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440. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Étienne de La Boétie. L’ami de Montaigne. » pp. 140-161

La Boétie a été la passion de Montaigne ; il lui a inspiré son plus beau chapitre, ou du moins son plus touchant ; leurs deux noms sont à jamais inséparables, et sitôt qu’on parle d’amitié, on les rencontre des premiers, on les cite inévitablement, de même que lorsqu’on parle de l’amour d’une mère pour sa fille, on nomme Mme de Sévigné. […] une passion noble et élevée, M. le docteur Payen a touché ce point dans un article inséré au Bulletin du bibliophile (août 1846). […] Les nobles et généreuses natures, lorsqu’elles entrent dans la vie, et qu’elles ne connaissent point encore les hommes, ni l’étoffe dont nous sommes en majeure partie formés, passent volontiers par une période politique ardente et austère, par une passion stoïque, spartiate, tribunitienne, dans laquelle, selon les temps divers, on invoque les Harmodius, les Caton, les Thraséas, et où de loin les Gracques et les Girondins se confondent. […] C’est en songeant à l’amitié-passion que Montesquieu a pu dire : « Je suis amoureux de l’amitié. » Le plus ordinairement l’amitié a une teinte plus douce, plus apaisée, que celle qui marque la passion de Montaigne et de La Boétie. […] Cette liaison n’est ni passion ni amitié pure : elle fait une classe à part.

441. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre IV. Le patriarche de Ferney »

Les ennemis de Voltaire Voltaire mit souvent ce génie et cette puissance au service de ses passions personnelles. […] C’est un charme de l’entendre causer librement, avec son infatigable curiosité, son universelle intelligence, avec son esprit pétillant, ce don étonnant qu’il a de saisir des rapports inattendus, ingénieux ou cocasses, avec ses passions aussi toujours bouillonnantes et débordantes, qui ne laissent pas un instant refroidir les choses sous sa plume. […] Cette nature complexe, riche de bien et de mal, mêlée de tant de contraires, dispersée en tous sens, a tendu avec une énergie inépuisable vers tous les objets que ses passions ou sa raison lui ont proposés. […] Voltaire est tout nerfs, et toujours agité de passion : mais il écoute ses nerfs ou sa passion comme chacun de nous ; il ne fait pas des impressions de ses nerfs, des vibrations de sa passion l’objet immédiat d’un travail d’art.

442. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Voltaire et le président de Brosses, ou Une intrigue académique au XVIIIe siècle. » pp. 105-126

Moquez-vous de tout, et soyez gai. » D’Alembert, d’un autre côté, moins pétulant mais plus fixe, jouant sec et serré, retient Voltaire et le maintient ; souvent excité par lui, il l’excite à son tour s’il le voit faiblir, et le remonte ; il l’irrite par ses petites passions et fomente avec soin ses colères ; il lui recommande nommément ses victimes. […] ce mot de curé nous dit tout : ce n’était qu’une autre passion chez Voltaire, qui venait à la traverse, et qui suspendait un moment l’autre passion moins forte et moins emportée. […] Mais Voltaire ne voulait pas seulement réparation et justice, il voulait du bruit ; dans une lettre à d’Alembert de cette date, il nous dit le secret de son acharnement, lorsqu’il écrit cette affreuse parole : « Je m’occupe à faire aller un prêtre aux galères. » Après avoir cherché assez inutilement à mettre M. de Brosses en mouvement pour cette affaire qui flattait sa passion dominante et sa haine, Voltaire revint à sa passion plus sourde, aux quatorze moules de bois et à l’avarice. […] Mentez, mes amis, mentez, je vous le rendrai dans l’occasion. » Quand on joue ainsi de bonne heure et si gaiement avec le mensonge, il nous devient un instrument trop facile dans toutes nos passions ; la calomnie n’est qu’un mensonge de plus ; c’est une arme qui tente ; tout menteur l’a dans le fourreau, et on ne résiste pas à s’en servir, surtout quand l’ennemi n’en saura rien.

443. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Philarète Chasles » pp. 147-177

Après tout, je l’ai dit et j’insiste, c’était un homme d’esprit et de talent, auquel on pardonnait ses prétentions, ses affectations, ses bouches-en-cœur intellectuelles, son cailletage, son maquillage, tout ce qu’il devait aux bas-bleus au sein desquels il a toute sa vie mitonné, et on les lui pardonnait parce qu’il aimait l’esprit avec la passion vraie qui fait tout pardonner, parce qu’il avait l’humeur facile, la bonne humeur, le goût large sans bégueulisme, l’appétit fringant des faits curieux et des idées nouvelles, et la dégustation des nuances. […] À la place, j’y ai trouvé l’humeur peccante de la Libre-Pensée, et des passions qui ne sont plus la charmante passion littéraire. […] Belle au point de vue de la passion furieuse, cette histoire est belle encore au point de vue de la justice. Ces six ans terribles d’une intimité sacrilège, ces six ans de crimes, non pas seulement à deux, mais à quatre, à cinq, car les deux coupables eurent des complices qui servirent leur passion ou qui s’y mêlèrent, finirent par le repentir et l’expiation dans des proportions épouvantables. […] — que les nerfs du grand artiste ; mais de ces nerfs, sur lesquels la passion, qui prend sa revanche, aurait joué comme Réményi sur son violon, il serait sorti la chose la plus résonnante et, pour nous tous, la plus délicieusement vengeresse.

444. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) «  Chapitre treizième.  »

De ce haut état où le portait la méditation religieuse, comment consentir à descendre dans le détail de la vie, à s’intéresser aux passions de l’homme, à ses misères, à ses grandeurs, à ses talents, au génie, à la beauté, à la jeunesse, à la gloire ? […] Il nous dit quelles formes diverses il affecte selon les conditions et les personnes ; ses commencements, sa contagion ; comment le mal s’étend de la partie affectée aux parties saines ; comment les passions s’enchaînent ; comment, pour me servir de ses paroles, ces passions que nous chérissons introduisent l’une après l’autre, pour ainsi parler, leurs compagnes qui nous font horreur118. […] Par ce sentiment de la réalité, qui est comme un premier, intérêt involontaire pour tout ce qui est de l’homme, tout en humiliant nos passions il ne se défend pas d’une sorte de plaisir à les peindre. […] Mais dans toute querelle théologique, il y a la part de la philosophie chrétienne ; il y a la lutte des caractères et des passions ; il y a enfin un tour d’esprit, une méthode, par où les contendants ont exercé sur les esprits une influence générale. […] Il n’y a eu ni chute par trop d’ambition, ni mauvaise foi, ni erreur de jugement, ni une volonté libre à qui la passion aurait fait prendre le faux pour le vrai ; il y a eu l’impossible.

445. (1903) Propos de théâtre. Première série

Nous sommes très loin des passions de tête, comme on a dit, et de l’amour métaphysique ! […] Les Juives sont une passion. […] Elle a sur ses passions un souverain empire et qui semble lui être assez facile. […] Pour le désarmer, il ne faudra pas lui dire que j’aime Polyeucte de passion. […] — Elle le deviendrait sans cela, par le mouvement naturel de sa passion.

446. (1882) Essais de critique et d’histoire (4e éd.)

Il outre l’excès de la passion. […] À force d’analyser l’imagination passionnée, le critique participe à ses visions et à sa passion, jusqu’à trouver sa passion et ses visions raisonnables. […] Les passions s’étaient contenues sous la discipline du devoir. […] Cette crudité de style et cette violence de vérité ne sont que des effets de la passion ; voici la passion pure. […] Pour chercher, pour découvrir, pour appliquer, il faut souhaiter avec passion.

447. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre IX. De l’esprit général de la littérature chez les modernes » pp. 215-227

Toutefois si la poésie d’images et de description reste toujours à peu près la même, le développement nouveau de la sensibilité et la connaissance plus approfondie des caractères ajoutent à l’éloquence des passions, et donnent à nos chefs-d’œuvre en littérature un charme qu’on ne peut attribuer seulement à l’imagination poétique, et qui en augmente singulièrement l’effet. […] Les affections morales, unies, dès la jeunesse, aux passions brûlantes, peuvent se prolonger par de nobles traces jusqu’à la fin de l’existence, et laisser voir encore le même tableau sous le crêpe funèbre du temps. […] Les habitudes ou les préjugés, dans les pays gouvernés despotiquement, peuvent encore souvent inspirer des actes brillants de courage militaire ; mais le pénible et continuel dévouement des emplois civils et des vertus législatives, le sacrifice désintéressé de toute sa vie à la chose publique, n’appartient qu’à la passion profonde de la liberté.

448. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre III. Les traducteurs »

L’un des maîtres de l’humanisme français, Budé, enfermé dans son grec et sa philologie, donne déjà des exemples de prudence et d’abstention, que tous ses successeurs ne suivront pas : pendant tout le siècle on rencontrera des natures réfractaires à la spécialisation, ou qui mêleront toutes les passions du temps dans leur activité scientifique ; mais le mouvement se fait en sens contraire. […] Le Contr’un, s’il n’est pas une traduction, est un écho : on y voit la passion antique de la liberté, l’esprit des démocraties grecques et de la république romaine, des tyrannicides et des rhéteurs, se mêler confusément dans une âme de jeune humaniste, la gonfler, et déborder en une âpre déclamation. […] Après l’assassinat de Henri III, son diocèse fut fort troublé par les passions religieuses, et son clergé même se révolta contre lui : on l’accusait de trop de fidélité au roi.

449. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 14, de la danse ou de la saltation théatrale. Comment l’acteur qui faisoit les gestes pouvoit s’accorder avec l’acteur qui récitoit, de la danse des choeurs » pp. 234-247

Comme le dit Ciceron, la nature a marqué à chaque passion, à chaque sentiment son expression sur le visage, son ton et son geste particulier et propre. Les passions que la tragedie traite le plus ordinairement, ne sont point celles que la comédie traite le plus communément. […] Qu’on se figure le vieillard, l’enfant, la femme, et le jeune homme des choeurs témoignans, ou leur joïe ou leur affliction ou leurs autres passions, par des démonstrations propres et particulieres à leur âge comme à leur sexe.

450. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IX. »

Il nous reste à suivre, avant cette époque, le jeu de la lyre dans les soins, les passions, les plaisirs familiers de la vie. […] La même passion sanglante, la liberté revendiquée au prix du meurtre, n’aurait pas ailleurs trouvé la même illusion de tangage : « Sous des rameaux de myrte je porterai le glaive97, comme Harmodius et Aristogiton, lorsqu’ils tuèrent le tyran et qu’ils firent Athènes libre sous les lois. […] Cicéron, il est vrai, nous dit que la poésie d’Anacréon roulait toute sur l’amour. » Mais un docte et ingénieux Hellène, l’empereur Julien98, désignait Anacréon comme ayant fait beaucoup de poésies, les unes sérieuses et graves, les autres agréables et riantes ; et il le nommait à côté d’Alcée et d’Archiloque, avec la seule différence de sa vie prospère et voluptueuse aux rudes épreuves, aux passions violentes ressenties par les deux poëtes de Lesbos et de Paros.

