Grâce à Dieu, sa santé se raffermit, dit-on, et, comme les malades qui se retrouvent vivants quand ils ont fait leur testament, Banville, plus poète et mieux portant que jamais, fera mentir le titre de son volume actuel en publiant d’autres ouvrages. […] Nous indiquerons le grand morceau : Le triomphe de Bacchus à son retour des Indes, pris, sauf erreur, au vieux Baïf : Le chant de l’Orgie avec des cris au loin proclame Le beau Lyœus, le Dieu paré comme une femme, Qui, le thyrse en main, passe rêveur et triomphant, A demi couché sur le dos nu d’un éléphant, etc., etc, et, avec plus d’éloges encore, la pièce appelée Désespérance, où l’assonance la plus inattendue a presque sur l’esprit puissance de pensée, et dissout les nerfs dans la plus noble des mélancolies : Tombez dans mon cœur, souvenirs confus, Du haut des branches touffues !
Il est évident, en effet, que, pour la Critique comme pour l’Histoire, les plus grands esprits sont ceux qui se rapprochent le plus de Dieu, idéal de toute intelligence, par conséquent qui conçoivent le mieux les choses religieuses, et qui ont par éclairs — puisque l’homme n’est qu’un fragment dans un monde fragmenté — l’intuition du Surnaturel et de ses nécessités, si mystérieusement impérieuses. Il est évident que ce genre d’esprits, qui entendent, d’ailleurs, presque toujours les choses sociales : la notion qu’on se fait de Dieu impliquant tout le reste, l’emportent, et de beaucoup, sur les esprits qui ne se préoccupent que des problèmes terrestres de la vie, et ne songent qu’à tirer — extraction sublime, néanmoins !
Aujourd’hui, pour se dégourdir de ces graves travaux qui finiraient par ankyloser Arlequin, il nous donne, à nous, superficiels, qui ne sommes pas des Renan (Dieu merci !) […] La fade bergerie qui, du reste, n’y est pas la seule, et qui est la conclusion de son roman cette berquinade amoureuse et transie d’un roi épousant une bergère, d’un homme à qui l’auteur avait d’abord accordé de la force d’esprit et de caractère et qui devient le pastor fido d’une fillette, de pasteur de peuple que Dieu l’avait fait, n’est pas non plus la seule conclusion de ce roman, qui en a plusieurs, parce qu’il a plusieurs sujets.
Mais Dieu sait tout, mais Dieu n’oublie rien, mais Dieu est juste, mais Dieu venge et répare. […] Darwin était, au fond, conservateur et optimiste ; il croyait en Dieu. […] Dieu lui a suffi, et son humilité fuyait la gloire comme une tentation du démon. […] Non, je ne conviens pas, écrivain mon ami, que tu te contentes de ton propre suffrage, ni de celui de ton vieux maître, ni de celui de Dieu. […] Il n’y a rien de plus beau dans la poésie française que le vers sur la Sainte-Vierge, Pâle éternellement d’avoir porté son Dieu.
» Elle jette impérieusement à Dieu, — à elle-même, — cette décisive question. […] — Mais qu’est-ce que Dieu, sinon l’idée que nous nous en faisons ? […] Renan appelle Dieu, combien de définitions opposées ! Dieu est, successivement, dans ces rêveries de M. […] Renan déclare que ce Dieu n’agit point par des volontés, des actions particulières !
Ces cruelles et sacrilèges Poésies, qui insultent Dieu et le nient et le bravent, rappellent involontairement les plus grandes douleurs de l’orgueil humain, et on y retrouve comme un grandiose souvenir des yeux convulsés de la Niobé antique, des poignets rompus du Crotoniate et de la cécité de Samson dans l’entre-deux de ses piliers, — cette terrible cécité, qui renverse quand elle tâtonne !
Croyez-vous tout de bon que ce Dieu des batailles, Qui se fait des remparts de mille funérailles, Qui donne des combats & seme des lauriers, N’aime que le tonnerre & les travaux guerriers ?
Plût à Dieu qu’un si bel exemple fût imité dans le reste de l’Europe, & qu’en désarmant la chicane par des bonnes loix, on assurât le bonheur & les possessions de tous les citoyens.
