Les bonshommes de l’endroit, scandalisés, diront, comme le Mercure de Molière : Avec quelle irrévérence Parle des dieux ce maraud ! […] Il est entré dans l’histoire et il a parlé comme on entre et on parle au café de Madrid ; et cette façon sans cérémonie d’être historien, ce lâché, ce débraillé, ce cure-dents aux lèvres, devront paraître très piquants dans une société qui ne se gêne plus et où les hommes, dégingandés dans leurs ganaches, mettent leurs pieds sur la cheminée de leurs maîtresses. […] qui nous l’ôte, après nous l’avoir donné, dans cet inconcevable épilogue dont je suis bien obligé de parler, et dont je ne m’explique ni la nécessité, ni la présence !
Excepté du roi de Prusse, à l’adoration duquel il y a une contrepartie, Voltaire n’avait parlé ainsi de personne. […] On ne peut parler que de ce qu’il y a de réussi dans ses œuvres ; or, si vous exceptez les Pensées (il y en a neuf cent quarante-cinq, en comptant celles qu’il supprima), tout est à peu près avorté. […] Il sourit amèrement quand il parle à son ami Mirabeau « de traîner son esponton dans la crotte », et il n’a pas l’air de comprendre que cela, qui le dégoûte, le préserve de traîner son âme, plus avant que son esponton, dans les fanges brillantes de son siècle ! […] Nous avons parlé des miasmes du temps qui l’atteignirent.
Nous n’avons point aujourd’hui à parler de ces Poèmes de la mer sur lesquels nous reviendrons peut-être. […] sur celui de Molière qu’il énerve, affadit et disloque, tombe de dix degrés dans cette trivialité supportable et de ressemblance, à la scène, dans la bouche d’une servante comme Dorine ou d’un vieux bourgeois comme Gorgibus, mais devient dans un poème où le poète parle toujours, d’une incomparable platitude. […] V Pourquoi donc, cette vulgarité étant donnée, parler si longtemps de ce poète ? […] Autran parle dans sa préface, remontait des mérites de M.
I Quand nous avons parlé la dernière fois de MM. de Goncourt, ce fut avec une grande sympathie, — à propos de leur livre sur Marie-Antoinette. […] Or, comme il n’y avait là à attendre ni manière nouvelle de regarder et de juger cette société méprisable en tout, depuis ses mœurs jusqu’à ses arts, ni manière nouvelle non plus dans le procédé pour la peindre, car on ne renouvelle son talent qu’en agissant fortement sur le fond même de sa pensée, nous n’eussions plus parlé de MM. de Goncourt. […] … Le dix-neuvième siècle de l’en-bas, du petit journal bien infect, de l’homme de lettres plus ou moins avarié, de l’actrice, de l’atelier, du café et des divers argots que l’on parle en ces endroits-là ; le dix-neuvième siècle qui n’existe qu’à Paris, et encore à cinq ou six places dans Paris, entre quinze cents drôles et quinze cents drôlesses à peu près, le dix-neuvième siècle qui, par ses affinités et ses ressemblances morales avec le dix-huitième siècle, attire le plus l’imagination de MM. de Goncourt. […] Aux premières pages, ils parlent de « cabrioler dans la tape sur le ventre », ce qui étonnerait Auriol lui-même ; et plus loin, pour finir une description incroyable, ils écrivent (page 263) : « L’ombre jeta sur l’eau un voile plombé où le croissant de la lune laissa tomber une grappe de faucilles d’argent. » C’est sous des images de cette in-justesse que doit périr immanquablement la langue dans les livres de MM. de Goncourt, et que la rhétorique qui veut faire image de tout en emportera le pur génie dans un flot éclaboussant de vermillon !
Comment se fait-il donc (je parle ici pour moi et pour quelques-uns) que, l’admirant, nous ne parvenions pas à l’aimer, et qu’il y ait, dans les sentiments qu’il nous inspire, un peu d’incertitude, de malaise, presque de défiance ? […] Bien entendu, je ne compare point le talent d’expression, ne me faites pas dire une sottise : je ne parle que de la clarté du tableau. […] On sent que c’est quelque chose de voulu, de convenu, et que l’écrivain a jugé bienséant, à certains endroits, de parler de Dieu.
Tous les fabulistes ont fait parler les animaux ; mais La Fontaine entre, plus qu’eux tous, dans le secret de nos passions, quand il les fait parler. […] Quelques gros partisans… Voilà un bon trait de satyre, et il est plaisant de faire parler ainsi le petit poisson.
C’est lui-même : il m’échauffe ; il parle ; mes yeux s’ouvrent, Et les siècles obscurs devant moi se découvrent. […] Nous ne parlons point d’Athalie, parce que Racine, dans cette pièce, ne peut être comparé à personne : c’est l’œuvre le plus parfait du génie inspiré par la religion. […] On admire plus l’un, on aime plus l’autre ; le premier a des douleurs trop royales, le second parle davantage à tous les rangs de la société.
