Rien de plus visible que ce va-et-vient dans ce qui s’est écrit en notre siècle à propos de la peine de mort. […] A la fin du siècle dernier, Mercier faisait jouer le Déserteur, dont le héros était fusillé au dénouement ; c’était le seul homme que ce dramaturge débonnaire eût tué dans sa carrière ; encore le ressuscita-t-il à la prière de Marie-Antoinette ; le déserteur, dans une version nouvelle de la pièce, fut gracié au dernier moment. […] Qu’on regarde par exemple la question du divorce en notre siècle. […] Elles sont toutes modernes ; la première, si je ne me trompe, date de 1791 ; leur action n’a donc pu se faire sentir qu’en notre siècle. […] Toujours est-il que, dans le cours des quatre derniers siècles, juges, plaideurs, huissiers, avocats ont été mainte et mainte fois maltraités en vers et en prose.
En eût-il l’idée, le siècle ne le supporterait pas un moment. […] Sur tout le reste son goût était fin, vif, pénétrant, et, bien qu’il ne résistât point assez à une teinte de recherche et d’apprêt, on peut classer Rivarol au premier rang des juges littéraires éminents de la fin du dernier siècle. […] Quand Rivarol débuta dans la littérature, les grands écrivains qui avaient illustré le siècle étaient déjà morts ou allaient disparaître : c’était le tour des médiocres et des petits. […] Tout le siècle ayant tourné à la littérature, on se louait, on se critiquait à outrance, mais le plus souvent on se louait. […] Mais toutes ces intentions premières furent interceptées et arrêtées avant le temps par le malheur des circonstances, et surtout par l’esprit du siècle dans lequel Rivarol vécut trop et plongea trop profondément pour pouvoir ensuite, même à force d’esprit, s’en affranchir.
Les chroniqueurs et les historiens, jusqu’au commencement de ce siècle, jugeant les faits à première vue et les expliquant par une doctrine superficielle mais relativement juste, en étaient venus à concentrer tout l’intérêt et le mérite de chaque entreprise dans les individus, rois, ministres, généraux dont le nom lui était resté attaché. En tentant d’améliorer et de rénover ces vues, et sous l’empire de la réaction libérale à laquelle cédaient les esprits éminents dans la première moitié de ce siècle, on est allé aune conception opposée et plus fausse. […] Après un siècle d’art, Athènes fut épuisée, bien que ses guerres navales lui coûtassent peu de monde et quand Sparte autrement éprouvée dura bien plus longtemps, illettrée. […] Le siècle de Louis XIV, le XVIIIe précédèrent la défaite facile de la noblesse et de la haute bourgeoisie françaises par une poignée de révolutionnaires. […] C’est plus largement un topos du siècle des Lumières, repérable chez les penseurs du déclin de l’empire romain (Montesquieu, Gibbon).
Tel fut aussi le sort de l’Afrique et de l’Egypte, et telle sera la destinée des empires dans toutes les contrées de la terre et dans tous les siècles à venir. […] Charlemagne, né dans un temps où lire, écrire et balbutier de mauvais latin n’était pas un mérite commun, fonda notre pauvre université ; il la fonda gothique, elle est restée gothique telle qu’il l’a fondée ; et malgré ses vices monstrueux, contre lesquels les hommes instruits de ces deux derniers siècles n’ont cessé de réclamer et qui subsistent toujours, on lui doit la naissance de tout ce qui s’est fait de bon depuis son origine jusqu’à présent. […] L’admiration, générale qu’il obtint sans la mériter soutint le désir de savoir ; le goût des futilités scolastiques passa, celui de la vraie science parut, et tous les grands hommes des siècles suivants sortirent d’autour de ces chaires qu’avaient autrefois occupées Thomas d’Aquin, Albert le Grand, Abeilard, Jean Scot, et qu’occupent aujourd’hui des maîtres à peu près leurs contemporains d’études. […] Le but en sera le même dans tous les siècles : faire des hommes vertueux et éclairés. […] Celui de s’occuper de la science des mots ou de l’étude des langues, clef de ces vieux sanctuaires fermés pendant tant de siècles.
Des spectacles inondés de sang, des catastrophes, des succès momentanés et terribles, des retentissements inattendus, sortis tout à coup de la trompette de la Renommée, — cette sourde sonneuse de fanfares qui ne s’entend pas elle-même quand elle sonne, car souvent elle s’interromprait, — tous les fracas d’un monde solide pour quelques siècles encore, et qui ne se fût point écroulé si on ne l’avait frappé à coups redoublés au faîte, aux flancs et à la base, n’était-ce pas là plus qu’il n’en fallait pour enivrer et faire chanceler la pensée ? […] Chaque siècle a sa philosophie, comme il a ses passions personnelles ; et c’est même une loi de l’esprit humain que la philosophie d’un siècle doive rayonner dans tout ce que ce siècle a produit. […] Ainsi, pour ne prendre que le siècle présent, le xixe siècle, sa philosophie, qui est le panthéisme, a poussé, comme un affreux polype, de vivaces et inévitables boutures dans tous les ouvrages contemporains, et particulièrement en histoire. […] Il a bien vu que, malgré les prétentions d’une philosophie qui, si on la laisse faire, est en train de fausser le sens commun de l’humanité pour des siècles, ce qu’on appelle la Révolution Française, comme tous les grands événements, se résumera en quelques noms propres, — le seul signe que, pour des raisons très profondes, les hommes connaissent des plus grandes choses, — et alors il a regardé sous ces noms ceux qui les portent, et, en agissant ainsi, je le dis en lui battant des mains, il a éventré la Révolution jusque dans le cœur de ceux qui la voulurent et les cerveaux de ceux qui la pensèrent, confondant à dessein en une même condamnation les hommes et les faits, souillés réciproquement les uns par les autres, et traînant le tout à des gémonies éternelles dans le pêle-mêle du mépris.
