Cowper a le goût plus hardi et plus original que sûr. […] Il y mêla et y fit entrer avec adresse quelques parties plus gaies et d’une satire assez amusante, qu’il tâcha d’accommoder au goût du monde. […] Littérairement, son goût était sain et sûr : Elle est si bon critique, non par théorie, mais par nature, disait Cowper, et elle a un sentiment si net de ce qui est bon ou mauvais dans une composition, que lorsque dans le doute je lui soumets (ce qu’en pareil cas je ne manque jamais de faire) deux sortes d’expression qui semblent avoir également droit à ma préférence, elle se décide, sans que je l’aie jamais vue se tromper, pour la plus droite et la meilleure. […] — À cette heure où, entrant dans une veine de composition nouvelle, il prenait véritablement possession de tout son talent, et où, comme il le disait d’un mot, le rejeton était devenu un arbre (« fit surculus arbos »), Cowper rappelait, avec l’orgueil d’un auteur ayant conscience de son originalité, qu’il y avait treize ans qu’il n’avait point lu de poète anglais, et vingt ans qu’il n’en avait lu qu’un seul, et que, par là, il était naturellement à l’abri de cette pente à l’imitation que son goût vif et franc avait en horreur plus que toute chose : « L’imitation, même des meilleurs modèles, est mon aversion, disait-il ; c’est quelque chose de servile et de mécanique, un vrai tour de passe-passe qui a permis à tant de gens d’usurper le titre d’auteur, lesquels n’auraient point écrit du tout s’ils n’avaient composé sur le patron de quelque véritable original. » C’est ainsi qu’en se créant tout à fait à lui-même un style selon ses pensées et une forme en accord avec le fond, ce solitaire sensible et maladif, ingénieux et pénétrant, a été l’un des pères du réveil de la poésie anglaise. […] Aucun sopha alors ne m’attendait à mon retour, et je n’avais point besoin de sopha alors ; la jeunesse répare la dépense de ses esprits et de ses forces en un rien de temps ; par un long exercice elle n’amasse qu’une courte fatigue ; et quoique nos années, à mesure que la vie décline, s’enfuient bien rapidement et qu’il n’y en ait point une seule qui ne nous dérobe en s’en allant quelque grâce de jeunesse que l’âge aimerait à garder, une dent, une mèche brune ou blonde22, et qu’elle blanchisse ou raréfie les cheveux qu’elle nous laisse, toutefois le ressort élastique d’un pied infatigable qui monte légèrement le degré champêtre où qui franchit la clôture ; ce jeu des poumons, cette libre et pleine inhalation et respiration de l’air qui fait qu’un marcher rapide ou qu’une roide montée ne sont point une fatigue pour moi ; tous ces avantages, mes années ne les ont point encore dérobés ; elles n’ont point encore diminué mon goût pour les belles vues naturelles ; ces spectacles qui calmaient ou charmaient ma jeunesse, maintenant que je ne suis plus jeune, je les trouve toujours calmants et toujours ayant le pouvoir de me charmer.
Des Essais de lui, « dans le goût de ceux de Montaigne », qui furent imprimés en 1785 (retouchés, il est vrai, par M. de Paulmy son fils), le firent connaître par des côtés plus variés et plus littéraires. […] Sérieux au fond, ayant des goûts à lui et qui parurent bientôt très prononcés, aimant les lectures de toutes sortes, l’histoire, les estampes et l’instruction qu’elles procurent sur les mœurs du temps passé, jugeant sainement des choses et des hommes qu’il avait sous les yeux, et soucieux de l’amélioration de l’espèce dans l’avenir, il fut de tout temps très naturel, au risque même de ne point paraître essentiellement élégant ni très élevé, il avait en lui un principe de droiture et le sentiment de la justice qu’il cultiva et fortifia sans cesse, loin de travailler à l’étouffer. […] Celui-ci opposait qu’il n’était point harangueur, qu’il n’avait jamais prononcé d’arrêt en public, et d’autres raisons encore ; puis il ajoutait pour lui : « Sans doute que nos deux premiers ministres (car c’est de la sorte qu’il qualifiait alors M. de Chauvelin conjointement avec le cardinal de Fleury) ne m’ayant encore connu principalement que touchant les démêlés parlementaires dont je raisonne avec application, le temps présent ne nous offrant meilleur champ, ils s’imaginent que c’est là le fort de ma capacité, et se trompent. » D’Argenson n’eut même d’abord la perspective de quelques fonctions diplomatiques et de quelque ambassade (bien avant celle de Portugal où il n’alla jamais) que dans cette vue éloignée de la première présidence du Parlement : « Si l’on vous employait en quelques négociations étrangères, et de peu d’années, lui disait M. de Chauvelin, au sortir de cela vous seriez bien enhardi. » Depuis la clôture de l’Entre-sol, d’Argenson avait toujours l’idée de renouer et de continuer ailleurs avec quelques amis, parlementaires pour la plupart, des conférences sur le droit public, sur les matières politiques : c’était son goût dominant. […] Quoique ce ne fût véritablement pas un homme ambitieux que mon père, cependant le diable le berçait sans qu’il s’en aperçût ; il cheminait volontiers sur les voies de faire sans songer à faire, et à mesure que le goût des bagatelles diminue dans de tels esprits, ils vont jusqu’à s’ennuyer de tout ce qui n’est pas chemin de fortune. […] Au reste il était gaillard, d’une bonne santé, donnant dans les plaisirs sans crapule ni obscurité ; la meilleure compagnie de la province le recherchait ; il buvait beaucoup sans s’incommoder, avait affaire à toutes les femmes qu’il pouvait, séculières ou régulières, un peu plus de goût pour celles-ci, camuses ou à grand nez, grasses ou maigres ; il disait force bons mots à table, il était de la meilleure compagnie qu’on puisse être.
