Il déplaît à l’homme de renoncer au pouvoir illimité qu’il s’est si longtemps attribué sur l’ordre social, et, d’autre part, il lui semble que, s’il existe vraiment des forces collectives, il est nécessairement condamné à les subir sans pouvoir les modifier.
L’auteur, en effet, en pleine possession non seulement de son génie, mais de son expérience théâtrale, aurait voulu forcer l’actrice, même de trois siècles après lui, à jouer comme il l’entendait et non pas à son gré à elle, qu’il n’aurait pas écrit autrement ; il semble avoir dicté la mimique mot à mot et c’est-à-dire geste par geste : N’allons pas plus avant, demeurons, chère Œnone, Phèdre n’a fait que quelques pas sur le théâtre et s’arrête, fatiguée, presque épuisée ; l’arrêt doit être brusque, une des mains de la reine cramponnée au bras de sa nourrice : Je ne me soutiens plus, ma force m’abandonne ; Toute une attitude lassée, déprimée ; une sorte d’écroulement du corps.
Ne leur dites pas surtout que la couleur existe ; que la forte description s’obtient rarement du premier coup ; qu’on réalise par le travail des surprises et des créations de mots ; qu’il y a enfin un art réfléchi de la perfection, un relief voulu des images, des chocs d’antithèses louables, une force, une cohésion, une structure, qui constituent toute une science du travail.
Dieu a donc tout prévu pour la société : sans la société l’instinct perfectible de ces animaux ne se serait jamais développé, et aurait, par conséquent, été une force perdue.
Homme d’observation sur place ou sur souvenir, — c’est du moins ainsi qu’il s’est donné et qu’on l’accepte, — l’auteur des Païens innocents n’a point cette force d’invention qu’eut Balzac dans ses nouvelles les plus courtes, mais il est vrai de dire qu’il s’applique à peindre des milieux beaucoup plus que des caractères.
Sans cela, et si le livre excite l’homme à la révolte, je ne vois plus dans l’œuvre écrite qu’un désordre, que toutes les raisons d’art ne sauraient excuser, car l’art ne peut être antisocial, antihumain ; il doit être un agent de progrès, et une force pour soulever les âmes ; ou bien il n’est qu’un danger qui grandit avec le talent de l’écrivain.
A vrai dire, les termes qui s’influencent réciproquement — de quelque nom qu’on les appelle, atomes, points matériels, centres de forces, etc. — ne sont à ses yeux que des termes provisoires ; c’est l’influence réciproque ou interaction qui est pour elle la réalité définitive.
Ils ignorent Verhaeren et ses Villes Tentaculaires, ses adorables Petites Légendes et son récent recueil, les Forces Tumultueuses, tout plein d’un bruit de villes, d’un choc de métaux et d’activité industrielle, mais où l’on trouve aussi des vers comme ceux-ci : Dès le matin, par mes grandes routes coutumières Qui traversent champs et vergers, Je suis parti clair et léger Le corps enveloppé de vent et de lumière.
Eux, au contraire, ils avaient le respect de l’art et de la liberté, libres eux-mêmes, francs et dégagés des préjugés d’un bourgeois censitaire, ces chroniqueurs et ces feuilletonnistes qui savaient, comme ils disaient, reconnaître et louer le talent, sous quelque aspect et de quelque manière qu’il se manifestât, ou dans quelque fâcheuse aventure, pour éprouver sa force et pour étonner la province, qu’il se risquât.
Et il faut bien qu’elles rentrent dans la règle générale, puisque le sens unique et toute la force du verbe être est d’exprimer que l’attribut est enfermé dans le sujet.
