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714. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Chapitre premier. […] Cette phrase même indique la reconnaissance et la correction d’une erreur, partant une erreur préalable ; au premier moment, nous nous étions trompés, puisque au second moment nous découvrons que nous nous étions trompés. […] Au premier instant, à l’état normal, les deux plateaux sont sur la même ligne ; mais tout de suite le premier, plus pesant, emporte l’autre, et nos images sont reconnues comme intérieures. […] Parfois ainsi un fil accroche un poids du second plateau à un poids du premier ; le premier ne peut plus descendre, et nous avons une illusion proprement dite ; le moyen précédent n’est plus de mise, ce serait vainement qu’on ajouterait de nouveaux poids ; il faut ôter du premier plateau le poids qui par son fil maintient de niveau les deux plateaux malgré l’inégalité de leurs charges. […] Peu d’exemples sont plus instructifs ; on y suit l’hallucination depuis sa première origine jusqu’à son achèvement et sa guérison.

715. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Il la réveilla trop en sursaut par ses premières paroles et par ses premiers actes du haut de son trône. « Quand l’Italie fut debout, il ne sut qu’en faire. » Son patriotisme lui disait de la lancer contre l’Autriche. […] Les Lorrains y régnèrent en suivant les traces du premier Léopold ; un grand ministre libéral de cette école, le vieillard Fossombroni, y tint jusqu’à quatre-vingt-six ans d’une main flexible les rênes de l’administration et de la diplomatie. […] Elle imita Rome dans ses premières lois : elle eut son peuple, son aristocratie, ses deux consuls, ses censeurs ; ses comices, composés de tout le peuple convoqué, se tenant sur la place publique. […] La révolution française la compte au premier rang de ses ennemis armés. […] La douceur paternelle des deux premiers rois, vieillis dans l’exil de la Sardaigne, princes d’un naturel patriarcal, adoucissait ce régime et le faisait presque aimer.

716. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

., ainsi que j’en avais au premier moment eu l’intention. […] Mais les deux points de la pièce où la musique s’adapte étrangement au décor, sont précisément les deux changements du premier et, du troisième acte. […] Puis la force s’épuise beaucoup dans le quatrième temps et dans la première moitié du premier temps de la mesure suivante. […] Hoffart serais premier monument public érigé en l’honneur du maître. […] Elle est mentionnée au premier acte lorsque Kundry raconte la vie de Parsifal.

717. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Les religions naturalistes et les philosophies naturalistes se sont figuré la matière première comme un abîme à la fois obscur et fécond, laboratoire caché de la vie, où la pensée ne jaillit qu’après des siècles, étincelle brillante et fugitive. D’autres doctrines déclarent la cause première supérieure à la pensée. […] Au point de vue physiologique, cette première démarche a son corrélatif dans le mouvement appétitif et réflexe. […] Donc néant au premier moment = néant au second moment ; d’autant plus que cette formule pourrait se traduire en : — Néant au néant de premier moment = néant au néant de second moment. […] Le grand tort des associationnistes, c’est de substituer en nous une vicissitude d’états détachés à cette série continue d’états intensifs, où l’intensité du premier se prolonge dans celle du second et s’y exprime sous une autre forme.

718. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIe entretien » pp. 5-85

La patrie n’est pas seulement celle où l’on a sucé le lait de sa mère, c’est aussi celle où l’on a reçu de la nature, des monuments, des hommes, des choses, ses premières impressions et ses premières images. […] Je voyais le monde et l’Italie du même premier regard ; je savourais l’air respirable et l’air d’Italie de la même première aspiration. […] Jamais je n’oublierai cette première entrée de nuit dans la ville de Dante. […] Mes deux premières journées ne furent qu’un long éblouissement. […] Nous remontâmes les marches que j’avais descendues, et je me trouvai au premier étage, de plain-pied avec la chambre et avec la bibliothèque d’Alfieri.

719. (1887) George Sand

Elle a peint en traits expressifs ce premier travail tout intérieur de son imagination. […] Telle est l’inspiration qui domine dans cette première période, et tel est le motif de ces premiers chants. […] George Sand avait-elle été coupable, dès ses premiers romans, de pareilles intentions ? […] Pour ce premier portrait, il semble qu’il n’y ait plus à y revenir. […] Avec les années survenantes, d’autres inspirations avaient pris la place des premières.

720. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — P — Du Plessys, Maurice (1864-1924) »

Ernest Raynaud L’auteur a mis quelque coquetterie à parfaire ce livre : Premier Livre pastoral, en peu de mois, pour confondre ceux qui l’accusaient d’impuissance. […] Hugues Rebell Les poèmes du Premier Livre pastoral sont vraiment d’une belle et forte venue.

721. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1890 » pp. 115-193

Et je dois le dire, j’éprouve un espèce de revenez-y d’amitié pour l’homme redevenu affectueux, comme aux premiers jours de notre liaison. […] Et j’ai fait mon premier discours qui n’a pas été long : « Je bois au premier peintre du mur parisien, à l’inventeur de l’art dans l’affiche. » L’homme, il faut le dire, est tout à fait charmant. […] La manifestation du premier mai fait causer du mouvement nihilo-socialiste actuel, où il n’y a aucun plan de reconstitution d’une nouvelle société, mais où il n’y a que la volonté de faire table rase de la vieille, et laisser la nouvelle se faire toute seule. […] L’opinion de ce Russe, c’est que Tourguéneff n’a de valeur qu’en ces premiers ouvrages, dans les scènes retracées du temps de son adolescence, où il a donné de véritables photographies de son pays. […] Elle est bien filliasse au premier acte, et bellement et modernement tragique au troisième.

722. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 13, qu’il est probable que les causes physiques ont aussi leur part aux progrès surprenans des arts et des lettres » pp. 145-236

première réflexion. il seroit inutile de prouver fort au long, qu’il est des païs où l’on ne vit jamais de grands peintres ni de grands poëtes. […] Il faut bien qu’ils aïent un berceau, et des premiers inventeurs. […] Quoique les égyptiens soient des premiers inventeurs de la peinture et de la sculpture, ils n’ont point la même part que les grecs et que les italiens à la gloire de ces deux arts. […] Mais comme les arcs triomphaux des romains ne se dressoient que pour éterniser la mémoire d’un triomphe réel, les ornemens tirez des dépoüilles qui avoient paru dans un triomphe, et qui étoient propres pour orner l’arc qu’on dressoit afin d’en perpetuer la mémoire, n’étoient point propres pour embellir l’arc qu’on élevoit en mémoire d’un autre triomphe, principalement si la victoire avoit été remportée sur un autre peuple que celui sur qui avoit été remportée la victoire, laquelle avoit donné lieu au premier triomphe comme au premier arc. […] Voici comme il s’explique à la fin de son premier livre.

723. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

Au premier coup d’œil la science nous apparaît comme un système de connaissances. […] Les deux derniers ne sont que des divisions du premier. […] Cette perfection est atteinte du premier coup, sans que l’individu ait besoin d’éducation. […] Ce premier moment est la conception du but. […] Les deux premières propositions sont les prémisses.

724. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Rien de bien cherché, rien de compliqué au premier abord. […] Celui qui, dans les Préludes, nous avait chanté d’une voix attendrie : Je suis né parmi les pasteurs, réalise et déploie en ce tableau son premier vœu. […] Sa première pensée est qu’il est prêtre, et que Laurence vit. […] Jocelyn est notre premier curé de campagne qui ait chanté.  […] Non-seulement il accepte, mais il célèbre, mais il se réjouit, mais il marche l’un des premiers, et l’étoile au front.

725. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DÉSAUGIERS. » pp. 39-77

Pendant les deux ou trois premières années qui suivirent son retour, nous le perdons un peu de vue : il ne resta pas tout ce temps à Paris. […] Il est telle de ses premières chansons faites comme parodie et pendant à la fameuse chanson à boire de maître Adam de Nevers, et intitulée Chanson à manger (1806), où ce même génie à la Gargantua se déclare. […] Il a, du premier jour et sans y songer, effacé le pâle Laujon, redonné la main aux maîtres gaulois de vieille race, et n’a pas été détrôné à cet endroit, même par Béranger. […] Il disait lui-même que sa première pensée au réveil était toujours triste. […] Quand il était au piano, il finissait volontiers, au bout d’un certain temps, par tomber dans la pure romance sentimentale ; mais dans l’habitude, et dès qu’il voyait des visages et des yeux humains, il souriait, il étincelait au premier choc, et la gaieté ne tarissait pas.

726. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

Il consentit et signa tout, au premier moment. […] L’Église perdit son premier ministre, l’État son premier politique, la papauté son premier ami ; le même coup tua Pie VII et son ami. […] Je l’ai connu peu d’années avant sa fin ; le portrait que je fais de ses années pleines et mûres serait certainement le portrait vivant de ses premières. […] La seconde duchesse de Devonshire jouissait de l’immense domaine de cette maison, et le duc l’avait épousée après la mort de sa première et célèbre épouse. […] Après cette première séance, le cardinal se retirait pour aller vaquer à ses nombreuses affaires de la journée.

727. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Mes premières rêveries, ombres avancées de la vie future, m’emportaient de site en site plus haut et plus vite que les sabots de mon coursier. […] Clotilde, accablée de tant de pertes, isolée dans le Vivarais, et moins capable sans doute de produire que de recueillir et de corriger, dut commencer à cette époque les Mémoires dont nous parlons, et dont les premiers livres contenaient l’histoire de l’ancienne poésie française : elle s’occupa aussi de revoir ses premiers ouvrages, travail qu’elle continua toute sa vie, et qui peut expliquer leur perfection. […] Lisez : À MON PREMIER NÉ. […] Clotilde ainsi chantait en sa saison première, Quand Jouvette, en soucis, n’a que jeux enfantins. […] De tels vers ne peuvent avoir été écrits que par une femme sublime, une amante, une épouse, une mère, une veuve, une aïeule, un poëte, une amie des plus grands hommes et des premières femmes de son temps ; la naïveté a des caractères qu’aucun artifice ne peut imiter.

728. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 juillet 1886. »

L’art plastique recrée les sensations ; l’art littéraire recrée les notions : j’ai montré que les procédés de ces deux arts pouvaient encore, par un détournement de leur destin premier, traduire certaines émotions d’origine sensuelle ou notionnelle. […] Ainsi, et par maintes accordances telles, désormais secrètes, les émotions des premières âmes furent liées à ces signes. […] Un fait également certain est l’absolue différence du langage musical employé par ces premiers artistes et de notre langage moderne. […] Alors les deux premières voix abandonnant les contre-sujets où elles s’amusaient, abordent la première coda de la fugue : c’est la ronde générale, l’épanouissement achevé du sujet qui s’éploie en des notes brillantes et concises. […] Selon les promesses qui n’ont été faites, avec la plus chaleureuse sympathie de la part des premiers artistes de nos premiers orchestres et de chanteurs choisis dans les plus éminentes sociétés de chant, je puis en invitant les protecteurs de mon entreprise à assister à cette avant-fête, leur promettre une importante solennité artistique.

729. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VI »

L’honneur d’une femme serait trop fragile, s’il suffisait, pour le briser, de l’algarade du premier venu. […] Cette lettre, nous l’avons vue, au premier acte, égarée par M.  […] Tenancier : il devine, à première vue, le secret de la comédie. […] Un chapitre défectueux vaut mieux qu’un excellent appendice ; une scène mal faite, mais sortie directement de l’idée première, est préférable à une belle scène greffée après coup. […] Tenancier, qui devinait, à première vue, le secret de la comédie.

730. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Il n’y eut que le poète et son œuvre : une œuvre qui n’était pas nouvelle ; un poète qui n’était pas nouveau, et qui ne nous donna pas, avec sa Légende des Siècles d’alors, une seule impression qu’il ne nous eut déjà donnée dans sa première Légende des Siècles. […] Il a l’imagination du mot plus que de la chose, et ce qui le prouve, ce sont les redites de ces seconds volumes, échos des premiers. […] Il était énormément jeune quand il eut son premier succès, qui fut énorme, et quand madame de Staël, appuyant une main inspirée sur son énorme front, le sacra : l’Enfant du Génie ! […] Il n’est pas besoin d’être un observateur, ou un penseur, ou un esprit politique de premier ordre, pour savoir qu’en Franco il y a une sentimentalité niaise dans laquelle flotte la majorité des esprits comme dans leur atmosphère naturelle. […] S’il y a, en effet, une idée qui chausse la médiocrité des bourgeois, c’est l’idée absurde que l’Église, établie de Dieu et constituée à grand renfort de Saints, de grands hommes et de siècles, doit, pour sa plus grande gloire, revenir à l’Église primitive, qui n’était pas constituée, et à la pauvreté des premiers temps.

731. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre VI. L’espace-temps à quatre dimensions »

  Si notre espace était à deux dimensions, réduit à la présente feuille de papier, si les deux points considérés étaient A′ et B′, dont les distances respectives aux deux axes O′ Y′ et O′ X′ sont x′₁, y′₁ et x′₂, y′₂, il est clair que nous aurions [équation] Nous pourrions alors prendre tout autre système d’axes immobiles par rapport aux premiers et donner ainsi à x′₁, x′₂ y′₁, y′₂ des valeurs qui seraient généralement différentes des premières : la somme des deux carrés équation demeurerait la même, puisqu’elle serait toujours égale à équation . […] Considérons alors notre expression équation Si la somme des trois premiers termes était invariante, elle pourrait exprimer l’invariance de la distance, telle que nous la concevions dans notre Espace à trois dimensions avant la théorie de la Relativité. […] On le croirait au premier abord, comme nous venons de le dire. […] On lisait déjà dans un des premiers ouvrages sur la théorie de la Relativité, celui de Silberstein, que M.  […] On peut, par un artifice approprié, effacer cette singularité de l’expression mathématique : elle n’en subsiste pas moins dans la chose exprimée, et le mathématicien nous en avertit en disant que les trois premières dimensions sont « réelles » et la quatrième « imaginaire ».

732. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — T — Tiercelin, Louis (1849-1915) »

Tiercelin publia son premier volume de vers : Les Asphodèles, œuvre qui, dit un critique, « est éclose dans l’atmosphère très catholique de l’ancienne famille bretonne à laquelle appartenait le poète, et qui est comme le pur reflet de ses impressions premières ».

733. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Ce fut l’année même de son mariage avec le roi (1684), et comme par une reconnaissance intérieure envers le Ciel, qu’elle s’appliqua à perfectionner l’essai de Noisy et à lui donner cette première forme déjà toute royale qu’il prit dès sa translation à Saint-Cyr. […] C’est dans ces années d’essai, de premier essor et, d’apprentissage de Saint-Cyr, que Mme de Maintenon demanda à Racine de lui composer des comédies sacrées, et qu’eurent lieu les représentations d’Esther. Si Esther, avec ses conséquences mondaines et l’élite des profanes qu’elle introduisait, fut une distraction, peut-être une imprudence et une faute du premier Saint-Cyr, on sent bien que ce n’est pas nous qui en ferons un reproche, et personne au monde n’aura le courage de le blâmer. […] Lavallée, arriver avant six heures du matin, afin d’être au lever des demoiselles, et suivre ensuite toute leur journée en qualité de première maîtresse, pour pouvoir mieux juger de ce qu’il y avait à faire et à établir. […] — Ces temps heureux, cet âge d’or, ce sont comme toujours les débuts, les commencements, l’époque où tout n’est pas rédigé encore, et où une certaine liberté d’inexpérience se mêle à la fraîcheur première des vertus.

734. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — I. » pp. 41-61

Dès sa jeunesse, Élisabeth-Charlotte se distingua par un esprit vif et par un caractère ouvert, franc et vigoureux : Mlle de Quadt, dit-elle, a été ma première gouvernante et celle de mon frère ; elle était déjà vieille : elle voulut une fois me donner le fouet, car j’étais un peu volontaire dans mon enfance ; mais je me débattis si fort, et je lui donnai avec mes jeunes pieds tant de coups dans son vieux ventre, qu’elle tomba tout de son long avec moi et faillit se tuer. […] Toute cette première partie de la vie et de la jeunesse de Madame serait curieuse et importante à bien établir : « J’étais trop âgée, dit-elle, quand je vins en France, pour changer de caractère ; la base était jetée. » Tout en se soumettant avec courage et résolution aux devoirs de sa position nouvelle, elle gardera toujours ses goûts allemands ; elle les confessera, elle les affichera en plein Versailles et en plein Marly, et cette cour, qui était alors la règle de l’Europe, et qui donnait le ton, aurait pu s’en choquer si elle n’avait mieux aimé en sourire. […] J’étais alors plus gaie qu’aujourd’hui. » Cet air vif de Heidelberg lui est encore présent après plus de cinquante ans comme au premier jour ; elle le recommande, quelques mois avant de mourir, à la demi-sœur à laquelle elle écrit (30 août 1722) : Il n’y a pas au monde un meilleur air que celui de Heidelberg, et surtout celui du château où est mon appartement ; rien de mieux ne saurait se rencontrer. […] Ils différaient tous trois dans leurs croyances ; je pris la quintessence de leurs opinions et m’en formai ma religion. » Dans cette religion catholique ainsi définie en gros, qu’elle crut et qu’elle pratiqua en toute bonne foi, il restait des traces et bien des habitudes de son premier culte. […] C’est par cette naïveté de brusquerie peut-être, et aussi par ses qualités solides d’honnête femme, j’allais dire d’honnête homme, quelle plut à Louis XIV, et qu’entre elle et lui se noua cette amitié qui ne laisse pas d’avoir sa singularité et d’étonner au premier abord.

735. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — III » pp. 178-197

Dans son premier chant, après cette promenade avec Mme Unwin que j’ai citée, et cette description si parfaite du paysage, il ne s’en tient pas là : comme poète, son morceau est fait ; comme amant de la nature, que de choses il a à dire encore ! […] C’est la malédiction première, mais désormais adoucie en miséricorde, et devenue le gage clément de jours meilleurs et de nuits sans gémissements. […] C’est ainsi que son premier chant, que nous avons vu commencer par ces gentillesses et presque ces mièvreries ingénieuses sur le sopha, se termine par cette tirade ou par ce couplet rural et patriotique tout ensemble : Dieu fit la campagne, et l’homme a fait la ville. […] Là, la Sagesse et la Vérité, non effarouchées comme dans le monde, et non plus à conquérir par de lentes poursuites, se saisissent du premier coup de la pensée errante et la fixent uniquement24. […] Il a de plus une indélicatesse naturelle ou acquise qui viole souvent cette première vertu protectrice du foyer, la pudeur.

736. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Quoi qu’il en soit, après la guerre de Sept Ans, une des premières choses qu’il fit dans sa retraite fut de lire Bayle, et Frédéric lui écrivait à ce sujet (22 avril 1764) : Je ne vous plains point d’être en compagnie avec Bayle ; c’est de tous les hommes qui ont vécu celui qui savait tirer le plus grand parti de la dialectique et du raisonnement. […] Le prince Henri, de retour à Rheinsberg, après son premier voyage de France, eut l’occasion d’y recevoir un Français des plus distingués, qu’il avait déjà vu à Paris, le marquis de Bouillé. […] Quant à la laideur de son visage, elle était au premier abord tout à fait repoussante. Cependant avec deux gros yeux dont l’un regardait à droite et l’autre à gauche, son regard n’en avait pas moins je ne sais quelle douceur, qu’on remarquait aussi dans le son de sa voix et lorsqu’on l’écoutait, ses paroles étant toujours d’une obligeance extrême : on s’accoutumait à le voir… Il avait pour les arts, et surtout pour la musique, une véritable passion, au point qu’il voyageait avec son premier violon afin de pouvoir cultiver son talent en route. […] Pendant tout le séjour qu’il a fait à Paris, il venait constamment à mes soirées musicales, ne redoutait point la présence des premiers virtuoses, et je ne l’ai jamais vu refuser de faire sa partie dans un quatuor à côté de Viotti, qui jouait le premier violon.

737. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Accueillie du premier jour dans le plus grand monde de la Restauration, elle y fut extrêmement comptée. […] Elle était donc, du premier jour, passée maître dans cetteescrime de la pensée et du sentiment. […] Votre sort est à peine ébauché, vous serez épouse et mère, et c’est dans le centre de ces heureuses affections que vous coulerez des jours dont le reflet encore suffira pour embellir ceux de vos amis. » A tout moment elle trahit son impétuosité de cœur, son fonds de nature première, avec une expansion que plus tard elle réprimera : «… Je suis plus difficile à guérir que le roi d’Angleterre (Georges III, qui avait des temps de folie) ; quel est donc votre talent si vous y réussissez ? […] Il faut pourtant que j’ose dire pourquoi, à première vue, le centre d’influence de Mme Swetchine ne m’attirait pas. […] Il résulte du premier qu’en décembre 1839, Mm Edling reconnaît que Mme Swetchine « dévie un peu pour elle de la ligne ni roide qu’elle suit », et qu’en janvier 1840, elle se montre plus satisfaite.

738. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Plus jeune de dix années que cette sœur charmante, après sa première enfance passée dans son pays natal, le jeune Jacques fut amené à Paris et mis en pension chez M.  […] Toutes ces premières impressions, celles du toit domestique, de la maison du pasteur auquel d’abord on l’avait confié, la mort d’une mère, puis la première communion, et le sentiment pénible qu’éprouva le jeune garçon en passant de son Alsace riante et champêtre aux murs froids d’un collège, ces premières descriptions ne peuvent nous toucher que médiocrement : il y a du vrai, de la sincérité ; mais ces peintures de l’enfance, recommencées sans cesse, n’ont de prix que lorsqu’elles ouvrent la vie d’un auteur original, d’un poète célèbre. « Les souvenirs de ma première enfance sont bien vagues, nous dit M.  […] La princesse Pauline Borghèse, quand elle le vit à Pise en 1823, trouva qu’il ressemblait d’une manière frappante au général Leclerc, son premier mari. […] Byron lui paraît un grand poète, mais M. de Jouy reste pour lui notre premier prosateur.

739. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Le résultat atteint, et à peine sorti d’un régime d’ambition et de conquête, il put vite s’apercevoir qu’il allait avoir affaire à des opposants d’un autre genre, et non pas les moins opiniâtres ni les moins dangereux : il retrouvait sur son chemin, après vingt-cinq ans, comme au premier jour, l’entêtement dans le passé, les préventions personnelles et l’humeur, l’ornière de la routine, les hauteurs du droit divin, un favoritisme exclusif et inintelligent, la méconnaissance de l’esprit d’un siècle. Sir Henry Bulwer a très bien exposé ces premiers et légers déboires que l’introducteur de Louis XVIII eut à supporter, les reproches qu’il essuya des deux parts pour s’être si fort pressé de signer la convention du 23 avril qui abandonnait aux alliés tant de places fortes avec un matériel de guerre si considérable. […] Sa première faute fut d’accepter Fouché pour collègue et de le croire presque aussi indispensable que lui-même. […] Quand on parle de goût et qu’on célèbre celui de l’ancienne société, celui de quelques hommes en particulier dont M. de Talleyrand était comme le type accompli, il faut bien s’entendre et se garder de confondre le goût social et le goût littéraire ; car en matière de littérature et surtout de poésie, ces gens d’esprit en étaient restés aux formes convenues de leur jeunesse et aux lieux communs de leur éducation première ; on en a une singulière preuve dans la lettre suivante : « 18 (août 1828) Bourbon. […] On raconte que la première fois que M. de Talleyrand fit sa visite à Château-Vieux à travers un pays fort accidenté, moitié rochers, moitié ravins, et de l’accès le plus raboteux, son premier mot à M. 

740. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

C’est une chose bien remarquable, comme, en avançant dans la vie et en se laissant faire avec simplicité, on apprécie à mesure davantage un plus grand nombre d’êtres et d’objets, d’individus et d’œuvres, qui nous avaient semblé d’abord manquer à certaines conditions, proclamées par nous indispensables, dans là ferveur des premiers systèmes. […] Les deux sentiments les plus opposés qui se développèrent au sein de la fraternité première peuvent se rapporter au lyrique d’une part et au dramatique de l’autre. […] C’était accepter la question tout entière comme on l’avait posée, c’était ne l’éluder en rien et la soutenir dans sa complète importance, dans la hardiesse du premier défi. […] Vivre, puisqu’il le faut, de la vie de tous, subir les hasards, les nécessités du grand chemin, y recueillir les enseignements qui s’offrent, y fournir au besoin sa tâche de pionnier ; puis se dédoubler soi-même, et dans une part plus secrète réserver ce qui ne doit pas tarir ; l’employer, l’entretenir, s’il se peut, à l’amour, à la religion, à la poésie ; cultiver surtout sa faculté de concevoir, de sentir et d’admirer : n’est-ce pas là une manière d’aller décemment ici-bas, après même que le but grandiose a disparu, et de supporter la défaite de sa première espérance ? […] Mais elle dut bientôt s’engager pour Bruxelles, puis pour Rouen, où elle jouait les jeunes premières, elle y était fort goûtée du public.

741. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — II. » pp. 195-213

Mlle Phlipon avait été placée, vers l’âge de onze ans, dans le couvent des Dames de la Congrégation, rue Neuve-Saint-Étienne, pour y faire sa première communion ; elle y connut deux demoiselles d’Amiens, deux sœurs un peu plus âgées qu’elle, Mlles Henriette et Sophie Cannet ; elle se lia très-tendrement avec elles, avec Sophie d’abord. […] Roland, dont la connaissance première était due aux amies d’Amiens. […] Du moins, même chez les meilleurs, ce qu’on appelle le progrès de la vie est bien inférieur à ce premier idéal que réalisa un moment la jeunesse. […] Mme Roland aurait pu vivre jusqu’au bout dans cette donnée première de la destinée et n’y point paraître trop déplacée encore. […] La jeune fille forte, sensée, de l’imagination la plus droite et la plus sévère qui fût jamais, distingue du premier jour un être qui est l’assemblage de toutes les fadeurs et les niaiseries en vogue, et elle croit saisir en lui le type le plus séduisant de son rêve.

742. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre III »

Ils n’ont pas l’instrument intérieur qui divise et discerne ; ils pensent par blocs ; le fait et le rêve leur apparaissent ensemble et conjoints en un seul corps  Au moment où l’on élit les députés, le bruit court en Provence742 « que le meilleur des rois veut que tout soit égal, qu’il n’y ait plus ni évêques, ni seigneurs, ni dîmes, ni droits seigneuriaux, qu’il n’y ait plus de titres ni de distinctions, plus de droits de chasse ni de pêche ; … que le peuple va être déchargé de tout impôt, que les deux premiers ordres supporteront seuls les charges de l’État ». […] On vous a laissé ignorer que, dans toutes les classes du Tiers-état, la fermentation est au comble, qu’une étincelle suffit pour allumer l’incendie… Si la décision du roi est favorable aux deux premiers ordres, insurrection générale dans toutes les parties de la province, 600 000 hommes en armes et toutes les horreurs de la Jacquerie. » — Le mot est prononcé et l’on aura la chose. […] Le petit peuple est toujours sur le point de lui faire la guerre, parce qu’il n’en a jamais été ménagé. » À la vérité, « une escouade du guet dissipe souvent sans peine des pelotons de cinq à six cents hommes qui paraissent d’abord fort échauffés, mais qui se fondent en un clin-d’œil dès que les soldats ont distribué quelques bourrades et gantelé deux ou trois mutins. » — Néanmoins, « si l’on abandonnait le peuple de Paris à son premier transport, s’il ne sentait plus derrière lui le guet à pied et à cheval, le commissaire et l’exempt, il ne mettrait aucune mesure dans son désordre. […] Procès-verbaux de l’Assemblée provinciale de l’Orléanais, 296. « Une défiance toujours tremblante règne encore dans les campagnes… Vos premiers ordres d’assemblées de département n’ont en quelques endroits réveillé que des soupçons. » 746. […] Voir ci-dessus, Premier livre.

743. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Œuvres de Barnave, publiées par M. Bérenger (de la Drôme). (4 volumes.) » pp. 22-43

Fier, ardent, impatient de l’injustice, profondément animé du sentiment de la dignité humaine, on le voit de bonne heure réagir sur lui-même, s’imposer des règles de conduite et d’étude, s’analyser, joindre la réflexion et la méthode aux premiers mouvements. […] Il fit ses premières armes sous le digne Mounier, et mérita d’être porté à ses côtés, et par les mêmes suffrages, aux États généraux. Il raconte en termes simples et véridiques ses impressions premières et sa situation d’esprit à son arrivée à Versailles : Ma position personnelle dans ces premiers moments, dit-il, ne ressemblait à celle d’aucun autre : trop jeune pour concevoir l’idée de diriger une Assemblée aussi imposante, cette situation faisait aussi la sécurité de tous ceux qui prétendaient à devenir chefs ; nul ne voyait en moi un rival, et chacun pouvait y apercevoir un élève ou un sectateur utile. […] J’ai toujours regardé comme une des premières qualités d’un homme la faculté de conserver sa tête froide au moment du péril, et j’ai même une sorte de mépris pour ceux qui s’abandonnent aux larmes quand il faut agir. […] Barnave donne le petit tableau suivant, qui est curieux en ce qu’il offre une sorte de statistique ou d’échelle de la popularité dans cette première période révolutionnaire : Necker est le premier qui, de notre temps, en France, ait joui de ce qu’on appelle popularité. — Elle s’attacha à La Fayette, lors de la création de la Garde nationale.

744. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de lord Chesterfield à son fils. Édition revue par M. Amédée Renée. (1842.) » pp. 226-246

Dans ces divers traités de savoir-vivre et de politesse, si on les rouvre dans les âges suivants, on découvre à première vue des parties qui sont aussi passées que les modes et les coupes d’habit de nos pères ; le patron évidemment a changé. […] Comme lui-même, dans sa première jeunesse, il n’était pas dirigé, il se trompa plus d’une fois sur les objets de son émulation, et se prit au faux honneur. […] « Prenez avis de ma conduite, disait-il à son fils ; faites vous-même le choix de vos plaisirs, et ne vous les laissez pas imposer. » Ce désir d’exceller et de se distinguer ne s’égarait pas toujours de la sorte, et il l’appliqua souvent avec justesse ; ses premières études furent des meilleures. […] Jeune et dans son premier feu d’ambition, il avait de bonne heure mis tout son enjeu du côté de l’héritier présomptif du trône, qui devint George II ; il était de ceux qui, à l’avènement de ce prince (1727), devaient le plus compter sur sa faveur et sur une part de pouvoir. […] Je ne regrette point qu’on ait publié ces premières lettres ; il s’y glisse de bonne heure d’excellents conseils.

745. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Procès de Jeanne d’arc, publiés pour la première fois par M. J. Quicherat. (6 vol. in-8º.) » pp. 399-420

C’est cette première et naïve déposition de Jeanne dès le premier jour de son arrivée à la Cour, qui serait d’un inestimable prix ; car, bien qu’elle ait eu à répondre plus tard sur les mêmes questions devant les juges qui la condamnèrent, elle n’y répondit plus avec la même naïveté ni avec la même effusion qu’elle dut mettre dans cette déposition première. […] Ce qui est touchant et vraiment sublime, c’est que l’inspiration première de cette humble enfant, la source de son illusion si peu mensongère, ce fut l’immense pitié qu’elle ressentait pour cette terre de France et pour ce Dauphin persécuté qui en était l’image. […] Ce témoignage est formel ; il est d’accord avec la légende, avec la poésie, avec cette statuette pleine de grâce qu’une jeune princesse artiste a laissée de Jeanne d’Arc arrêtant court son cheval à la vue du premier cadavre29. […] Je ne dis point ceci pour rien ôter à la beauté de la figure, mais pour ne pas en dissimuler la physionomie première dans ce qu’elle avait de vigoureux et de très franc. […] Le vieil écuyer Bertrand de Poulangy, qui, dans sa jeunesse, avait eu l’honneur d’escorter Jeanne lors de sa première chevauchée de Vaucouleurs à Chinon, disait que, dans toutes les nuitées et les couchées du voyage, il n’avait pas eu à son égard une pensée de désir.

746. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Les sept ou huit premières strophes sont consacrées à peindre le génie dans la profondeur de ses découvertes et dans la majesté de ses systèmes : « Tel éclatait Buffon… » — Puis paraît l’Envie, ameutant les puissances odieuses, et elles essayent de ravir ce favori et ce peintre auguste de la nature à l’honneur de ses immortels travaux. […] Il est fâcheux que ces neuf sœurs viennent là finalement affaiblir d’une locution usée une pensée si ferme. — Après Buffon, celui que Le Brun admirait le plus dans son siècle, c’était Montesquieu : il l’a rangé quelque part avec Bossuet au premier rang des génies lyriques, si tous deux avaient voulu l’être. […] Aussi, rien n’égala la fureur du poète, et il en a consacré l’expression dans une pièce atroce À Némésis, qu’on a placée à la fin du premier livre de ses Élégies. […] [NdA] C’est ce que j’ai fait dans un de mes premiers articles insérés dans la Revue de Paris en 1829 (voir au tome Ier des Portraits littéraires). […] Il avait de la galanterie plus que du sentiment, mais souvent une galanterie fort ingénieuse et délicate (lire de lui, au premier livre des Épigrammes, La Méprise, ou les Flambeaux changés).

747. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — II. (Suite et fin.) » pp. 341-361

À peine marié et tout étonné de s’être lié, il part seul un matin, s’en va en Normandie, voit dans je ne sais quel port un vaisseau qui fait voile pour le Portugal, est tenté de s’y embarquer, et s’en revient après cette première infidélité. […] Il se voit quelques disparates dans ce premier pamphlet de Courier, un peu de mélange encore de ce style qui veut être tout simple, abrupt et d’un rustique raffiné, avec la phrase réputée élégante et harmonieuse. […] Il arrivait à la renommée, à la popularité, et il en jouissait, tout misanthrope qu’il avait été jusque-là, avec une fraîcheur première. […] les cagots te feront assassiner. » — Quelle dut être l’impression première, lorsqu’on apprit tout à coup à Paris que Courier avait été trouvé assassiné, en Touraine, dans son bois de Larçay ! […] Courier. » Ce premier mot échappé sans dessein en amena d’autres, et la justice obtint de cette fille une révélation entière.

748. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

Hase, mourait surchargé de titres, de places et d’honneurs bien mérités, Dubner, à l’âge de plus de soixante ans comme au premier jour, n’était rien qu’un travailleur isolé, tout entier voué à l’exécution des grandes entreprises philologiques qui roulaient sur lui, dont il était la cheville ouvrière et l’âme, se dérobant, ne s’affichant pas, étranger au monde, n’ayant au dehors que les relations strictement nécessaires, enseveli, comme il le disait, dans sa vie souterraine au fond de sa mine philologique, et tout semblable à l’un de ces mineurs du Erzgebirge auquel lui-même il se comparait ingénieusement. […] Il voulait être un des premiers à jouir de cette découverte ; il tenait à la faire valoir, à la rendre viable, offrait et, au besoin, imposait son concours, et cela sans arrière-pensée, avec une modestie admirable, cherchant ensuite à s’effacer, et uniquement par amour de la science. […] Miller « le dignissime disciple de Hase », il disait de lui-même par opposition : « Je ne suis qu’un χυτιδιδαχτοϛ ; qui a fait ses premières armes dans le manuscrit de Tzetzès en 1833 ». […] Victor Le Clerc qui, à époque, était encore dans sa première période, étroite et négative, et qui n’avait pas fait alliance comme depuis avec les Littré, les Michelet, les Renan.

749. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Sa physionomie n’impose pas et ne promet pas au premier coup d’œil tout ce qu’il vaut ; mais on peut remarquer dans ses yeux et sur son visage je ne sais quoi qui répond de son esprit et de sa probité. « Il paroît d’abord trop sérieux et trop réservé, mais après il s’égaye insensiblement ; et qui peut essuyer ce premier froid s’accommode assez de lui dans la suite. […] Ce premier petit roman nous met en goût et en confiance avec Fléchier ; on sent qu’on a affaire, non-seulement à un écrivain singulièrement poli, mais à un esprit observateur et délié qui s’entend aux beaux sentiments, aux grandes passions, qui en sourit tout bas en les exposant, et les décrit à plaisir sans s’y prendre. […] On ne doit en conclure que plus d’actions de grâces pour le jeune monarque qui aspirait du premier jour à l’unité du royaume et à celle de la loi.

750. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

D’après la réputation de la pièce dans ces diverses réunions, l’un des premiers acteurs de la Comédie-Française, qui avait entendu l’ouvrage, le faisait à son tour recevoir par ses camarades. […] Tel auteur tragique qui, vers 1821, se faisait quatre ou cinq mille francs de revenu par ses pièces, a vu cette source diminuer successivement et tarir ; il en est réduit maintenant, pour s’acheter une ombre de succès, à débourser en billets donnés aux premières représentations des avances dont le public ne lui tient pas compte. […] Cet intervalle de près de deux ans est marqué, dans l’œuvre du critique : 1° par la publication en 1828 de son premier livre, en prose, Tableau historique et critique de la Poésie française et du Théâtre français au xvie  siècle ; 2° en 1829, par l’apparition de son premier volume de vers, Vie, Poésies et Pensées de Joseph Delorme.

751. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre III. De l’émulation » pp. 443-462

Il paraît, au premier coup d’œil, que les troubles civils, en renversant les rangs antiques, doivent donner aux facultés naturelles l’usage et le développement de toutes leurs forces : il en est ainsi, sans doute, dans les commencements ; mais au bout de très peu de temps, les factieux conçoivent pour les lumières une haine au moins égale à celle qu’éprouvaient les anciens défenseurs des préjugés. […] La parole ne sert qu’à rédiger la colère, à fixer en décrets ses premiers mouvements. […] La réputation, les suffrages constamment attachés aux hommes qui ont honorablement rempli la carrière des affaires publiques, sont l’un des premiers moyens de conserver la liberté ; et ce qui peut contribuer le plus efficacement aux progrès des lumières, c’est de mêler ensemble, comme chez les anciens, la carrière des armes, celle de la législation, et celle de la philosophie. […] Les vainqueurs redoutent les soldats qui ont conquis leur empire avec eux ; les prêtres ont peur du fanatisme même d’où dépend tout leur pouvoir ; les ambitieux se défient de leurs instruments : mais les hommes éclairés, parvenus aux premières places de l’état, ne cessent point d’aimer et de propager les lumières.

752. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre III. Association des mots entre eux et des mots avec les idées »

Au premier vers d’une tragédie : Vous souvient-il, ma sœur, du feu roi notre père ? […] Mais la puissance que les mots ont de tirer après eux des séries d’idées et d’images, est de première importance pour le style : selon l’art qu’on a de l’employer, il est terne ou expressif, plat ou relevé. […] Souvent, par une maladresse ou une étourderie de l’écrivain, une vision importune détourne l’attention du lecteur, et l’arrache à la domination qu’il commençait de subir : quand on le reprend, il ne reste plus en lui trace de l’impression première ; c’est comme s’il avait cédé la place à un autre, qui commencerait de lire au milieu d’une page. […] Au premier vers, l’adjectif n’admet, parmi les idées que peut éveiller le mot bûcheron, que celles qui se rapportent à l’aspect physique, le visage tanné et ridé, le dos voûté, les jambes pliantes, les vêtements noircis et usés.

753. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

On l’a souvent remarqué : la littérature a été prise, un peu après 1850, d’un grand désir d’exactitude et de vérité, et les poètes parnassiens obéissaient, sans s’en douter, au même sentiment que Dumas fils dans ses premières pièces, Flaubert dans son premier roman, Taine dans ses premières études critiques. […] Parmi les sonnets de ce premier groupe il en est un bien curieux et bien significatif, où se trahit d’une façon singulière le tour d’imagination propre à M. de Heredia.

754. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Si, d’un côté, les opinions connues de Macaulay, devenu, grâce à sa plume, un homme politique important et un ministre d’État, disaient assez nettement d’après quelles tendances et dans quel système cette histoire d’Angleterre serait conçue et réalisée, d’un autre, les articles de la Revue d’Édimbourg, qui avaient commencé et fixé la réputation de l’auteur, et dont quelques-uns sont des chefs-d’œuvre, ne disaient pas avec moins d’autorité qu’à part ces opinions premières qui pèsent sur tout ce qu’on écrit et y impriment la marque de leur vérité ou de leur erreur relatives, qu’à part enfin le joug des partis si dur à secouer dans les pays fortement classés, il y aurait, du moins, dans l’histoire écrite par une telle main, le talent, mûri par les années et par l’étude, de l’homme qui avait tracé des pages si animées et si réfléchies en même temps sur Warren Hastings, lord Burghley et le comte de Chatham ! […] Nous avons rencontré et pleinement reconnu dans cette histoire le whig des premiers jours, devenu plus que jamais l’homme de la cause ; le whig avec ses préoccupations, ses passions, ses erreurs, et, pourquoi ne le dirions-nous pas ? […] C’est, en effet, la prétention des whigs depuis qu’ils existent — et on peut dire l’année et presque le jour où ils ont été mis dans le monde — que l’Angleterre, telle que la révolution de 1688 l’a faite, est toujours la vieille Angleterre, l’Old England des premiers temps ! […] « Si le parlement l’eût permis, — disait-il avec un regret amer, — j’aurais élevé ma nation au rang des premières nations du monde. » Il applaudissait, au combat de la Hougue, à la charge des vaisseaux anglais qui se battaient contre lui !

755. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Femme et l’Enfant » pp. 11-26

Une science si fausse et si viciée dans son origine a beau être jugée, par les esprits pénétrants et fermes, comme déjà vieille d’une décrépitude de deux jours, elle n’en paraît pas moins jeune et pleine d’avenir aux jouvenceaux du xixe  siècle, et elle exerce une influence dangereuse sur les esprits qui débutent dans la vie intellectuelle, et qui vont prendre leur premier pli dans ce premier livre dont on dépend un peu toujours ! […] Assurément, l’esprit qui a écrit un pareil ouvrage n’est point un mauvais esprit, à le prendre dans son essence première. […] Malgré les succès actuels d’une philosophie qui mutile l’homme pour le simplifier, les questions morales, en fin de compte, seront toujours les grandes questions, les questions premières ou dernières, et l’homme se prendra dans ses propres efforts comme dans un filet inextricable toutes les fois qu’il méconnaîtra son âme, et qu’il demandera à une autre cause que son âme l’explication et l’amélioration de sa destinée.

756. (1899) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (troisième série). XVII « Dargaud »

Il s’est fait presque de lui-même, avec les premières impressions de la vie, ces premières impressions qui n’ont pas besoin d’appuyer pour laisser en nous d’ineffaçables empreintes, et il n’a demandé d’autre travail à son auteur que de se souvenir. […] Dargaud, le peintre des premiers rayons et des premières nuées qui passent dans l’outremer du ciel de la vie, a des touches d’une suavité qui rappelle Greuze ; mais c’est Greuze avec un sentiment de plus : la tristesse chrétienne, qui jette à, tout cette ombre étrange et pénétrante, plus faite peut-être pour les yeux de l’homme que la lumière ! […] Auprès de ce chaste et mortel épisode du premier amour, raconté par Dargaud de manière à faire trouver une dernière larme aux yeux qui en ont le plus versé, nous aurions eu des scènes d’un autre caractère, moins troublantes peut-être, mais aussi touchantes, à coup sûr.

757. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Roger de Beauvoir. Colombes et Couleuvres. »

L’hermine, qu’une seule tache fait mourir, a gardé une place blanche, qui témoigne de sa pureté première. […] Le poète l’explique à la première page, et déjà vous sentez, dès ces premiers vers, sous la suavité du coloris, les deux forces de sa poésie, le touchant regard en arrière de sa rêverie et la palpitation contenue de son émotion : Tu voudrais savoir pourquoi sous ce titre J’accouple mes chants…………………….. […] Déjà très-éloigné par la vérité des sentiments de son premier recueil de poésies qui n’avait que la vérité très-relative de la jeunesse et la ferveur de l’imitation, M. de Beauvoir, s’il ne veut pas manquer aux dons qu’il a reçus, aux facultés d’une nature primitivement exquise et dont il a certainement abusé comme tous ces Polycrates de la destinée qui lancent à la mer leur émeraude qu’un brochet ne leur rapporte pas toujours, M. de Beauvoir doit entrer résolument dans la voie que certaines pièces de son dernier recueil viennent d’ouvrir. […] Roger de Beauvoir, ce qui nous a toujours empêché de le confondre, malgré ses erreurs d’homme et de poète, avec les Gentils de notre temps, avec les Idolâtres de la Forme qui n’ont d’autre dieu que le fétiche qu’ils ont eux-mêmes sculpté, c’est le parfum des croyances premières et flétries, mais qu’on retrouve toujours à certaines places de ses écrits ; c’est ce christianisme ressouvenu qu’il tient peut-être de sa mère et qui revient de temps en temps et comme malgré lui, dans sa voix : D’où vient, qu’après avoir dormi sous les platanes, Après avoir sur l’herbe épanché les flacons, Puis être revenus, Ô brunes courtisanes, En rapportant chez nous les fleurs de vos balcons, La tristesse nous prend comme fait la duègne Qui de la jeune Inès s’en vient prendre la main, Et que nous n’arrivons jamais au lendemain Sans qu’aux pensers d’hier tout notre cœur ne saigne ?

758. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Provincial de naissance et d’éducation première, comme la plupart des esprits très-individuels, M. de La Madelène sait que la nuance sociale du paysan varie avec le pays où cette nuance existe, et il le sait trop bien pour avoir imité la faute de l’homme de génie qui, un jour, gâta un de ses plus formidables livres, en l’intitulant : Les Paysans. […] Cette bicoque était connue dans le pays sous le nom du Château des Saffras, et de là le titre de Marquis des Saffras que l’on donnait à Espérit. » Ces détails, nous les avons transcrits, au risque de paraître long, tels qu’on les trouve aux premières pages du livre de M. de La Madelène, parce qu’ils ne sont pas, comme on pourrait le croire, les inventions d’une fantaisie, qui ne sait où elle va, mais parce qu’ils ont une raison d’être dans l’idée première de ce roman très-combiné et très-réfléchi. […] Les Poëtes, première série.

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