La femme est bien de sa date et aussi de sa condition : il y a mélange et conflit en elle ; elle a le goût des beaux sentiments, des grands sentiments, un peu de mélancolie, de la métaphysique ; elle lit les romans du jour, George Sand et Balzac. […] Marie y prend goût, mais par esprit, par curiosité plus que par tendresse. […] « Si vous n’aviez pas cette noblesse de goût qui vous rend si charmante, je n’aurais pas le désir de vous plaire. » Il est très-amoureux, pas assez pour faire des folies ni pour rien brusquer. […] Un jour donc que Marie questionnait Michel, et le questionnait sur toute chose humaine ou divine, — car il entre évidemment beaucoup plus de curiosité que d’amour dans son goût pour lui, — Michel, interrogé, répond : « Marie, je n’ai pas tout vu, quoique je sois fort curieux ; je n’ai pas tout analysé ; je n’ai pas tout nié, Dieu merci ! […] Il avait bien, on le voit, à l’origine et par goût, l’aristocratie du talent.
Ce qui est à remarquer de bonne heure dans les plus anciennes productions de nos voisins, c’est comme le caractère saxon tient ferme et résiste en matière de langue et de littérature, de même que pour la Constitution politique ; il conserve ses goûts, ses traditions, son accent et son vocabulaire sous les couches brillantes superficielles. […] Ici, l’homme de science et l’homme de verve ont à se garder de donner quelque fatigue à l’homme de goût. […] Mais que de grâce, que de goût, quelle promptitude à sentir, quelle justesse et quelle perfection en exprimant ! […] Vers l’âge de seize ans son goût était formé, disait-il, autant qu’il le fut plus tard. […] Il eut de bonne heure du goût pour Homère et le lisait dans l’original ; après Virgile, c’était Stace entre les Latins qu’il aimait le mieux.
Le mieux serait assurément de tout concilier, de garder du passé les vues justes, les pensées ingénieuses et sensées, nées d’un premier et d’un second coup d’œil, impressions de goût qu’on ne remplacera pas, et d’y joindre les aperçus que suggèrent les faits nouveaux, d’accroître ainsi le trésor des jugements, sans en détruire une partie à mesure qu’on en construit une autre ; mais cette sagesse est rare ; la mesure n’est la qualité et le don que de quelques-uns. […] L’homme de goût est tout le contraire, et s’il paraît décisif, c’est que le goût aussi, dans ses décisions, n’hésite pas. […] Ces gens de goût de la génération précédente le remarquaient et se le disaient entre eux. […] La Bruyère a célébré une femme charmante, et il l’a fait avec d’autant plus de plaisir et de goût qu’elle était plus maltraitée par l’opinion.
Elle est exactement correspondante pour le goût aux Entretiens de Fontenelle sur la pluralité des mondes, à la peinture de Watteau et de Lancret. […] C’est d’abord à propos de l’amour, de l’amitié, que ce goût s’exerce : puis la philosophie inonde les esprits ; à la place de l’amour de Dieu, elle met l’amour de l’humanité ; à la place de la nature corrompue, elle offre la nature toute bonne. […] Ce qui semble rester, c’est un peu plus de largeur dans la conception du genre, et le droit de pousser l’impression jusqu’au sentiment et au pathétique ; ici encore on pourrait dire que Voltaire a exprimé la moyenne du goût de son temps. […] C’est sur ces scènes de la Foire, et précisément en raison de leur humilité qui les soustrait aux lois de la littérature, que paraissent les premiers indices d’un goût nouveau, les premiers essais d’une représentation plus exacte des « milieux », des formes extérieures et des instruments matériels de la vie : dans cette voie, la Comédie Française alla à la remorque de l’opéra-comique et des Italiens. […] L’opéra-comique, à son heure, satisfit le goût du public pour la précision du décor et du costume ; eu le satisfaisant, il le fortifia et l’excita.
On y retrouve pour ainsi dire l’homme aux goûts simples qui, dans sa jeunesse, étudiait et écrivait au milieu des forêts et des prairies, qu’on ne voyait jamais dans les rues de Bayreuth sans une fleur sur sa poitrine, et que ses biographes nous peignent travaillant et méditant dans un coin de la même chambre où sa mère, sa pauvre et humble mère, se livrait activement aux travaux du ménage, soignant le feu de son poêle et faisant sa cuisine, sans que le bruit des occupations domestiques parût troubler son fils, pas plus que le roucoulement des pigeons qui voltigeaient dans cette chambre. […] Un homme d’un goût délicat et qui passe sa vie à étudier la littérature française et les littératures étrangères, M. […] Après cela, mille causes accessoires y ont concouru : on a pris goût au style poétique de la Bible, qui était pour Voltaire un sujet d’ineffables risées ; on a pris goût aux littératures étrangères ; on a étudié l’Orient ; on a eu besoin d’émotions nouvelles ; le sentiment de la liberté et de l’individualisme s’est montré partout, s’est appliqué à tout ; enfin on retrouve ici, comme dans mille autres questions, l’influence de tout ce qui compose ce qu’on appelle l’esprit du siècle. […] Ces divergences de goût ne viendraient-elles pas en partie de ce que l’allégorisme rend nécessaire qu’on se familiarise avec le style des écoles diverses et de chaque poète en particulier ?
