Mais aujourd’hui, déjà depuis bien des années cette voix est muette, et le bonheur dont je jouissais dans ce contact avec sa personne est bien loin derrière moi ; aussi je ne pouvais trouver l’ardeur nécessaire que dans les heures où il m’était donné de rentrer en moi-même, assez profondément pour pénétrer dans ces asiles de l’âme que rien ne trouble ; là je pouvais revoir le passé avec ses fraîches couleurs ; il se redressait devant moi, et je voyais de grandes pensées, des fragments de cette grande âme apparaître à mes regards, comme apparaîtraient des sommets lointains, mais éclairés par la lumière du jour céleste, aussi éclatante que la lumière du soleil. […] Entre nous régnait la plus profonde harmonie ; il me tendait sa main par-dessus la table, et je la pressais ; puis je saisissais un verre rempli, placé près de moi, et je le vidais en silence, et je lui faisais une secrète libation, les regards passant au-dessus de mon verre et reposant dans les siens. […] « — On a du plaisir à ne pas consentir à me voir comme je suis, et on détourne les regards de ce qui pourrait me montrer sous mon vrai jour.
D’abord le Roi des rois se déclara très heureux, devant ce déploiement de sa force : puis son regard réduisit en cendre les millions d’hommes qui se mouvaient sous ses pieds, cet horizon fourmillant lui apparut vide comme un champ funèbre, et il se mit à pleurer. […] » dirent-ils, prosternés sur le pavé de la crypte, « fais-nous une réponse meilleure, sinon nous ne quitterons plus ton sanctuaire, mais nous y resterons et nous y mourrons. » Cette fois, la Pythie s’adoucit sans se rétracter ; elle commua son arrêt de mort en énigme, un vague regard de pitié passa sur les yeux funestes du « Loucheur », comme on appelait l’Apollon delphique — « Athéné ne peut fléchir Zeus Olympien, — qu’elle supplie par de nombreux discours, de prudents conseils. — Mais je te donnerai cette assurance solide comme le diamant. — Quand tout sera subjugué dans la terre de Cécrops, — y compris les cavernes du divin Cithéron, — Zeus accorde à Athéné que des murs de bois — seront seuls imprenables. […] Ils ne daignèrent même point remarquer le cavalier ennemi qui les observait : pas un geste tourné vers lui, pas un regard menaçant, non plus qu’à un oiseau de proie qu’ils auraient vu tournoyer sur l’arène des Jeux d’OIympie.
Fixez votre regard sur une surface blanche modérément éclairée, vous ne sentez ni fatigue ni déplaisir, mais aussi vous n’éprouvez qu’un faible plaisir positif. […] Il en est de même pour les fonctions de la pensée, fût-ce la simple attention et « aperception » : ce que nous pouvons difficilement apercevoir, ce qui est trop grand ou trop petit, trop confus ou trop indistinct, ce qui arrête le regard de la pensée et tend à supprimer la pensée même, produit un commencement de déplaisir. […] C’est que, devant l’immensité du ciel, de la mer ou de la montagne, la possibilité d’apercevoir l’ensemble, d’embrasser tout du regard ou même de l’imagination nous est enlevée ; mais, par un effort supérieur de la pensée, nous concevons l’infini et anéantissons l’obstacle matériel devant l’idée intellectuelle.
On reconnaît le ménage de la chiromancie, le ménage Desbarolles… Tous deux vous prennent la main, la tripotent, la retournent, vous plongent le regard dans les yeux. […] Grande femme échevelée, l’air poitrinaire et fou, valsant la taille presque entièrement ployée, la tête renversée, les cheveux balayant l’air, pâmée et défaillante, et qui faisait tournoyer indéfiniment sous vos regards, ainsi que sur un oreiller, le visage d’une convalescente, aux yeux demi-fermés, ne laissant voir que le petit point noir de sa pupille, à la bouche ouverte comme un cœur de fleur, où il y aurait de l’ombre. […] Au fond d’une alcôve est son lit, tout entouré, tout tapissé de bistres de Frago, qui ont le premier regard du collectionneur s’éveillant, et même souvent, pendant la fièvre des nuits, les longues contemplations de ses insomnies, à la vague lueur d’une veilleuse.