Ce second volume contient d’ailleurs les ouvrages en prose qui sont ses vrais titres, et qui lui avaient valu dans les douze premières années du siècle une réputation si brillante et si pleine d’espérances. […] Rival parfois heureux de Millevoye dans les concours en vers, il parut triompher sans partage dans les concours d’éloquence ; sont Éloge de Corneille (1808), son Tableau du dix-huitième Siècle (1809), son Éloge de La Bruyère (1810) promettaient décidément à la France un écrivain de plus. […] Que si, rabattant de ces illusions de famille, nous venons à peser à leur juste valeur les œuvres de Victorin Fabre (je ne parle que de celles qui sont publiées), nous trouvons qu’il mérite, en effet, une mention honorable dans la littérature des premières années du siècle.
Les innombrables créations que le théâtre italien avait accumulées depuis près de deux siècles, les inventions de la commedia dell’arte surtout facilitèrent sa tâche et aidèrent à son génie. […] L’humanité n’a pas dit son dernier mot ; sur notre sol ou dans d’autres régions, un grand siècle littéraire succédera aux grands siècles littéraires du passé.
Pour l’artiste qui étudie le public, et il faut l’étudier sans cesse, c’est un grand encouragement de sentir se développer chaque jour au fond des masses une intelligence de plus en plus sérieuse et profonde de ce qui convient à ce siècle, en littérature non moins qu’en politique. […] Des siècles passés au siècle présent, le pas est immense.
Le livre de Gabrielle d’Estrées, écrit avec le sang-froid de l’homme d’État encore plus que de l’historien, se distingue par une simplicité d’expression ravissante en Capefigue, qui d’ordinaire aime à fringuer et à faire briller la paillette chère au siècle qu’il a tant aimé Pour tout dire d’un mot, c’est un livre où la rectitude des idées a créé, seule, un talent sur lequel nous ne comptions plus. […] Comme roi, Henri IV, pour toute initiative, reprit cette triste politique de Catherine de Médicis, qui consistait à réunir le parti catholique et le parti huguenot dans un centre commun et en s’éloignant des extrêmes, politique chétive, que les races et les générations se passent de la main à la main depuis des siècles, qu’on appelle fusion, conciliation, transaction, bascule, équilibre, tous mots vains ! […] Malgré le peu de pente de l’esprit tout politique de l’auteur de Gabrielle d’Estrées à regarder du côté des causes morales, qui sont les influences décisives de l’histoire, cependant il ne peut s’empêcher de dire à plus d’une place de son ouvrage que les nombreuses amours publiques de ce chef d’État durent choquer si profondément l’esprit religieux et les mœurs de son siècle, que, son système politique eût-il réussi, il fût tombé par là encore !
Ce que le premier a déclamé, une fois, les autres le déclameront jusqu’à la consommation des siècles ; c’est l’histoire des moutons de Panurge appliquée au vers et à la prose. […] il est le dieu d’un siècle qui ne croit plus qu’à l’épée et à l’habit du gentilhomme ! […] En un mot, rien n’était plus étrange et plus inattendu dans ce siècle, qu’un drame pareil accompli à l’aide d’un pareil héros. […] Ce singe effronté et malin inventait la musique du grand siècle, comme Racine a inventé la tragédie. […] On dirait que l’Ambigu-Comique avait vu le siècle de Louis XIV, par la lorgnette de M.
On conçoit que l’émotion ait été grande : ce qui surprend, c’est qu’elle ait été aussi durable, ait survécu pendant des siècles, et se soit propagée bien au-delà du pays où elle avait été ressentie. […] Pendant des siècles il accueillit, hébergea, soigna dans leurs maladies, ensevelit pieusement, quand ils succombaient à leurs fatigues, d’innombrables voyageurs. […] Il est vrai qu’en revanche elle omet les Basques : il n’est pas étonnant que le rôle de ces montagnards, inconnus au nord de la France, ait été oublié dans le cours des siècles. […] En Occident même, elle ne sortit pas des livres du chroniqueur anglais et du rimeur wallon, et pendant des siècles on n’en rencontre plus aucune mention. […] J’ai donc les anciens auteurs de nos annales pour garants qu’on l’a vu, dans plus d’un siècle, en Espagne, en Italie, en Allemagne, et qu’en cette année (1602 ?)
Ces mémoires sont la lie du vase, cuvée et versée, du cœur aigri de ce grand homme du siècle. — Nous disons grand, nous ne disons pas bon. — Ces mémoires protesteraient contre l’épithète. […] Disons franchement le mot, c’est mauvais en masse, souvent beau en détail ; cela n’honore pas M. de Chateaubriand, et cela déshonore autant qu’il le peut tout son siècle. […] On oublie que des siècles ont remué ces lieux et ces peuples, et qu’il peut en sortir des peuples nouveaux à force de vieillesse, mais jamais d’anciens peuples. […] On oublie que deux mille ans ont passé, et que des millions de barbares ont été colonisés avec leurs mœurs nouvelles pendant des siècles et des siècles en Italie et en Grèce. […] Si vous ne deviez m’accuser de prendre en main des causes désespérées, j’aimerais à réhabiliter Médée auprès de mon siècle.
Tel fut le sort de ce roman d’Eudore et de Cymodocée, épitaphe des prétentions du génie humain à ressusciter le poëme épique dans un siècle où il n’y avait plus de foi que dans le raisonnement des âmes pieuses et dans l’avenir des idées fortes. […] Le vieux siècle expirant dans les convulsions s’étonne et se sent rajeuni. […] Et il eut même ces talents divers à un degré qui se fait reconnaître de lui-même, qui devient sa conscience dans l’âme d’autrui, qui réfute toutes les critiques, qui renverse toutes les jalousies et qui fait dire à tout un siècle : Il est grand ! Cette exclamation d’un siècle est le sceau du génie. Il fut et il restera le plus grand écrivain de la France dans un siècle où tout était muet, mais où tout allait renaître.
