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1349. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Or ce grand bouillon de colère et indignation étant aucunement refroidi, et là-dessus ayant ouï parler des gens de toute sorte, consultant à part moi souvent de ce qu’en conscience il en faut tenir et croire, enfin je me suis aperçu bien changé… Il est à remarquer que la date de cette lettre, qui est d’avril 1589, coïncide avec les premiers temps de la connaissance que fit Charron de Montaigne37 : je n’irai pas jusqu’à conjecturer que, dès les premiers entretiens, Montaigne fut pour quelque chose dans ce changement de Charron. […] Bayle a déjà remarqué, en s’en réjouissant et en s’en emparant dans un sens quelque peu équivoque, que Charron n’affaiblit jamais et n’énerve point les objections qu’il expose, et il a l’air de croire que ce n’est pas sans dessein que les réponses ne sont pas toujours aussi fortes chez lui que les objections mêmes. […] Il a le malheur, pour un chrétien et pour un homme né depuis l’Évangile, de croire à des étages différents d’esprits, à des séparations presque absolues entre le vulgaire ou le commun des hommes pour lequel il n’a que du mépris et du dédain, les esprits moyens et médiocres qui flottent un peu au-dessus sans pouvoir assez s’en détacher, et les sages qui jouissent de la douceur suprême dans un inviolable et inaccessible retranchement. […] 41 On pourrait faire pareil rapprochement de lui à Montaigne dans une quantité de pages ; ce que le vieux Sorel avait déjà remarqué, et ce qui a fait dire à Balzac, je crois, que Charron n’était que le secrétaire de Montaigne et de du Vair. […] … L’homme croit que le ciel, les étoiles, tout ce grand mouvement céleste et branle du monde, n’est fait que pour lui… Et le pauvre misérable est bien ridicule.

1350. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Et de plus, il y a tout lieu de croire, si l’on considère les progrès de la raison, que dans trente ans d’ici, ce même fils trouvera vos sollicitudes bien ridicules. […] Ceux qui sont à même de comparer les ouvrages de lui qui appartiennent à chacune des deux littératures, ont cru remarquer qu’il s’était fait une espèce de compensation dans sa manière de dire ; que sa phrase allemande avait gagné à son habitude du français d’être plus rompue et plus aisée qu’elle ne l’est d’habitude chez de purs Germains ; et que, dans sa dernière période toute française, son style épistolaire, en revanche, était un peu moins court et moins alerte que d’abord. […] Ils plaçaient leur amour-propre à paraître contents dans un exil qu’heureusement ils croyaient ne devoir durer que peu. […] Le don de voir ce qui est mobile, celui de juger sainement ce qui est imprévu, serait-il refusé à qui voit de trop haut, ou le sentiment de la puissance de l’homme lui ferait-il croire qu’il commandera au temps de s’arrêter devant lui ? […] La plupart de ces juges et syndics, qui étaient des citoyens assez estimés et peut-être d’assez honnêtes gens dans leur Suisse libre, et qui observaient la morale de ce côté-ci des Alpes, s’en croyaient dispensés de l’autre côté du versant, et ils se conduisaient comme des pachas au petit pied.

1351. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Journal d’Olivier Lefèvre d’Ormesson, publié par M. Chéruel » pp. 35-52

On m’a dernièrement reproché (et ce reproche m’est venu d’un critique très spirituel, mais qui cherche avant tout dans chaque sujet son propre plaisir et sa gaieté personnelle) d’avoir dit du bien du journal du duc de Luynes, comme si j’en avais exagéré l’utilité par rapport à ces premières années du règne de Louis XV ; je ne crois pas être allé trop loin dans ce que j’en ai dit. […] Persuadé de la durée de la monarchie qu’il avait sous les yeux, le duc de Luynes croyait laisser à ses petits-fils un trésor de précédents : il s’est trompé, et nous en jugeons aujourd’hui à notre aise. […] Il se croyait au port. […] Chéruel a-t-il cru nécessaire de bien définir ces termes, et il a pris occasion de là pour tracer, dans son excellente introduction, une histoire abrégée de ce qu’on appelait en général Conseil d’État, et des divers démembrements ou divisions auxquels il donna lieu dans la suite des temps. […] Au contraire des nouvelles mariées qui se croient obligées de baisser les yeux, Mme de Sévigné osait montrer sa joie ; et cependant son mari partait deux jours après pour l’armée.

1352. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier »

Vous mourez plein d’éclat et de gloire ; vous vous croyez vainqueur, vous vous endormez heureux dans le triomphe ; comme Mithridate, vos derniers regards ont vu fuir les Romains. […] Il répudiait la sécheresse des formes protestantes ; il paraissait croire à une réunion future, et à l’amiable, de toutes les communions chrétiennes ; en un mot, comme tous les vrais critiques que travaille une grande activité d’esprit et d’imagination, il était en train, sans s’en douter, de passer en réalité par la disposition et l’état moral qui lui avait manqué jusqu’alors, afin d’être ensuite tout à fait en mesure de s’en rendre compte et de le comprendre. […] La conversation avait eu, je crois, pour point de départ les Lettres passionnées de Mlle de Lespinasse. […] Je ne crois pas que je me relève jamais de ce que j’éprouve ; rien ne m’intéresse plus ; je ne trouve de plaisir à rien ; la vie est pour moi comme un bal dont la musique a cessé, et tout, excepté ce qui m’est ravi, me paraît sans couleur. […] Dans une lettre à sa mère, du 16 janvier 1812, il disait avec une naïveté parfaite et en livrant le fond de son cœur : « Genève est devenue chaque année plus triste et plus déserte pour Mme de Staël ; elle en a de l’humeur ; elle juge avec une extrême sévérité, et elle ne met presque rien de son cru pour réparer tout cela : il m’arrive très souvent de m’ennuyer chez elle, et cela arrivait aussi l’année passée, et cependant elle parle de l’ennui des autres d’une manière qui me met souvent en hostilité avec elle.

