Sont-ce simplement des pauvres dans le sens propre, de vrais pauvres de biens, comme le dit saint Luc ? […] Comment ce royaume de Dieu que beaucoup des premiers disciples interprétaient au sens étroit, au sens judaïque, et comme devant se réaliser prochainement sur la terre, a-t-il reculé peu à peu et à l’infini, et est-il devenu simplement le royaume des Cieux, le royaume invisible et d’en haut ? […] Puis, quand la doctrine fut sortie de dessous terre et eut levé en mille endroits à la fois, comment devint-elle en peu d’années un ferment et une matière politique, un danger ou une ressource, une force avec laquelle il fallut compter et qui, non sans se modifier elle-même quelque peu dans le sens social, s’imposa enfin aux Empereurs eux-mêmes ? […] L’arbre du christianisme et particulièrement de la Catholicité, planté au centre sur l’une des collines de Rome, et qui semblait hériter dès lors d’une première éternité, s’accrut entre tous, s’étendit dans tous les sens et domina : les ouragans même, les bouleversements politiques qui semblaient devoir l’ébranler et le renverser, le fortifièrent, et la barbarie le consolida.
Neuf ou dix années se passèrent pour lui en études spéciales, en voyages : il parcourut en tous sens, et le crayon à la main, la France, l’Espagne, l’Italie ; il séjourna au moins une année à Rome. […] Entré à la Sainte-Chapelle en qualité d’inspecteur vers 1840, il dut se mettre à étudier particulièrement l’architecture gothique ; il recommença, en ce sens, des voyages ; il refit des comparaisons sans nombre, et plus attentives, en France, en Allemagne, en Italie encore, et bientôt sa vocation dans ce genre fut déterminée et constatée. […] Viollet-Le-Duc eut de bonne heure une organisation très déliée et très vibrante aux diverses expressions de l’art, une faculté de transposition d’un art et d’un sens à l’autre. […] Viollet-Le-Duc comme un adversaire et un ennemi, ont eu un art à part et, selon lui, incomparable, un talent unique, délié, fin, composé d’instinct et de réflexion, qui les a conduits dans tout ce qu’ils ont fait à choisir, à corriger, à rectifier, à épurer ; à s’approprier les emprunts mêmes, à les convertir, à les transformer ; à trouver l’expression la plus noble, la plus élégante ; à deviner, par la perfection des sens, des combinaisons de lignes que l’expérience a converties plus tard en lois de stabilité.
Le second morceau, très-beau à mon sens, est le Te Deum des morts après Marengo, dans cet intervalle des deux siècles et après la signature de cette courte paix. […] Toutefois, Français de la tradition grecque et latine rajeunie, mais non brisée, ami surtout de la culture polie, studieuse, élaborée et perfectionnée, de la poésie des siècles d’Auguste, et, à leur défaut, des époques de Renaissance, le lendemain matin qui suit le jour de cette lecture, je reprends (tombant dans l’excès contraire sans doute) une ode latine en vers saphiques de Gray à son ami West, une dissertation d’Andrieux sur quelques points de la diction de Corneille, voire même les remarques grammaticales de d’Olivet sur Racine ; et aussi je me mets à goûter à loisir, et à retourner en tous sens, au plus pur rayon de l’aurore. le plus cristallin des sonnets de Pétrarque. […] Antiquaire par son érudition allemande, poëte et philosophe par ses vues profondes et intimes sur l’histoire de l’humanité, familier avec les idées des Niebühr et des Gœrres, épris de l’imagination pittoresque de l’auteur de l’Itinéraire, il aborde la Grèce et l’interroge par tous les points, sur son antiquité, sur ses races, sur la nature de ses ruines, sur les vicissitudes de ses États, sur ses formes de végétation éternelle ; il saisit, il entend, il compose tous ces objets épars ; il les enchaîne et les anime dans un récit vivant, fidèle, expressif, philosophique ou lyrique par moments, selon qu’il s’élève aux plus hautes considérations de l’histoire des peuples, ou selon qu’il retombe sur lui-même et sur ses propres émotions ; c’est une œuvre d’art que ce récit de voyage : le sens historique et le sens des lieux y respirent et s’y aident d’un l’autre ; l’harmonie y règne ; le souffle du dieu Pan y domine ; l’interprétation du passé, depuis les époques cyclopéennes et homériques jusqu’à la féodalité latine, y est d’un merveilleux sentiment, et elle pénètre de toutes parts dans l’âme du lecteur, sinon toujours par voie claire et directe, du moins à la longue par mille sensations réelles et continues, comme il arriverait à la vue des ruines mêmes et sous l’influence du génie des lieux.
Les Troyennes, Danaé, l’ode à Naïs, et d’autres pièces de l’époque dont nous parlons, nous semblent d’aussi précieuses révélations en ce sens qu’elles sont des compositions charmantes en elles-mêmes. […] Hâtons-nous d’effacer et de couvrir, par cette éclatante citation, les taches nombreuses qu’il nous a coûté de relever si sévèrement : Et toi qu’on veut flétrir, Jeunesse ardente et pure De guerriers, d’orateurs, toi, généreux Essaim, Qui sens fermenter dans ton sein Les germes dévorants de ta gloire future, Penché sur le cercueil que tes bras ont porté, De ta reconnaissance offre l’exemple au monde : Honorer la vertu, c’est la rendre féconde, Et la vertu produit la liberté. […] Delavigne s’est permis de ne point clore la pensée avec les rimes correspondantes, et d’enjamber par le sens sur de nouvelles rimes, au grand désappointement de l’oreille. […] Les caractères ont du dessin ; ils se détachent bien, ils se détachent trop en ce sens qu’ils représentent trop chacun une idée, une partie du système politique, un ressort.
