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1359. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  premier article .  » pp. 326-341

Rappelons toutefois que si, pour certains aspects de Sophocle et d’Eschyle, nous avons été redevables au critique allemand, nous avions pris de nous-mêmes les devants pour ce qui regarde Homère : la méthode simple de le comprendre et de le traduire était déjà trouvée ; elle l’était, je le répète, par Fénelon et par M. […] Il faut aller prendre plus loin ses religions et ses alliances. […] On a beaucoup parlé d’art dans ces derniers temps, et il faut convenir, en effet, que jamais peut-être l’art n’a été mieux compris, mieux étudié dans ses variétés brillantes, dans ses branches parallèles et ses transformations successives à travers l’histoire ; et pourtant l’époque elle-même, malgré l’éclat de ses débuts, ne paraît pas destinée à prendre rang dans ces grands moments et siècles, comme on les appelle, qui comptent entre tous, qu’on vénère de loin, et qui se résument d’un nom. […] Sans doute il y a de grandes difficultés à se figurer l’œuvre d’Homère, l’Iliade pour ne prendre qu’elle, fidèlement récitée et transmise dans son ensemble durant des générations et sans le secours de l’écriture. […] Y a-t-il eu toutefois une telle époque où le génie homérique, indépendamment d’un Homère même, était dans l’air et circulait çà et là, à l’état de divine tempête, de façon que tout rhapsode pût en prendre sa part indifféremment, à peu près comme au xviiie  siècle, en poésie, il y avait du Dorat un peu partout ?

1360. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre I. Les mémoires »

Il fit en sorte de donner moins de prise aux accusations que dirigeaient les protestants contre l’« idolâtrie papiste », et en même temps prit une offensive vigoureuse pour arracher à l’hérésie le terrain déjà conquis. […] La France, où le protestantisme avait pris des forces sans parvenir à dominer, et qui déjà sentait assez son unité nationale pour ne pas y souffrir de rupture par la division religieuse, la France fut un des grands champs de bataille que l’Église et la Réforme se disputèrent. La lutte fut d’autant plus âpre, que les passions fanatiques furent aigries, enflammées, utilisées par les intérêts et les égoïsmes : la noblesse y prit l’occasion de jouer une dernière et sérieuse partie contre la royauté envahissante, et, sous les noms de protestants ou de catholiques, abrita des rancunes et des ambitions féodales. […] Les siècles précédents n’avaient guère eu que des chroniques : mais quand l’individu se prit lui-même pour objet et fin de son activité, quand il poursuivit au-delà de la durée de son être terrestre l’immortalité de la gloire, on conçoit aisément quels stimulants, dans une race sociable et causeuse, excitèrent les hommes à écrire leurs mémoires. […] Mais pour le reste il s’est peint au naturel : noir, sec, vif, sobre, brave, cela va sans dire, mais d’une ardeur réglée par la finesse et la prudence, connaissant à fond le soldat, et sachant le prendre, très appliqué à son métier, très au courant de toutes les questions techniques, très attentif aux progrès de l’armement, un peu « Gascon » et vantard, frondeur et souple, honnête en somme autant que la guerre d’alors le permettait, dur par nécessité, homme de consigne et de discipline, dont le service du roi fut l’unique loi.

1361. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

En effet, à ne le prendre que dans cette carrière déjà si pleine qu’il a fournie durant treize années au sein de la Chambre des pairs, je vois en lui un orateur des plus distingués, l’avocat ou plutôt le champion, le chevalier intrépide et brillant d’une cause ; mais tous ses développements d’alors roulent sur deux ou trois idées absolues, opiniâtres, presque fixes : il défend la Pologne, il attaque l’Université, il revendique une liberté illimitée pour l’enseignement ecclésiastique, pour les ordres religieux ; il a deux ou trois grands thèmes, ou plutôt un seul, la liberté absolue. […] M. de Montalembert, depuis le 24 février, semble l’avoir compris, et c’est avec bonheur qu’on l’a entendu, dans ses discours sur la liberté d’enseignement, des 18 et 20 septembre 1848, consentir à prendre la religion chrétienne indépendamment du degré de foi individuelle, la considérer plus généralement au point de vue social, au point de vue politique, et accepter pour coopérateurs tous ceux qui, à l’exemple de Montesquieu, l’envisagent au même titre. Ce fut dans la session de 1844, et à l’occasion surtout de la loi sur l’instruction secondaire, que l’orateur prit, à la Chambre des pairs, la position élevée qu’il a gardée depuis, et qu’il se posa décidément comme le chef du parti catholique, le défenseur et un peu le conducteur du clergé et de l’épiscopat français tout entier. […] Le passage du discours où le sacerdoce de la magistrature est pris et interprété au pied de la lettre, et où l’orateur le rapproche, socialement parlant, du sacerdoce du prêtre ; ce double temple qu’il importe de maintenir debout ; ce torrent des révolutions qui doit, en roulant, trouver au moins deux rives inébranlables, et se contenir entre le temple de la loi et le temple de Dieu, tout cela est à la fois de la haute éloquence et de l’éternelle politique. […] Le passage sur l’Église d’autant plus forte qu’elle est faible, et qui apparaît revêtue de l’inviolabilité d’une femme et d’une mère ; ce pathétique mouvement, même pour ceux qui, à distance, ne prendraient ces choses qu’au point de vue du beau, devra rester comme une des plus heureuses inspirations de l’éloquence.

