« Les uns oublient, les autres apprennent à se souvenir ; les uns s’étudient à aimer moins pour moins souffrir ; les autres sont dévorés du besoin d’aimer davantage ; et plus ils s’éloignent, plus ils sentent leur courage défaillir, et plus ils s’efforcent de se rapprocher au moins par la mémoire des joies perdues. […] Aussi l’auteur en lui, l’écrivain, pour peu qu’il soit écrivain, souffre-t-il tout bas de ce qui fait la vogue même et l’applaudissement public du professeur. […] Trébutien, au choix de Lettres de Mlle Eugénie de Guérin ; sa délicatesse de cœur se complaisait à ce travail tout confidentiel, et il ne souffrit même pas que M. […] Je trouve dans cette pensée le prix de mes efforts, et le jour n’est pas très éloigné peut-être où je souffrirai moins du sentiment de mon insuffisance et ressaisirai toute ma liberté d’esprit. » Le discours d’ouverture dont Fénelon était le sujet, et qui eut lieu le 12 décembre 1863, nous montre Gandar ayant rétrogradé sur ses habitudes d’improvisation à Caen ; il s’était décidé encore une fois à lire, pour cette leçon d’apparat.
Que de choses nous sommes condamnés à voir et à souffrir dans le cours d’un long âge ! […] Astyage, dissimulant le vif ressentiment que lui inspirait ce qui s’était passé, raconta de son côté à Harpagus ce qu’il avait appris du pâtre, et, après avoir tout répété, termina en disant : « que l’enfant vivait encore, et qu’il s’en réjouissait ; car, ajouta-t-il, je souffrais beaucoup de ce que j’avais fait, et je n’étais pas moins affligé de la peine que j’avais causée à ma fille. […] Vous avez, je n’en doute pas, appris depuis longtemps ce qui s’est passé à votre égard ; vous savez aussi tout ce que j’ai souffert d’Astyage pour avoir refusé de vous donner la mort, pour vous avoir confié au pâtre qui vous a élevé. […] Lorsqu’un enfant vient de naître, tous ses parents, rangés autour de lui, pleurent sur les maux qu’il aura à souffrir depuis le moment où il a vu le jour, et comptent en gémissant toutes les misères humaines qui l’attendent.
Jeudi 13 avril Aujourd’hui, où Zola vient prendre de mes nouvelles, et me trouve encore au lit, il se plaint de malaises, de souffrances intérieures, d’angine de poitrine, de maux dont il souffrait, aux premiers jours de sa liaison avec Flaubert. […] Il m’annonce qu’il va partir pour Plombières, qu’il souffre d’affreux maux d’estomac. […] fait-il, en me voyant entrer, on a été six minutes avant de m’endormir… je croyais que je ne dormirais jamais… Pozzi m’a dit : Vous avez pris de l’éther… Oui c’est vrai, j’en ai beaucoup pris, à la suite d’un grand chagrin, qui me donnait des contractions de cœur… et ces contractions, l’éther les calmait… vous savez, l’éther c’est comme un vent frais du matin… un vent de mer qui vous souffle dans la poitrine… Ah, après ce que j’ai souffert… il me semblait que j’avais le corps rempli de phosphore et de flamme… Il faudra encore que dans trois semaines, je fasse une saison de Luchon… C’est bien ennuyeux d’être obligé de refaire son sang. […] Daudet souffre, et malgré cela, jette dans la conversation générale, un joli mot, une remarque fine.
Ce qui est encore à la décharge de Mme de Staël, c’est qu’elle a souffert de son cosmopolitisme et qu’elle en a vivement ressenti la tristesse. […] Elle est emportée par les vents de nuages… » Et enfin elle a cruellement souffert d’être éloignée de la France, vers laquelle la ramenait une invincible nostalgie. […] On constate dans la foule les mêmes troubles cérébraux dont souffrent les aliénés : folies partielles, manies, monomanies, incapacité de faire attention ou, au contraire, d’échapper à une obsession. […] Il s’émeut, il souffre, il est incapable de réagir. […] Seulement, il a souffert de son abjection, il a eu honte de lui-même, et, dans un temps où l’âme humaine était toute imprégnée de christianisme, le retour sur soi l’a mené à exprimer de graves et de mélancoliques pensées.
Homme excellent, qui a beaucoup aimé, beaucoup souffert, qui a de tout temps servi ses semblables jusqu’à en vouloir mourir, le repos enfin lui est venu.
