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539. (1856) Cours familier de littérature. I « IVe entretien. [Philosophie et littérature de l’Inde primitive (suite)]. I » pp. 241-320

Pourquoi ce genre de poésie, qui comparaît le plus souvent sur nos théâtres devant le peuple, est-il inférieur aux deux autres ? […] Malheur au peuple athénien qui riait de tout, même de ses gloires et de ses malheurs ! […] Le philosophe, devenu poète pour s’attirer l’imagination du peuple, chante la Loi de la délivrance de l’âme, ou de son émancipation des liens de la matière. […] De tels poèmes ne sont jamais pour un peuple que les archives illustrées de ses croyances, de ses mœurs, de ses événements nationaux, ou tout au moins de ses fables théogoniques. […] On reconnaît à ces fables le génie divers des philosophes ou des poètes qui les inventèrent et les firent accepter aux peuples : les Grecs, peuplades insulaires ou maritimes, faisant naître la déesse de la vie du sein des flots, les Indiens, peuples agricoles, la faisant naître du champ labouré.

540. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Ils se sont enquis du régime politique auquel était soumis le peuple, dont ils étaient les hôtes. […] Maintenant que le peuple est le maître, il y a des flatteurs du peuple comme il y avait autrefois des flatteurs du roi ; les uns et les autres ont le même souci des intérêts du souverain, et le même amour du bien public. […] Le peuple l’entourait de tous côtés et criait sans cesse : “À bas le tyran !” […] criait le peuple […] En 1827, il y avait, entre le peuple et l’armée, des cloisons étanches.

541. (1924) Critiques et romanciers

En définitive, c’est au peuple qu’il accorde sa confiance. […] Consultez le peuple ! […] Filon croit-il au peuple ? […] Cécile est une enfant du peuple. […] Gustave Geffroy, qui aime Cécile, aime aussi le peuple.

542. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre deuxième. Les mœurs et les caractères. — Chapitre III. Inconvénients de la vie de salon. »

Des applaudissements éclatent au théâtre lorsqu’un vers fait allusion à la vertu des princes, et, un instant après, quand une tirade exalte les mérites du peuple, les princes prennent leur revanche de politesse en applaudissant à leur tour315  De toutes parts, au moment où ce monde finit, une complaisance mutuelle, une douceur affectueuse vient, comme un souffle tiède et moite d’automne, fondre ce qu’il y avait encore de dureté dans sa sécheresse, et envelopper dans un parfum de roses mourantes les élégances de ses derniers instants. […] Pour trouver de ces lutteurs, ils font chercher trois ou quatre hommes de race ou d’éducation différente, tous ayant roulé et pâti, un plébéien brutal comme l’abbé Maury, un satyre colossal et fangeux comme Mirabeau, un aventurier audacieux et prompt comme ce Dumouriez qui, à Cherbourg, lorsque la faiblesse du duc de Beuvron a livré les blés et lâché l’émeute, lui-même hué et sur le point d’être mis en pièces, aperçoit tout d’un coup les clés du magasin dans les mains d’un matelot hollandais, crie au peuple qu’on le trahit et qu’un étranger lui a pris ses clés, saute à bas du perron, saisit le matelot à la gorge, arrache les clés et les remet à l’officier de garde en disant au peuple : « Je suis votre père, c’est moi qui vous réponds des magasins322 ». Se commettre avec des crocheteurs et des harengères, se colleter au club, improviser dans les carrefours, aboyer plus haut que les aboyeurs, travailler de ses poings et de son gourdin, comme plus tard la jeunesse dorée, sur les fous et les brutes qui n’emploient pas d’autres arguments et auxquels il faut répondre par des arguments de même nature, monter la garde autour de l’Assemblée, se faire constable volontaire, n’épargner ni sa peau ni la peau d’autrui, être peuple en face du peuple, voilà des procédés efficaces et simples, mais dont la grossièreté leur semble dégoûtante.

543. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXe Entretien. Souvenirs de jeunesse. La marquise de Raigecourt »

En 1848, à la fatale journée du 15 mars, où le peuple fit invasion dans l’Assemblée constituante et la dispersa par un acte de démence, j’y rentrai avec un bataillon de gardes mobiles et nous dispersâmes les séditieux, maîtres du palais de la Chambre ; je haranguai les députés au son d’un tambour, et je montai à cheval pour marcher contre l’Hôtel de ville, occupé par six cents hommes et six pièces de canon braquées sur nous. […] Ledru-Rollin, craignant avec raison qu’ils ne fussent massacrés par le peuple en allant à Vincennes, eut l’heureuse pensée de les garder jusqu’à la nuit à l’Hôtel de ville. […] L’ingratitude porte malheur aux rois comme aux peuples. […] Il fut insulté dans un faubourg, arrêté par le peuple, puis relâché, et il se retira en Suisse. […] Le bruit de l’inimitié du peuple de Paris contre lui s’était répandu ; on le traitait en suspect ; ses vertus épiscopales lui firent pardonner.

544. (1913) Le bovarysme « Troisième partie : Le Bovarysme, loi de l’évolution — Chapitre I. Le Bovarysme de l’individu et des collectivités »

Il ignore ou feint d’ignorer que ce pouvoir de choisir avec plus ou moins de bonheur la direction favorable aux actes, est lui-même déterminé par le degré de convergence des forces léguées par l’hérédité, qu’un individu, un peuple, un groupe social quelconque doivent à leur passé, en même temps qu’aux circonstances du milieu, la possibilité d’adopter pour leur avenir l’orientation qui convient et que les mêmes causes assument seules le crime d’un mauvais choix. […] On peut leur opposer en contraste les peuples d’Europe qui, après avoir subi de multiples métamorphoses, continuent de se montrer aptes à accepter encore des changements nouveaux. […] Aux prises avec une énergie exubérante, qu’aucune discipline n’a jusque-là fait plier, la règle nouvelle fléchit sur quelques points où s’inscrivent les réactions caractéristiques que le groupe nouveau tient de son ethnicité, de son habitat, des relations où il se trouve engagé, avec les autres peuples, ses voisins. […] Il l’est davantage si l’on considère par contraste l’extraordinaire puissance d’assimilation dont témoigne le Japon et si l’on remarque que les parties connues de l’histoire de ce petit peuple, nous le montrent de tout temps instable et changeant, présentant des phases variées et s’acheminant vers les temps modernes à la façon de nos barbares d’occident par la pratique d’institutions féodales qui impliquent par la multiplicité des foyers d’influence et d’initiative possible, une multiplicité aussi d’expériences diverses. […] La vitalité d’un peuple semble compromise par deux mesures extrêmes : l’imitation servile de l’ancêtre et l’imitation du modèle étranger dans des proportions trop fortes et qui ne permettent plus l’assujettissement des modes de la réalité imitée à ceux de la réalité ancienne.

