Mme Gouy d’Arcy, qui peut-être ne sut jamais bien elle-même toute la vivacité du sentiment qu’elle inspira un moment, faisait partie de la brillante société de Luciennes. […] En même temps qu’il a été si soigneux de rattacher à chaque page, à chaque vers, tout ce qui s’y rapporte directement ou indirectement chez les Anciens ou même chez les modernes, le nouvel éditeur ne tire point trop son auteur du côté des textes et des commentaires, et il ne prétend point le ranger au nombre des poëtes purement d’art et d’étude ; il relève avec un soin pareil, il sent avec une vivacité égale et il nous montre le côté tout moderne en lui, et comme quoi il vit et ne cesse d’être présent, de tendre une main cordiale et chaude aux générations de l’avenir : « Chénier, remarque-t-il très justement, ne se fait l’imitateur des Anciens que pour devenir leur rival. » À Homère, à Théocrite, à Virgile, à Horace, il essaye de dérober la langue riche et pleine d’images, la diction poétique, la forme, de la concilier avec la suavité d’un Racine, et quand il en est suffisamment maître, c’est uniquement pour y verser et ses vrais sentiments à lui, et les sentiments et les pensées et les espérances du siècle éclairé qui aspire à un plus grand affranchissement des hommes.
Turquety a un public ; en Bretagne, dans le Midi, à Toulouse, beaucoup de lecteurs fervents et fidèles le désirent : pour eux, il donne à des sentiments chrétiens qu’il rajeunit, à des dogmes qu’il exprime, une mélodie qu’on aime. […] Turquety, il est vrai, suit cette idée avec un sentiment de composition et d’ensemble systématique : ainsi, son présent volume, qui commence par un hosannah au Père céleste, s’achève par un hymne à son terrestre représentant, le pape. […] Un sentiment évangélique et chrétien les a inspirés, en effet, non sans mélange toutefois d’un certain humanitarisme moderne, d’un certain culte optimiste et confiant de la création et de la nature, qui fait songer à Jocelyn et qui l’a précédé : Ô Nature, immense Évangile Que rien ne saurait altérer !
Elle exprime un sentiment juste et vrai. […] Si les paroles du roi ne prouvent pas en lui réveil d’un sentiment nouveau, il est du moins certain qu’elles durent faire une vive impression sur deux personnes fort intéressées a les étudier, après les avoir entendues. […] Le 19, elle écrit à d’Aubigné une lettre qui respire la reconnaissance, l’amour pour le roi, et le sentiment de la faveur toute particulière à laquelle d’Aubigné doit cette place.
La Poésie Françoise, portée au plus haut point de noblesse, d’élégance, de sentiment, & de pureté, a consacré sans réserve son nom à une gloire immortelle. […] Aucun Poëte n’a mieux connu, mieux éprouvé, plus vivement exprimé le sentiment ; ses Vers le respirent à chaque phrase, & ce caractere est si marqué dans ses Ouvrages, qu’on peut lui appliquer ce que disoit Horace : Invenias etiam disjecti membra Poëtæ. […] Ils avoient, à la vérité, des objets de culte, des sujets nationaux capables de captiver, d’attacher, d’emouvoir le Spectateur, sans recourir à ce sentiment trop foible pour des Républicains ; mais quand ces sujets leur auroient manqué, ils eussent dédaigné tout ce qui n’étoit pas propre à repaître & à soutenir l’élévation de leur ame.
Celui qu’on place avec justice au premier rang, est supérieur dans l’harmonie et dans le choix des mots : des juges, peut-être sévères, désireraient qu’il pensât davantage ; la partie du sentiment est chez lui encore plus faible. […] Un sentiment confus semble nous dire, qu’il ne faut pas mettre à exprimer les choses plus de peine et de soin qu’elles ne valent ; et que ce qui paraîtrait commun en prose, ne mérite pas l’appareil de la versification. […] Je suis bien éloigné, en hasardant ce parallèle, de prétendre affaiblir la juste admiration qu’on doit à ce poète, celui de tous les anciens qui a réuni au plus haut degré le plus de sortes d’esprit et de mérite, l’élévation et la finesse, le sentiment et la gaieté, la chaleur et l’agrément, la philosophie et le goût.
Il y a la question de fait et la question de sentiment. […] Il faut donc distinguer le fait même du sentiment que nous avons du fait. […] Comme sentiment de la vie, il est resté un problème. […] Le nationalisme est un sentiment qui ne devrait être individuel que dans la mesure où l’individu se sent solidaire du sentiment national. […] Il y avait aussi dans ce geste quelque fierté de sentiment.
L’action est simple, peu chargée d’incidents et l’intérêt est moins dans l’intrigue que dans les sentiments qu’elle développe chez les personnages. […] Sauf un épisode parasite, Hardy traduit, coupe, étend, déplace, précisément comme il faut pour faire saillir le sentiment et dégager le pathétique. […] Le mécanisme curieux, d’abord, et les déplacements de sentiments qu’on remarque dans Polyeucte. […] Mais on ne fait pas au sentiment moral sa part ; où il entre, il règne : c’est une juste remarque de Schiller. […] C’est qu’en fait, ce que Marivaux peint n’est pas individuel : ce sont certains sentiments, certaines combinaisons de sentiments qui peuvent, dans un certain âge, se produire à fleur d’âme et se superposer au caractère personnel dans un monde poli et sensuel.
Il a varié la musique sur chaque strophe ; et pourtant le caractère essentiel de la tristesse consiste dans la répétition du même sentiment, et, pour ainsi dire, dans la monotonie de la douleur. […] Partout où il y a variété, il y a distraction, et partout où il y a distraction, il n’y a plus de tristesse : tant l’unité est nécessaire au sentiment ; tant l’homme est faible dans cette partie même où gît toute sa force, nous voulons dire dans la douleur.
Fleury a le sentiment de l’héroïsme catholique, le respect (et qui ne l’aurait pas ?) […] de princesse révoltée est sublime, car elle allait en mourir ; mais nous, ne sommes-nous pas tenus à être moins sobres dans l’expression de nos sentiments lorsque nous retraçons l’histoire de ces exécrables jours qui ne nous menacent plus, et qui ne nous font pas un héroïsme de la légèreté de nos mépris ?