Lysidas, que L’École des femmes ne péchait contre aucune des règles traditionnelles ; que, Dieu merci, je les avais lues autant qu’un autre, et que je ferais voir aisément que peut-être n’avions-nous point de pièce au théâtre plus régulière que celle-là278. […] Grâce à Dieu, elle n’y pouvait rien comprendre. […] Il est vrai qu’elle s’y résigne, en considérant que les vérités les plus simples, comme les vérités les plus hautes, ne sont pas susceptibles d’une démonstration rationnelle, et que, pour prouver qu’il fait jour, comme pour prouver Dieu, il ne faut point raisonner, mais ouvrir les yeux et sentir. […] Qu’un poème, par exemple, ruine l’idée de Dieu, l’idée du devoir, l’idée de l’âme, et fonde l’empire de la matière, quoi de plus immoral ? […] La beauté n’est point saisissable pour l’entendement, point définissable ; mais l’âme peut aspirer à la posséder, et chercher la beauté, vivre avec les choses belles, c’est établir sa demeure dans une sphère qui est au-dessus des sens et même de l’intelligence ; c’est communiquer avec ce Dieu inconnu qui échappe à la pensée, et que le sentiment moral peut seul atteindre316.
C’est ainsi que les vrais poètes changent d’objet sans changer d’amour, parce qu’ils impriment sur tout ce qu’ils adorent l’image que Dieu a gravée dans leur âme. […] Mozart avait perdu son père, qui mourut à Salzbourg, le 28 mai 1787, à l’âge de soixante et dix ans, dans un état voisin de la misère, mais heureux devant Dieu et devant les hommes d’avoir accompli sa mission en donnant au monde le plus sublime des compositeurs. […] Le caractère de sa musique devenait de plus en plus religieux ; il préférait l’écho du sanctuaire aux applaudissements des théâtres : ses chants montaient d’avance à son Dieu. […] En ce moment, mon père se trouvant donc à table, entouré de ses fils, de ses gendres, de ses petits-fils, de ses petits-neveux, venait de les convier à boire à ma santé, et en portant un brindizi (un toast) il venait de se lever de sa chaise et de dire : À la santé de notre Lorenzo, absent depuis tant d’années ; et prions Dieu qu’il nous accorde la grâce de le revoir avant l’heure de ma mort ! […] Dieu est en haut, son génie montait toujours.
L’invocation au Christ né parmi les pasteurs continue pendant trois strophes ; le poète, dans une comparaison ingénieuse et simple, demande à Dieu d’atteindre au sommet de l’olivier la branche haute où gazouillent le mieux les chantres de l’air, la branche des oiseaux. […] (Dieu que la jeunesse est une belle chose !) […] De son manteau le bon vieux pâtre se décharge, et, crédule, en l’air le jette… Et le manteau resta suspendu au rayon éclatant. » — « “Homme de Dieu ! […] « Dieu ! […] c’est que nous sommes l’art et qu’ils sont la nature ; c’est que nous sommes métaphysiciens et qu’ils sont sensitifs ; c’est que notre poésie est retournée en dedans et que la leur est déployée en dehors ; c’est que nous nous contemplons nous-mêmes et qu’ils ne contemplent que Dieu dans son œuvre ; c’est que nous pensons entre des murs et qu’ils pensent dans la campagne ; c’est que nous procédons de la lampe et qu’ils procèdent du soleil.
mais Dieu m’en garde ! […] C’est moi maintenant qui implore votre merci ; pour l’amour de Dieu, maître, ne me tuez pas. — Et pourquoi, lui répondis-je, avez-vous déserté vos quartiers où vous seriez certainement plus à l’aise que dans ces affreux marais ? […] Mais vous allez les voir, car ils ne sont pas loin, Dieu merci ! […] Il m’assura que le bruit que j’avais fait en traversant le bayou l’avait empêché de tuer un beau daim. « Il est vrai, ajouta-t-il, que mon vieux mousquet rate bien souvent. » Les fugitifs, quand ils m’eurent confié leur secret, se levèrent tous deux de leur siège, et les yeux pleins de larmes : « Bon maître, au nom de Dieu, faites quelque chose pour nous et nos enfants ! […] Est-ce donc là, grand Dieu !