Il ne faut point s’étoner si les figures, quand elles sont employées à propos, donent de la vivacité, de la force, ou de la grace au discours ; car outre la propriété d’exprimer les pensées, come tous les autres assemblages de mots, elles ont encore, si j’ose parler ainsi, l’avantage de leur habit, je veux dire, de leur modification particuliére, qui sert à réveiller l’atention, à plaire, ou à toucher. […] Le pieux Enée, dit Virgile, lança sa haste avec tant de force contre Mézence, qu’elle perça le bouclier fait de trois plaques de cuivre, et qu’elle traversa les piquures de toile, et l’ouvrage fait de trois taureaux, c’est-à-dire, de trois cuirs. […] Le gout par raport aux viandes dépend beaucoup de l’habitude et de l’éducation : il en est de même du gout de l’esprit : les idées exemplaires que nous avons reçues dans notre jeunesse nous servent de règle dans un age plus avancé ; telle est la force de l’éducation, de l’habitude, et du préjugé. […] Ainsi, quoique Madame Dacier nous dise que nous n’avons point de mot en notre langue qui puisse exprimer la force de ce (…), je crois qu’il répond à ces façons de parler, cela va bien, cela ne va pas si mal que vous pensez ; courage ; il y a espérance, cela est bon ; tout ira bien, etc. […] Lorsqu’il ne s’agit que de faire entendre l’idée comune, sans y joindre ou sans en exclure les idées accessoires ; on peut employer indistinctement l’un ou l’autre de ces mots, puisqu’ils sont tous deux propres à exprimer ce qu’on veut faire entendre ; mais cela n’empêche pas que chacun d’eux n’ait une force particulière qui le distingue de l’autre ; et à laquelle il faut avoir égard selon le plus ou le moins de précision que demande ce que l’on veut exprimer.
4° Il était devenu, il avait voulu devenir poète dramatique, et, malgré un succès brillant une fois obtenu et comme surpris, il sentait bien qu’il ne pouvait saisir la foule, qu’il n’était pas de taille à l’enlever, à s’enlacer à elle dans un de ces jeux prolongés, dans une de ces luttes athlétiques où la souplesse s’unit à la force et où les alternatives journalières se résolvent par de fréquents triomphes. […] Mais si sa carrière de défenseur et d’athlète d’Israël est perdue, si ses yeux sont à jamais éteints, les cheveux ont repoussé à Samson et avec eux ses forces : il renverse un jour le temple de Dagon, écrase d’un seul coup ses trois mille ennemis, et il est vengé, Ce Samson va rejoindre, dans l’œuvre de M. de Vigny, son Moïse, et si j’avais aujourd’hui à nommer ses trois plus beaux et plus parfaits poèmes, je dirais : Êloa, Moïse et la Colère de Samson.
Il a cru au progrès ; mais il a dissocié ces deux idées de progrès et de changement, trop souvent liées par ses contemporains : il a en somme travaillé pour substituer à la foi au progrès continu la notion de révolution continue, pouvant éloigner l’humanité de son idéal pendant d’immenses périodes de durée, pouvant ensuite l’orienter vers lui par l’entrée en jeu d’une force nouvelle antérieurement inactive. […] Nous finissons par oublier d’habituer l’enfant à penser, à force d’étaler devant lui les pensées des autres ; nous l’écœurons de littérature, et nous n’en faisons même pas un lettré.
Cela signifiait que ces grands solitaires de la pensée s’étant élevés en totale liberté, à leurs risques et périls, à de prodigieuses altitudes, contemplaient le fait en admirant leur propre force, mais tout à coup étaient saisis d’appréhension par l’éveil d’une pensée sociale : « Que fera l’humanité si elle se croit munie de nos ailes ? […] Et, pourtant, quel équilibre, quelle discipline, chez Barrès, quelle force concentrée et ordonnée dans toute son œuvre littéraire que les dernières générations d’aujourd’hui ne pratiquent pas assez !
5 mars Charles Blanc, à L’Artiste, en train de reprocher à Théophile Gautier, avec force coups d’encensoir, de mettre tout au premier plan dans ses articles, de ne laisser ni repos ni parties plates, de tout faire étinceler. […] L’exigence est son moyen, la patience sa force.
Encore la compréhension et même l’imagination de la construction, mais plus la force de l’exécution. […] Mercredi 3 août J’ai été si malade cette nuit, et me trouve si faible ce matin, que, craignant de n’avoir plus la force de m’en aller demain, je pars convoyé par Léon, comme médecin auxiliaire.
On a beau lui en dire du bien, il ne sera content que « lorsqu’il le saura libre, ferme et en possession de parler (même au roi) avec une force douce et respectueuse… S’il ne sent pas le besoin de devenir ferme et nerveux, il ne fera aucun véritable progrès ; il est temps d’être homme ».
À part quelques mots de pure forme et de déférence, l’idée seule de la nature, c’est-à-dire des lois immuables et nécessaires limitant et enveloppant de toutes parts la force de l’homme, est ce qui règne chez Buffon.
Je dirigerai le peu de forces qu’il m’a données vers sa gloire, certain que je suis que là gît la souveraine beauté et le souverain génie, là où est un Dieu immense qui fait cingler les étoiles sur la mer des cieux comme une flotte magnifique, et qui a placé le cœur de l’honnête homme dans un fort inaccessible aux méchants.