L’essentiel pour la critique, pour celle dont nous parlons, tout active et pratique, est bien moins encore d’avoir une science profonde des choses que d’en ressentir vivement, d’en inspirer le goût, et de le retrouver autour de soi. […] Il avait pris le goût du théâtre dans une maison où il avait été quelque temps précepteur. […] Ceux mêmes qui seraient le plus faits pour être les oracles du goût, ont je ne sais quelle lâcheté dans le jugement. […] Les sujets qui convenaient le plus à ses habitudes et à ses goûts, et dans lesquels il réussissait le mieux, étaient ceux qui avaient trait à la société du xviiie siècle. […] Dans cette vie doucement occupée et où le travail lui-même ne semblait qu’un ornement du loisir, sans autre ambition que celle de cultiver ses goûts et ses amitiés, M. de Féletz, en vieillissant, arriva tout naturellement aux honneurs littéraires.
Il eut, dès le collège, des succès brillants, et montra des goûts déjà académiques : il avait reçu, comme en naissant, un sentiment littéraire très prononcé. […] Arrivé à Paris et accueilli, comme je l’ai dit, par M. de Boze, qui se l’associa pour le Cabinet des médailles et le fit entrer à l’Académie des inscriptions, il dut s’assujettir, sous ce maître minutieux, à bien des soins exacts et pleins d’ennui ; mais rien ne rebute de ce qui est dans le sens d’une passion, et Barthélemy avait pour les médailles une passion véritable, quelque chose de ce feu sacré qui s’applique à tant d’objets différents, et qui est bien connu de tous ceux que possède une fois le goût des collections. […] Il saura bien apprécier et distinguer telles ou telles antiques et les jolies statues dans le goût de Moschus, mais son récit ne nous les montrera pas. […] Il veut une amitié toute sincère, toute vertueuse, et fondée sur le goût de l’honnête : Il faut, dit-il, dans l’amitié, non une ferveur passagère ou d’imagination, mais une chaleur continue et de raison. […] Il était de ces âmes modérées et sensibles, qui, à travers des études lentes et patientes, et un goût d’enjouement social et de plaisanterie familière très prononcé, ont en elles une veine de tendresse, et qui, aux heures de rêverie, se nourrissent volontiers d’un passage d’Euripide, de Racine et de saint Augustin.
Il se produisit, à ce moment, un phénomène assez singulier : sur la fin et comme à l’arrière-saison d’un siècle si riche par l’ensemble et la réunion des plus belles facultés de l’esprit et de l’imagination, on vit paraître plusieurs hommes distingués, et quelques-uns même éminents par certaines parties de l’intelligence, mais notablement privés et dénués d’autres facultés qui se groupent d’ordinaire pour composer le faisceau de l’âme humaine : — Fontenelle en tête, le premier de tous, une intelligence du premier ordre, mais absolument dénué de sensibilité ; La Motte, l’abbé Terrasson, qui l’un et l’autre, avec l’esprit très perspicace sur bien des points, raisonnaient tout à côté comme s’ils étaient privés de la vue ou du goût, de l’un des sens qui avertissent. […] Il n’avait eu de goût, dans ses études, que pour la philosophie, et dans la philosophie d’abord que pour la physique, qui y était alors comprise. […] Mais la mort de ses parents le laissant maître de suivre ses goûts, « et persuadé, nous dit Fontenelle, qu’il n’y avait pas de meilleur séjour que Paris pour des philosophes raisonnables », il y vint habiter et se logea au faubourg Saint-Jacques, dans ce qu’il appelait sa cabane, avec son ami Varignon, à qui il constitua une rente de 300 livres par contrat, pour qu’il fût bien établi que des deux amis l’un ne dépendait pas de l’autre. […] Il allait aussi chez Mme de La Fayette et prenait goût dès lors au commerce des femmes, qui se montrent souvent plus patientes à écouter que les hommes.
L’enseignement de l’Université, qui est certainement plus régulier, plus solide, plus discipliné, a l’inconvénient d’être trop uniforme et de laisser trop peu de place au goût individuel soit du professeur, soit de l’élève. […] Le goût y est moins pur, les méthodes y sont moins sévères ; mais la superstition littéraire du xviie siècle y est moindre. […] Un tel genre de vie anéantit l’esprit faible, mais donne une singulière énergie à l’esprit capable de penser par lui-même. » Ses premiers doutes lui vinrent à Issy, et ils lui arrivèrent par les études naturelles, par les sciences, pour lesquelles il se sentait du goût, et qu’il commençait à cultiver. […] Il n’a aucun goût pour l’étude abstraite, pour l’idée en elle-même, séparée comme un fruit de sa tige et considérée isolément ; il n’a de confiance qu’en l’histoire, en l’histoire vue dans sa suite, dans son étendue, une véritable histoire humaine comparée.
Nous ne cesserons, nonobstant toute avanie, de croire obstinément à la vie cachée, aux muses secrètes et à cette élite des honnêtes gens et des gens de goût qui se rend trop invisible à de certaines heures, mais qui se retrouve pourtant quand on lui fait appel un peu vivement et qu’on lui donne signal. La prétention de la Revue des Deux Mondes (et cette prétention avouée vient de conscience bien plutôt que d’orgueil) serait de relever, autant qu’il se peut, ce phare trop souvent éclipsé, et de maintenir publiquement certaines traditions d’art, de goût et d’études : tâche plus rude parfois et plus ingrate qu’il ne semblerait. […] Vauvenargues a dit qu’il faut avoir de l’âme pour avoir du goût. […] Parler trop longtemps de ces choses, ou seulement en connaître, c’est déjà par malheur y tremper ; c’est violer soi-même le goût, prêter à son tour l’oreille au Cyclope ; c’est peut-être faire la police des lettres, mais à coup sûr en corrompre en soi la jouissance. » Telle était ma pensée d’alors, telle aujourd’hui et plus confirmée elle est encore, à l’aspect de ce que nous voyons.