Son génie, naturellement recueilli et paisible, eût-il suffi à cette intensité d’action que réclame notre curiosité blasée, à cette vérité réelle dans les mœurs et dans les caractères qui devient indispensable après une époque de grande révolution, à cette philosophie supérieure qui donne à tout cela un sens, et fait de l’action autre chose qu’un imbroglio, de la couleur historique autre chose qu’un badigeonnage ? […] Or, est-ce davantage vouloir renverser Racine que de déclarer qu’on préfère chez lui la poésie pure au drame, et qu’on est tenté de le rapporter à la famille des génies lyriques, des chantres élégiaques et pieux, dont la mission ici-bas est de célébrer l’amour (en prenant amour dans le même sens que Dante et Platon) ? […] Qui dira le sens des murmures Qu’éveille à travers les ramures Le vent d’automne dans les bois ? […] C’est le cas de Racine lorsqu’on vient à lui en quittant Molière ou Shakspeare : il demande alors plus que jamais à être regardé de très-près et longtemps ; ainsi seulement on surprendra les secrets de sa manière : ainsi, dans l’atmosphère du sentiment principal qui fait le fond de chaque tragédie, on verra se dessiner et se mouvoir les divers caractères avec leurs traits personnels ; ainsi, les différences d’accentuation, fugitives et ténues, deviendront saisissables, et prêteront une sorte de vérité relative au langage de chacun ; on saura avec précision jusqu’à quel point Racine est dramatique, et dans quel sens il ne l’est pas.
Et à toutes les époques de trouble et de renouvellement, quiconque, témoin des orages politiques, en saisira par quelque côté le sens profond, la loi sublime, et répondra à chaque accident aveugle par un écho intelligent et sonore ; ou quiconque, en ces jours de révolution et d’ébranlement, se recueillera en lui-même et s’y fera un monde à part, un monde poétique de sentiments et d’idées, d’ailleurs anarchique ou harmonieux, funeste ou serein, de consolation ou de désespoir, ciel, chaos ou enfer ; ceux-là encore seront lyriques, et prendront place entre le petit nombre dont se souvient l’humanité et dont elle adore les noms. […] Alcée se met donc à chanter en ces termes : Des sociétés temporelles Le premier lien est la voix, Qu’en divers sons l’homme, à son choix, Modifie et fléchit pour elles ; Signes communs et naturels, Où les âmes incorporelles Se tracent aux sens corporels. […] S’il rime avec soin, c’est presque toujours aux dépens du sens et de la précision ; la rime ne lui donne jamais l’image, comme il arrive aux vrais poëtes ; mais elle l’induit en dépense d’épithètes et de périphrases. […] Pour écrire avec génie, il faut penser avec génie ; pour bien écrire, il suffit d’une certaine dose de sens, d’imagination et de goût.
. — « Avril : Absorption complète, refus de parler, toute l’après-midi, son chapeau de paille lui barrant la vue, il reste assis en face d’un arbre, dans une immobilité tristement farouche. » 8 avril : « Peu à peu il se dépouille de l’affectuosité, il se déshumanise ; les autres commencent à ne plus compter pour lui et recommence en lui le féroce égoïsme de l’enfant. » 16 avril : « Ce qu’il y a d’affreux dans ces abominables maladies de l’intelligence, c’est qu’elles détruisent souterrainement et à la longue, chez l’être aimant qu’elles frappent, la sensibilité, la tendresse, l’attachement, c’est qu’elles suppriment le cœur… cette douce amitié qui était le gros lot de notre vie, de notre bonheur, je ne la trouve plus, je ne la rencontre plus… Non je ne me sens plus aimé par lui, et c’est le plus grand supplice que je puisse éprouver, et que tout ce que je puisse me dire n’adoucit en rien… ! […] Me voici relevé et remplaçant Pélagie près du lit de mon pauvre et cher frère qui n’a pas repris la parole, qui n’a pas repris connaissance depuis jeudi à deux heures de l’après-midi. » Période agonique : Continuation de la nuit de samedi à dimanche, quatre heures du matin : « La mort s’approche, je la sens à sa respiration précipitée, à l’agitation qui succède au calme relatif de la journée d’hier, je la sens à ce qu’elle met sur sa figure. […] Je ne sais si c’est réel ou une imagination des sens, mais sans cesse il nous faut nous laver les mains.
L’abbé Barthélemy ne pousse pas le scrupule si loin ; il est le Tillemont de la Grèce, en ce sens qu’il compose volontiers son texte de la quantité de ses petites notes mises bout à bout ; mais, cherchant de plus l’agrément et animé du désir de plaire, il a donné à tout cela le plus de liaison qu’il a pu ; il a dissimulé les sutures ; il a insinué avec sobriété les explications ingénieuses ; il y a mêlé, comme par un courant secret, une vague allusion continuelle, un tour de réflexion qui porte sur nos mœurs, sur notre état de société. […] On a beau reproduire textuellement la note du passé, le sens littéral n’est pas le sens profond ; celui-ci échappe si le génie ne le retrouve pas, et il ne l’obtient souvent qu’en l’arrachant : les âges d’autrefois, en s’éloignant de nous et en retombant dans leur immobilité, deviennent des sphinx ; il faut les forcer à rendre leur secret. […] Assis en ce lieu sublime et d’où il embrasse tout l’horizon, il ne se met point à discourir sur la formation du monde ; ce sont de ces sujets à garder pour le sommet de l’Etna ; mais il médite sur les ruines mêmes de la Grèce ; il se demande quelles sont les causes qui ont précipité la chute de Sparte et d’Athènes, et ces considérations d’une haute et sommaire histoire, pleines de vigueur et environnées de lumière, nous montrent à la fois ce qui manque dans les deux sens à l’estimable ouvrage de l’abbé Barthélemy.