Ce goût, immuable depuis deux siècles, avait dominé Shakespeare lui-même et tyrannisé son génie. […] Il y a bientôt deux siècles que la maturité dure ; et s’il était vrai qu’à force d’entraves, on la pût rendre moins productive, il n’y aurait encore aucune conséquence à tirer de l’interruption ou de l’infréquence de ses triomphes. […] Celle du Walstein de Schiller est une pièce de deux mille vers, interminable enfilade de digressions, où le poète s’amuse à nous peindre l’indiscipline et les mœurs licencieuses de la soldatesque du dix-septième siècle, ou, comme on dit, du grand siècle. […] Disons plus, une tragédie est assez historique quand elle peint à grands traits les véritables mœurs d’un peuple et d’un siècle. […] Nos auteurs français deviennent romantiques, lorsqu’aux dépens de la vérité des mœurs, ils nous font les siècles passés à l’image et à la ressemblance du nôtre.
La littérature grecque n’était pas morte apparemment au siècle des Pisistratides, où déjà l’esprit philologique nous apparaît si caractérisé. […] On pourrait croire qu’en rappelant l’activité intellectuelle à l’érudition on constate par là même son épuisement et qu’on assimile notre siècle à ces époques où la littérature ne pouvant plus rien produire d’original devient critique et rétrospective. […] Qui oserait le dire du siècle qui a pro-duit les vastes commentaires d’Albert et de saint Thomas ? […] Peut-être les siècles qui savent le mieux produire le beau sont-ils ceux qui savent le moins en donner la théorie. […] Roger Bacon, en qui se remarquent les premières étincelles de l’esprit moderne et qui, presque seul, en un espace de dix siècles, comprit la science comme nous la comprenons, avait déjà deviné la philologie.
Du haut de ses soixante-deux éditions, — c’est le dernier chiffre officiel en attendant la suite, — il regarde en pitié et son siècle et les siècles qui l’ont précédé. […] Edmond et Jules de Goncourt, faire une place dans l’histoire littéraire de ce siècle à ces railleurs impitoyables qui ont écrit Orphée aux enfers, La Belle Hélène et Les Brigands. […] Zola se plaint que le romantisme obstrue le siècle : il se trompe de vingt années. […] Depuis de longs siècles, les générations passent devant leurs ouvrages et se figurent y retrouver leurs sentiments et leurs passions ! […] Il ne faut pas en effet un bien grand effort ni même un travail bien long pour découvrir quelque chose d’inédit sinon de nouveau dans les rayons de la grande ruche ouvrière parisienne, et se figurer que l’on enrichit son siècle de précieux « documents humains ».
La religion commune est une patrie commune ; il y eut dans le choix du sujet autant de génie que dans le poème lui-même ; les croisades, qui avaient été l’héroïque folie des siècles précédents, étaient restées la tradition héroïque des peuples chrétiens. […] La cour de Léon X lui-même n’a pas été illustrée, parmi les siècles, par deux noms plus immortels que les noms de l’Arioste et du Tasse, ces deux clients de ces grands Mécènes du seizième siècle à Ferrare. […] L’une et l’autre avaient reçu dans le palais lettré de Ferrare l’éducation presque virile des maîtres, des philosophes et des poètes les plus éminents de ce siècle. […] Continuez, Monsieur, réhabilitez notre siècle ; je le quitte sans regret. […] Sur la foi d’un vers de Boileau, le seul poème épique moderne digne de ce nom passa pendant deux siècles, en France, pour une fausse dorure sur un vil métal.
Il y avait des siècles que l’épopée française était née lorsque l’écriture heureusement fixa ce chef-d’œuvre. […] Il y eut ainsi cinq siècles environ pendant, lesquels notre race, quoi qu’on ait dit, eut bien « la tête épique ». […] Ainsi les chansons de geste21 sont déjà telles à peu près qu’elles nous apparaîtront un siècle et demi plus tard dans les rédactions conservées. […] Ce lieu commun vivace regermera chez nous à chaque époque, et, dans un siècle comme le nôtre, idolâtre de l’enfance, deviendra d’une culture très facile et rémunératrice. […] Digby 23) écrit à la fin du xiie siècle, donc postérieur d’un siècle à peu près à la rédaction.
Je ne la considère maintenant que pour déterminer avec précision le véritable caractère de la philosophie positive, par opposition aux deux autres philosophies qui ont successivement dominé, jusqu’à ces derniers siècles, tout notre système intellectuel. […] Cette vérification est facile aujourd’hui pour tous les hommes au niveau de leur siècle. […] Ils se sont enfin tellement prononcés, qu’il est devenu impossible aujourd’hui, à tous les observateurs ayant conscience de leur siècle, de méconnaître la destination finale de l’intelligence humaine pour les études positives, ainsi que son éloignement désormais irrévocable pour ces vaines doctrines et pour ces méthodes provisoires qui ne pouvaient convenir qu’à son premier essor. […] (3) Tout se réduit donc à une simple question de fait la philosophie positive, qui, dans les deux derniers siècles, a pris graduellement une si grande extension, embrasse-t-elle aujourd’hui tous les ordres de phénomènes ? […] Seule elle a été, depuis une longue suite de siècles, constamment en progrès, tandis que ses antagonistes ont été constamment en décadence.
Taine a paru, ce livre insolent de cela seul qu’il est impossible d’y répondre, la Bête a réagi et elle va continuer de réagir contre le Taine qu’elle a vanté et exalté naguère comme l’espoir du siècle, — que dis-je, l’espoir ? comme la plus grande solidité intellectuelle du siècle ! […] C’est la convoitise humaine, réprimée, contenue pendant des siècles par des lois comme il en faut aux hommes pour qu’ils puissent vivre ensemble sans se dévorer ; c’est la convoitise humaine qui se lève et qui étend sur tout ses cent mille bras immenses ! […] La Bête humaine, que des siècles de Christianisme avaient apprivoisée et adoucie, a repris sa nature de bête. […] … Grand courage, du reste, a fait cette preuve, en ce moment du siècle !