Qui pourrait dire enfin si Goethe, l’homme essentiellement et véritablement progressif, qui doutait de tout, même de Dieu et de l’immortalité, à vingt-huit ans, aurait écrit à quatre-vingt-deux ans le portrait de Faust, le héros du scepticisme ? Non, les jugements du premier coup sont des impressions et non des jugements ; autrement il faudrait convenir que l’existence, la réflexion, l’expérience des hommes, sont de vains mots qui n’ont aucune influence, aucun amendement, aucun progrès à nous apporter, et que Dieu, en nous accordant le temps, ce grand révélateur de la vérité en tout genre, ne nous a donné qu’une déception dont nous n’avions aucun besoin pour être plus éclairés et plus sages qu’à notre premier mot dans la vie. […] Les hommes ne savent accepter avec reconnaissance ni de Dieu, ni de la Nature, ni d’un de leurs semblables, les trésors sans prix. » Mais ce ne sont pas seulement nos grands auteurs qui l’occupent et qui fixent son attention, il va jusqu’à s’inquiéter des plus secondaires et des plus petits de ce temps-là, d’un abbé d’Olivet, d’un abbé Trublet, d’un abbé Le Blanc qui, « tout médiocre qu’il était (c’est Goethe qui parle), ne put jamais parvenir pourtant à être reçu de l’Académie. » Cependant la France changeait ; après les déchirements et les catastrophes sociales, elle accomplissait, littérairement aussi, sa métamorphose. […] Tous les essais pour introduire des nouveautés étrangères sont des folies, si les besoins de changement n’ont pas leurs racines dans les profondeurs mêmes de la nation, et toutes les révolutions de ce genre resteront sans résultats, parce qu’elles se font sans Dieu ; il n’a aucune part à une aussi mauvaise besogne. Si, au contraire, il y a chez un peuple besoin réel d’une grande réforme, Dieu est avec elle, et elle réussit.
Et l’esprit inquiet, qui dans l’antiquité Remonte vers la gloire et vers la liberté, Et l’esprit résigné qu’un jour plus pur inonde, Qui, dédaignant ces dieux qu’adore en vain le monde, Plus loin, plus haut encor, cherche un unique autel Pour le Dieu véritable, unique, universel, Le cœur plein tous les deux d’une tristesse amère, T’adorent dans ta poudre, et te disent : « Ma mère ! […] Et dans le temple immense, où le Dieu du chrétien Règne sur les débris du Jupiter païen, Tout mortel en entrant prie, et sent mieux encore Que ton temple appartient à tout ce qui l’adore ! […] Ma conscience d’homme timoré devant Dieu répugnait à ce jeu de sang humain dont l’enjeu est la vie de ses créatures. […] J’écartais la guerre offensive de la république comme un crime envers l’humanité et envers Dieu ; je n’acceptais dans mes pensées pour la république que la guerre défensive et patriotique. […] Dieu lui-même a fait les créatures sensibles pour personnifier ses idées.
Dieu nous garde de comparer le petit au grand, notre effort à celui des maîtres ! […] Telle était justement l’idée qu’elle se faisait de Dieu. Mais pourquoi se faisait-elle de Dieu cette idée ? […] On fait alors appel au Dieu de la religion, qui est la détermination même et, de plus, essentiellement agissant. […] Elle reste transparente tant que les philosophes ne s’occupent pas d’elle, et alors Dieu se montre au travers.
Dieu ! […] Il n’y paraît pas de ces éclaircies radieuses et charmantes qui y devaient être, comme elles sont, et, grâce à Dieu, si nombreuses, dans l’œuvre même de Shakespeare. […] en est bien venu à faire de la psychologie, Dieu merci ! […] L’Œuvre est bien composée, et je crois, Dieu me pardonne, que Le Docteur Pascal est bien composé. […] Autrefois les Français étaient religieux ou antireligieux, et Dieu me garde de dire qu’au fond c’était la même chose.
Il n’a pas effacé de son front ce grand et beau reflet de Dieu, qui s’y débat contre les ombres du doute quand tous les autres l’ont éteint sur le leur.
Or elle compte dans son sein trois ou quatre langues, deux ou trois religions et Dieu sait combien de races.
C’est le sommet d’une montagne ; c’est un patriarche qui compte ses années par siècles ; c’est un couteau levé sur un fils unique ; c’est le bras de Dieu arrêtant le bras paternel.