Mais le maître en ce genre, maître incomparable, du moins à considérer tous les auteurs français, et pour les autres je sens mon incompétence, c’est Molière, qui trace un caractère par le style même du personnage dès les premières répliques qu’il prononce, qui met des nuances de style sensibles entre des personnages à peu près semblables, et par exemple entre Philaminte, Armande et Bélise, peut-être et je le crois, entre Mademoiselle Cathos et Mademoiselle Madelon ; qui indique par des styles différents les différents âges, même, d’un même personnage ; car on sait parfaitement que Don Juan n’a pas le même âge au cinquième acte qu’au premier, malgré l’apparente observation de la règle des vingt-quatre heures, et qu’il change de caractère du commencement à la fin de la pièce ; or, observez le style, et vous verrez que de ces différences dans le caractère et de ces différences d’âge, le style même vous avertit. […] Plus votre cœur répugne à l’accepter Plus ce sera pour vous matière à mériter ; Mortifiez vos sens avec ce mariage, Et ne me rompez pas la tête davantage. […] De même Elmire, qui a un style si court, si direct et si franc dans la scène trois du troisième acte, parce qu’elle n’est nullement une coquette, quoi que d’aucuns en aient cru, change de style, non seulement en ce sens qu’elle parle un tout autre langage, comme le lui fait remarquer Tartuffe (« Madame, vous parliez tantôt d’un autre style ») ; mais aussi dans le sens grammatical du mot, quand elle a pris un caractère d’emprunt ; et le style alambiqué, torturé de la coquette, ou bien plutôt de la femme qui ne l’est point et qui s’efforce péniblement de l’être, lui vient aux lèvres et marque tout justement ce changement momentané de caractère et avertirait et mettrait en défiance le convoiteux, s’il n’était étourdi par sa convoitise.
Nous-même, dans un travail antérieur, nous avons pris les mots « réalisme » et « idéalisme » dans un sens assez différent. […] Nous nous proposons d’établir les trois points suivants : 1° Si l’on opte pour la notation idéaliste, l’affirmation d’un parallélisme (au sens d’équivalence) entre l’état psychologique et l’état cérébral implique contradiction ; 2º Si l’on préfère la notation réaliste, on retrouve, transposée, la même contradiction ; 3º La thèse du parallélisme ne paraît soutenable que si l’on emploie en même temps, dans la même proposition, les deux systèmes de notation à la fois. […] Comment le ferait-il, si à un état cérébral déterminé ne correspondaient pas des souvenirs déterminés, et s’il n’y avait pas, en ce sens précis, parallélisme du travail cérébral et de la pensée ? […] Ils ne seront soumis qu’à une seule condition commune, celle d’entrer dans le même cadre moteur : en cela consistera leur « ressemblance », terme vague dans les théories courantes de l’association, et qui acquiert un sens précis quand on le définit par l’identité des articulations motrices.
Mais il faut citer ces stances qui, pour nous désormais, ont tout leur sens et toute leur vérité. […] « Agréez, monsieur, et faites agréer à monsieur votre père l’assurance que je sens aussi vivement que vous la perte d’une tête aussi chère, d’une âme aussi aimante et d’un talent bien rare, car il avait son siège dans le cœur. […] Mais voici une image qui, moins noble, présente le même sens et se trouve d’une parfaite vérité.
Deplace avait un sens droit, une instruction ecclésiastique et théologique fort étendue ; il savait avec précision l’état des esprits et des opinions en France sur ces matières ardentes ; il pouvait donner de bons renseignements à l’éloquent étranger, et tempérer sa fougue là où elle aurait trop choqué, même les amis : motos componere fluctus. […] Plus d’une fois il a cherché à rétablir au complet, et dans un sens différent, des citations que de Maistre tirait à lui ; cette discussion positive a de l’utilité. […] Pourtant quand je parcours ses judicieuses réserves sur Bacon, sur Locke en particulier, si foulé aux pieds par de Maistre, une remarque en sens contraire me vient plutôt à l’esprit, et si j’ai eu tort de l’omettre dans les articles consacrés à l’illustre écrivain, elle trouvera place ici en correctif essentiel et en post-scriptum.
Les livres sérieux et les études paraissent ainsi n’avoir de sens qu’en vue de l’éducation, tandis que l’éducation ne devrait être qu’une des moindres applications de la science. […] Mais l’école ayant en général chez nous un but pédagogique ou pratique, réduire la science à ces étroites proportions, supposer par exemple que la philologie ne vaut quelque chose que parce qu’elle sert à l’enseignement classique, c’est la plus grande humiliation qui se puisse concevoir et le plus absurde contre-bon sens. […] Enfin, c’est toute une petite manière de faire fi des qualités du savant, pour se relever par celles de l’homme de sens et de l’homme d’esprit, qui caractérise supérieurement l’esprit français, et que Mme de Staël a si finement appelé le pédantisme de la légèreté 65.
Il en parle comme d’une beauté, pour ainsi dire, aussi inherente aux vers qu’il cite, que la beauté qui résultoit du sens qu’ils renferment, et du choix des mots dont ils sont composez. […] Qu’on juge si je change rien au sens de Ciceron. […] Ceux qui ne connoissent pas d’autres théatres que le théatre françois, ne comprendront pas d’abord tout le sens du passage de Quintilien que je viens de citer.