Il avait laissé couler, comme un fleuve, presque un siècle sur la vérité, et les flots puissants de ce siècle, chargés de toutes les immondices de l’erreur, ne l’avaient pourtant ni souillée, ni entraînée, ni engloutie. […] On pouvait dire sans danger des choses incertaines à un siècle naturellement incertain. […] Au temps où nous vivons, dans les circonstances de malheur qui nous cernent depuis surtout un siècle et demi, croit-on qu’il serait sans aucun inconvénient, par exemple, de mettre en saillie tous les détails du pontificat de Léon X ? […] Ils ont, pour leur part, repoussé ces calomnies que des écrivains de ce temps-ci, moins sages et moins intelligents, répètent encore comme s’ils étaient du siècle passé. […] Les erreurs bouillaient sous le feu de l’esprit d’un siècle incendiaire.
Assigner à ces traditions leurs véritables causes qui, à travers les siècles, à travers les changements de langues et d’usages, nous sont arrivées déguisées par l’erreur, ce sera un des grands travaux de la nouvelle science. […] L’histoire sacrée est plus ancienne que toutes les histoires profanes qui nous sont parvenues, puisqu’elle nous fait connaître, avec tant de détails et dans une période de huit siècles, l’état de nature sous les patriarches (état de famille, dans le langage de la science nouvelle). […] Chaque nation païenne eut son Jupiter. — Il fallut sans doute plus d’un siècle après le déluge pour que la terre moins humide pût exhaler des vapeurs capables de produire le tonnerre. […] Les siècles s’écoulèrent, les usages changèrent, et les fables furent altérées, détournées de leur premier sens, obscurcies dans les temps de corruption et de dissolution qui précédèrent même l’existence d’Homère. […] Voilà ce qui explique l’orgueil, l’avarice, et la barbarie des nobles à l’égard des plébéiens, dans les premiers siècles de l’histoire romaine.
C’était un romantique aussi que ce Fauriel qui considérait volontiers tous les siècles de Louis XIV comme non avenus, et qui, bien loin de tous les Versailles, s’en allait chercher, dans les sentiers les plus agrestes et les plus abandonnés, des fleurs de poésie toute simple, toute populaire, mais d’une vierge et forte senteur. […] Ils ont un grand point de ralliement d’ailleurs, le culte de l’art compris selon l’inspiration moderne rajeunie en ce siècle. […] Rendre à la poésie française de la vérité, du naturel, de la familiarité même, et en même temps lui redonner de la consistance de style et de l’éclat ; lui rapprendre à dire bien des choses qu’elle avait oubliées depuis plus d’un siècle, lui en apprendre d’autres qu’on ne lui avait pas dites encore ; lui faire exprimer les troubles de l’âme et les nuances des moindres pensées ; lui faire réfléchir la nature extérieure non seulement par des couleurs et des images, mais quelquefois par un simple et heureux concours de syllabes ; la montrer, dans les fantaisies légères, découpée à plaisir et revêtue des plus sveltes délicatesses ; lui imprimer, dans les vastes sujets, le mouvement et la marche des groupes et des ensembles, faire voguer des trains et des appareils de strophes comme des flottes, ou les enlever dans l’espace comme si elles avaient des ailes ; faire songer dans une ode, et sans trop de désavantage, à la grande musique contemporaine ou à la gothique architecture, — n’était-ce rien ? […] Et c’est ainsi qu’au déclin d’une école et quand dès longtemps on a pu la croire finissante, quand de ce côté la prairie des muses semble tout entière fauchée et moissonnée, des talents inégaux, mais distingués et vaillants, trouvent encore moyen d’en tirer des regains heureux et de produire quelques pièces presque parfaites qui iraient s’ajouter à tant d’autres dans la corbeille, si un jour on s’avisait de la dresser, — dans la couronne, si l’on s’avisait de la tresser —, d’une anthologie française de ce siècle.
À ces impressions, personnelles et intimes, le poëte a marié, par une analogie symbolique, l’état du siècle lui-même qui nage dans une espèce de crépuscule aussi, crépuscule qui n’est peut-être pas celui du soir comme pour l’individu, car l’humanité a plus d’une jeunesse. […] J’avoue qu’en relisant dans ce volume plusieurs des pièces politiques déjà imprimées, et en lisant pour la première fois certaines pièces politiques et sociales plus nouvelles, j’ai été singulièrement frappé, après le premier éblouissement, de tout ce qu’il y avait chez le poëte de propos délibéré, de thème voulu, de besoin d’assortir le siècle à sa donnée poétique particulière, ou, si l’on veut, d’assortir sa propre poésie à une tournure d’idées de plus en plus ordinaire au siècle. […] Ampère, dans une de ses ingénieuses et judicieuses leçons du Collége de France, remarquait qu’en France, chez les quatre principaux lyriques des trois derniers siècles, chez Ronsard, Malherbe, Jean-Baptiste Rousseau et Le Brun, il y avait une faculté de chant, ou du moins une faculté de sonner avec éclat de la trompette pindarique, indépendamment même d’une certaine nature de sensibilité, d’une certaine conviction habituelle et antérieure de l’âme.
Dans un siècle, l’humanité saura à peu près ce qu’elle peut savoir sur son passé ; et alors il sera temps de s’arrêter ; car le propre de ces études est, aussitôt qu’elles ont atteint leur perfection relative, de commencer à se démolir. […] Il est devenu clair, non par des raisons a priori, mais par la discussion même des prétendus témoignages, qu’il n’y a jamais eu, dans les siècles attingibles à l’homme, de révélation ni de fait surnaturel. […] Qui aura, dans des siècles, le plus servi l’humanité, du patriote, du libéral, du réactionnaire, du socialiste, du savant ? […] N’importe ; il n’y a guère plus d’un siècle que la raison travaille avec suite au problème des choses.