545. (1888) Portraits de maîtres

Il fait appel à la Sainte Alliance des Peuples. […] Comment comprendre que, jusque vers 1832, le peuple français eût oublié le nom même de la République ? […] Qui ne reconnaîtrait le plus grand poète de notre siècle dans ce portrait de l’homme de génie « le plus accessible de tous, plus peuple que le peuple, plus simple que le simple » ? […] Il se désole sur ce peuple ligurien condamné à un jeûne perpétuel, à une nourriture d’herbes ou de pâtes insuffisantes ou malsaines, affamés d’ailleurs par le fisc et l’usure, peuple infortuné qui n’a que trop contracté l’habitude de souffrir. […] Que le peuple y voie, y écoute sa propre pensée, s’y nourrisse de sa jeune foi ! 

546. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Camille Jordan, et Madame de Staël »

Camille Jordan se trouvait, comme acteur, avec la majorité courageuse des sections à cette journée du 29 mai 1793 qui affranchit le peuple lyonnais et lui permit de se constituer lui-même. […] Entendez ces voix qui s’élèvent de toutes les parties de la France ; faites-les retentir, vous surtout qui, naguère répandus dans les départements, avez recueilli la libre expression des derniers vœux du peuple ! […] nous avons parlé souvent de notre amour pour le peuple, de notre respect pour ses volontés : si ce langage ne fut pas vain dans nos bouches, respectons avant tout des institutions si chères à la multitude. […] Des soldats. — Qui, même après le 9 thermidor, quand l’humanité se réveillait dans tous les cœurs, reprit encore au premier signal ces habitudes de carnage, et, répondant par des coups de canon aux justes représentations d’un peuple libre, porta de nouveau dans les murs de Paris l’épouvante et la mort ? […] Sous la Restauration, il essayait de même de demander à la Charte tout ce qu’elle contenait, et d’en faire découler les conséquences naturelles ; il s’indignait surtout qu’on la faussât, qu’on la torturât dans un mauvais sens, au gré des passions, au détriment de la monarchie comme du peuple.

547. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXV » pp. 97-99

C'est peut-être le plus grave symptôme de décadence morale chez un peuple que cette absence de toute rancune et cette réconciliation banale après d’indignes procédés, sauf à recommencer demain. […] »… Je ne crains pas d’affirmer qu’en peu d’années votre peuple politique serait changé.

548. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson » pp. 210-230

Le Henri IV roi, grand guerrier, grand politique, non plus celui des petits défauts et des peccadilles, mais l’homme des hautes et mémorables qualités, monarque réparateur et chéri, actif bienfaiteur de son peuple et instaurateur d’une diplomatie généreuse, toute d’avenir, c’est celui-là seulement dont on rencontrera l’image. […] C’était bien le cas à un contemporain, témoin de ces hontes, de s’écrier avec douleur : Malheureux serez-vous, noblesse, Église, peuples, villes, qui vous trouverez parmi ces démembreurs, si leurs desseins succèdent ; vous ne serez plus de la France : qui sera Espagnol, qui tiendra de Lorraine, qui reconnaîtra la Savoie, qui sera du gouvernement du duc de Joyeuse, érigé en comté de Toulouse, qui de la république d’Orléans, qui du duché de Berry, qui des cantons de Picardie. […] Pour dernier coup de crayon à ce vivant et naturel portrait tracé d’une main si ferme au milieu du tumulte et en plein orage, Du Fay insiste sur un point qui n’est pas indifférent en un chef de peuple : c’est que Henri IV est heureux, heureux à la guerre, heureux en toute chose. […] Ce que fut, après de telles fatigues et de si longues guerres, après des guerres intestines où l’on s’était vu sur un qui-vive perpétuel et où l’on était presque partout à l’état de frontière, — ce que fut enfin le soulagement et la libre respiration des peuples quand on se sentit tout de bon en paix, en sécurité, sans plus avoir à s’occuper même de Picardie surprise et de siège d’Amiens, il faudrait l’avoir éprouvé pour le dire ; c’est du témoignage des contemporains qu’il le faut entendre. […] Partout on voyait saillir des sources de pleurs ; partout on entendait les cris et les gémissements du peuple : il semblait qu’on l’eût assommé, tant la violence de la douleur l’avait étourdi et éperdu.

549. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XI. La littérature et la vie mondaine » pp. 273-292

Il relègue les termes techniques et rébarbatifs dans les gros livres et dans les dictionnaires plus gros encore où peuvent aller les chercher ceux qui en ont besoin : il condamne également les mots qui ont cours aux halles et qui gardent l’odeur du peuple. […] N’allez pas croire pourtant qu’on opère ces réformes dans l’intérêt du peuple ignorant ! Est-ce que le peuple existe ? […] Intrépidité lui semblait d’une hardiesse à faire frémir ; tracasser était bien peuple ; desservir était bien vieux. […] Heureusement que le peuple et les écrivains, moins dégoûtés que les précieuses et moins soucieux de leur approbation, réagissaient contre ces excès.

550. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

En un mot, le grand art se fait admirer à la fois de tout un peuple (même de plusieurs peuples), et du petit nombre d’hommes assez compétents pour y découvrir un sens plus intime. […] Il y a de la poésie dans la rue par laquelle je passe tous les jours et dont j’ai, pour ainsi dire, compté chaque pavé, mais il est beaucoup plus difficile de me la faire sentir que celle d’une petite rue italienne ou espagnole, de quelque coin de pays exotique. » Il s’agit de rendre de la fraîcheur à des sensations fanées, « de trouver du nouveau dans ce qui est vieux comme la vie de tous les jours, de faire sortir l’imprévu de l’habituel ;  » et pour cela le seul vrai moyen est d’approfondir le réel, d’aller par-delà les surfaces auxquelles s’arrêtent d’habitude nos regards, d’apercevoir quelque chose de nouveau là où tous avaient regardé auparavant. « La vie réelle et commune, c’est le rocher d’Aaron, rocher aride, qui fatigue le regard ; il y a pourtant un point où l’on peut, en frappant, faire jaillir une source fraîche, douce à la vue et aux membres, espoir de tout un peuple : il faut frapper à ce point, et non à côté ; il faut sentir le frisson de l’eau vive à travers la pierre dure et ingrate. » Guyau passe en revue et analyse finement les divers moyens d’échapper air trivial, d’embellir pour nous la réalité sans la fausser ; et ces moyens constituent « une sorte d’idéalisme à la disposition du naturalisme même ». […] « Nous sentons s’enrichir notre cœur quand y pénètrent les souffrances ou les joies naïves, sérieuses pourtant, d’une humanité jusqu’alors inconnue, mais que nous reconnaissons avoir autant de droit que nous-mêmes, après tout, à tenir sa place dans cette, sorte de conscience impersonnelle des peuples qui est la littérature. » Enfin la sociabilité humaine doit s’étendre à la nature entière ; de là cette part croissante que prend dans l’art moderne la description de la nature. […] Zola comme de Balzac, c’est précisément qu’ils ont voulu peindre les hommes dans leurs rapports sociaux ; c’est qu’ils ont fait surtout des romans « sociologiques », et que le milieu social, examiné non dans les apparences extérieures, mais dans la réalité, est une continuation de la lutte pour la vie qui règne dans les espèces animales. « De peuple à peuple, chacun sait comment on se traite.

551. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Par pitié pour vous et pour moi, écoutez un conte. à l’endroit où la Seine sépare les invalides des villages de Chaillot et de Passy, il y avait autrefois deux peuples. […] On accepta leur offre, et voilà les gens de lettres qui dans la suite firent respecter leur emploi parce que sous prétexte d’amuser et de délasser le peuple, ils l’instruisirent ; ils chantèrent les lois, ils encouragèrent au travail et à l’amour de la patrie ; ils célébrèrent les vertus, ils inspirèrent aux pères de la tendresse pour leurs enfans, aux enfans du respect pour leur père ; et nos agriculteurs furent chargés de deux impôts qu’ils supportèrent volontiers, parce qu’ils leur restituaient autant qu’ils leur prenaient. […] Ce sont ces chansonniers qui distinguent un peuple barbare et féroce d’un peuple civilisé et doux. […] On dirait que de grands événemens, de grandes actions ne soient pas faits pour un peuple aussi bizarrement vêtu, et que les hommes dont l’habit est si ginguet ne puissent avoir de grands intérêts à démêler. […] Je vous le répète, il ne faudrait qu’assujettir la peinture et la sculpture à notre costume pour perdre ces deux arts si agréables, si intéressans, si utiles même à plusieurs égards, surtout si on ne les emploie pas à tenir constamment sous les yeux des peuples ou des actions déshonnêtes ou des atrocités de fanatisme, qui ne peuvent servir qu’à corrompre les mœurs ou à embéguiner les hommes, à les empoisonner des plus dangereux préjugés.

552. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préfaces de « Marion de Lorme » (1831-1873) »

Il comprit qu’un succès politique à propos de Charles X tombé, permis à tout autre, lui était défendu à lui ; qu’il ne lui convenait pas d’être un des soupiraux par où s’échapperait la colère publique ; qu’en présence de cette enivrante révolution de juillet, sa voix pouvait se mêler à celles qui applaudissaient le peuple, non à celles qui maudissaient le roi. […] Vous avez affaire à un grand peuple habitué aux grandes choses. […] Autrefois, le peuple, c’était une épaisse muraille sur laquelle l’art ne peignait qu’une fresque.

553. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 21, du choix des sujets des comedies, où il en faut mettre la scene, des comedies romaines » pp. 157-170

Des raisons opposées me font croire qu’il faut mettre la scene des comedies dans les lieux et dans les tems où elle est répresentée : que son sujet doit être pris entre les évenemens ordinaires, et que ses personnages doivent ressembler par toutes sortes d’endroits au peuple pour qui l’on la compose. […] Mais l’experience apprend bientôt à changer l’objet de l’imitation : aussi les poëtes romains ne furent pas long-tems à connoître que leurs comedies plairoient davantage s’ils en mettoient la scene dans Rome, et s’ils y joüoient le peuple même qui devoit en juger. […] Il ne suffit pas que l’auteur d’une comedie en place la scene au milieu du peuple qui la doit voir répresenter, il faut encore que son sujet soit à la portée de tout le monde, et que tout le monde puisse en concevoir sans peine, le noeud, le dénouëment et entendre la fin du dialogue des personnages.

554. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Edmond About » pp. 63-72

Élève de cette École d’Athènes fondée par Μ. de Salvandy en l’honneur du paganisme et de ce peuple grec cher à toutes les Universités du monde, About pouvait faire mieux qu’un livre de voyage : il pouvait faire un livre de séjour. […] En effet, après avoir été surfait longtemps dans l’antiquité, le peuple grec a été surfait dans les temps modernes encore davantage. […] ce malheureux peuple a cessé d’être à l’ordre du jour.

555. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Madame Desbordes-Valmore. »

Mme Valmore, née dans la classe du peuple, était restée une âme plébéienne ; mais elle l’était sans prévention, sans parti pris, sans mettre sans cesse en avant ce qui divise et ce qui sépare. […] Mme Valmore, qui, en dehors de toute question politique, ne voyait en lui qu’un bienfaiteur du peuple et un martyr humanitaire, ne cessa de le suivre de sa pensée et de ses vœux dans l’exil et le bannissement. […] Mme Valmore ne peut s’empêcher d’y applaudir ; elle ne se raisonne pas, elle suit son élan, elle sent à la manière du peuple ; elle a, je l’ai dit, l’âme populaire. […] Elle était de tout temps pour les souffrants et les opprimés ; elle est pour eux encore le jour où elle se figure que le peuple triomphe et se délivre ; elle a son hymne du lendemain ; c’est à son frère Félix qu’elle l’adresse : « (1er mars 1848)… L’orage était trop sublime pour avoir peur ; nous ne pensions plus à nous, haletants devant ce peuple qui se faisait tuer pour nous. […] D’autres vous disent que les carlistes, voulant opérer la leur en faveur de Henri V, avaient soudoyé des gens du peuple qui se couvraient du voile du républicanisme.

556. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Il faut s’attendre qu’un peuple qui ne connut pas d’abord le mérite du Misanthrope et d’Athalie, et qui applaudit à tant de monstrueuses farces, sera toujours un peuple ignorant et faible, qui a besoin d’être conduit par le petit nombre des hommes éclairés. […] » Nous aurons bientôt occasion de relever cette contradiction chez le futur révolutionnaire qui, après avoir tant méprisé le public, accordera tout au peuple. […] Ce n’est pas que le calme soit rétabli et que le peuple n’ait encore, cette nuit, pourchassé les aristocrates, entre autres les journalistes de leur bord. […] C’est ce qui doit arriver chez un peuple neuf, qui, pendant trois années, a parlé sans cesse de sa sublime Constitution, mais qui va la détruire, et, dans le vrai, n’a su organiser encore que l’insurrection. […] Cet observateur satirique, qui avait tant méprisé le public et conspué le genre humain, étonnait maintenant Mme Roland elle-même par sa confiance dans un peuple neuf mené par des violents.

557. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre premier. Musique. — De l’influence du Christianisme dans la musique. »

Or le plaisir est une chose d’opinion, qui varie selon les temps, les mœurs et les peuples, et qui ne peut être le beau, puisque le beau est un, et existe absolument. […] Il a sauvé la musique dans les siècles barbares : là où il a placé son trône, là s’est formé un peuple qui chante naturellement comme les oiseaux.

558. (1889) Derniers essais de critique et d’histoire

À un pareil peuple il faudrait un peuple d’esclaves. […] Ce nom est sacré, et, pour réduire le peuple à tout ce qu’on souhaite, il suffit de dire : Le roi le veut. […] Le roi est l’image, de son peuple ; tous deux s’éloignent et se roidissent de même. […] C’est un peuple infini qui occupe l’espace et que l’homme n’a point encore attaqué dans son domaine. […] Mais qu’ils ne réclament rien au-delà, rien qui soit contre notre conscience, rien qu’un peuple honnête ne puisse imposer à un peuple honnête.

559. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Le peuple craint plus saint Antoine et saint Sébastien que le Christ, à cause des plaies qu’ils envoient. […] En effet, elle est aussi une renaissance, une renaissance appropriée au génie des peuples germains. […] » Quel spectacle pour un peuple en qui le raisonnement et la conscience commencent à s’éveiller ! […] L’abomination devant Dieu, ce sont les idoles et les images devant qui le peuple s’incline. » Le précepte est-il observé ? […] On entend ici un homme du peuple qui parle au peuple, et qui veut rendre sensible à tous la terrible doctrine de la damnation et du salut418.

560. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Première partie. De la parole et de la société » pp. 194-242

Les peintures que font les anciens historiens des mœurs, des habitudes, des institutions de ces peuples, semblent avoir été écrites aujourd’hui par des voyageurs qui en arrivent. […] Chez certains peuples, la langue fut toute composée d’onomatopées ; et ces langues qui reposent sur l’imitation par les sons repolissent aussi la pensée de l’invention du langage par l’homme, car elles n’excluent point les autres éléments constitutifs de la parole : or c’est toujours là qu’est toute la difficulté. […] Il y a encore des langues, comme le chinois, où la langue écrite et la langue parlée sont absolument indépendantes l’une de l’autre et tellement indépendantes que la même langue écrite peut servir à plusieurs peuples qui parlent chacun une langue différente. Mais ici nous serions ramenés à cette autre difficulté, déjà signalée par nous, de la langue écrite ; car, même pour les peuples où la langue parlée et la langue écrite sont la même, il est certain que la langue écrite n’est que par convention, et non point essentiellement la peinture de la langue parlée. […] Ils avaient fort peu étudié les origines phéniciennes ; ils n’avaient songé qu’à écraser Carthage ; et tous les monuments littéraires de ce peuple malheureux périrent avec lui par la farouche incurie du vainqueur.

561. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Crétineau-Joly »

Les peuples, eux, les ont moins perdues, car il en est des erreurs comme des maladies, ce qui en guérit le plus vite, ce n’est pas la partie de la société qui croupit en bas dans les fanges, mais celle qui vit en haut, plus exposée à la clarté vivifiante du jour. […] Comme le remarque leur historien, après cent vingt ans d’efforts, de revers, de succès, de martyre, les Jésuites rapportaient au Saint-Siège plus de peuples que le Protestantisme n’en avait saisi et emporté. […] Qu’on se rappelle la grave affaire des billets de confession, que les bouffonneries de Voltaire n’ont pas rapetissée dans l’opinion des hommes qui s’entendent à la conduite des peuples ! […] Il avait l’expérience de la difficulté de gouverner les peuples, et il ne pouvait s’empêcher d’admirer hautement les hommes d’un système qui diminuait cette difficulté. […] De leur plein gré, ils s’anéantissent ; ils s’ôtent humblement de la balance dans laquelle Dieu pèse les peuples et qu’ils eussent fait pencher, peut-être, du côté du salut, par leur poids.