Le principe de ressemblance entre les exemplaires et les adhérents affecte ici, dans la pratique, un sens que le « principe de répétition » ne me paraît pas avoir dans la théorie. […] Un plan d’étude ne saurait, d’ailleurs, constituer une science nouvelle, au vrai sens du mot, et M. […] Saisie dans le jour blanc d’un musée ou fixée aux panneaux futilement ornés d’un salon, la toile dont les pigments réfléchissent les diaprures incluses du rayonnement solaire, refleurira par les mots, dans l’accord heurté ou doux à l’œil de ses nuances stridentes ou tragiquement mortes, etc. » J’aurais honte de citer ce morceau pour le vain plaisir de le déclarer mauvais ; mais il est bon d’aviser les jeunes écrivains et de s’avertir soi-même du danger où l’on est d’écrire en style décadent, lorsque, fût-on un maître, on cède à l’illusion d’enrichir le sens par la bigarrure des mots.
Renée resta Français, et Français de Paris, et nous eûmes une histoire pénétrante souvent, brillante parfois, mais vivante toujours, et toujours écrite ; car il est toujours ce que Sismondi n’est jamais, dans le sens aiguisé du mot : je veux dire un lettré et un écrivain. […] Renée, par cela seul qu’il n’a pas la prétention philosophique de son devancier, a un sens pratique et politique supérieur. […] Comme, au vrai sens de la nature humaine, portraitistes et moralistes ne sont qu’un, s’il fallait par un seul mot caractériser le genre de talent d’Amédée Renée, je dirais qu’il tend à devenir — et qu’il en est bien près — le La Bruyère de l’Histoire.
Nous les avons ouverts pour, à notre tour, en rendre compte dans ce feuilleton, consacré à la littérature contemporaine, et, après les avoir lus, tout nous a été expliqué du succès facile de Fournier et du jeu sur le velours de ce novateur innocent et non scandaleux, qui ne fera, dans aucun sens, de révolution dans l’histoire. […] Ces historiettes même ne sont pas excessivement nombreuses, et, quand nous aurons signalé les plus piquantes, on verra que l’étonnement ne doit pas exister dans le sens où croit le produire ce dénicheur d’erreurs plus ou moins déjà dénichées, mais plutôt dans le sens contraire.
Leur talent — incontestable, d’ailleurs, — est dans le sens des passions et des manies de leur époque. […] Une fausseté naturelle, une dissimulation acquise, un regard à volonté, une physionomie maîtrisée, un mensonge sans effort de tout l’être, une observation profonde, un coup d’œil pénétrant, la domination des sens, une curiosité, un désir de science, qui ne leur laissaient voir dans l’amour que des faits à méditer et à recueillir, c’étaient à des facultés et à des qualités si redoutables que ces femmes avaient dû, dès leur jeunesse, des talents et une politique capables de faire la réputation d’un ministre. […] On pourrait dire d’elles, dans le sens moral, qu’elles dépassent de toute la tête la Messaline antique.
Il nous est impossible d’aller plus loin… À notre sens, Champfleury tire de son travail en l’honneur d’Hoffmann des conclusions entièrement contraires à la vérité de cet homme, qui a été exagéré comme tout ce qui nous est venu de l’Allemagne depuis de longues années, et qui passera, quoiqu’il soit un conteur et un fantastique, tout autant que s’il était un philosophe. […] La littérature tombant dans le logogriphe est-elle dans les conditions vraies et normales de toute littérature, dont les premières conditions, les conditions élémentaires, sont la logique, — car l’imagination a sa logique comme l’intelligence, — le sens humain et la clarté ?… Champfleury s’est beaucoup débattu pour répondre à ceux qui prétendent qu’Hoffmann n’a pas le sens humain, et, par une confusion que nous voulons bien croire sincère, le dévoué raisonneur a cité les lettres plus ou moins sentimentales de l’auteur allemand à ses amis, comme s’il s’agissait de la moralité de la vie et non pas de la nature du talent !
Et cette poésie, d’une originalité incomparable, à laquelle il ne manque que le rythme pour être, dans tous les sens du mot, le plus beau poème qui soit jamais sorti d’un cerveau humain, ternit et effaça d’un trait, à force de lumière et d’idéale beauté, ces inventions de Swedenborg, d’une ingéniosité bizarre, mais qui par le relief, la couleur, le détail, — tout ce qui constitue la poésie, — n’étaient guères, en somme, que les souvenirs déteints de la littérature biblique ou chrétienne. […] Mais, rationaliste, c’est-à-dire plus que protestant, dans le sens le plus sec et le plus raisonneur du protestantisme, Swedenborg ne l’a pas moins toujours été, au milieu des hallucinations qui supposent — le croirait-on ? […] le sceptique et méthodique Descartes, mademoiselle Antoinette Bourignon, madame Guyon, et, à Londres, Pordage et Jane Leade ; mais il faut insister surtout sur Descartes, à qui Dieu se révéla, le 10 novembre 1619, « au milieu des explosions et des étincelles », pour lui enseigner le chemin de la science, comme il se révéla à Londres à Swedenborg, en avril 1745, pour lui découvrir le vrai sens des textes sacrés.
