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761. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Ranc » pp. 243-254

L’auteur du Roman d’une conspiration n’a pas tiré de la foule de tous les conspirateurs qui mettent leur vie au jeu, et bravement l’y laissent, ce Goujet, et surtout ce Rochereuil, qu’il fallait marquer d’un signe à part, — comme ce Redgauntlet, par exemple, qui est aussi un conspirateur, et que le génie de Walter Scott a marqué, pour que l’imagination le revoie toujours dans ses rêves, de ce fer à cheval sur le front, signe du malheur de toute une race, qui perd toutes les causes pour lesquelles elle combat, sans que jamais son courage faiblisse sous le poids de cette sombre et désespérante fatalité !

762. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Conclusion »

Tant qu’on n’a regardé la conquête du monde occidental par les idées égalitaires que comme la fortune surprenante d’une théorie de philosophes qui, tombée du ciel dans le cerveau de quelques penseurs, en serait descendue de proche en proche jusqu’à l’âme des foules, on a pu croire qu’il suffisait pour l’arrêter, d’une discussion philosophique : réfutons Rousseau et l’égalitarisme est vaincu.

763. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre cinquième. Retour des mêmes révolutions lorsque les sociétés détruites se relèvent de leurs ruines — Chapitre IV. Conclusion. — D’une république éternelle fondée dans la nature par la providence divine, et qui est la meilleure possible dans chacune de ses formes diverses » pp. 376-387

Ces hommes se sont accoutumés à ne penser qu’à l’intérêt privé ; au milieu de la plus grande foule, ils vivent dans une profonde solitude d’âme et de volonté.

764. (1854) Causeries littéraires pp. 1-353

Boris mort, son parti abattu ou anéanti, Démétrius acclamé par le clergé, par les boyards, par l’armée, par la foule, il semble qu’il ait surmonté toutes les difficultés de son rôle. […] Dites-lui d’immoler aux pieds de la femme aimée sa vanité, son orgueil, la voix intérieure qui lui promet la gloire, et les transports de la foule enivrée ! […] Dans la foule qui se pressait à la représentation d’Agnès, bien peu de gens eussent pu dire de quoi il s’agissait et de quels éléments se composait la pièce nouvelle. […] L’action courageuse de Georges, au contraire, est de celles qui réussissent toujours, que l’on admire au grand soleil, au milieu des applaudissements de la foule, et que se hâtent d’exalter ceux-là mêmes qui n’en seraient pas capables. […] Charles Reynaud,-et lui-même ne me croirait pas, si je lui disais que son livre est une de ces œuvres qui font dans la littérature de leur temps une large trouée, bientôt assaillie par la foule enthousiaste des imitateurs et des disciples.

765. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Goethe (par les côtés accessibles aux jeunes esprits et à la foule), Schopenhauer et Wagner furent ses premiers maîtres et ses idoles. […] Il se fait adorer, comme un sanctuaire d’oracle antique, sur un mensonge, du moins sur une contre-vérité à laquelle il croit peut-être et à laquelle la foule croit. […] Une morale pour l’élite, une autre pour la foule : c’est cela qui est tout à fait arbitraire, capricieux, téméraire et aussi peu scientifique que possible. Où s’arrête la foule, où commence l’élite ? […] Elle doit être gouvernée et asservie rudement par une élite de penseurs, d’artistes et d’hommes énergiques, ces artistes en actions, parce que ces gens-là créent de la beauté, dont la foule ne se soucie point et que la foule ne crée que quand on la force à la produire : ce n’est plus mon avis.

766. (1908) Esquisses et souvenirs pp. 7-341

Toute cette foule, le grand monde et le peuple, se précipita dans l’arène pour une dernière ovation. […] » Enfin l’orateur finit en adjurant la foule d’avoir patience, M’attendre les événements, de ne point troubler l’ordre intérieur, de songer que l’ennemi foule le sol de la patrie… cent autres badineries ! […] Quelqu’un à côté de moi : — Ô sottise de la foule ! […] Quelqu’un à côté de moi : — Ô vertus de la foule ! […] La foule s’agite.