1353. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Études de politique et de philosophie religieuse, par M. Adolphe Guéroult. »

  On aura beau dire, on ne me fera pas croire que la presse ne remue pas en ce moment. […] Guéroult croit trop à l’influence et à la vertu d’un gouvernement, pas assez aux forces vitales, et par elles-mêmes si efficaces, de la liberté. […] ce seul nom cependant est si beau, et la chose en elle-même si digne d’envie ; elle est si chère à ceux qui l’ont adoptée à l’heure où l’on croit et où l’on aime, et qui sont restés fidèles à ce premier idéal trop souvent brisé ; elle a été tellement notre rêve à tous, notre idole dans nos belles années ; elle répond si bien, jusque dans son vague, aux aspirations des âmes bien nées et trouve si bien son écho dans les nobles cœurs, qu’on hésite à venir y porter l’analyse, à la vouloir examiner et décomposer. […] le progrès, le vrai progrès est-il à l’ordre du jour autant qu’on le croit ? […] « J’aime qu’on me fasse venir de haut », disait une grande dame (la duchesse Charles de Damas) à propos des théories spiritualistes surnaturelles de M. de Bonald, qu’elle croyait justifier par ce seul mot.

1354. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Histoire de la Restauration par M. Louis de Viel-Castel. Tomes IV et V. »

comment cet homme qu’on a connu depuis si modéré, si bienveillant et si courtois de langage, comment crut-il devoir s’y prendre pour sauver ses pauvres clients, et peut-être pour s’excuser lui-même d’oser les défendre ? […] L’historien, en général, lit et dépouille son Moniteur ou les journaux du temps, et il croit avoir tout fait ; mais il ne voyage pas assez, il ne consulte pas à sa source une tradition encore vivante et des traces qui fument encore. […] Fiévée, justifiant cette Chambre de 1815, a prétendu qu’après les événements antérieurs qui avaient brisé, trituré ou détrempé tant de caractères, s’il restait quelques espérances de talents applicables aux circonstances dans lesquelles on se trouvait au second retour de Louis XVIII, « ce ne pouvait être que parmi les royalistes qui avaient vécu, disait-il, hors du tourbillon qui entraînait l’Europe, réfléchissant sur l’inconstance des événements, en recherchant les causes, comparant le passé à ce qu’ils voyaient, faisant la part des hommes et des choses, et trouvant dans des pensées toujours refoulées un exercice qui doublait leurs forces : « J’ai toujours cru et je crois encore, écrivait-il en 1819, que la Chambre de 1815 offrait plusieurs hommes de cette trempe. […] Pour moi, je crois être bien plus dans le vrai en comparant ces hommes honnêtes et convaincus, je ne le nie pas, mais ces hommes prévenus, longtemps refoulés et comprimés dans leurs préjugés et leurs passions, sitôt que la fenêtre et l’air libre leur furent ouverts, à ces armes qui sont restées trop longtemps chargées et sans usage : dès qu’on veut s’en servir, elles courent risque de vous crever entre les mains et d’éclater. […] Nous faudra-t-il admettre qu’il y a dans l’esprit humain des traces innées, des moules tout prêts pour des fanatismes quelconques, des retours et comme des accès périodiques pour des erreurs qu’on croyait épuisées ?

1355. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Méditations sur l’essence de la religion chrétienne, par M. Guizot. »

Je crois voir encore (et de ceux qui ont eu l’honneur de la voir une seule fois, quel est celui qui peut l’avoir oubliée ?) […] Pour sa peine, vous l’appelez sceptique : ne croyez pas l’humilier. […] La piperie en ce genre n’a point cessé autant qu’on le croirait. […] Je crois pouvoir me permettre ici de donner la lettre que j’ai reçue de M.  […] Il ne serait pas exact de penser, comme paraît l’avoir cru l’illustre écrivain, d’après une autre lettre de lui écrite à la même date et dont j’ai eu communication, que ce « philosophe critique, sans femme, sans enfants, sans affaires, spectateur curieux et douteur, ce soit moi-même », et que j’aie mis là mon portrait en regard du sien.

1356. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre II. Distinction des principaux courants (1535-1550) — Chapitre I. François Rabelais »

Théorie superficielle, scabreuse, et qui renferme bien plus d’obscurité qu’on ne croirait d’abord, mais qui pour Rabelais n’est que l’expression d’une irrésistible et universelle sympathie. […] Non pas ce méticuleux réalisme, cette petite doctrine d’art qui prend les mesures de toutes choses, et croirait tout perdu si elle avait allongé ou raccourci d’une ligne les dimensions des choses. […] Il croit au réel, à la substance sous les formes, à la solidité de l’individu, à l’unité du moi. […] Comme il croit au moi, il a foi à la vie : elle vaut par ce qu’elle est. […] Et je le croirais : il a regardé la vie en mouvement, en travail.

1357. (1886) De la littérature comparée

Jamais, je crois, enseignement plus littéraire de la littérature n’a été donné par personne. […] L’enseignement de la littérature — tout le monde, je crois, sera d’accord sur ce point — est inséparable de la critique littéraire. […] Un patient collectionneur des œuvres de Cicéron, l’abbé Wibald de Corvey, se croit obligé de se défendre d’être plus cicéronien que chrétien, de poursuivre ses études antiques autrement qu’un éclaireur dans un camp ennemi. […] Pour que l’étude de la littérature comparée atteigne son but, il faut donc, je crois, l’élargir de plus en plus, la compléter par l’examen attentif des relations de la littérature et de l’art avec les conditions d’existence des nations, grouper les faits particuliers qu’elle présente autour d’un certain nombre de faits de plus en plus généraux. […] Posnett ne s’en tient pas là : après avoir constaté que les faits d’influence permanente, tels que le climat, le sol, etc., constituent les influences statiques dont dépend le développement de la littérature, il croit en trouver le principe dynamique dans la loi de l’évolution de la vie commune à la vie personnelle.