Les sentiments, le langage, les actions qui leur sont appropriés, ont, par leur violence et leur atrocité même, quelque chose de merveilleux, et toutes ces choses sont au plus haut degré conformes entre elles, et uniformes dans leurs sujets. […] Au caractère d’Achille, dont la peinture est le principal sujet de l’Iliade, ils rapportèrent toutes les qualités propres à la vertu héroïque, les sentiments, les mœurs qui résultent de ces qualités, l’irritabilité, la colère implacable, la violence qui s’arroge tout par les armes (Horace).
Le sentiment ? […] Guiches a un vif sentiment des choses et des êtres de nature. […] Oserai-je dire mon sentiment et qu’à tout prendre je préfère la forme ironique et souriante qu’il affecte chez M. […] J’y trouve ce goût, auquel on ne croit plus guère, et qui n’est que le sentiment de la mesure. […] Le petit Moreau est une étude à part (très honnête, très discrète, attristée et douce) du sentiment maternel.
Elle a ses poètes, qui traduisent ses sentiments et ses aspirations. […] Au recul vers la forme classique correspondit un débordement de romantisme dans le sentiment. […] Il hait la comédie du sentiment et les phrases. […] La violence de ses sentiments lui a aussi beaucoup nui auprès des nouvelles générations. […] Quel attrait peut avoir une poésie toute de sentiment et de passion, aux yeux d’une jeunesse pour qui le sentiment est une faiblesse, l’amour une infirmité ?
Lui demandent-ils leurs sentiments et leurs idées ? […] Notre jeunesse a le sentiment d’être née dans des ruines. […] Certitude, sentiment. […] Puis : « Sentiment de solitude, dès mon enfance. […] Dès lors, tous les sentiments qui y entrèrent, se pénétrèrent de cela.
Mais l’essentiel ici est de démêler ce qui, chez eux, est lieu commun, phrase apprise, provision de la mémoire, et ce qui est sentiment intime, émotion personnelle, éclosion spontanée de l’âme : ce qui est sifflé et ce qui est vécu. […] Il faut se défier de cette inclination : il faut ne recevoir ou ne rejeter rien pour la personne qui le dit, et regarder la chose en soi ; mais en même temps se demander pourquoi celui qui parle parle ainsi, à quel sentiment il cède, à quel intérêt, si un autre parlerait de même, si lui-même n’a jamais parlé, ne parlera jamais autrement.
Muhlfeld nommerait un élégiaque ; et, par Desbordes-Valmore et Sainte-Beuve, il se rattache aux minores classiques ; il excelle dans les pièces courtes où un sentiment léger peut laisser une image exacte et circonscrite. […] Telle tendresse, telle fragilité de sentiments, dont Verlaine, M.
Ce nom est devenu, parmi nous, celui de l’Eloquence chrétienne, c’est-à-dire, de l’Eloquence de la raison & du sentiment. […] Le sentiment est son ressort favori, & l’on ne sauroit disconvenir qu’il est impossible d’en employer de meilleur, pour insinuer à ceux qui nous écoutent ou qui nous lisent, l’amour de la vérité & celui des devoirs.
Thiers, afin de rétablir, autant qu’il est en nous, les vrais principes de la raison moderne en matière de culte et les vrais sentiments du cœur humain en fait de mort politique. […] Dès lors, que peut-on souhaiter de mieux à une société civilisée qu’une religion nationale, fondée sur les vrais sentiments du cœur humain, conforme aux règles d’une morale pure, consacrée par le temps, et qui, sans intolérance et sans persécution, réunisse, sinon l’universalité, au moins la grande majorité des citoyens, au pied d’un autel antique et respecté ? […] L’œuvre du jeune écrivain, empreinte de ce sentiment profond, remuait fortement les esprits, et avait été accueillie avec une faveur marquée par l’homme qui alors dispensait toutes les gloires. […] À l’une comme à l’autre de ces prétendues faiblesses, il faut des signes extérieurs : il faut un culte au sentiment religieux ; il faut des distinctions visibles au noble sentiment de la gloire.” » Ici la vérité ne manque pas au tableau, mais la réflexion manque à l’historien. […] Notre admiration pour les belles parties de ce livre est la garantie de notre impartialité pour ses défaillances de style, de vertu et de sentiment ; mais le cœur souffre autant que la vérité en lisant ces pages.
La caractéristique de Sully-Prudhomme, c’est cette élévation constante des sentiments. […] Sous l’habituelle sérénité du poète se devine alors un sentiment pessimiste, qui, parfois, s’élève jusqu’à un commencement d’indignation devant les misères de ce monde, surtout devant les misères de l’homme. […] En même temps, ces vers donnent le sentiment de cette vaste irresponsabilité des êtres qui se retrouve dans leur cruauté même. […] Au reste, nous n’exigeons pas du poète l’originalité des idées philosophiques, mais nous lui demandons l’originalité du sentiment philosophique. […] Richepin, il n’y a de personnel et d’original que le degré de grossièreté auquel il a poussé le sentiment matérialiste252.
Edgar Poe, qui n’a pas, il est vrai, le coloris italien d’Hoffmann, a comme lui et comme tous les génies fantastiques, du reste, le sentiment de ces détails qui répondent, sans doute, au côté le moins connu, le moins éclairé de notre être. […] Edgar Poe, dans les huit Contes cités déjà, pas plus que dans les cinq qui restent : le Double assassinat dans la rue Morgue, la Lettre volée, le Scarabée d’or, le Manuscrit trouvé dans une bouteille, une Descente dans le Maelstrom, n’est le poète une seule fois d’un sentiment quelconque. […] Mais le silence de sa notice sur l’éducation morale, nécessaire même au Génie pour qu’il soit vraiment le Génie, genre d’éducation qui manqua sans doute à Edgar Poe ; et, d’un autre côté, le peu de place que tiennent le cœur humain et ses sentiments dans l’ensemble des œuvres de ce singulier poète et de ce singulier conteur, renseignent suffisamment — n’est-il pas vrai ? […] dans ces Histoires extraordinaires qui le sont bien moins par le fond des choses que par le procédé d’art du conteur, sur lequel nous reviendrons, et qui est, à la vérité, extraordinaire, il n’y a rien de plus élevé, de plus profond et de plus beau, en sentiment humain, que la curiosité et la peur, — ces deux choses vulgaires ? […] Au lieu de s’abandonner, comme la fleur aux souffles du ciel, à l’inspiration qui lui dictait des vers comme les vers adorables : À Hélène, il l’interrompit pour parler et pour plaire à la curiosité, — ce sentiment bête de tout le monde, — et il fut à la fois le Sphinx et l’Œdipe d’énigmes qui ne pouvaient intéresser et passionner que des imaginations inférieures.