1362. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces diverses — Préface du « Rhin » (1842) »

Études fort mêlées, c’est le mot exact ; mais il ne l’emploie pas ici pour qu’on le prenne en mauvaise part. […] Des esprits, excellents et nobles d’ailleurs, l’ont controversée en France assez vivement à cette époque, et ont pris tout d’abord, comme il arrive presque toujours, deux partis opposés, deux partis extrêmes. […] Diminuer la confiance à l’heure même où on la réclame plus que jamais ; faire douter de soi, surtout quand il faudrait y faire croire ; ne pas rallier toute la foi de son auditoire quand on prend la parole pour ce qu’on s’imagine être un devoir, c’était manquer le but. […] Ces précautions, qui assurent au voyageur le bénéfice de l’ombre, l’auteur les a prises durant son excursion aux bords du Rhin, bien qu’elles fussent à coup sûr surabondantes pour lui et qu’il lui parût presque ridicule de les prendre.

1363. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre V. Les âmes »

comment s’y prennent-elles ? […] Par moments on imagine surprendre le phénomène de la transmission de l’idée, et il semble qu’on voit distinctement une main prendre le flambeau à celui qui s’en va pour le donner à celui qui arrive. 1642, par exemple, est une année étrange. […] Vous vous prenez la tête dans les mains, vous tâchez de voir et de savoir. […] S’il va sur cette cime, il est pris. […] Il faut en prendre son parti.

1364. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre cinquième. La Bible et Homère. — Chapitre IV. Suite du parallèle de la Bible et d’Homère. — Exemples. »

Nous prendrons l’ordre inverse de nos premières bases ; c’est-à-dire, que nous commencerons par les lieux d’oraison dont on peut citer des traits courts et détachés (tels que le sublime et les comparaisons), pour finir par la simplicité et l’antiquité des mœurs. […] Ces cailloux, qui prennent la parole, offrent de plus une sorte de personnification presque inconnue au poète de l’Ionie113. […] « Isaac fit entrer Rébecca dans la tente de Sara, sa mère, et il la prit pour épouse ; et il eut tant de joie en elle, que la douleur qu’il avait ressentie de la mort de sa mère fut tempérée121. » Nous terminerons ce parallèle et notre poétique chrétienne par un essai qui fera comprendre dans un instant la différence qui existe entre le style de la Bible et celui d’Homère ; nous prendrons un morceau de la première pour la peindre des couleurs du second. […]  » Il sera aisé maintenant de prendre un passage d’Homère, d’en effacer les couleurs, et de n’en laisser que le fond à la manière de la Bible.

1365. (1864) De la critique littéraire pp. 1-13

Le mal vient de ce qu’on prend une saison pour une autre. […] Un écolier qui se promène à travers un poème prend tous les vers luisants pour des escarboucles, et les Chinois qui se piquent d’avoir le goût bon, font des magots bien singuliers. […] Je ne m’en prends pas de cette décadence à la critique seule ; mais elle l’eût prévenue si elle avait eu la puissance qu’on lui prête. […] Homère viendra à l’école de Longin ; il écoutera de son mieux, prendra des notes, et fera son devoir en conscience. […] Les uns et les autres ne prennent d’abord la critique que comme un pis-aller et se promettent bien de lui manquer de parole à la première occasion ; mais ici commence l’enchantement.

1366. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. de Lacretelle » pp. 341-357

On prend aux cheveux l’occasion. […] Elle ne prend pas tout, pour offrir tout à la gloire. Elle prend la poésie — exclusivement la poésie — et « c’est assez !  […] Mais l’admiration qui l’a sténographié était humble… L’auteur du Lamartine et ses amis a la coquetterie heureuse de se faire voir, dans son livre, à côté de Lamartine, Il prend de cette lumière, il grippe de ce soleil… et Boswell, lui, s’efface, non pas devant Johnson, mais derrière ! […] et ne prit jamais la mesure du grand Balzac, qui passa devant lui éclairé à mi-corps de cette lumière dont il resplendit, à présent, tout entier !

1367. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « IX. L’abbé Mitraud »

… Tous ces haïsseurs de la vieille Église romaine se sont pris de je ne sais quel goût, — ou plutôt d’un goût que je m’explique très bien, — pour un livre qui a la prétention d’être un livre de science sociale en restant du christianisme. […] Mais quant à des livres, ils en font trop pour que le Prends et lis du figuier d’Augustin se renouvelle. […] Il aura mal aux nerfs d’une lecture qui le mène et le courbature pendant quatre cent cinquante pages pour ne lui apprendre que ce qu’il sait et pour le laisser où elle l’a pris. […] En effet, si, philosophiquement, le fond des choses manque au livre des Sociétés humaines, si la théorie n’y bâtit même pas la première arche du pont sur lequel elle doit passer, il y a néanmoins, dans cette œuvre d’expectative, des opinions qui font prendre patience aux plus pressés et qui préviennent sur ce qui doit suivre. […] Enfin, comme tous les utopistes de ce temps et de tous les temps, qui ont renversé le grand aperçu chrétien, M. l’abbé Mitraud semble prendre la société pour un état définitif, au lieu de la concevoir comme un état de passage, et alors la question devient pour lui ce qu’elle fut, par exemple, pour Fourier, Saint-Simon et tant d’autres réformateurs, c’est-à-dire — qu’elle consiste à trouver des institutions qui établissent le ciel sur la terre, — ce qu’on cherchera probablement longtemps encore, — au lieu de faire monter la terre dans le ciel, comme la Religion nous l’enseigne, et, dans son affranchissement des âmes, sait l’exécuter tous les jours !