Cet homme impitoyable, qui ne descendait de son nid de vautour que pour dépouiller ses vassaux, les arma lui-même, les emmena, vécut avec eux, souffrit avec eux ; la communauté de misères amollit son cœur.
je courus alors : j’étais plein de bonheur, Car j’avais bien souffert de l’ardente chaleur, Et ma lèvre était tout en flamme.
L’épée et la plume étaient dignes de sa main loyale ; s’il souffrit toujours, c’est parce qu’il ne voulut jamais rester étranger à la misère des siens, et nulle mauvaise pensée ne troubla l’ineffable sincérité de son beau sourire !
Laforgue rêve d’écrire « l’histoire, le journal d’un Parisien de 1880 qui souffre, doute et arrive au néant et cela, dans le décor parisien, les couchants, la Seine, les averses, les pavés gras, les Jablochkoff, et cela, dans une langue fouillée et moderne, sans souci des codes du goût, sans crainte du cru, du forcené, des dévergondages cosmologiques du grotesque, etc. ».
M. le Prince disait de lui : « Si Voiture était de notre condition, on ne le pourrait souffrir. » Je remarque que nous n’avons rien dit encore que de vague et de banal concernant la personne sur qui pèse aujourd’hui le ridicule de la préciosité de mœurs et de langage ; parlons un moment de ses premières années et des premières apparences de son caractère.
Et nous n’avons pas à souffrir, à nous accroître, à nous meurtrir, à faire constamment pénitence, afin de perdre l’indignité de notre état.
Et j’arrive à cette conclusion — malgré moi, puisque en dehors de la question — qu’une œuvre ne peut être d’absolue beauté si l’âme n’y transparaît ; à travers la matière, si la vie n’y aime et souffre sous la Forme : la Forme éternellement morne en dépit de sa splendeur, lorsqu’elle s’isole.
Il leur déclara « que, si elles avoient un peu de courage, elles devoient crever les yeux à Balzac, ou du moins lui faire endurer la peine que les dames de la cour voulurent faire souffrir à Jean de Meun ».
Nous ne sçaurions souffrir que le maître leur parle à peu près comme un chasseur parle à son chien couchant.
Quand nous avons lu ses deux énormes volumes, et qui ne sont que le commencement d’un récit qu’il continuera, jamais nous n’avons mieux compris la rareté des historiens véritables en présence de la plus resplendissante histoire à écrire, et jamais nous n’avons plus souffert du choquant contraste qui existe parfois entre l’historien et le héros.
Madame de Sévigné s’y est trompée, mais la pauvre sœur Louise de la Miséricorde, interrogée, aurait répondu, du fond de ses Carmélites de Chaillot, que les passions qui souffrent ont d’autres accents dans les maisons du Seigneur… Madame de Sévigné, le xviiie siècle, Saint-Simon, et plus tard Duclos, toute la terre enfin, ont été dupes de quelque mystification inconnue.
Vous voyez pourtant comme je souffre ?
L’intérêt de ce détraquement serait médiocre si cette mécanique n’en souffrait pas, si cette singulière horloge, qui ne s’est pas faite toute seule et qui essaie de se remonter et de se régler, n’avait pas en elle quelque chose de plus fort qu’elle qui l’en empêche et qui la torture… Et même sans cette torture le roman n’existerait pas.
Il ne reste même pas jusqu’au bout un galant homme : ses brillants costumes composés pièce à pièce par sa dame d’amour nous dissimulent son vrai caractère, tant qu’il n’a pas souffert. […] Aux martyrs qui souffrent leur passion Dürer montre la céleste récompense : la croix est pour lui le signe du salut en même temps que l’arbre du supplice. […] Quoi qu’il en soit, une école contemporaine de Raphaël ne souffre pas de méprise : car tout éclate dans la peinture vénitienne, qualités et défauts. […] S’ils souffrent, c’est en leur âme. […] Vous qui pâtissez innocemment des disgrâces de la nature et des hommes, opprimés, exploités, tyrannisés, parce que vous êtes pauvres, faibles, infirmes et laids ; et vous qui êtes les ailleurs de vos propres disgrâces, larrons, forçats, truands, brigands de grand chemin : résignés et révoltés, bons et méchants, le partage des mêmes douleurs vous a rendus égaux, et le poète, aimant du même cœur ceux qui souffrent des misères du malheur et ceux qui souffrent des misères du vice, veut, vous appeler du même nom : misérables.