Du reste, ce n’est ni une question ni deux que ce livre de cinq cents pages secoue avec puissance, mais c’est tout un ordre de questions qui, résolues au sens de l’auteur, entraîneraient du coup la ruine de toutes les philosophies connues, éclaireraient l’Histoire d’un jour nouveau, et consommeraient enfin et définitivement cette fusion, maintenant entrevue par tous les penseurs un peu forts, de la Religion et de la Science. […] Hallucinations, névropathies mystérieuses, monomanies, dans lesquelles l’homme paraît, d’après tous les témoignages de la science, être obsédé, ou possédé, ou dominé par « les esprits », toutes ces affections épouvantables qu’il a étudiées avec le sens exercé du médecin qu’ont-elles inspiré à la science moderne, si ce n’est des « hypothèses malheureuses pour remplacer un vieux dogme oublié » ? […] voilà qu’il trouve, pour résultat d’une étude faite dans les écrits de nos plus forts manigraphes et de nos physiologistes les plus avancés, la conclusion déconcertante que les anciennes possessions, au sens théologique du mot, se retrouvent trait pour trait au xixe siècle, et que le Moyen Age, dont on s’est tant moqué, a ici, comme en tant d’autres choses, victorieusement raison contre l’Institut.
Celui des Annamites n’est pas même triste ; impossible d’y attacher un sens : il est affreux et innommable ; je ne sais rien de plus. […] Ils me refuseront carrément l’esprit philosophique et le sens de l’histoire.
Dupe, ou, pour dire un mot moins dur, victime du génie de Cooper, Ferry a cru qu’on pouvait reprendre la création achevée d’un immense artiste, et il ne s’est pas aperçu que dans Fenimore Cooper le véritable personnage, le vrai héros des poèmes que nous avons sous les yeux, c’est l’Amérique elle-même, la mer, la plaine, le ciel, la terre, la poussière enfin de ce pays qui n’a pas fait son peuple et qui est émietté par lui… Il n’a pas vu qu’en ôtant Bas-de-Cuir lui-même des romans de Fenimore, — cette figure que Balzac, qui avait le sens de la critique autant que le sens de l’invention, a trop grandie en la comparant à la figure épique de Gurth dans Ivanhoe et qui n’est guères que le reflet du colossal Robinson de Daniel de Foe, — il n’a pas vu qu’il n’y avait plus dans les récits du grand américain qu’une magnifique interprétation de la nature, que l’individualisation, audacieuse et réussie, de tout un hémisphère, mais que là justement étaient le mérite, la profondeur, l’incomparable originalité d’une œuvre qui n’a d’analogue dans aucune littérature.
Nous l’avouons en toute humilité, nous avons cherché vainement dans chacune des trois nouvelles le sens et l’unité que doivent avoir les plus courtes compositions. […] À défaut de ce sens et de cette unité qui sont l’organisme de toute pensée, nous avons cherché au moins un peu d’observation vraie et nouvelle, et nous n’en avons pas trouvé davantage.
En effet le premier sens du mot colere fut cultiver la terre ; la terre fut le premier autel, l’agriculture fut le premier culte. […] Plus tard on donna un sens métaphysique à cette fable de la naissance de Minerve, et on y vit la découverte la plus sublime de la philosophie, savoir, que l’idée éternelle est engendrée en Dieu par Dieu même, tandis que les idées créées sont produites par Dieu dans l’intelligence humaine.
Il s’agissait de familiariser le regard, de refaire son éducation ; puis ce sens une fois dérouté, de passer à l’oreille et à l’intelligence. […] Nous sommes obligés de reconnaître que le sens littéraire s’est encore abaissé depuis. […] Il reçoit les conseils, les avis, les leçons les plus disparates ; il lui est donné tous les exemples, et s’il n’est pas suffisamment préparé, armé, s’il n’a pas le sens droit et la volonté ferme, il sombre. […] Non, je ne me sens pas le génie d’écrire le Cid, le Tartufe, les Châtiments, Don Juan, etc., etc., mais j’ai le sens du beau et du bien. […] Du reste, il faut qu’il en soit ainsi dans les lettres comme dans les arts, car si notre attention est également sollicitée en tous sens, nous ne sommes plus qu’au milieu de la confusion.
Il connaît mieux la marche des globes célestes qui roulent à des millions de lieues de la portée de ses faibles sens, qu’il ne connaît les routes terrestres par lesquelles la destinée humaine le conduit à son insu ; il sent qu’il gravit vers quelque chose, mais il ne sait où va son esprit, il ne peut dire à quel point précis de son chemin il se trouve. […] Voilà pourquoi aussi l’homme ne peut ni produire ni supporter beaucoup de poésie ; c’est que le saisissant tout entier par l’âme et par les sens, et exaltant à la fois sa double faculté, la pensée par la pensée, les sens par les sensations, elle l’épuise, elle l’accable bientôt comme toute jouissance trop complète d’une voluptueuse fatigue, et lui fait rendre en peu de vers, en peu d’instants, tout ce qu’il y a de vie intérieure et de force de sentiment dans sa double organisation. […] Et moi j’étais là aussi pour chanter toutes ces choses ; pour étudier les siècles à leur berceau, pour remonter jusqu’à sa source le cours inconnu d’une civilisation, d’une religion, pour m’inspirer de l’esprit des lieux et du sens caché des histoires et des monuments sur ces bords qui furent le point de départ du monde moderne, et pour nourrir d’une sagesse plus réelle et d’une philosophie plus vraie, la poésie grave et pensée de l’époque avancée où nous vivons ! […] Elle ne sera plus lyrique dans le sens où nous prenons ce mot ; elle n’a plus assez de jeunesse, de fraîcheur, de spontanéité d’impression pour chanter comme au premier réveil de la pensée humaine. […] Je ne vois aucun signe de décadence dans l’intelligence humaine, aucun symptôme de lassitude ni de vieillesse ; je vois des institutions vieillies qui s’écroulent, mais des générations rajeunies que le souffle de vie tourmente et pousse en tous sens, et qui reconstruiront sur des plans inconnus cette œuvre infini que Dieu a donnée à faire et à refaire sans cesse à l’homme, sa propre destinée.