Et Rops est vraiment éloquent, en peignant la cruauté d’aspect de la femme contemporaine, son regard d’acier, et son mauvais vouloir contre l’homme, non caché, non dissimulé, mais montré ostensiblement sur toute sa personne. […] La lecture continue, intrépide, et peu à peu les auditeurs s’immobilisent, et de temps en temps, avec la pupille dilatée de leur regard, ils fixent mon frère, avec l’air de se demander s’ils n’ont pas affaire à des gens de talent, devenus fous. […] Il y a rarement chez nous cette noblesse de déclin, cette race de la vieillesse, cette beauté de Franklin et de grand seigneur, sous la couronne d’un reste de cheveux blancs, et ces yeux heureux, et cette belle bouche, et ces beaux regards humains ; enfin ce type d’une vie toute droite et bien remplie, d’une conscience satisfaite, d’une âme limpide.
Aussitôt son regard m’arrive comme un jet de lumière électrique. […] Puis bientôt revenant à ce dégoût de son métier, dégoût que j’ai rencontré, dans les derniers temps, chez Gavarni, il s’écrie : « Ah si j’avais une petite rente, là toute petite, mais immuable, comme je m’en irais d’ici, tout de suite… comme j’irais vers un bout de pays, aux rivières, où il y de la poussière dedans et qu’on balaye… Ce sont les rivières que j’aime… Pas d’humidité… dans le dos par exemple, un bois de palmiers, comme à Bordiguères… et une Méditerranée bleue à l’horizon. » Il s’arrête quelque temps dans la contemplation de son paysage, et reprend : « Par un coup de soleil, nous esthétiserions, au bord de la mer, les pieds dans la vague, comme Socrate ou Platon. » Pendant qu’il parle, tour à tour, l’une de ses sœurs, de ces vieilles à tignasse grise, au torse maigre flottant dans la flanelle d’une vareuse, entre, sans qu’on l’entende, s’assied une seconde, donne une caresse au petit chien blanc ou à la noire Cléopâtre, et ressort, en enveloppant son frère d’un regard de tendresse. […] Mardi 27 août Un squelette de grandeur naturelle qui chevauche un lion, et frappe les heures sur sa tête, avec l’os d’un fémur : c’est une vieille horloge qui arrête et retient votre regard, au milieu de l’immense bric-à-brac du Musée national de Munich.
Son erreur en cette sixième Exposition fâche même qui sait qu’en la précédente il épingla sur le liège quadrillé d’une toile retournée son talent en un Regard de femme à tête de musaraigne. […] Des fougères comme les échelles d’un rêve sous une porte y emmurent leurs arbres de Noël, fleuris des regards très bons, ronds sur les feuilles, du « Jardin aux noyaux de diamants ». […] Celui-ci est distant par suite d’un moindre infini, pas assez moindre pour qu’on ne puisse considérer tous les rayons reflétés par l’acteur (soit tous les regards) comme parallèles.
« Répands les flots de ta colère sur l’orgueilleux ; qu’un seul de tes regards renverse le superbe. […] Rien ne vient de rien ; or, voilà des univers de quoi remplir des milliers de firmaments, des millions de regards et des millions de pensées comme la mienne ; donc il y a un premier être abîme et source de tout. […] Dieu veut être entrevu et non vu dans son œuvre ; c’est le demi-jour qui fait travailler le regard, c’est le mystère qui fait travailler la pensée.
Il a vu les milieux dits excentriques avec le regard d’un Nietzschéen, et il nous les a présentés simplement avec un humour ingénu, bien français et bien personnel. […] Pas même le regard de Stendhal amoureux de sa mère Henriette Beyle « alors qu’elle saute par-dessus le lit de son fils pour atteindre plus vite le sien » ou de sa tante Mme Camille Gagnon dont il avait entrevu, alors qu’elle descendait de voiture, « la peau blanche à deux doigts au-dessus du genou ». […] Autour de lui, l’existence provinciale va son cours monotone ; des physionomies fixent le regard ; des types, un instant, nous arrêtent, observés et décrits avec justesse.
