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706. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Lettres et opuscules inédits du comte Joseph de Maistre. (1851, 2 vol. in-8º.) » pp. 192-216

Il ne la connut en effet qu’en 1814, et cette idée de séparation et de privation paternelle revient souvent sous sa plume, paroles et expressions les plus vives et qui vont au cœur : « L’idée de partir de ce monde sans te connaître, lui écrit-il, est une des plus épouvantables qui puissent se présenter à mon imagination. » Il avait une autre fille aînée qui était également loin de lui, et qui était alors à marier, avec toutes sortes de qualités, mais sans fortune ; c’est en pensant à elle qu’il s’écriait d’une manière charmante : « Ah ! […] Après 1815, quand la maison de Savoie est rétablie dans son antique héritage, M. de Maistre, à la veille de rentrer dans sa patrie, mais lésé lui-même dans sa fortune et à peu près ruiné dans son patrimoine, ne forme plus que le vœu du patriarche ; il nous laisse voir l’unique fond de son désir au milieu de cet ébranlement de l’Europe, où le volcan ne se ferme d’un côté que pour se rouvrir d’un autre : « Ma famille, mes amis et mes livres suffisent aux jours qui me restent, et je les terminerais gaiement si cette famille ne me donnait pas d’affreux soucis pour l’avenir. » Faisant allusion à cette vivacité qu’il portait volontiers en tout, et dont il ne prétend pas s’excuser : Cependant, écrivait-il à un ami, si j’avais le plaisir de vivre quelque temps avec vous sous le même toit, vous ne seriez pas peu surpris de reconnaître en moi le roi des paresseux, ennemi de toute affaire, ami du cabinet, de la chaise longue, et doux même jusqu’à la faiblesse inclusivement !

707. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Le père de Rivarol, homme instruit, dit-on, et qui même aurait eu le goût d’écrire, manquait de fortune ; il eut seize enfants, dont Rivarol était l’aîné. […] unique et véritable fortune de l’entendement humain !

708. (1888) La critique scientifique « La critique et l’histoire »

Le fait par lequel un grand écrivain, parti d’on ne sait quelles origines impossibles à dégager, ayant senti en lui un monde nouveau l’émouvoir, faisant appel à des dispositions, à des pensées, aune sensibilité intacte jusque-là et dormantes, groupe autour de lui eu cercles concentriques toujours plus étendus, ses congénères intellectuels, dégage de la masse humaine confondue, la classe d’êtres qui possèdent en eux un organisme consonnant au sien, vibratileei sous les impulsions mêmes qui sont en lui puissantes au point de l’avoir contraint à leur trouver l’expression et à les extérioriser ainsi généralement intelligibles et efficaces — ce phénomène est le semblable de celui par lequel, dans un autre ordre, l’ordre des actes et non plus des émotions, un homme ayant connu une entreprise, portant en lui cet ensemble d’images préalables de réussite, de gloire, de fortune qui constituent une impulsion, ces visions d’effet à réaliser, de moyens, de détails, d’acheminements, de dispositifs, qui constituent un but, parvient par persuasion, par des ordres, par simple communication, à les faire passer rudimentairement, vaguement, clairement, dans l’âme des milliers de suivants que forment ses lieutenants, une armée, des alliés ; que forment encore des ouvriers, des ingénieurs, des collaborateurs ; ou un public, des courtiers, des banquiers, des associés ; ou simplement le peuple, des agents électoraux, des députés, des ministres. […] L’esthopsychologie, la science des œuvres d’art considérées comme signes, accompagnée de la synthèse biographique et historique que nous venons d’esquisser, dépeint des hommes réels, des hommes de fortune médiocre ou élevée, ayant vraiment vécu dans un entourage véritable, ayant coudoyé d’autres hommes en chair et en os, étant enfin des créatures humaines, avec, pour parler comme Shylock, des yeux, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections., des passions, tout comme les vivants que l’on rencontre aujourd’hui sous nos yeux.