1368. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Théodore de Banville »

Mais l’Hérodiade moderne, plus stupide et plus sordide que la courtisane de Judée, n’a pas pris plus garde à la tête qu’on lui servait qu’au travail merveilleux du plat sur lequel elle était servie. […] Venu tard dans le mouvement qu’il suit et qui va s’arrêter, on peut prendre Banville pour le dernier des romantiques contemporains. […] Les influences de la peinture et de la statuaire, qu’une poésie sans idées prend pour une fontaine de Jouvence et dans lesquelles elle se plonge jusqu’à s’y noyer, la rage du flamboiement, de l’efflorescence, de l’arabesque et même du funambulesque, n’y font rien : le poète des Stalactites et des Cariatides — il faut bien le dire ! […] Privés de renseignements et d’objets de comparaison,  les critiques futurs prendraient pour de l’invention ce qui n’est qu’imitation et souvenir. […] Nous indiquerons le grand morceau : Le triomphe de Bacchus à son retour des Indes, pris, sauf erreur, au vieux Baïf : Le chant de l’Orgie avec des cris au loin proclame Le beau Lyœus, le Dieu paré comme une femme, Qui, le thyrse en main, passe rêveur et triomphant, A demi couché sur le dos nu d’un éléphant, etc., etc, et, avec plus d’éloges encore, la pièce appelée Désespérance, où l’assonance la plus inattendue a presque sur l’esprit puissance de pensée, et dissout les nerfs dans la plus noble des mélancolies : Tombez dans mon cœur, souvenirs confus, Du haut des branches touffues !

1369. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Gustave Flaubert » pp. 61-75

Flaubert n’est pas un roman comme Caleb William, Robinson Crusoé et Arthur Gordon Pym, où la force exaspérée des passions les plus viriles est en cause et aux prises avec la fatalité des événements ou de la nature. […] L’intérêt qu’on prend à sa lecture est l’intérêt d’une curiosité poignante et bientôt satisfaite ; mais le charme qui fait revenir au souvenir du livre par la rêverie, le charme qui est le propre de l’art, même dans ses compositions les plus terribles, l’homme de talent qui a écrit Madame Bovary n’en a point la sorcellerie suprême. […] (cela fait trembler) la moyenne des femmes dans les sociétés sans croyances, cette espèce d’être faible sans grandes passions, sans l’étoffe des grandes vertus ou des grands vices, inclinant de hasard au bien comme au mal, selon la circonstance, et qui, positives et chimériques tout, à la fois, se perdent par la lecture des livres qu’elles lisent, par les influences et les suggestions du milieu intellectuel qu’elles se sont créé, et qui leur fait prendre en horreur l’autre milieu dans lequel elles sont obligées de vivre. […] Elle décide Bovary, le consentement perpétuel, à l’envoyer à Rouen toutes les semaines prendre des leçons de musique, et ces leçons ne sont qu’un prétexte pour vivre secrètement avec Léon. […] Elle emprunte, en effet, elle dépense, elle prend à usure, elle abuse de la procuration que la confiance de Bovary a mise entre ses mains, et lorsque tout est mangé, dévoré, englouti, qu’il n’y a plus de ressources, que les meubles de l’officier de santé sont saisis, elle se glisse furtivement chez le pharmacien, y avale de l’arsenic à poignées et meurt ; heureusement, faut-il dire, car si elle ne s’empoisonnait pas ce jour-là, un autre jour elle aurait peut-être empoisonné son mari, comme madame Lafarge.

1370. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Cette moralité qui vient tard et seulement pour la forme, ne fait illusion à personne ; le public n’y donne jamais, et ce serait de la part des auteurs attribuer par trop de simplicité aux juges d’un concours que de les croire capables de se prendre à cette morale du lendemain. […] Celle-ci sans doute se flatte de corriger en riant les mœurs, et pour cela elle ne craint jamais d’étaler les ridicules ; elle se prend même quelquefois aux vices, et elle les produit vivement au grand jour pour leur faire honte. […] Ces considérations, qui résument d’une manière générale quelques-unes des observations particulières faites au sein de la Commission, ne paraîtront point déplacées ici : elles pourront servir à éclairer la route de l’avenir ; elles prouveront du moins que la Commission n’a point pris le change et n’a fait cette année que s’affermir de plus en plus dans le sens et l’esprit de l’institution qu’elle était appelée à servir et à interpréter. […] À prendre la définition dans son sens principal, l’effet du drame y répond.

1371. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES » pp. 456-468

L’époque devient grossière, elle n’estime que le gros qu’elle prend pour le grand ; elle se prend à l’étiquette, à la montre, à ce qui peut faire du bruit ou être utile positivement : l’esprit littéraire véritable est tout le contraire de cela. […] Le principal défaut des artistes d’aujourd’hui, peintres ou poëtes, c’est de prendre l’intention pour le fait, de croire qu’il leur suffit d’avoir pensé une belle chose pour que cette chose paraisse belle ; au lieu de se donner la peine de réaliser l’idéal de leur conception, ils nous en jettent le fantôme. […] Je la regarde, je ne fais guère que la regarder, mais j’y prends plaisir, je l’avoue ; j’aime à la voir près de moi, à la promener un jour de soleil, et en la voyant là riante, qu’est-ce autre chose ?