562. (1927) Des romantiques à nous

Ce que j’ai fait pour les Bretons, j’aurais pu le faire pour les Gascons, les Provençaux, les Normands, les peuples de l’Ile-de-France. […] Elle constitue un fait significatif de l’histoire des peuples. […] On s’est enthousiasmé à l’idée que l’on retrouvait, par-delà les productions chères à des époques d’un goût trop aristocratique et trop policé, une littérature et un art qui, nés du « peuple » et pour le « peuple », devaient être baignés d’une humanité plus profonde. […] C’est ainsi que, des cours et des châteaux qui en avaient fait la première fortune, elle passa dans le commerce du peuple. […] Et non moins celles de la fidélité du peuple à son tsar ou de la piété religieuse.

563. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Cependant tous les peuples estiment leurs écrivains des modèles. […] Il possédait si bien la force et l’étendue de ce genre d’éloquence, qu’on eût dit un moment que lui seul était le cœur d’un peuple tout entier. […] Les peuples qui purent la régler sur la valeur des syllabes furent les peuples particulièrement favorisés des muses. […] Sophocle n’aurait pu pressentir que l’ouvrage qu’il offrait à son siècle et aux Athéniens, frapperait d’étonnement les âges et les peuples à venir. […] Il est convenu que l’action se-doit passer entre de grands personnages dont le sort, influant sur celui des peuples, la revêt d’une majesté imposante.

564. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — II » pp. 161-173

Le peuple n’était ni joyeux ni triste. […]  [NdA] De manière à ce que… C’est parler comme le peuple. Mais pourquoi ne pas parler comme le peuple, là où le peuple marque une nuance que les grammairiens suppriment et ne sentent pas ?

565. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Dieu, le Dieu des catholiques, l’intéresse ; aussi le peuple pour sa spontanéité, sa liberté. […] » au peuple : « Il te faut marcher… en montrant la trique et les dents. » — « Pourquoi ne pas descendre des faubourgs en agitant vos bannières de charité, en avançant les reliques de vos saints légendairement fraternels, en imposant, dans les feux de l’ostensoir, le corps du Christ ? […] Leurs âmes de trafic éperdues déserteraient peut-être la lutte… La force du peuple est là, dans l’alliance avec Dieu. » Un anarchisme catholique, voilà au juste la tendance et le goût de Paul Adam. […] Une voix amie lui dit : Renonce au peuple, Karl, tu veux sauver les papillons du feu, tu les retiens de force, il n’y a que leur expérience qui sera capable de les instruire.

566. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 35, de l’idée que ceux qui n’entendent point les écrits des anciens dans les originaux, s’en doivent former » pp. 512-533

Les peuples septentrionnaux peuvent-ils être aussi sensibles à toutes les autres figures qui peignent la douceur de l’ombre et de la fraîcheur, que le sont les peuples qui habitent des païs chauds, et pour qui toutes ces images furent inventées. […] Je ne pense pas que ce soit par prévarication, et j’accuse seulement les critiques de n’avoir point assez de connoissance des moeurs et des usages des differens peuples, pour juger quelles figures ces moeurs et ces usages autorisent ou n’autorisent pas dans un certain poëte. […] Ma reflexion est d’autant plus vraïe, qu’on ne sçauroit apprendre une langue sans apprendre en même-temps plusieurs choses des moeurs et des usages du peuple qui la parloit, ce qui donne une intelligence des figures et de la poësie du stile d’un auteur, laquelle ceux qui n’ont pas ces lumieres ne sçauroient avoir.

567. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

À ce titre seul, nous avions reconnu le problème du temps présent, la chimère dit siècle, comme disait saint Bernard, — car les littératures font beaucoup de théories sociales, lorsque les peuples ont relâché ou brisé tous les liens sociaux, absolument comme on écrit des poétiques, lorsque le temps des poëmes épiques est passé, — et il était curieux de savoir comment le prêtre avait remué, à son tour, le problème vainement agité si longtemps par les philosophes. […] Les peuples vigoureux et purs ont des livres sévères comme de fermes législations. […] Il est évident, en effet, qu’au-dessous de toute cette battologie philosophique, l’auteur de la Nature des sociétés humaines ne sait pas ce qu’on doit entendre par ce mot de société dont il se sert, et qu’il en confond la notion métaphysique avec la notion historique des différents peuples qui se sont agités sur la terre et se sont efforcés de réaliser cet idéal de société qui, pour l’incrédule, n’est qu’une ironie et pour le chrétien qu’une aspiration ? […] Certainement, nous ne croyons pas que M. l’abbé Mitraud puisse méconnaître l’unité de la tradition sociale, plus ou moins violée chez tous les peuples, moins un, qui ont précédé le christianisme, et qu’il ne sache pas tirer la conclusion forcée, inévitable, de ce fait immense, qu’avant J.

568. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Les Mémoires de Saint-Simon » pp. 423-461

Mais je ne parle que de portraits et il y a bien autre chose chez lui, il y a le drame et la scène, les groupes et les entrelacements sans fin des personnages, il y a l’action ; et c’est ainsi qu’il est arrivé à ces grandes fresques historiques parmi lesquelles il est impossible de ne pas signaler les deux plus capitales, celle de la mort de Monseigneur et du bouleversement d’intérêts et d’espérances qui s’opère à vue d’œil cette nuit-là dans tout ce peuple de princes et de courtisans, et cette autre scène non moins merveilleuse du lit de justice au Parlement sous la Régence pour la dégradation des bâtards, le plus beau jour de la vie de Saint-Simon et où il savoure à longs traits sa vengeance. […] Il ne faut pas demander à Saint-Simon de penser au peuple dans le sens moderne ; il ne le voit pas, il ne le distingue pas de la populace ignorante et à jamais incapable. Reste la bourgeoisie qui fait la tête de ce peuple et qu’il voit déjà ambitieuse, habile, insolente, égoïste et repue, gouvernant le royaume par la personne des commis et secrétaires d’État, ou usurpant et singeant par les légistes une fausse autorité souveraine dans les parlements. […] Il s’indigne donc de voir que cette noblesse française si célèbre, si illustre, est devenue un peuple presque de la même sorte que le peuple même, et seulement distingué de lui en ce que le peuple a la liberté de tout travail, de tout négoce, des armes même, au lieu que la noblesse est devenue un autre peuple qui n’a d’autre choix que de croupir dans une mortelle et ruineuse oisiveté qui la rend à charge et méprisée, ou d’aller à la guerre se faire tuer à travers les insultes des commis des secrétaires d’État et des secrétaires des intendants. […] Et enfin cela était-il d’accord avec le génie de la nation, avec le génie de cette noblesse même qui aimait à sa manière à être un peuple, un peuple de gentilshommes ?