« Les fables de La Fontaine, dit-il, me paraissaient à la fois puériles, fausses et cruelles, et je ne pus jamais les apprendre par cœur. » Cela me rassure de voir que M. de Lamartine n’ait jamais eu de goût pour La Fontaine, et dès lors je me confirme dans mon secret jugement. […] Et, par exemple, sans sortir des Confidences, dans l’ordre des choses de goût et de sentiment, que fait M. de Lamartine quand il nous parle de sa mère ? […] « Il faut avoir de l’âme pour avoir du goût », a dit Vauvenargues ; mais, comme l’âme ne saurait être mise en doute dans un pareil sujet, je me contente de dire que cette violation du goût et de la bienséance tient à un manque de justesse première que l’éducation n’a rien fait pour corriger.
Tout cela, bon ou mauvais, eut sur le goût public une influence précise. […] Émile Faguet, d’une pureté absolument classique, avec le goût des images justes et le don de les trouver toujours sans effort. » Les certificats de M. […] On peut goûter le vers libre déjà réalisé et avec foi dans son avenir ; mais ce goût ne se transmet encore que difficilement à l’oreille commune, et j’avoue que l’on manque de raisons convaincantes pour légitimer cette foi, qui est la mienne. […] Si la poésie née du symbolisme donne les fruits que nous devons en attendre encore, si un théâtre de poésie neuve forme l’oreille du public, si les essais critiques qui se poursuivent actuellement sur l’essence et le rythme du vers français continuent eux aussi à assurer et à affiner le sens poétique, jamais plus riche matière n’aura été offerte à l’exercice du goût conscient et aux délicatesses de l’analyse.
Je ne parle point des défauts de goût, des citations multipliées d’Homère, de la fureur d’exagérer, d’un luxe d’érudition qui retarde la marche fière et libre de l’éloquence, et annonce plus de lecture que de génie ; ce sont là les défauts du siècle plus que de l’orateur : mais il en a d’autres qui lui sont personnels. […] Il nous reste encore un panégyrique dans cette langue, prononcé en l’honneur de Julien ; on y trouve de la noblesse dans les sentiments, quelques belles idées, et des défauts de goût. […] Nous savons par l’histoire quels furent son caractère et ses goûts. Passionné pour les Grecs, nourri jour et nuit de la lecture de leurs écrivains, enthousiaste d’Homère, fanatique de Platon, avide et insatiable de connaissances ; né avec ce genre d’imagination qui s’enflamme pour tout ce qui est extraordinaire ; ayant de plus une âme ardente, et cette force qui sait plus se précipiter en avant que s’arrêter ; d’ailleurs, accoutumé dès son enfance à voir dans un empereur chrétien le meurtrier de sa famille, et, dans le fond de son cœur, rendant peut-être la religion complice des crimes qu’elle condamne ; placé entre l’ambition et la crainte, inquiet sur le présent, incertain sur l’avenir ; ses goûts, son imagination, son âme, les malheurs de sa famille, les siens, tout semblait le préparer d’avance à ce changement qui éclata dans la suite.
Florence, séjour et berceau de tous les arts, cultiva, dans les orages de sa liberté, l’éloquence et les lettres avec succès ; mais depuis que la Toscane n’est plus gouvernée par ses lois, Florence a plutôt conservé le goût des arts que leur génie ; elle honore la mémoire de ses grands hommes, et n’en produit pas de nouveaux. […] Plusieurs figures animaient par leur mouvement cette décoration ; le Génie ardent et les ailes déployées ; une Minerve douce et austère, et qui mêlait le goût à ta fierté ; l’Étude méditant et dans un repos actif, la proportion légère marquée par une des Grâces ; l’âme de Michel-Ange sous l’emblème d’un génie céleste, s’élevant et semblant se perdre et se confondre dans des flots de lumière ; plus loin l’Envie ceinte de serpents, une vipère à la main, voulant vainement exhaler son poison sur la Gloire ; et la Haine enchaînée qui se débattait, qui cherchait, en frémissant, à se relever, et retombait sous ses fers. […] D’ailleurs, ma muse acquitte un devoir ; elle rend ce qu’elle doit à la vertu, à la patrie, au genre humain, à la nature immortelle et souveraine qui lui a donné, comme à sa prêtresse, la charge honorable de chanter des hymnes en l’honneur de tout ce qu’elle forme de grand et de beau dans l’univers. » On voit quel est le ton et la noblesse de ces éloges ; la vigueur d’âme qui y règne, vaut bien notre délicatesse et notre goût. Ce goût, si nécessaire, mais quelquefois si incertain, est la faux qui retranche, mais n’est pas la sève qui fait produire.
Lorsqu’on lui parlait, il se sentait étourdi comme si plusieurs personnes lui parlaient à la fois… Il ne reconnaissait ni le goût ni l’odeur des mets, et ne distinguait pas les objets au toucher, les yeux fermés. […] Le tact était peu troublé, à part ce que j’ai signalé tout à l’heure ; le goût, moins encore ; il y avait une hyperesthésie de l’odorat qui a persisté, mais qui n’a jamais été excessive comme celle de l’ouïe et de la vue. […] En effet, les sensations constituantes du moi étaient autres, et par suite les goûts, désirs, facultés, affections morales étaient différents.