Son frère le victorieux, jusque-là si uni à ses sentiments, peu à peu s’en sépare ; elle s’en irrite. […] A son retour en France, après la sortie des princes et dans les préliminaires de la reprise d’armes, elle semblait suivre encore les mêmes sentiments, bien qu’avec un abandon moins décidé. […] Enfin les sentiments de M. de La Rochefoucauld cessent positivement d’être la boussole de Mme de Longueville : elle semble accueillir sans défaveur les hommages de M. de Nemours ; elle les perd peu après par l’intrigue de Mme de Châtillon, qui les ressaisit comme son bien, et qui en même temps trouve moyen d’obtenir ceux du prince de Condé, lequel échappe de nouveau à la confiance de sa sœur. […] Pourtant Mme de Longueville manquait de direction encore, et avec son genre de caractère, avec cette habitude de ne suivre jamais que des sentiments adoptifs, et de ne les régler que sur une volonté préférée, elle avait plus que personne besoin d’un guide très-ferme. […] Elle aimoit beaucoup l’Église et les pauvres, qui sont les deux objets de notre charité sur la terre, et je me souviens d’avoir vu quantité de ses lettres dans les commencements de sa conversion, qui étoient remplies de sentiments fort pénitents et fort humbles.
Un sentiment si grandiose, une divination si compréhensive et si pénétrante, une pensée par laquelle l’homme embrassant l’immensité et la profondeur des choses, dépasse de si loin les bornes ordinaires de sa condition mortelle, ressemble à une illumination ; elle se change aisément en vision, elle n’est jamais loin de l’extase, elle ne peut s’exprimer que par des symboles, elle évoque les figures divines391. […] Comment des esprits aussi policés et aussi aimables auraient-ils pu épouser les sentiments d’un apôtre, d’un moine, d’un fondateur barbare ou féodal, les voir dans le milieu qui les explique et les justifie, se représenter la foule environnante, d’abord des âmes désolées, hantées par le rêve mystique, puis des cerveaux bruts et violents, livrés à l’instinct et aux images, qui pensaient par demi-visions, et qui pour volonté avaient des impulsions irrésistibles ? […] Car cet hôte disproportionné, une fois introduit dans notre esprit, finit par déconcerter le jeu naturel de nos sentiments, et, comme un parasite monstrueux, tire à soi toute notre substance397. […] Il ne leur faut qu’un seul mobile, le plus simple et le plus palpable, tout grossier, presque mécanique, tout physiologique, l’inclination naturelle qui porte l’animal à fuir la douleur et à chercher le plaisir. « La douleur et le plaisir, dit Helvétius, sont les seuls ressorts de l’univers moral, et le sentiment de l’amour de soi est la seule base sur laquelle on puisse jeter les fondements d’une morale utile… Quel autre motif que l’intérêt personnel pourrait déterminer un homme à des actions généreuses ? […] Tout y est factice, faux et malsain417, depuis le fard, la toilette et la beauté des femmes jusqu’à l’air des appartements et aux ragoûts des tables, le sentiment comme le plaisir, la littérature comme la musique, le gouvernement comme la religion.
Tout le milieu où je vivais m’inspirait les mêmes sentiments, la même façon de prendre la vie. […] je vous reconnais bien à ces beaux sentiments ! […] Par désespoir, je ferme la lettre, avec le sentiment de mettre à la poste quelque chose de pitoyable. […] Ma seule consolation était de lui écrire des lettres pleines d’un sentiment tendre et tout humides de regrets. […] Un culte remplaça un culte et le sentiment de mes premiers maîtres s’en trouva fort affaibli.
Jouffroy sur les Lettres de Jacopo Ortis, inséré au Courrier Français en 1819, je trouve exprimé à nu, et avec une fermeté de style à la Salluste, ce sentiment d’opposition aux conquêtes et à la force militaire : « Un peuple ne doit tirer l’épée que pour défendre ou conquérir son indépendance. […] Ses craintes réalisées, et dans toute l’amertume du rôle de vaincu, il reprit avec ses amis les études philosophiques ; un sentiment exalté de justice et de devoir dominait ce jeune groupe ; ils étaient dans leur période stoïque, dans cette période de Fichte, par où passent d’abord toutes les âmes vertueuses. […] Dubois, âme du journal, un vif sentiment révolutionnaire et girondin se tenait en garde ; et, dès que la Censure fut levée, cette pointe généreuse perça en toute occasion. […] La psychologie en elle-même (si je l’ose dire), à part un certain nombre de vérités de détail et de remarques fines qu’on en peut tirer, ne sert guère qu’au sentiment solitaire du contemplateur et ne se transmet pas. […] Nous laissons subsister cette page qui fut exacte, nous la maintenons, bien que nos sentiments et nos jugements à l’égard de M.
III J’avoue qu’un sentiment plus vain, un mobile profane de gloire personnelle, se mêlait dans ma pensée à ce sentiment tout moral de préparer les masses à répudier les immoralités, les iniquités, les crimes, la guerre même, qui avaient souillé le nom du peuple dans la première république. Ce sentiment était purement littéraire. […] Je connus par lui tous les secrets de nature et d’intimité sur le caractère, sur la vie intérieure, sur les sentiments privés, sur la séparation dernière, sur la mort tragique d’un de ces hommes à deux aspects, terribles au dehors, placables au dedans. […] Une pensée fixe, triste, mais nullement déconcertée, donnait à ses traits une sorte de pétrification lapidaire dans une seule idée et dans un même sentiment, idée abstraite, sentiment ferme, mais nullement sévère. […] Accordez-les-moi ou refusez-les-moi, selon l’idée que vous vous ferez de moi-même ; je respecterai également votre confiance et votre silence, je reviendrai ou je m’éloignerai sans retour. » Madame Lebas fut plus sensible à cette franchise qu’elle ne l’aurait été à une adulation intéressée de ses sentiments.