» C’est le cri d’un cœur qui souffre. […] Une génération pense en elle, en elle souffre, s’étonne, s’inquiète et espère. […] Bossuet ne peut pas souffrir les « opinions particulières » ; filles le blessent comme accidents gênant l’ordre général. […] Comme nous tendons à nous absorber dans ce que nous aimons, nous prenons conscience de nous-mêmes dans ce que nous ne pouvons pas souffrir. […] Quand il n’aime plus, et qu’il revient pourtant, et qu’il reste, et qu’il ne peut se décider à partir, c’est qu’il est irrésolu, sans doute ; mais c’est aussi qu’il souffre très vivement de faire souffrir.
Je souffre : ma souffrance est réelle en tant que j’en ai conscience ; il en est de même de la liberté ; il en est de même de la raison et des principes qui la gouvernent. […] Il semble que l’intelligence ait aussi son organe intime, qui souffre ou jouit, selon l’état de l’intelligence. […] Un objet qui nous fait souffrir, fut-il le plus beau du monde, bien rarement nous paraît tel. […] Il souffre de contenir les sentiments ou les images ou les pensées qui s’agitent dans son sein. […] Cette inquiétude, d’abord vague et indécise, se détermine bientôt ; elle se porte vers l’objet qui nous a plu et dont l’absence nous fait souffrir.
IV Dans ses secondes Tusculanes, il traite de la douleur ; il se demande si c’est un mal de souffrir. […] C’est donc une folie que de vouloir gouverner les hommes, puisqu’on ne peut dompter les emportements aveugles et terribles de la multitude ; c’est se dégrader que de descendre dans l’arène avec des adversaires sortis de la fange, qui n’ont pour toutes armes que les injures et tout cet arsenal d’outrages qu’un sage ne doit pas supporter : comme si les hommes de bien, ceux qui ont un beau caractère et un grand cœur, pouvaient jamais ambitionner le pouvoir dans un but plus légitime que de secouer le joug des méchants, et ne point souffrir qu’ils mettent en pièces la république, qu’un jour les honnêtes gens voudraient enfin, mais vainement, relever de ses ruines ! […] Vois-tu cette ville qui, forcée par mes armes de se soumettre au peuple romain, renouvelle nos anciennes guerres et ne peut souffrir le repos ?
Il a voulu la former tout exprès pour lui, il ne lui souffre nul goût auquel il aurait à sacrifier les siens ; il lui a interdit les bals, les rubans, et jusqu’à l’innocente société de Léonor, sa sœur. […] Et l’intrigue, — ce fil léger qui nous fait souvenir que la scène a d’abord été un théâtre de marionnettes, — il n’y en a pas, si ce n’est dans la tête de certains commentateurs de Molière, qui ne souffrent pas de comédie sans intrigue. […] C’est d’ailleurs le propre du travers religieux d’endurcir, de dessécher, de passionner ceux qui en sont atteints et d’exaspérer ceux qui en souffrent.
En énonçant une loi empirique, vous vous bornez à affirmer que jusqu’ici on n’y a pas remarqué d’exception ; mais vous ne pouvez pas prononcer qu’elle n’a jamais souffert ni ne souffrira jamais d’exception, encore bien moins qu’elle n’en peut pas souffrir.
Ils aimaient, dans la ferveur de leurs cantiques, à ne point séparer de l’hommage au Très-Haut la sévère justesse de langage qu’avait prescrite le concile de Nicée, et que rendaient plus précieuse et plus inviolable la haine des dissidents et les persécutions tour à tour infligées ou souffertes. […] Ô Dieu de paix, gloire à toi, quand même j’aurais pis à souffrir ! […] L’inspiration souffre de ce travail érudit ; mais l’amour des lettres était devenu pour ces demeurants du polythéisme une passion à la fois subtile et sacrée, dont le langage a sa poésie comme sa sincérité.
C’est là tout ce qu’il importe de ne point laisser perdre, ce qu’il faut ne point souffrir qu’on altère, — sans avertir du moins et sans s’alarmer comme dans un péril commun. […] Hamlet, Werther, Childe Harold, les Renés purs, sont des malades pour chanter et souffrir, pour jouir de leur mal, des romantiques plus ou moins par dilettantisme : — la maladie pour la maladie.