Quand, au xixe siècle, on réédite et l’on commente les Caractères de La Bruyère, après les gens de goût, cette race de lilliputiens littéraires, après Coste, Suard, Auger, madame de Genlis, il est exigé par la Critique du xixe siècle, cette Critique qui s’élève jusqu’aux idées par l’expression et jusqu’à l’homme par les idées, de creuser plus avant que des remarques grammaticales et des appréciations de Le Batteux. […] « Nous ne faisons pas — dit-il — plus de cas qu’Auger (voilà à quoi sert l’autorité de ce qu’on appelle un homme de goût !) […] Il l’a été plutôt par excès de timidité, de goût et même de pruderie.
On voit combien ce nom et le souvenir d’une ancienne grandeur en imposaient encore : « L’orateur, dit-il, craint de faire entendre devant les héritiers de l’éloquence romaine, ce langage inculte et sauvage d’au-delà des Alpes, et son œil effrayé croit voir dans le sénat les Cicéron, les Hortensius et les Caton assis auprès de leur postérité pour l’entendre. » Il y a trop d’occasions où il faut prendre la modestie au mot, et convenir de bonne foi avec elle qu’elle a raison ; mais ici il y aurait de l’injustice : l’orateur vaut mieux qu’il ne dit ; s’il n’a point cet agrément que donnent le goût et la pureté du style, il a souvent de l’imagination et de la force, espèce de mérite qui, ce semble, aurait dû être moins rare dans un temps où le choc des peuples, les intérêts de l’empire et le mouvement de l’univers, qui s’agitait pour prendre une face nouvelle, offraient un grand spectacle et paraissaient devoir donner du ressort à l’éloquence : la sienne, en général, ne manque ni de précision, ni de rapidité. […] Cet ouvrage est parvenu jusqu’à nous, et il a, en grande partie, les défauts de ce temps-là ; mais l’évêque qui osa reprocher au maître du monde le meurtre de Thessalonique, et commanda à son empereur d’expier devant les hommes et devant Dieu un crime que des courtisans féroces avaient conseillé et que des courtisans lâches n’avaient pas manqué d’applaudir, mérite bien grâce pour les défauts de goût, et pour quelques phrases peut-être ou faibles ou barbares. […] L’ouvrage n’a aucun mérite pour le fond ; et, à l’égard du style, il est quelquefois ingénieux, mais sans goût, sans harmonie et sans grâce.
L’histoire souvent racontée de sa réputation est un chapitre capital de toute étude sur les fluctuations de la gloire et du goût. […] Le goût public se compose d’un élément passager, qui est la mode, et d’un élément stable, qui est la médiocrité. […] Les modèles d’une forme impeccable, d’un sens clair et définitif, que votre goût et votre raison préfèrent, ne peuvent point remplacer ceux-là. — Que leur manque-t-il donc ? […] De même, dans les arts, ceux qui semblent diriger le goût public se bornent en général à le devancer dans la direction qu’il prend spontanément. […] C’est apparemment reprendre des idées surannées et des formes abolies, avoir des qualités littéraires qui, n’étant plus de saison, ne correspondent point aux goûts des hommes nouveaux.
Ne vous y trompez pas : il y faut du goût. […] Léon Say a du goût. […] J’en fais une affaire de goût et de sentiment. […] J’y ai tout de suite pris du goût. […] Ils ont plus que la vertu, ils ont le goût !
On y trouve mille autres métamorphoses de ce goût. […] Après avoir fait sentir les travers où le défaut de goût a jeté M.
Une lampe d’une main, un poignard de l’autre, une femme toujours prête à être égorgée, & qui, par un quart de conversion, ne l’est pas, ont paru, à des yeux avides de spectacle, un jeu d’optique qu’on pouvoit supporter quelquefois ; mais les gens de goût savent combien cette pantomime est peu propre à intéresser, ou plutôt combien elle prouve la sécheresse d’un esprit qui a eu besoin de recourir à de si minces ressorts. […] Nous ne dissimulerons pas qu’il seroit plus en état qu’aucun autre de remplacer par-là le défaut de poésie & de versification, si cet esprit étoit moins baroque, & dirigé par un goût plus sûr & plus exercé.
Les prêtres avaient rassemblé au collège de l’orthodoxie, à Constantinople, la plus belle bibliothèque du monde, et les chefs-d’œuvre des arts : on y voyait en particulier la Vénus de Praxitèle127, ce qui prouve au moins que les fondateurs du culte catholique n’étaient pas des barbares sans goût, des moines bigots, livrés à une absurde superstition. […] Bouchet, Grec d’origine, fut le premier architecte, Nicolas le premier sculpteur, et Cimabou le premier peintre, qui tirèrent le goût antique des ruines de Rome et de la Grèce.
Je crois que Le Sueur a aussi le goût plus austère. […] Ce n’est pas la manière de Rubens ; ce n’est pas le goût des écoles italiennes.
Il a tout le goût que l’on pouvait avoir de son temps, et qui convenait à son sujet. […] Le magistrat juge sans passion ; mais c’est par goût ou par passion qu’il est magistrat. […] Voulez-vous savoir jusqu’où quelqu’un a du goût ? […] « Si l’on veut savoir jusqu’où quelqu’un a du goût, il faut l’interroger sur Sénèque… » Est-ce du goût pour la phrase, ou du goût pour les choses ? […] Il n’applaudit point aux goûts indécents de l’empereur.