Le langage humain n’exprime d’elles que la partie la plus banale et la plus superficielle, si bien qu’un regard muet et un serrement de main en disent plus long sur leur nature que les discours les plus éloquents et les paroles les plus ornées. […] Je compris toute la portée de ce regard qui, pour s’échapper de deux yeux jadis cyniques et effrontés à outrance, n’en contenait pas moins toutes les tristesses qu’ont ressenties tant d’âmes nobles et grandes. Dans son muet langage, il disait, ce regard, tout ce que peut dire le regard d’un héros qui sent la gloire lui échapper, ou celui d’une jolie femme qui vient d’apercevoir les premières marques irrécusables de la vieillesse. […] Je fus saisi de pitié en rencontrant ce regard dont j’essaye d’interpréter le langage, et je fis un pas en avant pour aller serrer la main du malheureux. […] J’en doutai un instant ; puis, quand je me rappelai le long et triste regard qu’il m’avait jeté quelques mois auparavant, toute incertitude s’évanouit de mon esprit.
Loti, habillé en Arabe, et dardant un regard terrible parmi des divans de café maure. […] Tantôt ses sourcils se fronçaient, le regard indiquait la colère, la main frappait la table, la voix avait des éclats de tonnerre — pour se changer en un rire franc qui se modérait tout à coup et passait, par une transition subtile, au sourire timide d’un enfant qui craint la punition. […] Vraiment, je préfère à toutes les simagrées des « petites oies blanches » la droiture de son regard et la probité de son cœur. […] Des yeux « d’une nuance indécise, bruns tirant sur le jaune, avec quelque chose d’inéclairable dans leur prunelle, comme si une détresse intime en ternissait le regard ». […] La tête un peu inclinée, le regard fauve, il commençait… Sa voix était forte… Il récitait d’un ton monotone et d’un air pénétré… Chacun écoutait, pensif.
si j’en crois mes regards indécis, C’est la barque d’Hermès ou la conque d’Isis, Que pousse une brise légère. […] Sainte-Beuve jette un regard sur la patrie, et, la voyant souffrante et agitée par de misérables ambitions, il s’interrompt de ses rêveries, pour protester et pour faire des vœux par où l’on voit que la liberté est chère à cette âme honnête. […] S’il s’approche des choses de la vie commune, c’est comme l’aigle, en planant ; c’est pour y jeter un insouciant regard, et pour y prendre en passant quelque image qu’il agrandit et qu’il idéalise ; s’il s’abaisse à parler de nos souillures, c’est en homme qui n’a jamais mis la main dans les plaies de l’humanité ; il a besoin d’ennoblir jusqu’à nos douleurs, pour les plaindre et y compatir. […] Il y a quelque chose de si calme et de si fin dans l’expérience d’un homme désabusé, qui revient sur les souvenirs de sa jeunesse, et qui jette un regard mélancolique sur les ruines de son cœur ! […] Rien de plus vrai ni de plus pittoresque que l’allure de ce petit vieillard, enfoncé dans une chaise à bras, le corps disgracieusement plié en deux, enveloppé d’un surtout de futaine, buvant de la tisane, et la recrachant, promenant sans cesse autour de lui un regard attentif et inquiet, comme un homme qui a l’habitude d’avoir peur et de faire peur.