Les éléments de l’animal se sont donc arrangés dans la position la plus commode mécaniquement et psychiquement, comme des pierres qui, en se tassant, prendraient le meilleur équilibre, mais avec un sentiment quelconque de cet équilibre. Puis le sentiment même a disparu ou s’est déplacé. […] — « La force du désir, dit-on enfin, est en raison inverse du sentiment que nous avons de notre intelligence et de notre action propre ; au contraire, la force de la volition est en raison directe de ce même sentiment. » — Oui, parce que la force de la volition n’est autre chose que le sentiment même de notre intelligence et de la puissance d’action qui appartient à l’idée de notre moi indépendant. […] Le rapport de différence, par exemple, si abstrait semble-t-il, se révèle par un sentiment de choc interne, de résistance que nous éprouvons en passant d’une représentation à l’autre ; celui de ressemblance enveloppe un sentiment de continuité, de facilité, de non-résistance161.
Il a le sentiment de la mission et de la gravité de l’histoire ; il se reproche à un certain moment (en termes assez obscurs) d’en être descendu, d’y avoir dérogé. […] Bien avoit sentiment et connoissance le roi de France que ses gens étoient en péril, car il voyoit ses rangs ouvrir et s’ébranler, et bannières et étendards trébucher et reculer, et par la force de l’ennemi reboutés ; mais par fait d’armes il les pensa bien tous recouvrer. […] À cette admirable scène, les réflexions, les sentiments se pressent : notons-en seulement quelques-uns. […] Mais le sentiment moderne chevaleresque était plus sincère dans ses imprudences, et il n’attendait pas pour honorer l’ennemi qu’il fût par terre ; c’est ce qui donnait le droit au prince de Galles de dire à son « cher Sire » captif qu’il ne « raillait » pas. […] Villemain a fait ressortir la supériorité morale du sentiment moderne.
Ce ne sont pas les seules passions anarchiques qui renversent les trônes : cela ne s’est jamais vu ; ce sont ces mauvais sentiments s’appuyant sur de bons instincts. […] Si ce sentiment-là s’accroissait dans la masse, il pourrait amener plus tard de grands malheurs. […] Cependant il ne faisait guère cas des sentiments et des mobiles qui animaient les masses, et il écrivait le 1er mai 1848 à l’un de ses honnêtes amis de Versailles, M. […] et les hommes les plus intelligents, les cœurs les plus nobles ne parviendront-ils donc jamais à rompre les cloisons qui les séparent, à respecter les causes également légitimes et sincères dont ils ont en eux le principe et le sentiment ! […] On a ce sentiment quand on vient d’assister à toute cette préparation pénible et vraiment anxieuse, à toute cette enquête.
Le clergé, du sein duquel il sortait, se laissa aller unanimement d’abord au sentiment de l’admiration ; il eut l’air de comprendre ; il salua, il exalta d’un long cri d’espérance son athlète et son vengeur. […] M. de La Mennais ne nie pas la raison de l’individu et la certitude relative des sensations, du sentiment et des connaissances qui s’y rapportent. Il ne dit pas le moins du monde, comme le suppose l’auteur d’ailleurs si impartial et si sagace d’une Histoire de la philosophie française contemporaine : « Voilà des personnes dignes de foi, croyez-les ; cependant n’oubliez pas que ni vous ni ces personnes n’avez la faculté de savoir certainement quoi que ce soit. » Mais il dit : « En vous isolant comme Descartes l’a voulu faire, en vous dépouillant, par une supposition chimérique, de toutes vos connaissances acquises pour les reconstruire ensuite plus certainement à l’aide d’un reploiement solitaire sur vous-même, vous vous abusez ; vous vous privez de légitimes et naturels secours ; vous rompez avec la société dont vous êtes membre, avec la tradition dont vous êtes nourri ; vous voulez éluder l’acte de foi qui se retrouve invinciblement à l’origine de la plus simple pensée, vous demandez à votre raison sa propre raison qu’elle ne sait pas ; vous lui demandez de se démontrer elle-même à elle-même, tandis qu’il ne s’agirait que d’y croire préalablement, de la laisser jouer en liberté, de l’appliquer avec toutes ses ressources et son expansion native aux vérités qui la sollicitent, et dans lesquelles, bon gré, mal gré, elle s’inquiète, pour s’y appuyer, du témoignage des autres, de telle sorte qu’il n’y a de véritable repos pour elle et de certitude suprême que lorsque sa propre opinion s’est unie au sentiment universel. » Or, ce sentiment universel, en dehors duquel il n’y a de tout à fait logique que le pyrrhonisme, et de sensé que l’empirisme, existe-t-il, et que dit-il ? […] La plupart des théologiens prêtèrent leurs subtilités à ce système bâtard ; quelques autres par ressouvenir du passé, deux ou trois par sentiment d’avenir, s’élevèrent pour le combattre : tels Fénelon et M. de La Mennais. […] La France n’en sera pas l’unique théâtre ; elle s’étendra partout où domine le libéralisme, soit comme doctrine, soit comme sentiment, et sous cette dernière forme il est universel.
Dans ses meilleurs et ses plus poétiques moments, Mme Des Houlières a fait de jolis airs : c’est ainsi qu’elle appelle un simple couplet, une idée tendre, fugitive, un sentiment rapide qui nous arrive comme à travers un son de vieux luth ou de clavecin. […] Jay a écrit, dans des Observations sur elle et sur ses œuvres : « Supérieure sous tous les rapports à Mme Des Houlières, mais ne devant peut-être cette supériorité qu’à l’influence des grands spectacles dont elle fut témoin et dont elle reçut les impressions, elle a conquis une palme immortelle… » L’originalité poétique de Mme Dufrénoy (si on lui en trouve) n’est pas dans les chants consacrés à des événements publics, mais dans la simple expression de ses sentiments tendres. […] Quand l’amante poëte nous dit : Arrangeons ce nœud, la parure Ne messied point au sentiment, pompon pour pompon, n’est-ce pas un peu comme à l’hôtel Rambouillet ? […] Mais c’est dans un sentiment doux comme le tacitisque senescimus annis d’Ovide : le vers de Mme Des Houlières est d’un autre accent. […] On ne parla d’autre chose pendant tout le souper ; chacun dit son sentiment sur la tragédie, et on se trouva plus disposé à la critique qu’à la louange.