. — C’est pourquoi, bien que logées par nous dans les organes, les sensations dont on a parlé nous apparaissent comme internes et se rattachent au moi. — Telle est notre conception du sujet actuel ; voilà tous les faits présents et réels qu’elle renferme. […] En effet, si, pour nous souvenir d’un de nos événements un peu lointains, il nous fallait évoquer les images de toutes nos sensations intermédiaires, l’opération serait prodigieusement longue ; à parler exactement, elle emploierait autant de temps qu’il y aurait de temps écoulé entre cet événement et le moment présent. […] « Au début, selon les malades, c’était quelque chose d’idéal, et comme un esprit qui parlait en eux ; maintenant, ils entendent réellement parler » ; les voix sont claires ou sourdes, graves ou aiguës, mélodieuses ou criardes. […] Si l’image par sa présence provoque d’un côté une illusion constante, qui est le souvenir, d’un autre côté elle compense cette illusion par son origine, qui est presque toujours une sensation antérieure ; si j’ose ainsi parler, elle rectifie, d’une main, l’erreur où, de l’autre main, elle nous induit. […] Boire, manger, dormir, marcher, lire, écrire, parler, chanter, manier les corps, exercer un art, une profession, un métier, aucune de nos actions usuelles ne s’accomplit sans l’intervention d’une multitude innombrable d’attentes forcément justes.
La pension dont j’ai parlé plus haut cessa de m’être payée à l’époque de l’invasion de Ferrare par les Français. […] « Ce n’est pas ici le lieu de parler de l’importance, de l’étendue, de la direction et de l’administration qu’entraîne cette œuvre gigantesque. […] Je priai le cardinal secrétaire d’État (Boncompagni) de parler de moi au Souverain Pontife en même temps que des autres concurrents. […] On crut d’abord que le cardinal lui-même devait lui en parler. […] Cette nouvelle prit à peine consistance que l’on parla de faire le soir même la cérémonie du baisement des mains.
Il parlait aux flots qui étouffaient sa voix, et moi aux partis qui cherchaient à étouffer la mienne. […] pour celui-ci, répondit Charles X, ne m’en parlez pas, il me fait dire trop de sottises ! […] on n’en parla même pas. […] J’appris laborieusement à improviser ; moins je parlais de mémoire, plus j’étais heureux dans mes répliques. […] Personne, excepté M. de Montalivet, n’en peut parler plus véridiquement.
» « Le pâtre cessa de parler, et découvrit l’enfant qu’il portait. […] Si cependant, pour cela, je mérite quelque punition, me voilà prêt. » « Tandis qu’il parlait, un pressentiment se glissait dans l’esprit d’Astyage. […] Il resta quelque temps sans parler. […] « J’ai déjà parlé des Gètes, qui ont pris le surnom d’immortels. […] Onésilus, instruit de cette particularité, en parla à un de ses écuyers, Carien de naissance, homme très-expert dans l’art de la guerre, et d’une grande force d’âme
Quand il parle de son œuvre, il a la modestie la plus charmante, une modestie qui n’est plus guère de ce temps-ci, où la vanité littéraire a perdu toute pudeur ; et quand il parle de sa personne, il a l’humilité la plus vraie. […] À condition, bien entendu, qu’ils me laissent penser et parler à ma guise dans mon privé. […] Cependant ma pensée est droite et logique : mais j’ai trop cru au devoir, et j’en ai trop parlé. […] Il a parlé dignement, et des Contemplations, et de la première partie des Misérables. […] Il parle de sa manie rimante avec un mélange de modestie à demi sincère et d’inquiétude tout à fait plaisante et « gentille ».
Mais, dès maintenant nous pouvons parler du corps comme d’une limite mouvante entre l’avenir et le passé, comme d’une pointe mobile que notre passé pousserait incessamment dans notre avenir. […] Nous voulons parler de la manière dont ces malades dessinent. […] Comment les sons perçus parleront-ils à la mémoire, comment choisiront-ils, dans le magasin des images auditives, celles qui doivent se poser sur eux, s’ils n’ont pas déjà été séparés, distingués, perçus enfin comme syllabes et comme mots ? […] La répétition a pour véritable effet de décomposer d’abord, de recomposer ensuite, et de parler ainsi à l’intelligence du corps. […] On peut encore suivre et comprendre la parole alors qu’on est devenu incapable de parler.
Nous ne parlons que de ce qu’il a fait dans le genre littéraire ; & l’on peut dire que ses Entretiens sur les Sciences & la maniere d’étudier, forment une composition estimable, dont la lecture seroit très-utile aux jeunes gens assez sages pour vouloir s’instruire, avant d’exercer leur plume au hasard & sans principes. […] Sa Rhétorique, ou l’Art de parler, sans être le meilleur Ouvrage que nous ayons dans cette partie, est néanmoins très-propre, par l’érudition & la profondeur des réflexions qui y dominent, à former l’esprit, & à lui faire contracter l’heureuse habitude de juger des choses sur des principes clairs & solides.
En vérité je lui pardonne ; S'il n'eût mal parlé de personne, On n'eût jamais parlé de lui.
Si son début était sans importance, nous n’en parlerions pas ; nos conseils prouvent assez notre sympathie. […] Les acteurs parlent debout pendant une demi-heure : ils s’assoient pour parler encore ; ils se relèvent pour continuer leur dialogue ; personne n’a paru étonné de les entendre pérorer si longtemps. […] Scott est encore plus inintelligible dans la scène dont je parle. […] Je parlerai sincèrement, sans déguiser, sans atténuer mes répugnances. […] Parlerai-je de madame Volnys et de madame Albert ?