1358. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

Métaphoriquement, on peut dire que le soleil est « le principal régulateur, la principale divinité de la nature » ; mais, en réalité, il ne faut pas chercher à Dieu une forme particulière, encore moins croire qu’il y en a un nombre infini. Et ici Pline se sépare des opinions populaires de son temps ; il ne croit pas (est-il besoin de le dire ?) […] Pline a le sentiment de la misère et à la fois de la grandeur de l’homme, des contradictions qu’il croit y découvrir. […] Conclurons-nous de cette anecdote que Pline croyait au dieu Bacchus ? […] Ce que je tiens à marquer, c’est que des pensées comme celles que j’indique, et rendues avec une si forte expression, suffisent à classer un esprit, quoi qu’il puisse dire ensuite et avoir l’air d’accueillir ou de croire.

1359. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

À la mort du grand ministre et du roi, il y eut un moment bien critique pour Mazarin : désigné au premier rang par eux pour le Conseil, il put se croire plutôt à la veille d’une disgrâce, et il faisait déjà, disait-on, ses préparatifs pour retourner en Italie, lorsque son adresse et son étoile le portèrent tout d’un coup au faîte. […] Si l’on en croit La Rochefoucauld, ce fut dans le court intervalle qui s’écoula entre la mort de Richelieu et celle de Louis XIII, que Mazarin commença à s’ouvrir les avenues vers l’esprit et le cœur de cette princesse, à se justifier auprès d’elle par ses amis, et à se ménager peut-être quelque conversation secrète, dont elle-même faisait mystère à ses anciens serviteurs. […] Il est permis de croire que, dans ces premiers rapprochements, Mazarin, assez jeune encore, âgé seulement de quarante ans, ne négligea point d’user de ses avantages et de mettre en avant ces délicatesses de démonstrations dont il se trouvait si capable quand il en était besoin, et qui sont souveraines auprès de toute femme, surtout auprès d’une reine qui était aussi femme qu’Anne d’Autriche. […] Pourquoi donc se mettre si fort à admirer ces hommes qui ont tant méprisé les autres hommes, et qui ont cru que le plus grand art de les gouverner était uniquement de les duper ? […] Mazarin fut certainement un grand ministre ; mais je crois que ce fut surtout comme négociateur au-dehors, comme celui qui ménagea le traité de Münster et qui conclut la paix des Pyrénées ; c’est à titre de beau joueur diplomatiqued qu’il a sa place assurée et véritablement hors d’atteinte.

1360. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Quand il est révolutionnaire, il l’est par entraînement, par verve et sans parti pris d’aller aussi loin qu’on le croirait. […] Sa famille, que M. de Loménie fera connaître en détail, originaire de Normandie, je crois, s’était depuis établie en Brie ; elle avait été protestante. […] Comme musicien, comme jeune homme agréable et sans conséquence, il fut introduit, vers 1760, dans la société de Mesdames Royales, filles de Louis XV : « J’ai passé quatre ans, disait-il, à mériter leur bienveillance par les soins les plus assidus et les plus désintéressés, sur divers objets de leurs amusements. » Il était l’âme de leurs petits concerts ; il s’insinuait avec grâce, avec respect, avec tout ce qu’on peut croire, jusqu’à exciter l’envie des courtisans. […] Cette charge, qui était, je crois, dans les forêts et domaines, bien qu’achetée par Beaumarchais, ne put être conservée par lui ; il trouva comme obstacle insurmontable les prétentions liguées de la compagnie dans laquelle il voulait entrer, et qui ne l’en jugeait pas digne par ses antécédents d’horloger. […] Je crois que tu nous as donné les biens et les maux en mesure égale ; je crois que ta justice a tout sagement compensé pour nous, et que la variété des peines et des plaisirs, des craintes et des espérances, est le vent frais qui met le navire en branle et le fait avancer gaiement dans sa route.

1361. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

On pourrait croire seulement qu’elle est funeste à la largeur des vues et doit conduire à une doctrine étroite : c’est là un écueil que M. de Tocqueville a su éviter. […] Il ne suffit pas de croire, il faut comprendre. […] Tocqueville ne s’est pas contenté de croire à la démocratie, il a voulu la comprendre, et par là il s’est assuré un nom durable dans la philosophie politique. […] C’était là, comme il le dit lui-même dans une lettre à M. de Kergorlay, « la plus vitale de ses pensées… Indiquer, s’il se peut, aux hommes ce qu’il faut faire pour échapper à la tyrannie et à l’abâtardissement en devenant démocratiques, telle est l’idée générale dans laquelle peut se résumer mon livre… Travailler en ce sens, c’est à mes yeux une occupation sainte. » Ce n’est pas seulement la liberté de l’individu, la liberté de la pensée, la liberté de la commune, que Tocqueville croyait menacées dans les sociétés démocratiques, c’est encore la liberté politique. […] Si mes impressions étaient aussi tristes que vous le pensez, vous auriez raison de croire qu’il y a une sorte de contradiction dans mes conclusions, qui tendent, en définitive, à l’organisation progressive de la démocratie, J’ai cherché, il est vrai, à établir quelles étaient les tendances naturelles que donnait à l’esprit et aux institutions de l’homme un état démocratique.

1362. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Je ne crois pas qu’il l’ait fait hier. […] Il y a lieu de croire que ce dictionnaire philosophique, en apprenant des mots, apprendroit en même tems des choses, & d’une maniere d’autant plus utile, qu’elle seroit plus analogue aux procédés de l’esprit humain. […] car sans peine aux rimeurs hazardeux, L’usage encor, je crois, laisse le choix des deux. […] Voici donc comment nous croyons devoir distribuer la Grammaire, soit générale, soit particuliere. […] Tous ces auteurs confondent deux choses que j’ai lieu de croire très-différentes & très-distinctes l’une de l’autre, l’inversion & l’hyperbate.