Disons-le dès maintenant, c’est en ce sens surtout que le rire « châtie les mœurs ». […] Le caricaturiste qui altère la dimension d’un nez, mais qui en respecte la formule, qui l’allonge par exemple dans le sens même où l’allongeait déjà la nature, fait véritablement grimacer ce nez : désormais l’original nous paraîtra, lui aussi, avoir voulu s’allonger et faire la grimace. En ce sens, on pourrait dire que la nature obtient souvent elle-même des succès de caricaturiste. […] La formule existe bien, en un certain sens ; mais elle ne se déroule pas régulièrement. […] Enfin apparaissait l’image vers laquelle toute cette scène évoluait sans doute inconsciemment : des ballons de caoutchouc, lancés en tous sens les uns contre les autres. — La seconde scène, plus grossière encore, ne fut pas moins instructive.
D’abord je ne me sens pas suggestionné. […] Voilà le sens d’humeur au dix-septième siècle et voilà quel eût été le sens d’humoriste si le mot eût existé. […] Mettons qu’il se trompe, qu’il force le sens du mot ; reste qu’il fallait bien que le mot eût une grande partie de ce sens pour que Delille l’employât de la sorte. […] Si les mots ont un sens, Racine est réaliste comme Corneille est idéaliste. […] Enfin, je sens qu’il est possible.
Je ne sais pas de destinée plus particulière, en un certain sens, que celle de l’estimable Gandar. […] « J’éprouve un plaisir très vif à relire ici tous ces beaux vers d’Homère ; la vue des lieux qui les ont inspirés leur prête un nouveau charme et comme un sens inconnu. Et puis, ne sens-tu pas qu’un voyageur, longtemps absent et longtemps seul, retrouve avec une joie d’enfant un langage qui répond aux secrètes émotions de son cœur ? […] J’ai vu l’Isthme et j’ai vu Némée, qui avaient aussi le même sens, mais qui n’ont jamais eu dans l’Antiquité la même gloire. […] Le sage Noël des Vergers, qui était présent, en avait gardé souvenir en ce sens, et il eut quelque peine à le pardonner à Gandar.
De même chez Léonard de Vinci, lequel invente comme il respire, et toujours dans le sens de la beauté. […] Il était court, dans tous les sens, comme son théâtre, et il visait, comme nous disions, à épater. […] Après tout, en s’appliquant, on peut découvrir le sens métaphysique dans un caillou. […] Flaubert, je le répète, est, dans tous les sens, un homme de Lilliput, un génie à l’usage du vulgaire. […] Il le désociabilise et, dans un certain sens, le déshumanise.
Qu’il invente ou qu’il choisisse, c’est le même sens Critique porté au plus haut point. […] On donne quelquefois au mot jalousie le sens d’envie. […] Ainsi comprise, cette pratique absurde prend un sens raisonnable. […] En ce sens donc, elle est anti-sociale. […] Sers-toi pour cela de tous les sens que la nature t’a donnés.
Mais je crois que ce n’est pas elle qui trouble et sollicite le plus les sens du lecteur. […] Bref, je sens un vide dans ma vie. […] Et cela, je ne m’en charge pas : je m’y sens inhabile — comme la lune. […] Le « sixième sens », celui qui inscrit la pensée sur le front, implique seulement, chez ceux qui savent la lire, un développement extraordinaire du sens de la vue ou du toucher. […] Je sens qu’il ne me serait ni impossible, ni désagréable d’y prendre part.
C’est l’éveil du sens moral. […] Personne après lui n’aura pareil sens de la structure de la période. […] Elle commande, elle ordonne, non pas au sens d’ordinare, mais au sens de jubere. […] Je sens, je subis son charme, encore que je me débatte. […] Cependant, le prestige du style écarté, j’essayais d’en presser le sens.
Il suffit qu’il approuve ou blâme pour pousser les gens dans un sens ou dans un autre. […] L’historien ne devrait pas même écrire en vue de soutenir une thèse, d’établir le bien fondé d’un système ; il risque trop ainsi de fausser le sens des phénomènes qu’il étudie.
Si cet artisan imitateur a du sens, quoique né pauvre, pour ainsi dire, il subsiste honorablement du butin qu’il fait dans le patrimoine d’autrui. […] Si notre artisan imitateur manque de sens, il emploïe hors de propos les traits et les expressions de son modele, et ses vers ne nous offrent que des reminiscences mal placées : il se conduit dans la production de ses ouvrages comme dans leur composition : il affronte le public rassemblé avec plus d’intrepidité, que Racine et Quinault n’en avoient dans de pareilles avantures.
» — Que vous entendiez ce mot de morale dans un sens plus ou moins libéral, on en peut dire autant de tous les arts. […] S’il est mélodieux, il a déjà un sens, et il a déjà pris sa place dans le répertoire des souvenirs. […] On peut donc être à la fois coloriste et dessinateur, mais dans un certain sens. […] On sait que les grands génies ne se trompent jamais à demi, et qu’ils ont le privilège de l’énormité dans tous les sens. […] Dans un certain sens, M.
Elle nous fait voir les textes premiers, leur sens véritable, comment les paroles de Jésus furent, après lui, déformées. […] Et sous les apparences métaphysiques ou religieuses, nous percevrons le vrai sens des livres, un sens tout positif, d’universelle portée morale. […] Tous sont des symboles, tous ont un même sens, la direction de notre vie humaine au bonheur. […] Le chapitre dixième de Ma Religion dit le sens véritable de la vie. […] Mais il les emploie à regret, et, par des modèles, nous montre quel sens il leur veut donner.