« — Parle, Myrrha, je le veux. […] … Parlez, et je vous obéirai encore ! […] Malasvon parle de son opération. […] Parlez plus haut ! […] Je voudrais ne parler que d’elle, ne paraître occupé que de sa mémoire.
aucune peut-être n’a parlé avec tant de naïve impudeur des mystères de la femme : elle nous ouvre les portes secrètes du gynécée. […] C’est lorsqu’elle parle la langue simple et presque rurale qui lui est familière que Marie Dauguet atteint sa plus parfaite beauté. […] Mais lorsqu’on parlera de Renée Vivien, il faudra oublier ce blasphème des dernières heures, pour ne se souvenir que de la beauté de son chant d’amour. […] « Ainsi parlait Zarathoustra. […] Et voilà qu’elle esthétise la foule hurlante : elle parle du « pain » avec une émotion bien écrite.
Suard, l’abbé Morellet, n’était plus philosophique que littérairement, pour ainsi parler. […] Au point de vue de l’écrivain, un inconvénient est d’apporter plus d’uniformité entre ce qu’on parle et ce qu’on écrit ; on parle avec plus de verve, on écrit avec moins. […] Mais je ne parlerai un peu que de ses romans ; elle en a composé plusieurs : j’en ai lu deux. […] Le second roman de Mme de Rémusat dont j’aie à parler, les Lettres espagnoles ou le Ministre, est une composition d’un autre ordre, et plus importante. […] Oserai-je vous parler de ces faibles vertus dont les hommes insensés me louaient, parce qu’ils ignoraient qu’elles n’étaient point accompagnées de sacrifices ?
Elle avait souvent l’occasion de lui parler, et toujours avec douceur, soit pour le remercier de ses attentions à l’égard du vieillard, soit pour le remercier du double travail qu’il s’imposait pour son soulagement. […] Je m’étais dit, au moment où je cassais ma cruche : Si nous nous revoyons sans nous être avertis que nous allons nous revoir, Hyeronimo et moi, nous sommes perdus ; il faut donc nous avertir sans nous parler avant de nous rencontrer face à face ; quel moyen ? […] Mais lui, plus fort, plus homme, plus courageux, revenu de son premier étonnement, parla le premier. Le son de sa voix m’entra comme une musique dans tout le corps, je crus qu’un esprit de lumière était entré dans la caverne et m’avait parlé. […] Je n’osai rien témoigner de mon angoisse, de peur de me révéler, et j’attendis que le bargello fût ressorti de la prison pour faire parler, si j’osais, sa bonne femme.
À peine eut-elle pris sa place accoutumée, que trois ou quatre vieux personnages s’approchèrent d’elle, lui parlèrent avec le plus tendre intérêt. […] Elle n’ouvrait pas la bouche, et cependant elle semblait parler à son tour, tant ses traits mobiles avaient d’expression ! […] Elle était de la religion qui parlait le plus éloquemment de la nature et de la liberté en s’élevant cependant à l’adoration du Créateur : c’était alors celle du philosophe de Genève exprimée dans la profession de foi du Vicaire Savoyard. […] Nous l’ignorons, mais c’est un fait historique et universel qu’aucune femme encore n’a pu chanter comme Homère ni parler comme Démosthène. […] Elle emprunta quelque chose du style de ce grand harmoniste et de ce grand coloriste pour parler de lui.
J’imagine ce bout de dialogue auquel il ne manque que l’esprit et le tour de main de Voltaire : « … Ce mandarin parle si bien, reprit Kou-Tu-Fong, qu’il fait courir à ses leçons toutes les dames de Pékin Ce qu’il dit est donc bien neuf ? […] Il parle d’« ingratitude », de « déloyauté », de « trahison », de « sécheresse de cœur ». […] Deschanel parle encore ici d’« ingratitude34 ». […] « Pour parler net, dit M. […] C’est ici une convention nécessaire, que les acteurs, tout en agissant souvent comme des fous furieux, continuent de parler comme Euripide et Sophocle, quand Sophocle et Euripide s’appliquent à bien parler.
je ne parlerai pas d’eux, parce que je n’y comprends rien et que cela m’ennuie. […] Et pensez-vous qu’un saint ait jamais mieux parlé à Dieu que M. […] Qui est-ce qui parle ? […] Cette tête lui parle : « J’étais en état de péché mortel quand tu m’as tué. […] Maintenant si le poète chante pour être entendu de lui seul, c’est bon, n’en parlons plus.