1363. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Charles Labitte »

Ne crois pas que je me drape ici en poitrinaire ou en malade languissant. […] On se met alors à attacher une importance extrême, disproportionnée, à certaines pièces matérielles que le hasard fait retrouver, à y croire d’une foi robuste, à en tirer parti et à les étaler avec une sorte de pédanterie (c’est bien le mot) ; moins on en sait désormais, et plus on a la prétention d’y mieux voir. […] Et voilà ce qu’on a fait pourtant au profit du trop célèbre pamphlet, lorsqu’on a complaisamment répété la phrase du président Hénault : « Peut-être la Satyre Ménippée ne fut guère moins utile à Henri IV que la bataille d’Ivry ; le ridicule a plus de force qu’on ne croit. » Je résume les objections que M.  […] Je me suis aperçu que le bonheur, comme il faut l’entendre, n’est autre chose, quand on n’en est plus aux idylles, que le parti pris de s’attendre à tout et de croire tout possible. […] Elle me donne le droit de ne plus croire qu’à très-peu de choses, de me lier aux idées plutôt qu’aux hommes, de rire des sols, de mépriser les fripons de toute nuance, de me réfugier plus que jamais dans l’idéale sphère du vrai, du beau, du bien, et d’avoir à cœur encore les bonnes, les vieilles, les excellentes amitiés de quelques fidèles.

1364. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

Les autres siècles ont cru que ce temps-là, perdu, était le seul gagné. […] Cette France est la mienne, elle se porte bien, veuillez le croire ! […] Mais je ne crois pas du tout que le théâtre soit un art inférieur. […] Je ne crois pas que le phénomène sur lequel vous attirez notre attention soit particulier à notre époque. […] Je ne crois pas du tout que l’art de Sophocle et de Racine, de Shakespeare et de Molière, soit un art inférieur.

1365. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

Oreste se croit sûr d’enlever Hermione de la cour de Pyrrhus, amoureux d’Andromaque. […] Racine n’avait rien écrit : on crut Fontenelle, appuyé du grand nom de son oncle. […] Tantôt c’est un amant qui fait ce qu’il ne croit pas faire, ou qui dit le contraire de ce qu’il veut dire ; qui est dominé par un sentiment qu’il croit avoir vaincu, ou qui découvre ce qu’il prend grand soin de cacher. […] Après tant de sermens, ne la croyez-vous pas ? […]                                Je ne les crus que trop, hélas !

1366. (1899) Arabesques pp. 1-223

Bien qu’ennemi, en principe, des embrigadements sous étiquette, j’ai applaudi à ce mouvement ; j’ai cru qu’il serait fécond, — et je ne cesse pas de le croire. […] Je crois que l’art doit exprimer tout ce qui préoccupe l’humanité. […] Et quand la brise émeut son feuillage on croirait entendre respirer un Titan. […] Plusieurs personnes le croient… Qui le prouve ? […] Inventant des métaphysiques délicieusement inutiles, nous croyons remplir notre devoir.

1367. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « François Villon, sa vie et ses œuvres, par M. Antoine Campaux » pp. 279-302

Je ne le crois pas. […] Campaux essaye pourtant de déterminer en quoi consiste l’originalité de forme de Villon, puisqu’on veut qu’il ait été novateur : il croit la trouver dans le genre du testament. […] Faut-il croire qu’en passant à Blois il y connut Charles d’Orléans, et qu’il fut accueilli un moment à la cour de cet aimable prince, son rival et son associé en renom dans l’avenir ? […] Je voudrais croire le contraire. […] Et le jeune homme, logé un peu loin du centre, loin des bruits de la rue, sur la pente la plus champêtre de la montagne Sainte-Geneviève, aura ignoré bien des tours de Villon, et les pires, ou il n’y aura pas cru : il aura conservé pour lui son culte.

1368. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Un écrivain illustre, Mme Sand, a été un moment en veine de croire en lui, et elle l’a loué dans ses Mémoires. […] On peut croire toutefois que ces excès de la critique, à partir d’un certain moment, contribuèrent peut-être à le tenir plus en garde et en méfiance qu’il ne l’aurait été sans cela contre les tentatives coloristes modernes. […] Mais tout nous fait croire que, demain, nous serons à terre. […] Dès le premier pas qu’on fait dans la ville, on ne peut croire qu’il soit possible d’y rester. […] Je crois pouvoir dire de Vernet que j’ai appris quelque chose de lui, et que tout le monde peut-être a quelque chose à en apprendre.

1369. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Horace Vernet (suite.) »

Gaza en a fait de même ; car, soit pour éviter de renouveler de fâcheux souvenirs, soit tout autre motif, les maisons même ne sont pas fermées, et, par mesure de sûreté, nous avons cru devoir planter nos tentes dans le milieu de la grande place, malgré de gros nuages suspendus sur notre tête. […] La nature déjoue, à tout moment, l’observation qui croyait en être quitte. […] L’idée d’Horace Vernet qui, je crois, était celle aussi de Decamps et que je vois plus ou moins partagée par d’autres voyageurs modernes, peut donc avoir sa bonne part de vérité, sans qu’il y ait chance pour cela de la faire prévaloir. […] Je crois bien que la cause première et déterminante de ces voyages en Russie avait été quelque petit démêlé avec la liste civile. […] Il demeurait alors au n° 58 de la rue Saint-Lazare. pas du peintre ; il observe du coin de l’œil plus de choses au moral qu’on ne croirait.