767. (1900) La culture des idées

Réunis en foule, les hommes deviennent particulièrement automatiques, et d’abord leur instinct de se réunir, de faire à un moment donné tous la même chose témoigne bien de la nature de leur intelligence. […] L’homme conscient qui se mêle naïvement à la foule, qui agit dans le sens de la foule, perd sa personnalité ; il n’est plus qu’un des suçoirs de la grande pieuvre factice, et presque toutes ses sensations vont mourir vainement dans le cerveau collectif de l’hypothétique animal ; de ce contact, il ne rapportera à peu près rien ; l’homme qui sort de la foule n’a qu’un souvenir, comme le noyé qui émerge, celui d’être tombé dans l’eau. […] En même temps qu’elle s’avilissait, la signification du « lieu commun » s’est rétrécie jusqu’à devenir une variante de la banalité, du déjà vu, déjà entendu, et, pour la foule des esprits imprécis, le lieu commun est un des synonymes de cliché. […] Le Stylite vit tout seul sur sa colonne, mais il a besoin de la foule des pèlerins qui se presse au pied de sa colonne ; il a besoin de la salutation de Théodose ; il a besoin de la vaine flèche de Théodoric. […] De plus, dans chaque ville, des sociétés de lecture fournissent à leurs membres, à prix fort modérés, une foule de revues françaises très demandées.

768. (1913) Poètes et critiques

Tel est ce livre : il a de quoi retenir et toucher la foule, mais il sera surtout un régal pour les connaisseurs. […] Cette langue nette, brève, réduite au minimum de l’expression, ravit d’aise le lecteur lettré ou quelques spectateurs de choix ; la foule n’a pas le temps de s’échauffer ; l’amplification lui manque ; il lui faut des redites ; elle ne fait qu’une bouchée de ce style très pur et très sûr, de qualité un peu trop rare. […] Il a été écrit, évidemment, sous l’impression, très vive encore, du regret qu’une perte aussi grande devait avoir laissé aux amis de jeunesse de Taine, aux familiers de la dernière heure, à quelques disciples fervents, à la foule des admirateurs, convaincus ou dociles. […] Et encore : « Sa mère lui mettait son cœur saignant sur son chemin, et il passait outre. » N’avons-nous pas ici comme un hommage à la chanson fameuse de La Glu, au symbole si émouvant de ce cœur maternel, que foule le pied du fils, sans pouvoir étouffer le cri miraculeux de la tendresse ? […] Mais Verlaine, du même coup, n’aurait-il pas donné à quelques critiques malins et à la foule des nigauds le signal des impatiences, des injustices à l’égard de Victor Hugo ?

769. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Lamartine »

La foule, aidée par le temps, agit comme cette mère : elle achève l’œuvre du poète, elle fait des vérités de ses erreurs. […] Celle, apparemment, qu’il a arrangée lui-même dans ses Confidences et ses Commentaires et que la foule a acceptée. […]      ……… Cependant le char roule, Il nous entraîne, et nous suivons la foule Vers ces jardins par Le Nôtre plantés, D’un peuple oisif chaque soir fréquentés. […] Ami, Dieu n’a pas fait les peuples au compas : L’âme est tout ; quel que soit l’immense flot qu’il roule Un grand peuple sans âme est une vaste foule. […] Il faut se séparer, pour penser, de la foule, Et s’y confondre pour agir.

770. (1897) La vie et les livres. Quatrième série pp. 3-401

La voix des foules, cette voix qui, dit-on, est la voix de Dieu, a couvert de son vaste tumulte la chanson des poètes. […] C’est l’imagination des foules qui a répandu cette fable absurde. […] Voici une citation copieuse, que personne ne trouvera trop longue : … Je me suis mis un dimanche, à observer la foule. […] Derrière le décor artificiel de la capitale, il a vu la vraie Russie, le paysan, la foule anonyme, les bonnes gens dont les humbles vertus sont comme la maçonnerie solide où se fonde l’empire des tsars. […] La foule, toujours amoureuse de spectacles, et d’ailleurs prédisposée à l’enthousiasme par le directeur des fonds secrets, s’égosilla en cordiales acclamations.