Nous avons parlé des silences d’Eschyle et de leur sombre éloquence, ils suivaient ses grands foudroiements. […] Ils croisent les bras, ils adorent, prosternés devant le suaire qui l’enveloppe, comme devant le rideau de pourpre qui le voilait, les jours d’audience, aux yeux de sa cour. — « Je crains de te regarder, je n’ose te parler, l’antique respect me retient. » — Darius les dispense du cérémonial, en roi d’outre-tombe qui sait ce que vaut la fumée des hommages terrestres. — « C’est à ta prière que je viens d’en bas ; parle donc, et brièvement ; laisse là le respect. » Mais les vieux serviteurs se replongent dans leur vénération et dans leur néant, ils n’osent regarder fixement ce soleil couché. — « Je crains de t’obéir, je crains de te parler. […] Des flots de sang s’épaissiront sous la lance dorienne, dans les champs de Platée ; les monceaux de cadavres, jusqu’à la troisième génération, parleront, muets, aux yeux des hommes. […] Il parle aux Vieillards d’une rive à l’autre ; le fleuve de la vie qu’il a passé roule entre eux. […] Il apparaît accoutré des guenilles royales dont Darius parlait tout à l’heure, un carquois sans flèches pendant à l’épaule, plus lugubre encore que son père, étant un spectre vivant.
Là grâce même d’Eschyle, cette grâce étrange et souveraine dont nous avons parlé, a quelque chose de cyclopéen. […] Æquum est, c’est Plaute qui parle, vos deo facere silentium. […] Nous parlons ici du naufrage matériel, car, comme nous l’avons dit, le vaste nom d’Eschyle surnage. […] Nous ne parlons pas de Néron, qui est à la mode. […] Nous avons parlé de sa gaieté.
Je laisse maintenant parler pour moi MM. […] Le feuilleton parle pour tout le monde. […] S’il le craint encore ou s’il a cessé de le craindre, je ne sais, mais il parle avec l’amertume d’un vaincu qui raconte ses défaites. […] C’étaient des scélérats qui parlaient ; les poètes étaient innocents ! […] Il a joué une comédie, mais c’est la comédie sanglante dont parle Pascal.
À Paris, les arts et la poésie sont un sujet de discussion au lieu d’être un amour ; il n’y a pas de pays où l’on en parle plus et où l’on en jouisse moins. […] Songez que vous parlez à ce peuple français, le premier peuple du monde, parce qu’il est le plus chevaleresque et en même temps le plus philosophique ; à ce peuple changeant il est vrai, parce qu’il est étonnamment impressible, mais qui sait souffrir et mourir pour une doctrine, qui fait la guerre pour le triomphe d’une idée, et dont les fureurs même ont été commises au nom d’un principe. Parlez-lui donc de gloire et de sagesse, de discipline et de liberté, d’enthousiasme et de raison, il vous comprendra et vous obéira. […] Quelques grands modèles de la nouvelle beauté tragique dont notre théâtre doit nécessairement s’enrichir, sous peine de mort, parleront plus haut que tous les raisonnements, et c’est pourquoi la révolution dramatique ne saurait être mieux commencée que par la représentation des chefs-d’œuvre de Shakespeare traduits en vers français avec audace et fidélité. […] Shakespeare au contraire est un génie qui répond à toutes les passions modernes, et qui nous parle de nous dans notre propre langage ; et puis, les moyens d’exécution de ses ouvrages sont à peu près les mêmes que pour nos tragédies.
Voilà un homme qui n’a jamais su parler d’abondance, qui n’a jamais su même soutenir une conversation un peu suivie, qui balbutiait, qui bredouillait, et voilà l’homme qui a étudié le droit pour être avocat. […] Il avait le plus tendre et le plus durable, si je puis ainsi parler, à savoir Maucroix, qui habitait Reims, qui avait étudié endroit, lui aussi, et qui devait, lui, devenir chanoine à Reims. […] A coup sûr, il a connu Jean Sobieski, qui était mousquetaire à cette époque-là et qui devait, un jour, devenir roi de Pologne et dont il a parlé dans ses œuvres. […] Il est évident qu’il faut, pour parler de la sorte, avoir du génie et aussi de la tendresse. […] La Fontaine écrivant aux Vendôme, parle un peu leur style, et il n’y a peut-être pas autre chose.
Avant Balzac, en effet (et nous parlons du Balzac de 1830), qui donc avait songé à produire un livre comme le sien ? […] Et je ne parle que de l’expression. […] Et, quand je parle ainsi, que l’on m’entende bien ! […] Mais si on admire un grand poète dramatique parce qu’il a la force de s’effacer et de parler à travers le personnage d’un autre, que doit-on penser de Balzac, qui, pendant trente Contes plus longs qu’aucun drame, parle à travers la passion, les manières de voir et la langue vraie du xvie siècle ? […] On a beaucoup parlé de Doré comme d’un homme sachant son Moyen Âge sur le bout de son crayon, et nous n’avons rien à ajouter à cet éloge.
Si je parle quelque jour de Villehardouin, qui l’a précédé, il sera sensible, en passant de l’un à l’autre, que Joinville n’a pas la gravité simple ni le ton uni de ce premier en date de nos historiens : mais il a plus de bonhomie jointe à un sens subtil, il a de la gentillesse, de la grâce enfantine si l’on peut dire, une imagination tendre et riante. […] Montaigne n’a donc point connu le vrai Joinville, duquel autrement il eût sans doute parlé davantage. […] Comme tous les jolis récits et les anecdotes de Joinville, qui remplissent la première moitié de son Histoire, ne se rapportent qu’à un temps postérieur à la croisade et aux années qui suivirent le retour, je remettrai d’en parler jusque-là, et je le prendrai au moment où lui-même commença de connaître saint Louis, et de s’attacher à ce prince, c’est-à-dire au début de la croisade. […] [NdA] J’avais lieu de croire, quand je parlais ainsi, qu’on était arrivé à un résultat définitif. […] Des deux endroits où Joinville en parle, je choisis le plus vif.