1372. (1874) Premiers lundis. Tome I « Diderot : Mémoires, correspondance et ouvrages inédits — I »

Il n’en fut pas ainsi de Diderot, qui, n’ayant pas cette tournure d’esprit critique, et ne pouvant prendre sur lui de s’isoler comme Buffon et Rousseau, demeura presque toute sa vie dais une position fausse, dans une distraction permanente, et dispersa ses immenses facultés sous toutes les formes et par tous les pores. […] La vie, le sentiment de la réalité, y respirent ; de frais paysages, l’intelligence poétique symbolique de la nature, une conversation animée et sur tous les tons, l’existence sociale du xviiie  siècle dans toute sa délicatesse et sa liberté, des figures déjà connues et d’autres qui le sont du moment qu’il les peint, d’Holbach et le père Hoop, Grimm et Leroy, Galiani le cynique ; puis ces femmes qui entendent le mot pour rire et qui toutefois savent aimer plus et mieux qu’on ne prétend ; la tendre et voluptueuse madame d’Épinay, la poitrine à demi nue, des boucles éparses sur la gorge et sur ses épaules, les autres retenues avec un cordon bleu qui lui serre le front, la bouche entr’ouverte aux paroles de Grimm, et les yeux chargés de langueurs ; madame d’Houdetot, si charmante après boire, et qui s’enivrait si spirituellement à table avec le vin blanc que buvait son voisin ; madame d’Aine, gaie, grasse et rieuse, toujours aux prises avec le père Hoop, et madame d’Holbach, si fine et si belle, au teint vermeil, coiffée en cheveux, avec une espèce d’habit de marmotte, d’un taffetas rouge couvert partout d’une gaze à travers la blancheur de laquelle on voyait percer çà et là la couleur de rose ; et au milieu de tout ce monde une causerie si mélangée, parfois frivole, souvent souillée d’agréables ordures, et tout d’un coup redevenant si sublime ; des entretiens d’art, de poésie, de philosophie et d’amour ; la grandeur et la vanité de la gloire, le cœur humain et ses abîmes, les nations diverses et leurs mœurs, la nature et ce que peut être Dieu, l’espace et le temps, la mort et la vie ; puis, plus au fond encore et plus avant dans l’âme de notre philosophe, l’amitié de Grimm et l’amour de Sophie ; cet amour chez Diderot, aussi vrai, aussi pur, aussi idéal par moments que l’amour dans le sens éthéré de Dante, de Pétrarque ou de notre Lamartine ; cet amour dominant et effaçant tout le reste, se complaisant en lui-même et en ses fraîches images ; laissant là plus d’une fois la philosophie, les salons et tous ces raffinements de la pensée et du bien-être, pour des souvenirs bourgeois de la maison paternelle, de la famille, du coin du feu de province ou du toit champêtre d’un bon curé, à peu près comme fera plus tard Werther amoureux de Charlotte : voilà, et avec mille autres accidents encore, ce qu’on rencontre à chaque ligne dans ces lettres délicieuses, véritable trésor retrouvé ; voilà ce qui émeut, pénètre et attendrit ; ce qui nous initie à l’intérieur le plus secret de Diderot, et nous le fait comprendre, aimer, à la façon qu’il aurait voulu, comme s’il était vivant, comme si nous l’avions pratiqué. […] Et pour ne prendre ici que l’amour, quel homme l’a senti et ne sera touché jusqu’aux larmes des pensées suivantes, que nous détachons presque au hasard ? […] mon amie, ne faisons point de mal ; aimons-nous pour nous rendre meilleurs ; soyons-nous, comme nous l’avons toujours été, censeurs fidèles l’un à l’autre. » « Je disais autrefois à une femme que j’aimais et en qui je découvrais des défauts (madame de Puisieux) : Madame, prenez-y garde ; vous vous défigurez dans mon cœur : il y a là une image à laquelle vous ne ressemblez plus. » Dans une lettre, Diderot raconte comment il est tout occupé de la philosophie des Arabes, des Sarrasins et des Étrusques ; puis il s’écrie avec un élan de tendresse incomparable : « J’ai vu toute la sagesse des nations, et j’ai pensé qu’elle ne valait pas la douce folie que m’inspire mon amie, j’ai entendu leurs discours sublimes, et j’ai pensé qu’une parole de la bouche de mon amie porterait dans mon âme une émotion qu’ils ne me donneraient pas.

1373. (1874) Premiers lundis. Tome II « Henri Heine. De la France. »

Sous la Restauration, on lui en aurait voulu de venir se montrer et nous dire ses railleries sur les dieux que de loin nous vénérions : il eût été un vrai trouble-fête ; on l’eût tancé, on l’eût fait taire, on l’eût appelé voltairien, on l’eût proclamé mesquin et arriéré : bien lui a pris de venir un peu plus tard. […] Mais, dans l’ordre de l’esprit, chacun en France est chez soi ; des choses et des oracles d’en deçà et d’au-delà du Rhin, on peut parler haut, à son aise ; qu’on parle bien, avec verve et mordant, avec vivacité toujours, avec équité s’il se peut, on est écouté ; sans être cru sur parole, on est pris en considération. […] Heine, dans sa fertile et magique exubérance, a des allures bien moins françaises ; sa pensée, au lieu de traverser un peu vite, en s’en colorant, les jets irrésistibles qui naissent à chaque pas, se laisse prendre à cette efflorescence, et s’égare comme à plaisir, et monte dans l’air sur chaque fusée ; elle a peine ensuite à reprendre le fil du chemin, ou du moins on a peine à le reprendre avec elle. […] Quand il parle des hommes surtout, on reconnaît le poète, soit que sa fantaisie, enthousiaste au fond et capable d’ébranlement, le fascine, et qu’il les peigne grandioses ; soit que sa malice satirique les prenne sur le fait et nous offre leur masque en grotesques silhouettes.