771. (1908) Après le naturalisme

Tout héros de cet avatar en arrive promptement à se retirer loin de la foule dans la tour d’ivoire ou d’ébène où il lui est loisible davantage de se livrer à son rêve. […] Que la foule s’en soit résolument détournée, voilà le fait capital. […] Il n’est même pas sûr, qu’avec son bon sens instinctif, la foule les admire. […] Parallèlement à lui, et complétant son même effort, Diderot, d’Alembert, une foule d’autres, résument les connaissances acquises, non pour éviter la difficulté de les rechercher dans l’épars, mais bien à l’effet d’en constituer un système philosophique, aux bases certaines, qu’entreprennent d’Holbach et Helvétius. […] La foule, dans la rue, réclamait sa tête.

772. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre II. Dryden. »

Dryden eut, outre cela, des querelles contre Shadwell et une foule d’autres, puis à la fin contre Blackmore et Jeremy Collier. […] Les décorations enrichies et devenues mobiles, les rôles de femmes joués non plus par de jeunes garçons, mais par des femmes, l’éclairage splendide et nouveau des bougies, les machines, la popularité récente des acteurs qui devenaient les héros de la mode, l’importance scandaleuse des actrices, qui devenaient les maîtresses des grands seigneurs et du roi, l’exemple de la cour et l’imitation de la France attiraient les spectateurs en foule. […] Il y a de la vigueur et de l’art dans cette tragédie de Dryden, Antoine et Cléopatre. « Toutes mes autres pièces, disait-il, je les ai faites pour la foule ; celle-ci, je l’ai faite pour moi-même. » Et, en effet, il l’avait composée savamment d’après l’histoire et la logique. […] Les mensonges d’Oates, l’assassinat du magistrat Godfrey, son cadavre promené solennellement dans les rues de Londres, avaient enflammé l’imagination et les préjugés du peuple ; les juges intimidés ou aveugles envoyaient à l’échafaud les catholiques innocents, et la foule accueillait par des insultes et des malédictions leurs protestations d’innocence. […] Shimei771, de qui la jeunesse avait été fertile en promesses et de zèle pour son Dieu et de haine pour son roi, —  qui sagement s’abstenait des péchés coûteux — et ne rompait jamais le sabbat, excepté pour un profit, —  qu’on ne vit jamais lâcher une malédiction — ou un juron, si ce n’est contre le gouvernement772… Contre ces malédictions, leur chef, Shaftesbury, se roidissait ; accusé de haute trahison, il était absous par le grand jury, malgré tous les efforts de la cour, aux applaudissements d’une foule immense, et ses partisans faisaient frapper une médaille à son image, montrant audacieusement sur le revers le soleil royal obscurci par un nuage.

773. (1894) Critique de combat

Faut-il accuser la foule indifférente et légère ? […] Est-il victime de la difficulté qu’on rencontre pour faire accepter à la foule moutonnière toute conception neuve et personnelle des choses ? […] Il ne cite point les sources où il a puisé ; mais il paraît avoir eu les clefs d’une foule de coffrets riches en documents précis et en scandales rétrospectifs. […] C’est qu’à côté d’eux se dessinent, en traits plus nets et plus variés, une foule de figures féminines, caressées avec une prédilection visible par le pinceau du peintre. […] Elle est le réservoir élevé, d’où filtrent goutte à goutte les idées nouvelles, en attendant qu’elles débordent et coulent en cascade sur la foule environnante.

774. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxvie entretien. L’ami Fritz »

Iôsef, le chef d’orchestre, s’élance dans les bras avinés de Kobus ; la foule s’étonne de cette intimité du pauvre musicien avec un homme si magnifique. […] Ces gens n’étaient pas venus pour danser, ils étaient venus pour voir, et se tenaient au dernier rang de la foule. […] La petite Sûzel, au bras de Fritz au milieu de cette foule, jetait des regards furtifs, pleins de ravissement intérieur et de trouble ; chacun admirait les longues nattes de ses cheveux, tombant derrière elle jusqu’au bas de sa petite jupe bleu-clair bordée de velours ; ses petits souliers ronds, dont les rubans de soie noire montaient en se croisant autour de ses bas d’une blancheur éblouissante ; ses lèvres roses, son menton arrondi, son cou flexible et gracieux. […] Sûzel et Fritz tournaient toujours : les cris, les trépignements de la foule ne leur avaient rien fait : et quand Iôsef, lui-même épuisé, jeta de son violon le dernier soupir d’amour, ils s’arrêtèrent juste en face du père Christel et d’un autre vieil anabaptiste qui venait d’entrer dans la salle, et qui les regardaient comme émerveillés.

775. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre septième »

Les bons gouvernements suscitent les hommes de génie en foule, dans toutes les voies de l’esprit et ils impriment aux écrits les plus divers ce caractère commun d’ordre et de grandeur dont ils sont marqués. […] Marly fut bâti quand Louis XIV était fatigué de la foule, peut-être las du beau, et qu’on parlait déjà de la difficulté de l’amuser. […] Que dirai-je des jardins, dont le dessin est si grand, qu’en même temps que les sens y sont flattés par toutes les commodités de la promenade, la majesté du lieu y tient sans cesse l’esprit occupé de l’idée du beau, dont l’étendue est si vaste, qu’à côté de ces immenses allées, où il peut y avoir foule sans entassement, il est, pour ceux qui n’aiment pas la foule, des solitudes secrètes et salubres ?

776. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Si en effet quelques traits de style et de pinceau, aux endroits particulièrement descriptifs et littéraires, dénotent plus de fermeté et d’habitude qu’il n’est naturel d’en accorder à une femme toute seule, dans un premier essai d’aussi longue haleine, une foule d’observations fines et profondes, de nuances intérieures, de sensations progressives ; l’analyse du cœur d’Indiana, de ses flétrissants ennuis, de son attente morne, fiévreuse et désespérée, pauvre esclave !

777. (1874) Premiers lundis. Tome I « J. Fiévée : Causes et conséquences des événements du mois de Juillet 1830 »

Ils commandaient, non parce qu’ils en avaient la capacité, on ne le savait pas encore, mais parce qu’on pouvait toujours les reconnaître au milieu de la foule et partout où ils se portaient.

778. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Rostand, Edmond (1868-1918) »

Il a l’idée frappée dans le métal sonore de l’expression ; il a l’imagination et l’image qui s’envole comme un oiseau versicolore ; il a l’intelligence qui se communique à la foule par un verbe éclatant ; il a l’art dont les délicats sont ravis et charmés ; il a la force et la sensibilité, l’abondance et la variété, la fantaisie et l’esprit, l’émotion et l’éclat de rire, le panache et la petite fleur bleue.

779. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre XV. La commedia dell’arte au temps de Molière et après lui (à partir de 1668) » pp. 293-309

Une foule extraordinaire de toutes sortes de personnes accompagna son corps jusques dans l’église de Saint-Eustache, où il fut inhumé avec une grande pompe, le huitième décembre 1694. » Arlequin enterré derrière le chœur, vis-à-vis la chapelle de la Vierge ; Scaramouche inhumé dans l’église Saint-Eustache en grande pompe ; on ne peut s’empêcher, en lisant ces mots, de songer au convoi de Molière, qui n’avait pas eu le temps de renoncer au théâtre, et qui fut conduit silencieusement, à neuf heures du soir, tout droit au petit cimetière de Saint-Joseph : contraste pénible et sujet d’immortel regret.

780. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre III. L’analyse externe d’une œuvre littéraire » pp. 48-55

Le mot de style est si vaste, si imprécis qu’on peut se poser encore à ce propos une foule d’autres questions.

781. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XVII. Morale, Livres de Caractéres. » pp. 353-369

Dans la foule de copies d’un original inimitable, il se trouve quelquefois de très-bons livres, nous ferons connoître les principaux.

782. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre III. Mme Sophie Gay »

Elle n’était qu’une femme d’esprit, très inférieure, — par cela même qu’elle écrivait, — à une foule de femmes d’esprit de son temps qui n’écrivaient pas.

783. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Paul de Saint-Victor » pp. 217-229

Il la jetait dans ces feuilletons, qui ne durent qu’un jour, et qui sont toujours un peu la fenêtre par laquelle on jette l’argent de son esprit à cette bête de foule, qui ne le ramasse même pas !

784. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Le cardinal Ximénès »

Prêtre d’abord, devenu religieux et presque anachorète, il avait cinquante-huit ans quand il sortit du cloître pour entrer dans les dignités ; mais il n’en sortit que pour la foule.

785. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Laïs de Corinthe et Ninon de Lenclos » pp. 123-135

III Dans son livre sur Laïs et Ninon, Debay, qui tient à prendre la mesure phrénologique du petit front grec de la charmante Corinthienne, nous rapporte une foule de mots qui lui font l’effet, à lui, d’être supérieurs.

786. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Émile Augier, Louis Bouilhet, Reboul »

Si nous choisissions nos sujets de critique, s’il nous était loisible de faire planer seulement notre examen sur les ouvrages considérables ayant réellement une importance, soit dans le bien, soit dans le mal, nous ne parlerions jamais d’une foule de productions sans portée et sans caractère.

787. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Maurice Bouchor »

Maurice Bouchor53 I Je crois bien que je tiens un poète… On le trouve ici sous une foule de choses qui le voilent encore et qui le surchargent.

788. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Pécontal. Volberg, poème. — Légendes et Ballades. »

J’ai dominé la foule, — et le peuple en guenilles À voulu dans ses bras me porter triomphant !

789. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre V. Autres preuves tirées des caractères propres aux aristocraties héroïques. — Garde des limites, des ordres politiques, des lois » pp. 321-333

Ainsi tandis que sous l’aristocratie, l’on avait observé si rigoureusement le privilegia ne irroganto, de la loi des douze tables, on fit sous la démocratie une foule de lois d’intérêt privé, et sous la monarchie les princes ne cessèrent d’accorder des privilèges.

790. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre quatrième. Du cours que suit l’histoire des nations — Chapitre VII. Dernières preuves à l’appui de nos principes sur la marche des sociétés » pp. 342-354

Elle introduisait une foule de déguisements, de voiles qui ne couvraient rien, jura imaginaria ; de droits traduits en fable par l’imagination.

791. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre V. »

Un pâtre, endormi sur sa tombe, s’était mis à chanter dans le sommeil ; et les bergers accourus pour l’entendre, ayant, de leur foule tumultueuse, renversé la colonne qui portait l’urne funèbre, le soleil avait vu les restes d’Orphée.

792. (1911) Études pp. 9-261

La foule reflue, s’élargit ; à son admission s’oppose et se propose la présence divine. […] Voici que la foule se rue sur elle, s’empare d’elle, la prononce enfin et, pleine de rage, s’enivre de la répéter. […] On voudrait qu’il illustrât un drame plein de péripéties, d’allées et venues ; il y faudrait une ville mise à sac, de lourdes danses de routiers, des foules abruptes qui porteraient un seul sentiment dans le cœur. […] Elle est heureuse comme le geste du prêtre qui écarte les bras en face de la foule. […] Mais la première qui naît l’émeut doucement tout entier ; elle ne saurait s’énoncer sans échos ; sitôt qu’elle surgit, il y a toute une foule autour d’elle.

793. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Peu connu du grand et du gros public, ignoré même entièrement de la foule (ce qui est un charme), apprécie seulement d’une noble et chère élite, il occupait dans la jeune école de poésie, entre Lamartine, déjà régnant, et Victor Hugo, qu’on voyait grandir, une position élevée, originale, à laquelle son épaulette, qu’il ne quitta que l’année suivante, ajoutait une distinction de plus. […] 4° Il était devenu, il avait voulu devenir poète dramatique, et, malgré un succès brillant une fois obtenu et comme surpris, il sentait bien qu’il ne pouvait saisir la foule, qu’il n’était pas de taille à l’enlever, à s’enlacer à elle dans un de ces jeux prolongés, dans une de ces luttes athlétiques où la souplesse s’unit à la force et où les alternatives journalières se résolvent par de fréquents triomphes. […] Je me rappelle que, quelques instants avant la séance, M. de Vigny en costume, mais ayant gardé la cravate noire, « par un reste d’habitude militaire », disait-il, rencontra dans la galerie de la Bibliothèque de l’Institut, et au milieu de la foule des académiciens, Spontini, également en grand costume et affublé de tous ses ordres et cordons74 ; il alla à lui les bras ouverts et lui dit d’un air rayonnant : « Spontini, caro amico, décidément l’uniforme est dans la nature. » Ce mot, qui de la part d’un autre eût été une plaisanterie, n’en était pas une pour lui et eût pu s’appliquer à lui-même.

794. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Théocrite »

Simétha termine ce solennel et lugubre monologue par des menaces et des serments de vengeance si les premiers philtres sont impuissants ; et disant adieu à la Lune brillante, qui lui a tenu jusqu’à la fin compagnie fidèle, elle congédie en même temps la foule des autres astres qui font cortège au char paisible de la nuit. […] Puis elles se mettent en route à travers la foule, à travers les chevaux. […] L’auteur de la Panhypocrisiade, voulant rendre le mouvement d’une foule sur le passage de François Ier, s’est ressouvenu de Théocrite : Rangez-vous !

795. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

— Vous ne vous trompez pas, mon père, lui dis-je, je suis triste, et cependant il ne m’est rien arrivé de mal ; mais je viens vous confier mes peines habituelles, vous les connaissez : mon cœur n’a jamais eu de replis pour vous ; vous savez ce que j’ai fait pour me tirer de la foule et pour acquérir un nom, mais je ne sais pourquoi, dans le moment même où je croyais m’élever peu à peu, je me sens retomber tout à coup ; la source de mon esprit est tarie ; après avoir tout appris, je vois que je ne sais rien ; abandonnerai-je l’étude des lettres, entrerai-je dans une autre carrière ? […] « Je vous vois avec douleur, lui écrit-il, dans la maison de votre ami l’évêque de Lombez, Jacques Colonna, la lyre à la main, comme un ménestrel, rassemblant autour de vous cette foule de parasites et de flatteurs dont les cours des princes sont remplies. […] Semblable aux anciens esclaves fabulistes qui faisaient dire aux apologues ce qu’ils n’osaient dire eux-mêmes, Rienzi faisait attacher la nuit, autour du Capitole ou du Vatican, des tableaux emblématiques autour desquels la foule se pressait le matin.

796. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVIe entretien. Alfieri. Sa vie et ses œuvres (1re partie) » pp. 413-491

La médiocrité et le goût barbare des constructions ; la ridicule et mesquine magnificence du petit nombre de maisons qui prétendent au titre de palais ; la saleté et le gothique des églises ; l’architecture vandale des théâtres de cette époque, et tant, tant, tant d’objets déplaisants qui, tous les jours, passaient devant mes yeux, sans compter le plus amer de tous, ces visages plâtrés de femmes si laides et si sottement attifées ; tout cela n’était pas assez racheté à mes yeux par le grand nombre et la beauté des jardins, l’éclat et l’élégance des promenades où se portait le beau monde, le goût, la richesse et la foule innombrable des équipages, la sublime façade du Louvre, la multitude des spectacles, bons pour la plupart, et toutes les choses du même genre. […] Alors une voix sortit de la foule des courtisans, et dit facétieusement : Ils sont restés embourbés. […] Une foule immense se pressait sur leur passage ; les étrangers, les Anglais surtout, si nombreux à Rome, se mêlaient avidement à une population toujours curieuse de ces spectacles, et l’on peut dire que l’entrée de Charles III avec sa jeune femme dans la capitale du monde catholique fut un des événements de l’année 1772.

797. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Mais le moteur étant immobile, comment peut-il produire en lui-même le mouvement qui se communique au dehors, et qui, se transmettant de proche en proche, atteint jusqu’au mobile le plus éloigné, à travers une foule d’intermédiaires ? […] Il en avait recueilli une foule dans la bibliothèque particulière qu’il s’était formée à Athènes. […] On peut bien combattre quelques-uns des enseignements qu’on a entendus, comme Aristote a combattu le système des Idées, avec plus de sévérité souvent que de justesse ; mais, tout en se faisant un adversaire, on ne reste bien des fois qu’un écho, et, en désapprouvant l’ensemble de la doctrine, on reproduit, à son insu, une foule de détails qu’on en tire, sans même les reconnaître.

798. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (2e partie) » pp. 81-159

« Puis il se mêla brusquement à la foule des conviés, répétant les mêmes choses à beaucoup d’autres. […] Tandis que ces nombreux personnages défilaient successivement, et que les cardinaux, confondus dans la foule et sans le moindre égard pour leur dignité, dévoraient ces humiliations en attendant que le héraut d’armes ou le maître des cérémonies, qui était à la porte, les appelât enfin, on vit tout d’un coup s’élancer de la salle du trône un officier chargé d’un ordre de l’empereur. […] Les ministres conclurent en annonçant que, dans notre lettre, nous pouvions très bien affirmer que nous n’avions pas comploté, que nous n’étions pas coupables de rébellion et d’autres actes semblables ; mais que nous ne devions pas expliquer le motif de notre abstention, c’est-à-dire qu’il importait de ne pas revenir sur la non-intervention du Pape dans l’affaire, car cette non-intervention était ce qui irritait le plus et ce qui donnait lieu aux conséquences tirées contre le nouveau mariage et la descendance future ; que dans cette lettre, il fallait arguer d’un motif indifférent, par exemple la maladie, la difficulté d’arriver à temps à cause de la foule, ou une autre excuse banale.

799. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XV. La littérature et les arts » pp. 364-405

La foule prend de temps en temps une part active à la représentation, en entonnant un cantique avec les acteurs ; et dans les profondeurs de l’église, à laquelle est souvent adossé le théâtre, l’orgue mêle au chœur sa clameur puissante qui tour à tour gronde ou s’apaise au gré du Créateur. […] Mais il veut dire aussi que les Eglises sont des livres de pierre où les générations d’autrefois écrivaient leur pensée pour l’éternité ; qu’elles ont été des symboles compliqués, où le plan, les sculptures, les plus minces détails exprimaient des idées ; que, parlant ainsi aux initiés un langage mystérieux, elles parlaient en même temps aux yeux de la foule par leurs vitraux, leurs fresques, leur peuple de statues ; qu’elles ont matérialisé durant des siècles le génie poétique et les aspirations populaires ; que les cathédrales gothiques en particulier, par leur élan vers le ciel, par la hardiesse de leurs lignes verticales, ont rendu à merveille les espérances et les envolées mystiques d’un âge de foi tourné presque tout entier vers l’au-delà ; seulement que, l’imprimerie étant inventée, la pensée, au lieu de se pétrifier, devient oiseau, vole d’un bout du monde à l’autre, se rit du temps et de l’espace, sûre qu’elle est de pouvoir se multiplier à l’infini ; que désormais la Bible de marbre et de granit est vaincue et destinée à être remplacée par la Bible de papier, plus claire, plus mobile et, malgré l’apparence, plus durable. […] Mais, en outre, la littérature du temps a le même caractère de sensualité, de bizarrerie ; elle est aussi fort préoccupée du diable ; la sorcellerie y tient une grande place ; dans les mystères, que les confrères de la Passion, amuseurs brevetés du roi et de la foule, jouent à Paris et ailleurs, non seulement Satan, Belzébuth et leurs pareils deviennent les favoris du public par leurs lazzi, leur accoutrement grotesque et leurs cabrioles, mais déjà, par une alliance monstrueuse, les auteurs greffent des fables païennes sur les histoires de l’Ecriture sainte.

800. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

Victor Hugo nous a conservé de lui une lettre. « … On a dans l’âme quelque chose qui bat plus fortement pour nous que pour la foule. […] Une telle façon d’entendre la poésie est suffisante, peut-être, pour le poète lui-même, en qui ses propres vers éveillent une foule d’idées complémentaires, explicatives surtout ; mais pour le lecteur il n’en est point ainsi. […] La seconde cause, c’est qu’en peignant des êtres à part, véritables monstruosités, on excite plus aisément la pitié ou le rire de la foule.

801. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Appliqué tout entier à cette création d’âme, où il excelle, Tolstoï s’est trouvé amené heureusement, en subordonnant la composition, te récit dans ses œuvres à la nécessité de montrer et de suivre ses personnages, — à esquisser ce que nous considérons comme la forme future du roman, devenu exclusivement la description historique, sociale, biographique, d’une masse d’êtres, d’une foule groupée de façon à disperser l’intérêt sur une collectivité à laquelle le lecteur lui-même, quel qu’il soit, serait forcément agrégé, — et non plus à te concentrer sur un être, on une aventure particulière arbitrairement élue. […] Cette impuissance interne, il l’attribue aux autres hommes ; il déprécie leurs efforts, conclut de son avortement au leur, arrive à la doctrine essentielle du pessimisme qui éclate dans ses œuvres classiques, Hamlet, Werther, Faust : l’affirmation que l’humanité est une foule impuissante de victimes, engagées dans une vaine lutte contre une destinée cruelle, immuable et ironique. […] Les poètes, après avoir ébauché dans l’antiquité la découverte de la nature, l’ont reprise à la Renaissance anglaise, poussée à la fin du siècle précédent, étendue jusqu’à nos jours, où la foule obtuse a appris d’eux qu’il existe de sublimes beautés dans le murmure des grands bois, l’ondulation des moissons, la rigidité des pics et le bondissement des flots.

802. (1857) Cours familier de littérature. IV « XIXe entretien. Littérature légère. Alfred de Musset (suite) » pp. 1-80

Autour de moi criait cette foule railleuse Qui des infortunés n’entend jamais les cris. […] Croira-t-on que ce frère en sensibilité et en poésie qui passait à côté de moi dans la foule du siècle ne fut ni aperçu, ni reconnu, ni entendu par moi dans le tumulte de ma vie d’alors ? […] Je me fais de cruels reproches à moi-même quand je me dis : il n’y a pas deux mois que j’ai coudoyé ce beau et triste jeune homme en entrant ensemble dans un lieu public ; il n’y a pas deux mois que je me suis assis silencieux et froid à côté de lui dans une foule.

803. (1903) La renaissance classique pp. -

Une foule de pensées et d’images, de sensations et de sentiments, de vagues réminiscences ataviques et de beaux souvenirs de famille ou de patrie l’agitaient et le travaillaient obscurément. […] Instinctivement, on cherche la foule brillante qui jadis animait ces ombrages. […] Nous ne faisons que reprendre une expression de notre Flaubert dans la Tentation de saint Antoine : « … Ils ont maintenant des âmes d’esclaves, oublient les injures, les ancêtres, le serment ; et partout triomphent la sottise des foules, la médiocrité de l’individu, la hideur des races. » Une bonne moitié de notre préface n’est guère que le commentaire de ces lignes.

804. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

La botanique, afin de mieux définir l’immense règne végétal, compose même de la foule des plantes et des fleurs une quantité de familles qu’elle range d’après leurs attributs, pour les mieux remarquer. […] c’est de la foule de rapports qu’elle exprime en quelques termes. […] La foule, qui s’y rendit, récompensa par son empressement favorable les soins des personnes éclairées qui formèrent l’administration de cet Athénée. […] Je sais que l’ignorance, enthousiaste des effets naturels et puissants que ce genre a sur la foule, peut le leur préférer ; mais l’ignorance ne convainc pas les gens éclairés ; et, si quelque habile poète expose une belle œuvre tragique ou comique, le public et le temps la placeront toujours au-dessus du plus beau drame. […] Il est une foule d’hommes, d’un mérite particulier, qui n’ont pas appliqué leur attention à ces matières : elles exigent une longue habitude de les connaître pour les bien goûter.

805. (1888) Poètes et romanciers

Cela est délicat peut-être à dire, mais, disons-le, certaines qualités isolent un écrivain de la foule humaine comme certains défauts l’en rapprochent. […] Ce ne fut jamais le rayon direct et plein du soleil sur une tête radieuse de poète, montré à la foule et salué par elle dans le triomphe qui le porte au Capitole. […] Évidemment, cette poésie n’est pas faite pour la foule, et les Voix du silence ne peuvent avoir beaucoup d’échos sur les boulevards de Paris. […] Les objections se pressent en foule devant une pareille énumération. […] Il y a une foule de petits livres publiés au lendemain des funérailles, où Béranger n’est que le prétexte sous lequel s’abritent les plus étranges prétentions.

/ 1717