Ces productions de jeunesse que nous possédons attestent un sentiment vrai sous l’inexpérience extrême et la faiblesse de l’expression et de la couleur ; avec un peu d’attention, on y démêle en quelques endroits comme un écho lointain, comme un prélude confus des chœurs mélodieux d’Esther : Je vois ce cloître vénérable, Ces beaux lieux du Ciel bien aimés, Qui de cent temples animés Cachent la richesse adorable. […] Il faut donc qu’ils aient une bonté médiocre, c’est-à-dire une vertu capable de faiblesse, et qu’ils tombent dans le malheur par quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester. » J’insiste sur ce point, parce que la grande innovation de Racine et sa plus incontestable originalité dramatique consistent précisément dans cette réduction des personnages héroïques à des proportions plus humaines, plus naturelles, et dans cette analyse délicate des plus secrètes nuances du sentiment et de la passion. Ce qui distingue Racine, avant tout, dans la composition du style comme dans celle du drame, c’est la suite logique, la liaison ininterrompue des idées et des sentiments ; c’est que chez lui tout est rempli sans vide et motivé sans réplique, et que jamais il n’y a lieu d’être surpris de ces changements brusques, de ces retours sans intermédiaire, de ces volte-faces subites, dont Corneille a fait souvent abus dans le jeu de ses caractères et dans la marche de ses drames. […] Il est à regretter qu’il n’ait pas poussé plus loin cette espèce de composition religieuse, et que, dans les huit dernières années qui suivirent Athalie, il n’ait pas fini par jeter avec originalité quelques-uns des sentiments personnels, tendres, passionnés, fervents, que recelait son cœur. […] La poésie alors, qui faisait partie de la littérature, se distinguait tellement de la vie que rien ne ramenait de l’une à l’autre, que l’idée même ne venait pas de les joindre, et qu’une fois consacré aux soins domestiques, aux sentiments de père, aux devoirs de paroissien, on avait élevé une muraille infranchissable entre les Muses et soi.
Ou en cite deux : le Mystère du siège d’Orléans, œuvre orléanaise, qui n’est pas de beaucoup postérieure à la délivrance de la ville, ou tout au moins ne l’est pas à la réhabilitation de Jeanne d’Arc : on s’explique suffisamment le sentiment de piété locale qui fit choisir ce sujet, d’autant que la fête anniversaire du 8 mai était devenue la vraie fête patronale de la ville d’Orléans. […] Ce qui a plus de prix, c’est le naturel des sentiments, justement senti, curieusement développé par une intuition spontanée : à force de ne pas se guinder, à force de facilité à retrouver dans l’antiquité évangélique et biblique tout le détail de la vie contemporaine, nos découpeurs des Livres saints, sans art, sans goût, sans style, ont donné à quelques scènes un air de vérité aisée, qui est près de charmer, Il y a des coins de pastorale gracieuse dans le Vieux Testament, dans la Passion : mais surtout il y a quelques commencements heureux d’expression dramatique des caractères. Dans le Vieux Testament, quelques touches du caractère de Caïn, une esquisse du pathétique moral auquel le sacrifice d’Abraham peut donner lieu dans les rôles du père et du fils, une notation un peu sèche, mais essentiellement juste des sentiments respectifs de Samson et de Dalila, une discrète et délicate peinture de la belle âme de Suzanne, d’heureux traits de foi timide dans Enther, et d’orgueil féroce dans Aman : voilà où l’esprit aime à se reposer dans la platitude aride de l’immense mystère. […] Non moins allégoriques, mais parfois plus vivantes, et du moins plus intéressantes par leurs sujets, animées par quelques éclats de sentiment sincère et de malice spirituelle, sont les moralités politiques : celles surtout où le sentiment patriotique et populaire s’exhale en vives satires. […] Dans ce sujet si simple — un marchand fripon, dupé par un avocat fripon, que dupe à son tour un rustre fripon, auquel il avait donné secours pour duper encore le marchand — dans ce sujet si mince, il y a un tel jaillissement de gaieté, tant de finesse, tant d’exactitude dans l’expression des caractères, une si délicate et puissante intuition de la convenance dramatique et psychologique des sentiments, une vie si intense, et un style si dru, si vert, si mordant, ici une si exubérante fantaisie et là une si saisissante vérité, souvent un si délicieux mélange de la fantaisie au dehors et de la vérité au dedans, qu’en vérité la farce de maître Pierre Patelin est le chef-d’œuvre de notre ancien théâtre, et l’un des chefs-d’œuvre de l’ancienne littérature.
Pourtant, dès l’abord (et c’est en cela que je la trouve fidèle à ses origines), elle porte je ne sais quoi des sentiments bourgeois, des affections et des goûts de la vie privée jusque dans les scandales brillants de sa liaison royale. Les Mémoires de Mme Du Hausset, sa femme de chambre, nous édifient à ce sujet, et nous montrent avec une grande naïveté de propos les sentiments habituels et vrais de Mme de Pompadour : je n’en citerais qu’un exemple qui éclaircira ma pensée. […] Elle a des sentiments ; elle pense à l’avance en grand-mère déjà tout attendrie. […] Il semblait que la marquise eût le sentiment de tout ce qui s’amoncelait d’orages là-haut sur sa tête, quand elle disait : Après moi le déluge ! […] Il tenait cette sournoiserie de sa première éducation sous le vieux cardinal de Fleury. — Enfin, elle s’écrie avec un sentiment secret de sa misère et une expression qui ne laisse pas d’étonner : « Ah !