Était-ce ce grand idéal humain qui plus tard inspira Byron et Goethe, cet idéal à travers lequel les grands génies de tous les âges ont plongé leurs regards jusque dans le cœur de l’homme, cet idéal qui n’a que deux pôles : l’âme humaine et Dieu ? […] Les Allemands, au contraire, aiment à plonger leur regard curieux dans les horizons de la métaphysique transcendantale ; c’est là qu’ils sont grands, quand ils n’oublient pas de consulter leur boussole. Mais une fois qu’ils ont abordé, leur regard reste vague, leur pas lourd et mal assuré. […] Leur principale affaire est de se peindre aux regards du public ; de nous conter leurs petits secrets ; de nous faire entendre surtout qu’ils sont chargés d’ennuis ; que la pâleur règne sur leur front et le désespoir dans leur âme. […] En somme le théâtre de Victor Hugo doit être considéré comme une œuvre de polémique plutôt que comme le produit d’un de ces génies sereins et vastes qui embrassent l’humanité d’un regard en même temps passionné et ironique.
depuis l’instant où vous m’avez fait naître, Ce cœur à vos regards n’a point déplu peut-être. […] La Révolution le surprit, et dans l’Épître à M. de Boisjolin, en 1792, jetant un regard en arrière, à la veille de plus grands orages, il pouvait dire avec un regret senti : Tu m’as trop imité : les plaisirs, la mollesse, Dans un piége enchanteur ont surpris ta faiblesse. […] Mais, au moment où il reportait son regard vers l’idéal avenir, les orages s’amoncelaient et ne laissaient plus d’horizon. […] Tu ne me verras plus baigner mon œil de larmes Pour avoir éprouvé le feu de tes regards ; Le temps contre tes traits me donnera des armes, Et l’absence et l’oubli reboucheront les dards. […] Faut-il ajouter qu’il en voulait à Talma d’être l’objet de je ne sais quelle, phrase de madame de Staël, où elle disait qu’il avait dans les yeux l’apothéose du regard ?
Aussi toutes les fois qu’un homme sort de son époque pour aller déterrer de vieux cadavres du passé et les habiller de friperies historiques, je suis toujours tenté de croire qu’il a une malheureuse faiblesse de regard, ou qu’il entre dans l’art avec une certaine charlatanerie, en s’inquiétant peu de la durée de son œuvre et de la probité littéraire. […] Quel singulier homme êtes-vous donc, pour que toutes les splendeurs de la nature passent inaperçues sous vos yeux, que le laid attire invinciblement vos regards, et qu’il n’y ait que le hideux qui ait le privilège de vous captiver ? […] À force d’exagérations burlesques, de rodomontades effrontées, il finira bien par attirer sur lui les regards, et de là à être célèbre, il n’y a qu’un pas. […] Ce groupe formé par le peintre à son chevalet est, je le reconnais de bon cœur, remarquablement peint, et il a encore un autre mérite qu’il ne faut pas passer sous silence, celui de présenter, chose rare, une belle tête aux regards du public. […] D’un seul regard ces gens-là vous déchiquettent leur homme jusqu’à la moelle, aussi est-il bien inutile de faire le malin avec eux.
Il faudrait posséder le talent du plus grand poète pour rendre l’expression de ses gestes, l’harmonie de sa voix et le feu de ses regards. […] La fin de Werther laissait en vue et livrait aux regards du public un faux Goethe au lieu du vrai, un fantôme creux et trompeur après lequel la foule allait courir, comme Turnus dans le combat s’acharne à poursuivre le fantôme d’Énée qui l’égare, tandis que le véritable héros est ailleurs et dans le lieu de l’action.
. — Mais ici commence l’erreur ; on est dupé par les mêmes mots et de la même façon qu’à propos de la mémoire et de la perception extérieure ; comme il s’agit d’une connaissance, on veut absolument y trouver un acte de connaissance et un objet connu ; on se la figure comme le regard d’un œil intérieur appliqué sur un événement présent et interne, de même qu’on s’est figuré la mémoire comme le regard d’un œil intérieur appliqué sur un événement passé.