Quand Dieu, pour des raisons qui nous sont inconnues, veut hâter les ruines du monde, il ordonne au Temps de prêter sa faux à l’homme ; et le temps nous voit avec épouvante ravager dans un clin d’œil ce qu’il eût mis des siècles à détruire.
Quelquefois égaré dans sa route, un vaisseau caché sous ses voiles arrondies, comme un Esprit des eaux voilé de ses ailes, sillonne les vagues désertes ; sous le souffle de l’aquilon, il semble se prosterner à chaque pas, et saluer les mers qui baignent les débris du temple de Dieu.
Par Dieu, elle le ferait ! […] Cette déclaration le met en joie, et il conclut par ce principe : « Ce temple de la vertu m’appartient, et, si j’y invite tout Newgate ou tout Bedlam, par Dieu ! […] Béni soit Dieu de ce que je puis vous servir1361 ! […] On ne peut en parler, si pleine que soit la reconnaissance, excepté à Dieu, et à un seul cœur, à la chère créature, à la plus fidèle, à la plus tendre, à la plus pure des femmes qui ait été accordée à un homme. […] Oui, je suis reconnaissant d’avoir reçu un cœur capable de connaître et d’apprécier la beauté et la gloire immense du don que Dieu m’a fait.
Bottom n’a jamais été maître d’école, Dieu te bénisse, Bottom ! Dieu te bénisse ! […] Un soir que j’étais allé chez mes amis, selon la coutume de paix, ma sœur, pour me faire honte, me conta l’héroïsme d’un homme qui était parti contre l’ennemi, abandonnant sa femme à Dieu ; et au contraire elle me montrait avec fureur ceux qui profitaient de la guerre pour abandonner leurs anciennes maîtresses. […] Prie donc, ô mon frère, toi qui lis ce livre, prie pour le pauvre Raoul, serviteur de Dieu, qui l’a transcrit tout entier de sa main dans le cloître de Saint-Aignant. » Imaginez-vous donc un moutier tel que celui de Saint-Martin de Tours où plusieurs milliers d’assembleurs de points tâchaient en silence. […] L’homme-artiste chemine entre Dieu et le mendiant, auxquels il offre tout son cœur.
… Dieu merci, les vers, chez lui, ne coulent pas de source.
L’existence de Dieu & l’immortalité de l’ame sont la base invariable de ses assertions métaphysiques ; & il ne dévoile tous les mysteres de l’homme, que pour remonter avec plus de certitude à celui qui l’a créé.
Lorsque, arrêtée sur les plaines de Lens ou de Fontenoy, au milieu des foudres et du sang fumant encore, aux fanfares des clairons et des trompettes, une armée française, sillonnée des feux de la guerre, fléchissait le genou, et entonnait l’hymne au Dieu des batailles ; ou bien, lorsqu’au milieu des lampes, des masses d’or, des flambeaux, des parfums, aux soupirs de l’orgue, au balancement des cloches, au frémissement des serpents et des basses, cette hymne faisait résonner les vitraux, les souterrains et les dômes d’une basilique, alors il n’y avait point d’homme qui ne se sentît transporté, point d’homme qui n’éprouvât quelque mouvement de ce délire que faisait éclater Pindare aux bois d’Olympie, ou David au torrent de Cédron.
Et Dieu sait combien de livres j’ai lus ! […] Pierre Loti est tout près de croire à l’existence d’un Dieu, et d’un Dieu qui ne saurait être qu’un Dieu de pitié. […] Les voies de Dieu étant insondables, il convient que soit tout à fait incohérente la pensée de M. […] Marcel Boulenger est un moraliste, mais à rencontre de ses émules, — et Dieu sait s’ils sont nombreux ! […] Dieu me garde d’une esthétique qui pour tout principe ne connaît que l’appel aux entrailles !
À Dieu ne plaise que je la prône jusqu’à l’outrance. […] Recueillons enfin cet éloquent appel à la confiance qui dément avec bonheur d’autres mouvements de la même intelligence et qui répond à toutes nos exigences de prédication littéraire : Le vrai Dieu, le Dieu fort est le Dieu des Idées. […] Dieu merci la plus vigoureuse et la plus auguste est encore intacte et faite pour braver l’assaut des hivers. […] Ces prières étaient des conversations en face de Dieu sur ce qui nous touchait, elle et moi, de plus près. […] Dieu le sait.