je préfère parler au nom du sentiment de la morale et du plaisir. […] Je ne connais pas de problème plus confondant pour le pédantisme et le philosophisme, que de savoir en vertu de quelle loi les artistes les plus opposés par leur méthode évoquent les mêmes idées et agitent en nous des sentiments analogues. […] Ce n’est pas, à coup sûr, la traduction des sentiments, des passions, des variantes de ces passions et de ces sentiments ; ce n’est pas non plus la représentation de grandes scènes historiques (malgré ses beautés italiennes, trop italiennes, le tableau du Saint Symphorien, italianisé jusqu’à l’empilement des figures, ne révèle certainement pas la sublimité d’une victime chrétienne, ni la bestialité féroce et indifférente à la fois des païens conservateurs). […] Le caractère principal d’une apothéose doit être le sentiment surnaturel, la puissance d’ascension vers les régions supérieures, un entraînement, un vol irrésistible vers le ciel, but de toutes les aspirations humaines et habitacle classique de tous les grands hommes. […] Ici, comme dans l’Apothéose, absence totale de sentiment et de surnaturalisme.
ils ont, de plus, la certitude d’être entendus lorsqu’ils élargissent l’horizon terrestre et qu’ils expriment un sentiment religieux ; entendus non pas d’une élite, mais du peuple encore pénétré de christianisme, et qui conserve, de ses origines, un idéal divin mêlé à tous les appétits humains. […] disant : « L’art est un moyen d’union parmi les hommes, … une activité qui a pour but de transmettre d’homme à homme les sentiments les plus hauts de l’âme humaine. » De tout temps, de très grands artistes ont considéré de la sorte leur mission dans le monde. […] Les autres, ceux qui montent et s’instruisent en tâtonnant, ne sauront sans doute pas, ni tous, ni tout de suite, analyser le sentiment qu’ils éprouveront, mais, si humbles qu’ils soient, ils ont un cœur qui peut battre, ils ont des larmes qui peuvent couler, ils ont un bon sens que le bon sens touchera. […] Quand un homme écrit en vue d’un public déterminé, il s’asservit inconsciemment à lui ; il en prend les préjugés, les goûts, le langage, les travers, il se condamne à évoluer dans un certain ordre de sentiments et d’idées qui sont ceux d’une coterie, d’une école et d’une mode. […] Et moi j’admirais comment ces primitifs, si loin de nos sciences et de nos discours, avaient le sentiment de la beauté de leur âpre pays.
Il ne se peut rien de plus opposé : c’est un journal tout intime, écrit par un savant pieux, qui vit dans l’étude et dans la continuelle présence de Dieu, qui s’interroge à chaque heure sur toutes ses actions, sur ses sentiments les plus secrets, et qui se confesse, à vrai dire, — mêlant à tout, à ses traverses de fortune, à ses joies et à ses tribulations domestiques, comme à ses éruditions profanes, la pensée chrétienne la plus vigilante et la prière. — « Avez-vous lu le journal de Casaubon ? […] Ainsi ferai-je pour mes citations ; je traduirai tout uniment, et si l’on y perd la broderie, on aura du moins l’étoffe, je veux dire la pensée courante, le sentiment ému, l’effusion, ce qui fait réellement le prix de cet écrit sincère. […] Mais puisque rien de ce qui est arrivé n’est arrivé sans la permission de Dieu, je me tairai, ô Dieu éternel, j’implorerai ton nom, et je le demanderai pour moi, pour tous les miens, des sentiments d’humilité profonde, etc. […] Et sur ce seul sujet du saint mystère de l’Eucharistie, les choses en sont venues à ce point que les pieux et les sincères ont peine à fixer leur sentiment. […] Le second jour qu’il le vit, l’entretien tomba sur Tacite, Plutarque et Commynes : Le roi ayant dit que c’est se tromper que de faire de Tacite le maître unique de la prudence civile, l’historien politique par excellence, je m’empressai de remarquer (c’est Casaubon qui parle) qu’il n’y avait pas un an que j’avais porté le même jugement dans ma préface du Polybe ; et le docte monarque me témoigna qu’il était charmé de cette rencontre de sentiments.
Elle prend pour des caricatures les jolis Watteau que vous jetez au vent ; vos dessins si fins et si spirituels annoncent un sentiment très-fin de couleur, tout à fait dans le goût de Watteau, qui fut un très grand coloriste. […] Il s’engagea à y faire « une lithographie par jour » ; il tint la gageure pendant plus d’une année et y ouvrit simultanément ses séries nouvelles : les Partageuses, Histoire de politiquer, les Lorettes vieillies, les Propos de Thomas Vireloque, les Invalides du sentiment, etc. […] Je choisis, dans ces séries dernières et désenchantées, celle qui me paraît la plus facile, la plus directe et la mieux trouvée, la plus heureuse vraiment de ces contreparties, gaie encore et plaisante, sans rien d’odieux : les Invalides du sentiment. […] dans ses Invalides du sentiment, il en a pourtant oublié un, ce me semble, l’invalide content, celui qui ne regrette rien, qui trotte toujours, qui n’a perdu que sa jeunesse et ses écus, et qui serait prêt, si on le lui offrait, à recommencer à l’instant sa ruine. […] Parmi les sujets que vient de reproduire excellemment la photographie, je ne puis m’empêcher de signaler encore, pour le dessin comme pour le sentiment, cette scène de l’homme du peuple, de l’ouvrier faisant choix d’une épouse, lui posant la main sur l’épaule, et dans un langage grossier, que la légende a rendu au naturel, lui déclarant une affection grave pourtant et des plus sérieuses : l’attitude et le visage de cette femme debout, les yeux baissés, acceptant avec simplicité une vie commune qui lui sera rude, ont un véritable caractère de chasteté.