Il parlait de ses montagnes avec enthousiasme ; il eût volontiers chanté le ranz des vaches avec les larmes aux yeux, et était en même temps le conteur le plus agréable du cercle de la comtesse Jules. […] Il parle quelque part du jeune vicomte de Ségur, « qui s’amusait à dire des mots plaisants sur les affaires, au lieu de s’en mêler. » Lui il en disait aussi, même en s’en mêlant. […] Désappointé dans son espérance, il parle d’elle en termes nets, convenables, mais un peu sévères, et en homme qui est mort avant d’avoir vu les grandeurs touchantes et sublimes auxquelles l’infortune éleva ce noble cœur qui avait paru longtemps léger. […] On ne parle pas ainsi d’un Turgot et de sa tentative de réforme, la jugeât-on même peu ménagée et inopportune. […] La reine ajouta qu’elle lui avait dit : « Levez-vous monsieur : le roi ignorera un tort qui vous ferait disgracier pour toujours » ; que le baron avait pâli et balbutié des excuses ; qu’elle était sortie de son cabinet sans lui dire un mot de plus, et que, depuis ce temps, elle lui parlait à peine.
C’est Beyle qui parle. […] Il comptait bien d’ailleurs, l’épicurien et le raffiné, ne parler que pour une élite ; il a lâché son mot dans une lettre à Thomas Moore ; il n’écrit, dit-il, que pour un petit nombre d’élus, « happy few très-fâché que le reste de la canaille humaine (c’est son mot) lise ses rêveries. » Depuis Siéyès et l’avénement de la démocratie, pensait-il encore, il n’y a plus que l’aristocratie littéraire qui ose aimer les phrases simples et les pensées naturelles : il entendait bien rester de cette aristocratie ; et il narguait le reste du monde qui se prend au bombast, au bouffi et au fardé en tout genre. […] Hugo en 1827, et il parle de gigantesque à propos de Casimir Delavigne. […] Habituellement plongé dans ses méditations, ce n’était qu’en certaines occasions, lorsqu’il entendait exprimer des idées et des sentiments contraires aux siens, que cet homme, qui habituellement paraissait végéter plutôt que vivre, s’animait et parlait quelquefois avec une véhémence qui allait jusqu’à l’emportement. […] Mais Ballanche, levant la tête et prenant un ton d’autorité : commença une diatribe fulminante en motivant, comme il l’entendait, les reproches qu’il faisait à Bossuet, et s’échauffant toujours davantage, il arriva enfin à sa péroraison en disant, comme s’il avait été hors de lui : « Qu’on ne me parle plus des vertus et des talents de Bossuet ; d’un homme qui a osé dire que Dieu n’a pas révélé le dogme de l’immortalité de l’âme aux Juifs, parce qu’ils n’étaient pas dignes de recevoir cette vérité !
Une idée domine les différentes publications dont j’ai à parler : cette idée, c’est que la copie fidèle de la nature, sa reproduction exacte, sincère, convaincue, faite avec suite et menée à fin avec une entière bonne foi, fût-elle accompagnée de fautes, d’incorrections et de gaucheries, même visibles, a son prix inestimable, son attrait, je ne sais quel charme auprès des esprits et des cœurs droits et simples. […] Né de lui-même, formé par des lectures personnelles, par des comparaisons directes, incessantes, et par une rude expérience première des choses de la vie, l’auteur dont nous parlons s’est de bonne heure tracé une route et a obéi à une vocation dont il n’a jamais dévié. […] L’ouvrage est dédié à l’un des critiques d’art qui ont le mieux parlé de ces peintres, à William Burger, c’est-à-dire le consciencieux Thoré. […] Je ne puis parler du Corps de garde fort vanté, et qui, par malheur, manque à la collection du Louvre. […] Je ne parle ni des cannes, ni des tabatières, qui peuvent avoir leur mérite, ni des coiffures ou perruques, ces parties intégrantes du costume ; mais les plus futiles objets, billets de théâtre, billets de faire-part, boutons de veste, etc., tout peut devenir matière à cette sorte d’avarice doublée d’amour-propre, et qui finit par être un tic, la Collection.
La vie n’est qu’une ombre qui marche ; un pauvre comédien qui piaffe et trépigne, son heure durant, sur ses tréteaux, et puis on n’en entend plus parler ; c’est un conte raconté par un idiot, plein de bruit et de fracas, qui ne signifie rien ! […] Sans parler des irrégularités sauvages dont elle abonde, le spectre tout avoué qui parle longtemps, les comédiens de campagne et le combat au fleuret, m’ont paru des ressorts absolument inadmissibles sur notre scène. […] Dites-moi ce qu’il y a de vrai… » Mais voilà Ducis, cet homme bon, naïf, tout cœur et tout âme, talent chaud et simple, lui qui n’a jamais parlé de sa vie à M. de Voltaire, et qui n’a été ni loué ni connu personnellement de lui, le voilà qui est choisi, sans brigue, pour remplacer Voltaire à l’Académie. […] Le cœur jouit, la tête se repose ; on ne définit plus, on goûte. » Ce mot nous rappelle involontairement celui de La Bruyère sur l’amitié : « Être avec les gens qu’on aime, cela suffit : rêver, leur parler, ne leur parler point, penser à eux, penser à des choses plus indifférentes, mais auprès d’eux, tout est égal. » L’un et l’autre mot sont aussi beaux que du La Fontaine.