L’archevêque se troubla à son aspect ; il rougit, pâlit, et, cherchant à gagner du temps, il balbutia je ne sais quelle excuse de sa démarche, disant à Petrucci que le pape lui envoyait par lui la permission d’un emploi pour son fils ; mais il était si embarrassé dans sa prétendue explication, que Petrucci observa qu’il changeait de couleur et qu’il jetait fréquemment des regards obliques vers les portes, comme s’il eût attendu le secours de quelqu’un. […] Son début était frappant et son regard plein d’expression ; je commençai à m’intéresser sérieusement à ce qu’il allait dire. — Il commence ; je suis attentif : une voix sonore, des expressions choisies, des sentiments élevés. — Il établit les divisions de son sujet : je les saisis sans peine ; rien d’obscur, rien d’inutile, rien de fade et de languissant. — Il développe ses arguments ; je me sens embarrassé. — Il réfute le sophisme, et mon embarras se dissipe. — Il amène un récit analogue au sujet ; je me sens intéressé. — Il module sa voix en accents variés qui me charment. — Il se livre à une sorte de gaieté ; je souris involontairement. — Il entame une argumentation sérieuse ; je cède à la force des vérités qu’il me présente. — Il s’adresse aux passions ; les larmes inondent mon visage. — Il tonne avec l’accent de la colère ; je frémis, je tremble ; je voudrais être loin de ce lieu terrible. » « Valori nous a laissé, sur les sujets particuliers qui occupaient l’attention de Laurent et de ses amis dans leurs entrevues au couvent de San-Gallo, des détails qu’il tenait de la bouche de Mariano lui-même.
La subtilité, qui n’est qu’une force mal employée, y est louée comme un regard de l’âme plus ferme et plus soutenu. […] Je veux parler de cette passion exclusive, un peu sauvage, qui préfère le pays à tout, et au pays le lieu même de la naissance, le premier horizon que l’écrivain a vu de ses premiers regards.
C’est à l’imitation étrangère qu’appartiennent ces désespoirs, ces alternatives de feu et de glace, ces cœurs Meurdris, couverts de sang, percés de toutes parts, Au milieu d’un grand feu qu’allument des regards ; ces vies « ravies par des yeux foudroyants, ces yeux « où le beau soleil tous les soirs se retire » ; ces plaies incurables, et tout ce détail du martyre amoureux : … les angoisses mortelles, Les diverses fureurs, les peurs continuelles Les injustes rigueurs, les courroux véhéments, Les rapports envieux, les mécontentements etc. […] Il prit au mot ce dédain du profane vulgaire, dont se vante Horace ; et, pour rendre la poésie d’autant plus inaccessible, il la hérissa de mots pédantesques, qui la protégeaient en effet contre les regards de la foule.
Pour isoler l’attention et fixer le regard, l’obscurité se fait progressivement dans toute la salle : on ne voit plus ses voisins, et le seul fait qui frappera désormais le sens optique sera le rectangle lumineux de la scène. […] Puis les rideaux s’écartent et les impressions matérielles objectives nous frappent en plein regard ; jusqu’à la fin, l’œil et l’oreille convergeront sous l’action dramatique doublement révélée, et s’adressant à nos sens de façon à s’approprier le maximum de pénétration de l’un et de l’autre.
Je n’imaginais point que tant de respect pût laisser place à tant d’affection ; qu’on pût aimer le même homme et l’adorer. » Et, rappelant l’instant de cette bénédiction solennelle il s’écrie dans sa pieuse extase : Étais-je encore sur cette terre quand vos regards ont rencontré les miens, quand vos mains se sont étendues vers moi ? […] La reconnaissance alors se peignait si vive dans ce regard-là, que toute idée de pour quittait les timides.
Werner, connu, même en France, par le succès mérité de sa tragédie de Luther, et qui réunit au plus haut degré deux qualités inconciliables en apparence, l’observation spirituelle et souvent plaisante du cœur humain, et une mélancolie enthousiaste et rêveuse, Werner, dans son Attila, présente à nos regards la cour nombreuse de Valentinien, se livrant aux danses, aux concerts, à tous les plaisirs, tandis que le fléau de Dieu est aux portes de Rome. […] Il n’y a personne, je le pense, qui, laissant errer ses regards sur un horizon sans bornes, ou se promenant sur les rives de la mer que viennent battre les vagues, ou levant les yeux vers le firmament parsemé d’étoiles, n’ait éprouvé une sorte d’émotion qu’il lui était impossible d’analyser ou de définir.