Taine respire le sentiment de ce qu’il y a là-bas de robuste, de solide, de gaillard, de gai, de succulent, de loyal et d’honnête jusque dans la violence et l’excès de la force. […] Mais ce n’est plus avec des noms et des individus qu’on écrit maintenant l’histoire des poésies et des littératures ; l’individu brillant et de génie n’est que le porte-étendard et le porte-voix, l’assembleur d’une quantité de sentiments et de pensées qui flottaient et circulaient vaguement autour de lui. […] Émotions et raisonnements, toutes les forces et toutes les actions de son âme se rassemblent et s’ordonnent sous un sentiment unique, celui du sublime, et l’ample fleuve de la poésie lyrique coule hors de lui, impétueux, uni, splendide comme une nappe d’or… « Il a été nourri dans la lecture de Spenser, de Drayton, de Shakespeare, de Beaumont, de tous les plus éclatants poëtes, et le flot d’or de l’âge précédent, quoique appauvri tout alentour et ralenti en lui-même, s’est élargi comme un lac en s’arrêtant dans son cœur… « Tout jeune encore et au sortir de Cambridge il se portait vers le magnifique et le grandiose ; il avait besoin du grand vers roulant, de la strophe ample et sonnante, des périodes immenses de quatorze et de vingt-quatre vers. […] Pour exprimer un pareil sentiment, ce n’était pas assez des images et de la poésie qui ne s’adresse qu’aux yeux ; il fallait encore des sons, et cette poésie plus intime qui, purgée de représentations corporelles, va toucher l’âme : il était musicien et artiste ; ses hymnes s’avançaient avec la lenteur d’une mélopée et la gravité d’une déclamation… « Il fait comprendre ce mot de Platon, son maître, que les mélodies vertueuses enseignent la vertu… » Et ce mot encore : « Les paysages de Milton sont une école de vertu. » La vertu de Milton s’était accommodée de Cromwell. […] … de nouveaux ennemis s’élèvent, menaçant de lier nos âmes avec des chaînes séculaires ; aide-nous à sauver notre libre conscience des ongles des loups mercenaires qui pour tout Évangile ont leur panse. » C’est le même sentiment que chez Marwell, plus héroïque et plus martial chez celui-ci, plus purement chrétien chez Milton.
Je vous connais assez, et depuis assez de temps, pour ne pas mettre en doute la sincérité de vos sentiments et de votre attachement à ma personne. ». […] Les sentiments sont tout purs, tout désintéressés, ce qu’ils doivent être du moment qu’ils s’expriment ; les raisonnements généraux, de la manière dont ils sont présentés, paraissent justes ; ils s’appuient à d’excellentes maximes politiques : nous ne sommes pas très bons juges de l’application ni de bien des détails. […] Le maréchal de Noailles, dans un sentiment non de rivalité, mais d’intérêt public, croit devoir signaler au roi cette retraite précipitée, inexplicable, faite sans en avoir reçu l’ordre, comme la plus grande preuve du manque de concert et du peu de subordination qui compromet tout et tend à tout perdre. […] Il a de l’élévation dans l’esprit et des sentiments dans le cœur… » Et l’on peut remarquer, à ce propos, que le maréchal de Noailles avait le talent de ne pas choisir trop mal ses amis : sous la Régence, il avait adopté le chancelier d’Aguesseau et se l’était étroitement attaché et acquis ; en 1743, il poussait le comte de Saxe. […] si tout le monde était comme vous et moi, et le bon Dieu surtout, cela irait bien ; la volonté est très grande, mais les moments sont bien critiques… » Ce n’est là certes ni la langue de Louis XIV ni celle de Henri IV, ni leurs sentiments non plus.
Les douleurs de sa patrie française tenaient une grande place dans la jeune âme, et couvraient pour elle le vague des autres sentiments. […] Le cachet du jour lui disait donc assez bien la nuance de sentiment qu’elle allait transmettre, et fixait en quelque sorte son tourment. […] non plus à ses goûts anciens, à ses gracieux amours de jeune fille, à ses lectures chéries (tout cela était trop insuffisant et dès longtemps flétri pour elle), mais à des sentiments plus mâles et plus profonds, comme à des ressources désespérées, — à son culte de la patrie, par exemple. […] Bien souvent, entre les sentiments humains qui se pour raient compléter et satisfaire dans un mutuel bonheur, il y a pour obstacle… Quoi ? […] Un soir qu’on avait plus longuement causé de guérison et d’espérance, qu’on avait projeté pour Christel des promenades à cheval au printemps, qu’on s’était promis de se diriger sur les domaines d’Hervé, vers un bois surtout de hêtres séculaires qu’avaient habité les fées de son enfance, et dont il aimait à vanter la royale beauté, il crut le moment propice, et, après quelques mots sur sa mère, à laquelle il avait parlé, disait-il, de cette visite désirée : « Il est temps, ajouta-t-il d’un ton marqué, qu’elle connaisse celle qui lui vient. » Christel tressaillit et l’arrêta ; ce fut un simple geste, un signe de tête accompagné d’un coup d’œil au ciel, le tout si résigné, si reconnaissant, si négatif à la fois, avec un sourire si pâli, et dans un sentiment si profond et si manifeste du néant de pareils projets à l’égard d’une malade comme elle, que la mère navrée ne put qu’échanger avec Hervé un lent regard noyé de larmes.
Enfin par certaines combinaisons régulières ou du moins correctes, mais qui détournent les constructions de leur emploi ordinaire comme les tropes détournent les mots de leur sens commun, on peut rendre certains sentiments et certaines idées dont la langue ne pourrait autrement marquer l’exact degré et la couleur particulière. […] En général, les figures servent à rendre ce qui échappe à la prise brutale et matérielle des mots : on ne s’étonnera donc pas qu’elles servent surtout à traduire ce qui est sentiment ou passion ; les pures idées intellectuelles et les objets du monde réel sont en général directement touchés par les mots et par l’application littérale des lois communes de la grammaire et de la syntaxe. […] Elle a été dotée de toutes les épithètes, de tous les verbes qui indiquent les qualités et les actions des objets sensibles : elle a été élevée, basse, elle a eu des idées étendues, étroites, des sentiments vifs ou lents, ardents ou froids. […] Le sentiment qui crée la métaphore peut, de l’idée sur laquelle elle est née, se communiquer aux idées voisines, et les transformer en images analogues. […] Mais il ne faut pas les prendre comme usitées et traditionnelles ; il ne faut pas y être conduit par l’opération mécanique de la mémoire : il faut qu’elles jaillissent, créées à nouveau pour un besoin nouveau, du sentiment intime et de l’imagination personnelle.