Albalat, Ils n’ont pas de goût. Or le goût, c’est la clef de la méthode. Qu’est-ce que le goût ? […] Albalat harnache, las de chevaucher l’absolu, cette maigre haquenée : il y a un goût dominant, il y a aussi des goûts particuliers. […] C’est en les lisant qu’on se forme le goût.
Il balaie le faux, et c’est le goût vrai des choses qui est toujours le plus savoureux. […] Il n’y a pas d’endroit de son livre où son goût des élégances pittoresques se trémousse plus. […] Une saine manière de penser sur les choses d’intérêt et de goût commun, l’amour du bon sens et l’horreur de ce qui n’en a pas font partie des mœurs. […] Tour bien bizarre chez le soi-disant interprète d’un vieil universitaire, qui aurait plutôt par métier le goût excessif des explications. […] Ils la sertissent dans une harmonie choisie avec tout ce qu’ils ont de délicatesse et de goût.
Voltaire nous donne là une belle idée du goût de ses contemporains. […] Horace et Boileau n’ont point fait de comédies : leurs préceptes n’en sont pas moins les oracles du goût. […] C’était bien ce qu’il lui fallait ; car Voltaire avait éminemment le goût et l’élégance. […] Personne n’a moins connu que Voltaire le goût des anciens : ce poète est éminemment moderne et français. […] Or, dans ces trois pièces, surtout dans la dernière, il règne un goût romanesque qui assurément est un goût très faux, un goût diamétralement opposé à celui du théâtre.
Toute discussion littéraire à ceci : J’ai plus de goût que vous ! […] Le goût ce n’est rien. […] Un quelconque. — C.. pour le jugement, rien que du goût, absolument du goût. […] Cet intérieur, c’est l’homme, ses goûts, son talent. […] Il y a deux sens de l’exotique : le premier vous donne le goût de l’exotique dans l’espace, le goût de l’Amérique, le goût des femmes jaunes, vertes, etc.
Ce n’est, en effet, que par le secours de ces Auteurs consacrés par l’admiration constante de tous les siecles, qu’un Ecrivain, quelque génie naturel qu’il ait d’ailleurs, peut se former le goût & développer sa raison. […] Après avoir étouffé le goût des beautés vraies & solides, il ouvre une libre carriere aux prétentions les plus bizarres.
Mais comment préférer une sainte, dont l’histoire blesse quelquefois l’élégance et le goût, à une naïade attachée aux sources d’un ruisseau ? […] Les puissances surnaturelles peuvent encore présider aux combats de l’Épopée ; mais il nous semble qu’elles ne doivent plus en venir aux mains, hors dans certains cas, qu’il n’appartient qu’au goût de déterminer : c’est ce que la raison supérieure de Virgile avait déjà senti il y a plus de dix-huit cents ans.
Cette rigidité criminaliste en fait de goût était-elle particulière à Chénier ? […] Clarté, goût, jugement, tout y est requis avec une parfaite abnégation de soi-même. […] Mais pour cela il ne renonça pas à ses goûts d’artiste et il essaya d’atteler Pégase à la charrue. […] Aucune coquetterie, aucune concession au goût du jour. […] Il fait lui-même la musique de ses vers, et il les chante avec beaucoup de goût et d’expression.
Les écrivains de nos jours en qui l’on voyoit encore des étincelles de ce beau feu qui animoit ceux du siècle passé, ont en vain crié contre cette déraison, & voulu sauver le goût égaré en France. […] Celles que M. l’évêque du Puy, écrivain qui, à l’exemple de Bossuet & de Fénélon, joint à l’amour des sciences le goût de la littérature, donne dans son Essai critique sur l’état présent de la république des lettres, méritent de l’attention. […] On ne feroit que conserver le tour, le goût & les usages de la langue, consignés dans les grands modèles.
Baudouin Toujours petits tableaux, petites idées, compositions frivoles, propres au boudoir d’une petite-maîtresse, à la petite maison d’un petit-maître ; faites pour de petits abbés, de petits robins, de gros financiers ou autres personnages sans mœurs et d’un petit goût. […] C’est qu’il faut un goût plus original, un sentiment plus vif du vrai pour tirer parti de ces sortes de sujets. […] Je reviens sur mon premier jugement ; tout ceci bien peint, mais très-bien peint, n’est qu’un amas de contradictions, point de vérité, point de vrai goût.
Nous aurions le plus singulier des anonymes, un anonyme d’idées et dédoublé de tout, nous n’eussions eu à vous présenter que ce phénomène d’un homme de goût qui, pendant un gros volume in-8º de cinq cents pages, à l’exception du dernier chapitre, — indiscret comme le post-scriptum de la lettre d’une pauvre femme qui a fait tout ce qu’elle a pu pour bien se tenir, mais qui s’échappe, — ne se serait montré absolument rien de plus qu’un dilettante de littérature et… un homme de goût. […] Avec son érudition très variée et très sûre, son goût pur et son jugement ferme, avec ce don de se posséder, — de n’aller que là où il veut, et comme il le veut, qui est une des distinctions les plus rares de son esprit, — et de tout esprit, — M.