451. (1879) L’esthétique naturaliste. Article de la Revue des deux mondes pp. 415-432

Depuis de longs siècles, les générations passent devant leurs ouvrages et se figurent y retrouver leurs sentiments et leurs passions ! […] Elle combine un rendez-vous dans une vieille tour voisine du château où sa passion a enfin la promesse d’être satisfaite. […] Que ses passions soient ou non les conséquences de son tempérament, il éprouve des passions, il leur cède ou leur résiste. La peinture de ces mouvements intérieurs, leurs effets, les rencontres comiques ou terribles des caractères, des intérêts, des passions, voilà le vrai domaine du romancier comme de l’auteur dramatique. […] La république n’a pas de raison d’être, si elle n’est pas le gouvernement où les âmes sont le plus vraiment fières et libres : une démocratie qui n’aurait pas la passion de la beauté et de la grandeur morale serait la plus honteuse déchéance de l’humanité.

452. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — [Note.] » pp. 444-445

D’ailleurs depuis trois ans il avait quitté Florence, et l’éloignement est toujours un puissant remède pour cette malheureuse passion. […] En un mot, dans cette manière de voir qui serait volontiers la mienne, la passion amoureuse de Léopold Robert serait moins un cause active de sa mort qu’une forme qu’aurait affectée et revêtue sa maladie morale.

453. (1890) Causeries littéraires (1872-1888)

C’est un témoin, mais pas de ceux qui, ayant leurs préjugés ou leurs passions, voient les choses à travers ces passions et ces préjugés. […] Taine, — et cette passion maîtresse, c’est le besoin d’être aimé. […] Le bulletin de vote va supprimer les passions. […] Dumas par sa passion pour la physiologie. Espérons que cette passion n’aura qu’un temps.

454. (1857) Articles justificatifs pour Charles Baudelaire, auteur des « Fleurs du mal » pp. 1-33

N’est-ce pas le sublime du genre scolastique et académique que d’emprunter la pompe à Bossuet, la concision à la Bruyère, la profondeur à Pascal, l’ironie à Voltaire, la passion à Rousseau, etc., etc. ? […] Est-ce une raison pour retrancher de la poésie moderne tout un ordre de compositions qui a ses précédents, ses chefs-d’œuvre, j’allais dire ses classiques, et qui d’ailleurs répond si directement à une série de passions et de phénomènes ? […] Faites-leur lire l’Histoire des Voyages ou les Lettres édifiantes ; abonnez-les aux bibliothèques paroissiales ; mais écartez d’elles tout livre qui a l’Art ou la passion pour but ; vers, romans, pièces de théâtre, le meilleur n’en vaut rien pour elles. […] À quelle passion monstrueuse a-t-elle été sacrifiée ? […] Ce qui chez l’un découle d’un amour savant et puissant de la forme est produit chez l’autre par l’intensité et par la spontanéité de la passion.

455. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre premier. Des principes — Chapitre II. Axiomes » pp. 24-74

Convenons qu’il doit y avoir une Providence divine, une intelligence législatrice du monde : grâce à elle, les passions des hommes livrés tout entiers à l’intérêt privé, qui les ferait vivre en bêtes féroces dans les solitudes, ces passions mêmes ont formé la hiérarchie civile, qui maintient la société humaine. […] Cet axiome, rapproché du septième et de son corollaire, prouve que l’homme a le libre arbitre, quoique incapable de changer ses passions en vertus, mais qu’il est aidé naturellement par la Providence de Dieu, et d’une manière surnaturelle par la Grâce. […] Elles sont l’expression des passions et des sentiments, à la différence des pensées philosophiques qui sont le produit de la réflexion et du raisonnement. […] Les hommes interprètent les choses douteuses ou obscures qui les touchent, conformément à leur propre nature, et aux passions et usages qui en dérivent. […] Les grandes passions se soulagent par le chant, comme on l’observe dans l’excès de la douleur ou de la joie.

456. (1864) Études sur Shakespeare

Un luxe extravagant de fêtes, de parure, de galanterie, la passion de la mode, les sacrifices à la faveur, employaient les richesses et les loisirs des courtisans d’Élisabeth. […] Un poëte commence par être un poëte ; celui qui doit le devenir le sait presque dès l’enfance ; la poésie a été familière à ses premiers regards ; elle a pu être son premier goût, sa première passion quand le mouvement des passions s’est éveillé dans son sein. […] D’immenses intérêts, d’admirables idées, des sentiments sublimes ont été comme jetés pêle-mêle avec des passions brutales, des besoins grossiers, des habitudes vulgaires. […] Partout on verrait les caractères aussi peu tenaces que les passions, les résolutions aussi mobiles que les caractères. […] Dans la comédie, plus petits que la passion qu’ils excitent dans l’homme, les événements empruntent de cette passion une importance risible ; dans la tragédie, plus puissants que les moyens dont l’homme dispose, ils nous émeuvent du spectacle de sa grandeur et de sa faiblesse.

457. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre I : La science politique au xixe  siècle »

Les écoles politiques du xixe  siècle ont ce caractère général d’être plutôt des partis que des écoles : nées des événements et mêlées aux événements, elles n’ont guère cette impartialité abstraite qui caractérise la science ; et par la même raison, elles ont laissé ou laisseront peu de ces ouvrages mémorables et éternels, qui survivent aux passions d’un temps. […] Sa principale passion était de réhabiliter les hommes de 93 et de la Convention. […] Cependant elle n’était pas subjuguée tout entière par ces passions aveugles et exaltées, et les esprits élevés qui la dirigeaient avaient d’autres vues ; mais ils n’osaient pas toujours les dire. […] Séparées l’une de l’autre, l’école de la révolution sociale, et l’école de la révolution politique n’offraient qu’un médiocre danger aux partisans d’un libéralisme réglé ; liées ensemble et associant leurs passions et leurs espérances, elles pouvaient tout renverser.

458. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre III. Molière »

À sa mort, les passions ne désarment pas : on a peine à obtenir la permission de l’ensevelir. […] Il fut faible contre ses passions, peu rigoriste, et même relâché en certaines matières. […] Ces travers, ces vices, ces passions martyrisent les individus, ruinent les familles. […] Ainsi les grandes passions éternelles et les inclinations fondamentales de notre nature servent de base à la peinture des mœurs, et s’y font reconnaître. […] Les travers, les vices, les passions que peint la comédie, sont des erreurs du jugement, choquent la raison, et ainsi sont justiciables du rire.

459. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

La double passion se fait consciente en eux : le thème puissant du héros s’amollit ; leurs idées se joignent en l’étonnant dialogue, jusque le moment où l’amour, dominant, met aux deux cœurs l’émotion pareille. […] Au lieu de narrer vivement, tu rabâches ; au lieu de peindre la passion, tu t’accroches oiseusement aux mots !  […] Le seul but c’est le drame lui-même, c’est à dire l’action, la passion, la vie. […] Nul héroïque intérêt n’est en jeu ; il ne s’agit ni de patrie, ni de guerre, ni de religion, ni de politique : il n’est question que des amours du chevalier Walter et de la fille d’un orfèvre, et ce cadre étroit suffit à l’évocateur infaillible pour concentrer tout un monde de sensations, de passions et d’idées. […] Les cors, les altos, les violoncelles exhalent des soupirs d’indicible passion.

460. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 555-559

On peut assurer néanmoins que les Mémoires d’un Homme de qualité, l’Histoire de Cléveland, le Doyen de Killerine, seront toujours regardés, par les Connoisseurs, comme les fruits d’une imagination étonnante par la diversité des tableaux qu’elle y présente, par les contrastes qu’elle y ménage, par la chaleur qu’elle y souffle, par les passions qu’elle y remue, & par les mouvemens que ces passions produisent.

461. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre troisième. Histoire. — Chapitre V. Beau côté de l’Histoire moderne. »

Là, ce sont ces Bataves qui ont de l’esprit par bon sens, du génie par industrie, des vertus par froideur, et des passions par raison. […] Inquiets et volages dans le bonheur, constants et invincibles dans l’adversité, formés pour les arts, civilisés jusqu’à l’excès, durant le calme de l’État ; grossiers et sauvages dans les troubles politiques, flottants comme des vaisseaux sans lest au gré des passions ; à présent dans les cieux, l’instant d’après dans les abîmes enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnaissance, et le second sans en sentir de remords ; ne se souvenant ni de leurs crimes, ni de leurs vertus ; amants pusillanimes de la vie pendant la paix ; prodigues de leurs jours dans les batailles ; vains, railleurs, ambitieux, à la fois routiniers et novateurs, méprisant tout ce qui n’est pas eux ; individuellement les plus aimables des hommes, en corps les plus désagréables de tous ; charmants dans leur propre pays, insupportables chez l’étranger ; tour à tour plus doux, plus innocents que l’agneau, et plus impitoyables, plus féroces que le tigre : tels furent les Athéniens d’autrefois, et tels sont les Français d’aujourd’hui.

462. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIe entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier. — Correspondance de Chateaubriand (3e partie) » pp. 161-240

Les institutions sont aussi imparfaites que les hommes ; gouvernement parlementaire, république, monarchie tempérée, pouvoir absolu, tout a besoin de l’honnêteté des hommes d’État, ou tout s’écroule sous leurs passions. Ils s’en prennent ensuite aux institutions : c’est à leurs passions qu’il faut s’en prendre ; mais les passions sont aussi dans la nature : rien n’est stable parce que rien n’est dans l’ordre. […] Un prince peut donner satisfaction à des principes, il ne peut jamais satisfaire à des passions. […] M. de Chateaubriand avait de l’humeur, lui, contre la vie et contre la mort ; il était le tyran de l’amitié ; il fallait autant de patience que de tendresse à son amie pour le distraire de ses passions littéraires et de ses passions politiques. […] Elle avait la passion du nom de M. de Chateaubriand ; elle le voulait aussi grand dans le siècle qu’il était grand dans son cœur.

463. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIe entretien. Cicéron » pp. 81-159

Ce n’était pas une passion, c’était une pensée, qui se posait et qui se dessinait en lui sous les yeux du peuple. […] Les passions n’ont pas baissé de nos jours ; mais l’éloquence littéraire a perdu les foudres dont Démosthène, Cicéron, Vergniaud, ébranlaient leurs tribunes et pulvérisaient les factions ou la tyrannie. […] « Et ne dites donc pas qu’emporté par la haine, je déclame avec plus de passion que de vérité contre un homme qui fut mon ennemi. […] Éprise du génie et de la renommée de son second père, cette jeune Romaine l’aima et en fut aimée avec une passion qui effaça la distance des années. […] Les hommes pardonnent ; les femmes se vengent, parce qu’elles ont moins de force contre leur passion.

464. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

Quand ces grandes passions sont refusées à un homme, il faut se défier de lui. À défaut des grandes, il est réduit aux petites passions de la société : de l’envie, de la haine, de l’amour-propre, quelquefois de l’ambition et de l’intrigue, comme les Narsès de l’antiquité. […] La satire procède du dégoût ou de la haine, passions peu dignes d’être exprimées en vers immortels par les poètes. […] Boileau d’ailleurs n’eut point de vie, car il n’eut ni aventures ni passions. […] Il n’appartenait pas à un poète sans passion de parler des femmes.

465. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

La passion de Dieu et de l’intelligence des choses divines, qui précipitait alors tant d’âmes dans la solitude, l’arracha, dans la fleur de son adolescence, au monde. […] L’amour fut aussi le premier chant de cet enfant, dans l’âme duquel la passion idéale était éclose avant l’âge des passions terrestres. […] Artaud avait contracté auprès d’eux cette même passion des antiquités et des curiosités bibliographiques de l’Italie. […] Ma passion précoce pour l’Italie poétique l’intéressa à moi ; il m’ouvrit le sanctuaire du Dante ; il m’apprit à épeler vers à vers ce grand poème ou cette grande énigme dont il était le sphinx depuis tant d’années. […] Le vendredi saint du grand jubilé de 1300, Dante, arrivé, comme il le dit, au milieu du chemin de sa vie, désabusé de ses passions et de ses erreurs, commença son pèlerinage en enfer, en purgatoire et en paradis.

466. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIIe entretien. I. — Une page de mémoires. Comment je suis devenu poète » pp. 365-444

Et, à ce sujet, je ne puis m’empêcher de vous faire observer, en passant, que l’enfant, l’adolescent, le jeune homme, l’homme fait prendraient bien plus de goût à la littérature et à la poésie si les maîtres qui la leur enseignent proportionnaient davantage leurs leçons et leurs exemples aux différents âges de leurs disciples ; ainsi, aux enfants de dix ou douze ans, chez lesquels les passions ne sont pas encore nées, des descriptions champêtres, des images pastorales, des scènes à peine animées de la nature rurale, que les enfants de cet âge sont admirablement aptes à sentir et à retenir ; aux adolescents, des poésies pieuses ou sacrées, qui transportent leur âme dans la contemplation rêveuse de la Divinité, et qui ajournent leurs passions précoces en occupant leur intelligence à l’innocente et religieuse passion de l’infini ; aux jeunes gens, les scènes dramatiques, héroïques, épiques, tragiques des nobles passions de la guerre, de la patrie, de la vertu, qui bouillonnent déjà dans leur cœur ; aux hommes faits, l’éloquence, qui fait déjà partie de l’action, l’histoire, la philosophie, la comédie, la littérature froide, qui pense, qui raisonne, qui juge ; la satire, jamais ! […] Toutes mes passions futures encore en pressentiments, toutes mes facultés de comprendre, de sentir et d’aimer encore en germe, toutes les voluptés et toutes les douleurs de ma vie encore en songe, s’étaient, pour ainsi dire, concentrées, recueillies et condensées dans cette passion de Dieu, comme pour offrir au Créateur de mon être, au printemps de mes jours, les prémices, les flammes et les parfums d’une existence que rien n’avait encore profanée, éteinte ou évaporée avant lui. […] À défaut d’autres passions que mon cœur ne pressentait pas encore, je concevais une sourde et fervente passion de la nature, et, à l’exemple de mon surveillant muet, au fond de la nature j’adorais Dieu. […] Les violettes y représentaient les saintes tristesses du repentir, les muguets l’encens qui s’élève de l’autel, l’aubépine la miséricorde qui pardonne et sourit après les sévérités divines, l’églantine la joie pieuse qui rentre dans le cœur et qui l’enivre, l’œillet rouge de poète y représentait le cantique, les marguerites et les boutons d’or les voluptés et les passions méprisables du monde, qu’il faut fouler aux pieds, sans les voir ou sans les compter, en marchant au ciel. […] Mais, tout en élaguant très prudemment du livre les parties romanesques ou passionnées trop propres à allumer ou à efféminer les passions précoces de leur jeunesse, ils le laissèrent circuler à demi-dose dans leurs collèges.

467. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

Ici, ce qu’on reconnaît avant tout, c’est le caractère et le tempérament et la passion de l’écrivain de l’artiste. […] De même, dans les lettres d’Héloïse, l’érudition et la scolastique se mêlent avec la passion. […] qui ont la passion avec la réflexion, la conscience avec la science ! […] C’est ce qui a fait dire que la musique est la photographie des passions. […] Il semble que l’artiste ait ressenti lui-même la passion du Christ en la représentant.

468. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — I. » pp. 162-179

Il résulte de son récit que, peu après la paix des Pyrénées, le duc Charles IV de Lorraine étant venu en France, et ayant fait avec le roi le traité par lequel il lui cédait ses États après lui et l’instituait héritier de ses duchés de Lorraine et de Bar, trouva encore à travers cela le temps de s’éprendre d’une violente passion pour Mlle Marianne, qu’il rencontrait au Luxembourg chez sa sœur Madame, épouse de Gaston duc d’Orléans. […] La raison d’État intervint, et le secrétaire d’État Le Tellier, instruit de ce qui se passait, et qui avait fait avec M. de Lorraine le traité par lequel les duchés devaient être cédés au roi, conseilla de profiter de la conjoncture et de cet intérêt de passion pour tâcher d’obtenir ou confirmation ou mieux commencement d’exécution immédiate de ce qui avait été convenu. […] À quinze ans je l’ai connue, et à quinze ans j’ai commencé à l’aimer ; depuis, cette passion a toujours réglé ma vie, et il n’y a rien que je ne lui aie sacrifié… Il n’y a plus de lieu où j’aie envie d’aller, tout m’est égal ; ma chère Marianne donnait de la vie à tout ; et, en la perdant, tout est mort pour moi ; je découvrais tous les jours en elle de nouveaux sujets de l’aimer, sans pouvoir jamais en découvrir aucun de ne la pas aimer. […] Cependant la grande passion de Lassay à Rome fut pour la jeune princesse de Hanovre, Sophie-Dorothée, femme du futur électeur de Hanovre et roi d’Angleterre, Georges Ier : on a les lettres qu’il lui écrit et qui prouvent que, malgré les contrariétés, les obstacles et les jalousies qui vinrent à la traverse de cette liaison, il ne s’en trouva pas trop malheureux. Ces lettres de Lassay à la princesse sont assez jolies, mais pâles ; ce n’est point là le langage de la passion vraie : il a beau dire en dénouant et en s’éloignant : « Il vaut mieux que je meure et que vous viviez moins malheureuse.

469. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

Après avoir été contemporains ou fils des contemporains, après avoir passé nous-mêmes par les passions ou les suites d’impressions successives, par les flux et reflux des jugements contradictoires, complétons-nous jusqu’à la fin. […] Cet état de guerre, « qui contient et arrête les autres peuples, ouvrait au contraire au peuple anglais une sphère d’ambition sans limite et ne l’exposait presque à aucun péril. » Aussi il s’y était engagé avec tout le feu de la cupidité et de la passion. […] Armand Lefebvre a écrit là-dessus des pages très-vraies, très-fermes et qui, exemples de passion comme de complaisance, expriment très-bien le caractère du régime dominant à l’extérieur depuis 1806 jusqu’en 1813. […] Lui, il joignait de plus à la passion le génie qui crée les moyens et qui organise : il fut contre nous le grand instigateur et directeur de la ligue des nationalités5. […] Les fautes gratuites et funestes, les entreprises non provoquées et risquées sans nécessité, les excès et les fougues de la passion ne sauraient obscurcir ni faire perdre de vue cette vérité capitale, inhérente à la nature même des choses.

470. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

C’était un peuple dont la puissance consistait dans une volonté suivie, plutôt que dans l’impétuosité de ses passions. […] Les chefs du peuple n’ont, pour ainsi dire, aucune idée de la postérité ; les orages du présent sont si terribles, les revers et la prospérité portent si loin la destinée, que toutes les passions sont absorbées par les événements contemporains. […] Les anciens n’ont point approfondi les passions humaines, comme l’ont fait quelques moralistes modernes ; leurs idées même sur la vertu s’y opposaient nécessairement. […] Leur éloquence elle-même n’est point animée par des passions irrésistibles ; c’est la chaleur de la raison qui n’exclut point le calme de l’âme. […] La verve injurieuse de Démosthène, l’éloquence imposante de Cicéron, les moyens que Démosthène emploie pour agiter les passions dont il a besoin, les raisonnements dont Cicéron se sert pour repousser celles qu’il veut combattre, ses longs développements, les rapides mouvements de l’orateur grec, la multitude d’arguments que Cicéron croit nécessaires, les coups répétés que Démosthène veut porter, tout a rapport au gouvernement et au caractère des deux peuples.

471. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

Exceptons pourtant quelques coups de pinceau de Descartes dans ce petit Traité des passions (1649), où il fait voir ce qui se passe au fond de l’homme, considéré comme corps, quand il est sous l’empire des passions. […] Descartes décrit, et le plus souvent imagine arbitrairement les effets physiques des passions ; Buffon décrit les attitudes qu’elles font prendre à l’homme ; il montre les mouvements de l’âme dans la pantomime du corps. […] » Mais il n’y a pas un certain principe qui cède à la passion et un autre qui lui résiste ; c’est le même qui est tour à tour vainqueur et vaincu, et qui sent sa victoire par son contentement de lui-même, sa défaite par ses remords. […] Tandis que la plupart des hommes supérieurs, soit fatigue, soit défiance mélancolique dans les vues de l’esprit si souvent démenties, finissent par le détail, le fait, et s’éteignent dans les timides plaisirs de l’érudition, c’est le temps pour Buffon de l’invention, des affirmations hardies, de la foi dans l’esprit, de la passion pour cette recherche des causes où Virgile rêvait le bonheur du sage.

472. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Sa passion n’a jamais passé le désir. […] Ce n’est plus de la passion, c’est du rut sauvage et presque bestial. […] Cette femme de marbre excite pourtant des passions effrénées ; il y a de la magie dans ses yeux de diamant qu’aucune larme n’a jamais ternis. […] Certes, la passion est une redoutable sorcière : elle a des philtres qui rendent fous et des enchantements qui dépravent. […] Tout l’excite à le pousser vers le châtiment : son ressentiment, sa nature ardente, l’idée de justice et de talion conjugal qu’elle n’a, jusqu’ici, cessé de poursuivre ; l’espoir, à jamais perdu, de ramener cet homme perverti par une passion basse… A peine a-t-il fait un pas vers la porte qu’elle se jette au-devant de lui et, de ses bras ouverts, qui bientôt l’enlacent, lui barre le passage. — « N’y va pas !

473. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Philarète Chasles » pp. 111-136

De pensée et de vie, Philarète Chasles resta Philarète et le plus singulier des Philarète, car Philarète veut dire « amant de la·vertu », et je ne sache pas qu’il ait eu jamais de passion malheureuse pour cette dame-là ! […] Je sais où sont ses préférences, ses passions, ses amours intellectuels, mais ses convictions ? […] On sait la passion qu’il eut longtemps pour l’Académie. Si cette passion finit par s’exprimer comme la haine, en ses derniers jours, c’est que la haine n’était que la fureur de l’amour de toute sa vie méprisé. […] IV C’est, en effet, ce mélange de dandysme et de monde, avec les labeurs incessants de l’esprit le plus infatigable, qui fait l’originalité de Philarète Chasles, de cette personnalité singulière, — mi-partie, comme le costume des Boulions au Moyen Âge, de choses voyantes et contrastées, d’élégance, de passion, de sérieux — trop rarement !

474. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Fervaques et Bachaumont(1) » pp. 219-245

Fervaques est un esprit ardent, enthousiaste, remuant, sensitif, d’une vie littéraire dans laquelle palpite l’autre vie, — la vie réelle, — qui en est toujours le fonds et le tréfonds, et sans les passions, les souvenirs, les douleurs de laquelle le talent n’est pas. […] … C’était audacieux de la peindre, mais, puisqu’on en avait l’audacieuse fantaisie, il fallait la peindre avec l’intelligence des grands peintres, qui sauvent tout des sujets les plus dangereux par la passion et par l’accent de leur peinture. […] Il en a la passion et il nous les peint dans des tableautins de quelques lignes, avec un fusain aussi léger, aussi rapidement emporté que les choses mêmes qu’il nous retrace. […] Mais peindre la figure d’un monde qui passe, — qui demain sera passé, — voilà où gît l’intérêt de ces peintures, qui fixeront les modes, les manies, les engouements, les frivolités, les passions qui s’envolent chaque jour d’un siècle, sous les yeux charmés de l’avenir. […] Lisez dans Bachaumont les chapitres intitulés : Les Dernières Grandes Dames, Les Femmes à l’Assemblée nationale, devant l’autel, en carême, en religion, et vous serez édifié suffisamment sur les chinoiseries, à la portée de tout le monde, qui ont remplacé la vie, la passion, la conviction, l’esprit, les fiertés de la race, dans ce monde qui n’est plus qu’un monde de fantômes, jouant à la vie !

475. (1858) Cours familier de littérature. V « XXIXe entretien. La musique de Mozart » pp. 281-360

Comment l’artiste communique-t-il à cet air immobile et muet les idées, les sentiments, les passions de son âme en langage de son, et comment cet air immobile et mort tout à l’heure communique-t-il à son tour à notre âme les idées, les sentiments, les passions du musicien ? […] La musique est ainsi une association et une combinaison de bruits pour produire une sensation ; cette sensation produit à son tour en nous une impression, une pensée, un sentiment, une passion. […] La consonance de toutes les passions qui dorment muettes sur nos fibres humaines s’éveille à la consonance des notes qui vibrent dans la voix ou sous l’archet de l’instrument. […] La vive piété dont il était animé lui venait sans doute encore de sa passion innée pour la musique ; car, quand on aime un art avec passion, cet amour qu’on a pour cet art ne tarde pas à s’élever jusqu’à l’infini, et, quand on s’élève, l’infini de l’art touche à l’infini de la création, c’est-à-dire à Dieu. […] On songe à lui faire écrire un opéra, c’est-à-dire le poème épique du chant, avant l’âge où les passions ont donné leur note dans un cœur d’homme.

476. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

A-t-elle mieux buriné les passions, les caractères, les vices, les mœurs ? […] Après avoir dépeint, à satiété, les passions suivant la nature, nos auteurs, à la mode, en arrivent à celles contre nature. […] Nous comptons alors deux naturalismes le naturalisme normal et le naturalisme anormal motivé par la passion, surexcité, dévoyé par l’éréthisme organique. […] Les auteurs ont accouru à tous les genres romans d’histoire, d’aventures, de passions, de sentiments, de mœurs, de crime, ont été constamment faits, refaits et réédités à satiété. […] Il est absolument contraire à la vérité que les femmes d’ivrognes partagent, tôt ou tard, cette immonde passion.

477. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre II. De l’Allégorie. »

Cette passion, active comme sa mère, peut à son tour croître, se développer, prendre des traits, devenir un être distinct. Mais l’objet physique, être passif de son essence, qui n’est susceptible ni de plaisir ni de douleur, qui n’a que des accidents et point de passions, et des accidents aussi morts que lui-même, ne présente rien qu’on puisse animer.

478. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Pierre » pp. 200-201

C’est une grande figure, froide, imbécile, sans action, sans passion, sans mouvement, sans caractère, ne prenant pas le moindre intérêt à ce qui se passe. […] Il ne faut pas prendre de la grimace pour de la passion.