569. (1831) Discours aux artistes. De la poésie de notre époque pp. 60-88

D’ailleurs les grandes métamorphoses de l’Humanité ne se font pas si vite qu’il ne reste longtemps des masses d’hommes et des peuples entiers aux défenseurs des religions déchues : si la France leur échappe, il leur reste l’Espagne, la Belgique, l’Irlande : ainsi, quand les villes échappaient aux dieux du Paganisme, les habitants des bourgs devinrent les païens. […] Semblables donc à ces Doctrinaires qui prirent la Restauration pour les bornes du monde, et qui arrangèrent la philosophie exprès pour elle, les poètes semblèrent pendant longtemps faire de la poésie, non pour le Peuple, non pour l’Humanité, mais pour la Restauration. […] Ils en furent les soutiens comme des artistes, amants de la gloire et du beau, et par ce côté-là aimant déjà le Peuple ; reliant d’ailleurs, dans leurs idées religieuses, le pouvoir temporel à la bonté céleste, soumettant le devoir et la grandeur des rois à la charité du Christianisme. […]  » Veux-tu que le peuple aille habiter avec toi dans des tombeaux ? […] Puisque tout est doute aujourd’hui dans l’âme de l’homme, les poètes qui expriment ce doute sont les vrais représentants de leur époque ; et ceux qui font de l’art uniquement pour faire de l’art sont comme des étrangers qui, venus on ne sait d’où, feraient entendre des instruments bizarres au milieu d’un peuple étonné, ou qui chanteraient dans une langue inconnue à des funérailles.

570. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre IX. Du vague des passions. »

Plus les peuples avancent en civilisation, plus cet état du vague des passions augmente ; car il arrive alors une chose fort triste : le grand nombre d’exemples qu’on a sous les yeux, la multitude de livres qui traitent de l’homme et de ses sentiments, rendent habile sans expérience. […] Les femmes, indépendamment de la passion directe qu’elles font naître chez les peuples modernes, influent encore sur les autres sentiments.

571. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Elle s’est convaincue que s’il est possible d’opprimer le peuple, on ne peut l’écraser, et que le soulèvement révolutionnaire des classes inférieures est une suite de l’injustice des grands. […] Au contraire, Schiller, qui, entre nous, était bien plus un aristocrate que moi, mais qui bien plus que moi pensait à ce qu’il disait, Schiller avait eu le singulier bonheur de passer pour l’ami tout particulier du peuple. […] J’étais pleinement convaincu que toute révolution est la faute non du peuple, mais du gouvernement. […] Ce qui serait un aliment bienfaisant pour un peuple d’un certain âge sera peut-être un poison pour un autre. […] Si, au contraire, il y a chez un peuple besoin réel d’une grande réforme, Dieu est avec elle, et elle réussit.

572. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre onzième »

Rousseau, consulté comme législateur par les peuples, était appelé comme pédagogue par les familles. […] Rousseau faisait des constitutions pour les peuples et des plans d’éducation pour les pères de famille, les particuliers sollicitaient de lui des règles de conduite pour leur profession. […] Désirer l’union d’un peuple en une seule famille, l’union des nations en un seul peuple, faire de l’État un père et de tous les citoyens des enfants entre lesquels sa main partage également les fruits du travail commun, tout cela met en paix l’utopiste sur ce qu’il a négligé de faire pour répandre un peu de bonheur autour de lui. […] Les peuples que Rousseau y a vus sont des peuples forts ; on n’y connaît que des droits, et dans les conventions qu’ils veulent bien faire, on ne stipule que des libertés et l’on oublie l’obéissance. […] Au lieu d’en tracer des tableaux passionnés, c’est sous les formes pacifiques de la spéculation qu’il les déshonore et les livre à la haine des peuples.

573. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

La langue de ton peuple, ô Grèce ! […] Les parchemins sacrés pourriront dans les livres ; Les marbres tomberont comme des hommes ivres, Et la langue d’un peuple avec lui s’éteindra. […] On eût dit un portrait de la débauche antique, Un de ces soirs fameux, chers au peuple romain, Où, des temples secrets, la Vénus impudique Sortait échevelée, une torche à la main. […] Omnia vanitas , dit le Sage ; mais de toutes les vanités, la plus vaine, n’est-elle pas de vouloir semer sur le rocher, au vent d’un peuple qui ne laisse à rien le temps de germer et de mûrir ! […] Tu as été trop indifférent aux causes publiques de ta patrie et du monde, et le choc des verres t’a empêché d’entendre le choc des idées, des opinions, des partis, qui germaient, combattaient, mouraient pour la cause du bonheur ou du progrès du peuple ?

574. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Il avait remarqué dans l’histoire du monde un peuple célèbre, dont les institutions avaient quelque chose de singulier ; il a pensé que l’étude de l’histoire et des institutions de ce peuple pouvait faire naître quelques réflexions utiles ; mais, en rendant justice au savoir, au talent de plusieurs des historiens nationaux, il n’a point trouvé chez eux cette indépendance qui est la première qualité de l’historien. […] Il y avait des gouvernements à détruire, des peuples à soulever, des républiques à organiser ; tous ces agitateurs, qui se croyaient des hommes d’État, allaient offrant partout ce qu’ils appelaient leur expérience. […] Daru se retrouvait ici poète par un coin : Ce serait un triste emploi de l’érudition, disait-il, de ne la faire servir qu’à répandre des doutes sur l’histoire et à détruire ces traditions nationales qui entretiennent chez les peuples l’amour de la gloire et de la patrie… Et que peut-il y avoir d’utile, par exemple, dans les efforts de je ne sais quel érudit qui a entrepris de prouver aux Suisses que Guillaume Tell n’a jamais existé ? […] Daru, qui fait partie de ses écrits inédits, montre d’ailleurs qu’en politique il était des moins sujets aux illusions, qu’il plaçait la difficulté là où elle est en réalité, et qu’après tout il eût été médiocrement étonné de ce qui s’est vu depuis : Les peuples veulent être puissants, libres, tranquilles : ils demandent au philosophe de leur tracer un écrit qui leur garantisse tous ces droits.

575. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

De soldats, de drapeaux ; autour, un peuple immense Acclamait un héros, des combats revenu ; Tout à coup, à ces cris, du peuple solitaire Qui se tait sous la terre Je me suis souvenu. Si l’on vient sur ces bords pour voir et pour apprendre, Quelle leçon plus haute, à qui saura l’entendre, Que l’aspect saisissant de la double cité, De ce peuple brillant et de ce peuple sombre, Dans la lumière et l’ombre L’un sur l’autre porté ! […] Et cependant nos ans dans les songes s’écoulent, Et le peuple circule et les carrosses roulent, Et l’on danse, et la nuit recommence le jour, Et dans les beaux jardins à deux on se promène, Et sous la nuit sereine On se parle d’amour.

576. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français, et de la question des anciens et des modernes, (suite et fin.) »

Il ne craint pas même d’y découvrir et d’y voir une sorte de perfection morale naturelle qui ne s’est plus rencontrée depuis ; il y admire une morale primitive et populaire « qui ne se traduisait pas par des préceptes et des sentences, mais qui produisait de si grandes actions et de si grands peuples », — petits en nombre, grands par le cœur. […] L’audace et la curiosité vagabonde qui pousse l’oiseau hors du nid entraîne les peuples adolescents loin du berceau commun. […] C’est là que grandit, pour la gloire et le bonheur de l’espèce humaine, ce peuple artiste et poète qui s’éleva à la connaissance de la justice par le culte de la beauté. » Le livre de M. Ménard, tout en l’honneur de la Grèce primitive, de la Grèce religieuse et héroïque, peut se résumer en ces mots : « Aucun rêve ne fut plus beau que le sien, et aucun peuple n’approcha plus près de son rêve. » Peuple à jamais aimable, en effet, dont le caractère se marquait en tout, et dès la première rencontre !

577. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

Cet état de guerre, « qui contient et arrête les autres peuples, ouvrait au contraire au peuple anglais une sphère d’ambition sans limite et ne l’exposait presque à aucun péril. » Aussi il s’y était engagé avec tout le feu de la cupidité et de la passion. […] La nature du génie de Napoléon qui, essentiellement organisateur et unitaire, représentait la Révolution dans son principe d’égalité et de réformes civiles, mais nullement dans son essor de liberté, le porta à se dessaisir d’une arme terrible, celle de la propagande libérale et républicaine ; et dès lors, les peuples, non appelés par lui à secouer le joug, ne sentirent plus que la honte de la défaite et l’aiguillon de la vengeance. […] Évidemment, en tout ceci, il ne tenait pas assez compte de l’étoffe dont sont faits les peuples, et c’est ce qui l’abusa en 1812 lorsqu’il engagea cette lutte formidable avec son ancien allié de Tilsitt, redevenu par degrés son ennemi. […] Mais surtout il y a à étudier aujourd’hui à neuf et à fond la grande insurrection européenne de 1813 et la coalition des peuples, en se servant des nombreux documents publiés à l’étranger.

578. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre I. Composition de l’esprit révolutionnaire, premier élément, l’acquis scientifique. »

En attendant, il court en sceptique à travers les annales de tous les peuples, tranche et retranche légèrement, trop vite, avec excès, surtout lorsqu’il s’agit des anciens, parce que son expédition historique n’est qu’un voyage de reconnaissance, mais avec un coup d’œil si juste que, de sa carte sommaire, nous pouvons garder presque tous les contours. […] Encore aujourd’hui trois de ces Codes, ceux de l’Inde, de la Chine et des musulmans, gouvernent des contrées aussi vastes que notre Europe et des peuples qui nous valent bien. N’allons pas, comme Bossuet, « oublier l’univers dans une histoire universelle », et subordonner le genre humain à un petit peuple confiné dans un canton pierreux auprès de la mer Morte342. […] Tel est le régime physique, selon que le peuple est chasseur, pasteur ou agriculteur. […] Remarques de l’Essai sur les mœurs : « On peut parler de ce peuple en théologie, mais il mérite peu de place en histoire. » — Entretiens entre A, B, C, 7 e entretien.

579. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre II. L’éloquence politique »

Il était égalitaire, contre la cour et la noblesse ; absolument indifférent et irréligieux, sans hostilité contre les prêtres ; aristocrate, en face du peuple, moins par conviction politique que par répugnance d’homme bien élevé. […] Dès qu’il ouvre la bouche, Napoléon est orateur ; car il règle sa parole pour enlever à ceux à qui il parle, individus ou peuples, contemporains ou postérité, la liberté de leur jugement, pour asservir leurs esprits ou leurs volontés. Mais là où cette puissante faculté oratoire apparaît le mieux, c’est dans les proclamations nombreuses qu’il adresse aux soldats et au peuple français, depuis la première campagne d’Italie jusqu’après Waterloo. […] Et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi. » Le fond est ce qu’il faut qu’il soit : des idées nettes, simples, immédiatement accessibles, des sentiments communs, réels, immédiatement évocables ; l’honneur, la gloire, l’intérêt ; de vigoureux résumés des succès et des résultats obtenus, de rapides indications des résultats et des succès à poursuivre, des communications parfois qui semblent associer l’armée à la pensée du général et la flattent du sentiment d’être traitée en instrument intelligent : toutes les paroles qui peuvent toucher les ressorts de l’énergie morale, sont là, et sont seules là. […] On se sent tout près de Hugo, bien plus près de Hugo que des Montagnards et du Conciones quand on lit des phrases comme celles-ci : « La victoire marchera au pas de charge ; l’aigle… volera de clocher en clocher jusqu’aux tours de Notre-Dame. » Ou bien : « J’en appelle à l’histoire : Elle dira qu’un ennemi qui fit vingt ans la guerre au peuple anglais, vint librement, dans son infortune, chercher un asile sous ses lois… Mais comment répondit l’Angleterre à une telle magnanimité ?

580. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Il faut lire là-dessus le chapitre xix du livre V, intitulé « Caractère du peuple françois et du gouvernement de ses rois », pour avoir de Commynes et de son esprit politique toute l’estime qu’il mérite. […] Il a remarqué que, de toutes les seigneuries du monde dont il a connaissance, celle où la chose publique est le mieux traitée, où règne le moins de violence sur le peuple, même en temps de guerre civile, c’est l’Angleterre. Ainsi, dans les luttes sanglantes des Deux-Roses, les malheurs de la guerre frappaient sur les nobles bien plus que sur le peuple et les gens des communes. […] Le malheur de la France est qu’un tel gouvernement n’ait pas été constitué régulièrement quand le peuple était bon, les Communes consistantes, les grands corps de l’État animés d’un esprit de tradition, et la vitalité du royaume en son entier. […] On reconnaît là l’homme qui a couché de longues années, comme chambellan, dans leur chambre, qui a assisté à leurs insomnies et à leurs mauvais songes, et qui, depuis la fleur de leur âge jusqu’à leur mort, n’a pas surpris dans ces destinées si enviées un seul bon jour : Ne lui eût-il pas mieux valu, dit-il de Louis XI, à lui et à tous autres princes, et hommes de moyen état qui ont vécu sous ces grands et vivront sous ceux qui règnent, élire le moyen chemin… : c’est à savoir moins se soucier et moins se travailler, et entreprendre moins de choses ; plus craindre à offenser Dieu et à persécuter le peuple et leurs voisins par tant de voies cruelles, et prendre des aises et plaisirs honnêtes ?

581. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « La Fontaine. » pp. 518-536

Racine s’appuyait sur l’Écriture qui parle du choix que le peuple juif voulut faire d’un roi en la personne de Saül, et de l’autorité que ce roi avait sur son peuple. […] Cette manière de l’entendre est étroite et bien peu poétique ; et si, parlant auprès des grands et des puissants, il ne retenait pas la leçon qui lui échappait sur eux, il songeait certes encore moins à flatter le peuple, ce peuple d’Athènes qu’il appelle quelque part l’« animal aux têtes frivoles ». […] [NdA] On peut la lire en entier dans le 1er numéro du journal Le Conseiller du peuple, janvier 1850, p. 7, ou dans la première préface des Méditations (1849), de l’édition commentée par M. de Lamartine ; la même opinion est reproduite dans Les Confidences.

582. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Il y a deux faits principaux auxquels on peut ramener la démocratie : l’égalité des conditions et la souveraineté du peuple. […] Il y a même eu d’autres États où le peuple était considéré comme souverain, mais où il n’est intervenu qu’une fois pour décerner à un seul le pouvoir absolu, ne se réservant plus rien pour lui-même. […] « Les institutions communales, disait-il, sont à la liberté ce que les écoles primaires sont à la science : elles la mettent à la portée du peuple, elles lui en font goûter l’usage paisible et l’habituent à s’en servir. » Il conseillait donc de reprendre les choses par la base et d’assurer le sous-sol, au lieu de construire des édifices magnifiques qui tombent par terre l’un après l’autre avec fracas après les plus belles promesses. […] Tandis que les écoles démocratiques et humanitaires s’enivraient elles-mêmes de leurs rêves et de leurs formules, croyant que les mots d’avenir, de progrès, de peuple, répondent à tout, tandis qu’elles confondaient l’égalité avec la liberté et s’imaginaient que l’une est toujours le plus sûr garant de l’autre, Tocqueville démêlait avec précision ces deux objets. Il montrait qu’ils ne sont pas toujours en raison directe l’un de l’autre, que l’esprit d’égalité n’a rien à craindre, qu’il est irrésistible, qu’il trouve toujours à gagner, même dans ses défaites, que les gouvernements ont intérêt à l’encourager et à le satisfaire, que, soutenue par la passion des peuples et l’intérêt des souverains, l’égalité fera son chemin quand même et par la force des choses, qu’enfin le vrai problème ne consiste pas à chercher si l’on aura l’égalité, mais quelle sorte d’égalité on aura.

583. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (2e partie) » pp. 315-400

J’ai consacré au peuple et à son enseignement ma vie entière, pourquoi ne lui construirais-je pas aussi un théâtre ? […] Je ne sais pas avoir jamais péché contre le peuple, mais maintenant, c’est décidé, une fois pour toutes ; je ne suis pas un ami du peuple ! […] Mais pour cela, ne suis-je pas un ami du peuple ? […] Est-ce que je sers un de ces hommes qui ne vivent que pour leurs plaisirs en les faisant payer à un peuple ? […] Le serviteur d’une grande cause : le bien de son peuple !

584. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

le peuple le bafoue, le chasse ; le peuple entend la voix du poète, et l’acclame, triomphalement… Beckmesser, pourtant, est satisfait ; dans un mémoire pour l’Institut, il a prouvé la folie de Walther ; et Pogner, par déférence, lui a laissé la dot d’Eva. […] La civilisation allemande, au contraire, aura l’avenir, parce que, reposant sur la conscience du peuple, elle se fondera par l’art allemand, que le peuple comprendra. […] L’Allemagne est le seul pays où l’art puisse s’adresser à son véritable destinataire, le peuple. […] L’art est donc cette forme de religion qui élève le peuple, de la pratique inintelligente, à la pratique raisonnée et sachante. […] Ne pourrait-il avoir entre le peuple même et l’artiste sincère, entre le réalisme et l’idéalisme, une entente plus parfaite que par le passé ?

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