— Sais-tu comment je conçois Dieu ? […] Dieu ! […] et Dieu sait l’importance qu’avait le lever et le coucher du soleil, pour les débiteurs ! […] Dieu sait dans quel état ! […] … Dans ses impénétrables desseins, Dieu ne l’a pas permis.
Non pas, ce me semble ; puisque Don Juan, qui attaque l’idée de Dieu, est un coquin, que Molière, très évidemment, hait et méprise. Faut-il en conclure qu’il est avec Sganarelle qui défend l’idée de Dieu ? […] Il faut en conclure que Molière n’a pas été blessé lui-même de ce qu’il mettait le mépris de Dieu dans la bouche d’un sot, ce qui eût, évidemment, blessé un croyant, et le tout prouve que Dieu est indifférent à Molière. […] L’amour de Dieu ? […] Le malade imaginaire veut marier sa fille avec un médecin pour avoir toujours un médecin sous la main, comme le dévot veut marier sa fille avec un ami de Dieu peut être toujours sous la main de Dieu, et l’un tartufie sa fille pour sanctifier sa maison et l’autre diafoirise la sienne pour assainir sa demeure.
Va-t’en, pauvre oiseau passager : Que Dieu te mène à ton adresse !
Il différencie radicalement les facultés de ce qu’il appelle l’intelligence d’avec les facultés de l’âme ; il fait de la première la science purement terrestre, le résultat élaboré des organes ; il fait de la seconde une émanation de Dieu et un pur esprit ; et c’est en s’attachant aux facultés de cette partie immatérielle qu’il pense arriver avec évidence aux vérités sublimes et naturelles qui doivent diriger toute une vie.
Pour écrire six lignes sur la mort de Louvois, ce n’a pas été trop d’avoir entendu Bossuet et Bourdaloue, d’avoir médité sur Pascal et sur saint Augustin ; mais, ainsi préparée, elle a vu l’inexorable main de Dieu qui renversait Louvois et sa grandeur, elle l’a dit tout bonnement, et ce qu’elle a dit tout bonnement est sublime.
. — Le Dieu dans l’Homme (1885). — Le Livre des petits, poésies (1886). — Le Livre d’heures de l’amour, poésies (1887)
Plût à Dieu que le crime du Tasse eût été l’excès d’amour pour Léonora ! […] Plût à Dieu, repris-je, que la fortune, qui m’envoie aujourd’hui un si noble guide, me fût aussi favorable dans toutes les autres circonstances ! […] Non, répondit-il, elle appartient à mon père ; Dieu veuille lui accorder une longue vie ! […] Plaise à Dieu, ajoutai-je, que je puisse un jour reconnaître cette généreuse hospitalité !
C’est cette même marquise de Lassay pour laquelle Chaulieu, qui en était épris, et qui la rencontrait sans cesse dans la petite cour de Mme la Duchesse à Saint-Maur, a fait une foule de jolis vers, et ceux-ci entre autres où il parle de son cœur d’un ton presque aussi ému que l’eût pu faire La Fontaine : Il brûle d’une ardeur désormais éternelle ; Et, livré tout entier à qui l’a su charmer, Il sert encore un Dieu qu’il n’ose plus nommer51. […] Récapitulant tous les talents et toutes les facultés qu’il reconnaît ne posséder que d’une manière secondaire et inférieure à ce qu’il avait vu chez d’autres, il ajoute que pour l’esprit de connaissance et de discernement, il croit que peu de personnes l’ont plus que lui : Et cela, conclut-il, m’a fait penser bien des fois fort extravagamment que, de toutes les charges qui sont dans un royaume, celle de roi serait celle dont je serais le plus capable ; car l’esprit de connaissance et de discernement est juste celui qui convient aux rois : ils n’ont qu’à savoir bien choisir ; et, donnant à un chacun l’emploi qui lui convient, ils se servent de toutes ces sortes d’esprits que Dieu a distribués aux hommes, sans qu’il soit nécessaire qu’ils les aient. […] On a de lui une prière touchante dans laquelle il se remet entre les mains de Dieu, et où il réunit dans une intercession commune les trois femmes qu’il a le plus aimées, en y comprenant même celle dont il eut tant à se plaindre : Ma chère Marianne, ma chère Julie, ma chère Bouzols, priez mon Dieu pour moi !