1370. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Essai de critique naturelle, par M. Émile Deschanel. »

Les plus habiles même croyaient devoir s’y apprêter à l’avance, et, sans être un M. de Buffon, on n’y venait pas sans quelque toilette, au moins une toilette d’esprit. […] Un littérateur qui croirait devoir arrondir et émousser les termes serait ridicule et arriéré de deux siècles. […] Il est vrai qu’on s’en dispense trop souvent pour les juger ; toutefois, en voyant un tableau, en entendant un beau morceau, tout le monde ne se croit pas capable plus ou moins d’en faire un pareil. […] Il ne dit que ce qu’il croit vrai et ce qu’il pense. […] Je ne croyais pas que le mot d’apôtre, appliqué à un littérateur, fût une diminution de son rôle ; mais j’accorde très-volontiers que M. 

1371. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le Général Franceschi-Delonne : Souvenirs militaires, par le général baron de Saint-Joseph. »

Croyez-vous que ce soit assez ? […] Si vous croyiez cela, mon cher père, vous vous tromperiez, parce qu’il en résulte pour moi une peine infinie et pas la moindre petite portion de gloire. […] Le maréchal Soult crut devoir charger Franceschi d’une mission très importante dont il ne pouvait confier le secret à un officier plus digne de la remplir. […] Franceschi n’était pas un prisonnier ordinaire, c’était un prisonnier national ; la vindicte espagnole était en jeu : Wellington, qui avait nouvellement pied en Espagne, évita tout conflit d’autorité et crut devoir s’abstenir. […] Il y eut un temps où il crut à la délivrance, où il espéra.

1372. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIIe entretien. Fénelon, (suite) »

On croit lire une traduction d’Homère ou une continuation de l’Odyssée par un disciple égal au maître. C’est un jeu de l’esprit, un déguisement de l’imagination moderne, sous des fictions et sous des vêtements mythologiques ; on y sent l’imitation sublime, mais l’imitation en toutes les lignes ; Fénelon n’y est qu’un Homère dépaysé dans un autre peuple et dans un autre âge, chantant les fables à des générations qui n’y croient plus : là est le vice du poëme, mais c’était celui du temps. […] Sa peine n’était pas dans son orgueil, elle était dans son incertitude de conscience, il avait remis sa conscience à l’Église, elle avait prononcé ; il crut entendre la voix de Dieu et il s’inclina sous l’arrêt. […] Il en coûte sans doute à s’humilier ; mais la moindre résistance coûterait cent fois davantage à mon cœur. » XXX Le lendemain, il publia une déclaration à ses diocésains, dans laquelle il s’accuse lui-même d’erreur dans son livre des Maximes des Saints. « Nous nous consolons, dit-il dans cette déclaration, de ce qui nous humilie, pourvu que le ministère de la parole que nous avons reçu du Seigneur pour votre sanctification n’en soit pas affaibli, et que l’humiliation du pasteur profite en grâce et en fidélité au troupeau. » Sans doute l’arrêt officiel de Rome ne changea pas au fond de son cœur ses sublimes convictions sur l’amour désintéressé et absolu de Dieu : il ne crut pas s’être trompé dans ce qu’il sentait ; mais il crut s’être égaré dans ce qu’il avait exprimé ; il crut surtout que l’Église voulait imposer le silence sur des subtilités qui peuvent troubler les âmes et embarrasser son gouvernement, et il acquiesça avec bonne foi et avec humilité à ce silence. […] Ce livre partage les esprits : la cabale l’admire, le reste du monde le trouve peu sérieux et peu digne d’un prêtre. » Il fut convenu à la cour qu’on ne prononcerait pas le titre devant le roi : il le crut oublié, parce qu’il l’oubliait lui-même.

1373. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « La jeunesse du grand Condé d’après M. le duc d’Aumale »

Les hommes tout à fait médiocres de cœur et d’esprit y sont, je crois, l’exception ; et les moins doués ont encore un orgueil du sang, un sentiment de la tradition, qui leur permettent de garder quelque tenue. […] Mais tout de suite après ce furieux noviciat, il tombe dangereusement malade. « Un instant on le crut fou. » Il en réchappe ; il vient à Paris. […] Si vous croyez que cela n’est rien ! […] Aussi tous les grands hommes de guerre ont-ils eu besoin de croire à leur étoile, c’est-à-dire à une volonté divine, plus forte que tout, et qui leur donnait la victoire. […] Qui croire ?

1374. (1902) L’œuvre de M. Paul Bourget et la manière de M. Anatole France

Peut-être devons-nous voir dans un excès de correction, — c’est-à-dire dans un culte très spécieux de la courtoisie, aux suggestions de laquelle un écrivain élégant croit se devoir à soi-même de se conformer, quand, par hasard, il manque des facultés spéciales qui lui eussent fait voir là plus qu’une convenance, un attrait direct, et, quand il croit se le devoir, en tant qu’observateur d’abord et en tant qu’artiste ensuite, — l’explication psychologique de l’apparent désordre moral qui a marqué l’entrée en carrière de M.  […] Qui n’est prêt à croire, au contraire, que c’est presque un poème de savoureuse supercherie mentale que M.  […] France que son esprit croit suivre et ne suit pas en soi les choses, mais se borne à les voir faire et elles-mêmes s’affirmer, — de quelle façon prismatique, on s’en rend compte. […] Faut-il donc désespérer d’épurer nos instincts, d’en retenir les incessants débordements, et croire que, fussions-nous héroïques, nous ne saurons jamais faire que quelque chose d’eux ne demeure en la substance de nos formes intellectuelles ! […] Aussi, croyons-nous sage, en terminant, de nous borner à exprimer le regret que l’auteur de Thaïs, dont le robuste talent promettait de nous intéresser très hautement, n’ait, en définitive, témoigné d’avoir aspiré qu’à la vague gloire de faire œuvre de subtil amuseur.