709. (1860) Ceci n’est pas un livre « Hors barrières » pp. 241-298

Un moment pourtant, Adolphe Maillet eut l’espérance de se faire adopter par LE BARON DE FILOUZE Ce baron, un fidèle des Allées Neuves, perdit son père à dix-huit ans — et sa fortune au lansquenet six mois plus tard. […] Tout Paris, — moins quinze mille oisifs qui ont assez de fortune pour aller faire celle des autres, — tout Paris est à Paris, et encore toute la province est à Paris.

710. (1759) Réflexions sur l’élocution oratoire, et sur le style en général

On demandera sans doute comment une langue sujette à ce défaut importun, timide d’ailleurs, sourde et peu abondante, a fait dans l’Europe une si prodigieuse fortune ? plusieurs raisons y ont contribué ; la grandeur où la France est parvenue sous le règne de Louis XIV ; la supériorité de nos bons écrivains en matière de goût sur ceux des autres nations ; et peut-être aussi cette destinée quelquefois bizarre, qui décide apparemment de la fortune des langues comme de celle des hommes.

711. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Trimolet est mort ; il est mort au moment où l’aurore éclaircissait son horizon, et où la fortune plus clémente avait envie de lui sourire. […] Traviès, lui aussi, fut une fortune malencontreuse.

712. (1889) La bataille littéraire. Première série (1875-1878) pp. -312

Ne devrait-on pas, avant de charger un député de veiller à l’honneur et à la fortune de son pays, lui demander d’abord comment il a géré l’honneur et la fortune de sa propre maison, comment il a conduit sa femme, ses fils et ses filles ? […] À celui que vous aurez nommé reviendra la fortune du comte. […] À quoi montait sa fortune ? […] J’avais cinq sous pour toute fortune, je les employai à acheter du sucre d’orge pour Joli-Cœur. […] Bien des années se sont écoulées, Savéli, le meurtrier de Bagrianof, a fait fortune.

713. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « TABLE » pp. 340-348

. — Influence de la fortune sur les mœurs littéraires. — Balzac, messer milione.

714. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — I »

Raffermie par cette haute justification, la fortune de madame des Ursins devint désormais imposante.

715. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

Voyez Almont, sa fortune est restreinte, mais jamais un être malheureux ne s’est adressé à lui sans que, dans cet instant, il ne se soit trouvé les moyens de venir à son aide, sans que, du moins, un secours momentané n’ait épargné à celui qui prie, le regret d’avoir imploré en vain ; il n’a point de crédit, mais on l’estime, mais son courage est connu ; il ne parle jamais que pour l’intérêt d’un autre ; il a toujours une ressource à présenter à l’infortune, et il fait plus pour elle que le ministre le plus puissant, parce qu’il y consacre sa pensée tout entière.

716. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre V. Transition vers la littérature classique — Chapitre II. La langue française au xvie siècle »

Les soldats, les courtisans, les dames reçoivent par mode les mots des étrangers auxquels nos Français vont se frotter, ou qui viennent chercher fortune chez eux.

717. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre IX. Beltrame » pp. 145-157

s’écrie-t-il, nous avons vaincu la mauvaise fortune, in ultimo habbiamo vinta ! 

718. (1897) Manifeste naturiste (Le Figaro) pp. 4-5

Rousseau conta les amours de Julie, dans le but unique de tromper son cœur et d’utiliser les flammes de sa passion, la plupart des auteurs ne composent des odes et des tragédies que par une sorte de subterfuge à l’aide duquel ils oublient leur fortune, les voluptés que leur refusent d’exquises amantes et les guerrières expéditions à quoi semblaient les destiner leurs mérites et leurs sentiments.

719. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Deuxième partie. L’évolution des genres — Chapitre V. Le mouvement régionaliste. Les jeunes en province » pp. 221-231

Les jeunes hommes que leur situation de fortune, leur emploi, leur famille forçaient à habiter, loin de Paris, malgré leur goût pour les lettres n’avaient d’yeux que pour le boulevard de la capitale.