On a beaucoup parlé dans notre siècle de la transmission héréditaire de certains caractères qui se fait dans un peuple de génération à génération. […] Il est convenu en notre siècle que le peuple de France est mutin, remuant, indocile, incapable du calme et de la sagesse pratique que montrent ses voisins d’outre-Manche. […] De même que ces crises tragiques, un changement dans la nourriture, dans la manière de vivre se répercute en sentiments et en idées que les écrivains expriment, sans en soupçonner souvent l’origine. « Savez-vous, disait Edmond de Goncourt à Taine50, si la tristesse anémique de ce siècle-ci ne vient pas de l’excès de son action, de ses prodigieux efforts, de son travail furieux, de ses forces cérébrales tendues à se rompre, de la débauche de sa production et de sa pensée dans tous les ordres ? […] Le nervosisme, qui paraît être la grande maladie de notre siècle, a eu certainement sa part dans l’efflorescence éphémère de ce qu’on a nommé la littérature décadente.
Cela s’est vu : on peut perdre en trois semaines le résultat de plusieurs années, presque de plusieurs siècles. […] Ces hommes-là, ces grands artisans de la civilisation, sans lesquels on en serait resté pendant quelques siècles de plus aux glands du chêne, Virgile les a placés au premier rang, et à bon droit, dans son Élysée ; il nous les montre à côté des guerriers héroïques, des chastes pontifes et des poètes religieux, Inventas aut qui vitam excoluere per artes. […] En réfléchissant à ce qu’étaient ce qu’on appelle les grands siècles et pourquoi ils l’ont été, toujours il m’a semblé qu’indépendamment des beaux génies et des talents sans lesquels la matière aurait fait faute, il s’était rencontré quelqu’un qui avait contenu, dirigé, rallié autour de lui. […] C’est à ce prix que se composent et s’achèvent les grands siècles littéraires.
Il est bien évident qu’étant en correspondance directe avec notre sensibilité intellectuelle, laquelle se développe de siècle en siècle, sous l’action du savoir de plus en plus étendu, elle ne peut rester stationnaire. […] Et nous répondrons incontinent que, dans cet ordre d’idées, il n’est pas non plus indispensable pour vivre, boire, manger, dormir, et, par surcroît, se distraire et voyager, au siècle d’Edison, de Pasteur, de Tolstoï, de Nietzsche, et de tant d’autres génies, de savoir comment on naît et comment on meurt, pourquoi l’on souffre et pourquoi l’on espère, mais que nous ne sommes pas fâchés d’être un peu plus fixés à ce sujet chaque jour, et que c’est peut-être là ce qui constitue notre supériorité sur le Malgache ou le Huron rencontré sur nos boulevards, ou sur le chimpanzé Consul — cependant de mœurs fort civiles, dit-on. […] Et peut-être aussi, à cette heure où si volontiers on parle de décadence, sommes-nous à deux pas d’un siècle de Périclès.
En effet, on en est venu à repousser l’autorité des siècles, l’autorité des usages, l’autorité des traditions. […] Voilà pourquoi leurs opinions ressemblent quelquefois à des systèmes, et pourquoi il leur arrive de protéger des principes consacrés par l’autorité des siècles antérieurs avec des arguments, et des raisons puisés dans la sphère des idées de ce siècle. […] Ils n’éclairent réellement point le siècle ; ils marchent avec lui, et du même pas.
Il y a un monde d’autres choses ; mais comptez en premier l’influence du principe qui commande au siècle, et qui, comme tout principe, doit se vider, un jour ou l’autre, intégralement de tout ce qu’il contient. […] En ce moment du siècle, il roule dans les esprits, qui en tressaillent, l’idée d’une égalité bien autrement profonde que cette égalité chétive ; et les femmes qui, en Gaule, passaient pour prophétesses, la pressentent et pour leur compte, la provoquent, en la demandant. […] Mme de Staël qui commence le siècle, Mme de Staël qui avait pour Napoléon une haine de femme dédaignée, et qui, naïvement, se croyait, en femme, ce que l’Empereur était, en homme, Mme de Staël avait devancé et deviné Saint-Simon avec son pape et sa papesse égalitaires… Quoique mort sans papesse, en effet, le saint-simonisme en marqua la place dans sa hiérarchie ; et par cela seul qu’il la marqua, il fut tout de suite et il est resté une des causes les plus actives du remue-ménage qui s’est produit dans l’esprit et la vanité des femmes de ce temps, enragé de tous les genres d’émancipation. […] Ajoutez à ce tempérament de la race, développé pendant des siècles par toutes les habitudes sociales, le sentimentalisme imbécile de la vieillesse dans lequel s’effondrent les peuples autant que les individus.
Historien déjà, historien de chaque jour, puisqu’il est journaliste, il touche trop aux événements du siècle pour ne pas savoir ce qu’ils promettent. […] C’est ce grand et mystérieux Inconnu de la Papauté qu’il a voulu nous faire connaître, en écrivant l’histoire de son passé pour en inférer l’avenir de son règne… Léon XIII, ce lion de Juda, — comme il s’est nommé lui-même dans une circonstance que Teste a racontée dans son livre, — Léon XIII, ce lion de Juda, qui ne rugit pas, mais qui attend l’heure de son rugissement, est d’une date trop récente pour avoir donné sa mesure, mais s’il est de taille avec les besoins de son siècle, il sera bien grand ! […] Dans ce livre sur Léon XIII, Teste a fait de l’Europe, en proie à cette fièvre de liberté qui est la furie du siècle et qui pourrait bien en être la calamité, un tableau lamentable et tout à la fois effrayant d’exactitude, et, quand on le lit, on se dit que ce suicide des gouvernements, qui mettent plus de temps à se tuer que les hommes, est déjà commencé. Évidemment, les pouvoirs, constitués royalement pendant tant de siècles, touchent à leur fin… Il y a encore des monarchies debout, mais elles tremblent sur leurs bases et elles sont capables de se précipiter demain dans le gouffre fascinateur des républiques.