Évidemment, pour tout homme de bonne foi et dont le regard traverse les surfaces, les hérésies nées du Protestantisme n’en peuvent plus. […] L’idée théologique de la grâce est la clef qui ouvre le mieux aux regards de nos esprits les événements les plus fermés, les plus incompréhensibles, de l’histoire.
En un mot, elles n’y vont pas tout droit, et c’est parce qu’elles se sont heurtées à quelque obstacle de la vie qu’elles tournent vers Dieu des regards d’amoureuses éconduites ou trompées. […] Mais l’expression avait partout une parenté émouvante, et c’était la jeunesse, une joie enfantine, facile et pleine, qui déborde comme les fontaines en attendant qu’on y puise, et c’était une limpidité de regard qui disait la parfaite virginité des âmes.
Telle est cette méditation lyrique, la Nuit sereine, à don Oloarte : « Quand je contemple le ciel paré d’innombrables flambeaux, et que je ramène mes regards sur la terre enveloppée de la nuit et livrée au sommeil et à l’oubli, l’amour et la tristesse réveillent en mon cœur une ardente inquiétude ; des flots de larmes s’échappent de mes yeux, et je dis enfin, d’une voix brisée : « Ô divine demeure, temple de lumière et de beauté, cette âme qui naquit pour ton sublime séjour, quelle malencontre la retient dans cette prison basse et obscure ? […] « Fabius, si les pleurs n’offusquent tes regards, promène ta vue attentive sur ces longues allées détruites ; vois ces marbres et ces arcs de triomphe abattus ; vois ces statues superbes qu’a renversées Némésis, couchées dans la poussière, et les maîtres qu’elles représentent, enterrés dans un profond oubli.
Les femmes sentent qu’il y a dans leur nature quelque chose de pur et de délicat, bientôt flétri par les regards même du public : l’esprit, les talents, une âme passionnée, peuvent les faire sortir du nuage qui devrait toujours les environner ; mais sans cesse elles le regrettent comme leur véritable asile.
Le riche Voltaire se plaît à clouer nos regards sur la vue des malheurs inévitables de la pauvre nature humaine.
La qualité des matériaux lui est indifférente : il prend à La Calprenède, à Corneille, à Racine, des situations, des caractères, des sentiments ; il amalgame des lieux communs, il invente des férocités ou des héroïsmes sans exemple ; peu lui importe ; jamais il n’a jeté un regard vers la nature.
Ce qu’il y a dans tout ce bavardage de ciel bleu, d’oiseaux jaseurs, de marguerites dans les prés, de ruisseaux qui murmurent, de regards du bon Dieu, n’est vraiment pas croyable.
Elle n’a pas le regard qu’on rabat du ciel sur les choses de la vie et qui, tombant de si haut, va au fond… C’est une femme du monde, qui peint une société dont les surfaces l’attirent, bien plus qu’un romancier moraliste qui prend les passions et les jauge partout où elles sont… Mais, si elle n’est pas, si elle ne peut pas être le moraliste à la façon des grands romanciers qui savent l’ordre le cœur humain pour tirer la morale du sang, des larmes et de la fange qu’ils en font sortir, elle est toujours et partout la plume pure que j’ai dit qu’elle était.
Joseph de Maistre et Burke ont eu cette fortune et ce privilège d’arrêter sous le regard de la postérité cette chose fugace, la brochure politique.
Je n’ai point à le suivre dans ses corollaires, dont j’aime la hardiesse, d’ailleurs, car il y va jusqu’à soutenir que même la géométrie fournit des symboles à l’architecture, et dans ses développements, éclairés d’exemples qui ajoutent le jour, bon aux regards, de l’expérience, à la clarté quelquefois dure de l’abstraction.
Je ne trouve point cela bon, parce que cette mauvaise humeur ferait grimacer le talent le plus charmant, si on l’avait, et qu’elle doit horriblement fausser le regard de l’écrivain quand il s’agit de le promener avec lucidité sur le temps présent, dont on se croit franchement victime.