Taine nous fait comprendre et presque aimer, à la façon éprise et enivrée dont il en parle, les premiers moteurs et les héros de cette Renaissance littéraire anglaise : en prose, Philippe Sidney, ce d’Urfé antérieur au nôtre ; en poésie, Spenser, le féerique, qu’il admire au-delà de tout. […] C’est assez et trop parler de lui pour le moment, mais Milton est mon excuse ; Milton fut son poète. […] Il put se dire comme Ovide : Virgilium vidi tantum… Il ne parlait jamais de cet illustre devancier, sans une entière révérence et en se défendant de toute idée de rivalité. […] Quelques faits qu’on a essayé de produire après sa mort, pour le noircir, ont été depuis expliqués à son honneur : l’ensemble de son œuvre parle pour lui. […] Vous lui parliez de votre mère, de votre sœur, de votre maîtresse : « Allons, disait-il, c’est très-bien, mais revenons à la réalité… Que ferons-nous de Nucingen, de la duchesse de Langeais ?
Il est donc tout simple qu’en voyant l’Iliade de Pope, Bentley ait dit : « Il ne fallait pas intituler cela Homère. » L’ouvrage de Pope n’en est pas moins un merveilleux travail en soi, et celui qui l’a exécuté mérite qu’on parle de lui, même à cette occasion, avec tous égards et une belle part d’éloges. […] » L’homme d’esprit qui parle ainsi (M. […] Supprimez d’un seul coup toute la poésie en vers, ce sera plus expéditif ; sinon, parlez avec estime de ceux qui en ont possédé les secrets. […] Chaucer, Spenser, Cowley, Milton, Shakespeare même, il parle d’eux tous à ravir, et il touche le point vif de chaque talent avec goût et impartialité. […] J’ai seulement voulu montrer en tout ceci qu’on pouvait parler de Pope avec amitié et sympathie ; mais, avant de prendre congé de M.
On a parlé, et Talleyrand lui-même s’est targué de son patriotisme pour le peu d’approbation qu’il donna aux gigantesques projets auxquels la paix de Tilsitt et l’alliance étroite avec la Russie ouvraient toute carrière. […] Molé a parlé à sir Henry Bulwer, mais qui n’eut pas d’autre importance26. […] Le mauvais esprit des Talleyrand et des hommes qui ont voulu endormir la nation m’a empêché de la faire courir aux armes, et voici quel en est le résultat. » Et le lendemain, 8 février ; « Oui, je vous parlerai franchement. […] « À ce moment, l’abbé de Pradt, archevêque de Malines, qui aimait passionnément jouer au moins le rôle de marmiton dans toutes les cuisines politiques, eut vent de l’affaire, et il me conta (c’est Berryer qui parle) l’anecdote en ces termes : « Je voulais savoir (disait donc l’abbé de Pradt) de quoi il était question, et il était impossible de faire parler le prince de Talleyrand entouré de monde et sur ses gardes. […] Lui convient-il de parler leur langage ?
Nous n’avons en ce moment à parler que de Mme de Sévigné ; il semble qu’on ait tout dit sur elle ; les détails en effet sont à peu près épuisés ; mais nous croyons qu’elle a été jusqu’ici envisagée trop isolément, comme on avait fait longtemps pour La Fontaine, avec lequel elle a tant de ressemblance. […] Son cousin Bussy, son maître Ménage, le prince de Conti, frère du grand Condé, le surintendant Fouquet, perdirent leurs soupirs auprès d’elle ; mais elle demeura inviolablement fidèle à ce dernier dans sa disgrâce ; et quand elle raconte le procès du surintendant à M. de Pomponne, il faut voir avec quel attendrissement elle parle de notre cher malheureux ! […] A l’époque dont nous parlons, loin d’être un obstacle à suivre le mouvement littéraire, religieux ou politique, ce genre de vie était le plus propre à l’observer ; il suffisait de regarder quelquefois du coin de l’œil et sans bouger de sa chaise, et puis l’on pouvait, le reste du temps, vaquer à ses goûts et à ses amis. […] Montaigne et Regnier en avaient déjà donné d’admirables échantillons, et la reine Marguerite un charmant en ses familiers mémoires, œuvre de quelques aprés-disnées : c’est le style large, lâché, abondant, qui suit davantage le courant des idées ; un style de première venue et prime-sautier, pour parler comme Montaigne lui-même ; c’est celui de La Fontaine et de Molière, celui de Fénelon, de Bossuet, du duc de Saint-Simon et de Mme de Sévigné. […] Mademoiselle de Montpensier, du même âge que Mme de Sévigné, mais qui s’était un peu moins assouplie qu’elle, écrivant en 1660 à Mme de Motteville sur un idéal de vie retirée qu’elle se compose, y désire des héros et des héroïnes de diverses manières : « Aussi nous faut-il, dit-elle, de toutes sortes de personnes pour pouvoir parler de toutes sortes de choses dans la conversation, qui, à votre goût et au mien, est le plus grand plaisir de la vie et presque le seul à mon gré. » 8.
