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590. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Le théâtre s’élargissait en tout sens ; il envahissait la place publique. […] Le mystère est précédé d’un sermon, adressé par l’auteur au public, une sorte de prône qui roule tout entier sur quatre mots de l’Évangile : « Verbum caro factum est, le Verbe s’est fait chair », et qui n’a guère moins de 1,000 vers. On pense bien que cet avertissement n’était pas débité en public. […] Qu’on ne se plaigne pas de la longueur ; ces choses, autrefois nôtres et depuis si oubliées, n’ont pas encore été dites et exposées de cette façon, je le crois, à la généralité du public lettré. […] Paris, faites au Collège de France sur les Mystères, ont été recueillies dans le Journal général de l’Instruction publique, 30 mai et 13 juin 1855 ; elles résument la doctrine de M. 

591. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite.) »

Il a dans la pensée un type de théâtre à lui, une scène idéale de magnificence et d’éclat, de poésie en vers, de style orné et rehaussé d’images, de passion et de fantaisie luxuriante, d’enchantement perpétuel et de féerie ; il y admet la convention, le masque, le chant, la cadence et la déclamation quand ce sont des vers, la décoration fréquente et renouvelée, un mélange brillant, grandiose, capricieux et animé, qui est le contraire de la réalité et de la prose : et le voilà obligé de juger des tragédies modernes qui ne ressemblent plus au Cid et qui se ressemblent toutes, des comédies applaudies du public, et qui ne lui semblent, à lui, que « des opéras-comiques en cinq actes, sans couplets et sans airs » ; ou bien de vrais opéras-comiques en vogue, « d’une musique agréable et légère, mais qui lui semble tourner trop au quadrille. » Il n’est pas de l’avis du public, et il est obligé dans ses jugements de compter avec le public. […] Cela constitue le second jugement, réfléchi et pondéré, en vue du public : c’est celui de l’équité et de l’intelligence. […] Le génie est inculte, violent, orageux ; il ne cherche qu’à se contenter lui-même et se soucie plus de l’avenir que du présent. — L’homme de talent est propre, bien rasé, charmant, accessible à tous ; il prend chaque jour la mesure du public et lui fait des habits à sa taille, tandis que le poète forge de gigantesques armures que les Titans seuls peuvent revêtir. — Sous Delacroix, vous avez Delaroche ; sous Rossini, Donizetti ; sous Victor Hugo, M. 

592. (1892) Boileau « Chapitre VII. L’influence de Boileau » pp. 182-206

Et voilà qui nous marque bien exactement la limite du succès de Boileau : si l’on fait abstraction des ressentiments personnels de quelques littérateurs, il n’y avait pas d’hostilité contre Despréaux, ni de résistance consciente à sa doctrine, dans les marques d’estime et d’honneur que recevaient les Quinault, les Fontenelle et les Perrault : mais — et c’est plus grave — le goût public suivait Boileau précisément jusqu’où il pouvait, et l’abandonnait précisément où il fallait, pour ne point être obligé de renoncer à la littérature polie et au bel esprit moderne. Le grand, l’immense succès de l’Art poétique n’empêche point qu’il n’y ait un désaccord latent entre l’auteur et son public. […] On saisit dans ce public, dans certains individus qui en sont les représentants les plus éminents, des indices qui font croire que son goût, sans s’opposer formellement à celui de Despréaux, n’y correspondait pas absolument : en un mot, il s’en distinguait. […] Mais il est vrai que ces œuvres lui sont un peu supérieures, et ce que nous y voyons aujourd’hui de défectueux et de mort, fut nécessaire alors pour établir la communication entre elles et le public : c’est par ces formes passagères et fragiles que le monde abordait, par exemple, Bajazet, ou Phèdre, et s’élevait de là aux essentielles et solides beautés du poème. […] Sans doute Fontenelle et Lamotte, et toute l’école des contempteurs de l’antiquité n’obtiennent pas l’adhésion formelle et complète du public ; mais les Grecs et les Romains n’y gagnèrent pas grand’chose.

593. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Pierre Laffitte délibère : « Il faut s’habituer à regarder la croyance en Dieu comme incompatible avec toute fonction publique. » On proclame dans les réunions publiques : « Aucune entité ne doit trouver grâce devant la froide critique — aucune — même pas la Patrie !  […] Même, après l’apparition du livre d’Allan Kardec, la supercherie des frères Davenport viendra ajouter à son discrédit et les gens ne seront tentés de voir dans les pratiques du spiritisme qu’une mise en coupe réglée de la crédulité publique. […] Les symbolistes avaient hérité de la génération d’écrivains du second Empire, le désintéressement de la chose publique. […] Il se gourmande, comme d’une dérogation à ses plus stricts devoirs, d’avoir cédé à la tentation de lire ses vers en public et cela, devant une assemblée de camarades, mais c’est l’atmosphère de la brasserie où il les avait lus, qui offensait sa pudeur.

594. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Éloges académiques de M. Pariset, publiés par M. Dubois (d’Amiens). (2 vol. — 1850.) » pp. 392-411

Pariset eut à prononcer, soit dans les séances publiques, soit dans les cérémonies funèbres, les éloges des principaux médecins qui étaient membres de cette Académie et qui moururent de 1820 à 1847. […] Me mettrez-vous dans la confidence avant le public ? […] Les cours publics qu’il fit sur ces sujets à l’Athénée, et plus tard à la Société des bonnes lettres, n’ont pas été recueillis ; ils ont laissé un vif souvenir chez ceux qui les ont entendus. […] Si l’on ne composait ces notices que pour les lire devant des confrères et des connaisseurs, gens du métier, on pourrait s’en tenir aux traits simples et rester dans un parfait accord avec le sujet ; mais les séances publiques amènent le désir et le besoin des applaudissements, et les applaudissements s’obtiennent rarement par des traits fins et justes, par des nuances bien saisies, ou même par des vues simplement élevées. L’écueil de tout temps, depuis qu’il y a eu lecture publique d’éloges, a donc été, pour celui qui les prononce, de chercher son succès dans des ornements étrangers et dans des digressions à l’ordre du jour.

595. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — I. » pp. 201-219

Beaumarchais, qui serait bien malheureux parfois et bien ennuyé s’il n’avait pas sur les bras toutes ces affaires, profite de cette occasion nouvelle2 pour donner au public une page de son Journal de voyage d’alors, qui ne devait, dit-il, jamais être publié. […] Jusque-là, et si nous le prenons à son retour d’Espagne (1765), il n’avait rien écrit pour le public ; il va débuter, et ses premiers débuts ne sont pas heureux. […] C’est, dis-je, de cette extrémité d’oppression et d’abattement que Beaumarchais se relève et qu’il se remet en campagne la plume à la mainc, s’adressant cette fois par quatre Mémoires consécutifs à l’opinion et au public, qu’il a l’art de saisir et de passionner. […] Le jugement, attendu par le public de toutes classes avec une curiosité inexprimable, fut bizarre et à double tranchant : par arrêt du 26 février 1774, Mme Goëzman fut condamnée à être mandée à la Chambre « pour, étant à genoux, y être blâmée » ; et Beaumarchais de même ; de plus, ses Mémoires furent condamnés à être brûlés par la main du bourreau, comme injurieux, scandaleux, diffamatoires. […] Le lieutenant de police, M. de Sartine, lui conseillait de ne point paraître en public : « Ce n’est pas tout d’être blâmé, lui disait-il, il faut encore être modeste. » Tels étaient ces temps d’engouement facile et de chaleur universelle.

596. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre I : La politique — Chapitre II : Philosophie politique de Tocqueville »

Les lois sont faites par ceux-là mêmes qui doivent en profiter ; les fonctionnaires n’ont qu’accidentellement des intérêts contraires à ceux du public ; au fond, leurs passions et leurs besoins sont identiques. Il y a donc, malgré les déviations, les temps perdus, les erreurs passagères, les dépenses inutiles, une résultante favorable au bien public. […] Tandis que les écoles politiques de son époque combattaient pour ou contre le suffrage universel, il pénétrait plus avant, et, montrant dans la commune le noyau de l’État, il voyait dans la liberté communale la garantie la plus solide et de la liberté politique et de l’ordre public. […] Il a donc conseillé à la démocratie de chercher son point d’appui dans la liberté, et de ne s’avancer dans l’égalité qu’en raison des progrès accomplis dans la conquête des libertés publiques. […] Parmi les écrivains qui depuis une vingtaine d’années ont conquis l’attention publique, la plupart et les plus hardis ont pris parti pour l’individu contre la toute-puissance de l’État et même contre la toute-puissance des masses, si chère à l’école humanitaire.

597. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Un tout petit nombre, — « d’adorateurs zélés à peine un petit nombre » — d’hommes et de femmes aimant à lire composent aujourd’hui un public restreint pour lequel, un peu aussi par habitude, on continue d’écrire. […] Ils disent alors qu’ils ont les premiers approuvé cet ouvrage et que le public est de leur avis. » Un certain manque de courage à donner son avis est donc une cause que le bon ouvrage n’ait pas tout de suite le succès qu’il mérite, il est très vrai ; mais je dis que la timidité du lecteur est cause aussi qu’un ouvrage n’est pas autant lu qu’il en serait digne. […] Ils attendent, non seulement pour approuver, mais pour lire, que le suffrage du public se soit prononcé. Non seulement pour un livre ; mais pour un auteur ; et beaucoup ne lisent un ou plusieurs ouvrages d’un homme que quand il est passé grand écrivain dans l’estime de tout le public, ou quand il a été nommé de l’Académie française, ce qui, du reste, n’est pas tout à fait exactement la même chose ; ou quand ils apprennent sa mort ; ces lecteurs nécrologiques sont assez nombreux. […] D’eux seuls il écoutait la valable sentence portée sur son ouvrage, ou la réconfortante promesse de victoires futures lorsqu’il se, voyait encore une fois condamné par le tribunal du public.

598. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Malherbe »

L’existence des chaires publiques amène dans un cercle plus étendu un effet semblable et plus sérieux. […] Rien n’égale la misère publique ; il ne sort de l’extrême détresse qu’une poésie en action, Jeanne d’Arc, la plus belle de nos Chansons de geste depuis Roland. […] Le poète qui se consacre à l’Ode est un chanteur qui consent à se passer d’auditoire actuel et d’amphithéâtre : l’Ode est une pièce qui n’a plus sa représentation publique. […] Pour ce qui est de l’intérêt, il n’en connaît point d’autre que celui du public. […] Ne pas tenir à l’argent, être au-dessus de l’argent, c’est le plus grand signe, chez un homme d’ailleurs capable, qu’il est fait et qu’il est né pour la chose publique.

599. (1875) Premiers lundis. Tome III « Armand Carrel. Son duel avec Laborie »

Aujourd’hui tout Paris ayant été informé, par les journaux, du malheureux événement qui avait fait hier, parmi ses amis, à la Chambre et dans quelques lieux publics, une sensation si vive, tout Paris s’en est ému. […] Le talent, si élevé qu’il soit, n’a point le don de remuer ainsi toute une grande capitale ; et dans tous les signes d’intérêt et d’approbation qui se manifestent, il faut reconnaître un devoir public courageusement rempli.