Mais, pour Dieu ! […] Il avait bien glissé çà et là au bout de quelque couplet un filet de tendresse grave, comme dans Si j’étais petit oiseau ;mais le coup décisif fut le Dieu des Bonnes Gens. […] À partir du Dieu des Bonnes Gens, toutes ses facultés, toutes ses passions tendres ou généreuses, se versèrent dans ce genre unique, qui ne lui avait semblé d’abord qu’une diversion et presque une dérogation à son talent.
Berlin l’aîné, sous ses arbres des Roches, où tous ceux qui l’ont approché ont pu apprécier dans son dire un si grand sens des choses de la vie ; mais pour Dieu ! n’enflez pas tant votre voix pour mêler tous ces hommes et Carrel ensemble au même moment, pour saluer l’un comme prince, pour parler de l’autre comme d’un père, et proclamer celui-là devant tous comme votre seconde conscience ; pour Dieu ! […] Mais il faudrait prendre garde, peut-être, que Buffon, parlant de Dieu, ne le relègue si haut que faute d’oser le reléguer plus loin encore.
On trouva chez lui un petit papier, écrit de sa main, qui contenait ces mots : Trois ouvrages qui m’occuperont le reste de mes jours dans ma retraite : 1° L’un de raisonnement : — la Religion prouvée par ce qu’il y a de plus certain dans les connaissances humaines ; méthode historique et philosophique qui entraîne la ruine des objections ; 2° L’autre historique : — histoire de la conduite de Dieu pour le soutien de la foi depuis l’origine du Christianisme ; 3° Le troisième de morale : — l’esprit de la Religion dans l’ordre de la société. […] Pendant qu’il est captif en Turquie, son maître Salem veut le convertir au Coran ; et comme le marquis, en bon chrétien, s’élève contre l’impureté sensuelle sanctionnée par Mahomet, Salem lui fait le raisonnement que voici : « Dieu, n’ayant pas voulu tout d’un coup se communiquer aux hommes, ne s’est d’abord fait connoître à eux que par des figures. […] La loi des chrétiens, qui a suivi celle des Juifs, étoit beaucoup plus parfaite, parce qu’elle donnoit tout à l’esprit, qui est sans contredit au-dessus du corps… C’est un second état par lequel ce Dieu bon a voulu faire passer les hommes… Et maintenant enfin ce ne sont plus les seuls biens du corps, comme dans la loi des Juifs, ni les seuls biens spirituels, comme dans l’Évangile des chrétiens, c’est la félicité du corps et de l’esprit que l’Alcoran promet tout à la fois aux véritables croyants. » Il est curieux que Salem, c’est-à-dire notre abbé Prévost, ait conçu une manière d’union des lois juive et chrétienne au sein de la loi musulmane, par un raisonnement tout pareil à celui qui vient d’être si hardiment développé de nos jours dans le saint-simonisme.
Il n’y en a point encore qui ait frappé au but, et jamais on n’y frappera apparemment, tant sont grandes les profondeurs de Dieu dans les œuvres de la nature, aussi bien que dans celles de la grâce. […] Bayle était religieux, disons-nous, et nous tirons cette conclusion moins de ce qu’il communiait quatre fois l’an, de ce qu’il assistait aux prières publiques et aux sermons, que de plusieurs sentiments de résignation et de confiance en Dieu, qu’il manifeste dans ses lettres. […] Bayle est, dit-on, fort vif ; et, s’il peut embrasser L’occasion d’un trait piquant et satirique, Il la saisit, Dieu sait, en homme adroit et fin : Il trancheroit sur tout, comme enfant de Calvin, S’il osoit ; car il a le goût avec l’étude.