1374. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre IV. La comédie »

Ce serait une lourde sottise de prendre trop au sérieux cette fantaisie fertile en inventions cocasses, ces cascades de situations folles qui tombent si aisément des données initiales d’un sujet. Mais si Labiche a pris la place qu’il tient au-dessus de tous ses rivaux, dont quelques-uns ne lui cèdent pas en gaieté, il la doit au grain de bon sens qui presque toujours relève ses drôleries. […] Poirier (1854), qui met aux prises deux types si vrais de bourgeois enrichi et de noble ruiné ; dans les Lionnes pauvres (1858), où l’honnête Pommeau et sa femme forment un couple digne de Balzac, et nous offrent le tableau des ravages que l’universel appétit de richesse et de luxe peut faire dans un modeste ménage ; dans Maître Guérin (1864), enfin, qui, malgré son sublime colonel, est peut-être l’œuvre la plus forte de l’auteur par le dessin des caractères : ce faux bonhomme de notaire, qui tourne la loi et qui cite Horace, gourmand et polisson après les affaires faites, cette excellente Mme Guérin, vulgaire, effacée, humble, finissant par juger le mari devant qui elle s’est courbée pendant quarante ans, cet inventeur à demi fou et férocement égoïste, qui sacrifie sa fille à sa chimère, ces trois figures sont posées avec une étonnante sûreté ; Guérin surtout est peut-être le caractère le plus original, le plus creusé que la comédie française nous ait présenté depuis Molière : Turcaret même est dépassé. […] Et je n’en veux pour preuve que le jugement porté par l’auteur sur les actes de ses personnages : il s’en faut que nous en estimions comme lui la valeur morale ; l’écart est précisément d’autant plus grand que nous les prenons davantage comme individus réels, astreints aux infirmités, aux incertitudes, aux délicatesses des réelles consciences.

1375. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VI. Le charmeur Anatole France » pp. 60-71

Il semble qu’en son style les mots du Petit Larousse prennent une valeur pantominale d’évocation. […] Prenez-y garde encore : mourir, c’est accomplir un acte d’une portée incalculable. » Ne calculons pas, vivons pour le mieux, au petit bonheur de la fatalité, disait Laforgue. […] Le vrai roman de la jalousie serait : un amant vierge, une maîtresse vierge, ils se prennent, et la jalousie commence avec l’amour, parce que l’amour se voudrait un, et qu’ils sont deux, et que le spasme même divise, est jouissance, est égoïsme, parce que l’amant de la maîtresse la plus prise peut toujours serrer dans ses mains le front de son amie et dire comme un personnage de Shakespeare : « Que se passe-t-il dans cette petite tête ?  […] Ce sont des amants sains, et ils se prennent copieusement.

1376. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Conclusions » pp. 169-178

N’empêche que le gros du public en demeura impressionné et que nombre de lecteurs qui commençaient à se résigner à leur formule, en prirent prétexte pour s’en écarter définitivement. […] Elle entend prendre ses vacances. […] Ennemi de l’étiquette, on le voyait prendre la tête des cortèges en jaquette et en chapeau melon, ce qui clouait de stupeur indignée son prédécesseur M.  […] Lépine avait aussi, quand il voulait, le sourire, mais il lui arrivait trop souvent de prendre une grosse voix d’ogre et sa barbiche impériale, dans le feu des manifestations, était susceptible d’évoquer aux Parisiens de fâcheux souvenirs.

1377. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Corneille, et le cardinal de Richelieu. » pp. 237-252

Il y répondit à la fin, mais très-succinctement & de ce ton de maître que sa grande réputation l’autorisoit à prendre. […] Il prit le meilleur parti, celui de se taire & de leur laisser un champ libre. […] Et d’où vient en effet cet intérêt si vif & si tendre qu’on prend à Zaïre ? […] Racine prit alors la parole, & dit qu’il avoit vu, la veille, un spectacle touchant chez Corneille, qu’il avoit trouvé mourant & n’ayant pas de bouillon.

1378. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Madame Therbouche » pp. 250-254

Elle a pris des notions justes de la pudeur, elle s’est placée intrépidement devant le modèle nu ; elle n’a pas cru que le vice eût le privilège exclusif de déshabiller un homme. […] Ce n’est pas le talent qui lui a manqué, pour faire la sensation la plus forte dans ce pays-ci, elle en avait de reste, c’est la jeunesse, c’est la beauté, c’est la modestie, c’est la coquetterie ; il fallait s’extasier sur le mérite de nos grands artistes, prendre de leurs leçons, avoir des tétons et des fesses, et les leur abandonner. […] Il n’y a point de milieu, quand on s’en tient à la nature telle qu’elle se présente, qu’on la prend avec ses beautés et ses défauts, et qu’on dédaigne les règles de convention pour s’assujettir à un système où, sous peine d’être ridicule et choquant, il faut que la nécessité des difformités se fasse sentir ; on est pauvre, mesquin, plat, ou l’on est sublime, et Madame Therbouche n’est pas sublime. […] Je pris la liberté de lui dire que ce satyre était un satyre ordinaire, et non un Jupiter satyre, et qu’il me fallait paillard et sacré.