600. (1887) Discours et conférences « Discours prononcé au nom de l’Académie des inscriptions et belles-lettres aux funérailles de M. .Villemain »

Ministre de l’instruction publique à une époque où la culture élevée de l’esprit était tenue par la politique, non pour un amusement frivole d’aristocrates oisifs, mais pour un intérêt public, M. 

601. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — C — article » pp. 56-59

Coster s’est acquis un nouveau titre à la reconnoissance de ses Compatriotes & à l’estime du Public, par ses Lettres d’un Citoyen à un Magistrat, & par l’Eloge de Charles III, Duc de Lorraine. […] Au reste, si les Gens de Lettres sont plus estimables par l’affection qu’on leur porte dans la Société, que par la considération publique dont ils jouissent ; s’ils sont plus grands par leurs vertus que par leurs talens, par leurs actions que par leurs Ouvrages, il en est peu qui aient su se concilier à un plus haut degré que M.

602. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Balzac, et le père Goulu, général des feuillans. » pp. 184-196

De pareilles horreurs dans la bouche d’un prétre, d’un religieux, auroient dû révolter le public. […] « On a vu, dit-il, trois mois durant, certain nombre de ceux de sa faction sortir tous les matins de leur quartier, & prendre leur département de deux en deux, avec ordre de m’aller rendre de mauvais offices en toutes les contrées du petit monde & de semer par-tout leur doctrine médisante, avec intention de soulever contre moi le peuple, & le porter à faire de ma personne ce que leur supérieur a fait de mon livre… Ils ont été rechercher, pour grossir leur troupe, des hommes condamnés par la voix publique, fameux par leurs débauches & par le scandale de leur vie, connus de toute la France par les mauvais sentimens qu’ils ont de la foi. » Toutes les actions du P. […] Le public, éclairé sur la vraie noblesse de pensée & sur la justesse d’expression, ne vit dans Balzac que du brillant & de l’enflure.

603. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XI. Mme Marie-Alexandre Dumas. Les Dauphines littéraires »

Elle vient de prendre, vis-à-vis du public, son rang de Dauphine littéraire, en publiant un roman : Au lit de mort ! […] S’adorer en famille, devant le public, depuis Mme de Sévigné qui n’aimait sa fille que par lettres, cela a toujours réussi ; au contraire ! […] Or Mme Marie-Alexandre Dumas, qui n’a point de nom en religion, et qui n’oublie pas en public de prendre celui de son père, est Dumas et n’est que Dumas de pied en cap, depuis la pointe de ses beaux cheveux qu’elle n’a probablement pas coupés, jusqu’à la pointe de ses bottines, si elle en porte encore, au lieu de sandales !

604. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XVI. Mme de Saman »

Il y a des Rousseau-femmes à présent qui ne craignent pas de tirer sous les yeux du public les rideaux de leurs âmes et de leurs alcôves, sans honte pour elles ni pour leurs enfants, si elles sont mères, ni pour leurs maris, si elles sont mariées. […] Mais elle a beau me parler de l’héroïque sincérité de l’âme ardente et forte dont elle recommande le volume présent au public ; elle a beau m’exalter cette âme indépendante et fidèle, qui n’oublie aucun de ses amours en les variant et qui ne combat rien dans son âme par la très morale raison que le temps qu’on perd à combattre contre soi, on ne fait pas Corinne, si on fait Mme de Staël, je me connais trop en logomachie pour ne pas reconnaître les idées, les façons de dire, les affectations du bas-bleu moderne, cette espèce à part et déjà si commune et pour être infiniment touché du spectacle que me donnent, à la fin de cette préface sur laquelle on a compté, ces deux antiques Mormones du bas-bleuisme contemporain dont l’une couronne l’autre de roses à feuilles de chêne, avec un geste tout à la fois si solennel et si bouffon ! […] Il est impossible de le présenter mieux au public comme une chose à soi, de mieux raconter cette liaison tout entière avec un homme qui tombe du haut de sa fierté et de son génie dans le plus bête de tous les amours !

605. (1893) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Première série

On impute volontiers au démon de l’envie la répugnance du public à reconnaître des dons divers chez ses grands hommes : qu’on ne croie pas que j’aie à cœur de disculper ce bon public d’aucun mauvais sentiment ; mais les explications les plus simples sont toujours les meilleures et j’estime qu’ici l’éternelle paresse est la raison très suffisante de tous les jugements étroits. […] Le goût public se compose d’un élément passager, qui est la mode, et d’un élément stable, qui est la médiocrité. […] De même, dans les arts, ceux qui semblent diriger le goût public se bornent en général à le devancer dans la direction qu’il prend spontanément. […] Pas plus que l’art dramatique, ou même moins encore, l’éloquence, qui s’adresse aux hommes assemblés, ne peut se passer de la faveur actuelle du public contemporain et vivant. […] ses œuvres ne sont point lues et son nom est à peine connu du public.

606. (1923) Paul Valéry

Au contraire l’œuvre d’art est pour le public une affaire de possession. […] Les problèmes de réalisation qu’il pose sont tout abstraits, et il en écarte cette donnée qu’est l’esprit du public. […] Le poète joue en interprète d’un public, et il trouve un public, un public organique qu’il pénètre en bloc, qu’il anime et enthousiasme en masse. […] Qui dit romantisme dit poésie personnelle, manière de rendre publics ses sentiments et de les imposer à la sensibilité de son temps. […] C’est par exemple chez nous le cas de Boileau, dont la place considérable est maintenue par la critique soucieuse de construire un ensemble, plus que par le public désireux du seul plaisir poétique.