720. (1879) Balzac, sa méthode de travail

Qui verrait aujourd’hui, dans une vente d’autographes, le prix d’un manuscrit complet de l’auteur de la Tour de Nesle comparé à une simple page semblable à celle ci-dessus, se rendrait compte que les récompenses de la postérité sont en sens inverse de la fortune des écrivains pendant leur vie.

721. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XV. Des ouvrages sur les différentes parties de la Philosophie. » pp. 333-345

Cette science devient immense & le seul recueil des Mémoires des Académies de l’Europe, épuiseroit la fortune d’un homme aisé.

722. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Deuxième cours des études d’une Université » pp. 489-494

Si peu d’hommes savent tirer parti de leurs talents, soit pour conserver leur bien, soit pour l’accroître, la misère est une si puissante ennemie de la probité, le renversement des fortunes est si fréquent et a de si funestes effets sur l’éducation des enfants, que j’ajouterais ici les éléments de la science économique, ou de l’art de conduire sa maison ; art dont les Grecs et les Romains faisaient si grand cas.

723. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 7, nouvelles preuves que la declamation théatrale des anciens étoit composée, et qu’elle s’écrivoit en notes. Preuve tirée de ce que l’acteur qui la recitoit, étoit accompagné par des instrumens » pp. 112-126

Non seulement l’éloquence y menoit aux fortunes les plus brillantes, mais elle y étoit encore, pour parler ainsi, le merite à la mode.

724. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre XI. Première partie. Conséquences de l’émancipation de la pensée dans la sphère des idées religieuses » pp. 315-325

Oui, la dernière de ses victoires, puisque toutes celles que depuis il a rencontrées sur le chemin de son inconcevable fortune n’ont fait que lui creuser un plus vaste abîme.

725. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Hebel »

Ce fut son talent qui fit sa vie ; et cette vie toujours calme, aisée, honorée, et qui monta sans luttes et sans obstacles jusqu’à cette dignité de rang qui est la dernière caresse de la fortune à ceux qui pourraient s’en passer, puisqu’ils ne vivent que pour les jouissances de l’esprit, a plus d’un rapport avec l’existence d’un homme heureux aussi parmi les poètes, mais qui, à son déclin, sentit dans le fond de son cœur le souci cruel de la confiance trahie et sur son front la sueur de sang du travail forcé.

726. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Le Docteur Véron »

Il est des gens qui remuent toujours, qui ne savent pas se tenir tranquilles, qui gâtent, en se mêlant d’agir, toutes les bonnes grâces de la fortune, amoureuse parfois des endormis !

727. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Il m’a parlé de plusieurs personnes favorisées par la fortune, par la beauté, par une grande situation sociale, et qui pourtant mènent une vie morale digne de la plus haute estime.

728. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

Si c’est un instrument que l’intérêt emploie pour parvenir à la fortune, on doit la mépriser ; si c’est la flatterie d’un esclave qui trompe un homme puissant, on doit la craindre.

729. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXV. De Paul Jove, et de ses éloges. »

En Espagne, vous trouverez Ferdinand-le-Catholique, qui chassa et vainquit les rois Maures, et trompa tous les rois chrétiens ; Charles-Quint, heureux et tout-puissant, politique par lui-même, grand par ses généraux, et cette foule de héros dans tous les genres qui servaient alors l’Espagne ; Christophe Colomb, qui lui créa un nouveau monde ; Fernand Cortez qui, avec cinq cents hommes, lui soumit un empire de six cents lieues ; Antoine de Lève qui, de simple soldat, parvint à être duc et prince, et plus que cela grand homme de guerre ; Pierre de Navarre, autre soldat de fortune, célèbre par ses talents, et parce que le premier il inventa les mines ; Gonzalve de Cordoue, surnommé le grand Capitaine, mais qui put compter plus de victoires que de vertus ; le fameux duc d’Albe, qui servit Charles-Quint à Pavie, à Tunis, en Allemagne, gagna contre les protestants la bataille de Mulberg, conquit le Portugal sous Philippe II, mais qui se déshonora dans les Pays-Bas, par les dix-huit mille hommes qu’il se vantait d’avoir fait passer par la main du bourreau ; enfin, le jeune marquis Pescaire, aimable et brillant, qui contribua au gain de plusieurs batailles, fut à la fois capitaine et homme de lettres, épousa une femme célèbre par son esprit comme par sa beauté, et mourut à trente-deux ans d’une maladie très courte, peu de temps après que Charles-Quint eut été instruit que le pape lui avait proposé de se faire roi de Naples.

730. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IX. »

Rien de plus beau que son épitaphe de Léonidas99 : « Aux morts des Thermopyles une fortune glorieuse, une belle destinée, pour tombeau un autel, monument de leurs ancêtres, une calamité qui est une gloire.

731. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIIe entretien. Phidias, par Louis de Ronchaud (2e partie) » pp. 241-331

VII Alors la célèbre duchesse de Devonshire, dont la beauté, les aventures, le rang, l’immense fortune, avaient fait la Mécène universelle des artistes de l’Europe, vivait à Rome. […] XII C’est pendant ces belles matinées de printemps, dans l’atelier de Canova à Rome, que le suprême artiste, arrivé alors au sommet de son génie, de sa renommée et de sa fortune, me permettait de remonter avec lui sur les traces de sa vie par les dessins ou par les moulures de ses œuvres. […] Je le pouvais alors, je jouissais de ma liberté, je n’avais pas voulu l’engager à aucun prix à la monarchie nouvelle : son avènement ressemblait trop à un coup de fortune.

732. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Possesseur d’une belle fortune, il pouvait le faire honorablement sans avoir l’intention de jeter son argent par la portière de sa voiture : il alla d’abord à Vienne où il rencontra le prince Eugène, ce Coriolan, qui n’avait pas épargné sa patrie ; de là il passa en Hongrie et ensuite en Italie ; il connut à Venise l’Écossais Law, tout meurtri des ricochets de son système, bombe éclatée entre ses mains, mais qui n’était pas un financier vulgaire ; il s’y entretint aussi avec le comte de Bonneval, aventurier destiné à mourir pacha. […] La peur n’est nullement le principe des despotismes, puisqu’un vice-roi qui apporte de trois cents lieues sa fortune et sa tête au roi de Perse, ou un pacha au sultan, n’agissent certainement pas par peur, mais par devoir. […] Mais, dans un si grand nombre de provinces, et si éloignées, il peut arriver que quelque troupe fasse fortune.

733. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Théâtre » pp. 83-168

Mais, quoi qu’il en soit, puisqu’il semble y avoir quelque péril en ce moment à ne pas désavouer notre reconnaissance pour une princesse qui n’a d’autres courtisans que des amis, nous la remercions ici hautement et publiquement avec une gratitude, qui serait presque tentée de lui souhaiter une de ces fortunes où l’on peut éprouver, autour de soi, le désintéressement des dévouements. […] puisque, dans ce moment du siècle, c’est une suspicion et une raison d’ostracisme que l’apparence de la fortune et du bonheur, il nous faut essayer de désarmer l’envie, en la consolant un peu. […] Pour notre fortune, nous n’avons pas tout à fait douze mille livres de rentes à nous deux.

734. (1856) Cours familier de littérature. I « VIe entretien. Suite du poème et du drame de Sacountala » pp. 401-474

Vertueuse Sacountala, noble enfant, prince magnanime, ou plutôt la fidélité même, la fortune, la puissance réunies : voilà le trio enchanteur sur lequel se promènent avec avidité mes regards satisfaits. […] qu’il est heureux celui qui, dans la peine comme dans le bonheur, peut compter sur une tendresse éprouvée, dont le cœur repose avec confiance sur le cœur d’un autre dans toutes les fortunes, et qui, au déclin même de son âge, comme à la fleur de sa vie, jouit des douceurs d’une consolante union !  […] Que ma fortune est changée !