L’Égypte est éclipsée ; l’Égypte ressemble à ces étoiles dont les astronomes du temps de Ptolémée nous parlent, mais qui se sont ou éteintes ou enfoncées dans les distances incommensurables de l’éther : leur lueur, incontestée alors, n’est plus aujourd’hui qu’un souvenir du firmament. […] Enfin, le sixième élément nécessaire à cette création intérieure et extérieure qu’on appelle poésie, c’est le sentiment musical dans l’oreille des grands poètes, parce que la poésie chante au lieu de parler, et que tout chant a besoin de musique pour le noter, et pour le rendre plus retentissant et plus voluptueux à nos sens et à notre âme. […] Enfin il doit être un homme pieux et rempli de la présence des dieux et du culte de la Providence, car il parle du ciel autant que de la terre. […] On appelait le chant, alors, tout ce qui parle, tout ce qui exprime, tout ce qui peint à l’imagination, au cœur, aux sens, tout ce qui chante en nous, la grammaire, la lecture, l’écriture, les lettres, l’éloquence, les vers, la musique ; car ce que les anciens entendaient par musique s’appliquait à l’âme autant qu’aux oreilles. […] Il continua à parler en langage divin avec les hommes lettrés, et à s’entretenir, jusqu’à son dernier soupir, avec les hommes simples dont il avait décrit tant de fois les mœurs, les travaux et les misères dans ses poèmes.
Il faudrait les rendre accessibles à la honte et au remords avant de leur parler de pénitence. […] Lacordaire parlait devant Lamartine, Hugo, Berryer, Guizot, Cousin, devant des hommes dont on ne retrouverait guère les pareils. […] On a le déplaisir d’entendre des phrases de ce genre : « Ces quatre choses se donnent la main », ou : « L’épanchement est la racine de l’amitié. » Enfin j’ai dit que le Père Monsabré parlait pour les croyants et qu’il avait bien raison. […] C’est pourtant ce que semble taire l’orateur quand, pour leur montrer que des témoignages ininterrompus attestent l’institution divine de la confession, il fait défiler devant eux une interminable liste, siècle par siècle, des docteurs qui en ont parlé. […] J’ai cru voir à certains signes qu’il serait un excellent orateur populaire, doué de verve, de bonhomie et de franchise ; qu’il se guindait pour son auditoire de Notre-Dame ; que la sublimité, la couleur et les divers ornements oratoires de son style étaient quelque chose d’appris et de plaqué, et que, livré à sa vraie pente, il eût plus volontiers parlé comme un Père Lejeune ou un Bridaine relevé d’un peu de Bourdaloue.
De même, quand un personnage d’Ibsen, Relling, du Canard sauvage, parle de mensonge vital, c’est plutôt illusion vitale qu’il faudrait dire. […] Quand on parle ici de mensonge de groupe, il ne s’agit pas, dans un esprit de parti pris en faveur de l’individu, de doter l’individu de sincérité par contraste avec le groupe menteur. […] C’est en ce sens qu’il est permis de parler du mensonge de groupe ou de demi-mensonge de groupe. […] Les mythologies sociales dont on vient de parler ont un caractère abstrait et très général. […] À cette époque, on ne peut pas parler de mensonge de groupe. — Mais dans nos sociétés très évoluées, il n’en est plus ainsi.
Darget (lecteur et secrétaire du roi de Prusse) vienne m’en parler, je l’assurerai fort que je n’ai nulle connaissance de cette impression, et que je vais prendre les ordres du roi pour empêcher qu’elle ne s’exécute en France. […] Ce premier roi de Prusse, par toute sa vie de vaine pompe et d’apparat, disait, sans le savoir, à sa postérité : « J’ai acquis le titre, et j’en suis fier ; c’est à vous de vous en rendre dignes. » Le père de Frédéric, dont son fils, si maltraité par lui, a si admirablement parlé, et dans un sentiment non pas filial, mais vraiment royal et magnanime, ce père grossier, économe, avare, bourreau des siens et idolâtre de la discipline, cet homme de mérite pourtant, qui « avait une âme laborieuse dans un corps robuste », avait rendu à l’État prussien la solidité que l’enflure et la vanité du premier roi lui avaient fait perdre. […] La monarchie qu’il avait laissée à ses descendants était, s’il m’est permis de m’expliquer ainsi (c’est toujours Frédéric qui parle), une espèce d’hermaphrodite, qui tenait plus de l’électorat que du royaume. […] Il a pour les héros un attrait visible ; il ne parle qu’avec respect et avec un instinct de haute fraternité, des Gustave-Adolphe, des Marlborough, des Eugène ; mais il ne se méprend pas à la grandeur, et n’en prodigue pas le mot : la reine Christine, avec son abdication par caprice, ne lui paraît que bizarre ; le duel de Charles XII et de Pierre le Grand à Poltava lui paraît celui des deux hommes les plus singuliers de leur siècle. […] Peut-être, un autre jour, parlerai-je de Frédéric dilettante, amateur des beaux esprits et des belles-lettres.
