheur de son heureuse vie entourée de l’affection d’une petite société amie, me dit, s’arrêtant soudainement : « Oui, ce serait bien dur de m’en aller, je l’avoue, je trouve la vie bonne !  […] * * * — Dans ce roman des « Frères Bendigo » ( Les Frères Zemganno), il y a quelques chapitres que j’écris avec le portrait de mon frère devant moi, il me semble que ça porte bonheur à mon travail !

806. (1772) Éloge de Racine pp. -

Nul n’a enrichi notre langue d’un plus grand nombre de tournures ; nul n’est hardi avec plus de bonheur et de prudence, ni métaphorique avec plus de grace et de justesse. […] Alors, sans doute, elle peut se retourner vers le repos qui lui tend les bras : elle peut se laisser séduire par le bonheur qu’il promet… ne t’y livre pas, ô grand homme ! […] C’est là qu’à l’exemple de Sophocle qui se montra dans les choeurs l’égal de Pindare, Racine passe avec tant de facilité et de bonheur à un genre de composition qui dans notre langue surtout est infiniment éloigné du style de la scène ; c’est dans les choeurs d’ Athalie , ainsi que dans ceux d’ Esther , qu’il donne à notre idiome poétique plus de pompe, d’harmonie, d’onction, de douceur et de variété qu’il n’en eut jamais, et que, fait pour être en tout un modèle, il nous laisse les monumens les plus beaux de la vraie poésie lyrique.

807. (1913) La Fontaine « I. sa vie. »

qu’il est déchu de ce bonheur suprême ! […] Il a eu trop de bonheur ! Le bonheur enivre les hommes, il n’a pas eu d’autre tort à se reprocher.

808. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — I. » pp. 234-253

alors on porte le bonheur dans la société où l’on vit, et l’on est sûr d’un succès général. […] Selon lui, Horace nous a tracé un jardin anglais : son « Qua pinus ingens… » est la meilleure description, la plus douce, la plus riante : « Ce petit ruisseau qui travaille à s’échapper a fait, dit le prince, mon bonheur à exécuter encore plus qu’à le lire. » En lisant tout ce qu’il écrit sur les jardins et cette suite de boutades décousues avec un peu d’indulgence, on en est payé par de charmants passages, par de jolies peintures de sites et comme par des gouaches et des aquarelles légères très vivement enlevées.

809. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

Telles sont les grâces de Louis le Grand, grâces semblables aux influences du plus beau des astres, et qui me donnent droit de dire avec plus de justice, à l’honneur du roi, que Tertullien n’écrit pour flatter les princes de l’Afrique : l’État et le ciel ont le même sort, et doivent leur bonheur à deux soleils… À ces mots, le voisin de Racine dut se pencher vers lui et lui rappeler à l’oreille la harangue de maître Petit-Jean : Quand je vois le soleil, et quand je vois la lune… Et le voisin de La Bruyère reçu l’année d’auparavant et avec un si éloquent discours, put lui dire : « Ah ! […] Que de puissants motifs à l’Académie pour vous choisir, et quel bonheur pour elle de pouvoir, en vous associant, satisfaire en même temps à la justice, à son inclination, et à la volonté de son Auguste Protecteur !

810. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Les longues années de Cirey furent encore pour lui des années d’étude variée et de bonheur. […] On l’y retrouve surtout dans les premières années, engendrant encore les tracasseries jusque dans son bonheur, se montant la tête pour son éternelle Pucelle ; car s’il avait eu tort de la faire, elle l’en a bien puni ; il se créait des dangers en idée, se voyait déjà décrété par un parlement, et tenait parfois ses paquets tout prêts, même en plein hiver et pendant les mois de neige, pour pouvoir d’un saut, s’il le fallait, franchir la frontière.

811. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Taine est tout le contraire de la manière discursive, de ces promenades dans le goût de Montaigne, où l’on a l’air d’aller tout droit devant soi à l’aventure et au petit bonheur de la rencontre. […] Taine a le bonheur d’être savant, et ce qui est mieux, d’avoir l’instrument, l’esprit scientifique joint au talent littéraire ; tout s’enchaîne dans son esprit, dans ses idées ; ses opinions se tiennent étroitement et se lient : on ne lui demande pas de supprimer la chaîne, mais de l’accuser moins, de n’en pas montrer trop à nu les anneaux, de ne pas trop les rapprocher, et, là où dans l’état actuel de l’étude il y a lacune, de ne pas les forger prématurément.

812. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Le journal de Casaubon » pp. 385-404

Son bonheur serait d’étudier sans dérangement jusqu’à l’heure du dîner : les jours où il peut le faire sont des jours heureux, silencieux, et, par là même, ceux qui tiennent le moins de place en son journal ; il les exprime en deux lignes : « Le matin, (saint) Basile ; après le dîner, préparation de ma leçon, puis la leçon (Casaubon est professeur) ; ensuite un repas léger, Basile ; le reste à l’ordinaire. » Voilà le cercle où il aimerait à tourner sans cesse. […] Par bonheur, par un coup de la Providence, elle y est tombée à la renverse et non la face la première, ce qui a permis de la retirer sans que le feu ait endommagé autre chose que son bonnet et sa coiffure.

813. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

Oui, sans doute, dans Psyché, il y a cette idée vaguement répandue que, quand on est heureux, il n’est rien de plus sage que de cacher son bonheur ; que, dès qu’on a trop bien vu ce que c’est que l’amour, on court risque de le perdre : Tout est mystère dans l’amour, Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance. Mais ne pressons même pas trop cette moralité dans la Psyché première, dans celle d’Apulée qui nous la représente ; car tout l’ensemble de la fable ne s’y accorde pas, et le conte finit par le plus grand bonheur et l’apothéose de celle même qui a manqué de prudence, et qui a désobéi à bien des reprises aux plus tendres conseils.

814. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet »

Les distractions et digressions qu’il s’était souvent accordées en dehors de sa route principale n’étaient, à ses propres yeux, que des digressions, et il ne rentrait ensuite qu’avec plus de bonheur et de certitude dans la voie qui l’avait conduit à la grande renommée. […] En dehors de l’originalité qui lui était propre et de la vérité moderne où il était maître, son pinceau rencontrait partout, et jusque dans les sujets où il était dépaysé, de ces bonheurs d’expression et de facilité qu’il portait avec lui.

815. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Une fois quitte de ce jeu, la reine, tant que vécut le duc de Luynes, se retirait volontiers chez la duchesse, sa dame d’honneur, où elle soupait et où elle continuait assez tard de converser avec sa société intime et ce qu’elle appelait « ses honnêtes gens. » Son bonheur était de pouvoir faire tous les jours de la vie la même chose. […] « Quand on a le bonheur de connaître Thémire, on quitterait tout pour elle ; l’espérance de lui plaire ne paraît point une chimère.

816. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

Au fond Mme de Gasparin a beau faire, elle n’est pas contrite, elle n’est pas triste ; elle est bonne et compatit aux tristesses ; elle a l’âme noblement ambitieuse, altérée de vie, ayant soif de bonheur, jalouse de le conquérir pour le communiquer, pour le répandre autour d’elle ; c’est une vaillante, une infatigable qui chante son Excelsior en montant toujours le plus haut qu’elle peut sur la montagne. […] Une fois, dans ses courses du Jura et autour de son lac de Neufchâtel, Mme de Gasparin avec sa bande a l’occasion de visiter un couvent, celui des dominicaines d’Estavayer ; il est curieux pour nous de voir comme elle parle de ce qui fait l’idéal du bonheur selon Eugénie : ce lui est à elle et aux siens un épouvantail et un monstre.

817. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

Le maréchal de Noailles eut le bonheur et l’art de durer et de vieillir. […] C’est la juste harmonie du jugement avec l’imagination, qui constitue l’homme d’esprit ; joignez-y la conception nette et facile, c’est l’homme de beaucoup d’esprit ; avec le courage de plus, c’est l’homme de génie : mais, avec le feu seul de l’imagination, on extravague… « Il est de ces familles de Cour, tirées de l’obscurité par le bonheur et par l’intrigue, sans avoir jamais rendu d’éclatants services, sans avoir produit d’hommes d’un mérite élevé71.

818. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Si un prince vient au monde, le canon le salue, et ce salut annonce le bonheur ; mais lui, pauvre fils d’un pauvre tailleur, pas même un coup de buquoire45 n’annonça sa venue. […] A croire au bonheur il ne faut pas tant s’accoutumer.

819. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SÉVIGNÉ » pp. 2-21

Jeune encore et belle sans prétentions, elle s’était mise dans le monde sur le pied d’aimer sa fille, et ne voulait d’autre bonheur que celui de la produire et de la voir briller5. […] Seulement il est besoin de s’entendre : elle ne rêvait pas sous ses longues avenues épaisses et sombres, dans le goût de Delphine ou comme l’amante d’Oswald ; cette rêverie-là n’était pas inventée encore9 ; il a fallu 93, pour que Mme de Staël écrivît son admirable livre de l’Influence des Passions sur le Bonheur.

820. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Henry Rabusson »

Mais aussi il y aura toujours quelqu’un qui lui contestera ce mérite et ce bonheur. […] Rabusson ne croit pas beaucoup à la liberté humaine (pas la moindre trace de lutte morale dans ses histoires), ni au bonheur de vivre (tous ses romans pourraient finir, comme l’Amie, par ces mots : « Pourquoi la vie ? 

821. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Une telle liberté, et par-dessus tout le bonheur qu’avait la Galilée d’être beaucoup moins resserrée dans les liens du pédantisme pharisaïque, donnaient à cette contrée une vraie supériorité sur Jérusalem. […] Des séries entières de psaumes étaient consacrées à chanter le bonheur de cheminer ainsi en famille 197, durant plusieurs jours, au printemps, à travers les collines et les vallées, tous ayant en perspective les splendeurs de Jérusalem, les terreurs des parvis sacrés, la joie pour des frères de demeurer ensemble 198.

822. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre V »

Cette fausse donnée n’a pas porté bonheur à M.  […] La politique a du bonheur au théâtre ; ses lieux communs éblouissent le parterre ; son petit plomb y fait un fracas de bombe fulminante.

823. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Parmi ces orateurs de la chaire moderne, dont quelques-uns, dont l’un du moins (M. de Ravignan) pourrait lutter avec lui de chaleur vraie, de sympathie et d’onction, il n’en est aucun qui, par la hardiesse des vues et l’essor des idées, par la nouveauté et souvent le bonheur de l’expression, par la vivacité et l’imprévu des mouvements, par l’éclat et l’ardeur de la parole, par l’imagination et même la poésie qui s’y mêlent, puisse se comparer au père Lacordaire. […] Peu avant de mourir, comparant ensemble toutes les phases de sa carrière, il écrivait : « J’ai connu le véritable bonheur dans l’obscurité, l’innocence et la pauvreté de mes premières années. » Puisque tel était le charme qui rappelait le héros vers les commencements de lui-même, approchons-en de plus près, et cherchons dans quelques vestiges subsistants ce qu’il y avait donc de si aimable en cette enfance demeurée si chère.

824. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

On ne peut pas dire pour lui que ce fut là un rêve ; car ce qui sembla longtemps le rêve et l’illusion du poète, une femme dévouée, une de celles qu’il avait divinisées au passage, l’avait réalisé pour lui en bonheur. […] Dumas, tout le monde sait sa verve prodigieuse, son entrain facile, son bonheur de mise en scène, son dialogue spirituel et toujours en mouvement, ce récit léger qui court sans cesse et qui sait enlever l’obstacle et l’espace sans jamais faiblir.

825. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Vauvenargues. (Collection Lefèvre.) » pp. 123-143

Au contraire, le sacrifice mercenaire du bonheur public à l’intérêt propre est le sceau éternel du vice. […] Mais lorsque, malgré la fortune et malgré ses propres défauts, j’apprends que son esprit a toujours été occupé de grandes pensées, et dominé par les passions les plus aimables, je remercie à genoux la Nature de ce qu’elle a fait des vertus indépendantes du bonheur, et des lumières que l’adversité n’a pu éteindre.

826. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Charles Perrault. (Les Contes des fées, édition illustrée.) » pp. 255-274

L’habileté de courtisan, la tactique flatteuse de ce dur et âpre ministre n’y est pas moins trahie avec bonheur. […] Il ne reconnaît pas sans doute assez que sur bien des points de mécanique, de chimie et autres, les anciens avaient trouvé par la pratique, par le tact et par un premier bonheur, des secrets qui valaient ou peut-être surpassaient les nôtres, et qui sont perdus.

827. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — III. (Suite et fin.) » pp. 242-260

Mais la paternité l’avait ramené d’instinct et en idée au drame moral et vertueux, et il répétait souvent dans sa vieillesse « que tout homme qui n’est pas né un épouvantable méchant, finit toujours par être bon quand l’âge des passions s’éloigne, et surtout quand il a goûté le bonheur si doux d’être père !  […] « Ce qui m’anime en tout objet, dit Beaumarchais, c’est l’utilité générale. » — « À chaque événement important, disait-il encore, la première idée qui m’occupe est de chercher sous quel rapport on pourrait le tourner au plus grand bien de mon pays. » Dans le courant de la guerre d’Amérique, il conçut plus d’une fois de telles idées et les mit en circulation avec bonheur ; comme, par exemple, le jour (1779) où, pour relever le courage des négociants et armateurs, il proposa au ministre de déclarer les protestants désormais admissibles dans les chambres de commerce, d’où ils étaient jusqu’alors exclus ; ou comme ce jour encore où, après la défaite navale de M. de Grasse (1782), il eut l’idée que chaque grande ville offrît au roi un vaisseau de ligne, portant le nom de la cité qui lui en ferait hommage.

828. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Bernardin de Saint-Pierre. — II. (Suite et fin.) » pp. 436-455

Sur le soleil, entre autres énormités étonnantes, il vous dira sans sourciller, par exemple : S’il était permis à un être aussi borné que moi d’oser étendre ses spéculations sur un astre que je n’ai pas eu même le bonheur de voir dans le télescope, je dirais que sa matière doit être de l’or, d’abord parce que l’or est la plus pesante de toutes les matières que nous connaissons : ce qui convient au soleil placé au centre de notre univers… Cette lecture des Harmonies, si on la prolonge, est d’un effet singulier, et que je ne puis mieux rendre qu’en disant qu’il est efféminant et qu’il écœure. […] De cette étude bien imparfaite, mais qui repose sur plus de lectures et de comparaisons que je n’ai pu en apporter ici, il me semble résulter que Bernardin de Saint-Pierre, dans sa vie, n’a été qu’à demi un sage, et que, dans ses écrits, il a presque aussi souvent erré que rencontré avec bonheur : mais, une fois, il a eu une inspiration simple et complète, il y a obéi avec docilité et l’a mise tout entière au jour comme sous le rayon ; il a mérité par là que son souvenir reste à jamais distinct et toujours renouvelé dans la mémoire humaine, et qu’autour de ce chef-d’œuvre de Paul et Virginie, la curiosité littéraire rassemble, sans en rien perdre, les grâces éparses de l’écrivain.

829. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — II. (Fin.) » pp. 476-495

j’en ai perdu deux (Jordan et Keyserlingk) que je regretterai toute ma vie et dont le souvenir ne finira qu’avec ma durée… Selon ma façon de penser, l’amitié est indispensable à notre bonheur. […] À Berlin, lorsque Jordan n’était pas malade, il voyait le roi tous les jours, de sorte que celui-ci pouvait dire avec regret, après l’avoir perdu : « Nous avons vécu sans cesse ensemble. » La première guerre de Silésie terminée (juin 1742), Frédéric n’a plus qu’un désir, revenir administrer en bon et sage roi ses peuples : J’ai fait ce que j’ai cru devoir à la gloire de ma nation ; je fais à présent ce que je dois à son bonheur.

830. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

et aujourd’hui un silence funèbre, entrecoupé de chuchotements et de sanglots, emplit la jolie maison de Croissy, théâtre de tant de joies, de tant de paisible et glorieux bonheur. […] On n’a pas découvert qu’Émile Augier fût autre chose qu’Émile Augier, c’est-à-dire un génie solide et clair, d’une probité littéraire égale à sa loyauté personnelle, un vrai Français, de style et d’âme, un maître depuis longtemps classique et qui dans sa retraite volontaire, son glorieux bonheur intime, goûta, de son vivant, la gloire incontestée et reçut le respect de la postérité.

831. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Xavier Aubryet » pp. 117-145

Il n’est donc pas étonnant que, dans un pareil état de choses, nous accueillions comme un bonheur et presque comme un événement dans la critique littéraire l’arrivée d’un jeune homme qui, lui, débute par regarder plus haut que la sensation et le fait, et se préoccupe de l’idée générale qu’exprime tout génie spécial et toute œuvre, quoique ce ne soit là cependant que la première marche de la critique dans la sphère de son intellectualité. […] Xavier Aubryet a le bonheur de n’être qu’un dégustateur littéraire, d’un palais très sensible et très fin, et jusqu’ici il n’a pas prouvé qu’il fût davantage.

832. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Brizeux. Œuvres Complètes »

Il n’avait pas ce bonheur d’être un paysan, — un vrai paysan, — dans un poète. […] Brizeux, que les gens de Paris ont cru exclusivement Breton, parce qu’ils ne l’étaient pas, et que les Bretons ont aimé, parce qu’il n’était pas devenu tout à fait Parisien à Paris, Brizeux, qui avait le bonheur d’avoir une langue complète et magnifique, dans laquelle il eût pu être Breton tout à son aise et chanter la Bretagne, et qui a mieux aimé nous la dire, la Bretagne, en vers français, n’était pas, selon moi, assez profondément de son pays ; je ne dis pas de cœur, mais de génie.

833. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXVI. Des oraisons funèbres et des éloges dans les premiers temps de la littérature française, depuis François Ier jusqu’à la fin du règne de Henri IV. »

Non, lorsque Antonin ou Trajan moururent autrefois dans cette même ville, et que la douleur publique prononça leur éloge en présence des citoyens, dont ils avaient fait le bonheur pendant vingt ans, je suis bien sûr qu’on n’y parla pas davantage de vertu, de justice, de larmes et de désolation des peuples. […] Et qui, en voyant sur presque toute l’étendue de la terre, les hommes si malheureux, tant de fléaux de la nature, tant de fléaux nés des passions et du choc des intérêts, le genre humain écrasé et tremblant, éternellement froissé entre les malheurs nécessaires, et les malheurs que l’indulgence et la bonté auraient pu prévenir, peut se défendre d’un attendrissement involontaire, lorsqu’il voit s’élever un prince qui n’a d’autre passion et d’autre idée, que celle de rétablir le bonheur et la paix ?

834. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « SUR ANDRÉ CHÉNIER. » pp. 497-504

C’est de ce côté que le volume d’André, à peine publié, échoua, et qu’il fut recueilli avec bonheur, avec une admiration vraiment filiale.

835. (1874) Premiers lundis. Tome II « Mort de sir Walter Scott »

Walter Scott, s’il manqua d’un caractère politique conforme aux besoins nouveaux, s’il resta sur ce point l’esclave des préjugés de son éducation et peut-être aussi de ses prédilections poétiques, eut du moins le bonheur de combattre très rarement, par ses paroles ou par ses actes, le développement légitime où sont engagés les peuples.

836. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre V. Résumé. »

. — Vous, monsieur de Condorcet, vous expirerez étendu sur le pavé d’un cachot, vous mourrez du poison que vous aurez pris pour vous dérober au bourreau, du poison que le bonheur de ce temps-là vous forcera à porter toujours sur vous ».

837. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Une âme en péril »

Je ne pouvais croire à tant de bonheur. » Il écrit couramment : « Le chapitre des Paysans est trop célèbre à mon sens, sinon à mon gré », et il parle du « prodigieux retentissement accumulé autour de son nom ».

838. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Les derniers rois »

« Lorsque je rentrais dans mes États, je travaillais de mon mieux au bonheur de mes sujets, et je tâchais de les faire profiter de ce que j’avais appris au cours de mes voyages.

839. (1911) La valeur de la science « Introduction »

Mais si l’on a peur de la science, c’est surtout parce qu’elle ne peut nous donner le bonheur.

840. (1887) Discours et conférences « Discours à l’Association des étudiants »

Voilà un bonheur dont vous vous ne doutiez pas.

841. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Ronsard, et Saint-Gelais. » pp. 120-129

Je te salue, ô l’honneur De mes muses, & encore L’ornement & le bonheur De la France qui t’honore.

/ 1939