1379. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 5, explication de plusieurs endroits du sixiéme chapitre de la poëtique d’Aristote. Du chant des vers latins ou du carmen » pp. 84-102

Nous avons même observé que c’étoit par cette raison là que Porphyre ne faisoit qu’un art de la composition des vers et de la composition de la melodie, lequel il appelloit l’art poëtique pris dans toute son étenduë, parce qu’il avoit eu égard à l’usage des grecs, au lieu qu’Aristides Quintilianus qui avoit eu égard à l’usage des romains comptoit dans son énumeration des arts musicaux, l’art de composer les vers et l’art de composer la melodie pour deux arts distincts. […] En second lieu, continuë Aristote, comme les acteurs du choeur ne prennent point aux évenemens de la piece le même interêt qu’y prennent les principaux personnages, il s’ensuit que le chant du choeur doit être moins animé et plus melodieux que celui des acteurs principaux. […] Ainsi avant que d’appuïer mon sentiment par de nouvelles preuves tirées de la maniere dont la déclamation composée s’executoit sur le théatre des anciens, je crois qu’il est à propos de faire voir que le mot de chant signifioit en grec comme en latin, non seulement le chant musical, mais aussi toute sorte de déclamation, même la simple recitation ; et que par conséquent on ne doit pas inferer de ce qu’il est dit dans les anciens auteurs, que les acteurs chantoient ; que ces acteurs chantassent, à prendre le mot de chanter dans la signification que nous lui donnons communement.

1380. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

Qu’on prenne les journaux et les livres, — et les livres, au train dont nous allons, ne seront bientôt plus que des journaux accumulés, si de fortes œuvres de méditation et d’haleine ne viennent pas les arracher à la juste indifférence qu’ils inspirent, — qu’on prenne les journaux et les livres et qu’on cherche dans les uns et dans les autres cette critique nécessaire à la vie des littératures, et l’on verra si la notion même n’en périclite pas ! […] La littérature d’une nation renferme toutes ses idées religieuses et politiques, quoiqu’elle ne prenne pas de brevet pour les exposer. […] Nous n’avons pas assez servi, puisque nous naissons, pour mériter des armoiries ; mais, si notre critique se choisissait un symbole, elle prendrait la balance, le glaive et la croix.

1381. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

On les prendrait pour des camées colossaux, incrustés dans quelque plafond capitolin. […] Il nous semblait, par ce que nous connaissions de sa plume, destiné à mieux qu’à faire de la philanthropie moderne, dût-elle prendre dans ses écrits le nom modeste de charité. […] Prenez l’histoire de l’esprit humain ! […] Le démon des folies allemandes ne le tente pas ; il accepte en fait la lettre des prophéties et prend sous cette dictée les événements qui se sont produits, depuis la venue de Jésus-Christ jusqu’à la chute de Jérusalem et la dispersion des Juifs par toute la terre.

1382. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « M. Louis Nicolardot » pp. 217-228

L’histoire prit ces notes, bonnes à mettre non pas au cabinet, mais dans son cabinet, à elle. Or, voici d’autres notes bonnes à prendre aussi pour elle. […] le compte des médecines qu’on a prises vérifié par un Purgon de cour ou un monsieur Fleurant, respectueux sujet en toutes ses parties, — mais c’est le journal de toute la vie, heure par heure, écrit non de la main d’un tiers, mais de la main même du Roi, — du Roi qui n’a pas passé un seul jour de son règne sans noter pieusement (pieusement envers lui-même) tout ce qu’il a fait dans la journée, et qui, mettant à le noter une exactitude qu’aucune circonstance, aucun événement n’a pu ni interrompre ni troubler, s’est peint, sans le savoir, avec une naïveté et une transparence qui envoient promener du coup tous les Tacites de la terre et se passent très bien de leurs profondeurs ! […] À partir de ce Journal, les idées courantes sur Louis XVI seront prises au collet, mais par lui, et ne devront plus courir… Il s’arrêtera lui-même, comme Harpagon.

1383. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Deltuf » pp. 203-214

Que si, au contraire, ce titre d’Aventures parisiennes donné à un livre d’observation d’intérieur, de coin du feu, de sentiment raffiné, est une ironie détournée contre cette société devenue si uniformément plate à force de civilisation, et dans laquelle chacun de nous n’a plus d’autres aventures à courir que dans les deux pouces cachés de son propre cœur, elle est vraiment trop détournée, cette ironie ; c’est là une intention qui ne sera pas aperçue, et l’auteur aura manqué son trait, comme le joueur au billard manque la bille pour avoir voulu la prendre trop fin. […] nous savions bien que l’esprit guérit tout, que c’est le dictame qu’il faut s’appliquer sur le cœur lorsque ce malheureux blessé saigne ; nous savions bien que l’esprit prend son parti de tout, mais l’avoir prouvé une fois de plus avec cette grâce, avoir fait tenir tant de sanglot étouffé dans tant de sourire, avoir fait si divinement trembler la voix en disant des choses si légères, voilà le mérite et l’originalité de M.  […] Deltuf ne l’empâte pas, cette faculté, dans les grandes prétentions de notre époque, car ce qu’il laisserait là et prendrait pour elle, à coup sûr, ne la vaudrait pas. […] Deltuf, le pathétique et le comique se combattent, mais il reste toujours la vieille fille idéale à nous donner, l’être fier et pur qui n’a pas trouvé un cœur digne d’elle et qui a accepté la tristesse du célibat sans en prendre les ridicules.