Orateur, grammairien, poète, le plus attique des Latins, quand il écrit des mémoires sur ses guerres, il le fait en un style si simple, si pur, si gracieux dans sa nudité même, qu’en ne voulant que fournir des matériaux aux historiens futurs, il a peut-être fait plaisir, dit Cicéron, aux impertinents et malavisés (ineptis) qui voudront à toute force y mettre des boucles et des frisures ; mais à coup sûr il a détourné à jamais tous les bons esprits d’y revenir (« sanos quidem homines a scribendo deterruit ») ; car il n’est rien de plus agréable en histoire qu’une brièveté nette et lumineuse.
Il y a des hommes qui ne savent être qu’une chose, que de bonne heure une seule idée et une seule fumée remplit, et en qui une faculté irrésistible agit dès la jeunesse avec la force, la sagacité et aussi l’aveuglement d’un instinct.
Certes tout cela était bien agréablement dit et tout propre à divertir un moment les bonnes amies de France ; mais, pour ne pas s’y laisser prendre, qu’on lise aussitôt après, par contraste, les admirables et vigoureuses lettres qu’elle écrira huit ans après à Mme de Noailles (28 octobre 1709), à Mme de Maintenon (11 novembre 1709), sur les affaires publiques, sur les fautes commises, sur le précipice où l’on s’est jeté, sur les moyens d’en sortir et sur les ressources de la situation, qui n’est pas, humainement ni divinement, si désespérée qu’on la veut faire : quelle force !
Ce qui ne veut pas dire que Bonstetten, incapable de réprimer, eût été de force, plus longtemps, à contenir.
Malgré toutes ses concessions à la force des choses et malgré sa prudence, il était trop honnête homme pour ne pas être suspect ; on le taxait de modérantisme, c’est-à-dire d’être un politique.
Celles qui sont à la Force ne savent point pour combien de temps, et la ci-devant princesse (de Lamballe) est sans femme de chambre, elle se soigne elle-même : pour une personne qui se trouve mal devant un oumard en peinture, c’est une rude position. — On ne voit pas une belle dame dans les rues ; je roule cependant avec mon cocher qui chatouille les lanternes de Paris avec son chapeau.
Ainsi, la Chambre des pairs s’oppose-t-elle à la loi du sacrilège, telle que la proposait le ministère et telle que la voudrait Lamennais, celui-ci écrit à M. de Coriolis (16 février 1825) : « Je trouve que la Chambre des pairs va chaque jour se surpassant elle-même ; on ne sait où elle s’arrêtera… Imaginez, monsieur le marquis, quatre cents… je ne sais que dire, le mot me manque pour désigner cette espèce d’êtres, — qui écoutent gravement des choses de cette force et délibèrent, etc., etc. » La Chambre des députés, vouée pourtant à l’esprit de réaction, mais qui ne va pas assez vite à son gré, n’est pas mieux traitée par lui.
Gozlan est un homme d’esprit dans la force du terme ; il a d’heureux mots, comme on en cite d’autrefois : il a des fantaisies qui réussissent à la scène, des nouvelles dont l’idée est piquante.
Les Mémoires d’Outre-tombe de Chateaubriand, tant de pages même si justement critiquées, mais marquées encore de la griffe du lion, n’ont fait que confirmer l’idée de son talent et de sa force dans l’esprit des jeunes groupes, toujours prêts à se révolter, et ses défauts même, qui sont les leurs, l’ont servi.
Force nous est bien de les compléter.
Mais cette rencontre heureuse a manqué, n’en déplaise à ceux qui voudraient à toute force découvrir aujourd’hui ce génie absent.
Pilate annonce qu’il est envoyé par l’empereur romain, pour être en Judée, — en l’évêché de Judée, comme il dit, — son prévôt et juge, son lieutenant criminel ; il fera donc de gré ou de force payer des impôts et obligera un chacun à saluer l’image auguste.
J’éprouve, pour courir vers tout ce que je vois, Une force inconnue à mes jours d’autrefois.
Un jour ou l’autre, de gré ou de force, par composition ou de haute lutte, par la porte ou par la brèche, on entre, on est entré, on prend possession.
Au lieu de cela, n’ayant pas eu affaire à un adversaire de sa force, il n’a pas donné toute sa mesure.