On pourrait presque affirmer de même que de nos jours, non point absolument chacun, mais tout esprit sérieux et réfléchi, tout cœur troublé, qui conçoit le doute et qui en triomphe ou qui le combat, porte son Pascal en lui, et, selon les manières diverses de souffrir et de lutter, on conçoit ce Pascal diversement : chacun de nous fait le sien. […] Et voilà précisément à quoi j’en voulais venir ; les Pascal, les Rancé, ces purs et francs chrétiens, croyaient avant tout à Jésus-Christ dans le christianisme, à un Dieu-homme ayant exactement souffert comme eux et plus qu’eux, ayant sué la sueur d’agonie dans tous ses membres, et l’essuyant de leur front : de là leur force.
si l’on en excepte quelques amis inaltérables, la plupart de ceux qu’on se rappelle après dix années de révolution, consistent votre cœur, étouffent vos mouvements, en imposent à votre talent même, non par leur supériorité, mais par cette malveillance qui ne cause de la douleur qu’aux âmes douces, et ne fait souffrir que ceux qui ne la méritent pas. […] Alors que le criminel éprouve l’adversité, il ne peut se faire aucun bien à lui-même par ses propres réflexions ; tant qu’un vrai repentir ne le remet pas dans une disposition morale, tant qu’il conserve l’âpreté du crime, il souffre cruellement : mais aucune parole douce ne peut se faire entendre dans les abîmes de son cœur.
Quand le poète exprime les choses telles qu’il les sent et les souffre, non telles qu’elles sont, c’est cette altération, cette amplification même des impressions ordinaires et communes, qui est significative, et qui est vraie d’une vérité universelle. […] Le vrai, le grand lyrique, ce n’est pas un Baudelaire, un chercheur de sensations inouïes, perverses, morbides : c’est un Vigny, un Hugo, un Musset, un Lamartine, qui a souffert plus que nous des mêmes choses que nous : c’est celui qui a crié plus hautement les éternels lieux communs dont la pensée obscure opprime notre âme à tous, nos passions, nos misères, nos ignorances, et l’insoluble énigme : pourquoi suis-je venu ?
L’esprit du radicalisme, dans les autres pays, paraît être l’effet du malaise de la société qui aigrit ceux qui en souffrent, et les emporte au-delà des bornes ; en France, ce n’est que l’esprit logique poussé jusqu’à l’absurde. […] Calvin s’était trahi dans une lettre écrite dès 1546, à l’époque où Servet songeait à venir à Genève : « S’il y vient, écrivait-il à son collègue Farel, pour peu que mon autorité puisse prévaloir, je ne souffrirai pas qu’il en sorte vivant76. » Le logicien de la prédestination exécutait sept ans d’avance les prétendus jugements de Dieu, tant il croyait le repentir impossible au prédestiné !
Dans son dessein de faire du bien aux sociétés humaines, il lui a manqué d’avoir combattu et souffert. […] Il s’agit de ce principe, non pas supérieur au principe de liberté, mais apparemment plus nécessaire aux nations, puisqu’il ne souffre pas d’interruption ; il s’agit de cette force protectrice des sociétés, qui se forme de leur consentement intelligent et qui pourrait être le dernier progrès de la liberté dans ceux qui obéissent.
Nous ne voulons pas enfermer à jamais l’humanité dans nos formules ; mais nous sommes religieux, en ce sens que nous nous attachons fermement à la croyance du présent et que nous sommes prêts à souffrir pour elle en vue de l’avenir. […] Qu’aurait dit Tacite, si on lui eût annoncé que tous ces personnages qu’il fait jouer si savamment seraient alors complètement effacés devant les chefs de ces chrétiens qu’il traite avec tant de mépris ; que le nom d’Auguste ne serait sauvé de l’oubli que parce qu’en tête des fastes de l’année chrétienne on lirait : Imperante Caesare Augusto, Christus natus est in Bethlehem Juda ; qu’on ne se souviendrait de Néron que parce que, sous son règne, souffrirent, dit-on, Pierre et Paul, maîtres futurs de Rome ; que le nom de Trajan se retrouverait encore dans quelques légendes, non pour avoir vaincu les Daces et poussé jusqu’au Tigre les limites de l’Empire, mais parce qu’un crédule évêque de Rome du VIe siècle eut un jour la fantaisie de prier pour lui ?
C’est une amie ; le héros mourant songe avec inquiétude à ce qu’elle va devenir ; il ne veut pas qu’elle souffre en passant aux mains des mécréants, il lui parle, il lui fait ses adieux. […] Elle l’a aimé ; elle l’aime sans doute encore ; car elle rêve de lui, elle a peur de le revoir, et elle souffre, elle pleure même de ne pouvoir plus être sienne.