1375. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE XIV »

En vérité, c’est à n’y pas croire. […] Mais Claude reste inexorable, il ne croit pas à son repentir. […] On peut le croire ; car rien n’indique qu’elle ment encore. […] Ne croyez point pourtant à un succès d’amusement frivole. […] Elle peut se croire en état de grâce, lorsqu il la relève, en la serrant dans ses bras.

1376. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

Il faut par de grands objets donner un grand ébranlement à l’âme, sans quoi elle ne se mettrait point en mouvement… Rien ne convient moins à un jeune homme qu’une certaine modestie, qui lui fait croire qu’il n’est pas capable de grandes choses. […] On croit entendre à l’avance un conseil de Vauvenargues à quelque jeune ami, dans la bouche de cette mère issue d’une bourgeoisie riche et licencieuse. […] Ceux mêmes qui ne sont pas assez heureux pour croire comme ils doivent, se soumettent à la religion établie : ils savent que ce qui s’appelle préjugé tient un grand rang dans le monde, et qu’il faut le respecter. […] On trouve chez Mme de Lambert quelques pensées qu’on croirait qu’elle a d’avance empruntées aux moralistes qui l’ont suivie. […] On croit sentir en plus d’un de ses conseils un commencement d’aveu et comme une expérience arrêtée à temps : Il y a à chaque dérèglement du cœur une peine et une honte attachées qui vous sollicitent à le quitter.

1377. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Ils sont convenus de se trouver du génie les uns aux autres, et de le répéter jusqu’à ce qu’on le croie. […]   Ce petit homme, à son petit compas, Veut sans pudeur asservir le génie ; Au bas du Pinde il trotte à petits pas, Et croit franchir les sommets d’Aonie. […] Certes, à tout prendre, et surtout pour les contemporains, c’était quelqu’un que M. de La Harpe, et je crois l’avoir assez fait sentir dans mon premier jugement. […] etc. » S’il faut en croire Laya, et rien ne permet de révoquer en doute son assertion, La Harpe se targue ici d’un courage qu’il n’eut pas. […] La Harpe lui dit : « Je ne suis pas si loin que vous le croyez de m’entendre avec vous.

1378. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le comte-pacha de Bonneval. » pp. 499-522

Évidemment Bonneval se trompait de date : il se croyait encore au temps de ses aïeux, sous la Ligue et sous la Fronde ; il oubliait que Louvois était venu, que la qualité et la bravoure ne dispensaient plus d’être exact et d’obéir, et que le régime de l’égalité s’appliquait désormais même à la guerre. […] Quoique j’aie lieu de croire qu’il ne vous est rien arrivé, personne n’en parlant, je ne puis m’empêcher de joindre à ma peine mille alarmes, qui me mettent dans un état que vous ne comprenez point, puisque vous pouvez être deux mois sans me donner le moindre signe de vie. Je dois croire, à ce procédé, que les marques de ma tendresse vous touchent peu ; elle est cependant d’une nature à espérer un plus heureux sort. […] Je ne crois pouvoir rien ajouter à la force de cette expression, ne sachant point dire ce que je sens. […] On se croirait reporté au temps des Caylus et des Simiane, autant par la fleur des sentiments que par celle du langage.

1379. (1906) La nouvelle littérature, 1895-1905 « Première partie. Écoles et manifestes » pp. 13-41

À en croire les industriels, les économistes, les coloniaux, les commerçants, les agriculteurs, ils auraient les mêmes motifs de gémir et d’accuser l’anarchie universelle, destructrice des réserves morales du passé, de ses méthodes et de ses espoirs. […] « Ce désir d’être plus suggestive que péremptoire est, je crois bien, l’invention capitale de la poésie d’aujourd’hui. […] Pour nous, l’au-delà ne nous émeut pas, nous croyons en un panthéisme gigantesque et radieux. […] « Croire qu’en imitant certaines qualités de pureté, de sobriété, de correction et d’élégance, indépendamment du caractère même et de la flamme, on deviendra classique, c’est croire qu’après Racine père, il y a lieu à des Racine fils, rôle estimable et triste, ce qui est le pire en poésie. […] Mais, il ne faudrait point croire que cette victoire soit définitive ou complète.

1380. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre X. Des Livres nécessaires pour l’étude de la Langue Françoise. » pp. 270-314

Il ne croit pas qu’il soit possible d’apprendre cette orthographe, & de la posséder parfaitement que par une étude particuliére de la Grammaire françoise. […] Ce Dictionnaire, dit universel, n’indique point les nuances fines & délicates qui différencient un même mot placé différemment, ou plusieurs mots crus synonymes. […] L’Académie a toujours cru qu’elle devoit se restreindre à la langue commune, telle qu’on la parle dans le monde, & telle que nos Poëtes & nos Orateurs l’emploient. […] C’est ce qu’on croira difficilement, même après avoir lu le Racine vengé. […] On avoit lu avec moins de plaisir que de surprise celles de Guichard, qui sçachant l’hébreu à fond, crut faire honneur aux François en faisant remonter leur langue jusqu’à sa premiere source.

1381. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

Mais croyez-vous qu’avec du génie il n’eût pas été possible d’introduire dans cette scène le plus grand mouvement, les incidents les plus violents et les plus variés ? […] Ce qui me paraît difficile à croire. […] Ou ce que j’incline davantage à croire, ces morceaux n’étoient-ils que purement commémoratifs ? […] Je n’ai pas fait la satyre de l’évidence, mais j’ai pris la liberté de me moquer de ces pauvres diables de charlatans économistes qui nous ont offert depuis quelque temps le mot évidence comme une emplâtre douée d’une vertu secrète contre tous nos maux ; j’ai le malheur de croire que les mots ne guérissent de rien. […] Je n’ai garde de penser que le métier de Montesquieu, le premier des métiers, soit au-dessous du métier de cordonnier, mais je crois qu’un cordonnier qui veut faire le métier de Montesquieu ne vaut pas un cordonnier faisant de bons souliers, surtout quand ce cordonnier a la sottise de croire qu’avec son bavardage inintelligible il ruinera la réputation de l’immortel Montesquieu.