II Ce point de vue supérieur, d’une unité grandiose, que l’auteur des Institutions politiques de l’ancienne France fait planer sur son histoire, et qui en contredit toutes les origines, c’est l’influence de l’Empire Romain sur le monde barbare, — c’est-à-dire tout le contraire de ce qu’on a pensé depuis des siècles. Depuis des siècles, et surtout depuis le xvie , on a cru que l’Empire Romain était une dégradation de la République et la décadence de Rome, châtiée enfin de l’immense corruption de la victoire par les Barbares, ses vainqueurs, qui lui ouvrirent les veines et les lui vidèrent de son vieux sang, pour y infuser leur jeune sang de Barbares. […] Et je dis contemporains, car, dans une époque confisquée par l’esprit moderne, il n’a pensé à prendre son histoire que dans les écrivains des six premiers siècles. […] Malheureusement, une telle institution, à une si grande longueur de siècles, ne se reprend pas, quelle que soit la force d’un homme.
Elle est moins céleste ; elle est plus humaine… Elle est d’un autre temps et d’une autre société… Elle est de notre siècle, à nous, avec les développements d’esprit et de passion de notre siècle. […] L’amour de Réa peut porter tous les signes mortels de ce temps destructeur, mais il n’en est pas moins l’amour immortel qui ne disparaîtra qu’avec la dernière âme humaine… Cette Réa Delcroix, c’est bien là la femme amoureuse au xixe siècle, dans ce siècle où l’amour s’en va des cœurs appauvris, mais où, quand il existe, il est d’autant plus intense et d’autant plus orageux qu’il s’est réfugié dans quelques âmes ardentes et profondes, et qu’il s’y débat pour y mourir ! […] D’organisation et d’habitude, elle a peut-être gardé d’un passé qu’on ignore je ne sais quelle pente vers les choses qui préoccupent et dominent la pensée et l’imagination de son temps ; peut-être même que sans l’amour, avec toutes les notions fausses qui circulent présentement autour de nos têtes, dans ce misérable siècle égaré, elle aurait incliné, elle aussi, vers le bas-bleuisme universel.
Il a fallu près de trois siècles pour l’apprécier comme il convient. […] Ses études sur nos quatre grands siècles littéraires leur sont expressément dédiées. […] Emile Faguet, dans les dix meilleurs écrivains du siècle. […] Comme M. de Régnier se plaît aux siècles policés de Louis XIV et de Louis XV, M. […] On dit bien que Mme Jean Racine ne lut de sa vie Andromaque non plus qu’Esther (ce fut pourtant dans un siècle où M.
En un mot, avec une entière sincérité, mais aussi avec une race adresse, il fait entrer dans le système de la religion toutes les vérités acquises depuis des siècles par la raison laïque. […] Pour la langue proprement dite, la date de la naissance de Bossuet nous avertit qu’il devra parler la langue de la première moitié du siècle, celle de Corneille et de Retz plutôt que de Racine et de La Bruyère. […] Ce que Fénelon n’apprécie pas, a enchanté son siècle. […] Les qualités de Fléchier sentent la décadence, et en effet avant la fin du siècle il est sensible que l’éloquence chrétienne s’en va, du même pas que l’esprit chrétien. […] On goûte des parleurs académiques, élégants, descriptifs, satiriques, sensibles, qui prêcheront dans le goût des vers de Saint-Lambert ou de Delille, de plus en plus fades et édulcorés à mesure que le siècle avance.
Ce poète lyrique, un des trois ou quatre grands de notre siècle, n’a presque jamais parlé de lui. […] Il fera effort pour être la pensée du siècle : il battra puissamment l’air autour des grands problèmes, des lieux communs éternels, il nous étourdira d’un froissement tumultueux de métaphores et de symboles. […] Il n’est pas encore la voix du peuple : il n’a pas encore capté, pour remplir sa poésie, un des grands courants du siècle. […] En un sens, Notre-Dame de Paris et les Burgraves sont les deux premiers chapitres de la Légende des siècles. […] De ses souvenirs, Musset fait la Confession d’un enfant du siècle, roman (1836).
Le caractère général industriel et positif de l’Italie actuelle n’est plus celui que constatait Stendhal, au commencement de ce siècle, ni celui de ses Chroniques italiennes ou des Mémoires de Benvenuto Cellini. […] Shelley dans l’Angleterre du commencement de ce siècle est un anachronisme, comme Stendhal au milieu des guerres de l’empire, comme Balzac et Delacroix dans la société de la monarchie de juillet. […] Il a fallu des siècles pour que l’homme aperçut la nature ; la description des villes date du réalisme moderne. […] Il fallut deux siècles à Pascal et à Saint-Simon pour atteindre la renommée, et ils n’ont été compris qu’en ce temps dont ils avaient d’avance, l’un l’angoisse, l’autre l’irrespect et la vision fouillante. […] Il répond à nouveau en particulier ici à Taine, et à sa préface à son Histoire de la littérature anglaise dans laquelle on peut lire : « plus un livre note des sentiments importants, plus il est placé haut dans la littérature ; car, c’est en représentant la façon d’être de toute une nation et de tout un siècle qu’un écrivain rallie autour de lui les sympathies de tout un siècle et de toute une nation » (Hachette, 1863, p.