1384. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Mais comme la noblesse était devenue un don de la fortune, du milieu des nobles même s’éleva l’ordre des pères qui par leur âge étaient les plus dignes de gouverner ; et entre les pères eux-mêmes, les plus courageux, les plus robustes furent pris pour rois, afin de conduire les autres, et d’assurer leur résistance contre leurs clients mutinés119. […] Mais si les peuples restent longtemps livrés à l’anarchie, s’ils ne s’accordent pas à prendre un des leurs pour monarque, s’ils ne sont point conquis par une nation meilleure qui les sauve en les soumettant ; alors au dernier des maux, la Providence applique un remède extrême. […] Les pères de famille veulent abuser du pouvoir paternel qu’ils ont étendu sur les clients, et la cité prend naissance. […] Le peuple pris en général veut la justice.

1385. (1874) Premiers lundis. Tome II « Li Romans de Berte aus Grans piés »

Mais à prendre les choses par un côté plus exclusivement français et gaulois, plus littéraire, en abordant nos vieux romans suivant l’aspect plus familier à nos érudits, en venant modestement à la suite de Lamonnoye, de Bouhier, de Sainte-Palaye, des savants auteurs de l’Histoire littéraire, sans arriver de l’Allemagne ni s’être nourri des Æebelungen ou des Eddas, mais s’adressant tout simplement à M. de Monmerqué, il y a lieu, sous le rapport du goût et d’une critique soigneuse et délicate, de faire des travaux précieux sur les vieux monuments de notre langue. […] Aliste, qui a un poignard tout prêt, le tire aussitôt, s’en pique légèrement à la cuisse, le passe aux mains de Berte, qui le prend sans savoir pourquoi ; puis Aliste se met à crier, à réveiller le roi qui continuait de dormir, à montrer son sang, bien qu’il fasse nuit, et à accuser Berte, que la vieille Margiste vient saisir aussitôt comme sa fille, et la disant folle, sujette à ces frénésies. […] Ce sont des voleurs qui surviennent ; l’un la veut prendre pour femme, l’autre la lui dispute : Berte s’échappe encore.

1386. (1913) Essai sur la littérature merveilleuse des noirs ; suivi de Contes indigènes de l’Ouest-Africain français « Contes — IV. Les ailes dérobées »

Sakaye suivit, sans mot dire, le yébem qui avait pris le chemin de la montagne indiquée. […] Je ne sais comment m’y prendre ! […] Puis, au bout de quelques jours, il la prit pour femme.

1387. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre ix »

Ceux qu’il réveille, sur qui même il marche, s’impatientent. « Allons, les gars, c’est pour la messe de minuit. » La bonne humeur prend le dessus. […] La confession des péchés, les passages bibliques, prennent un relief particulier. […] Qu’importe où nos camarades prennent leur force dont bénéficie la maison commune ?‌

1388. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — III »

A une époque où les renommées littéraires se font et s’entretiennent par d’habiles réclames, où nous voyons avec tristesse des hommes que leur talent seul suffirait à rendre glorieux, pris de la rage de s’exhiber en public, eux, leur famille et leurs animaux domestiques, — c’était un spectacle salutaire que celui de ce philosophe sans cesse occupé à dérober aux regards des marchands de publicité sa vie de labeur et d’étude. »‌ Voilà qui est parfaitement dit ; je me hâte d’y souscrire, pour reprendre bien vite le droit de présenter quelques objections.‌ […] Renan, qui avait, sauf les nuances, une même qualité de noblesse intellectuelle, prit dans toutes ces questions de publicité une attitude absolument opposée à celle de M.  […] Zola, qui est la providence des débutants de l’information), il y a quelque rudesse à se fermer absolument aux jeunes gens qui veulent travailler dans ce très dur métier du journalisme et qui souvent seront tirés d’un grave embarras par quelques mots, quelques notes qu’on leur laissera prendre.‌

1389. (1929) La société des grands esprits

La théorie des Idées, à la bien prendre, n’est pas autre chose. […] Mais c’est en 1891 que furent prises les mesures décisives. […] Il n’est pas facile de prendre Voltaire en défaut. […] Quant à son prétendu égoïsme, où le prend-on ? […] Il le prenait dans un sens beaucoup trop étroit.

1390. (1914) L’évolution des genres dans l’histoire de la littérature. Leçons professées à l’École normale supérieure

2° Nous prendrons en même temps des leçons de méthode ; car, la critique est-elle une science ? le problème est litigieux ; et, pour ma part, je ne crois pas qu’elle en puisse prendre le nom, ni même, pour des raisons que je vous dirai, qu’elle ait aucun avantage à le prendre. […] Comment dédaignerait-on le pouvoir des mots ou des sons dans un art qui nous prend d’abord par l’oreille ? […] Il daube sur les uns, il daube sur les autres ; il s’en prend à Chapelain d’abord, et aux pédants en sa personne ; il s’en prend aux « grotesques » ; il s’en prend à Quinault, avec une liberté qui va jusqu’à, son maître Corneille. […] Je prends un autre exemple de cette spécialité unique du talent.

1391. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Les prenez-vous ? […] Leurs phrases, encore compassées sous Balzac, se dégagent, s’allégent, s’élancent, courent, et sous Voltaire ont pris des ailes. […] À la cour de Louis XIV, on l’eût pris pour un échappé de séminaire ; Voltaire l’appellerait curé de village. […] Qu’y a-t-il à prendre ou à garder dans tout cet arsenal ? […] Prenez les plus célèbres.