, on arrive toutefois à la mieux voir, à la voir tout autre qu’à travers les badineries des commentateurs érudits, lesquels ont fait ici, en sens inverse, ce que tant de bons légendaires ont fait pour leurs saints et saintes ; je veux dire qu’ils n’ont apporté aucune critique en leur récit, et qu’ils se sont tout simplement délectés à médire, comme les autres à glorifier. […] Louise Labé, sans viser précisément à l’émancipation des femmes comme nous l’entendons aujourd’hui, faisait quelques pas hardis en ce sens ; elle était de celles, ainsi qu’elle le dit dans sa dédicace à son amie Mlle Clémence de Bourges, qui donnaient le conseil, sinon l’exemple, et qui osaient du moins prier les vertueuses dames d’élever un peu leurs esprits par-dessus leurs quenouilles et fuseaux. […] Mercure, d’autre part, est nommé avocat d’office de Folie, et il fera son devoir en conscience, « bien que ce soit chose bien dure à Mercure, dit-il, de moyenner déplaisir à Vénus. » Le discours d’Apollon est un discours d’avocat, un peu long, éloquent toutefois ; il peint Amour par tous ses bienfaits et le montre dans le sens le plus noble, le plus social, et comme lien d’harmonie dans l’univers et entre les hommes. […] Son souvenir, agité et traduit en tous sens, était resté si présent, qu’en 1790 un des bataillons de la garde nationale de Lyon, celui du quartier qu’elle habita et de la rue Belle-Cordière, s’avisa d’arborer aussi son nom et son image sur son drapeau : on la transforma même alors, pour plus d’à-propos, en une héroïne de la liberté ; on lui mit la pique à la main, et l’on surmonta le tout du chapeau de Guillaume Tell, avec cette devise : Tu prédis nos destins, Charly, belle Cordière, Car pour briser nos fers tu volas la première. […] Voilà ce que Bayle aurait eu de la peine à prévoir ; c’est une exagération dans le sens héroïque, comme les doctes avaient eu la leur à son sujet dans le sens badin.
Et puis nous avons depuis Rousseau et Chateaubriand des besoins d’imagination et de sensibilité que nos pères ignoraient : moins suspendus que nous aux formes fugitives de l’être, moins frémissants de sympathie avec la vie universelle, méprisant dans la nature la matière, et ne faisant des sens que les instruments de l’utilité pratique et des plaisirs inférieurs, ils ne sentaient pas comme nous la sécheresse des pures conceptions intellectuelles : ils se satisfaisaient de posséder la vérité abstraite sans aspirer à toucher la réalité concrète. Tenus en éveil par l’éloquence des prédications et l’éclat des controverses, ils saisissaient la philosophie substantielle qu’enveloppe la forme théologique : elle contenait de quoi satisfaire aux plus inquiètes curiosités, la raison de l’univers, le sens de la vie, la règle des volontés. […] Il n’y va pas pour le même intérêt que Racine : nulle fougue des sens, nulle ivresse du cœur ne l’entraîne, et l’on ne saisit même pas dans son œuvre, comme dans un coin du livre de La Bruyère, la trace d’une joie ou d’une souffrance qui lui soit venue par la femme. […] Sa franchise, au reste, et ses étourderies ne lui aliénaient pas le roi, dont l’esprit droit et le ferme sens étaient merveilleusement propres à goûter les qualités essentielles de Despréaux. […] Moins détaché que Molière, moins hostile que Voltaire, son acte de foi est un acte de sens propre, indépendant et réfléchi.
Cette définition ne nous satisfait point complètement ; et pourtant le mot goût a été emprunté à l’un de nos sens, pour indiquer que le goût au moral devait être le résultat d’un sentiment intime de notre esprit, comme il l’est, au physique, de la sensation que reçoit notre palais. […] Le débit oral, ou l’élocution, est sans doute indépendant de la pantomime, et la pantomime peut également, sans l’aide du langage, servir d’interprète à la pensée ; mais ils se prêtent un mutuel secours, et l’âme ne recevrait qu’une sensation incomplète, si les sens de l’ouïe et de la vue n’étaient affectés qu’isolément. […] Il faut : 1º Que la prononciation des mots soit nette et distincte ; 2º Que les repos de la parole soient nécessaires ou motivés ; 3º Que les intonations et inflexions de la voix soient justes ; 4º Que le mouvement de la diction soit mesuré sur le sens des mots ; 5º Que l’expression des gestes et de la physionomie soit naturelle. […] Il faut, au moment même où son regard rencontre un mot, qu’il en pénètre le sens et l’intention ; il faut que sa voix obéissante trouve spontanément l’inflexion et le mouvement qui correspondent à la pensée de l’écrivain ; il faut que son geste et sa physionomie se prêtent à toutes les exigences de sa lecture ; il faut enfin qu’il se transforme dans un autre, et que le lecteur et l’auteur ne paraissent plus qu’une seule et même personne. […] « Pourvu que l’écolier, d’une voix monotone, « Récite exactement la leçon qu’on lui donne, « Le professeur content le punirait, je crois, « Si sur le sens des mots il modulait sa voix. » À ces mots, à l’auteur on remet un message, Et son front radieux se couvre d’un nuage.
La pousser plus loin, dire ce qui durera de tout ce que les deux premiers tiers du dix-neuvième siècle ont vu naître d’ouvrages d’esprit, je ne m’en sens pas l’autorité. […] Il y a deux sortes d’esprits absolus : les absolus du sens propre, et les absolus de la foi. […] La pensée ne s’y joue pas autour du cœur ; elle veut y entrer de force, et il semble qu’elle y entre par les sens. […] Arrivé au terme de cette trop rapide revue, la gloire de mon temps m’attire vers d’autres côtés, et je me sens pris d’un dernier doute sur le mérite d’un plan qui me force d’omettre tout ce qui n’est pas de pure littérature. […] Légères, dans le sens du mot de Platon : « Le poète est chose légère, ailée et sacrée. » Ion.