Les grands écrivains du siècle de Louis XIV étaient tous morts, il ne restait plus que Fénelon : pourtant leur autorité régnait toujours ; c’était le même régime qui se continuait en apparence. […] L’abbé Terrasson croit déjà à son siècle comme plus tard y croira Condorcet : Les sciences naturelles, dit-il, ont prêté leur justesse aux belles-lettres et les belles-lettres ont prêté leur élégance aux sciences naturelles ; mais, pour étendre et fortifier cette union heureuse qui peut seule porter la littérature à sa dernière perfection, il faut nécessairement rappeler les unes et les autres à un principe commun, et ce principe n’est autre que l’esprit de philosophie. […] Il nous exhortait donc, avec une sorte d’effronterie naïve dont il donnait l’exemple, à avoir le courage de nous préférer nous-mêmes à nos anciens et à nos devanciers, à proclamer notre siècle (c’est-à-dire le sien) le premier et le plus éclairé des siècles, le seul qui fût en possession d’une certaine justesse de raisonnement, jusque-là inconnue. […] Rousseau (avril 1715), me mande que toute la jeunesse est déclarée contre le divin poète, et que si l’Académie française prenait quelque parti, la pluralité serait certainement pour M. de La Motte contre Mme Dacier. » Le xviiie siècle fut puni de cette partialité ; en perdant tout sentiment homérique, il perdit aussi celui de la grande et généreuse poésie ; il crut, en fait de vers, posséder deux chefs-d’œuvre, La Henriade et La Pucelle ; il faudra désormais attendre jusqu’à Bernardin de Saint-Pierre, André Chénier et Chateaubriand pour retrouver quelque chose de cette religion antique que Mme Dacier avait défendue jusqu’à l’extrémité, et la dernière du siècle de Racine, de Bossuet et de Fénelon.
il faut qu’il produise encore une grosse Bible in-folio à la mode d’il y a deux ou trois siècles avec d’épaisses couvertures et en gros cuir. […] C’est un tyran qui a ses caprices et qui, à chaque siècle, a un nouveau visage pour ce que l’on dit et ce que l’on fait. […] Car de petits êtres comme nous ne sont pas capables de garder en eux la grandeur de pareilles œuvres ; il faut que de temps en temps nous retournions vers elles pour rafraîchir nos impressions. » Combien ce jugement sur Molière diffère en largeur et en sympathie de celui de Guillaume Schlegel, homme de tant d’érudition et de mérites si divers, mais fermé à quelques égards, auquel il ne fallait pas demander ce que ses horizons ne comportaient pas, et de qui Gœthe disait finement après un entretien très-instructif qu’il venait d’avoir avec lui : « Il n’y a qu’à ne pas chercher des raisins sur les épines et des figues sur les chardons, et alors tout est parfait. » Schlegel, qui est tout raisin et toutes figues quand il nous parle de la Grèce, ne nous a guère offert à nous, Français, quand il a daigné s’occuper de nous et de notre grand siècle littéraire, que ses épines et ses chardons. […] Gœthe, à ses débuts, est un homme du xviiie siècle ; il a vu jouer dans son enfance le Père de Famille de Diderot et les Philosophes de Palissot ; il a lu nos auteurs, il les goûte, et lorsqu’il a opéré son œuvre essentielle qui était d’arracher l’Allemagne à une imitation stérile et de lui apprendre à se bâtir une maison à elle, une maison du Nord, sur ses propres fondements, il aime à revenir de temps en temps à cette littérature d’un siècle qui, après tout, est le sien. […] Et encore ne vous imaginez pas le Paris d’un siècle borné et fade, mais le Paris du xixe siècle, dans lequel, depuis trois âges d’hommes, des êtres comme Molière, Voltaire, Diderot et leurs pareils ont mis en circulation une abondance d’idées que nulle part ailleurs sur la terre on ne peut trouver ainsi réunies, et alors vous concevrez comment une tête bien faite, grandissant au milieu de cette richesse, peut être quelque chose à vingt-quatre ans. » Certes, de tels témoignages rendus avec cette magnificence, et venant de quelqu’un qui s’est toujours passé de Paris, ne sont pas humiliants pour cette noble tête de la France !
Bref (puisqu’il faut articuler le mot fatal), le jeune Siècle, ou du moins ce qui se nommait le jeune Siècle encore il y a dix ans, a aujourd’hui, l’un portant l’autre, quarante ans à peu près : grand âge climatérique pour les tempéraments littéraires comme pour les autres. […] C’est l’âge ou jamais, on en conviendra, pour l’ensemble des générations suffisamment contemporaines qui se sont longtemps laissé intituler le jeune Siècle, de prendre un dernier parti. […] Ou bien, méritera-t-on de compter parmi les siècles qui ont eu quelque consistance, qui ne se sont pas hâtés eux-mêmes de se dissoudre, qui ont lutté avec honneur sur les pentes dernières de la littérature, de la langue et du goût ? […] Fontenelle nous est un grand exemple : il n’avait été qu’un bel esprit contestable en poésie, un fade novateur évincé ; il devint, sous sa seconde forme, le plus consommé des critiques et un patriarche de son siècle.
Perrault, qui mettait les modernes si fort au-dessus des anciens, comptait parmi les plus beaux avantages de son siècle cette cérémonie académique, dont il était le premier auteur. […] Colbert, qui jugeait si mal Homère et Pindare, entendait le moderne à merveille ; il avait le sentiment de son temps et de ce qui pouvait l’intéresser ; il trouva là une veine bien française, qui n’est pas épuisée après deux siècles ; on lui dut un genre de spectacle de plus, un des mieux faits pour une nation comme la nôtre, et l’on a pu dire sans raillerie que, si les Grecs avaient les Jeux olympiques et si les Espagnols ont les combats de taureaux, la société française a les réceptions académiques. […] On commençait vers la fin du siècle à viser à l’heure. […] Notre siècle n’est plus celui des fades compliments ; la vie publique aguerrit aux contradictions, elle y aguerrit même trop : qu’à l’Académie du moins l’urbanité préside, comme nous venons de le voir, à ces oppositions nécessaires, et tout sera bien. […] Il y a longtemps qu’on ne parle plus du cardinal de Richelieu à l’Académie, lui que pendant plus d’un siècle on célébrait régulièrement dans chaque discours : cette fois la rentrée du cardinal a été imprévue, elle a été piquante ; Cinq-Mars en fournissait l’occasion et presque le devoir.