Eugène Talbot, dont le nom rappelle celui d’un héros encore plus crâne que lui, me produit cependant l’effet d’un héros de goût d’avoir fait cela, et, pour mon compte, je lui sais un gré infini d’avoir, en publiant cette édition qui est soignée et très belle, remis les choses en leur place naturelle, — c’est-à-dire Larcher au sépulcre et Saliat hors de son tombeau ! […] Je n’ai jamais eu grand goût pour Paul-Louis Courier, ce canonnier qui n’aimait pas le canon, ce voltairien en veste rousse qui riait et qui mordait avec les grandes vilaines dents jaunes de l’Envie ; mais, tout bas d’esprit qu’il fût, il s’était parfumé à respirer ce bouquet de la langue d’Hérodote et de la langue du seizième siècle, et l’odeur du thym virginal et du serpolet trempé de rosée n’en est pas moins l’odeur du thym et du serpolet, sur les galoches du paysan. […] Laissons à Villemain la peine de répéter les vieilles sottises de La Harpe, cet homme de goût !
Ce très peu grave président, qui aimait l’antithèse, et dont le génie pincé et… pinçant tondait sur l’Histoire des épigrammes comme un avare tondrait de la laine sur un œuf, Montesquieu, lui, au xviiie siècle, avait fait le Persan pour être plus impertinent contre la France, sachant bien que la France est une femme de goût qui aime l’impertinence quand l’impertinence a de la grâce, — de la grâce, cette folie de nous tous, qui ferait aimer, je crois, les coups de bâton, si on savait gracieusement les donner ! […] je sais bon gré à Francis Wey des pointes d’anglais qu’il a mêlées à son omelette française, à ce livre de causerie et d’observation sur la France, pour en relever le goût et en augmenter la saveur. […] Son goût pour les arts était vif.
Mystérieuse, quoique populaire, elle se conservait dans le souvenir de quelques familles sacerdotales ; et plus tard elle se renouvela, en se chargeant de vers apocryphes, selon le goût et le génie du temps. […] Sans doute Alcman, esclave étranger venu de Lydie, ou né d’une Lydienne dans la maison du Spartiate Agésilas, en gardant de son origine le goût et le charme de l’art, sut y mêler l’accent qui plaisait aux âmes belliqueuses de Sparte. […] Quel homme de goût, sur ce peu de mots conservés, ne rêvera pas plus que nous ne saurions dire ?
La métaphysique du goût a pourtant son analyse rigoureusement possible. […] Le goût n’est que le ministre d’une raison parfaite. […] L’empire d’un nom fameux doit céder aux lois du goût. […] Ses opinions sur le goût sont développées avec élégance et justesse. […] Avant de convenir que le drame puisse gâter le goût, sachons sur quoi le goût se forme, et comment il se gâte.
Pendant des années, Bernis supporta avec insouciance et gaieté cette condition de gêne, ce contraste entre ses goûts et sa situation, entre tout ce qu’il voyait et ce qu’il n’avait pas : il avait « l’âme courageuse et douce ». […] Ne soyons pas injuste ni trop rigoureux pour Bernis ; il s’est jugé lui-même en homme de goût, en homme de sens, et comme s’il n’avait rien eu du poète. […] On a cru me perdre en prouvant que j’avais fait des vers jusqu’à trente-deux ans (ailleurs, il semble dire trente-cinq) : on ne m’a fait qu’honneur, et je voudrais de tout mon cœur en avoir encore le talent comme j’en ai conservé le goût ; mais je suis plus heureux de lire les vôtres que je ne l’ai été d’en faire. […] Ce goût littéraire prononcé, qui était comme une affiche de vie insouciante et mondaine, nuisait beaucoup à Bernis pour sa carrière. […] Le sort ne lui a pas laissé le temps de réparer ses fautes ni de corriger ses hasardeuses entreprises ; mais Bernis sera un excellent ambassadeur : il a l’insinuation, la conciliation, la politesse ; il représente avec goût et magnificence ; il sera le modèle d’un ambassadeur de France à Rome pendant plus de vingt ans.
Elle avait toujours eu un grand goût pour élever les enfants, pour les enseigner, les reprendre, les morigéner : c’était un de ses talents particuliers et prononcés : « J’ai grande impatience, écrivait-elle à Mme de Brinon, la première directrice de ces écolières, de voir mes petites filles et de me trouver dans leur étable… J’en reviens toujours plus affolée. » De Rueil, l’institution fut transférée à Noisy, où elle continua de croître : Mme de Maintenon y consacrait tous les moments qu’elle pouvait dérober à la Cour. […] Fénelon y développa le goût de la dévotion fine, subtile, à l’usage des âmes d’élite ; Racine, sans le vouloir, y fit naître le goût des lectures, de la poésie et de ces choses dont le parfum est si doux, mais dont le fruit n’est pas toujours salutaire. […] Il y avait parmi ces premières élèves et maîtresses de Saint-Cyr une Mme de La Maisonfort, femme distinguée, esprit curieux, amoureux des recherches, et qui était faite pour un tout autre cadre que celui qu’elle s’était choisi ; elle ne pouvait se résoudre à renoncer à la tendresse de son cœur, à la délicatesse de son esprit et de son goût. […] Mme de La Maisonfort, malgré le goût que Mme de Maintenon avait pour elle, dut être retranchée de l’institut de Saint-Cyr.