Les plus savants d’entre eux seraient ravis autant qu’étonnés de voir courant les Revues et même les rues des centaines de mots dont ils ne comprendraient pas le sens : mots désignant tantôt des matières récemment découvertes (gallium, sodium, gaz acétylène, etc.), tantôt des machines créées par l’industrie (locomotives, microphones, cinématographes, etc.), tantôt même des sciences dont ils n’avaient aucune idée (biologie, météorologie, sociologie, que sais-je encore). […] Mais ces écrivains-là, qui forment minorité, appartiennent à un autre courant d’idées ; ils sont disciples de Gassendi, le philosophe, qui, après Epicure et Lucrèce, se plongea dans la grande nature et réclama vigoureusement pour les sens méconnus. […] Descartes doutait du témoignage de ses sens, de la réalité des objets qu’ils lui révélaient. […] Par un renversement complet des rôles, les philosophes du siècle suivant se moquent de Descartes, et Diderot, Helvétius, d’Holbach doutent de tout ce qui ne tombe pas sous les sens, nient l’âme et Dieu. […] Les écrivains s’adressent aux sens et négligent volontiers la psychologie pour la physiologie.
Il est même des Parisiens qui vont chercher à Bayreuth le sens véritable de l’œuvre wagnérienne : car c’est à Bayreuth seulement, dans le théâtre modèle créé par Richard Wagner, que sont, solennellement, les vraies représentations de ses drames. […] Je suis assuré qu’il ne faisait rien que par passion et volupté, si bien que tout sincère idéaliste qu’il se décelait, ses cinq sens étaient les plus grands amis de sa tête. […] L’arioso n’a pas de sens ; les vocalises sont hors de saison… la belle affaire ! […] Il faut entendre le terme de « drame » ou de « drame musical » dans le sens d’« œuvre d’art complète », rien de moins. […] Fourcaud insiste comme il se doit sur l’union des arts (musique, texte et décor) et la recherche d’une « œuvre parfaite » en ce sens qu’elle est complète.
Ce qui autorise à le croire, c’est qu’on s’est permis de retrancher plusieurs des anciennes, et qu’on a souvent divisé les autres, sous prétexte que le premier ordre était arbitraire, de manière à ce qu’elles ne donnent plus le même sens. On conçoit combien il est aisé d’altérer un passage en rompant la chaîne des idées, et en séparant deux membres de phrase, pour en faire deux sens complets. […] Cette république conservera une paix constante, et se soutiendra sans armée… Ils affectent tous une sainte horreur pour la guerre… S’ils haïssent les armées et les généraux qui se rendent célèbres, cela ne les empêche pas de se battre à coups de plume, et de se dire souvent des grossièretés dignes des halles ; et, s’ils avaient des troupes, ils les feraient marcher les unes contre les autres… En leur style, ces beaux propos s’appellent des libertés philosophiques ; il faut penser tout haut, toute vérité est bonne à dire ; et comme, selon leur sens, ils sont seuls les dépositaires des vérités, ils croient pouvoir débiter toutes les extravagances qui leur viennent dans l’esprit, sûrs d’être applaudis. […] Mon avis serait de leur donner à gouverner une province qui méritât d’être châtiée ; ils apprendraient par leur expérience, après qu’ils y auraient tout mis sens dessus dessous, qu’ils sont des ignorants, que la critique est aisée, mais l’art difficile ; et surtout qu’on s’expose à dire force sottises, quand on se mêle de parler de ce qu’on n’entend pas. […] Que de fois de l’airain les terribles accents De l’athée endurci firent frémir les sens, Alors qu’au sein des nuits leur funèbre harmonie Annonçoit qu’un mortel alloit quitter la vie !
Comme professeur, je sens qu’il est de mon devoir de veiller avant tout aux intérêts du goût, à l’explication et au maintien de la tradition, et je crois sentir aussi que je ne ferai pas défaut à ce rôle de conservation littéraire. […] Le grand Gœthe, le maître de la critique, a établi ce principe souverain qu’il faut surtout s’attacher à l’exécution dans les œuvres de l’artiste, et voir s’il a fait, et comment il a fait, ce qu’il a voulu : « Il en est beaucoup, disait-il, qui se méprennent, en ce qu’ils rapportent la notion du beau à la conception, beaucoup plus qu’à l’exécution des œuvres d’art ; ils doivent ainsi, sans nul doute, se trouver embarrassés quand l’Apollon du Vatican et d’autres figures semblables, déjà belles par elles-mêmes, sont placés sous une même catégorie de beauté avec le Laocoon, avec un faune ou d’autres représentations douloureuses ou ignobles. » Il y a donc, selon lui, une part essentielle de vérité, qui entrait dans les ouvrages des anciens, dans ceux qu’on admire et qu’on invoque le plus, et c’est cette part de vérité, cette nature souvent crue, hideuse ou basse, moins négligée des anciens eux-mêmes qu’on ne l’a dit, qu’il ne faut point interdire aux modernes d’étudier et de reproduire : « Puisse, s’écriait Gœthe, puisse quelqu’un avoir enfin le courage de retirer de la circulation l’idée et même le mot de beauté (il entend la beauté abstraite, une pure idole), auquel, une fois adopté, se rattachent indissolublement toutes ces fausses conceptions, et mettre à sa place, comme c’est justice, la vérité dans son sens général ! […] De même dans le roman, et pour plus d’une raison semblable, je me sens favorable à M.