1382. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Le Prince » pp. 206-220

Derrière lui, debout, une figure plus grosse encore, plus courte, embarrassée par le bas d’un si gros volume de vêtemens que vous la croirez tortue des cuisses et des jambes, ajustera des fleurs dans les cheveux du musicien rustique. […] Si Le Prince n’y prend garde, s’il continue à se négliger sur le dessin, la couleur et les détails, comme il ne tentera jamais aucun de ces sujets qui attachent par l’action, les expressions et les caractères, il ne sera plus rien, mais rien du tout ; et le mal est plus avancé qu’il ne croit. […] Ainsi plate excuse que celle qu’on a cru devoir imprimer dans le livret. […] Ma mère écoutait ces belles choses avec un plaisir infini et les croyait peut-être, lorsque la pythonisse lui dit : mademoiselle, approchez vos yeux ; voyez-vous bien ce petit trait ; là, celui qui coupe cet autre ? […] Sa manière de peindre n’est ni faite ni décidée, son dessin n’est pas correct, ses caractères de tête ne sont pas intéressans ; il règne dans tous ses tableaux une monotonie déplaisante, on en a vu vingt et l’on croit que c’est toujours le même ; la partie de l’effet y est tout à fait négligée ; on les regarde froidement, on les quitte comme on les regarde.

1383. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Alors Charlet était jeune, il ne se croyait pas un grand homme, et sa popularité ne le dispensait pas encore de dessiner ses figures correctement et de les poser d’aplomb. […] Tout à l’heure, je crois, j’ai dit : bouffonnerie sanglante. […] Celle-ci, je crois, est postérieure et ne contenait que des pairs de France. […] Je crois même que c’est lui qui a inventé le mot. […] Depuis lors on a reconnu que Mayeux existait, et l’on a cru que Traviès l’avait connu et copié.

1384. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’art et la sexualité »

Je crois que cet appétit de la solitude mentale et du plaisir jalousement individuel, — ce mode d’embrasser la vie qui consiste à la savourer avec art et toute entière en soi-même, — peut facilement se ramener à une cause unique. […] Je ne crois pas qu’il existe dans le monde entier une seule œuvre d’art, de premier ordre et d’incontestable grandeur, qui soit sortie de l’un des exemplaires de cette race inféconde. […] Cela doit nous prouver, sans doute, que les erreurs qui ont pris racine sont infiniment longues à périr, et qu’il faut nous attendre, pendant longtemps encore, à rencontrer dans notre chemin, les illusions et les préjugés que nous pouvions croire à jamais ensevelis. […] Dans ma première étude, ce qui m’a détourné de remarques et d’incidentes telles que celles qui précèdent, c’est que je les croyais d’une vérité tellement commune et indiscutée, que les réaffirmer après tant d’autres, me semblait inutile. […] Je crois que l’humanité future modifiera à leur endroit les anciens jugements.

1385. (1886) Le naturalisme

Je crois qu’il est à cette heure difficile de juger ces moules. […] On croit qu’Ésope dut être esclave dans quelque pays oriental et en rapporter dans sa patrie les premiers apologues et les premières fables. […] On crut même Zola vieux, laid, ou ridicule. […] En somme, je tiens Zola pour un pessimiste et je crois qu’il voit l’humanité plus laide, plus cynique et plus basse qu’elle n’est. […] Je crois plutôt que c’est au défaut de prudence, au cynisme brutal avec lequel il est traité.

1386. (1874) Premiers lundis. Tome I « Madame de Maintenon et la Princesse des Ursins — I »

Louis XIV entoura donc son petit-fils de conseils ; lui-même il traça de sa main les règles qu’il crut les plus sages ; il composa la cour d’Espagne avec choix ; l’ambassadeur à Madrid, le duc d’Harcourt, fut en réalité le gouverneur du jeune roi, et la jeune reine reçut pour gouvernante, à titre de dame d’honneur, une Française célèbre par sa naissance et son mérite, Anne-Marie de la Trémoïlle, veuve du prince de Chalais, et depuis mariée en Italie à Flavio, prince des Ursins. […] Si sa majesté n’était pas dans des engagements bien différents, je crois, en vérité, qu’elle voudrait être une de vos élèves. » Berwick répara les affaires, et par la victoire d’Almanza rendit quelque sécurité à la cour. […] Accablée de dettes elle-même, « en vérité, disait-elle encore, je croirais voler sur l’autel si je recevais du roi d’Espagne. » Qu’on ne l’accuse pourtant pas d’être meilleure Espagnole que Française ; elle vous répondra « qu’elle n’oublie pas sa nation, mais qu’elle a horreur de la voir avilir ; elle aime la France, mais comme une bonne mère fait de sa fille, qui ne la flatte pas sur ses défauts. » Aussi, tout en s’apitoyant de fort bonne grâce sur ce pauvre M. de Villeroy et sur ce bon M.  […] La reine d’Espagne étant venue à mourir et le roi ne pouvant se passer d’épouse, elle fit choix de la princesse de Parme dont elle crut s’assurer la reconnaissance en l’élevant si haut.

1387. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Le lyrisme français au lendemain de la guerre de 1870 » pp. 1-13

Le monde a pu croire un instant à sa propre agonie. […]   « Monsieur, « Vous vous emparez d’une phrase dans une lettre qui était destinée à répondre à un ordre particulier d’arguments, mais vous ne me la renvoyez pas telle que je l’ai écrite : je n’ai pu dire en effet et je n’ai point dit : “Nul homme sérieux et sensé ne peut croire désormais, etc.” […] J’ai dû dire qu’il était bien difficile à des esprits exacts, armés de critique et se livrant à l’examen, de croire ce qu’on croyait autrefois.