735. (1874) Portraits contemporains : littérateurs, peintres, sculpteurs, artistes dramatiques

Si j’avais eu de la fortune, j’aurais vécu toujours errant. […] L’idée était juste, et, imprudemment confiée, fit la fortune d’un autre. […] Seulement il ne s’agissait pas de coups si hardis ; un certain nombre d’amis devaient se prêter aide et secours en toute occasion, et travailler selon leurs forces au succès ou à la fortune de celui qui serait désigné, —à charge de revanche, bien entendu. […] Une Anglaise semblable à ces charmantes et romanesques héroïnes de Shakspeare, que séduit un regard et qui restent fidèles jusqu’à la mort, lui apporta son amour et une fortune presque princière. […] A ce jeu, il dissipa son génie, sa santé, sa fortune, avec la plus généreuse insouciance.

736. (1936) Histoire de la littérature française de 1789 à nos jours pp. -564

Si la fortune politique de Bonaparte ne s’était pas fait jour, s’il avait couru une carrière d’homme de lettres, il est invraisemblable que de cette carrière ait pu sortir une œuvre littéraire égale à celle que nous a valu sa fortune césarienne. […] Quand Sainte-Beuve appelle, vulgairement, Chateaubriand un homme à bonnes fortunes, Sainte-Beuve le voit à travers son propre désir. […] Fille de pasteur, sans autre fortune que la fraîcheur de sa beauté et de sa conversation, portant avec une grâce sérieuse ce qu’on appelait un esprit élevé, reine du pays de Vaud, elle avait, comme une bergère un roi, épousé le banquier genevois. […] Ce benjamin (sans majuscule) de la Mère de la Doctrine, fera chez les doctrinaires une décorative et confortable fortune. […] C’est à eux, à leur œuvre, à leur fortune littéraire qu’il faudrait penser quand on recherche les racines de ce mot de Barrès : « La France est radicale ».

737. (1896) Études et portraits littéraires

Gueux, mais point de mine basse, toujours comptant sur soi et sur la fortune ; un jour en pourpoint à manches tailladées, en souquenille le lendemain et d’aussi belle humeur. […] Gil Blas a-t-il traversé tant d’accidents sans dommage pour sa conscience, et sa fortune finale laisse-t-elle la nôtre en repos ? […] Lintilhac le juge amélioré par la passion nouvelle que fit naître en lui sa haute fortune : « Alors l’ambition avait envahi tout son être moral. […] La fortune, quand elle lui reviendra, le retrouvera tel. […] Or, il le repousse, le fuit, et il continue d’accuser la fortune !

738. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mademoiselle Aïssé »

Lorsqu’elle résiste aux instances de mariage que lui fait son passionné chevalier, parmi les raisons qu’elle oppose, on ne voit pas que la pensée d’une telle objection se soit présentée à elle ; elle ne se trouve point digne de lui par la fortune, par la situation, et non point du tout parce qu’elle a été la victime d’un autre. […] il s’ensuit de là l’innocence. » N’en déplaise à Voltaire, cette petite Champenoise a des pronostics perçants ; et ceci encore, à propos d’un revers de fortune qu’avait éprouvé Mme de Calandrini : « Quelque grands que soient les malheurs du hasard, ceux qu’on s’attire sont cent fois plus cruels. […] L’habitation n’était cependant ni spacieuse ni magnifique, et la fortune du marquis d’Abzac, seigneur de Mayac, n’était pas très-considérable ; mais les bénéfices de l’abbé, qui ne montaient pas à moins de 40,000 livres, passaient dans la maison, et d’ailleurs nos pères en ce temps-là exerçaient une large hospitalité à peu de frais. […] L’abbé d’Aydie se retira alors à Périgueux avec sa nièce Mlle de Montcheuil, dans une jolie maison que celle-ci a laissée depuis à MM. d‘Abzac de La Douze ; il était presque centenaire, et on put lui cacher les désastres qui signalèrent les premières années de la Révolution. » Mme de Montcheuil y mit un soin ingénieux, et elle masqua les pertes de son oncle avec sa propre fortune.

739. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Seulement il n’a pas mis le public dans sa confidence ; il a fait avec ses bonnes fortunes littéraires comme l’élégiaque conseille de faire en des rencontres plus tendres : Qui sapit, in tacito gaudeat ille sinu ; il a été discret et heureux avec mystère, ou du moins il n’a laissé courir et s’ébattre ces enfants de son plaisir que dans un petit nombre de cercles enviés qui en ont joui avec lui. […] Dans les premières pages, l’auteur trace à la politique, à la science de la société (comme il la définit), une sorte de voie moyenne entre l’utopie et l’empirisme, entre l’idée pure et la pratique trop réelle : « Si la politique, disait-il, ne voit dans les événements que de vaines formes, dans les noms propres que de vains signes, elle ne sait qu’inventer des lois chimériques pour un monde supposé ; si elle n’aperçoit ici-bas que des accidents et des individus, elle gouverne le monde par des expédients : placée entre la République de Platon et le Prince de Machiavel, elle rêve comme Harrington ou règne comme Charles-Quint. » S’attachant à dégager le droit sous le fait et à maintenir la part de la raison à travers le hasard, il estime qu’à toutes les époques de la civilisation il est possible et il serait utile de revendiquer la vérité, mais cela lui paraît surtout vrai du temps présent : « On peut juger diversement le passé, dit-il, mais on doit du moins reconnaître que le temps présent a cet avantage que nulle idée n’a la certitude d’être inutile : la raison n’est plus sans espérance ; comme une autre, elle a ses chances de fortune. […] Elle eut, comme une autre, ses chances de fortune , selon que le remarquait spirituellement M. de Rémusat, c’est-à-dire qu’elle obtint dix ans plus tard, et par l’auxiliaire d’un fait instantané, un régime dont la société eût réclamé l’application graduelle et ménagée dix ans plus tôt. […] Quelle plus fine et plus piquante raillerie que celle qu’il fait de ces honnêtes bourgeois de la république des lettres, gens à idées rangées, bornés d’ambition et de désirs, satisfaits du fonds acquis, et trouvant d’avance téméraire qu’on prétende y rien ajouter : « Ce sont, dit-il en demandant pardon de l’expression, des esprits retirés, qui ne produisent et n’acquièrent plus ; mais ils ont cela de remarquable qu’ils ne peuvent souffrir que d’autres fassent fortune. » Relevant le besoin de nouveauté qui partout se faisait sourdement sentir, et qui s’annonçait par le dégoût du factice et du commun, ces deux grands défauts de notre scène  : « Qu’il paraisse, s’écriait-il, une imagination indépendante et féconde, dont la puissance corresponde à ce besoin et qui trouve en elle-même les moyens de le satisfaire, et les obstacles, les opinions, les habitudes ne pourront l’arrêter. » Bien des années se sont écoulées depuis, non pas sans toutes sortes de tentatives, et le génie, le génie complet, évoqué par la critique, n’a point répondu : de guerre lasse, un jour de loisir, M. de Rémusat s’est mis, vers 1836, à faire un drame d’Abélard, qui, lorsqu’il sera publié (car il le sera, nous l’espérons bien), paraîtra probablement ce que la tentative moderne, à la lecture, aura produit de plus considérable, de plus vrai et de plus attachant.

740. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins » pp. 185-304

Bien entendu que cette théorie du changement s’applique à l’esprit, mais non au cœur ; que le changement doit être désintéressé et non vénal ; que tout changement qui consiste à abandonner une cause vaincue parce qu’elle est vaincue est une lâcheté ; que tout changement qui consiste à s’allier à une cause victorieuse parce qu’elle est victorieuse est une abjection de caractère ; que changer par ambition, c’est une suspicion légitime de vice ; que changer par cupidité de fortune, est une vénalité du cœur qui déshonore la vérité même ; que changer d’amis quand la fortune les trahit, est une versatilité d’affection qui prouve la courtisanerie de l’âme. […] XXV Bien que je fusse jeune au moment où Charles X s’écroulait, et bien que l’ardeur de mon sang fît fermenter puissamment en moi l’ambition patriotique de prendre une part platonique aux affaires de mon pays, je ne consultai pas cette ambition, très excusable à mon âge ; je consultai l’honneur, c’est-à-dire cette délicatesse de sentiment, peut-être plus chevaleresque que civique, qui semblait commander à un royaliste de naissance de tomber avec son roi qui tombe, de porter le deuil de sa cause vaincue, et de ne pas passer avec la fortune du camp du vaincu au camp du vainqueur. […] Molé, homme rompu aux crises de gouvernement, avait par son nom, par sa fortune, par sa haute élégance personnelle, plus de décorum monarchique que de dévouement aux trois monarchies qu’il avait servies dans sa jeunesse.

741. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLIXe Entretien. L’histoire, ou Hérodote »

Enfin, il jouissait d’une fortune aisée, telle qu’on l’entend parmi nous, et termina sa vie par la mort la plus brillante. […] De plus (toujours dans la même supposition) il jouit de toutes ses facultés, il est d’une bonne santé, exempt de maux, content de ses enfants, d’une belle figure ; et, si, indépendamment de tant d’avantages, il termine bien sa carrière, il sera celui que vous cherchez, et digne d’être appelé heureux ; mais, avant sa mort, il faut suspendre notre jugement et l’appeler, jusque-là, l’homme favorisé de la fortune, et non l’homme heureux. […] Mais, puisque le hasard a tout réparé, envoyez votre fils près de l’enfant qui vient de nous être rendu, et revenez à mon souper pour prendre part au sacrifice d’actions de grâces que je veux offrir aux dieux sauveurs. » « Harpagus, ayant entendu ces paroles, se prosterna pour adorer le roi ; et, se félicitant que sa faute non-seulement n’eût pas de suites fâcheuses, mais que, par une faveur de la fortune, elle lui procurât encore l’honneur d’être appelé au souper du roi, il retourna chez lui le plus vite qu’il put. […] On dit que le voleur, se fiant à cette promesse, se présenta, que Rhampsinite lui fit un grand accueil, et lui donna sa fille comme au plus industrieux de tous les hommes, puisque les Égyptiens étant regardés comme supérieurs à tous les autres peuples, il s’était montré supérieur à tous les Égyptiens. » XI Cambyse, infatué de sa fortune, devint furieux.

742. (1899) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Septième série « Discours prononcé à la société des visiteurs des pauvres. » pp. 230-304

On la fait dans une pensée de réparation et de restitution, comme le recommandaient les Pères de l’Église pour qui la conception romaine de la propriété — jus utendi et abutendi — était une damnable erreur, et aux yeux de qui certaines fortunes démesurées étaient par elles-mêmes un scandale et un péché. […] Par suite, vous devez la fidélité à ma fille, qui est le mari puisqu’elle a la fortune. […] Acculé à la faillite, ayant même mangé la petite fortune de son frère le chef de bureau (ce qui amène enfin la rupture des fiançailles d’Henri et de Mlle Ramel), Jacques Tasselin songe d’abord au suicide. […] Le père Pétermann a perdu sa petite fortune dans des spéculations financières faites à bonne intention.

743. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre quatorzième. »