1392. (1900) La culture des idées

La conscience est sans doute, si on prend le mot dans son sens précis et absolu, l’apanage du petit nombre. […] Avaient-ils pris pour les chrétiens un sens nouveau ? […] Jean-Baptiste, mort aussi pour son maître, a pris la place du favori de l’empereur. […] Prenez donc un de ces vieillards roulés dans la poussière et dans les crachats, et protégez-le hardiment. […] Alors le pêle-mêle des langues prendra fin : une seule suffira.

1393. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre V. Swift. » pp. 2-82

madame, je suppose que vous me prenez pour un de vos curés de carrefour. […] Les prédictions de son Bickerstaff seront prises à la lettre par l’inquisition de Portugal. […] Vous respecterez les choses respectées, si vous n’en regardez que la surface, si vous les prenez telles qu’elles se donnent, si vous vous laissez duper par la belle apparence qu’elles ne manquent jamais de revêtir. […] Vous serez attendri par les grands mots qu’ils répètent d’un ton sublime, et vous n’apercevrez jamais dans leur poche le manuel héréditaire où ils les ont pris. […] Son art consiste à prendre une supposition absurde et à déduire sérieusement les effets qu’elle amène.

1394. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Le mot symbolisme avait pris dès lors sa carrure et son sens. […] Anatole France n’avait pas encore pris tout son développement ni toute l’ampleur de sérénité qui ont mis si haut son génie ardent et calme. […] Lemaître, n’est pas habituée aux libertés prises avec le vieil alexandrin. […] On ne peut, dans la quête du vrai, prendre à son compte le langage des héros grandiloquents. […] Mais prenons M. 

1395. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

« Je prends ici ce mot dans son acception vulgaire, et, l’appliquant seulement aux sujets les plus divers, je vais tâcher de me faire entendre. […] Thiers prend-il au sérieux un tel homme ? […] C’était, en un mot, un ambassadeur accompli, mais point un ministre dirigeant ; bien entendu qu’on ne prend ici cette expression que dans son acception la plus élevée. […] Thiers, juge léger, superficiel et injuste cette fois, prend ici au mot les boutades de son héros contre M.  […] « Quelques jours après, la proposition ayant pris un autre caractère, le parlement vota, à l’unanimité, 50 000 livres sterling (1 250 000 fr.)

1396. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIIe entretien. Balzac et ses œuvres (3e partie) » pp. 433-527

Là, durant les jours caniculaires, les convives assez riches pour se permettre de prendre du café, viennent le savourer par une chaleur capable de faire éclore des œufs. […] je pourrai prendre dans cette écuelle mon café tous les matins durant le reste de mes jours. […] Il m’a pris des envies de lui tordre le cou. […] Napoléon ne dînait pas deux fois, et ne pouvait pas avoir plus de maîtresses qu’en prend un étudiant en médecine quand il est interne aux Capucins. […] Prenez le premier de ces romans, Télémaque, justement haï de Louis XIV, et essayez de construire sur ce modèle une société politique qui se tienne debout !

1397. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

En littérature comme en philosophie, ni le réalisme pris seul n’est vrai, ni l’idéalisme. […] bonne terre, prends-moi, toi qui es la mère commune, l’unique source de la vie ! […] Pour rester dans la juste mesure, celui qui a réagi contre autrui devrait ensuite prendre à tâche de réagir contre soi-même. […] Et pourtant le détail a pris une importance considérable pour fart moderne. […] Pour prendre un exemple dans les œuvres mêmes de M. 

1398. (1895) Impressions de théâtre. Huitième série

Bitinna a pris pour amant un de ses esclaves. […] Prises au sérieux, ces imaginations-là ont créé l’épopée. […] … encore des boucles prises entre les battants ! […] … Si on prenait un vin chaud ? […] Qu’est-ce qui te prend ?

1399. (1896) Les époques du théâtre français (1636-1850) (2e éd.)

que l’avenir même de Rome est engagé dans les résolutions que va prendre Titus à l’égard de sa Bérénice ? […] Quel véritable intérêt puis-je prendre à la mort d’un tyran du Péloponnèse ? […] Il demanda son fils et le prit dans ses bras. […] J’essayerai, Messieurs, de vous dire comment ils s’y sont pris l’un et l’autre. […] Nous ne prenons ici d’intérêt qu’à la peinture des personnages, ou plutôt à celle de M. 

1400. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Le Louvre fut pris d’assaut. […] Le boulevard des Italiens prit l’aspect d’une boucherie. […] Il a pris un pli dès son âge adolescent. […] On le prend et on le laisse, on le déteste et on s’y attache. […] Lockroy, mis en goût par cette confession, prit la parole après M. 

1401. (1923) Au service de la déesse

Pour qui les prenez-vous ? […] Claudel pour un écrivain parfait, de prendre le langage de M.  […] On le prendrait assez bien pour un impressionniste. […] Aurais-je dû le dire plus tôt, que je ne prenais pas M.  […] Prenez les mots avec tous leurs souvenirs, avec leur passé.

1402. (1890) Journal des Goncourt. Tome IV (1870-1871) « Année 1871 » pp. 180-366

Je suis pris, enlacé, abêti par elle. […] L’insurrection triomphante prend possession de Paris. […] Ces messieurs prennent tout : armes de luxe, de collection. […] Ils ne les prennent pas tous. […] On me les avait pris.

1403. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Il a, par avance, pris soin d’en tirer un parti savoureux. […] Il est stupéfiant qu’une certaine partie du public en ait pu prendre ombrage. […] Il vaut bien mieux prendre la pioche et travailler. […] Je prenais tout à fait au sérieux les passages tendres et romanesques. […] Elle ne prend non plus nul souci de la composition, ni de l’unité logique.

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