Soutenir que l’ame sentira, pensera, jouira, souffrira après la mort du corps, c’est prétendre qu’une horloge brisée en mille pieces peut continuer à sonner ou à marquer les heures Syst. de la Nat. tom. […] Pendant l’exil des Parlemens, un autre Philosophe s’exprimoit ainsi sur celui de Paris : Les Assassins de la Barre ont été punis, & leurs Confreres, qui ont eu la lâcheté de souffrir ces monstres au milieu d’eux, ont justement partagé leur punition.
Au coucher des Pléiades, il s’est élancé ; le lion affamé a sauté par-dessus les murs, et il s’est abreuvé dans le sang royal. » Ce n’est point seulement un vainqueur, c’est aussi un maître qui rentre, prêt à remédier aux maux de l’État, s’il a souffert pendant son absence. […] La prophétesse a disparu, l’Esprit s’est retiré d’elle avec ses insignes : il ne reste plus qu’une femme brisée qui demande qu’on l’achève sans la faire souffrir. — « Que je sois tuée d’un seul coup !
— « Je suis semblable au mûrier dépouillé de ses rameaux ; je souffre, mais qui s’en inquiète, qui le sait ? […] Celui qui tarde périt sans avoir souffert et, vieillissant avec malheur, il est toujours privé de quelque chose ; il ne rencontre que des haines et des embûches.
Voici une de ces lettres de d’Alembert qui, voulant toute liberté et toute licence pour lui, n’en souffrait aucune chez les autres (23 janvier 1758) : Monsieur, Mes amis (les amis servent toujours à merveille en ces occasions-là) me forcent à rompre le silence que j’étais résolu de garder sur la dernière feuille de Fréron. […] Mes amis m’ont représenté, monsieur, que les accusations de l’auteur des Cacouacs étaient trop graves et trop atroces pour que je dusse souffrir d’y être impliqué nommément ; je prends donc la liberté de vous porter mes plaintes du commentaire que Fréron a fait à mon sujet, et de vous en demander justice.
Si un tel préjugé n’était tout-puissant en raison sans doute de son utilité actuelle, de nombreux faits d’expérience auraient le pouvoir de démontrer que la nature humaine est pourvue d’un pouvoir élastique de jouir et de souffrir qui s’exerce d’une façon uniforme parmi toutes les circonstances et parmi les conditions les plus différentes. La nouveauté seule d’une jouissance nous touche : se tourne-t-elle en habitude, nous cessons de la ressentir et nos sens affinés y découvrent des nuances où le pouvoir de souffrir trouve à se satisfaire.
L’âme peut encore souffrir la pauvreté, mais non l’humiliation. […] Sans doute cette liberté peut souffrir des accidents de la politique, et je ne doute pas que si une société, même démocratique, était privée longtemps de toute liberté publique, elle ne vît à la longue s’altérer et s’éteindre la liberté de la pensée spéculative.
Une blessure au front qu’il reçoit, quand un obus jette bas son gourbi, le fait longtemps et terriblement souffrir, puis il meurt. […] Des travailleurs ressentent un dédain de demi-savants pour le travail manuel, et de cela il souffrait si fort qu’il se jeta délibérément dans le syndicalisme et lui demanda la régénération de l’école française.
Victor Hugo a su pénétrer ces petites âmes d’enfants, qui sont si près des nôtres par l’amour, et en même temps si loin de nos manières de voir, de souffrir, de nous exprimer. […] Hugo savait qu’il aurait pour lecteurs et il voulait émouvoir, par un portrait ressemblant, des hommes et des femmes de l’immense famille laborieuse, qui aiment sans doute, qui en souffrent, qui en meurent quelquefois, qui ont leur idylle ou leur tragédie, mais toujours rapide et à peu près muette, enserrée dans une vie de rude labeur, de soif et de faim, de poursuite et d’attente du pain quotidien.
» Si le patriote réfugié lit par hasard ces pages, s’il s’étonne et s’il souffre de les retrouver, qu’il nous pardonne une divulgation indiscrète qui vient d’une sympathie cordiale et sincère !
Ce qui valut à Mendès la protestation suivante de Gustave Kahn, parue dans la Plume (15 mai 1900) : « Souffrez qu’à votre accusation de mauvaise santé poétique, j’oppose un petit catalogue.
On souffrait à l’idée de revêtir ses pensées d’expressions nobles et vigoureuses, ou de voir quelqu’un pénétré des sentiments d’une personne.