1388. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 23, que la voïe de discussion n’est pas aussi bonne pour connoître le mérite des poëmes et des tableaux, que celle du sentiment » pp. 341-353

Comme nous reprochons aujourd’hui aux anciens d’avoir cru l’horreur du vuide et l’influence des astres, nos petits neveux nous reprocheront un jour de semblables erreurs, que le raisonnement entreprendroit en vain de démêler, mais que l’expérience et le temps sçauront bien mettre en évidence. […] On en croit l’homme préferablement au philosophe, parce que le philosophe se trompe encore plus facilement que l’homme. […] Un médecin de soixante ans, est persuadé de la verité du fait qu’il a vû plusieurs fois, mais il ne croit plus aux explications de l’effet du remede, que par benefice d’inventaire, s’il est permis d’user de cette expression. […] Quand on en croit son premier mouvement, on juge de la portée des sens des autres, par la portée de ses propres sens.

1389. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Louandre »

C’était Chamfort, je crois, qui aurait voulu mettre la vie tout entière dans une cuiller à café pour l’avaler d’un seul trait et mieux en goûter la poignante sensation. […] Chamfort croyait n’en avoir jamais assez de toutes les accumulations de la vie. Mais, en fait de pensée, notre époque, livrée aux choses matérielles, croit en avoir toujours trop… Au lieu d’accumuler, elle abrège ; au lieu de concentrer, elle dissout, supprime, affaiblit. […] Nous avions entendu là-dessus le petit sifflet de Voltaire et la parole de cet autre grand génie qui se croyait positif et qui disait : « Cela pourrait être, mais cela n’est pas. » Et voilà qu’à ce moment même, au moment où le rationalisme prenait compendieusement ses conclusions souveraines, la pensée moderne retournait sous d’autres formes à des questions qui paraissaient épuisées, qui paraissaient n’en être plus !

1390. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — II »

Taine est né catholique, et que d’ailleurs nous étions autorisés à croire qu’il voyait d’inconciliables contradictions entre toute religion et les méthodes scientifiques. […] Taine a pu rédiger, à des intervalles divers, depuis vingt ans, et classer sous ce titre qui exprime, je crois, son principal souci moral : Préparation à la mort. […] ∾ Note IV. — Je crois prévoir que mes amis, au lendemain de ma mort, me traiteront de saint : c’est le genre de considération que je préfère. […] Je crois avoir bien parlé du Paradis terrestre qu’est Venise, mieux encore de l’héroïsme charnel de Rubens ; j’ai mis en valeur aussi les fougueux aventuriers de la Renaissance ; mais toute ma complaisance, je la donne à ceux qui souffrent et qui acceptent.

1391. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Damiron, je n’y croyais guère. […] Mais je ne crois pas en avoir fini avec le père de M.  […] La courte notice que je suis en mesure et que je crois de mon devoir de lui consacrer, dans un petit paragraphe à part, tiendrait ici, en note, trop de place. […] Et s’il eût pris parti, je ne crois pas que c’eût été en ce moment-là pour ceux qui avaient laissé s’engager l’insurrection. […] … On eût cru que M. 

1392. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre troisième. La connaissance de l’esprit — Chapitre premier. La connaissance de l’esprit » pp. 199-245

À l’en croire, ses parents l’avaient perdue exprès sept ou huit fois, et sa mère avait fini par la vendre à des saltimbanques chez qui elle était restée deux ans. […] Parfois, lorsque la seconde n’a rien d’extraordinaire, le malade se l’attribue encore et se croit double. […] Ce ne sont là que des illusions partielles ; il y en a de totales, où, la série de nos événements étant remplacée par une série étrangère, Pierre se croit Paul et agit conformément à sa croyance. […] « En 1541, à Padoue, dit Wier, un homme qui se croyait changé en loup courait la campagne, attaquant et mettant à mort ceux qu’il rencontrait. […] Leuret cite des hommes qui se croyaient changés en femmes et des femmes en hommes. — Un soldat dont la peau était insensible se croyait mort depuis la bataille d’Austerlitz, où il avait été blessé.

1393. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre V. La Renaissance chrétienne. » pp. 282-410

Mais ce sont les plus impies des hommes ; ils se moquent de la vraie religion, ils nous raillent nous autres chrétiens, parce que nous croyons tout dans l’Écriture… Il y a un mot en Italie qu’ils disent quand ils vont à l’église : « Allons nous conformer à l’erreur populaire. » « Si nous étions obligés, disent-ils encore, de croire en tout la parole de Dieu, nous serions les plus misérables des hommes, et nous ne pourrions jamais avoir un moment de gaieté ; il faut prendre une mine convenable et ne pas tout croire. » C’est ce que fit le pape Léon X, qui, entendant disputer sur l’immortalité et la mortalité de l’âme, se rangea au dernier avis. « Car, dit-il, ce serait terrible de croire à une vie future. […] Croyez-vous que, l’homme brûlé ou enfermé, tout soit fini ? […] Le dimanche à l’église, quand on l’oblige à se signer, à s’agenouiller devant la croix, à recevoir l’hostie, il frémit, se croit en péché mortel. […] À la fin, le jour vint où elle crut qu’on l’exécuterait ; je vins, comme c’était ma coutume, pour l’instruire, et elle me fit une grande lamentation ; car elle croyait qu’elle serait damnée, si on l’exécutait avant qu’elle eût pu faire ses relevailles… Nous manœuvrâmes ainsi avec cette femme jusqu’à ce que nous l’eussions amenée à de bonnes dispositions. […] Plusieurs se croyaient damnés et allaient gémissant dans les rues ; d’autres ne dormaient plus.

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