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592. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Si l’on voulait relever tout ce qu’il y a de faux et d’inexact dans les six volumes in-8° que nous avons sous les yeux, il en faudrait écrire au moins six autres. […] « Sous le poids accablant de cette infériorité humiliante, l’homme de lettres devait quelquefois aussi comparer d’un œil jaloux ces palais somptueux, ces tables splendides où on lui faisait la grâce de l’admettre, avec son modeste appartement garni et ses moyens précaires d’existence. » Les châteaux de La Brède, de Montbard, de Ferney, de Voré, des appartements garnis ! […] Et d’abord, le jour de la première séance, il nous montre « tous les yeux fixés sur les représentants du tiers état, vêtus  d’un habit modeste, conformes à leur humble naissance et à leurs occupations habituelles. » Il nous apprend que, parmi ces représentants, si modestement vêtus, se trouvaient beaucoup de gens de lettres « qu’on a y avait appelés, parce qu’on les savait partisans de  systèmes, la plupart incompatibles avec l’état présent  des choses ; que, dans le principe, ces gens de lettres avaient été tenus à l’écart par les avocats et les  financiers, leurs collègues ; mais qu’à la fin ils avaient  repris le dessus et s’étaient faits républicains décidés » ; — que pourtant ces républicains décidés, lesquels étaient« d’un ordre plus élevé et de sentiments plus honorables » — que les jacobins de club, avaient surnommé ceux-ci « les enragés » ; — que néanmoins il y avait dans l’Assemblée de furieux démagogues, désignés sous le nom de Montagne ; et que, « quand les jacobins de la Montagne s’efforçaient d’interrompre Mirabeau par leurs rugissements, celui ci s’écriait d’une voix de tonnerre : Silence aux trente voix ! […] Lorsqu’il fut sorti de la caverne après avoir crevé l’œil unique du cyclope, celui-ci répondait à ceux qui, accourus à ses cris, lui demandaient de qui il avait tant à se plaindre, — de Oύτις ; (de Personne).

593. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

Quand l’orage éclate, elle devient tonnerre et rugissements, elle soulève et fait tourbillonner les flots, comme ne le peuvent les faibles rivières ; mais, quand il fait doux et calme, plus sereine que les rivières au cours rapide, elle étend son incommensurable nappe de verre, éternelle volupté des yeux. » Ici commence une série de combats qui nous paraissent extrêmement prolongés ; nous sommes, malgré tout, trop peu Cosaques pour nous intéresser jusqu’au bout à tant d’épisodes successifs de cette iliade zaporogue. On dirait que l’auteur a eu sous les yeux, dans cette partie de sa nouvelle, des chants populaires dont il a voulu faire usage ; le ton devient purement épique, et les comparaisons homériques abondent. […] L’on n’entendait pas un cri, pas une plainte, même lorsque les bourreaux commencèrent à lui briser les os des pieds et des mains, lorsque leur terrible broiement fut entendu au milieu de cette foule muette par les spectateurs les plus éloignés, lorsque les jeunes filles détournèrent les yeux avec effroi. […] Tarass se tenait dans la foule, la tête inclinée, et, levant de temps en temps les yeux avec fierté, il disait seulement d’un ton approbateur : « — Bien, fils, bien !

594. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Chez les sujets atteints de strabisme, l’œil le plus faible s’affaiblit progressivement par le manque d’exercice, jusqu’à perdre parfois la vision. […] Telle autre devine tout de suite, les yeux fermés, le mot qu’on lui a fait tracer : elle n’a pourtant pas senti, dit-elle, le mouvement imprimé à sa main pour la faire écrire, mais elle a la représentation visuelle du mot, qui lui apparaît tout à coup, dit M.  […] Binet, le nom de cette personne ou de l’objet, ou le chiffre. » Le sujet, quand ses yeux sont fermés ou que son attention est portée ailleurs, ne s’aperçoit pas du mouvement de sa main, qui révèle à l’expérimentateur le fond intime de sa pensée. […] Il faut remarquer, à l’appui de notre thèse, que le cerveau est un organe double, comme les yeux ou les oreilles, tout au moins qu’il est composé de deux hémisphères.

595. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1854 » pp. 59-74

Afin de faire un peu d’exercice, de ne pas tomber malades, nous ne nous permettons qu’une promenade après dîner, une promenade dans les ténèbres des boulevards extérieurs, pour n’être point tirés, par la distraction des yeux, de notre travail, de notre enfoncement spirituel en notre œuvre. […] * * * Mai Fantaisie écrite en chemin de fer, la nuit, en allant à Bordeaux. — Quand au bout, tout au bout de la voie ferrée, un œil rouge s’éveille et que la locomotive, dévorant l’espace, apparaît, du milieu de la colline, de grands ossements se dressent, s’ajustent et descendent lentement jusqu’à la barrière, formant une longue file de squelettes de vieux chevaux… Ils regardent lentement, de leurs orbites vides, la locomotive qui n’est plus qu’une étincelle de braise dans le lointain. […] Gaiffe l’avait séduit par quelques phrases pittoresques sur son orientalisme, et en lui déclarant qu’à ses yeux il était digne en tout point de devenir le souverain des Ottomans. […] Une autre fois, j’y menai Balzac qui, monté sur une banquette, dans sa robe blanche de moine, regardait de ses petits yeux pétillants le chahut.

596. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Troisième Partie. De la Poësie. — La déclamation. » pp. 421-441

Qu’on jette les yeux sur les meilleures actrices de nos jours. […] « Il n’y a que le corps qui prêche ; la mémoire seule dirige la langue, les yeux, les bras : l’esprit & le cœur semblent absens. […] Bourdaloue, avec un air concentré en lui-même, faisant très-peu de gestes, les yeux le plus souvent fermés, pénétroit tout le monde par un son de voix uniforme & terrible. […] « Il semble le voir, disent ses admirateurs, dans nos chaires avec cet air simple, ce maintien modeste, ces yeux humblement baissés, ce geste négligé, ce ton affectueux, cette contenance d’un homme pénétré, portant dans les esprits les plus brillantes lumières, & dans les cœurs les mouvemens les plus tendres. » Baron l’ayant rencontré dans une maison ouverte aux gens de lettres, le lendemain d’un jour qu’il avoit été l’entendre, lui fit ce compliment : « Continuez, mon pere, à débiter comme vous faites : vous avez une manière qui vous est propre, & laissez aux autres les règles. » Cet avis se ressent du caractère de Baron, le plus fier des hommes.

597. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

Puis vient ce trait de satire contre l’homme et contre ses prétentions à l’empire sur les animaux, reproche qui est assez grave à leurs yeux pour justifier leur roi d’avoir mangé le berger même. […] Il me semble qu’ils ne sont que familiers, qu’ils mettent la chose sous les yeux, et que ce mot long répété trois fois exprime merveilleusement la conformation extraordinaire du héron. […] Ces cinq premiers vers n’ont rien de saillant ; mais ils mettent la chose sous les yeux avec une précision bien remarquable. […] Car emplois ne rime même plus aux yeux, depuis qu’on a adopté l’orthographe de Voltaire pour le mot Français.

598. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

En sortant d’une étude si consommée des faits, Lerminier, son œuvre achevée, s’est mis à conclure, les yeux sur son siècle, et sa conclusion, qui va du monde ancien au monde moderne, atteint le monde moderne et lui montre cruellement ses fautes. […] Quoi qu’il en soit, après Fénelon, contre lequel le cœur lui a manqué un peu, Lerminier retrouve toute l’indépendance de sa pensée ; et, suivant l’erreur qui tombe, d’esprit en esprit, toujours plus bas et toujours plus large, de Fénelon en Montesquieu, de Montesquieu en Mably, de Mably en Barthélemy, de Barthélemy en Saint-Just et en Robespierre, et de ces derniers en toute cette plèbe de démocrates timbrés encore de République, il dresse admirablement le compte de cette longue lignée d’adorateurs de la Grèce, qui l’aiment, il est vrai, à la manière grecque, avec un bandeau sur les yeux, et qui ont cru, soit dans leurs livres, soit dans leurs essais d’organisation politique, qu’on pouvait détremper et pétrir les cendres des civilisations consumées pour en faire le ciment des institutions des peuples vivants ! […] Cette différence ne prend-elle pas tout d’abord aux yeux l’esprit du lecteur ? […] Polémiste d’hier, le voici posé, comme le lion du Dante, sur ses griffes croisées, mesurant et perçant l’espace dans les choses de l’Histoire d’un œil dominateur et clair.

599. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Agrippa d’Aubigné »

… II Il a lui-même écrit sa vie, et elle ouvre le premier de ces quatre volumes que nous avons là sous les yeux. […] En s’éloignant et en se variant de nuances nouvelles, la filiation s’atteste et est visible encore à l’œil qui sait voir. […] Que di-je, je ne pouvoy’ mieux Pour monstrer ensemble à tes yeux, Mon feu, ta beauté merveilleuse. […] La Critique, qui pèse la gloire au poids du chef-d’œuvre, ne voit que le chef-d’œuvre, et à ses inflexibles yeux les plus grandes puissances intellectuelles qui, pour une raison ou pour une autre, ont manqué le chef-d’œuvre, ne comptent pas !

600. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Stendhal et Balzac » pp. 1-16

À nos yeux, c’est la réimpression qui prouve la capacité du libraire. […] Mais à cela près de cette nappe de lumière qu’un homme de génie versa, comme un Dieu bienfaisant, sur la tête d’un homme de talent trop obscur, Henri Beyle n’aurait été, aux yeux des hommes de son temps, qu’un dilettante supérieur d’art et de style, et non l’homme qui, dans cette première moitié du xixe  siècle, devait, après Balzac, marcher à la tête des artistes, des observateurs et des écrivains. […] » Limayrac se fait une réponse beaucoup trop aimable pour Brillat-Savarin, qui est le dieu de l’esprit aux yeux des gens vulgaires, et dont la réputation s’en ira du même côté que celle de Berchoux, qui est partie. […] Un éditeur qui se dévoue la tire de cet oubli et la replace sous les yeux du public, comme un homme qui compte sur la justesse de son jugement et sur sa justice.

601. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

L’un des deux yeux du poëte est pour l’humanité, l’autre pour la nature. Le premier de ces yeux s’appelle l’observation, le second s’appelle l’imagination. […] L’humble et grave artiste doit avoir le droit d’expliquer l’art, tête nue et l’œil baissé.

602. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XV. De Tacite. D’un éloge qu’il prononça étant consul ; de son éloge historique d’Agricola. »

Domitien, naturellement féroce, et d’autant plus implacable dans sa haine qu’elle était plus cachée, était cependant retenu par la prudence et la modération d’Agricola ; car il n’affectait point ce faste de vertu et ce vain fanatisme qui, en bravant tout, veut attirer sur soi l’œil de la renommée ; que ceux qui n’admirent que l’excès sachent que même sous de mauvais princes, il peut y avoir de grands hommes, et qu’une vertu calme et modeste, soutenue par la fermeté et les talents, peut parvenir à la gloire, comme ces hommes qui n’y marchent qu’à travers les précipices, et achèvent la célébrité par une mort éclatante, mais inutile à la patrie46. » Toutes les fois que Tacite parle des vertus d’Agricola, son âme fière et ardente paraît s’adoucir un peu ; mais il reprend la mâle sévérité de son pinceau pour peindre le tyran soupçonné d’avoir fait empoisonner ce grand homme, s’informant avec une curiosité inquiète des progrès de sa maladie, attendant sa mort de moment en moment, et osant feindre de la douleur, lorsqu’assuré qu’Agricola n’est plus, il est enfin tranquille sur l’objet de sa haine. […] puisque tu avais auprès de toi une épouse qui t’adorait, tu as reçu les honneurs qui étaient dus à ta cendre ; cependant moins de larmes ont coulé sur ta tombe, et tes yeux, en se fermant, ont désiré quelque chose. […] repose en paix, fixe les yeux sur ta famille, fais cesser nos plaintes et nos lâches soupirs, pour nous élever à la contemplation de tes vertus.

603. (1906) Propos de théâtre. Troisième série

Ménécée se jette du haut en bas du rempart devant les yeux de son père, ante ora parentum. […] Il n’y a jamais trop, il n’y a jamais assez de choses pour les yeux dans une tragédie. […] Vous voyez donc à quel point il est intéressant d’avoir dans la main et sous les yeux sa version première. […] Tout le monde avait les yeux sur lui et sur lui seul. […] 3° Parce que le drame du Boulevard était à décoration, à machines, à éclat extérieur et à prestiges, toutes choses qui sentent l’opéra et que, même dans leurs œuvres non dramatiques, avant de s’être faits dramatistes, les romantiques sont des peintres décorateurs et aiment infiniment tout ce qui frappe les yeux, tout ce qui amuse, séduit et éblouit les yeux et tout ce qui émeut l’imagination par les yeux.

604. (1864) Le roman contemporain

Mais l’art est par essence éclectique ; il n’accepte pas les yeux fermés les sujets, il les choisit. […] C’est à ses yeux la jeune littérature. […] À cette page les yeux des jeunes femmes se mouillent de douces larmes. […] Il en croit à peine ses oreilles et ses yeux. […] Il digérait médiocrement, et il lui était venu un larmoiement à un œil.

605. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Ce visage était la ruine de la plus jolie, de la plus aimable, de la plus douce figure, avec seulement sur la chair pâlie, de la meurtrissure dans l’orbite de ses beaux yeux, et comme une dépression de fatigue dans les lignes de sa bouche. […] Et les petites portes basses, et les petits escaliers noirs, et les petites chambrettes, qui sont plutôt des trous à humains que des logis, vous mettent sous les yeux, comme l’apparition d’un moyen âge marmiteux, auquel on ne s’attend pas. […] Une figure plate, un nez qui n’a rien de grec, des yeux à l’éclair fauve, des sourcils à la remontée un peu satanique, un enroulement autour de la tête de cheveux potassés, un buste aux seins attachés très bas : voilà la femme. […] la peu amusante gravure aux yeux, que cette gravure des Nanteuil, des Mellan, si bien en rapport avec la perfection géométrique de tout le siècle. […] Sur la tête, un chiffon de dentelle noire, qui a l’air d’un papillon de nuit et sous lequel se dresse une chevelure semblable à un buisson ardent, et éclairent des yeux à la prunelle d’un bleu transparent, dans la pénombre de cils noirs.

606. (1913) Poètes et critiques

Sachons ouvrir les yeux et voir les attitudes ou les actes sous leur vrai jour. […] Ici, les hommes « ruminent, les bras croisés, les yeux mi-clos ». […] Il n’y avait pas auprès des marmites un seul œil qui n’exigeât du sang. » Une chanson du Vermland ? […] Même c’est la fin d’une carrière illogique aux yeux du vulgaire, j’ajouterais la fin fière qu’il faut ! […] Mais déjà les menus détails sont vus par un autre œil plus sensible, plus scrutateur, et, si je puis risquer l’expression, plus tenace.

607. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXIXe entretien. Littérature dramatique de l’Allemagne. Le drame de Faust par Goethe (2e partie) » pp. 161-232

Marguerite, les yeux attachés sur lui. […] Dussé-je la voir pour la dernière fois, je veux du moins rencontrer encore le regard plein de franchise de cet œil noir. […] Ma main est depuis longtemps exercée à tenir des rênes, et mon œil à prévoir les détours du chemin. […] Le malentendu gonfle le cœur et fait déborder les larmes de fierté des yeux de Dorothée ; elle veut partir à l’instant d’une maison où l’on ne la respecte pas assez. […] mon regard timide ne pouvait discerner le penchant de ton cœur ; quand tu me saluas dans le miroir de la source, je n’aperçus que de l’amitié dans tes yeux !

608. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxviie entretien. Un intérieur ou les pèlerines de Renève »

Un peu plus loin, vous voyez de grosses montagnes noires où il n’y a plus de passage pour les yeux, ce sont les montagnes de Saint-Point à deux ou trois lieues de Milly. […] Nous y restâmes ensuite un moment pour sécher nos yeux après avoir lu les dates, les lettres et les mots gravés avec la pointe d’un couteau sur le bois et sur les troncs des arbres. […] Cela leur tira des larmes des yeux. — Eh bien ! […] Ensuite, l’œil se portait sur des vignes émerveillantes en feuilles. […] Leurs yeux se voilèrent de larmes ; on parla d’autre chose.

609. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIVe entretien. Madame de Staël. Suite »

Elle ne m’appelle pas ; elle ne me fait pas signe de venir ; seulement ses yeux sont appesantis ; elle ne s’éveillera plus. […] Ils vont lier mes mains, bander mes yeux ; je monterai sur l’échafaud sanglant, et le tranchant du fer tombera sur ma tête… Ah ! […] Il en verra, tour à tour, avec fanatisme ou avec horreur, tantôt une phase, tantôt une autre : ici une vertu, là un crime ; ici une sédition, là une réaction ; aujourd’hui 1789, demain 1793 ; ici la gloire, là la terreur ; un flux et reflux, un échafaud, un trône, une anarchie, un despotisme ; mais il n’en saisira jamais d’un seul coup d’œil l’ensemble, la tendance, les fausses routes, les progrès, les chutes, les repos, les recrudescences, les colères, les découragements, le vrai courant. […] Sous la parure qu’elle portait d’ordinaire à la fois brillante et négligée, sous ce turban de couleur écarlate qui renfermait à demi ses épais cheveux noirs et s’alliait à l’éclat expressif de ses yeux, madame de Staël ne semblait plus la même personne : son visage était abattu et comme malade de tristesse. […] L’une, on m’a dit le soir que c’était madame Récamier, m’éblouit comme le plus céleste visage qui ait jamais éclairé les yeux d’un poëte, trop beau comme un éclair pour être autre chose qu’une apparition !

610. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

De forme en forme, par gradations insensibles, elle accomplira sous nos yeux de bien singulières métamorphoses. […] Plus risible sera la distraction que nous aurons vue naître et grandir sous nos yeux, dont nous connaîtrons l’origine et dont nous pourrons reconstituer l’histoire. […] Tâchez de voir avec vos yeux seulement. […] L’art du caricaturiste est de saisir ce mouvement parfois imperceptible, et de le rendre visible à tous les yeux en l’agrandissant. […] Nous sommes loin du grand art, il est vrai, avec les exemples de comique qui viennent de passer sous nos yeux.

611. (1896) Écrivains étrangers. Première série

Ses yeux, ses énormes yeux ronds, lui refusaient leur service. […] Ses yeux, — ses étranges yeux qui l’avaient attiré la première fois dans la chapelle, — devenaient toujours plus grands et plus doux à mesure qu’elle le considérait, chargés d’une tendre affection qu’il ne leur avait jamais vue. […] Il tenait ses yeux obstinément baissés, des yeux gros et saillants, imprégnés d’une bienveillance dédaigneuse. […] Il nous remet devant les yeux tous les documents de la polémique qu’il eut jadis à soutenir contre M.  […] « J’ai encore devant les yeux, dit M. 

612. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIIe entretien. Sur le caractère et les œuvres de Béranger » pp. 253-364

Mes yeux cent fois ont cru te découvrir. […] La main d’un fils me fermera les yeux. […] Son poète lui-même lui jetait la poussière dans les yeux. […] — Il me serra dans ses bras, ses yeux se mouillèrent de larmes. […] Je vis de l’humidité dans ses yeux.

613. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

Les yeux du Russe roulèrent effroyablement au moment où il la reçut. […] » Lorsqu’il entre dans la chambre d’une bonne mère ou d’une jeune fille honnête, il baisse les yeux comme à la porte d’un sanctuaire. […] L’aspect d’un billet de banque le fait courir les yeux fermés à travers un monceau de supplications et de mensonges. […] À ses yeux, ce sont des forces ayant des directions et des grandeurs différentes. […] Son visage était pourpre et ses yeux mouillés, quand il la déposa à terre.

614. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « M. Ampère »

J’ai sous les yeux la lettre touchante, et vraiment sublime de simplicité, dans laquelle il fait ses derniers adieux à sa femme. […] Nous en avons sous les yeux des preuves sans nombre dans les papiers de tous genres amassés devant nous et qui nous sont confiés, trésor d’un fils. […] Au bord de ce ruisseau dont les ondes chéries Ont à mes yeux séduits réfléchi tes appas. […] Ampère que d’omettre de telles pièces quand on les a sous les yeux, de même que c’eût été mentir à la mémoire de Pascal que de supprimer son petit parchemin. […] Ampère, à un âge encore peu avancé, n’a pas fait à l’instant aux yeux du monde, même savant, tout le vide qu’y laisse en effet son génie.

615. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Au début, quelqu’un représentait à Boileau que, s’il s’attachait à la satire, il se ferait des ennemis qui auraient toujours les yeux sur lui. […] Despréaux apporta la scène de la dispute de Chicaneau et de la comtesse, qui s’était passée sous ses yeux, chez son frère Boileau le greffier. […] Elle lui défend de jamais reparaître devant ses yeux… Mais déjà elle sent bien qu’il ne mentait pas. […] Il y a des yeux et des oreilles dans la muraille : les oreilles et les yeux du sultan. […] C’est sur moi qu’en ce moment toute la Grèce a les yeux fixés, et c’est de moi que dépendent le départ de la flotte et la ruine de Troie.

616. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — I. » pp. 91-108

Les affaires sont à l’avance examinées et discutées ; on ne les lui présente que tamisées en quelque sorte, éclaircies, mises dans un tel jour, qu’à moins d’être stupide, la décision saute aux yeux. […] La tête est fort belle, la physionomie vive, animée, parlante, la figure assez longue ; on n’y prend nullement l’idée que donnerait de M. de Meilhan le duc de Lévis, lorsqu’il a dit : « Sa figure, quoique expressive, était désagréable ; il était même complètement laid, ce qui ne l’empêchait pas d’ambitionner la réputation d’homme à bonnes fortunes. » Cette idée de laideur ne vient pas à la vue de ce portrait ; mais on y reconnaît avant tout ce bel œil perçant, plein de feu, ces « yeux d’aigle pénétrants » dont le prince de Ligne était si frappé. […] Sa société même ignorait qu’il était aïeul, époux, père : qu’était-il donc à leurs yeux ? […] C’est ainsi qu’il a dit encore en parlant des femmes et de l’amour-passion (car l’expression est de lui), et en convenant qu’il ne l’avait jamais éprouvé : « En France, les grandes passions sont aussi rares que les grands hommes. » À mes yeux, la vérité de l’ouvrage de M. de Meilhan consiste surtout dans cette nuance générale, relative à son moment.

617. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Je ne veux pas dire que d’autres écrivains ayant les mêmes pièces sous les yeux n’en tireraient pas d’autres idées, une autre conclusion ; mais, dans l’Histoire de M.  […] On y voit Ney, « à qui la présence de l’ennemi rendait ses éminentes qualités » ; le plus habile manœuvrier de l’armée ; « héros au cœur infaillible, à la raison quelquefois flottante, inébranlable sur un terrain qu’il pouvait embrasser de ses yeux, moins sûr de lui-même sur un terrain plus vaste qu’il ne pouvait embrasser qu’avec son esprit ». […] J’ai sous les yeux des paroles vraies de Napoléon telles qu’elles ont été prononcées dans un entretien avec M.  […] Thiers en a eu sous les yeux les plus curieux exemples. […] Dans la figure d’un vieux prince de l’Église, au nez rouge et boursouflé, au visage sensuel, aux yeux petits mais perçants, il n’apercevait rien de laid ou de repoussant, cherchait la nature, l’admirait dans sa réalité, se gardait d’y rien changer, et n’y mettait du sien que la correction du dessin, la vérité de la couleur, l’entente de la lumière, et ces mérites, il les trouvait dans la nature bien observée, car dans la laideur même elle est toujours correcte de dessin, belle de couleur, saisissante de lumière.

618. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

Les deux champions, montés sur des coursiers de différentes couleurs, l’un en armure noire sur un cheval blanc, l’autre sur un cheval noir avec l’écharpe blanche, brisèrent l’un contre l’autre leurs lances du premier coup : Marolles, atteint en plein dans la cuirasse, résista ; Marivaut, frappé à l’œil dans la grille de la visière, tomba roide mort. […] Une maladie qu’il eut en bas âge lui avait causé un affaiblissement de l’œil gauche, duquel, sans que cela parût au dehors, il ne vit jamais qu’imparfaitement. Mais s’il n’eut qu’un œil pour voir, on peut dire qu’il s’en servit avec d’autant plus d’activité, toujours curieux et l’esprit à la fenêtre. […] En ces années, il nous tient très au courant de ses sorties et de tout ce qu’il y voit : carrousels, festins, comédies, ballets ; il a, au plus haut degré, la mémoire des yeux. […] J’ai sous les yeux tout un prodigieux amas de ses écrits, et quelques-uns en volumes magnifiques, le tout recueilli avec un zèle d’amateur à la fois malicieux et pieux, par les soins de M. 

619. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Mais tout cela était bien loin en 1811 ; de Maistre était redevenu irréconciliable, et, à le prendre pour tel, rien ne saurait être plus intéressant que de saisir ses vues, ses impressions de chaque jour dans la terrible partie qui se joue sous ses yeux et où lui-même est en cause. « Depuis vingt ans, dit-il, j’ai assisté aux funérailles de plusieurs souverainetés ; rien ne m’a frappé comme ce que je vois dans ce moment, car je n’ai jamais vu trembler rien de si grand. » On tremblait, en effet, à l’heure où il écrivait cela, on faisait ses paquets là où était de Maistre, et la joie bientôt, et l’ivresse fut en raison de cette première crainte. […] Et voilà que quelque chose de ce qui s’est passé dans les temps antiques recommence sous nos yeux, au grand étonnement et au scandale de plusieurs. […] pourquoi ne pas s’emparer de ce qui se passe sous nos yeux, pour se rendre compte de la manière dont les choses ont dû se passer dans des temps hors de notre portée et qui nous fuient ? […] Je crois le voir : son œil s’enflamme, sa tête se redresse, un éclair caresse son front, un souffle agite sa coiffure à ses tempes ; il a du prophète, il ne peut s’en empêcher. […] Ces vendeuses de pommes dont il parle de ce ton de mépris sur l’article de la conversion, n’ont-elles donc pas des âmes, et des âmes respectables aux yeux du chrétien, autant que d’autres ?

620. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Mémoires de l’Impératrice Catherine II. Écrits par elle-même. »

Dans cette pleurésie qu’elle a et qu’on traite tout de travers (car l’absurdité autour d’elle éclate de toutes parts et sous toutes les formes), elle a près de son lit des dames placées par l’Impératrice, et elle entend d’elles, à leur insu, et devine beaucoup de choses qu’elle a intérêt à connaître : « Je m’étais accoutumée, dit-elle, pendant ma maladie, d’être les yeux fermés ; on me croyait endormie, et alors la comtesse Roumianzoff et les femmes disaient entre elles ce qu’elles avaient sur le cœur, et par là j’apprenais quantité de choses. » Elle sait qu’avant tout, à ses débuts, il faut plaire, — plaire à l’Impératrice d’abord, personne faible, crédule, pleine de préventions et de petitesses ; plaire à la nation aussi, et paraître soi-même en être éprise. […] Peu de personnes y étaient à leur avantage ; Élisabeth y brillait entre toutes : « Ont aurait toujours voulu avoir les yeux attachés sur elle ; et on ne les en détournait qu’à regret, parce qu’on ne trouvait nul objet qui la remplaçât. […] Au moment que j’entrai, je vis aisément que je fixais tous les yeux. […] Ajoutez à sa beauté ce trait distinctif qu’elle ne dit pas, d’être une brune aux yeux bleus, ou si ses yeux étaient noirs comme ses sourcils étaient bruns, de les avoir bigarrés du moins et susceptibles de teintes bleues sous les reflets et le jeu de la lumière.

621. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

C’est alors que les beautés attrayantes, volages, passaient et repassaient plus souvent devant ses yeux : Elles me disaient : « Compose De plus gracieux écrits, Dont le baiser, dont la rose, Soient le sujet et le prix. » A cette voix adorée Je ne pus me refuser, Et de ma lyre effleurée Le chant n’eut que la durée De la rose ou du baiser. […] Aussitôt, pour te paraître belle, L’eau pure a ranimé son front, ses yeux brillants : D’une étroite ceinture elle a pressé ses flancs, Et des fleurs sur son sein, et des fleurs sur sa tête, Et sa flûte à la main……… La muse de Millevoye est bergère aussi, mais sans cet art inné qui se met à tout, et par lequel la fille de Chénier, sous sa corbeille, s’égale aisément aux reines ou aux déesses. Elle, sensible bergère, pour emprunter à son poëte même des traits qui la peignent, elle est assez belle aux yeux de l’amant si, au sortir de la grotte bocagère où se sont oubliées les heures, elle rapporte Un doux souvenir dans son âme, Dans ses yeux une douce flamme, Une feuille dans ses cheveux. […] J’avais lu la plupart de ces petits chants, j’avais lu ce Charlemagne, cet Alfred, où il en a inséré ; je trouvais l’ensemble élégant, monotone et pâli, et, n’y sentant que peu, je passais, quand un contemporain de la jeunesse de Millevoye et de la nôtre encore, qui me voyait indifférent, se mit à me chanter d’une voix émue, et l’œil humide, quelques-uns de ces refrains auxquels il rendit une vie d’enchantement ; et j’appris combien, un moment du moins, pour les sensibles et les amants d’alors, tout cela avait vécu, combien pour de jeunes cœurs, aujourd’hui éteints ou refroidis, cette légère poésie avait été une fois la musique de l’âme, et comment on avait usé de ces chants aussi pour charmer et pour aimer. […] Parmi les romances de Millevoye, les amateurs distinguent, pour la tendresse du coloris et de l’expression, celle de Morgane (dans le poëme de Charlemagne) ; la fée y rappelle au chevalier la bonheur du premier soir : L’anneau d’azur du serment fut le gage : Le jour tomba ; l’astre mystérieux Vint argenter les ombres du bocage, Et l’univers disparut à nos yeux.

622. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre III. La personne humaine et l’individu physiologique » pp. 337-356

La planche reste une et continue ; on ne peut pas dire qu’elle soit la série de ses morceaux ajoutés bout à bout, puisqu’elle n’est divisée que pour l’œil ; et cependant elle équivaut à la série de ses morceaux ; eux ôtés, elle ne serait plus rien ; ils la constituent. […] Quand on dépasse cette proposition vague, on veut dire que, telles conditions étant données, cet être aura telle sensation, image, idée, résolution, en d’autres termes, que dans la trame qui le constitue il y a une liaison constante entre tel événement intérieur ou extérieur. — J’ai le pouvoir de me rappeler un tableau, les Noces de Cana par Véronèse ; cela signifie qu’à l’âge où je suis, et avec la mémoire que j’ai, la résolution de me rappeler le tableau est constamment suivie, au bout d’un certain temps, par la renaissance intérieure, plus ou moins nette et complète, des figures et des architectures qui composent le tableau. — J’ai la faculté de percevoir un objet extérieur, cette table, par exemple ; cela signifie que dans l’état de santé où je suis, sans amaurose ni paralysie tactile ou musculaire, si la table est éclairée, si elle est à portée de ma main et de mes yeux, si je tourne les yeux vers elle, ou si j’y porte la main, ces deux actions seront constamment suivies par la perception de la table. — Les forces, facultés ou pouvoirs qui appartiennent à la trame ne sont donc rien que la propriété qu’a tel événement de la trame d’être constamment suivi, sous diverses conditions, externes ou internes, par tel événement interne ou externe. […] Nous n’avons plus devant les yeux qu’une série d’événements appelée moi, liée à d’autres qui sont sa condition. […] Il en est ainsi du Polyophthalme, chez lequel chaque segment est muni de deux yeux rudimentaires qui reçoivent chacun du ganglion correspondant un filet nerveux, véritable nerf optique. » Chacun de ces segments est un animal, complet, et l’animal total est formé « de plusieurs animaux élémentaires placés à la suite les uns des autres ».

623. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Ils y assistent, courtois, l’œil humide, prêts au besoin à offrir cent sous pour une couronne à Mimi, avec le recueillement des personnes qui ont su conduire leur maison et subordonner le sentiment et l’altruisme à un quant-à-soi sagement dosé. […] La pauvreté, l’impuissance elles-mêmes ont leurs snobs, et quand Rodolphe mordille sa plume et lève les yeux au ciel, c’est déjà un snob de la littérature pauvre. […] Il le compromet aux yeux du public, pastiche ses œuvres, bénéficie de son honneur et profite, pour lui imposer ce rebutant compagnonnage, de l’indulgence et de la pitié mêlées d’une certaine faiblesse qui entraînent souvent l’artiste vrai à se laisser « rouler » dans la vie tout en s’en apercevant. […] Il n’aurait qu’une attention de quelques instants à soutenir pour s’assimiler à fond cet art superficiel, mais pratique, de la tenue dans la vie, offrir une surface polie et impénétrable aux bêtes curieuses qui guetteraient ses défauts ou ses faiblesses secrètes, murer sa pensée derrière la courtoisie, et apparaître strict, armé, indémontable, aux yeux des « mondains » ébahis de sa vraie aristocratie. […] Ce qui doit être, aux yeux du monde, le dernier mot extérieur d’une misère d’artiste, c’est un certain sourire détaché et suprême qui arrête sur place les commisérations et ne permette la fraternité qu’à ses pairs.

624. (1785) De la vie et des poëmes de Dante pp. 19-42

Leur malheur fut, dans tous les temps, de ne pas demeurer à Rome : elle serait devenue la capitale de leurs États, et les papes auraient été soumis sous l’œil du maître. […] La plupart de ses peintures ont encore aujourd’hui la force de l’antique et la fraîcheur du moderne, et peuvent être comparées à ces tableaux d’un coloris sombre et effrayant, qui sortaient des ateliers des Michel-Ange et des Carrache et donnaient à des sujets empruntés de la religion une sublimité qui parlait à tous les yeux. […] Il suppose que les ombres ont les sens plus exquis que nous ; et, au vingt-quatrième chant de l’Enfer, il dit que des yeux vivants ne peuvent pénétrer dans les profondeurs de l’abîme, comme les yeux d’un mort. […] Les âmes à qui on négligeait de faire des sacrifices s’attachaient quelquefois à leurs parents ou à des personnes de leur connaissance, et celui qui était ainsi sucé par un mort dépérissait à vue d’œil.

625. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame, duchesse d’Orléans. (D’après les Mémoires de Cosnac.) » pp. 305-321

« Elle avait, dit Choisy, les yeux noirs, vifs, et pleins du feu contagieux que les hommes ne sauraient fixement observer sans en ressentir l’effet ; ses yeux paraissaient eux-mêmes atteints du désir de ceux qui les regardaient. […] À côté de Monsieur, il y avait un jeune seigneur qui, en ce temps-là, était son favori : c’était le comte de Guiche, le plus beau jeune homme de la Cour, le mieux fait, hardi, fier, avec un certain air avantageux qui ne déplaît pas aux jeunes femmes, et qui accomplit à leurs yeux le héros de roman. […] Pour les traits de son visage, on n’en voit pas de si achevés ; elle avait les yeux vifs sans être rudes, la bouche admirable, le nez parfait, chose rare ! car la nature, au contraire de l’art, fait bien presque tous les yeux et mal presque tous les nez.

626. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 24, des actions allegoriques et des personnages allegoriques par rapport à la peinture » pp. 183-212

Les peintres font servir encore ces compositions à peu près au même usage que les égyptiens emploïoient leurs figures hierogliphiques ; c’est-à-dire pour mettre sensiblement sous nos yeux quelque verité generale de la morale. […] Telle est l’expression, qui arrête les yeux de tout le monde sur le visage de Marie De Medicis qui vient d’accoucher. […] Or, comme nous le dit Vitruve en termes très-sensez, il ne suffit pas que nos yeux trouvent leur compte dans un tableau bien peint et bien dessiné : l’esprit y doit aussi trouver le sien. […] Mais c’est assez d’honneur à nos peintres que d’être admis à répresenter historiquement ceux des évenemens de nos mysteres, qui peuvent être mis sous nos yeux. […] Est-ce avoir la nature devant les yeux que de dessiner d’après un modele tranquille, lorsqu’il s’agit de peindre une tête où l’on découvre l’amour à travers la fureur de la jalousie.

627. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une croisade universitaire » pp. 107-146

Ce livre, — gonflé d’idées, — écrit sous l’œil de V.  […] J’ai donc la confiance, cher cousin, que mon nouveau titre de rédacteur au Figaro ne me déshonore pas tout à fait à tes yeux, et que tu n’as pas encore recommandé à ton concierge le frère de Madeleine. […] Il avait, dans sa jeunesse, tourné assez gentiment le madrigal à la Boufflers et collaboré à la Guerre des dieux du chevalier de Parny. — On assure qu’il fit plus d’un acrostiche mythologique sur les beaux yeux de madame Tallien, et que le Mercure de France fut, à une époque, tout fleuri de ses bouquets à Chloris. […] Je restais là, les yeux fixes, choqué de cette inconvenance, lorsque tout à coup… Il m’a semblé voir, à travers la brume qui montait de mon cigare, les lignes trembler sur le papier et s’agiter d’une façon tout à fait insolite, et des phrases entières rouler sur elles-mêmes… Ô spectacle saugrenu ! […] Je suivais de l’œil, en riant aux éclats, ce steeple-chase forcené, quand j’ai été ramené aux choses et aux journaux de ce monde par la voix du garçon, qui criait : « Le Siècle demandé, voilà ! 