Là, les individus sont plus effacés, évitent de se mettre en évidence : ils agissent sur les âmes par la direction privée plus que par la prédication publique ; ils trouvent leur plaisir dans le sentiment de l’immense force collective dont ils participent, à laquelle ils contribuent par leur obéissance même, plutôt que dans le libre gouvernement de leurs facultés en vue de l’intérêt divin. […] je ne sais ; mais, tandis que retentissaient les nobles phrases du prédicateur, un sonnet de Sully Prudhomme murmurait tout bas dans ma mémoire, exprimant un sentiment presque pareil : Un de mes grands péchés me suivait pas à pas, Se plaignant de vieillir dans un lâche mystère ; Sous la dent du remords il ne pouvait se taire Et parlait haut tout seul, quand je n’y veillais pas. […] Je voudrais pouvoir offrir à ceux qui redoutent la curiosité du prêtre dix ou douze heures de confessionnal : j’espère qu’au bout de ce temps il me demanderaient grâce et reconnaîtraient qu’il faut un sentiment moins trivial que la curiosité pour retenir le prêtre enchaîné aux fastidieuses redites de la conscience humaine. […] V J’ai entendu d’autres prédicateurs du carême, mais en courant et avec trop peu de suite pour avoir un sentiment bien arrêté soit sur le talent de chacun, soit sur l’état actuel de l’éloquence sacrée. […] Ils s’attaquent au matérialisme, au positivisme, au scepticisme et autres monstres avec une éloquence qui m’a semblé chez quelques-uns, sincère et cordiale, et tour à tour par des raisons de sentiment et par des arguments un peu gros, bien appropriés à leurs auditoires Le Père Lange, l’abbé Frémont, surtout l’abbé Perraud et plus encore l’abbé Huvelin valent certes la peine d’être entendus.
Vous avez bien de l’expérience ; mais il vous en manque une que, j’espère, vous n’aurez jamais : c’est la privation du sentiment, avec la douleur de ne s’en pouvoir passer. […] C’est par ce sentiment à la fois d’impuissance et de désir que Mme Du Deffand fait, en quelque sorte, le lien entre le xviiie siècle et le nôtre. […] Je vous avoue qu’au sortir de là, si j’avais su où vous trouver, j’aurais été vous chercher ; il faisait le plus beau temps du monde, la lune était belle… On peut juger si Mme Du Deffand le plaisante sur cette lune ; elle réduit cet éclair de sentiment à sa juste valeur, et, tout en essayant de lui dire quelques paroles aimables elle livre la clef de sa propre nature au physique et au moral. […] Elle lui répond avec colère, avec soumission, avec sentiment. […] Mais la clef profonde de ce cœur est dans son sentiment pour Walpole.
Elle commence par poser en principe « que nous n’avons rien à faire en ce monde qu’à nous y procurer des sensations et des sentiments agréables ». […] En écrivant ces pages, elle se flattait encore qu’elle tiendrait bon dans ce qu’elle appelait l’immutabilité de son cœur, et que le sentiment paisible de l’amitié, joint à la passion de l’étude, suffirait à la rendre heureuse. […] Ces lettres de Mme du Châtelet, il faut l’avouer, sont charmantes et vraiment tendres ; il semble que, sous l’empire d’un sentiment vrai, il se soit fait en elle une sorte de renouvellement de pensée et de rajeunissement. […] … Vous m’écrirez sans doute, mais vous prendrez sur vous pour m’écrire… J’ai bien peur que votre esprit ne fasse bien plus de cas d’une plaisanterie fine, que votre cœur d’un sentiment tendre ; enfin, j’ai bien peur d’avoir tort de vous trop aimer. […] Il y a des sentiments exprimés avec une extrême délicatesse : « Ma lettre qui est à Nancy vous plaira plus que celle-ci ; je ne vous aimais pas mieux, mais j’avais plus de force pour vous le dire : il y avait moins de temps que je vous avais quitté !
Le roi et la reine d’Espagne, auxquels elle s’est donnée, ont des sentiments élevés, « aussi élevés que le rang où Dieu les a mis ; ils sont incapables de faire des bassesses. […] Mme des Ursins, qui est d’une tout autre race, nourrit et exprime des sentiments tout opposés. […] Ces deux femmes célèbres sont belles, à certains moments, chacune dans son rôle, et il est telle lettre de Mme de Maintenon (celle du 23 décembre 1708, par exemple), dans laquelle elle expose son sentiment religieux et résigné avec une justesse, une fermeté et une noblesse de ton si imposante qu’elle arrache un cri d’admiration à celle même qui la contredit. […] Je trouve cependant que l’esprit de la Cour a bien changé depuis que je suis sortie de France, car le roi ne me paraissait point de ce sentiment lorsque j’avais l’honneur de l’entretenir ; ne serait-ce pas cela la cause de tous nos malheurs ? […] Mme des Ursins nous associe sans difficulté à ses sentiments et nous entraîne, tant que sa résistance à la paix semble chez elle l’inspiration directe, le cri du patriotisme et de l’honneur : on ne lui pardonne pas seulement cette opiniâtreté, on l’en admire ; mais, dès qu’on y soupçonne une ambition et une cupidité personnelle, l’impression devient toute contraire, et son rôle se gâte à nos yeux, Or, il est certain que, vers la fin de cette période sanglante et dans les négociations si lentes qui la terminèrent, elle fit tout pour obtenir des puissances contractantes une souveraineté en son nom dans les Pays-Bas ; le roi d’Espagne s’obstinait sur cette condition si peu convenable et si disproportionnée aux grands intérêts en litige, et il refusait de signer la paix avec la Hollande, si les Hollandais, non contents de mettre Mme des Ursins en possession de cette souveraineté, ne s’en faisaient, de plus, les garants vis-à-vis de l’empereur.
Pline est du même sentiment que Virgile. […] Nous donnons l’idée du peintre inconnu en le comparant aux peintres connus, et cette voïe est la meilleure voïe de description quand il s’agit des choses qui tombent sous le sentiment. […] Or nous n’avons pas sur les ouvrages des anciens peintres de la Gréce, le sentiment de personne qui ait vû les ouvrages de nos peintres modernes. […] Pline parlant encore d’un tableau d’Aristide qui representoit une femme percée d’un coup de poignard, et dont l’enfant sucçoit encore la mammelle, s’énonce avec autant de goût et de sentiment que Rubens l’auroit pû faire en parlant d’un beau tableau de Raphaël. […] Aucun sentiment ne fut jamais mieux exprimé que la curiosité de la mere du jeune Papirius.