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700. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Je ne sens pas leur existence. […] Les mots, en dehors de leur sens idéologique, ont un coloris, une valeur de forme. […] C’est un drame social — au sens où nous disons un roman social — que l’Agamemnon d’Eschyle. […] Il a nommé ce mal d’un mot qui restera, précisément à cause de son double sens. […] Elle est idéaliste dans le sens mauvais du mot.

701. (1905) Études et portraits. Sociologie et littérature. Tome 3.

Il voudra, neuf fois sur dix, l’influencer dans ce sens. […] Eux aussi sont des illettrés au sens où les utopistes niais des Universités populaires prennent ce terme. […] Il avait le sens scrupuleux du devoir, il eût été, parmi les siens, une de ces autorités sociales que vante Le Play. […] Cette pensée n’a pas évolué, en ce sens qu’elle n’a pas changé. […] Ne leur demandez pas davantage de l’observation, au sens objectif de ce terme.

702. (1902) Propos littéraires. Première série

Voilà le vrai sens du mot « droit ». […] Il y a là, à mon sens, une imperfection assez grave. […] Je me sens. […] Je me sens, je ne me connais pas. […] Au fond je ne connais pas plus les choses que je ne me connais moi-même ; je les sens, et je les sens en moi, ce qui revient à dire que je me sens.

703. (1859) Moralistes des seizième et dix-septième siècles

Ils sont aussi, dans un sens, les premiers des philosophes. […] Or la raison ne peut, en sens absolu, être opposée à la raison. […] Charron pourrait, dans un sens, être appelé le traducteur officiel ou le satellite de Montaigne. […] Sa lumière ne lui vient pas d’un nouveau raisonnement, mais d’un nouveau sens. […] Maintenant, dans tout ceci, trouvons-nous une religion dans le sens complet du terme ?

704. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVIII » pp. 113-116

On la cultive, on s’en enchante : chacun abonde à l’aise dans son sens. […] C'est juste le contraire de Paris, où l’on est percé à jour en tous sens, à chaque heure, par l’idée du voisin. — A Rome, chacun choisit son idée et y habite éternellement.

705. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Saint-Arnaud. Ses lettres publiées par sa famille, et autres lettres inédites » pp. 412-452

je ne dirai pas, peu lui importe en quel sens, pourvu qu’il la trouve ; mais il est évident que peu lui importe en quel lieu. […] Sous ces défauts d’une rude écorce, on sentait à tout coup l’homme de sens, mais souvent intempestif ; l’homme supérieur perçait, mais ne se dégrossissait pas. […] Cette activité qui, lorsqu’il ne sait qu’en faire, lui rentre dans l’estomac et réveille sa gastrite, trouve ici à se déployer et à se répandre en tous sens ; un moment il a espéré faire un magnifique coup de main sur la smalah d’Abd el-Kader : « L’émir me croyait dans le sud, il ne se gardait pas du côté de la plaine, et je tombais sur lui. […] Il ne songe plus à quitter cette terre d’Afrique ; « plus il y réussit, plus il y est enchaîné » ; c’est une bonne école ; il se fait petit à petit général : « Je m’aperçois avec plaisir qu’en face des circonstances les plus difficiles je prends un calme et un sang-froid que je n’avais pas autrefois : je me sens commander, je m’écoute, je me trouve de l’aplomb, et tout marche. […] Au printemps, il entreprend une grande expédition au sud, au-delà de l’Aurès, qu’il traverse en tous sens ; il fait briller les baïonnettes françaises en de lointaines oasis et jusqu’en des défilés réputés impraticables, où, depuis les légions d’Antonin le Pieux, nulle force aussi imposante n’avait passé.

706. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

Illusoire au sens métaphysique, elle ne l’est pas au sens ordinaire ; on ne peut pas la déclarer vide ; quelque chose lui correspond, quelque chose d’assez analogue à ce qui, d’après notre analyse, constitue la substance des corps. […] À ce titre, en maintenant exactement le sens des mots, nous pouvons dire que le moi, comme les corps, est une force, une force qui, par rapport à eux, est un dedans, comme par rapport à elle ils sont un dehors. […] La femme d’un major anglais à Charenton parlait d’un sixième sens par lequel elle entendait les voix ; c’était « le sens de la pensée ». — Quand on interroge les malades, ils répondent que le mot de voix dont ils se servent est très impropre, et qu’ils l’emploient par métaphore, faute d’un meilleur ; la voix n’a pas de timbre, elle ne semble point partir du dehors comme à l’ordinaire ; les mystiques ont déjà fait cette distinction, et opposé les « locutions et voix intellectuelles » que leur âme saisit sans l’intermédiaire des organes, aux voix corporelles qu’ils perçoivent de la même façon que dans la vie courante. […] Supposez enfin que ces discours soient bien liés, indiquent une intention, poussent le malade dans un sens ou dans un autre, vers la dévotion ou vers le vice. […] Il suffit que les trois images viennent chevaucher l’une sur l’autre, pour que les deux refoulements s’opèrent dans le sens indiqué ; le mécanisme qui les situe joue pour les aligner aussitôt que la loi d’évocation mutuelle les éveille ensemble.

707. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 juillet 1885. »

Telle est l’image qui, à l’audition de ce sublime adagio, se présente d’abord à nos sens émus. […] Renoncer à la Volonté de Vivre était la conclusion de Schopenhauer ; c’est encore le sens philosophique de Parsifal. […] Tout porte à croire que, dans ce sens, une ère nouvelle se prépare. […] Avec son sens supérieur, sa conscience clairvoyante et tout son savoir il ne voulait être rien autre chose que pleinement et complètement un homme, un homme capable de sentir et d’éveiller des impressions chaleureuses. […] Le texte de Franz Liszt, (créateur de Lohengrin), paru en 1851, est intéressant en ce qu’il établit un lien entre les sens.

708. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. VILLEMAIN. » pp. 358-396

alors l’idée, incontestable en même temps qu’attrayante, a perdu tout aspect outré, tout jargon d’école et de système ; elle se multiplie, se féconde, s’illustre d’exemples en tous sens, s’étaye de comparaisons et de rapports ; elle a percé enfin, elle se sécularise. […] Cette admirable position, qu’il a tenue pendant six années ininterrompues, était singulièrement appropriée au cadre même de la Restauration, à ces générations mixtes, brillantes, excitées en tous sens, à cette jeune croisade empressée d’érudition hâtive et renaissante, d’imagination pleine d’espoir et de générosité trop tôt satisfaite ou déçue. […] Villemain, son art et son œuvre dans un sens aussi vrai qu’on le peut dire des poëtes. […] Villemain afin de bien saisir ce qui était derrière, l’idée et le sens du discours n’en souffraient jamais. […] Les uns trouveront que l’auteur a trop peu accordé aux conjonctures politiques dans la fixation d’une langue, et trop à un certain sens intérieur, à une âme formatrice, non définie.

709. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIVe entretien. Littérature politique. Machiavel (3e partie) » pp. 415-477

deux grands mots, deux mots vrais, si la France et l’Italie en comprennent le seul sens réalisable ; deux mots décevants et funestes, si c’est le Piémont seul qu’on charge de les interpréter. […] Cela n’a donc aucun sens, ou cela n’a qu’un sens odieux et absurde ; c’est de la ruine de l’Italie romaine que la liberté des peuples a surgi dans l’Europe et dans l’Asie. […] XII Vous voyez donc que ressusciter l’Italie antique, à quelque date que vous la preniez de son histoire, est un mot qui n’a aucun sens : Ni sens historique, puisque l’histoire ne vous montre, depuis l’ancienne Rome, tyrannie sanguinaire du monde, aucune Italie une et agglomérée ; ni sens politique, puisqu’il y a eu depuis la chute de l’empire romain autant de politiques diverses et contraires qu’il y a eu de fragments de nationalités distinctes et opposées l’une à l’autre ; ni sens national, puisqu’il y a eu, depuis l’extinction de Rome, trente ou quarante nationalités vivant comme des polypes d’une vie propre et individuelle dans l’élément général italien.

710. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIVe entretien. La Science ou Le Cosmos, par M. de Humboldt (3e partie) » pp. 365-427

Je sens que je suis, donc il est ! […] — Les éléments de mes pensées sont mes sens, entrouverts au spectacle de moi-même et du monde. […] Nous préférons conserver au terme le sens simple et usuel d’une forêt que l’industrie de l’homme n’a point aménagée. […] Ils sont partout enchaînés et reliés dans tous les sens par les tiges ligneuses et tortueuses des parasites. […] « Vrai pour les bords du fleuve, ce tableau ne l’est plus pour les grandes régions de la forêt vierge que la géographie mesure et qui s’étendent sans interruption à des centaines de milles dans tous les sens.

711. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre V. Le roman romantique »

Le monde et la vie n’ont pas de sens : et comment vivre sans savoir pourquoi l’on vit ? […] Avec les romantiques, l’intérêt passe des faits aux mœurs, à la couleur : de récit apocryphe le roman historique devient ou prétend devenir peinture exacte, évocation : c’est l’éveil du sens historique. […] Il lui manquait le sens pratique : il ne réussit qu’à s’endetter pour une partie de son existence. […] En un sens, il est de la tradition classique : il n’y a que l’homme qui l’intéresse, et tout ce qui accompagne ou révèle l’homme. […] Ainsi en un sens il tient dans le roman la place que tiennent au théâtre Scribe.

712. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre IX. Le trottoir du Boul’ Mich’ »

Les mots qui le séduisent sont ceux Qui laissent deviner le sens, mais non sans peine. […] Si elle supprime le paysage au lieu de l’estomper, le poète ne s’en plaindra pas, car C’est donner dans le plus enfantin des travers Que de vouloir ainsi chercher un sens aux vers. […] Il veut surtout « chercher aux parfums des sens cachés » ; et il nous chante « le poème des parfums ». […] Et il trouve la raison de cette loi dans le sens du mouvement de la terre. […] Cette vérité utile et glorieuse, il la démontre par de jolis raisonnements ingénus, par des exemples aussi : « Nous ne voyons, se pâme-t-il, que poètes doués du sens critique le plus exquis. » Parmi ces « poètes doués du sens critique le plus exquis », il cite, pour le choix de ses gendres, je suppose, M. de Heredia.

713. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « M. Boissonade. »

On l’appelle attique et, en un sens, on a raison ; mais convenez aussi que jamais esprit proclamé attique n’a été loué d’une manière plus asiatique et plus somptueuse. […] On voit par ce premier écrit, conservé dans les archives de l’Institut, quelle idée complète l’auteur s’était formée dès lors du critique, à prendre le mot dans toute la rigueur du sens et dans son application aux œuvres de l’Antiquité. Nous autres critiques, qui le sommes le plus souvent par pis aller et parce que nous n’avons pas su faire autre chose, nous ne nous doutons pas de tout ce qu’exige de soins et de préparation le métier de critique, entendu ainsi en son sens exact et primitif. […] Que je voudrais définir comme je le sens cet homme exquis, délicat, incomplet, et dont l’esprit n’allait que goutte a goutte ! […] Homme galant et galant homme, il l’était dans tous les sens.

714. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Dieu envoie son Fils pour ramener la vérité dans le monde ; ses apôtres la prêchent ; mais elle est bientôt altérée par les équivoques d’un mot, d’une syllabe, d’une lettre : de là l’Arianisme et tant d’autres hérésies… » Marais était un homme de sens et, qui plus est, de goût. […] On court risque, je le sais, de s’engouer dans un autre sens ; mais, somme toute, on compare, on voit plus de choses, on voit mieux. […] Voyez plutôt ce qu’il dit du savant et pesant Le Duchat, qui a tant travaillé sur la Satyre Ménippée, sur Rabelais et même sur Bayle : « Il lui manque, dit-il, un certain esprit qui fait entrer dans le sens et le génie d’un auteur, et qui découvre des traits fins et ingénieux. […] Il avait demandé à La Monnoye un distique latin pour servir d’inscription au portrait du maître ; La Monnoye lit deux vers dont voici le sens : « Je suis ce Bayle qui corrige les autres quand ils se trompent, et qui sais moi-même toujours plaire, même en péchant. » Peu satisfait de l’aveu trop humble, Marais le pria de refaire un autre distique plus élogieux : « Je n’ai jamais pu souffrir, écrit-il à Mme de Mérigniac, que notre commune maîtresse eût des défauts. » Quand il ne peut nier absolument ces défauts de son auteur chéri, il les atténue et les explique. […] Il y a plus de mérite à un écrivain d’observer cette même loi du fond de son cabinet, et c’est en cela que Marais a fait un heureux et délicat détournement du sens.

715. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Œuvres de Virgile »

Mais, quelles que soient la sévérité et l’exigence qu’apportent les nouveaux venus dans la recension des textes et dans l’épluchure des moindres scolies, il me semble que tous sont encore virgiliens, en ce sens qu’ils ne se mangent pas trop entre eux et qu’ils ne font pas comme les homérisants qui, quand ils s’en mêlent, ont de vraies querelles à mort, des colères d’Achille et d’Ajax. […] Benoist entend par ex alto non point ex alto cœlo, mais ex alto mari, et il ajoute à l’appui de ce sens : « Les nuages qui amènent la pluie semblent toujours venir de la mer Tyrrhénienne. […] Je ne vois pas que ce sens, qui est assez fin, soit mal placé dans la bouche d’un vieillard un peu troubadour et maître, à sa manière, dans la gaie science. […] J’ai beau tourner et retourner le passage, je ne vois pas encore une fois que tous les efforts qu’on a faits pour changer le texte et lui donner, à vrai dire, une entorse, aient abouti à rien de plus satisfaisant que ce premier sens tout naturel de l’ancienne version, — une maxime en l’honneur des amoureux. […] En suivant le texte traditionnel, je crois obéir au sens le plus naturel et au courant le plus virgilien.

716. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [IV] »

Si le mouvement de Ney s’était opéré tout entier dans le premier sens et avec la vigueur que l’illustre maréchal avait déployée en tant d’autres rencontres, le résultat de la victoire de Bautzen eût été bien différent : « c’eût été, ni plus ni moins, un mouvement entièrement semblable à celui que Blucher exécuta plus tard contre nous à Waterloo. » La paix, du coup, eût pu être conquise. […] Nous en sommes réduits aux témoignages produits par Jomini lui-même, et qui peignent en traits ardents son offense, l’injustice dont il se voit victime, et qu’il retourne en tous sens au gré d’une imagination blessée. […] Il attendait, il hésitait, il espérait toujours ; il faisait et refaisait en tous sens à sa manière le monologue de Coriolan prêt à passer aux Volsques. […] Jomini était « un militaire de peu de valeur. » Qu’est-ce à dire, et Napoléon lui a-t-il jamais fourni l’occasion de se montrer militaire dans le sens où il l’entend, et de conduire une brigade à l’ennemi ? […] Après ces journées de Leipsick, lui, l’homme de l’art, il pouvait bien se répéter au sens militaire le mot célèbre que le chancelier Oxenstiern avait dit autrefois au sens politique : « Avec combien peu d’habileté et de sagesse sont donc conduites ces grandes armées qui demeurent pourtant victorieuses et qui changent la face du monde ! 

717. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres mêlées de Saint-Évremond »

Dans les endroits où il excelle, il a l’ironie au sens le plus attique. […] Saint-Évremond serait assez d’accord avec Pascal sur l’état moral de l’homme, en ce sens qu’il y voit des contradictions de mille sortes, mais il ne s’en inquiète pas autrement ; il se plaît à l’indifférence, à la nonchalance. […] Ou nous abaisse au sens des simples animaux. […] Il ne faut pas demander aux hommes de ce temps-là une critique historique bien profonde en ce qui concerne l’Antiquité : il y a bien loin, comme l’on peut penser, de Saint-Évremond à Niebuhr et à Monvnsen ; mais, au sortir des doctes élucubrations du xvie  siècle, et en se débarrassant du matériel de l’érudition et des questions de grammaire, il y eut alors quelques hommes de sens qui raisonnèrent à merveille sur les données générales qu’on avait à sa portée et sous la main : on dissertait volontiers sur le caractère des Romains et des Grecs, sur le génie de César et d’Alexandre. […] Il commence par quelques réflexions fines et spirituelles sur la variation de ses goûts avec l’âge, réflexions dans le sens d’Horace, lorsque Horace incline aux préceptes d’Aristippe ; il démêle et dénonce avec un vif sentiment des nuances les effets des ans et les changements insensibles, mais inévitables, qu’ils amènent.

718. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « L’abbé Prévost »

Le repentir alors et une sorte d’irritation croissante contre un ennemi toujours victorieux le rejetaient au premier choc dans des partis extrêmes dont l’austérité ne tardait pas à mollir ; et, après une lutte nouvelle, en un sens contraire au précédent, il retombait encore de la cellule dans les aventures. […] Il y touche cet état moral de son âme en traits ingénus et suaves qui marquent assez qu’il n’est pas guéri : « Je connois la foiblesse de mon cœur, et je sens de quelle importance il est pour son repos de ne point m’appliquer à des sciences stériles qui le laisseraient dans la sécheresse et dans la langueur ; il faut, si je veux être heureux dans la religion, que je conserve dans toute sa force l’impression de grâce qui m’y a amené ; il faut que je veille sans cesse à éloigner tout ce qui pourroit l’affoiblir. […] Pour sa famille, je ne répondrais pas qu’il l’amusât constamment ; mais nous qui ne sommes pas amoureux, le moyen de lui en vouloir quand il nous dit : « Je lui prouvai par un raisonnement sans réplique que ce qu’il nommoit amour invincible, constance inviolable, fidélité nécessaire, étoient autant de chimères que la religion et l’ordre même de la nature ne connoissoient pas dans un sens si badin ?  […] Il ressemble pour la forme aux journaux anglais d’Addison, de Steele, de Johnson, avec moins de fini et de soigné, mais bien du sens, de l’instruction solide et de la candeur. […] Prévost vivait ainsi, heureux d’une étude facile, d’un monde choisi et du calme des sens, quand un léger service de correction de feuilles rendu à un chroniqueur satirique le compromit sans qu’il y eût songé, et l’envoya encore faire un tour à Bruxelles.

719. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Il est, — je le sens trop d’après l’épreuve d’hier, — il est des points sur lesquels je ne m’accoutumerai jamais à retenir ma pensée, toutes les fois que je la croirai d’accord avec le vrai, avec le juste, et aussi avec le bien de l’Empire qui n’a nul intérêt à pencher tout d’un côté, et qui, sorti de la Révolution, ne saurait renier aucune philosophie sérieuse. […] Et cependant parler, je le sens, est bien difficile ; venir contredire dans sa forme, dans sa tendance et dans ses conclusions, le Rapport que vous avez entendu dans la séance de vendredi et qui est l’ouvrage d’un savant collègue, d’un esprit pratique et positif, que je respecte tout particulièrement et qui m’a toujours montré de la bienveillance, ce n’est pas chose aisée, et il n’est pas agréable, je vous l’assure, de paraître prendre en main, ne fût-ce même qu’incidemment, une cause qui est déclarée détestable, funeste, perverse ; de paraître le moins du monde s’associer à ce qu’on a appelé les efforts des méchants. […] « Je n’ai donc point cherché à désigner deux amis chargés de régler cette affaire avec messieurs vos témoins : si honorables que soient quatre personnes choisies à cette fin et dans ces conditions, je ne sens pas là de vrais arbitres. […] Dans la situation si particulière que les circonstances m’ont faite vis-à-vis du Sénat, et dans laquelle je me renferme, il ne s’est offert aucune ouverture en ce sens, et, retranché comme je le suis dans mon isolement, il ne m’eût pas convenu de rien provoquer en ce sens-là. […] Troplong, il n’y attribua pas le sens qu’elle paraît avoir.

720. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

. — Entrons tout de suite dans les exemples ; on comprendra mieux le sens des mots, en voyant d’abord le détail des faits. […] Elle la possède donc encore lorsqu’elle est précédée de ses antécédents normaux ; par conséquent, lorsque la tête de mort est réelle et présente, lorsqu’un faisceau de rayons gris et jaunâtres en rejaillit pour aller frapper la rétine, lorsque cette impression de la rétine est propagée le long des nerfs optiques, lorsque l’action des centres sensitifs y correspond, la sensation visuelle ainsi provoquée donnera naissance au même fantôme interne, et le simulacre de tête de mort, qui se produit en nous pendant l’hallucination proprement dite, se produira aussi en nous pendant la perception extérieure, avec cette seule différence que, dans le premier cas, la main, tout autre sens, tout autre observateur appelé à vérifier notre jugement affirmatif, le démentira, tandis que, dans le second, la main, tout autre sens, tout autre observateur appelé à vérifier notre jugement affirmatif, le confirmera ; ce que nous exprimons en disant, dans le premier cas, que l’objet n’est qu’apparent, et, dans le second cas, qu’il est réel. […] Seulement, dans notre cas, des objets et des événements extérieurs, indépendants de nous et réels, constatés par l’expérience ultérieure des autres sens et par le témoignage concordant des autres observateurs, correspondent à nos fantômes ; et, dans son cas, cette correspondance manque. — Ainsi notre perception extérieure est un rêve du dedans qui se trouve en harmonie avec les choses du dehors ; et, au lieu de dire que l’hallucination est une perception extérieure fausse, il faut dire que la perception extérieure est une hallucination vraie. […] « Dès qu’il a repris ses sens, il entend des voix qui l’accusent ; guéri de sa blessure, il entend les mêmes voix… Ces voix lui répètent nuit et jour qu’il a trahi son devoir, qu’il est déshonoré, qu’il n’a rien de mieux à faire qu’à se tuer. […] Tous les termes par lesquels les hommes ont désigné le phénomène aboutissent par l’étymologie au même sens. — Conception (cum capere, la chose devenue interne). — Représentation (rursus præsens, la chose présente de nouveau, quoique en fait absente). — Idée (eidos, la figure, l’image, le semblant, l’apparence de la chose, au lieu de la chose elle-même). — De même en allemand, Begriff, Vorstellung, etc.

721. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre I. Les mondains : La Rochefoucauld, Retz, Madame de Sévigné »

Le livre des Maximes : sens et vérité. […] Cependant le sens et la portée des Maximes ne changèrent pas. […] La vie, qui d’abord lui fut dure, l’obligea à se retrancher tout ce qui n’était pas sens pratique et vertu utile. […] En une chose, cette femme de sens eut du génie : c’est en matière d’éducation. […] Mme de Maintenon fut une éducatrice merveilleuse, d’un sens droit et ferme, d’une finesse singulière, d’un tact exquis, d’un art infini pour manier et façonner les âmes.

722. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Remarquons-le bien : les points touchés par La Bruyère sont précisément ceux par où les philosophes du siècle suivant saperont l’ancien régime ; La Bruyère est déjà philosophe au sens que Voltaire et Diderot donneront à ce mot. […] Après une étrange et bien fausse critique de notre système de versification, où apparaissent les limites de son sens artistique, Fénelon signale le défaut général de la poésie moderne : le trop d’esprit. […] Fénelon admire les anciens : mais il ne fonde pas son admiration sur des règles absolues et évidentes ; il nous donne des impressions plutôt qu’il ne formule des règles ; c’est son sens individuel qui admire les anciens. […] Jamais esprit ne s’est mû plus librement : car jamais il ne s’est lié par le respect de la logique ou le sens du possible. […] Suivant toujours son sens individuel, il représente la liberté.

723. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Une bourgeoise hérédité de sens pratique l’empêcha pourtant de se repaître de fumée, et tourna ses pensées vers les solides acquisitions. […] Le siècle de Louis XIV était une des grandes époques de l’esprit humain, et ce grand siècle était essentiellement l’œuvre personnelle de Louis XIV : c’est le sens de la fameuse lettre à Milord Hervey. […] Culte de la raison, haine de la religion, voilà le sens essentiel du Siècle de Louis XIV. […] A cet égard, par l’impossibilité de sortir de soi et de son siècle, Voltaire n’a pas le sens historique. […] Voltaire pousse des pointes en tout sens, reconnaît des régions inexplorées : sur l’Arabie, sur l’Inde, sur la Chine, il apporte des études bien incomplètes encore, mais singulièrement neuves pour le temps.

724. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Appendice »

Cela se comprend ; nos hommes du jour n’ont pas de sens moral. […] J’aime beaucoup à être dans les églises ; la piété pure, simple, naïve, me touche beaucoup dans mes moments lucides, quand je sens l’odeur de Dieu ; j’ai même des accès de dévotion, j’en aurais toujours, je crois ; car la piété a une valeur, ne fût-elle que psychologique. […] Et puis je sens si bien que je n’entends rien à ces sortes de choses, que je n’y ferai que des sottises, que j’aurai à essuyer des risées et des rebuts. […] J’en étais effrayé ; j’eusse voulu arrêter cette marche fatale, trop rapide à mon sens ; mais la nécessité me poussait en avant, et il n’y avait plus moyen de reculer. […] Je voudrais pouvoir commenter, ligne par ligne, votre lettre que je viens de recevoir, il y a une heure, et vous communiquer les réflexions qu’elle a fait naître en moi en mille sens divers.

725. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre I. Le Bovarysme chez les personnages de Flaubert »

Ces deux lignes coïncident et n’en forment qu’une seule si l’impulsion venue du milieu circonstantiel agit dans le même sens que l’impulsion héréditaire. Mais dans tous les cas envisagés par Flaubert, cette convergence ne se produit jamais, et il arrive toujours qu’à quelque moment l’impulsion venue du dehors, et qui se trouve la plus forte, agit dans un sens différent de celui que commandait l’impulsion héréditaire. […] À prendre le mot au sens strictement philosophique, Mme Bovary est une idéaliste. […] Dénués de tout goût particulier assez fort pour courber dans un sens unique l’énergie de leur attention, pour, les absorber et les satisfaire par la perpétuité d’un plaisir toujours renaissant, ils cèdent à la fascination de l’idée qui dresse autour d’eux ses sommets et les sollicite avec une égale insistance sous toutes ses faces. […] L’intelligence est dupe ici de ses procédés : elle prend pour une route tracée vers un but fixe auquel elle aboutirait, ce sens de la causalité qui n’est que le moyen de ses constructions.

726. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — II. (Fin.) » pp. 281-300

Lorsque Bourdaloue parut dans la chaire (1670), un grand événement excitait au plus haut degré l’intérêt dans l’Église de France : les querelles envenimées entre ceux qu’on appelait jansénistes et le pouvoir temporel et spirituel, l’espèce de proscription qui avait mis quelques-uns des principaux chefs du parti à la Bastille, et qui avait dispersé les autres en tous sens, venaient tout d’un coup de s’apaiser ; Rome elle-même avait donné le signal de cette indulgence ; il y avait la paix de l’Église, qui ne devait être qu’une trêve. […] En parlant ainsi, on omet et l’on oublie cette longue et continuelle réfutation qu’en fit Bourdaloue dans sa prédication publique ; il n’y manque bien souvent que les noms propres ; mais, les contemporains étant très au fait de ces questions et les agitant en sens divers avec beaucoup de vivacité, les noms se mettaient d’eux-mêmes. […] C’est en ce sens qu’on peut établir que la prédication de Bourdaloue ne fut, durant trente ans, qu’une longue et puissante réfutation des Provinciales, une éloquente et journalière revanche sur Pascal. […] Les Anglais n’ont pas cessé d’estimer Bourdaloue ; dans ce pays où l’art oratoire est sérieusement étudié et où tout est dirigé dans le sens pratique, on fait à son genre d’éloquence une place très haute, et on lui décerne, à lui en particulier, et par rapport à d’autres noms de grands orateurs, une supériorité dont nos idées françaises seraient elles-mêmes étonnées71. […] Je sens que mon corps s’affaiblit et tend vers sa fin.

727. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — III — Toujours Vauvenargues et Mirabeau — De l’ambition. — De la rigidité » pp. 38-55

Mais, lorsqu’on est assez heureux pour avoir de la vertu (toujours vertu dans le sens antique et non dans l’acception de la morale étroite), c’est, à mon sens, une ambition très noble que celle d’élever cette même vertu au sein de la corruption, de la faire réussir, de la mettre au-dessus de tout, d’exercer et de protéger des passions sans reproche, de leur soumettre les obstacles, et de se livrer aux penchants d’un cœur droit et magnanime, au lieu de les combattre ou de les cacher dans la retraite, sans les satisfaire ni les vaincre. […] Mais je puis bien vous dire encore, en général, qu’il n’y a ni proportion, ni convenance, entre mes forces et mes désirs, entre ma raison et mon cœur, entre mon cœur et mon état, sans qu’il y ait plus de ma faute que de celle d’un malade qui ne peut rien savourer de tout ce qu’on lui présente, et qui n’a pas en lui la force de changer la disposition de ses organes et de ses sens, ou de trouver des objets qui leur puissent convenir. […] Un homme amolli me touche, s’il a l’esprit délicat ; la jeunesse et la beauté réjouissent mes sens, malgré l’étourderie et la vanité qui les suivent ; je supporte la sottise, en faveur du naturel et de la simplicité, etc. […] La correspondance entre Vauvenargues et Mirabeau, dans sa nouveauté d’aujourd’hui, est donc une intéressante lecture, profitable et pleine de sens ; elle agite beaucoup d’idées, provoque bien des observations contraires, pose au naturel les deux personnages, ajoute à notre bonne opinion de l’un, et ne laisse pas du tout une mauvaise opinion de l’autre.

728. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Histoire du roman dans l’Antiquité »

On ne relit pas assez cette charmante fable chez Apulée, qui est le seul et unique auteur de l’Antiquité qui nous l’ait transmise ; et c’est parce qu’on ne la relit pas chez lui, c’est parce qu’on la prend à des sources de seconde et de troisième main, que l’on s’en fait une fausse idée et qu’on s’en exagère la portée, le sens, en même temps qu’on s’en gâte le plaisir et que l’on en corrompt l’amusement. On y arrive d’ordinaire avec sa prévention, avec son symbole tout fait ; on se préoccupe, à l’exemple des commentateurs, de ce mot Psyché qui veut dire âme ; on cherche des sens profonds et mystérieux dans un conte de vieille qui n’a été fait et mis en ce lieu-là que pour divertir et empêcher une belle enfant de pleurer ; on y voit une allégorie, un mythe, quelque chose de pareil à ce que de graves et pieux commentateurs ont cherché dans les fables de l’Odyssée. […] Bétolaud, le traducteur habile d’Apulée et rapproché de la source, n’a point donné dans ces explications tourmentées et forgées après coup ; mais lui-même il n’a pu s’abstenir de sa supposition gratuite quand il a dit : « Sans doute ce mythe avait originairement, dans la tradition païenne, un sens bien certain et bien complet ; mais il avait été amplifié par différents auteurs, et insensiblement, la forme ayant prévalu sur le fond, ce ne fut plus qu’une espèce de conte fantastique… » Je ne crois pas que les choses se passent ainsi à l’égard de ces charmantes fleurs qu’on appelle les contes populaires ou les contes de fées. […] Non que le sens y soit tout à fait absent : il y en a un d’ordinaire, mais vague, flottant, fuyant ; on l’a à peine saisi et entrevu, qu’aussitôt on le perd ; le fil se brise entre vos doigts. […] Elle ne rappelle nullement, d’ailleurs, le sens et l’intention métaphysique qu’on lui prête : c’est un joli nom de femme que Psyché, comme qui dirait mon cœur, mon âme, mon amour.

729. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Mémoires de madame Roland »

Ces esprits prévenus, en s’avisant de contester contre toute évidence l’authenticité des Mémoires de Mme Roland, n’avaient persuadé personne et n’avaient réussi qu’à faire douter d’eux-mêmes et de leur sens critique. […] On était alors dans le plein torrent du mouvement thermidorien, et tout ce qui était dans ce sens en faveur des proscrits de la veille, avait la vogue et faisait fureur. […] 2° Quelques rectifications et additions ont un sens politique ou personnel. […] Ces passages assez nombreux, réintroduits dans le texte, donnent un sens particulier à bien des pages et achèvent de nous révéler cette âme généreuse et combattue. […] C’est la vie la plus favorable à la pratique de la vertu, au soutien de tous les penchants, de tous les goûts qui assurent le bonheur social et le bonheur individuel dans cet état de société ; je sens ce qu’elle vaut, je m’applaudis d’en jouir… » Voilà la vie de Mme Roland pendant des années et son intérieur moral, calme, contenu, sain et purifiant ; voilà les tableaux dignes de sa première vie, ceux qu’on ne saurait trop rappeler à son sujet et que je regretterais de voir ternir ; car ils donnent l’expression vraie et fidèle.

730. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE SOUZA » pp. 42-61

Lorsqu’à la dernière scène, dans une de ces allées droites où l’on se voit de si loin, Mme d’Estouteville s’avance lentement, soutenue du bras d’Eugène, je sens tout se résumer pour moi dans cette image. […] — Dors, cher Enfant, je sens ta main légère A mon cou nu mollement s’attacher, Je sens ton front en mon sein se cacher ; Dors, cher Enfant ; je suis aussi ta mère ! […] je sens ta main légère A mon cou nu de trop près s’attacher, Ce front trop tiède en mon sein se cacher ; Éveille-toi ! […] Dors, cher Enfant ; je sens ta main légère A mon cou nu de plus près s’attacher, Ton frais baiser en mon sein se cacher ; Dors, cher Enfant ; je suis encor ta mère !

731. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Féletz, et de la critique littéraire sous l’Empire. » pp. 371-391

En 1800, après le Directoire et sous le Premier consul, on eut en critique littéraire la monnaie de Malherbe et de Boileau, c’est-à-dire des gens d’esprit et de sens, judicieux, instruits, plus ou moins mordants, qui se groupèrent et s’entendirent, qui remirent le bon ordre dans les choses de l’esprit et firent la police des lettres. […] Quoi qu’il en soit, un peu d’exclusion en critique ne nuit pas au succès, quand ce côté tranchant tombe juste et porte dans le sens de l’opinion. […] Malgré ses défauts et même ses vices, Geoffroy était un critique d’une valeur réelle, d’une grande force de sens, d’une fermeté un peu lourde, mais qui frappait bien quand elle tombait juste, d’une solidité de jugement remarquable quand la passion ou le calcul ne venait pas à la traverse. […] Hoffman avait une bien autre étendue de connaissances et d’idées que Dussault ; il savait toutes choses, assez bien l’Antiquité, très bien la géographie, de la médecine, sans compter qu’Hoffman était un auteur dans le vrai sens du mot ; il a fait preuve de cette faculté à la scène dans d’agréables inventions, dans le joli Roman d’une heure, dans l’excellente bouffonnerie des Rendez-vous bourgeois. […] Il ne se pouvait voir de vieillesse moins morose et moins chagrine, et qui fût plus de bonne compagnie, dans le sens où on le disait autrefois.

732. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Voilà donc un champ immense, et il faut dire que M. de Balzac se l’est proposé de bonne heure dans toute son étendue, qu’il l’a parcouru et fouillé en tous sens, et qu’il le trouvait encore trop étroit au gré de sa vaillance et de son ardeur. […] Ce monde, qu’il avait à demi observé, à demi créé en tous sens ; ces personnages de toute classe et de toute qualité qu’il avait doués de vie, se confondaient pour lui avec le monde et les personnages de la réalité, lesquels n’étaient plus guère qu’une copie affaiblie des siens. […] Si j’avais l’espace devant moi, j’aimerais à parler ici du dernier roman de M. de Balzac, l’un des plus remarquables, à mon sens, sinon des plus flatteurs pour la société actuelle. […] On n’a jamais plus étalé ni secoué le sens dessus dessous de la guenille humaine. […] Mais c’est un homme de goût, de tact, de sens exact et rigoureux, qui, même dans l’excès de l’idée, garde la retenue et la discrétion de la manière ; qui a autant le sentiment personnel du ridicule que M. de Balzac l’avait peu, et en qui, au milieu de tout ce qu’on admire de netteté, de vigueur de trait et de précision de burin, on ne peut regretter qu’un peu de cette verve, dont l’autre avait trop.

733. (1911) Jugements de valeur et jugements de réalité

Dans tous ces cas, j’attribue aux êtres ou aux choses dont il s’agit un caractère objectif, tout à fait indépendant de la manière dont je le sens au moment où je me prononce. […] Toutes ces valeurs existent donc, en un sens, en dehors de moi. […] C’est une activité de luxe, en un sens, parce que c’est une activité très riche. […] Elle mêle les règnes, elle confond les contraires, elle renverse ce qu’on pourrait regarder comme la hiérarchie naturelle des êtres, elle nivelle les différences, elle différencie les semblables, en un mot elle substitue au monde que nous révèlent les sens un monde tout différent qui n’est autre chose que l’ombre projetée par les idéaux qu’elle construit. […] Le jugement de valeur ajoute donc au donné, en un sens, quoique ce qu’il ajoute soit emprunté à un donné d’une autre sorte.

734. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

. — La Bohême travailleuse, complètement absorbée dans sa tâche ; celle qu’on trouve échelonnée, la tête entre ses mains, le long des tables de la bibliothèque Sainte-Geneviève, où elle use ses coudes luisants ; — La Bohême silencieuse et recueillie, fuyant les réunions aux expansions bruyantes ; la Bohême vivant par le cerveau et guère par le cœur, n’ayant pas de maîtresses, — peut-être par sagesse et par principes, mais peut-être aussi parce que le sens de l’amour lui manque ; ne se passant aucune faiblesse, mais impitoyable encore pour celles d’autrui. […] Je pense, comme vous, qu’il serait plus sage de distribuer la somme, étapes par étapes, tout le long du mois ; — mais ils manquent entièrement du sens pratique. […] Ne vous arrêtez pas aux effets ; remontez aux causes, et vous conclurez que le sens artistique a tout envahi, a pris toute la place. […] En ce glorieux siècle de lumière, nous voyons si clair dans le sens des mots que personne n’y voit de la même façon. […] Chacun se forge une définition à soi, un sens à son usage exclusif. — Je viens d’écrire : « Le style est le côté faible, etc. » Eh bien !

735. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’impératrice Catherine II. Écrits par elle-même, (suite.) »

Quand, plus tard, elle eut à gouverner ce puissant Empire qu’elle agrandit dans tous les sens, et qui embrassait le nord jusqu’au pôle, et l’orient jusque par-delà l’aurore, elle ne paraissait pas y trouver plus de difficulté et y mettre plus de façon qu’à ce règlement du Holstein. […] Vers ce même temps (1755), arriva à Pétersbourg, en qualité d’ambassadeur d’Angleterre, sir Charles Hanbury Williams, amenant à sa suite le jeune Poniatowsky : cet Anglais, homme d’esprit et de hardiesse, d’une conversation amusante, encouragea la grande-duchesse dans son esprit d’émancipation, et elle noua même avec lui, à ce début de la guerre de Sept Ans, une intrigue politique dans le sens de l’Angleterre et aussi de la Prusse contre la France. […] — Le style, non pas étranger, mais un peu vieux, en est encore plus gaulois que français : « Du reste, mon parti était pris, et je regardais mon renvoi ou non-renvoi d’un œil très-philosophique ; je ne me serais trouvée, dans telle situation qu’il aurait plu à la Providence de me placer, jamais sans ces ressources que l’esprit et le talent donnent à chacun selon ses facultés naturelles, et je me sentais le courage de monter ou descendre, sans que par là mon cœur et mon âme en ressentissent de l’élévation ou ostentation, ou, en sens contraire, ni rabaissement, ni humiliation. […] Ce dernier sentiment, celui du chagrin, je le réprimais infiniment plus que tous les autres ; la fierté de mon âme et sa trempe me rendaient insupportable l’idée d’être malheureuse ; je me disais : “Le bonheur et le malheur est dans le cœur et dans l’âme d’un chacun ; si tu sens du malheur, mets-toi au-dessus de ce malheur, et fais en sorte que ton bonheur ne dépende d’aucun événement.”

736. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Renan, après ces deux années d’Issy, vint, pour son cours de théologie, au séminaire de Paris, et c’est là qu’en voyant se dérouler crûment et carrément devant lui la théologie scolastique, cette vieille doctrine de saint Thomas « remaniée et triturée par vingt générations sorboniques », son sens critique, déjà éveillé, se révolta : il n’y put tenir ; tant d’objections imprudemment posées, et qu’une logique robuste ou subtile se flattait à tout coup d’abattre, tant et de si rudes entorses données à la vérité historique le venaient relancer, malgré sa prudence, et le forcèrent enfin à sortir de derrière ses retranchements. […] Ce ne fut pas, en un certain sens, une lutte, un violent orage, un déchirement : il n’y eut point un jour, une heure, un moment solennel pour lui, où le voile du temple se déchira de devant ses yeux : ce ne fut pas la contrepartie de Saint Paul qui se vit abattu, renversé sur le chemin de Damas, et du même coup converti. […] Renan, qui n’était homme à s’emprisonner dans aucun sens, se tourna du côté des Académies, et il fit bien. […] La gloire n’est, pas un vain mot, et nous autres critiques et historiens, nous rendons, en un sens un vrai jugement de Dieu.

737. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « LA REVUE EN 1845. » pp. 257-274

Tous les critiques distingués en leur temps, je parle des critiques praticiens qui, comme des médecins vraiment hippocratiques, ont combattu les maladies du jour et les contagions régnantes, La Harpe, le docteur Johnson, ont été doués de ce sens juste et vif que la nature sans doute accorde, mais qu’on développe aussi, et que plus d’un esprit bien fait peut, jusqu’à un certain point, perfectionner en soi. Or ce sens de vérité est précisément ce qui, dans tous les genres, dans l’art, dans la littérature d’imagination et, ce qui nous paraît plus grave, dans les jugements publics qu’on en porte, s’est le plus dépravé aujourd’hui. […] On dirait que les injures à l’O’Connell ont passé le détroit, et qu’elles sont à l’ordre du jour en France : c’est là, je crois, dans son vrai sens cette fameuse brigade irlandaise qu’il se vantait de nous prêter. […] (voir les volumes de Portraits contemporains), on peut bien juger en quel sens et dans quelle mesure l’auteur a cru devoir se déclarer, à certains moments, pour le parti de la conservation en littérature et de la résistance.

738. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VIII. De l’éloquence » pp. 563-585

On peut parcourir en tout sens l’injure et l’éloge, sans faire naître l’enthousiasme ni la haine. […] Ou dans un autre sens : Le temps des abstractions est passé ; l’ordre social est raffermi sur ses bases, etc. […] Parler dans le sens du pouvoir injuste, c’est s’imposer la servitude la plus détaillée. […] Néanmoins il en est d’elle comme de tous les biens que permet notre destinée : ils ont tous des inconvénients, que l’on fait ressortir seuls, si le vent de la faction souffle dans ce sens ; mais en se livrant ainsi à l’examen des choses, quel don de la nature paraîtrait exempt de maux ?

739. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre VII. Induction et déduction. — Diverses causes des faux raisonnements »

Il conviendra ici d’en bien repasser les termes, et souvent, par une courte réflexion sur le sens précis des mots, l’évidence de la chose apparaîtra : on pourra aussi parfois la saisir dans les applications particulières qui s’en peuvent faire, où la vérité se découvrira d’une façon en quelque sorte matérielle et sensible. […] Il ne faut pas, dans un raisonnement, se fonder, à moins d’une nécessité absolue, sur les décisions paradoxales du sens propre, mais sur les croyances générales du sens commun, quand même on aurait des raisons de douter ou de nier sur ce qu’il affirme. […] On élargit le sens d’un mot ; on y met ce qui n’y était pas ; et, sans s’apercevoir qu’on a introduit des éléments nouveaux dans la question, on la résout par les principes qui ne conviennent qu’aux premières données. […] C’est-à-dire qu’il faut se rendre toujours un compte rigoureux de la valeur des mots qu’on emploie, n’en perdre jamais de vue le sens précis, et prendre garde de conserver toujours la même étendue au même terme.

740. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre I. Les théories de la Pléiade »

Ronsard, moins impatient que son ami, et plus artiste en ce sens qu’il s’efforça de réaliser, non de définir son idéal, a semé pourtant ses théories dans ses Préfaces des Odes et de la Franciade, ainsi que dans un Abrégé d’art poétique qu’il donna en 1565. […] Mais ce précédent, autorisé par tant de chefs-d’œuvre, a fasciné nos poètes ; d’autant qu’une idée erronée les poussait encore dans le même sens : c’est qu’une langue est d’autant plus parfaite qu’elle a plus de mots. […] Ce n’est pas un brouillon, c’est un poète qui a l’idée, le sens de la forme : il a travaillé la langue, comme il a travaillé le vers, et il travaillera la phrase. […] Car bien qu’il n’ajoute cela que pour justifier l’emploi de la mythologie, je sens là une erreur générale : Ronsard pose les anciens à côté de la nature, non comme offrant déjà la nature, mais comme égaux à la nature dans les choses même où nous n’y trouvons ni raison ni vérité, où leur nature enfin n’est pas la nôtre.

741. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre II. Diderot »

Mais ce mot de nature se détermine pour Diderot dans un sens bien moderne. […] Toutes ses impulsions, à lui, lui viennent du dehors ; sa philosophie, et celle de son temps, lui dit que toutes ses idées lui sont venues par ses sens : il est naturel que la nature extérieure, et les sciences qui s’y appliquent, soient l’objet de son étude. […] Diderot eut le tort, sans doute, de pousser dans ce sens. […] Au public enfermé jusqu’ici dans le goût littéraire, il ouvre des fenêtres sur l’art ; à travers toutes ses expansions sentimentales et ses dissertations de penseur, il fait l’éducation des sens de ses lecteurs ; il leur apprend à voir et à jouir, à saisir la vérité d’une attitude, la délicatesse d’un ton.

742. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre II. La critique »

Or le sens exquis de la vie ne va pas sans l’amour de la vie, sans la capacité de jouir des formes particulières de la vie. […] Il y a des morceaux de toute la nature, et je ne sens pas la nature, la vie de la nature, comme les apportent parfois les impressions irraisonnées d’une âme. […] Immuable ainsi et identique à lui-même, il n’a pas eu le sens du changement. […] Les deux volumes où il a consigné ses impressions du Sahara et du Sahel contiennent des tableaux étonnants, dont la couleur intense fait pâlir les finesses charmantes de sa peinture : ces descriptions sont en un sens de la critique, la critique des sujets, si je puis dire ; car on y voit la réflexion de l’artiste analyser à l’aide des mots des sensations pittoresques dont sa main ne saurait rendre la puissance.

743. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens II) Henry Fouquier »

Prenez le mot, de grâce, au sens le plus favorable. […] Un parfait épicurien est nécessairement un homme de sens très rassis. […] La passion éperdue devient aisément douloureuse ; les sens exaspérés ont aussi leurs maladies. […] La raison, en présidant aux ébats du cœur et des sens, les garde de tout mal et leur permet de varier leurs aimables expériences.

744. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Barbey d’Aurevilly. »

Le vrai satanisme, c’est la négation de Satan aussi bien que de Dieu, c’est le doute, l’ironie, l’impossibilité de s’arrêter à une conception du monde, la persuasion intime et tranquille que le monde n’a point de sens, est foncièrement inutile et inintelligible… De ce satanisme-là, il y en a plus dans telle page de Sainte-Beuve, de Mérimée ou de M.  […] Il communique à de menus signes de costume, de tenue et de langage, un sens et une puissance qu’ils n’ont point naturellement. […] Parmi des affirmations d’idéalisme et de foi catholique ou aristocratique développées avec furie, je vois s’agiter des figures étranges et plus qu’humaines ; mais je vous jure que je ne les sens pas vivre. […] C’est de l’héroïsme tout simplement, et je vous prie de donner au mot tout son sens.

745. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lamartine, Alphonse de (1790-1869) »

Il y avait en lui plus d’intuition que de réflexion, plus de sentiment que d’idée, plus d’impétuosité que de raison, en un mot, à mon sens, il a été, en politique, un philosophe, et en littérature, un merveilleux improvisateur, parfois sublime, le plus étonnant que la France ait jamais possédé, mais un improvisateur. […] Doué de tous les dons souverains, — beauté, poésie, éloquence, courage, sens profond de l’avenir, et, au-dessus du génie, la bonté, ce génie du cœur, — Lamartine est un des plus nobles êtres qui aient paru sous le ciel de France. […] Ernest Zyromski Qu’il est riche de sens ce mot de Méditation, et qu’il exprime pleinement le caractère de l’œuvre lamartinienne ! Il suggère les plaisirs et les mélancolies de la solitude et du silence, le sens et le tourment de la destinée humaine, la peur et le dégoût du monde, la langueur exquise des rêveries, l’ivresse de la vie intérieure.

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