628. (1900) Le lecteur de romans pp. 141-164

Elle n’a dans les yeux que la joie du monde qui s’ouvre. […] Je dis qu’il faut relire la vie dans les livres, mais qu’il faut l’apprendre de la vie elle-même, en la regardant en face avec des yeux bien clairs. […] Oublions pour un instant la manière dont sont lus la plupart des romans, prêtés un jour, rendus le lendemain, dévorés par des yeux souvent jolis, mais qui ne savent pas lire, qui ne savent que suivre un héros à travers les pages d’un livre, comme un passant qui s’éloigne sur le sable d’une promenade. […] Voyez, dans une même patrie, les gens de la plaine et ceux de la montagne, ceux qui communiquent, par tout leur être, avec le sol rocheux, l’air sec, avec les bruyères, avec les grands flamboiements de soleil sur des surfaces arides ; regardez à côté et étudiez ceux que la vie enferme dans l’ombre moite des forêts ; observez le visage des mêmes travailleurs qui change avec les saisons, la couleur de leurs paroles ou de leurs yeux qui varie plus d’une fois en un jour, et dites si nous ne sommes pas un peu les sujets de ce monde que nous dominons par la pensée ? […] Le peintre et le romancier verront le même paysage ou le même décor d’appartement ; ils le verront peut-être avec des yeux également fouilleurs, sensibles aux moindres nuances de couleur et aux harmonies des formes ; mais, si leur vision est la même, ils la rendront par des procédés et dans un but bien différents.

629. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XXII. »

« Sur un roc, dont le faîte sourcilleux se hérisse au-dessus des flots écumants de Conway, couvert du noir vêtement de la calamité, les yeux hagards, le poëte était debout : sa barbe épandue et sa blanche chevelure flottaient comme un météore, au souffle de l’air agité ; et, d’une main de maître, avec le feu d’un prophète, il éveillait les gémissements profonds de la lyre : — Écoute comme chacun des chênes géants et des antres déserts soupire, à la voix formidable du torrent qui se précipite au-dessous d’eux. […] « Chers compagnons de mon art mélodieux, chers à moi comme la lumière qui visite ces tristes yeux, comme les gouttes de sang qui réchauffent mon cœur, vous êtes morts au milieu des cris de notre patrie mourante ; je ne pleure plus. […] « Là-bas, sur ce point brillant qui enflamme les astres d’Orient, les fantômes s’effacent, s’évanouissent de mes yeux. […] Dans le milieu est une beauté divine ; son œil la proclame de descendance bretonne, et son port de lion, son visage commandant le respect, et mêlé avec douceur d’une grâce virginale. […] « L’enthousiasme t’appelle ; et, tandis qu’il chante dans son brillant essor, à l’œil des cieux il déploie ses ailes aux mille couleurs.

630. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Évidemment, il a sous les yeux, non pas la dissertation du P.  […] vous aviez de vrais yeux au théâtre ? […] De vrais yeux, Monseigneur ! […] Le feu de la fièvre est dans ses yeux ! […] et la ruse aussitôt sautait aux yeux des spectateurs les mieux prévenus.

631. (1788) Les entretiens du Jardin des Thuileries de Paris pp. 2-212

On sait que lorsque l’esprit est tout entier à une conversation qui intéresse, les yeux ne voient rien. […] Quand on se prend comme devant bientôt se séparer, le mariage n’est plus aux yeux des hommes, un engagement sacré. […] Combien de fois ne s’attacherent-ils pas à décrier les motifs, quand un acte de vertu s’offrit à leurs yeux. […] Au lieu de lire un excellent ouvrage, on s’en tient à la simple analyse, & l’on ne voit que par les yeux d’autrui. […] Tout ce monde qui passe, & repasse sous vos yeux, vous fournit d’agréables réflexions.

632. (1892) La vie littéraire. Quatrième série pp. -362

Ses yeux caves semblaient venimeux. […] Un œil vif et noir éclaire son mâle visage olivâtre. […] Elle en sortit aux yeux du romain charmé. […] Alors une vision délicieuse emplit mes yeux. […] Pour ma part, je me récuse, n’ayant point les pièces sous les yeux.

633. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Ce sont ces huit pièces qu’il s’agit de faire passer rapidement devant vos yeux. […] Deux choses que souvent l’on confond, le théâtral et le dramatique : le théâtral frappe les yeux, les sens ; le dramatique saisit l’âme et le cœur. […] Tout se passe sous les yeux du spectateur, moins la mêlée, que décrit le berger poltron monté sur l’arbre. […] Corbie fut reconquis sous leurs yeux, le 14 novembre 1636. […] votre miroir ne peint-il pas vos yeux ?

634. (1899) Arabesques pp. 1-223

— Un Juif n’a-t-il pas des yeux ? […] Isis se dresse au détour d’une allée, et ses yeux commandent la victoire. […] Tout vit, tout marche, tout crie, tout combat sous nos yeux. […] À cette fin, il accumule des vapeurs ; il gronde en faisant les gros yeux. […] Rochefort désirerait voir dévorer les yeux de ses adversaires par des araignées.

635. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre I. Des Livres qui traitent de la Chronologie & de la maniere d’écrire l’Histoire. » pp. 2-4

Cette science est l’œil de l’Histoire ; mais cet œil est assez trouble dans les fatras chronologiques qu’on a publiés avant le milieu du dernier siécle.

636. (1761) Salon de 1761 « Peinture —  Greuze  » pp. 157-158

Celui de Babuti beau-père de Greuze est de toute beauté ; et ces yeux éraillés et larmoyants ; et cette chevelure ; et ces chairs ; et cette vie, et ces détails de vieillesse qui sont infinis au bas du visage et autour du col ; il les a tous rendus, et cependant sa peinture est large. […] Avec ses mains croisées sur sa poitrine ; ce visage long ; cet âge ; ces grands yeux tristement tournés vers le ciel ; cette draperie ramenée à grands plis sur la tête, c’est une mère de douleurs, mais d’un petit caractère, et un peu grimaçante.

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