« Après la prière des voyageurs, par laquelle ma mère, raconte d’Aguesseau, commençait toujours la marche, nous expliquions les auteurs grecs et latins, qui étaient l’objet actuel de notre étude… » Grec, latin, et plus tard hébreu, anglais, italien, espagnol, portugais, mathématiques, physique, et surtout belles-lettres (sans parler de la jurisprudence qui était son domaine propre), le jeune d’Aguesseau apprenait tout, et, doué de la plus vaste mémoire, il retenait tout : « … L’admirable avocat général d’Aguesseauqui sait toutes mes chansons, et qui les retient comme s’il n’avait autre chose à faire », écrivait de lui à Mme de Sévigné M. de Coulanges. […] On aime à revoir les lieux qu’on a habités dans son enfance… Je crois rajeunir en quelque manière ; je crois voir renaître ces jours précieux, ces jours irréparables de la jeunesse… On est assez embarrassé d’avoir à citer avec d’Aguesseau, car rien en particulier n’est original, ni bien vif, ni bien neuf, et il convient d’attendre et de prolonger la lecture jusqu’à ce que l’affection dont j’ai parlé opère ; mais alors l’agrément se fait sentir, un agrément honnête et sûr, et salubre. […] Parlons avec franchise : tous ces éloges qu’on accorde à l’éloquence judiciaire de d’Aguesseau nous semblent aujourd’hui fort exagérés. […] Aimant passionnément les lettres et n’ayant pu exclusivement s’y livrer, il en parle avec un redoublement de forme et de fleurs, comme dans une fête cérémonieuse. […] Dans la belle lettre à M. de Valincour sur l’incendie d’une bibliothèque, et où il cite tant Cicéron, il parle d’Astrée, c’est-à-dire de Mme la chancelière elle-même, célébrée sous ce nom par M. de Valincour dans je ne sais quelle idylle qui sentait son âge d’or.
Je voudrais que tous ceux qui écrivent sur Montaigne et qui nous transmettent sur lui le détail de leurs recherches et de leurs découvertes, se représentassent en idée une seule chose, à savoir Montaigne lui-même les lisant et les jugeant. « Que penserait-il de moi et de la façon dont je vais parler de lui au public ? […] Il n’y a guère plus de trente ans que, lorsqu’on avait à parler du xvie siècle, on en parlait comme d’une époque barbare, en ne faisant exception que pour le seul Montaigne : il y avait là erreur et ignorance. […] Quoique les leçons, en général, ne servent à rien, que l’art de la sagesse et surtout celui du bonheur ne s’apprennent pas, ne nous refusons pourtant point le plaisir d’écouter Montaigne, donnons-nous du moins le spectacle de cette sagesse et de ce bonheur en lui ; laissons-le parler des choses publiques, des révolutions et des troubles, et de sa manière de s’y conduire. […] Car, « pour se laisser tomber à plomb et de si haut, il faut que ce soit entre les bras d’une affection solide, vigoureuse et fortunée : elles sont rares, s’il y en a. » À cette manière dont il parle, on voit assez que La Boétie dès longtemps n’était plus. […] Il faut de toute nécessité qu’on étende et qu’on allonge par endroits la trame pour y coudre la métaphore ; mais voilà que, pour le définir, je suis presque amené à parler comme lui.
Trois hommes, dans le dernier tiers du xviiie siècle, se distinguèrent comme à l’envi l’un de l’autre par un esprit fin, piquant, satirique, moqueur, et donnèrent en même temps des preuves d’un esprit sérieux ; ce furent Chamfort, dont nous parlions la dernière fois, Rivarol, dont nous parlerons peut-être un jour, et Rulhière, dont quelques ouvrages intéressants sont restés, dont on a retenu quelques jolies pièces de vers, et qui mérite certainement une étude. […] Rulhière était d’avis que, dans un cercle, il ne fallait jamais se presser de demander quel était l’homme qu’on voyait entrer et qu’on ne connaissait pas : « Avec un peu de patience et d’attention, on n’importune ni le maître ni la maîtresse de la maison, et l’on se ménage le plaisir de deviner. » Il avait là-dessus toutes sortes de préceptes, de menues remarques très fines, très ingénieuses, dont il faisait la démonstration quand on le voulait, et il ne se trompait guère : Il en fit en ma présence l’application chez Mlle Dornais, raconte Diderot : il survint sur le soir un personnage qu’il ne connaissait pas ; mais ce personnage ne parlait pas haut ; il avait de l’aisance dans le maintien, de la pureté dans l’expression, et une politesse froide dans les manières […] Rulhière se met à lire à haute voix les lettres de Rousseau, et à chaque instant il s’interrompait, il se parlait à lui-même en approuvant, en disant : « Bon ! […] À ce dernier trait un peu chargé, ne dirait-on pas que c’est déjà le Rousseau de la comédie qui parle ? […] Ce n’est point en le flattant, c’est plutôt en le brusquant, en le raillant, en lui demandant d’un air délibéré, quand il lui parle des méchants : « Est-ce que vous croyez aux méchants, vous ?