Elle témoigne assez peu de goût pour leur fille Mme de Staël : « Les enthousiastes ne sont pas mon fait, et j’ai remarqué, dit-elle, que leur chaleur cache très peu d’esprit ; c’est une nouvelle découverte pour moi. » Elle écrivait cela en mars 1789, et elle se trompait en croyant faire cette découverte ; car si l’enthousiasme de Mme Staël méritait de trouver grâce auprès des têtes froides, c’était eu faveur de tout l’esprit qu’il y avait derrière. […] J’avoue que ce goût, cette estime, cette persuasion avaient des bases très solides ; tout est anéanti pour moi depuis cette cruelle perte. » Nous savons tout ce qu’il nous importe de savoir sur là jeunesse de Mme de Créqui : encore une fois, nous n’avons affaire avec elle ni à une Mme Du Deffand, ni à une maréchale de Luxembourg, à aucune de celles qui eurent à refaire leur existence morale dans la seconde moitié et à regagner la considération. […] Elle savait être naturellement simple et se prêter à leurs goûts, à leur humeur et à leurs légères prétentions d’indépendance. […] Son goût en littérature, en ouvrages d’agrément, est juste ; son jugement sur les ouvrages sérieux est solide ; son esprit a de l’étendue et de la sagacité, il voit promptement et loin. […] Leurs esprits se devinèrent, se prirent de goût l’un pour l’autre.
Né à Béziers en 1624, originaire de Castres, d’une famille protestante très distinguée dans la robe, ayant fait ses études dans le Midi, il y prit un grand goût pour les bons auteurs latins, Cicéron, Térence, et ne s’aperçut, au sortir du collège, que l’on pouvait bien écrire aussi en français, que lorsqu’il eut vu quatre ouvrages dont il garda toujours un souvenir reconnaissant : les Huit Oraisons de Cicéron alors récemment traduites, Le Coup d’État de Sirmond, un volume des lettres de Balzac, et les charmants Mémoires de la reine Marguerite. […] Il eut le temps de prendre quelques habitudes de province, au moins dans le goût ; il admirera jusqu’à la fin Mlle de Scudéry, il sera son soupirant idolâtre. […] S’il avait moins de goût que les grands hommes de la Grèce et de Rome que nous venons de citer, cela tenait aux inconvénients de son époque, de son éducation, et à un vice aussi de son esprit, atteint d’une sorte de pédantisme : mais s’il péchait dans le détail, il ne se trompait pas dans sa vue publique de la littérature et dans l’institution qu’il en prétendait faire pour le service et l’agrément de tous. […] De tels jugements formeraient aujourd’hui une suite et comme une jurisprudence critique bien mémorable, et n’auraient pas été sans action certainement sur les vicissitudes et les variations du goût public. […] Bien choisi, pris dans son cadre, touché avec goût et avec bienséance, l’éloge académique, le discours académique a son prix.
En toutes les solutions, il préférait d’inclination et par goût celle qui était à l’amiable. […] Malgré son goût pour la pacification, il se trouvait en pleine guerre. […] Pour le consoler de ses ennuis et mettre un peu de baume sur ses blessures, l’abbé Legendre imagina de faire de lui un Éloge : « Je fis son Panégyrique dans le goût de celui de Pline. […] Le rapporteur y prenait goût : « Je ne sais, nous dit-il, s’il y a un plus délicieux passe-temps que de voltiger ainsi de compagnie en compagnie, pourvu qu’elle soit triée, et d’apprendre exactement à cette source les anecdotes de son temps. » L’archevêque, qui était membre de l’Académie française, eut à un moment l’idée d’intervenir dans l’affaire de Furetière, violemment aux prises avec quelques meneurs de la Compagnie (1685), et de devenir arbitre entre des confrères. […] Jeune, « il avait appris les humanités par goût, la théologie par devoir. » Dans ses années de résidence à Rouen, il avait fort connu Brébeuf et Corneille, et c’était qui lui avait exhorté, dit-on, le grand tragique à mettre l’Imitation en vers français.
Si l’Angleterre avait eu un gouvernement oppressif, ce pays, ainsi que son peuple, serait le dernier de l’univers : mauvais climat, mauvaise terre, productions par conséquent qui n’ont aucun goût ; il n’y a que la bonté de son gouvernement qui en a fait un pays habitable. […] Les dix années qu’elle passa avec son ami furent tout entières consacrées par elle à adoucir son amertume, à favoriser ses goûts, à y entrer autant qu’elle le pouvait, soit qu’il voulût jouer la tragédie, — ses propres tragédies, — à domicile (ce qu’il fit d’abord avec le feu et l’acharnement qu’il mettait à toute chose), soit qu’il lui plût de s’enfermer et de tirer le verrou pour travailler comme un forçat, versifier jour et nuit ou étudier le grec à mort : c’étaient les seules diversions assez fortes pour l’absorber et pour l’aider, tant bien que mal, à endurer les invasions intermittentes de la Toscane par les armées républicaines. […] Nous repassons ce que nous avons lu, et le temps s’écoule sans y penser. » Et ailleurs : « Je passe ma journée, au moins une grande partie, au milieu de mes livres, qui augmentent tous les jours… Je ne trouve pas de meilleure et plus sûre compagnie : au moins on peut penser avec eux. » Ce goût de lecture devint chez elle une passion qui ne fit que croître et augmenter jusqu’à la fin. […] Le raisonnement que Simond nous rapporte de lui au sujet des tableaux attribués à Raphaël, dont les onze douzièmes sont nécessairement peu authentiques, est tout à fait dans le goût et le tour des raisonnements que Courier s’est plu à développer sous son nom dans la Conversation de Naples98. […] C’est pour cela que je vous ai appelée à Paris, où vous pourrez tout à loisir satisfaire votre goût pour les beaux-arts. » Mme d’Albany était traitée comme une puissance, elle s’en serait bien passée.