On ne peut pas dire qu’il mourut en chrétien ; Platon était son Christ et la philosophie grecque était sa foi ; il confondait dans cette foi la divinité de l’Évangile avec ces révélations de la sagesse humaine, émanées des inspirés de Dieu, dont il avait propagé le culte en Italie ; fidèle aux formes du catholicisme, plus fidèle à l’esprit dont il les animait. […] Ne pouvant en même temps se dissimuler l’état d’infirmité où il était lui-même, il les exhortait à ne se plus considérer comme des enfants, mais comme des hommes ; car il prévoyait que les circonstances où ils allaient se trouver les réduiraient bientôt à la nécessité de mettre à l’épreuve leurs talents et leurs moyens personnels. « On attend à toute heure l’arrivée d’un médecin de Milan, leur dit-il ; mais pour moi, c’est en Dieu seul que je mets ma confiance. » Soit que le médecin ne fût pas arrivé, ou que le peu de confiance que Pierre avait dans ses secours fût bien fondé, environ six jours après, le premier jour d’août de l’année 1464, Côme mourut, à l’âge de soixante et quinze ans, profondément regretté du plus grand nombre des citoyens de Florence, qui s’étaient sincèrement attachés à ses intérêts, et qui craignaient que la tranquillité de la ville ne fût troublée par les dissensions qui allaient probablement être la suite de ce triste événement. […] Un seul, Montesicco, avec le reste de loyauté qui honore toujours même le crime dans l’homme dévoué, ayant appris qu’il fallait frapper ses victimes dans une église, au pied de l’autel, au moment de l’élévation qui courbe toutes les têtes devant l’image de Dieu, se récusa, non pour le crime, mais pour le lieu de la scène ; les deux prêtres, Maffei et Bagnone persévérèrent.
Mme de Montespan, expiant sa faveur et ses fautes par les macérations, les ceintures à pointes de fer, et, ce qui est moins mêlé d’imagination, par la douceur et la bienfaisance ; travaillant, de ses mains restées si belles, à des ouvrages grossiers pour les pauvres ; si humble après tant de hauteur ; « mourant, dit Saint-Simon, sans regret et uniquement occupée à rendre son sacrifice plus agréable à Dieu » ; une vaincue si résignée n’est pour Voltaire qu’« une vieille maîtresse disgraciée qui s’amuse à doter des jeunes filles » ; et si elle ne va pas, comme la Vallière, aux Carmélites, « c’est, dit-il, qu’elle n’est plus dans l’âge où l’imagination y envoie. » Cette impossibilité de voir le bien où il faudrait en faire honneur au christianisme, ôte toute autorité aux chapitres sur les affaires ecclésiastiques et les querelles religieuses au dix-septième siècle. […] Il l’a faite dans le même temps qu’il défendait contre Frédéric, alors prince de Prusse, la liberté morale, et Dieu contre Sa Majesté le Hasard. […] Il aimait toutes les grandes choses ; il ne confondait pas la gloire avec le bruit de son nom ; il ne pensait pas encore à recommander Dieu comme une institution de police.
L’humanité, comme le Dieu biblique, fait sa volonté par les efforts de ses ennemis. […] Tout ce qui sert à avancer Dieu est permis. […] Mais maintenant nous avons la clef de l’énigme, et Dieu est justifié par le plus grand bien de l’espèce. » Pendant que la croyance à l’immortalité aura été nécessaire pour rendre la vie supportable, on y aura cru.
Le cœur a partout les mêmes devoirs, sur les marches du trône de Dieu, s’il a un trône, et au fond de l’abîme, s’il est un abîme. […] Ce fut, au moyen âge, un acte de piété envers Dieu et de charité envers les hommes d’exterminer les infidèles et les hérétiques. […] Corneille est le contemporain des jansénistes de la première heure qui sacrifient sans hésiter les plaisirs du monde et les affections les plus légitimes au désir de vivre en communion avec Dieu, qui prêchent et pratiquent les préceptes les plus sévères.
Dieu était contre elle et elle ne lutte pas avec Dieu. […] Cette femme est vaincue par Dieu parce qu’elle n’a pu devenir la maîtresse d’un ingénieur de son goût !
Dieu étouffe dans ces petites prisons ! […] Nous sentons clairement, irrésistiblement, sans nulle hésitation, sans nulle obscurité, que le Dieu qui trônait dans l’azur céleste, monstrueuse image de l’absolue monarchie, s’est effacé comme un mauvais rêve, comme un hallucinant cauchemar, d’où les premiers rayons du jour viennent nous arracher. Nous sentons clairement que le Dieu des chrétiens n’était comme tous les autres qu’un fantôme d’erreur ; et cependant la totalité de notre vie journalière, les moindres actions du monde, tous les faits qui nous environnent, la famille, les affaires, les institutions, le langage, ne sont-ils pas encore pétris de cette conception ruinée, que nous savons mensongère et néfaste, mais que la vie commune retient encore dans son inextricable complexité ?