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695. (1905) Promenades philosophiques. Première série

Il est vite fait de répondre en prétextant le goût et le dégoût. […] Le goût de la perfection, en somme, se confond avec le goût de l’unité. […] Voilà le goût de la perfection à son apogée ! […] Le goût de l’inachevé conduit naturellement à ces incohérences. […] Entrez, j’en ai pour tous les goûts.

696. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Alfred de Musset » pp. 364-375

C’est alors aussi qu’on entendait dans les salons des gens d’esprit et réputés gens de goût, des demi-juges de l’art comme il y en a surtout dans notre pays55, affecter de dire qu’ils aimaient Musset pour sa prose, et non pour ses vers, comme si la prose de Musset n’était pas essentiellement celle d’un poète : qui avait fait les vers pouvait seul faire cette fine prose. […] Que manquait-il donc en ces années au poète, bien jeune encore, pour être heureux, pour vouloir vivre et aimer la vie, pour laisser son esprit courir et jouer en conversant sous des regards prêts à lui sourire, et son talent désormais plus calme, plus apaisé, s’animer encore par instants et combiner des inspirations renaissantes avec les nuances du goût ? […] Mais, on n’a pas voulu dire que le directeur de la revue, qui fut pendant quelques années l’administrateur très zélé du Théâtre-Français, n’ait pas songé à y mettre en œuvre le talent de M. de Musset ; ce qu’on a voulu dire, c’est que Mme Allan, qui avait joué le Caprice à Saint-Pétersbourg, le joua à ravir à Paris, et mît chacun en goût de telle friandise.

697. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — I » pp. 219-230

Il en est de ces mets de l’intelligence comme de ceux du corps : il vient un moment où même les plus excellents, à force de reparaître et de nous être servis sous toutes les formes, lassent le goût ; il n’était pas jusqu’à Beuchot, l’éditeur passionné de Voltaire, qui, sur la fin, lorsqu’on lui apportait des lettres nouvelles de son auteur favori, ne criât grâce et ne répondit : « Assez, j’en ai assez !  […] Démon du goût et de l’irritabilité littéraire ; démon de l’inspiration poétique, et même de la correction ; démon de la justice et de la tolérance contre les persécuteurs ; démon de la civilisation, du luxe et de l’industrie (quand, par exemple, il veut vendre et placer partout ses montres du pays de Gex), il a en lui la légion démoniaque au complet ; il fait tout enfin par démon, par accès et verve. […] Ravenel, qui s’était occupé, le premier et avant tout autre, de la copie et de la collation exacte des papiers de Neuchâtel, s’est borné à préparer un travail qui n’attendait qu’un éditeur, et que cet éditeur (le goût pour Jean-Jacques s’étant refroidi) n’est jamais venu lui arracher ; car M. 

698. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « FLÉCHIER (Mémoires sur les Grands-Jours tenus à Clermont en 1665-1666, publiés par M. Gonod, bibliothécaire de la ville de Clermont.) » pp. 104-118

Mais les goûts changent ; la postérité, ce juge suprême assurément, a quelquefois aussi ses mobilités, ses oublis, ses retours, et veut avant tout être amusée. […] On y reconnaît, à chaque phrase du narrateur, le Fléchier tel qu’il s’est retracé lui-même dans un portrait déjà connu, adressé, selon toute apparence, à mademoiselle Des Houlières43, portrait à la mode du temps, dans le goût un peu flatté des ruelles et des bergeries, tout peint et comme peigné par lui de charmantes caresses. […] Ce premier petit roman nous met en goût et en confiance avec Fléchier ; on sent qu’on a affaire, non-seulement à un écrivain singulièrement poli, mais à un esprit observateur et délié qui s’entend aux beaux sentiments, aux grandes passions, qui en sourit tout bas en les exposant, et les décrit à plaisir sans s’y prendre.

699. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Cela s’est déjà passé de la sorte aux autres époques de civilisation raffinée ; et du moment que la poésie, cessant d’être la voix naïve des races errantes, l’oracle de la jeunesse des peuples, a formé un art ingénieux et difficile, dont un goût particulier, un tour délicat et senti, une inspiration mêlée d’étude, ont fait quelque chose d’entièrement distinct, il a été bien naturel et presque inévitable que les hommes voués à ce rare et précieux métier se recherchassent, voulussent s’essayer entre eux et se dédommager d’avance d’une popularité lointaine, désormais fort douteuse à obtenir, par une appréciation réciproque, attentive et complaisante. […] Le bon sens qui succéda, et qui, grâce aux poëtes de génie du xviie  siècle, devint un des traits marquants et populaires de notre littérature, fit justice d’une mode si fatale au goût, ou du moins ne la laissa subsister que dans les rangs subalternes des rimeurs inconnus. […] C’est un faible en ce monde que la poésie ; c’est souvent une plaie secrète qui demande une main légère : le goût, on le sent, consiste quelquefois à se taire sur l’expression et à laisser passer.

700. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

Poëte d’un vrai talent, doué par la nature de qualités riches et rares, amoureux de la gloire immortelle et capable de longues entreprises, il ne lui a manqué peut-être au début qu’une de ces disciplines saines, et fortes qui ouvrent les accès du grand par les côtés solides, et qui tarissent dans sa source, et sans lui laisser le temps de grossir, la veine du faux goût. […] Au discours du récipiendaire, l’un des plus élevés et des plus généreux qu’on ait entendus, M. le comte Molé a répondu, au nom de l’Académie, avec le goût qu’on lui connaît. […] Pour un ou deux peut-être, doués d’une élévation naturelle qui résiste et d’un goût à l’épreuve qui a l’air plutôt de s’aiguiser, qu’arrive-t-il de la plupart en ce qui est de l’œuvre et de la production même ?

701. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. Victor Vousin. Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. ix-18. »

Qui dit éclectisme suppose la curiosité des opinions du dehors et le goût des voyages intellectuels. 1816 se trouvait un moment bien choisi pour inoculer ce goût en France à l’élite de la jeunesse. […] Il y a quelques écrivains de notre temps, en très-petit nombre qui ont un don bien rare, ou plutôt une heureuse incapacité : ils ont beau écrire en courant et improviser, ils ne sont jamais en danger de rien rencontrer qui soit contre le goût et le génie de la langue.

702. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « (Chroniqueurs parisiens I) MM. Albert Wolff et Émile Blavet »

Les hommes occupés aux travaux de l’esprit n’ont même pas le temps et n’auraient point le goût de les parcourir. […] Et alors ils ont beau écrire trop vite et trop souvent ; ils ont beau écrire par métier, sans goût, sans plaisir, sans conviction : la qualité, le tour de leur esprit se révèle toujours par quelque endroit. […] Il a commencé par être un reporter plein de déférence ; puis il s’est poussé et s’est maintenu par le respect du public, entendez par le respect des opinions et des goûts présumés de la haute et moyenne bourgeoisie.

703. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Le goût naturel de Deschamps et — pourquoi ne le dirai-je pas ?  […] Mais ces publications étaient trop intransigeantes pour faire aucune concession au goût du public ; et la grande presse restait hostile ; elle ourdissait autour de ces tentatives la conspiration du silence. […] Non, certes, l’effort considérable de ces dix années n’aura pas été stérile, puisqu’il a réussi à modifier le goût public.

704. (1824) Notice sur la vie et les écrits de Chamfort pp. -

Il espéra que les eaux de Barrège seraient plus efficaces que celles de Contrexeville ; mais, à défaut de santé, il y trouva plusieurs dames de la cour, qui prirent un goût particulier à sa conversation ingénieuse et piquante. […] Il fallait cependant un aliment à l’inquiète activité de son esprit ; sa tragédie de Moustapha et Zéangir, commencée depuis longtemps, abandonnée et reprise vingt fois dans les alternatives de langueur et de force qu’éprouvait sa santé, fut achevée dans cette retraite : plusieurs scènes de cette pièce prouvent avec quelle attention Chamfort avait étudié la manière de Racine, et jusqu’où il en aurait peut-être porté l’imitation, s’il n’eût été sans cesse distrait par ses maux et par des travaux étrangers à ses goûts. […] Chamfort avait eu une jeunesse très orageuse ; sa pauvreté, ses passions, son goût exclusif pour les lettres, qui l’éloignait de toute occupation lucrative, donnèrent, à son entrée dans le monde un aspect qui put blesser des hommes austères ; et ceux qui l’avaient suivi de moins près depuis cette ancienne époque, pouvaient en avoir conservé de fâcheuses impressions.

705. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

Le « goût même de l’être. Ne me demandez pas d’analyser « ce goût sublime ! […] (Un « goût qui enflamme !)

706. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « L’idolâtrie au théâtre »

Chauffée donc à cette double flamme de la représentation avec son éclat et du feuilleton avec son incroyable lyrisme, la société, qui est une femme (car, c’est vrai, les femmes font les mœurs, mais lorsqu’elles ne les défont pas), perd chaque jour ce qui lui restait de goûts simples et de vertus fortes, et c’est ainsi que le théâtre brise deux fois la famille, — par ses pièces et par ses acteurs. […] Tandis que la comédie de société ne paraît guère qu’une occupation innocente, un joli goût de gens bien élevés et d’instincts artistes, un passe-temps charmant pendant lequel on ne médit point du prochain, comme disent les badauds qu’on rencontre au fond de toutes les questions. […] Exaspéré vers la fin, ce goût de spectacles remontait dans la République.

707. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

À part son diable de goût pour Cléopâtre, qui me paraît un peu païen, pour ne pas dire pis, Blaze de Bury n’est cependant pas — du moins dans ce livre-ci — un de ces paganisants comme il en pousse partout, et même à la Revue des Deux-Mondes ; de ces petits Julien l’Apostat, moins l’Empire, et avec dix-huit cents ans de plus de Christianisme sur la tête, ce qui les forcera, avant de la lever tout à fait, de ramper encore quelque temps ! […] Tout ce qu’on sait, c’est qu’on a une sensation neuve ; c’est que le condiment qui la donne est très subtilement arrangé ; que le tout est très savoureux, et qu’on prend goût à cette cuisine. […] Cette langue chaude, que Blaze de Bury parle si bien, introduit un courant de vie de plus dans cette histoire de choses mortes revivifiées, et, ce que je ne compte pas moins, doit ajouter au déconcertement des vieux classiques, des vieilles gens de goût, ces momies !

708. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXI. De Mascaron et de Bossuet. »

Enfin les esprits se polissant, mais s’affaiblissant un peu, vinrent, par les progrès des lumières, à ce point où le goût des détails fut plus parfait, mais où l’élégance continue nuisit à la grandeur et surtout à la force. […] En général, Mascaron était né avec plus de génie que de goût, et plus d’esprit encore que de génie. […] Le ton en est éloquent ; la marche en est belle, le goût plus épuré.

709. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

Le goût sentit, dans la fiction et le récit, cet accent naïf qui ne trompe pas et qu’on ne peut guère simuler. […] Sa licence s’oublia, devant son art profond de langage ; on le médita comme Pindare et comme Homère lui-même ; et, dans cette riche série de modèles que le génie grec, à ses âges divers, offrit au goût laborieux des Romains, il fut l’objet de l’émulation des plus habiles. […] Sur le sommet des mâts un nuage s’est arrêté tout droit, signe de la tempête ; puis vient la terreur qui suit un danger subit. » Quelquefois encore, ces restes brisés de la couronne du poëte grec ne sont que des traits rapides et simples, une parole délicate et passionnée, un coup de pinceau qui ne s’oublie pas52 : La jeune fille triomphait, tenant à la main une branche de myrte et une fleur de rosier ; et ses cheveux épars lui couvraient le visage et le col » ; ou bien encore, avec moins de simplicité, cette autre peinture qui rappelle celle de Sapho : « Semblable passion d’amour, pénétrant au cœur, répandit un nuage épais sur les yeux et déroba l’âme attendrie. » Horace, dans sa vive étude des Grecs, avait sans doute gardé bien d’autres souvenirs d’Archiloque ; et quelques-unes de ses odes, son dithyrambe à Bacchus et d’autres, ne doivent être qu’une étude d’art et de goût substituée au tumulte des anciennes orgies, où le poëte de Paros se mêlait, en chantant : « Le cerveau foudroyé par le vin, je sais combien il est beau d’entonner le dithyrambe, mélodie du roi Bacchus. » Archiloque, s’il faisait des hymnes, devait être, ce semble, le poëte lyrique des Furies et non des Dieux.

710. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Nous sera-t-il permis, comme indice à cet égard, de noter son goût très-vif pour Carrel ? […] Il avait rencontré celle-ci pour la première fois un matin au Jardin des Plantes, où leur goût commun de la botanique les avait conduits. […] On y reconnaît constamment un goût attentif à ne point se servir de paroles plus grandes que les choses. » M. […] Il semblait qu’en cela la difficulté même et la nouveauté de l’application aiguisassent son goût et le tinssent en éveil. […] L’homme de goût, l’homme délicat et sensible se retrouvait jusque dans l’érudit en quête du fond et dans l’investigateur des mœurs simples.

711. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre III. La Déformation de l’Idéal classique (1720-1801) » pp. 278-387

Le Temple du goût] ; et d’Alembert en est un autre, qui s’étonne que Marivaux, « donnant, pour ainsi dire, toujours la même comédie sous différents titres, n’ait pas été plus malheureux sur la scène » [Cf.  […] On connaît le Commentaire sur Corneille, de Voltaire, et on sait de quelle timidité de goût ce Commentaire est l’instructif et attristant témoignage ! […] — Comparaison à cet égard de Gil Blas et du Paysan parvenu. — Du goût bizarre de Marivaux pour « les gens de maison ». […] Combien d’ailleurs la qualité de son âme est supérieure à la qualité d’âme de Rousseau ; — si son talent demeure inférieur. — Éloquence de Vauvenargues. — Accent mélancolique de quelques-unes de ses pensées. — Finesse de son goût littéraire. […] Du style de Buffon ; — s’il mérite la vivacité des critiques que l’on en a faites ; — et des plaisanteries d’un goût douteux que l’on en fait encore ; — pour quelques phrases un peu pompeuses ; — ou quelques touches un peu brillantes ?

712. (1905) Propos de théâtre. Deuxième série

Si nous l’étions, nous n’aurions aucun goût ; et si nous nous arrangions de manière à être d’accord, nous renoncerions de propos délibéré à notre goût personnel, c’est-à-dire au goût. […] Certes, c’est bien que le goût du public n’y était pas. […] Il était de haut goût. […] Ainsi réfléchissez ; consultez votre goût. […] Consultez votre goût.

713. (1876) Romanciers contemporains

Le goût redressé reprend ses droits. […] Or il suffit d’un peu de goût et de sens pour condamner de tels écarts. […] Nous redirons tout à l’heure ce que disent les gens de goût. […] Ici le goût de la singularité a été le triomphe de l’art. […] Cette légende « du petit homme bleu » est d’un goût détestable.

714. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Le goût est plus délicat quand il est averti. […] Il ne nous dispense, pas d’avoir du goût, du tact, de la délicatesse. […] Mais nos goûts ne seront pas étroits et exclusifs. […] Elle fournit au goût un sûr critérium pour juger de la valeur des œuvres. […] Même dans l’extrême fantaisie le goût doit garder ses droits.

715. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Or, dans la littérature sacrée, il arriva que ce goût général et dominant produisit ses effets. […] Que s’il se mêle à cette question de liturgie une part de dogme, on trouvera tout naturel que je la néglige ici pour ne considérer que ce qui est du ressort du goût, ce dernier ordre de considérations étant très suffisant pour nous permettre de bien juger du caractère, du rôle et de toute la destinée de Santeul ; car il ne fut jamais qu’un homme de verve, et nullement un homme de doctrine. […] Un homme d’esprit plus impartial que Despréaux, et qui y apportait moins de vivacité de goût, le docte Huet, a jugé Santeul avec beaucoup de vérité quand il a dit : Si l’on avait dressé à cette date (vers 1660) une pléiade des poètes, comme autrefois en Égypte du temps de Ptolémée Philadelphe, ou comme au siècle passé en France, on y aurait certainement donné place à Pierre Petit, médecin, à Charles du Périer et à Jean-Baptiste Santeul, de la congrégation de Saint-Victor à Paris. […] La Fontaine, une si parfaite et si naïve image du poète, a trop d’esprit, de finesse, de goûts différents et d’oubli pour exprimer ce qu’ici je veux dire, et ce que Santeul nous personnifie plus au naturel : car ce n’est pas seulement la verve et l’inspiration que j’entends, c’est l’amour-propre, la jactance, l’emportement, l’infatuation de soi-même et de ses vers, c’est l’animal-poète dans toute sa belle humeur et dans toute sa gloire : ne le demandez pas à un autre que Santeul ; les curieux de son temps le savaient bien, et il est encore à montrer comme tel à ceux du nôtre.

716. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — II » pp. 39-56

Il y en a pourtant qui, pour n’être pas si polies, ne laissent pas d’imprimer du respect et de la révérence. » Ce jugement de l’abbé de Rancé est celui d’un homme de sens et de goût ; il fait les deux parts et reconnaît, même aux vieilles hymnes dont le langage rebute parfois, ce caractère qui imprime de la révérence. […] Cet office, qu’avaient autrefois rempli avec plus ou moins de distinction et de goût les Boisrobert, les Voiture, les Sarasin, les Marigny, Santeul le remplissait à Chantilly avec une belle humeur qui ne le cédait à celle de personne et avec une verve intarissable. […] Avant de partir pour ce dernier voyage de Bourgogne, Santeul avait été en visite à la Trappe ; « il avait trouvé du goût pour tout ce qu’il y avait vu » ; mais ce goût avait été passager comme tout ce qui faisait impression sur cette organisation mobile ; et l’abbé de Rancé, en apprenant sa mort, que lui annonçait l’abbé Nicaise, écrivait (3 octobre 1697) : Il est vrai, monsieur, que je n’ai point reçu le paquet que vous me mandez que vous m’avez envoyé, et que ces paroles, Santolius Burgundus, me sont toutes nouvelles.

717. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Adrien Destailleur, qui avait un goût particulier pour le genre de La Bruyère et un culte pour l’auteur lui-même, travaillait lentement, de son côté, à une édition qui parut pour la première fois en 1854 dans la Bibliothèque-Jannet : elle se recommandait dès lors par un très bon texte, ce qui est l’essentiel en pareille matière. […] Au milieu de ses vices et de ses monstruosités qui présentaient dans un abrégé commode et comme dans un miroir grossissant les travers et les crudités enhardies de la nature humaine, cette maison de Condé avait le goût de l’esprit, et, avec de la méchanceté, le talent de la fine raillerie. […] Il n’est pas extraordinaire, quand on a tant de goût et de facilité à tracer de malins portraits et quand on se sent si en train d’y réussir, que l’on s’en amuse un peu tout le premier et qu’on rie aux éclats, au moins par instants. […] Non, ce ne saurait être dans un tel recueil de société qui n’est bon qu’à donner la nausée aux gens de goût, que La Bruyère aurait été prendre l’idée d’un genre littéraire qu’il voulait rendre surtout jeune et neuf.

718. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Tantôt c’est une beauté hardie, d’aspect superbe et sauvage, aux goûts bizarres, aux mœurs orientales, osant et se permettant tous ses caprices presque en reine du Caucase ou en dame romaine d’autrefois, et mettant en déroute à première vue nos mesquines voluptés et nos jolis vices à la mode. […] Quoi qu’il en soit, chaque ami qui a déchiffré sa série de petits papiers a eu droit à une dédicace d’une partie des œuvres : ce qui fait qu’en avançant dans le second volume, rempli des écrits de Mme Swetchine, on rencontre de temps en temps des dédicaces particulières à des amis intimes (du fait de l’éditeur et non de l’auteur) : on croirait marcher de petite chapelle en petite chapelle ; dans ces moindres arrangements, on sent le goût de l’église et du reposoir. […] Je lui trouve aussi parfois des manques de goût. […] La vieillesse qui ressemble au groupe d’Ariane, c’est comme Lamennais tout à l’heure qui ressemblait à Clorinde ; j’appelle cela un manque de goût.

719. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Je ne tiens pas à prendre en défaut mes savants confrères qui ont tant à me renseigner sur ces sujets un peu ingrats, où notre légèreté se rebute aisément ; mais eux-mêmes, je le leur demande, n’ont-ils pas commencé à me faire querelle tout les premiers, en me reprochant d’anciens jugements un peu trop absolus peut-être, que je crois vrais pourtant dans le fond, et que je suis prêt d’ailleurs à modifier, à amender, autant que mon goût mieux informé pourra y consentir ? […] Que l’auteur du mystère ait ou non connu Sophocle, il a fait preuve de goût et d’habileté en donnant à Judas une autre position qu’au héros grec. […] « Quiconque, me disait un de nos maîtres, a lu Sophocle dans le texte est à jamais préservé de ces éclipses ou de ces aberrations du goût. » Tel est, en toute sincérité, le contraste que me paraît offrir cette forme très-inférieure (même lorsque le vieil auteur et l’ouvrier y serait habile) avec la noble forme antique. […] Qu’un peu de goût ne nuit jamais !

720. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Observations sur l’orthographe française, par M. Ambroise »

Je ne puis tout dire et je ne prétends en ce moment que signaler l’estimable et utile travail, depuis longtemps réclamé, que l’Académie vient d’entreprendre, en l’exhortant (sous la réserve du goût) à oser le plus possible ; car ses décisions qui seront suivies et feront loi peuvent abréger bien des difficultés, et, notre génération récalcitrante une fois disparue, les jeunes générations nouvelles n’auront qu’à en profiter couramment. […] » Ce que cet ancien ministre, homme d’esprit, a observé là à l’occasion d’un mot spécial, l’Académie, avec son sens délicat, aura à le faire à l’occasion de bien des mots nouveaux : elle aura à indiquer le point et le temps d’arrêt, le degré d’innovation possible et permis ; mais qu’elle ne l’oublie pas, ce point à déterminer n’est point fixe, ni donné par les livres ou par les anciens vocabulaires : il est mobile, et c’est à l’usage et au goût combinés à le saisir et à l’indiquer. Ainsi encore, le goût des collections a augmenté de nos jours : c’est une manie, c’est une fureur. […] De là est venu le mot collectionneur et le verbe collectionner : il sera difficile de les éviter, car ils répondent à un goût nouveau, à un besoin nouveau.

721. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet »

Ce goût pour les lettres proprement dites, quand on n’a que des études de l’antiquité fort faibles, qu’on sait à peine du latin et pas du tout de grec, est un des traits qui caractérisent le Français, surtout celui d’alors, et qui le différencient profondément des hommes politiques de l’Angleterre. […] Je reçus les premières leçons de l’usage du monde, et je pris le goût de la bonne compagnie qui m’a toujours fait fuir ce qui ne lui ressemblait pas. […] Voici de lui quelques jolis vers, d’un sentiment modeste et découragé, et dont probablement il se faisait tout bas l’application à lui-même : on n’est pas accoutumé à ces tons simples et à ce goût sans fard au xviiie  siècle : Un rayon qui nous luit, un souffle qui nous mène, Voilà de quoi dépend la destinée humaine. […] Esprit cultivé comme il l’était, il trouvait à exercer ses goûts avec agrément et dignité.

722. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

La grâce, le goût, l’art de l’insinuation, il faut qu’il les ait eus au plus haut degré pour que, dans ses Mémoires sobres et sévères, Napoléon, racontant ce qui se passa à son retour de l’Italie et de Rastadt, et la manière dont il fut accueilli par le Directoire, les fêtes qu’on lui donna, ait songé à distinguer celle du ministre des affaires étrangères. […] M. de Chateaubriand, dans son antipathie d’humeur et de nature pour le personnage, lui qui avait autant le ressort de l’honneur et le goût du dépouillement que l’autre les avait peu et savait aisément s’en passer, a dit, à propos de la manière dont M. de Talleyrand négociait les traités : « Quand M. de Talleyrand ne conspire pas, il trafique. » Ce mot sanglant, au moins dans sa seconde partie, n’est que la vérité même. […] On n’est, tout au plus alors, et sauf le suprême bon ton, sauf l’esprit de société où il n’avait point son pareil, qu’un diminutif de Mazarin, moins l’étendue et la toute-puissance ; on n’est guère qu’une meilleure édition, plus élégante et reliée avec goût, de l’abbé Dubois. […] J’ai vu, de la main de M. de Talleyrand et de sa petite écriture ronde, le portrait qu’il s’était amusé à faire d’une femme d’esprit de ses amies, pendant une séance du Sénat et sur du papier sénatorial : c’est une page simple, nette et d’un goût fin, comme tout ce qui venait directement de lui.

723. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. PROSPER MÉRIMÉE (Essai sur la Guerre sociale. — Colomba.) » pp. 470-492

Toutefois, un certain besoin de perfection et de beauté concentrée, une vérité et une justesse de plus en plus soigneusement recherchée, la difficulté croissante du goût à l’égard de soi-même, l’absence du théâtre aussi et d’un cadre qui incessamment sollicite, bien des causes peuvent faire, en avançant, que les produits de ce genre d’imagination ne remplissent pas toute une vie et y laissent vacantes bien des heures. C’est alors qu’il est bon de se partager, de se faire à temps un goût, une étude durable, ce que j’appellerai un cabinet de curiosités ou un cloître pour la seconde moitié de la vie, la partie de whist ou d’échecs des longues heures paisibles. […] Mérimée n’a rien à dissimuler ; son esprit des mieux faits et sa plume des plus sûres restent libres ; il lui suffit d’observer, dans ses travaux d’érudit, la ligne sévère qui est de son goût et du bon goût propre au genre même. […] L’audace vous gagne, le goût s’aguerrit.

724. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

Toutes grossières et sans goût, toutes rebutantes que se trouvent ces dernières pièces, elles ne sont pas autant à mépriser qu’on est tenu de le faire paraître dans un Éloge public. […] Lebrun-Tossa, son ami alors et son collaborateur en perspective, non pas un projet de canevas, mais une véritable pièce en trois actes et en vers, presque semblable en tout à celle qui est imprimée sous le titre de Conaxa, et qu’il en tira, comme c’est le droit et l’usage de tout poëte dramatique admis à reprendre son bien où il le trouve, une comédie en cinq actes et en vers, appropriée aux mœurs et au goût de 1810, marquée à neuf par les caractères de l’ambitieux et du philanthrope, et qui mérita son succès. […] Il rédigeait le Constitutionnel, et se laissa vivre de ce train d’improvisation facile et de paresse occupée qui semble avoir été le fond de ses goûts et de sa nature. […] Mais sur les autres sujets un peu mixtes et par les autres œuvres qui atteignent les bons esprits dont je parle, dans ces matières qui sont communes à tous ceux qui pensent, et où ces hommes de sens et de goût sont les excellents juges, prouvons-leur aussi que, tout poëtes que nous sommes, nous voyons juste et nous pensons vrai : c’est la meilleure manière, ce me semble, de faire honneur auprès d’eux à la poésie, et de lui concilier des respects ; c’est une manière indirecte et plus sûre que de rester poëtes jusqu’au bout des dents, et de venir à toute extrémité soutenir que nos vers sont fort bons .

725. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre V. De la littérature latine, pendant que la république romaine durait encore » pp. 135-163

Un goût plus sévère que celui des Grecs devait résulter, à Rome, de la distinction des classes. […] Le goût, l’urbanité romaine avaient quelque chose de mâle qui n’empruntait rien de la délicatesse des femmes, et se maintenaient seulement par l’austérité des mœurs. […] Caton l’Ancien, qui désapprouvait le goût des Romains pour la littérature grecque, et qui témoigna particulièrement du mépris à Ennius, parce qu’il écrivait en vers, avait été instruit lui-même par Néarque le pythagoricien, et se distingua comme écrivain et comme orateur : il ne se montra l’adversaire que de Carnéade, philosophe grec de la secte académique ; et Diogène le stoïcien, qui fut envoyé à Rome en même temps que Carnéade, y fut si bien accueilli, que Scipion, Lælius, et plusieurs autres sénateurs embrassèrent sa doctrine : il paraît même qu’elle était connue et pratiquée à Rome longtemps avant cette ambassade. […] Quel rapport peut-il y avoir entre le caractère, les talents et les goûts d’un tel peuple pendant qu’il était républicain, et tout ce que nous lisons de l’enthousiasme du peuple grec pour le perfectionnement de l’art dramatique et poétique ?

726. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre IV. Le roman »

Le goût des— lecteurs y poussait : les médiocres romans historiques que donnent les imitatrices de Mme de la Fayette497, les méchants mémoires apocryphes que fabrique Sandras de Courtilz498, plaisent par l’apparence vraie, par la prétention d’être vrais, par la conformité des faits qu’ils racontent avec les faits communs de la vie réelle, et même avec les faits particuliers de l’histoire. […] L’art classique a rejeté les modèles espagnols à la basse littérature ; et l’on peut encore rapporter à la défaite du goût classique cette singularité, qu’un disciple de Molière et de La Bruyère se fait l’héritier des Chapelain et des Scarron par sa prédilection pour la littérature de l’Espagne. […] On a peine à imaginer la bizarrerie extravagante des aventures que les romans picaresques des Espagnols nous offrent, la grossièreté répugnante des mœurs, l’âcre goût de terroir de la satire et de la plaisanterie. […] Et tandis que Florian dévie vers la fade idylle505 le goût des tableaux rustiques éveillé par Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre offre une nature inconnue et lointaine à la curiosité de ses contemporains : avec Paul et Virginie, nous le verrons, commence à s’opérer une révolution esthétique.

727. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre IV. Les tempéraments et les idées (suite) — Chapitre VI, « Le Mariage de Figaro » »

Le siècle tournera à l’idylle : notre beau monde traduira en sentiments et en pittoresque d’opéra-comique le goût de l’innocence rustique et de la belle nature que lui aura inoculé Rousseau. […] La jolie Rosine triomphe sur Bartholo, mais elle triomphe aussi sur Lindor, le très noble comte Almaviva, qui va se tenir heureux d’épouser cette petite bourgeoise : Beaumarchais a suivi le conseil de Diderot, il a enveloppé les caractères dans les conditions, et il y a trouve le moyen de caresser les goûts philosophiques du public. […] n’avait-il pas aussi tous les goûts pour jouir ? […] Il faut noter le goût de cette âme passionnée pour la musique. — Éditions : Lettres de Mlle de Lespinasse, éd.

728. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Toutes les anecdotes de Pline ne sont sans doute pas aussi délicates et aussi belles, et il y en a pour les goûts les plus divers. […] Il avait cette finesse de réflexion de laquelle dépend l’élégance et le goût, et il communique à ses lecteurs une certaine liberté d’esprit, une hardiesse de pensée qui est le germe de la philosophie… Le jugement de Buffon est extrêmement favorable à Pline ; il semble que le grand écrivain ait eu pour lui de la reconnaissance, qu’il ait deviné qu’on lui reprocherait un jour à lui-même quelques-uns des défauts qu’on peut imputer à l’auteur romain, et qu’il se soit plu d’avance à saluer en lui quelques-unes de ses propres qualités, quelques-uns des traits généraux de sa manière. […] Il confesse ses goûts et son ambition décente avec une candeur et une ingénuité qui désarment, et je m’étonne que Montaigne l’ait pu taxer si rigoureusement de vanité. […] Les après-midi d’été à la campagne, si vous voulez vous redonner un léger goût, une saveur d’Antiquité, si vous n’êtes trop tourmenté ni par les passions, ni par les souvenirs, ni par la verve car je vous suppose un peu auteur vous-même, tout le monde l’est aujourd’hui), prenez Pline, ouvrez au hasard et lisez.

729. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Patru. Éloge d’Olivier Patru, par M. P. Péronne, avocat. (1851.) » pp. 275-293

Patru est un nom plus qu’un auteur ; on ne le lit plus, et je ne viens pas ici conseiller de le lire ; mais de loin, et par tradition, on l’estime ; on se rappelle qu’au barreau et à l’Académie, en son temps, il a été une autorité, un oracle ; que Boileau, qui voyait si peu de maîtres en matière de langue et de goût, s’inclinait tout d’abord devant lui, qu’il a placé son nom en plus d’un vers devenu proverbe, et que, par un acte noble et délicat de reconnaissance, il l’a secouru pauvre dans sa vieillesse. […] Il avait eu, en plaidant, de la sobriété et du goût, au moins ce goût relatif qui suffit aux contemporains. […] On peut deviner toutefois combien son goût était purement de diction et surtout négatif, quand on sait qu’il déconseillait à Boileau son Art poétique, et à La Fontaine ses Fables, comme ne comportant par les ornements de la poésie.

730. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Elle-même nous dit que ce goût de l’étude et de la lecture ne lui vint pour la première fois que dans une première captivité où Henri III la retint quelques mois en 1575, et nous en sommes encore aux années sans nuages. […] Car ce serait une grande erreur de goût que de considérer ces gracieux Mémoires comme une œuvre de naturel et de simplicité ; c’en est une bien plutôt de distinction et de finesse. […] Marguerite (elle nous le rappellerait si on l’oubliait) est par son éducation et par ses goûts de l’école de Ronsard et un peu de Du Bartas. […] La langue de ses Mémoires n’est pas une exception à opposer à la manière et au goût de son temps, ce n’en est qu’un plus heureux emploi.

731. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Les Faux Démétrius. Épisode de l’histoire de Russie, par M. Mérimée » pp. 371-388

Mérimée écrivait cela dans la préface de la Chronique du règne de Charles IX, il a bien étendu et développé son point de vue, et à la fois il est resté fidèle à son premier goût. […] Mérimée a conservé le goût des épisodes et des sujets distincts, caractéristiques. […] Ce talent, à l’origine, et dans les directions diverses où il s’est si heureusement porté, a été en inaction contre le faux goût établi, contre le convenu en tout genre, contre la phrase, contre l’idée vague et abstraite, contre les séductions pittoresques ou déclamatoires. […] Cette Carmen n’est autre chose qu’une Manon Lescaut d’un plus haut goût, qui débauche son chevalier Des Grieux, également séduit et faible, bien que d’une tout autre trempe.

732. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Ils éliminent les faux amis de la littérature, ceux qui ne liraient que s’il n’y avait pas d’autre distraction, ni d’autre passe-temps, gens par conséquent de très peu de goût, n’ayant pas la vocation et qui alimenteraient autant la basse littérature que la bonne et plutôt celle-là que celle-ci ; et ils laissent intacte la troupe de ceux qui sont véritablement nés pour lire. […] La plupart des parents n’aiment pas beaucoup le goût de la lecture chez leurs enfants. […] Parce qu’il avait affiné son goût critique par une immense lecture méditée, parce qu’il avait toujours lu en critique. […] La Fontaine, dans sa fable Contre ceux qui ont le goût difficile, emploie le mot critique dans le même sens ; Molière de même : « un cagot de critique… car il contrôle tout ce critique zélé ». — Dès lors, si La Bruyère l’emploie dans ce sens, ce que l’on voit qui est probable, La Bruyère a raison.

733. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre premier. Le problème des genres littéraires et la loi de leur évolution » pp. 1-33

Notre goût nous paraît être le goût ; notre « impression » nous semble la vérité ; notre relatif nous apparaît comme absolu. […] Ce jugement de la postérité, seul légitime pour l’esthétique pure, n’est pas sans danger pour l’histoire : il a ses oublis injustes et ses admirations traditionalistes ; il prête souvent aux prédécesseurs des lumières, des goûts, des intentions qu’ils ne pouvaient pas avoir, et il exagère fréquemment l’influence qu’une œuvre de valeur absolue exerça sur son époque. […] Du point de vue historique que je développe ici, les œuvres de valeur relative ont leur grande importance ; elles reflètent les mœurs et les goûts de leur époque avec une fidélité particulière ; elles eurent souvent un succès plus grand que les œuvres de valeur absolue ; chez celles-ci, c’est l’individu en ce qu’il a d’éternel qui l’emporte ; chez celles-là, c’est l’esprit général d’une époque disparue ; il faut donc en tenir grandement compte pour l’histoire des genres littéraires qui sont en rapport intime avec le développement politique et social de la nation ; la démonstration de ce rapport sera un des résultats essentiels de mon étude.

734. (1848) Études critiques (1844-1848) pp. 8-146

Il serait tout simple que le public, sevré de jouissances délicates, se rabattit sur une pâture d’un goût médiocre. […] Dans aucun de ses livres, M. de Balzac n’a peut-être mis autant d’afféterie, ni poussé aussi loin le goût des phrases entortillées ? […] Le goût du temps le veut ainsi. […] Dans une telle façon de traiter l’examen littéraire, il perce beaucoup d’amour, beaucoup de goût, une véritable passion pour les lettres. […] Sainte-Beuve, nous oserions l’accuser d’avoir l’esprit trop moderne, d’être trop imbu d’idées étrangères au goût antique pour ne pas s’égarer et égarer avec lui ceux qui l’écoutent.

735. (1914) Une année de critique

Mais le goût de la vie rustique a fini d’avoir son effet favorable. […] André Hallays de quelques écrivains de notre temps vers qui vont notre goût et notre confiance. […] Je ne me sens ni le droit ni le goût de douter de sa sincérité. […] M. de Gourmont l’a éprouvé, ce goût de néant qu’un tel livre porte au cœur. […] Quand a-t-il cédé à son amour du mot pour lui-même, à son goût des prouesses du style ?

736. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VI. Des dictionnaires Historiques » pp. 220-228

C’est un fatras d’histoire & de mythologie, compilé par un homme sans goût, sans esprit, sans critique. […] Le fameux Bayle ayant dessein de publier un Dictionnaire historique d’un goût nouveau, avoit plusieurs fois montré les défauts de celui de Moreri.

737. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 34, du motif qui fait lire les poësies : que l’on ne cherche pas l’instruction comme dans d’autres livres » pp. 288-295

Bien des personnes suivent même ce goût dans le choix qu’elles sont des livres de philosophie, et d’autres sciences encore plus serieuses que la philosophie. […] On voudroit inutilement faire changer de sentiment aux italiens, et l’on se doute bien de ce qu’ils répondroient à l’étranger qui s’aviseroit de les réprimander sur la dépravation de leur goût.

738. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 39, qu’il est des professions où le succès dépend plus du génie que du secours que l’art peut donner, et d’autres où le succès dépend plus du secours qu’on tire de l’art que du génie. On ne doit pas inferer qu’un siecle surpasse un autre siecle dans les professions du premier genre, parce qu’il le surpasse dans les professions du second genre » pp. 558-567

C’est même avoüer qu’on est incapable d’écrire dans le goût des anciens, que de tâcher de les rabaisser. Quintilien dit que Seneque ne cessoit point de parler mal des grands hommes qui l’avoient précedé, parce qu’il voïoit bien que leurs ouvrages et les siens étoient d’un goût si different, qu’il falloit que les uns ou les autres déplussent à ses contemporains.

739. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Bien des femmes aussi ont été plus difficiles de goût qu’en province, et ne lui ont point passé ses familiarités d’intérieur ou ses invraisemblances, par intérêt pour les principales situations. […] La Physiologie du Mariage est une macédoine de saveur mordante et graveleuse, dans le goût drolatique, et qui annonce un compatriote bien appris de Rabelais, ou du moins de Béroalde de Verville. […] Volontiers, du milieu de ses beaux salons, il nous reporte sans goût à des objets, à des termes tout à fait répugnants, désobligeants ; il lui revient, et il nous revient à nous, en ces moments, comme une forte odeur de sa première manière : Crébillon fils se ressouvient de Rétif108. […] M. de Balzac semble croire qu’il n’y a qu’un pas entre le goût de l’alchimie et les leçons de Lavoisier, tandis qu’il y a un abîme ; c’est comme si l’on devenait astrologue après avoir été disciple de Laplace. […] Cette figure de Mme Claës, où les hésitations magnétiques et les projections fluides des regards sont prodiguées, de même que le sont dans le portrait de Balthazar les idées dévorantes distillées par un front chauve, m’a bien fait concevoir le genre de portraits de Vanloo et des autres peintres chez qui des détails charmants et pleins de finesse s’allient à une flamboyante et détestable manière, à une manière sans précision, sans fermeté, sans chasteté. « Les personnes contrefaites qui ont de l’esprit ou une belle âme, dit M. de Balzac à propos de son héroïne peu régulière, apportent à leur toilette un goût exquis.

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