Entre ces deux regards se rangèrent je ne sais combien d’éditions de Villon, plus ou moins accompagnées de vies qui n’étaient pas la sienne, ou qui, du moins, ne disaient que très peu de chose de la sienne.
C’est en regard du Pape idéal, mendiant, vagabond et besacier, qu’il convenait de montrer les Papes réels… Quand cette histoire de M. de L’Épinois parut, il y a quelques années, peu de critiques s’en occupèrent, et peut-être parce qu’elle répondait trop bien aux malheureuses idées contemporaines !
il nous en a assez coûté pour découronner cette Aimée au teint de topaze du poétique bandeau que l’imagination roule autour de sa tête avec les plis du cachemire… Les choses pittoresques et aimées du regard, les choses lointaines et naturelles ont tant de force et de prestige !
C’est si haut, que c’est impossible, et l’on se rassied dans la vie commode, en jetant à l’idéal intangible le regard le plus tranquillement résigné… à la perte de cet idéal.
Et l’inquiétude qu’il éprouve n’est pas seulement pour ses propres raisonnements ou pour la destinée d’un livre qui peut paraître la plus mauvaise des plaisanteries à ceux qui prennent les choses par le côté plaisant, mais c’est une inquiétude plus haute, plus nette et plus fondée… La pudeur du philosophe qui rougit de ces vésanies d’une ignominieuse extravagance, ne l’empêche pas de jeter sur le temps où ces vésanies courent le monde et ambitionnent de le dominer le regard inquiet de l’homme pénétrant que le philosophe ne peut abuser… C’est ici le côté profond de cette Étude sur le Pessimisme au xixe siècle.
Seulement, n’y a-t-il pas, ne peut-il pas y avoir de la beauté dans l’éclat de voix, le geste et le regard d’un fou, et n’est-ce pas cette beauté-là, qu’on trouve en ces pages, écrites contre Dieu par un homme qui ne peut se débarrasser de l’enveloppante idée de Dieu qui l’enveloppe par-dessus toutes ses tortures physiques et morales, par cet athée à l’enfer qui croit à l’enfer, par ce damné d’avant la mort, qui, dans les courts moments de sa vie, a mangé en herbe l’affreux blé de sa damnation éternelle ?
Publié au moment où la terre d’or découverte par Cook attire les regards et les convoitises de la vieille Europe, dont elle est peut-être la dernière rêverie, ce livre, intitulé, sans aucun éclat : Mémoires historiques sur l’Australie, et que l’abbé Falcimagne a enrichi au point de vue du renseignement et de la science purement humaine, sera pour tout le monde un de ces ouvrages qui saisissent la curiosité et qui la maîtrisent ; mais, pour nous, c’est bien davantage.
Ce n’est pas seulement Cousin tout seul, le subjugant Cousin, qui a persuadé à Gérard du Boulan que ce type d’Alceste — ce type translucide pour tout regard sain et pur — est une création compliquée, mystérieuse et difficile à pénétrer, quand on n’est pas un perçant déchiffreur d’hiéroglyphes.
Le naturalisme de cette heure, qui s’est vanté d’être le républicanisme littéraire, n’acceptera pas plus le naturel de Lamartine que son idéal, ces deux choses qui font tout son génie, et ces Mémoires inédits qu’on publie passeront sans attirer le regard et l’admiration de personne, comme il convient, du reste, à un temps grossier, sans âme et sans Dieu.
Sans le Paradis perdu, je vous le demande, que serait maintenant le secrétaire de Cromwell, le polémiste contre Saumaise, le républicain, le saint d’Israël de la République d’Angleterre, l’auteur de la Doctrine chrétienne retrouvée en 1823 et qui ne nous intéresse un peu que parce qu’elle est de l’auteur du Paradis perdu ; car que nous fait, à nous, hommes du xixe siècle, que Milton fût, aux regards de l’Église protestante, orthodoxe ou hétérodoxe, trinitaire ou unitairien ?
Mais il a certainement le sentiment très respectueux de la force et de la grandeur de l’Église, quoique son regard d’observateur ait parfois beaucoup de hardiesse.