En toute discussion il avait pour principe de prendre dans les opinions extrêmes en présence ce qui lui paraissait raisonnable pour composer la sienne, et il comptait un peu trop ensuite, pour la faire prévaloir, sur la force et la justesse de ses raisonnements.
Il s’en tira d’ailleurs dans le temps par un mot, et tandis qu’un autre, en apprenant le meurtre du duc d’Enghien, disait cette parole devenue célèbre : « C’est pire qu’un crime, c’est une faute22 », Talleyrand répondait à un ami qui lui conseillait de donner sa démission : « Si, comme vous le dites, Bonaparte s’est rendu coupable d’un crime, ce n’est pas une raison pour que je me rende coupable d’une sottise23. » Quant à l’affaire du Concordat et aux négociations qui l’amenèrent, il y poussa et y aida de toutes ses forces ; il y avait un intérêt direct, c’était de taire sa paix avec le pape et de régulariser son entrée dans la vie séculière ; ce qu’il obtint en effet par un bref.
On a bientôt fait de dire que Marius représentait le principe populaire, et Sylla l’élément patricien ; que le plébéianisme, depuis les Gracques, était généralement favorable à l’émancipation de l’Italie tout entière et à une égalité de droits à laquelle s’opposait le sénat ; que les Italiens s’armèrent pour conquérir par la force ce qu’on leur déniait avec iniquité ; que la guerre fut atroce et Rome plus d’une fois en danger ; que le patriciat, en triomphant même, en se relevant un moment par l’épée de Sylla, ne put guère faire autre chose que ce qu’aurait fait également l’autre parti s’il eût été victorieux, c’est-à-dire proclamer les concessions devenues inévitables et qui ne s’arrêtèrent pas là.
La Fontaine Dans ces rapides essais, par lesquels nous tâchons de ramener l’attention de nos lecteurs et la nôtre à des souvenirs pacifiques de littérature et de poésie, nous ne nous sommes nullement imposé la loi, comme certaines gens peu charitables ou mal instruits voudraient le faire croire, de mettre en avant à toute force des idées soi-disant nouvelles, de contrarier sans relâche les opinions reçues, de réformer, de casser les jugements consacrés, d’exhumer coup sur coup des réputations et d’en démolir.
Le savant s’efface devant l’expérience, laissant agir les seules forces naturelles, il ne réapparaît que pour en constater les résultats.
Voilà un couple d’espèce nouvelle, puisque son second terme n’est pas un objet dont nous puissions avoir perception et expérience, c’est-à-dire un fait entier et déterminé, mais une portion de fait, un fragment retiré par force et par art du tout naturel auquel il appartient et sans lequel il ne saurait subsister.
Surtout quand il raconte ses confrontations avec Mme Goëzman, une jolie petite sotte, étourdie, impudente, menteuse, frivole au point de ne pas se douter de l’importance morale de l’escroquerie qu’elle s’est permise, se fâchant dès que son adversaire lui rive son clou ou la force à se couper, soudain radoucie par un madrigal dont elle ne sent pas la secrète impertinence : ces scènes sont charmantes, et d’une irrésistible drôlerie.
Par les longues traversées, dans la solitude infinie des mers, l’idée persistante et le sentiment de l’immensité de l’univers et de la fatalité des forces naturelles doit vous remplir lentement d’une indéfinissable tristesse.
La religion était la philosophie, la poésie était la science, la législation était la morale ; toute l’humanité était dans chacun de ses actes, ou plutôt la force humaine s’exhalait tout entière dans chacune de ses exertions.
On pouvait le prévoir ; il faut plus d’éducation et de culture pour goûter Racine ; la force n’y est pas tout en dehors comme chez Corneille, elle y est vêtue et voilée.
M. de Lamartine, comme tous les grands poètes, a plusieurs âmes, il a dit même quelque part qu’il en avait sept (le nombre n’y fait rien) ; et certes il a prouvé, en des heures fameuses, que l’énergie, la force, une soudaine vigueur héroïque qui se confond dans un éclair d’éloquence, ne lui sont pas étrangères.
Cet ensemble d’anecdotes sur la jeunesse de Patru nous le montre bien, dans la vérité primitive de son caractère, aimable, je le répète, liant et séduisant, un garçon d’esprit et de plaisir, honnête homme au milieu de ses distractions gauloises, désintéressé, déjà mal à l’aise et se méfiant de la fortune, ne se sentant pas assez de force pour la maîtriser et pour épouser courageusement la femme qu’il aime, du moment qu’elle devient veuve et qu’elle est libre.