La même imagination qui rêvait tout à l’heure une armée formée de tous les jeunes gens inutiles à l’agriculture et au commerce, invente une sorte d’espionnage licite, fait à contre-cœur, et par pur dévouement, « par d’honnêtes gens, dit-il, que le prince obligerait malgré eux à veiller, à observer, à savoir ce qui se passe, à l’en avertir secrètement. » Ces chimères, d’ailleurs fort innocentes, sont la marque, je dirais presque le châtiment de la contradiction où tomba cet homme illustre, en voulant renouveler dans sa personne la fortune de Richelieu et de Mazarin. […] Il y a de l’humeur et de la fortune jusque dans ses vues les plus justes ; et il semble que la vérité, pour cet esprit supérieur, soit moins cet idéal dont la recherche anime et console la vie, qu’un moyen de faire triompher la personne. […] Si la première théorie sent le désir de plaire, et vient d’un homme qui avait tout conquis par l’influence sur les personnes et par la conversation, la seconde sied bien à un homme qui avait fait sa fortune par la chaire, en parlant au nom de quelque chose de plus grand que lui. […] Cet homme, tombé de la toute-puissance qu’il avait exercée avec modération, exilé dans un coin de l’île de Samos, où il vit du travail de ses mains ; puis, par un retour de fortune, ramené en triomphe à Salente, où il retrouve la faveur du prince et la puissance, et ne s’en sert pas contre ses ennemis enfin se retirant dans une solitude, non pour s’y dérober à ses devoirs envers sa patrie qu’il continue à servir par ses conseils à Idoménée, mais pour échapper par l’obscurité à l’injustice et à l’envie ; cette création, que rendent vraisemblable certains exemples de la sagesse antique, reçoit de l’esprit chrétien, habilement caché sous une mise en scène grecque, une grandeur inconnue des héros comme des sages du paganisme.

744. (1879) À propos de « l’Assommoir »

Orphelin, sans fortune, il dut abandonner ses études pour soutenir sa mère. […] La Fortune des Rougon parut en 1869 dans le Siècle ; La Curée, en 1870 : ces dates prouvent clairement que l’auteur n’est pas venu donner le coup de pied de l’âne au gouvernement que la France a renversé. […] Il demeurait autrefois à Batignolles ; depuis que la fortune lui a souri, il se fait construire une maison à Médan, et habite à Paris un appartement de la rue de Boulogne. […] Le jour où il me plaira de tenter la fortune des planches une quatrième fois, je commencerai par choisir mon terrain avec le plus grand soin, afin de livrer bataille dans les meilleures conditions possibles.

745. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Né à Paris le 6 septembre 1780 d’un riche négociant ou commerçant de la capitale, il hérita à vingt ans d’une belle fortune qu’il ne s’inquiéta point de conserver, et que plus d’un fut actif à lui ravir.

746. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

Ce panier de pêches a fait fortune dès le premier jour, il a fait le tour de la société.

747. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section II. Des sentiments qui sont l’intermédiaire entre les passions, et les ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre II. De l’amitié. »

Jamais le commun des femmes ne pourra supporter de chercher à plaire à un homme, devant une autre femme ; il y a aussi une espèce de fortune commune à tout ce sexe en agréments, en esprit, en beauté, et chaque femme se persuade qu’elle hérite de la ruine de l’autre.

748. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre I. Bernardin de Saint-Pierre »

La clef de la méthode scientifique, c’est la maxime : faites fortune.

749. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Marcel Prévost et Paul Margueritte »

Un jeune homme, de vieille race, mais pauvre, André de Mercy, intelligent, cultivé, très loyal et très bon, petit employé dans un ministère (sa mère ne lui ayant pas permis de se faire soldat), épouse une petite provinciale sans fortune ; car il a le cœur trop haut pour trafiquer de son nom et faire un mariage d’argent, et, d’autre part, il est de ceux qui ne peuvent résister à la solitude et qui ont besoin d’un foyer.

750. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vigny, Alfred de (1797-1863) »

Il n’en a jamais fait un instrument de fortune et de popularité.

751. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIV. Moralistes à succès : Dumas, Bourget, Prévost » pp. 170-180

Or la fortune de ce théâtre ne viendrait-elle pas de cette extraordinaire faculté de Dumas : Suggérer qu’il sait la vérité, la solution des difficultés morales, qu’il va élucider, escamoter le problème, et, manches retroussées, vous faire circuler la solution. — Y a-t-il dans la salle une fille-mère de bonne volonté qui veuille bien me prêter un instant sa fausse situation ?

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