607. (1925) Feux tournants. Nouveaux portraits contemporains

Davantage encore lorsqu’une phrase est transformée comme celle-ci : « d’excellents clowns, les Fratellini, attiraient à ce cirque (Médrano) un public de qualité » devient : « d’excellents clowns y attiraient le public des théâtres ». C’est bien gentil pour le public des théâtres de le prendre ainsi pour un public de qualité, mais ce l’est moins pour « les badauds » qui évoluent autour de la princesse d’Austerlitz à la Barrière du Trône, de les appeler « des voyous ». […] N’empêche que, dans la chambre qu’il occupait à l’Instruction Publique, M.  […] Maurois, sans se compromettre en sacrifiant au goût du public, a écrit un livre aérien et passionnant. […] Il en interdit l’enseignement ou la promotion dans les établissements publics.

608. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre premier. Ce que devient l’esprit mal dépensé » pp. 1-92

Quant au public, il ne comprit nullement le danger. […] » Monsieur est pris d’un mal subit. — Lisez « Monsieur se promène » ; il fait beau, le public ne viendra pas ce soir, ma foi ! […] Certes elle ne songea pas à prolonger, comme si elle eût été un talent inspiré, cette lutte abominable du comédien contre le public. […] Évidemment, le public était préoccupé de la comédie, et il écoutait sans trop de plaisir les colères éloquentes d’Hermione ! […] Ajoutez que la plupart du temps, si la pièce est jouée par un comédien ou par une comédienne célèbre, il arrive que le public paresseux n’est attentif qu’aux moments où paraît cette illustre ; celle-là sortie, aussitôt le public n’écoute plus et se repose.

609. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Riposte à Taxile Delord » pp. 401-403

Jeune homme, qui vous destinez aux lettres et qui en attendez douceur et honneur, écoutez de la bouche de quelqu’un qui les connaît bien et qui les a pratiquées et aimées depuis près de cinquante ans, — écoutez et retenez en votre cœur ces conseils et cette moralité : Soyez appliqué dès votre tendre enfance aux livres et aux études ; passez votre tendre jeunesse dans l’etude encore et dans la mélancolie de rêves à demi-étouffés ; adonnez-vous dans la solitude à exprimer naïvement et hardiment ce que vous ressentez, et ambitionnez, au prix de votre douleur, de doter, s’il se peut, la poésie de votre pays de quelque veine intime, encore inexplorée ; — recherchez les plus nobles amitiés, et portez-y la bienveillance et la sincérité d’une âme ouverte et désireuse avant tout d’admirer ; versez dans la critique, émule et sœur de votre poésie, vos effusions, votre sympathie et le plus pur de votre substance ; louez, servez de votre parole, déjà écoutée, les talents nouveaux, d’abord si combattus, et ne commencez à vous retirer d’eux que du jour où eux-mêmes se retirent de la droite voie et manquent à leurs promesses ; restez alors modéré et réservé envers eux ; mettez une distance convenable, respectueuse, des années entières de réflexion et d’intervalle entre vos jeunes espérances et vos derniers regrets ; — variez sans cesse vos études, cultivez en tous sens votre intelligence, ne la cantonnez ni dans un parti, ni dans une école, ni dans une seule idée ; ouvrez-lui des jours sur tous les horizons ; portez-vous avec une sorte d’inquiétude amicale et généreuse vers tout ce qui est moins connu, vers tout ce qui mérite de l’être, et consacrez-y une curiosité exacte et en même temps émue ; — ayez de la conscience et du sérieux en tout ; évitez la vanterie et jusqu’à l’ombre du charlatanisme ; — devant les grands amours-propres tyranniques et dévorants qui croient que tout leur est dû, gardez constamment la seconde ligne : maintenez votre indépendance et votre humble dignité ; prêtez-vous pour un temps, s’il le faut, mais ne vous aliénez pas ; — n’approchez des personnages le plus en renom et le plus en crédit de votre temps, de ceux qui ont en main le pouvoir, qu’avec une modestie décente et digne ; acceptez peu, ne demandez rien ; tenez-vous à votre place, content d’observer ; mais payez quelquefois par les bonnes grâces de l’esprit ce que la fortune injuste vous a refusé de rendre sous une autre forme plus commode et moins délicate ; — voyez la société et ce qu’on appelle le monde pour en faire profiter les lettres ; cultivez les lettres en vue du monde, et en tâchant de leur donner le tour et l’agrément sans lequel elles ne vivent pas ; cédez parfois, si le cœur vous en dit, si une douce violence vous y oblige, à une complaisance aimable et de bon goût, jamais à l’intérêt ni au grossier trafic des amours-propres ; restez judicieux et clairvoyant jusque dans vos faiblesses, et si vous ne dites pas tout le vrai, n’écrivez jamais le faux ; — que la fatigue n’aille à aucun moment vous saisir ; ne vous croyez jamais arrivé ; à l’âge où d’autres se reposent, redoublez de courage et d’ardeur ; recommencez comme un débutant, courez une seconde et une troisième carrière, renouvelez-vous ; donnez au public, jour par jour, le résultat clair et manifeste de vos lectures, de vos comparaisons amassées, de vos jugements plus mûris et plus vrais ; faites que la vérité elle-même profite de la perte de vos illusions ; ne craignez pas de vous prodiguer ainsi et de livrer la mesure de votre force aux confrères du même métier qui savent le poids continu d’une œuvre fréquente, en apparence si légère… Et tout cela pour qu’approchant du terme, du but final où l’estime publique est la seule couronne, les jours où l’on parlera de vous avec le moins de passion et de haine, et où l’on se croira très clément et indulgent, dans une feuille tirée à des milliers d’exemplaires et qui s’adresse à tout un peuple de lecteurs qui ne vous ont pas lu, qui ne vous liront jamais, qui ne vous connaissent que de nom, vous serviez à défrayer les gaietés et, pour dire le mot, les gamineries d’un loustic libéral appelé Taxile Delord.

610. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Table »

Hans de Wolzogen : Le Public Idéal. […] IV— 8 Mai Chronique (Richard Wagner et le public ; l’œuvre de Bayreuth ; l’Association Wagnérienne).

611. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — R. — article » pp. 100-104

Ce qui a paru de lui dans le Public, se réduit à des Odes au dessous du médiocre, à une Satire sur le Goût, dont les principes sont assez judicieux, & la versification heureuse par intervalles ; à un Poëme intitulé Mon Odyssée, qu'on croiroit avoir été fait pour des Lecteurs tudesques, tant le style en est dur & baroque, tant les rimes en sont bizarres : qu'on ajoute à cela la pauvreté du sujet, & l'on aura l'idée du plus pitoyable Ouvrage qui ait été fait depuis d'Assoucy jusqu'à nous, puisque le Héros de ce Poëme est M. […] C'est au Public honnête, impartial & éclairé, que nous laissons le soin de donner à ces Auteurs les épithetes qu'ils méritent.

612. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre XI. Des Livres sur la Politique & le Droit Public. » pp. 315-319

Des Livres sur la Politique & le Droit Public. LE Droit naturel étant le fondement du Droit Public, il faudroit indiquer les ouvrages qui traitent du premier, avant que de venir à ceux qui n’ont que le second pour objet.

613. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 38, que les remarques des critiques ne font point abandonner la lecture des poëmes, et qu’on ne la quitte que pour lire des poëmes meilleurs » pp. 554-557

Lorsqu’il paroît des poësies meilleures que celles qui peuvent être déja entre les mains du public, il n’est pas necessaire que les critiques le viennent avertir de quitter le bon pour prendre le meilleur. […] L’interêt que tout le monde prendroit à ce sujet par differens motifs, seroit un garent assuré de l’attention du public sur l’ouvrage.

614. (1892) Un Hollandais à Paris en 1891 pp. -305

Dans les salles, le vrai public du dimanche. […] Un petit homme à mine chétive s’avance devant le public. […] Elle écoute en silence les reproches que lui adresse l’accusateur public, en attendant — oh ! […] Un chœur d’indignation du public appuyait le chansonnier chéri, qui n’aime pas les farces, quand il ne les fait pas lui-même. […] Avec son orgueil d’artiste et la conscience du pouvoir qu’il exerce sur son public ?

615. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

Il lut au roi Robert les premiers chants de l’Afrique, et soutint pendant trois jours un examen public sur la plupart des connaissances humaines. […] Les lois ne peuvent l’atteindre, mais le mépris public et la colère de l’offensé font de lui bonne et prompte justice. […] Accuser l’incapacité des acteurs et du public est une défense plus que maladroite. […] Ce ressort, diversement employé par trois écrivains, est tombé depuis longtemps dans le domaine public. […] À quoi servent en effet ces locutions, que le public applaudit comme naïves ?

616. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — P. — article » pp. 467-471

On peut en imposer au Public ; mais l’illusion n’a qu’un temps. […] On s’apperçoit déjà, par exemple, que le Public de la Capitale, plus à portée de profiter des lumieres de quelques bons esprits incapables de céder au torrent, est beaucoup revenu & revient tous les jours sur certaines réputations que le manége avoit établies.

617. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — V. — article » pp. 516-521

La multiplicité des Loix, leurs Commentateurs, souvent divisés d'opinions & d'intérêts, des prétentions opposées, multiplient à l'infini les difficultés dans l'étude du Droit public & de la constitution de cette partie de l'Europe : dans votre Ouvrage, tout rentre à sa place ; l'ordre qui en facilite les recherches, soulage la mémoire en fixant des époques, & prévient le dégoût presque inséparable de ces sortes d'études. […] Nous pouvons assurer, d'après la connoissance que nous avons de son caractere, que son travail n'a eu d'autre but que l'utilité publique.

618. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Archiloque, et Lycambe. » pp. 7-11

Les emportemens d’Archiloque amusèrent quelques esprits aussi méchans que le sien ; mais le public fut révolté. […] Un disciple de Pythagore s’étrangla, pour en avoir été repris trop vivement en public.

619. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Toute tentative d’élever la voix sur les affaires publiques était sévèrement interdite. […] Je ne parle point des orateurs réduits au silence par la suppression de la tribune et des délibérations publiques ; des journalistes privés de débouchés par la suppression des journaux : des historiens, qui doivent suivre le plan qu’on leur trace, s’enthousiasmer et s’indigner à point nommé, sous peine d’être (admirable expression de l’Empereur !) […] Elle peut sans doute avoir un aspect florissant, tenir dans les préoccupations du public une place plus grande qu’aux époques où l’attention est distraite par les intérêts vitaux de la vie nationale. […] Tant qu’une nation, tiraillée en tout sens, par des partis vigoureux, cherche en vain un équilibre durable, la littérature, loin de pouvoir accaparer l’attention et la faveur publiques, subit l’action de sa remuante et brutale voisine. […] Il faut saisir l’occasion au vol, profiter de la minute d’attention que le public veut bien accorder, lui jeter sa pensée toute brûlante et telle qu’elle a jailli du premier jet.

620. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Ainsi toujours monta vers Dieu la prière publique. […] La solennité de la prière publique était plus expressive encore, entre le prêtre, le diacre, le chœur, le peuple, les catéchumènes. […] Quand le culte même était si poétique, quand la prière publique était un hymne et l’auditoire une assemblée de néophytes enthousiastes, aisément devait renaître et se détacher de la foule une poésie plus haute et vraiment inspirée. […] Mais un autre hymne au même Dieu a dû, par la rapidité du mètre et la simplicité des images, se mêler dans le culte public aux chants populaires de l’Église. […] Elle ne le distrait pas des devoirs sérieux de la vie : elle l’excite à les remplir ; elle aide à son enthousiasme de prêtre et de défenseur public.

621. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Le public s’est fatigué des déclamations des pseudo-patriotes : la question Wagner a été enfin replacée sur le terrain purement artistique. Là encore le mouvement a été très marqué : voilà vingt-cinq ans que l’on répète sur la musique wagnérienne les accusations de folie ou d’impuissance ; le public veut enfin connaître. […] Cette préoccupation des choses wagnériennes est enfin devenue générale : la masse du public s’intéresse aujourd’hui à tout ce qui touche les œuvres de Wagner : cela est évident par les journaux. […] Mais ils donnent le sens des poèmes wagnériens, le mouvement général, la portée ; ils suivent exactement l’original ; ils sont d’une lecture aisée, agréable : ils présentent au public quelque chose qu’il peut et qu’il doit entendre ; et, à ce point de vue, ils sont ce qu’ils doivent être. […] Il ne s’en était pas caché, bien au contraire, en convoquant ses amis du monde entier par lettre rendue publique à ces représentations modèles, comme il les qualifiait lui-même, et réservées aux seuls adeptes ; on verrait plus tard s’il y avait lieu d’admettre la masse du public à jouir « de ce qu’il y a de plus élevé et de plus profond dans l’art. » Cette Invitation à mes amis pour assister à la première représentation du Tristan, publiée en avril 1865 dans le Messager de Vienne, lettre extrêmement singulière et comme il pouvait seul en écrire une, débutait par ce cri de reconnaissance envers Louis II : «  Alors que tout m’abandonnait, un noble cœur n’en battit que plus fort et plus chaudement pour l’idéal de mon art.

622. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre III »

Aussi bien les auteurs ont eu beau s’ingénier à plaider, tour à tour, les deux causes, c’est, en fin de compte, le gentilhomme qui gagne la sienne devant le public. […] Le public ne partage qu’à demi ses scrupules ; il le trouve bien gourmé et bien solennel, dans ce rôle de juge d’instruction qu’il s’adjuge si bénévolement. […] Mais, chose étrange, ce personnage, si flambant au premier acte, va pâlissant et se décolorant de scène en scène : il a trompé le public ; ce n’était que le masque d’un caractère. […] Enfin, s’il faut le dire, le public n’a pas ratifié cette exécution, que pouvait seul excuser l’adultère le plus nu et le plus flagrant ; or, le public n’a compris qu’à demi que cette femme allait se livrer, d’une scène à l’autre, à M.  […] La première soirée a été agitée, inquiète, incertaine ; le public s’est cabré plusieurs fois sous ce fouet satirique manié au hasard ; il a sifflé le coup de pistolet final.

623. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 février 1885. »

Néanmoins, par les concerts du Châtelet, le public apprend toujours à apprécier les œuvres du maître. […] Comment le public de chaque pays est-il progressivement impressionné par ses drames lyriques si majestueux, si intimes et si puissants ? […] Aucune partition nouvelle ne s’est emparée du public, en dehors des chefs-d’œuvre du maître de Bayreuth. […] Le public crierait à l’abus, se révolterait contre une si grossière invraisemblance. […] Mais le public a été consolé par la qualité grande de la quantité petite : le feuilleton du 5 janvier du Siècle, a été précieux.

624. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

IX Mais si nous considérons l’institution littéraire de l’Académie française à un autre point de vue, c’est-à-dire au point de vue de l’autorité morale, de l’indépendance et de la dignité de la pensée en France, l’institution de l’Académie change d’aspect et mérite la plus sérieuse considération dans l’esprit public. […] La pensée isolée, en devenant collective, est devenue puissance ; les hommes de lettres ont pris confiance en eux-mêmes ; ils ont imposé considération à la nation, respect aux gouvernements ; ils ont donné à la raison publique, muette ou intimidée dans l’individu, une audace modérée, mais efficace dans le corps ; ils sont devenus le concile laïque et permanent de la littérature nationale ; ils ont donné du caractère au génie français. L’homme de lettres est devenu homme public ; la force de tous a résidé par l’Académie dans chacun ; la littérature s’est constituée par eux en fonction nationale ; la France a emprunté par ses académies, et bientôt par ses hautes écoles peuplées d’académiciens, quelque chose de cette institution démocratique et si libérale de la Chine, où les mêmes degrés littéraires élèvent à la capacité et à l’autorité publique. […] L’assemblée constituante de 1848 n’avait pas reçu du temps et de la Providence les grandes nécessités d’initiation et de promulgation de principes de l’assemblée constituante de 1790, mais elle en avait le courage, le patriotisme, la haute raison, la vertu publique, souvent l’éloquence. […] jusqu’à glorifier les membres de la Convention d’avoir suivi comme un vil troupeau les proscripteurs du comité de salut public, et d’avoir, les yeux fermés, donné leurs signatures de confiance ou de complaisance sur ces listes de proscriptions qui décimaient tous les matins la vieillesse et la jeunesse, l’infirmité, l’imbécillité, l’enfance, le pêle-mêle de la contrerévolution, de la révolution.

625. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Les anciens distinguaient trois sortes de prologues : l’un, dans lequel le poète exposait le sujet de la pièce ; l’autre, où le poète implorait l’indulgence du public, ou pour son ouvrage, ou pour lui-même ; le troisième, où il répondait aux objections. […] Les modernes entendent mieux leurs intérêts et ceux du public. […] L’ouverture de la scène présente aux yeux une place publique, un palais, un autel ; à la porte du palais d’Œdipe, des enfants, des vieillards prosternés, demandant la fin de leurs maux. […] Les mauvais poètes tombaient dans ce défaut par ignorance, et les bons par leur complaisance pour quelques acteurs aimés du public, à qui l’on voulait donner des rôles, sans que la contexture de la pièce l’exigeât ou le permît. […] Quoiqu’il y ait très peu de cas où un homme puisse parler sans être entendu de son voisin, on a admis cette supposition au théâtre, vu la difficulté où serait un personnage de laisser voir ses véritables sentiments dans des situations où il importe au public de les connaître.

626. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « De la tradition en littérature et dans quel sens il la faut entendre. Leçon d’ouverture à l’École normale » pp. 356-382

Mais les Athéniens n’ont su remplir qu’une moitié de son vœu, et cette œuvre rêvée, — et mieux que rêvée, proposée par Périclès —, œuvre de constance, d’énergie durable et d’empire politique universel, ce sont les Romains qui se sont chargés de l’accomplir dans des proportions tout autrement vastes, et non plus sur mer, mais sur terre ; et en même temps que les Grecs déchus, privés de l’exercice des vertus publiques, devenaient (sauf de rares exceptions) plus légers, plus volubiles, plus sophistiques, plus flatteurs, plus fabuleux qu’ils n’avaient jamais été, les vainqueurs se saisirent du précieux élément divin, d’une part de ce feu de Prométhée, et en animèrent leur vigueur pratique et leur sens solide, dans un tempérament qui unit la vivacité et la consistance. […] Quand on vit dans une perpétuelle instabilité publique, et qu’on voit la société changer plusieurs fois à vue, on est tenté de ne pas croire à l’immortalité littéraire et de se tout accorder en conséquence. […] On ne s’est pas borné aux figures historiques, à proprement parler, on a voulu descendre dans le for intérieur, dans le foyer privé des hommes les plus éloquents par la plume ou la parole, et en examinant leurs papiers, leurs lettres autographes, les éditions premières de leurs œuvres, les témoignages de leurs alentours, les journaux des secrétaires qui les avaient le mieux connus, on s’est fait d’eux des idées un peu différentes, et certainement plus précises que celles que donnait la seule lecture de leurs œuvres publiques. […] Il y a eu déplacement dans le niveau de l’approbation publique, en même temps que le point d’honneur de l’écrivain s’est lui-même déplacé, et que son ambition a sensiblement descendu. […] quand je vois ces titres qu’on y affiche pas trop complaisamment, ces promesses et ces engagements publics de découvertes, tel ou tel personnage d’après des documents inédits, je me défie un peu du goût et de la parfaite justesse des conclusionsad ; je ne conseillerai pas de mettre, mais j’aimerai tout autant qu’on mît en tête une bonne fois : tel ou tel personnage d’après des idées et des vues judicieuses fussent-elles même anciennes.

627. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

Les hontes et les turpitudes de la Régence et du ministère qui suivit, cette dégradation, cette dilapidation effrénée de l’autorité publique, ces scandales d’immoralité et cette gangrène au cœur du Gouvernement trouvent en Marais un témoin à charge de plus. […] Mais de quoi s’avise-t-on de les donner au public, et pourquoi M. l’éditeur va-t-il chercher un Eunuque oublié, où il n’y a ni rime ni raison, ni sens ? […] Malet lui avait conseillé avec une bonne grâce assez piquante de ne plus garder ses ouvrages en portefeuille, de peur que le public ne s’obstinât à lui en attribuer d’anonymes, où il trouverait de l’imagination, de la vivacité et des traits hardis. […] Les plus grands hommes ont été exposés à ces sortes d’injustices ; rendez donc au plus tôt vos ouvrages publics, et marchez à la gloire que vous méritez. » Voilà un noble langage. […] Il s’éteignit en 1737, homme d’un autre siècle, estimé dans son Ordre, inconnu du public.

628. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

Celui des jeunes garçons offrait l’image d’un club et d’un camp : on portait le costume militaire ; à chaque événement public, on nommait des députations, on prononçait des discours, on votait des adresses ; on écrivait au citoyen Robespierre ou au citoyen Tallien. […] Ces exercices, en éveillant son goût de style, en étendant ses notions d’histoire et de géographie, avaient en outre l’avantage d’appliquer de bonne heure ses facultés à la chose publique, de fiancer, en quelque sorte, son jeune cœur à la patrie. […] Ce n’est jamais dans la période impétueuse, au début ni au milieu des commotions publiques, que chante le poëte dont l’époque saluera la voix ; c’est plutôt au déclin, aux environs des dernières crises, quand la force sociale s’arrête de lassitude, fait trêve à son tumulte et s’entend gémir. […] Pour tout dire, Béranger ne s’est dérobé au dedans à aucune des charges de sa publique renommée. […] On l’eût reçue de grand cœur, je crois, dans la compagnie des Quarante ; mais on se fût armé pour cette grave exception, devant le public, du précédent de M.

629. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Son Dernier Chouan, en 1829, l’avait fait remarquer pour la première fois, mais sans le tirer encore de la foule ; sa Physiologie du Mariage lui avait acquis la réputation d’un homme d’esprit, observateur sans scrupules, un peu graveleusement expert sur une matière plus scabreuse que celle dont avait traité Brillat-Savarin ; mais c’est à partir de la Peau de Chagrin seulement que M. de Balzac est entré à pleine verve dans le public, et qu’il l’a, sinon conquis tout entier, du moins remué, sillonné en tout sens, étonné, émerveillé, choqué ou chatouillé en mille manières. […] M. de Balzac a surtout dès l’abord mis dans ses intérêts une moitié du public très-essentielle à gagner, et il se l’est rendue complice en flattant avec art des fibres secrètement connues. « La femme est à M. de Balzac, » a dit quelque part M. […] En province surtout où les existences de quelques femmes sont plus souffrantes, plus étouffées et étiolées que dans le monde parisien, où le désaccord au sein du mariage est plus comprimant et moins aisé à éluder, M. de Balzac a trouvé de vifs et tendres enthousiasmes ; le nombre y est grand des femmes de vingt-huit à trente-cinq ans, à qui il a dit leur secret, qui font profession d’aimer Balzac, qui dissertent de son génie et s’essayent, plume en main, à broder et à varier à leur tour le thème inépuisable de ces charmantes nouvelles, la Femme de trente ans, la Femme malheureuse, la Femme abandonnée, c’est là un public à lui, délicieux public malgré ses légers ridicules, et que tout le monde lui envierait assurément. […] J’ai été frappé dans la préface du Vicaire des Ardennes de ce que l’auteur annonce délibérément au public qu’ils ont longtemps à se voir et à se connaître l’un l’autre, ayant, dit-il, trente ouvrages consécutifs à faire paraître. […] Aussi mon sévère ami, que ce sujet met volontiers en humeur, disait : « Henri IV a conquis son royaume ville à ville : M. de Balzac a conquis son public maladif infirmités par infirmités.

630. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre II. Le théâtre du quinzième siècle (1450-1550) »

Entre tous les plaisirs de l’esprit, celui du théâtre est le plus sensible et le plus intense pour un tel public, grossier et homogène, composé par conséquent d’individus en qui vibre plutôt l’âme commune des foules que les impressions uniques d’une âme personnelle. […] L’autre est le mystère de la Destruction de Troye, œuvre d’un écolier lettré, qui, pour intéresser le public à un sujet peu nouveau, lui a donné la forme alors la plus goûtée. […] Mais surtout la place publique, la rue, la taverne, avec leur population pittoresque et leur vivante confusion, des chansons d’aveugles, des geigneries de mendiants, des quolibets de buveurs, des jurements de joueurs, des insolences de sergents, des boniments de marchands, voilà le spectacle dont il ne se lasse jamais. […] A eux sans doute aussi revient l’idée de transporter acteurs et public dans une salle fermée : et par là, resserrant en quelques toises carrées la scène immense des places publiques, obligés de figurer insuffisamment et de ramener à un moindre nombre les lieux multiples où s’éparpillait l’action dramatique, ils préparèrent, sans s’en douter, le triomphe des unités. […] Il semble que la farce a hérité du public des fabliaux.

631. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre II. La jeunesse de Voltaire, (1694-1755) »

Avant d’imprimer sa Henriade, il la porte de château en château, il en fait des lectures, il fouette la curiosité publique. […] En 1730, Voltaire est l’auteur de la Henriade, de Zaïre, des Lettres anglaises, un homme admiré du public, redouté et parfois persécuté par le gouvernement. […] Vers le même temps, Voltaire donnait Nanine (1749) : le public y applaudissait, dans la mésalliance généreuse d’un seigneur, une satire des privilèges sociaux, une apologie de l’égalité naturelle et du mérite personnel ; mais il n’y a vraiment rien là de bien méchant, et ce n’est pas la peine d’être Voltaire pour faire Nanine. […] Comme Newton enterré à Westminster, Molière, Racine, protégés de Louis XIV, feraient voir au public de quelle façon devaient être traités les penseurs, les poètes qui sont l’honneur d’une nation : ce passé jugerait le présent. […] Il tient toute cette manipulation éloignée des yeux du public ; mais il la fait.

632. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre X. La littérature et la vie de famille » pp. 251-271

Tout cela se reflète dans les œuvres contemporaines : car les femmes exercent toujours une triple action, comme partie intégrante du public comme auteurs, comme conseillères ou inspiratrices d’un frère, d’un mari, d’un amoureux, d’un ami. […] Les femmes, durant les années troublées de la Fronde86, sont partout dans la vie publique. […] Musset avouait que ses pièces étaient faites surtout pour ce qu’il appelait son public de petits nez roses ; et j’ai entendu dire à Alexandre Dumas fils qu’en composant un drame ou une comédie il ne s’occupait pas plus des hommes que s’il ne devait pas y en avoir un seul dans la salle de spectacle. […] Rousseau, qui fut si dur pour ses propres enfants, qui les abandonna à la charité publique, a fait entrer l’enfant dans notre littérature. […] On ne supposait pas qu’elles pussent avoir le moindre intérêt pour le public.

633. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Ce jeune Shelley, mélancolique ennemi d’une société où il était né heureux et riche, et où il vivait libre, ce poëte sceptique qui, sur le registre des moines hospitaliers du mont Saint-Bernard inscrivait ironiquement son nom de visiteur, en y ajoutant l’épithète Ἄθεος, dans son rêve du passé et sa folle anticipation de l’avenir, faisait, sous le titre antique de Promet fiée délivré, une sorte de dithyrambe pour l’âge de raison de Thomas Payne, vaine tentative méditée par des esprits faux, dès l’abord noyée dans le sang par des furieux, stérilement reprise par des plagiaires insensés, et dont l’apparente menace ne sert qu’au pouvoir absolu, qu’elle arme d’un prétexte étayé sur la peur publique ! […] dieu des chemins publics, auteur de ma perte ! […] dieu des chemins publics, auteur de ma perte, où m’as-tu conduite ? […] Si, trop jeune, il n’avait pas combattu à Salamine, il avait paru dans le chœur d’adolescents qui chanta l’hymne de cette grande journée sur la place publique d’Athènes. […] » N’y a-t-il pas là comme l’image chantante de ce peuple d’Athènes, entre sa place publique et son théâtre, les fêtes de ses temples et les discours de ses orateurs ?

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