Il y a des siècles condamnés, pour le bien ultérieur de l’humanité, à être sceptiques et immoraux. […] De même, pour que l’humanité se crée une nouvelle forme de croyances, il faut qu’elle détruise l’ancienne, ce qui ne peut se faire qu’en traversant un siècle d’incrédulité et d’immoralité spéculative. Je dis spéculative, car nul n’est admissible à rejeter son immoralité personnelle sur le compte de son siècle ; les belles âmes sont dans l’heureuse nécessité d’être vertueuses, et le XVIIIe siècle a prouvé que l’on peut allier les plus laides doctrines avec la conduite la plus pure et le caractère le plus honorable. […] Chaque siècle court vers l’avenir, en portant dans le flanc son objection comme le fer dans la plaie. […] Le siècle est si peu religieux qu’il n’a pas même pu enfanter une hérésie 58.
Il paraît croire18 que, dans les grands siècles, les siècles classiques, « qui ont seuls le goût de la grande beauté », il y a en effet et bien réellement une beauté plus abondante et plus exubérante que dans d’autres ; et qu’ainsi au xviie siècle, non loin de Descartes, de Pascal ou de Malebranche (dussent-ils en user très peu), il y a de plus belles femmes au physique qu’à côté de Condillac, d’Helvétius et de Galiani, qui les aimaient davantage. […] Quoi qu’il en soit, La Rochefoucauld pour lui est le grand adversaire et le rival qui, il y a deux siècles, l’a supplanté : aussi lui impute-t-il tous les torts de celle qu’il eût sans doute bien mieux dirigée en sa place : « Je mets, dit-il en parlant de l’héroïne de la Fronde, je mets tous ses mouvements désordonnés sur le compte de l’esprit inquiet et mobile de La Rochefoucauld. […] Il a du talent sur tout et à propos de tout ; soit qu’il reprenne pour la dixième fois ses Pères de l’Église et qu’il en découvre un encore auquel il n’avait point songé, soit qu’en parlant du concile de Nicée, il se ressouvienne un peu trop peut-être de la défunte Assemblée législative, soit surtout qu’il essaie, dans des morceaux d’une littérature exquise, de nous donner une flatteuse idée d’une histoire de l’Académie française pendant les deux derniers siècles, dans tous ces fragments qu’il ne tient qu’à lui de multiplier chaque matin avec fraîcheur, M. […] En général, dans tout ce discours, il me semble que Napoléon et M. de Narbonne savent trop bien leurs livres et leurs auteurs ; que M. de Narbonne est bien foncé sur son siècle des Antonins et sur son histoire de l’Empire ; que le Dialogue de Sylla et d’Eucrate est resté bien longtemps ouvert sur la table de l’Empereur, et que Bossuet vient là vers la fin avec un peu trop de détail aussi.
en religion alors, en théologie, ce fut un peu de même ; il y eut une génération animée de zèle, qui essaya, non pas de renouveler ce qui, de soi, doit être immuable, mais de rajeunir les formes de l’enseignement et de la démonstration, de les approprier à l’état présent des esprits, de combattre certaines routines, certaines habitudes devenues rigides ou étroites, et de rendre le principe catholique respectable à ceux même qui le combattaient : « Pour agir sur le siècle, se dirent de bonne heure ces jeunes lévites, il faut l’avoir compris. » Des noms, j’en pourrais citer quelques-uns qui, avec des nuances et des différences que l’on sait dans le monde ecclésiastique, avaient alors cela de commun, de représenter la tête du jeune clergé intelligent et studieux : M. […] Elle rafraîchit tous les bons sentiments du cœur, et, dans ce siècle de tempêtes, elle répand une merveilleuse sérénité dans l’âme. […] Les Catacombes, qui ont été le berceau et l’asile du christianisme pendant les trois premiers siècles, l’occupent particulièrement, et lui ont inspiré des pensées d’une rare élévation. […] Regardez d’abord ce squelette : s’il est bien conservé, malgré tous ses siècles, c’est probablement parce que la niche, où il a été mis, est creusée dans un terrain qui n’est pas sec. […] Cette forme est plus frêle que l’aile d’un papillon, plus prompte à s’évanouir que la goutte de rosée suspendue à un brin d’herbe au soleil ; un peu d’air agité par votre main, un souffle, un son deviennent ici des agents puissants qui peuvent anéantir en une seconde ce que dix-sept siècles, peut-être, de destruction ont épargné.
« Né de parents pieux, dit-il quelque part, et dans un pays où la foi catholique était encore pleine de vie au commencement du siècle, j’avais été accoutumé de bonne heure à considérer l’avenir de l’homme et le soin de son âme comme la grande affaire de ma vie52. » Cette préoccupation dura jusqu’au bout : hors du christianisme, il suivait la pente du christianisme ; devenu philosophe, c’est de l’avenir qu’il s’inquiétait encore ; en ramenant toute la philosophie au problème de la destinée humaine, il cherchait le salut sous un autre nom ; ses recherches étaient intéressées : ce n’est point une curiosité qu’il contentait, mais une inquiétude qu’il calmait. […] Ma curiosité n’avait pu se dérober à ces objections puissantes, semées comme la poussière dans l’atmosphère que je respirais par le génie de deux siècles de scepticisme. […] Les Méditations, le Vicaire savoyard, et les Théodicées modernes, ne font que traduire pour un autre siècle et dans un autre style le Monologium et le Proslogium du vieil archevêque. […] Cousin, comme tous les philosophes du siècle, il se tenait continuellement guindé dans le style abstrait et vague. […] Jouffroy, je dirai que cette différence entre les esprits d’un siècle est comme la différence des arbres dans une forêt.