479. (1912) Pages de critique et de doctrine. Vol I, « I. Notes de rhétorique contemporaine », « II. Notes de critique psychologique »

Les passions souhaitées ne viennent pas. […] Je n’ai jamais été cueillir sur le Golgotha les fleurs de la passion. […] Il l’a touchée moins par la passion éprouvée pour elle que par l’hommage pour la Lorraine enveloppé dans cette passion. […] Cette correspondance de passion poserait donc — osons prononcer le mot — sur un mensonge ? […] À la petite Sefchen il dut la passion des chants populaires et le goût du romantisme.

480. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Mais j’allais oublier de vous parler de la couleur de la passion ; j’étais pourtant tout contre. Est-ce que chaque passion n’a pas la sienne ? Est-elle la même dans tous les instants d’une passion ?

481. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Philippe II »

même sans la foi religieuse qu’il n’a pas, l’historien n’a point le droit de n’en pas tenir compte dans la vie des hommes dont il écrit l’histoire ; car cette foi religieuse, même inconséquente, même violée et faussée par les passions qui entraînent hors de Dieu, fût-ce dans les voies les plus scélérates, cette foi religieuse, tombée et ravalée jusqu’au fanatisme de Philippe II, par exemple, est encore une grande chose, qui grandit l’homme par le Dieu qu’elle y ajoute, et qui, s’imposant au moraliste dans l’historien, doit le forcer à s’occuper d’elle. […] Le fanatisme religieux ôté de l’âme de Philippe II, il se fait à l’instant en lui le vide de l’homme qui a besoin de l’idée de Dieu pour être quelque chose, et Forneron, avec son regard exercé, voit, dans ce vide où l’idée de Dieu s’embrouillait avec les passions et les vices, ce qui reste de Philippe II, c’est-à-dire un des plus vulgaires despotes qu’ait corrompus la royauté. […] Henri IV n’a pas le fanatisme religieux qui fut la plus honorable passion du XVIe siècle, et pour cette raison, qui n’est pas la seule, du reste, mais qui est la plus puissante, il est peut-être la seule figure de son histoire qui soit entièrement sympathique à Forneron, l’écrivain politique de ce temps, qui, au temps de Henri IV, se serait certainement rangé dans le parti des politiques, qui mirent fin à la guerre civile et tirèrent de la vieille Constitution de la monarchie catholique, qui avait été la monarchie française, une monarchie d’un autre ordre, — la monarchie des temps modernes.

482. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XVIII. Siècle de Constantin. Panégyrique de ce prince. »

Si nous examinons maintenant son caractère et ses qualités personnelles, nous lui trouverons cette ambition sans laquelle un homme n’a jamais donné un grand mouvement à ce qui l’entourait ; cette activité nécessaire à tous les genres de succès, à la guerre surtout, et dans un empire qui embrassait cent provinces ; cette férocité qui était le vice général du temps, et qui lui fit commettre des crimes, tantôt d’une barbarie calme, comme le meurtre de son beau-frère, celui de son neveu, et celui des rois prisonniers qu’il fit donner en spectacle et déchirer par les bêtes, tantôt des crimes d’emportement et de passion, comme les meurtres de sa femme et de son fils ; cet amour du despotisme presque inséparable d’une grande puissance militaire et de l’esprit de conquête, et surtout de l’esprit qui porte à fonder un nouvel empire ; un amour du faste, que les peuples prennent aisément pour de la grandeur, surtout lorsqu’il est soutenu par quelques grandes actions et de grands succès ; des vues politiques, sages, et souvent bienfaisantes, sur la réforme des lois et des abus, mais en même temps une bonté cruelle qui ne savait pas punir, quand les peuples étaient malheureux et opprimés. […] Il y a apparence que son génie fit ses succès ; ses passions, ses crimes ; et le christianisme, ses lois. […] Des principes qui tendaient à élever la faiblesse, à rabaisser l’orgueil, à égaler les rangs par les vertus, devaient donner à l’éloquence un mélange de force et de douceur ; enfin, l’étude et la méditation des livres sacrés, répandirent souvent sur ces discours une teinte orientale, inconnue jusqu’alors aux orateurs de l’empire ; d’un autre côté, le mépris d’une vaine gloire, l’absence des passions, l’impression que l’orateur faisait souvent par la seule idée du Dieu dont il était le ministre ; enfin, la persuasion qu’entre les mains de la divinité tous les instruments sont égaux, durent ou retarder, ou affaiblir les progrès de ce genre d’éloquence.

483. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

Ce n’était pas sans doute que la passion et le luxe des arts fissent défaut dans Rome ; mais cette passion était désordonnée ; ce luxe infâme, cruel, meurtrier. […] Le poids de la mort est lourd à celui qui, trop connu de tous, meurt sans se connaître lui-même. » Rien de moins fécond et de plus monotone que cette passion du repos et de l’oubli sur la terre, quand elle ne se tourne pas en aspiration vers le ciel.

484. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Cherchons dans les passions du pays des ennemis qui puissent l’assaillir, l’exercer et la roidir. […] Lovelace a toutes les mauvaises passions des Harlowe, et, par surcroît, du génie pour les aiguiser et les empirer. […] Rancune, intérêt, aucune des passions à longue portée n’a de prise sur lui. […] La méchanceté, la stupidité, tout l’ignoble venin des plus ignobles passions humaines en suinte et en distille. […] That command of my passions which has been attributed to me as my greatest praise, and, in so young a creature, as my distinction.

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