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37. (1890) L’avenir de la science « XV » pp. 296-320

Regnault : c’est l’objectivité la plus parfaite ; l’auteur est complètement absent ; l’œuvre ne porte aucun cachet national ni individuel ; c’est une œuvre intellectuelle, et non une œuvre humaine. […] La lunette, au contraire, avec laquelle les modernes voient le monde est du plus parfait achromatisme. […] Jamais il n’est arrivé à cette clarté parfaite de la conscience qui est le rationalisme. […] Position inférieure, en un sens, qui ne nous permettra jamais d’en avoir la parfaite intelligence. […] Car la critique ne marchera avec une parfaite sécurité que quand elle verra s’ouvrir devant elle le champ de la comparaison universelle.

38. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VIII »

Or, on se fonde sur cette phrase pour prétendre que Wagner a déclaré que Tristan est son œuvre la plus parfaite ! […] Dans tout Wagner on ne trouvera pas d’exemple plus parfait de ce système que la phrase d’Isolde dans le premier acte : « Mir erkoren, — mir verloren, — hehr und heil, — kühn und feig : — Tod geweibtes Haupt ! […] C’est un style moyen, à peine rimé et très discrètement allitéré, sans mots qui se détachent, un style de récit, Mais avec cela d’une précision et d’une concision parfaites. […] Une antithèse aussi parfaite devait en effet séduire le maître. […] « L’honneur de Tristan : — la parfaite fidélité !

39. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 avril 1886. »

… Certes, la joie serait grande si, tandis que la musique déroule les émotions d’où naissent les paroles, nous avions devant les yeux, en une correspondance parfaite, le tableau où les émotions, symbolisées dans une forme plastique, se renforceraient d’une vie nouvelle ;, la vie plastique. […] Lamoureux a très finement le sens de la chose artistique : il veut une forme parfaite, et, dans son art spécial d’interprète, étant directeur de musique, il veut une interprétation parfaite des musiques qu’il admet à ses concerts. […] Au temps de la plus grande misère des cœurs, c’est par le sang Aryen que fut rendu possible le plus haut élan de l’Art vers la représentation parfaite de l’homme idéal. […] Car voir et créer sont un dans l’artiste ; Wagner a dit : « Le vrai poète produit ce qu’il a vu, non ce qu’il a vécu : le voyant est par sympathie lié en créateur à ce qu’il a vu. » De cette sympathie naît l’harmonie de l’œuvre d’art, et la plus parfaite expression de la sympathie c’est l’art d’harmonie, la musique. […] Wagner représente la parfaite conciliation de ces deux artistes ; sa musique a aujourd’hui déjà une importance universelle et en même temps il est l’artiste le plus national.

40. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

La symétrie est donc parfaite entre S et S′, tant que S et S′ sont bien deux systèmes. […] De ce point de vue nouveau, ne comparant plus que du réel à du réel, ou bien alors du représenté à du représenté, on verra reparaître, là où l’accélération semblait avoir apporté la dissymétrie, une parfaite réciprocité. […] Entre l’observateur en S (s’il devenait réel) et l’observateur réel en S″ la réciprocité est d’ailleurs parfaite. […] Ainsi, encore une fois, il y a symétrie, réciprocité parfaite entre S et S′ référants, entre S′ et S référés. […] Elle est parfaite, nous le répétons, entre Pierre référant et Paul référant, comme entre Pierre référé et Paul référé.

41. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

La petite Histoire que Pellisson a donnée des commencements de la compagnie sous forme de lettre à un ami, est en effet un des morceaux les plus achevés et les plus agréables de notre langue, un des rares et parfaits exemples qui montrent mieux que toutes les définitions ce que c’est qu’écrire avec élégance et pureté en français. Il y a, il y avait du temps de Pellisson deux sortes d’élégance et d’urbanité, soit en causant, soit en écrivant : l’une plus vive, plus naturelle, plus aisée et plus familière, plus colorée aussi, puisée dans le commerce du grand monde et de la Cour, par ceux qui y avaient été nourris et rompus dès l’enfance ; c’était celle des Saint-Évremond, des Bussy, des Clérembault, des La Rochefoucauld, des Retz ; — l’autre plus étudiée, plus formée dans le cabinet et par la lecture, ou par l’assiduité dans certains cercles illustres et par le commerce des personnages littéraires les plus qualifiés ; cette dernière urbanité est celle des Conrart, des Vaugelas, c’est celle surtout de Pellisson qui y excelle, et qui en est le parfait modèle en son temps. […] Il n’est pas de ceux qui ayant tout vu, tout essayé dans l’action, comme Retz, et tout osé, se risquent à tout dire, sauf à se faire une langue à leur image et qu’ils sont seuls à parler de cet air-là, bien assurés qu’ils sont d’ailleurs d’être toujours de la bonne école et de la bonne race : il est un de ces auteurs de profession qui, ayant commencé par la plume et ne la perdant jamais de vue, se retrancheraient plutôt (comme Fontanes) des idées ou des accidents de récit, s’ils croyaient ne pouvoir les rassembler et les rendre en toute correction et en parfaite élégance. […] Après avoir dompté et décapité les grands, maté les protestants comme parti dans l’État, déconcerté et abattu les factions dans la famille royale, tenant tête par toute l’Europe à la maison d’Autriche, faisant échec à sa prédominance par plusieurs armées à la fois sur terre et sur mer, il eut l’esprit de comprendre qu’il y avait quelque chose à faire pour la langue française, pour la polir, l’orner, l’autoriser, la rendre la plus parfaite des langues modernes, lui transporter cet empire, cet ascendant universel qu’avait eu autrefois la langue latine et que, depuis, d’autres langues avaient paru usurper passagèrement plutôt qu’elles ne l’avaient possédé. […] Mais après, et jusque vers le milieu du xviiie  siècle, il lui fallut du temps et de l’effort pour se relever des choix faits sous l’influence stagnante de Fleury, et pour arriver à se mettre en accord et en parfaite alliance avec les puissances littéraires et philosophiques actives du dehors.

42. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « DU ROMAN INTIME ou MADEMOISELLE DE LIRON » pp. 22-41

Je sais que l’héroïne ne doit avoir qu’un goût ; qu’il doit être pour quelqu’un de parfait et ne jamais finir, mais le vrai est comme il peut, et n’a de mérite que d’être ce qu’il est. […] Mais c’est ici le lieu de dire que Mlle de Liron était belle, et comment elle l’était ; car sa beauté va s’altérer avec sa santé jusque-là si parfaite, et quand Ernest la reverra après le terme prescrit, malgré l’amour d’Ernest et ses soins de plus en plus tendres, elle lira involontairement dans ses yeux qu’elle n’est plus tout à fait la même. […] Par moments, plus tard surtout, je le voudrais autre ; je le voudrais, non plus dévoué, non plus soumis, non plus attentif au chevet de son amie mourante ; Ernest en tout cela est parfait : sa délicatesse touche ; il mérite qu’elle lui dise avec larmes, et en lui serrant la main après un discours élevé qu’elle achève : « O toi ! […] » Ernest est parfait, mais il n’est pas idéal ; mais, après cette amère et religieuse douleur d’une amie morte pour lui, morte entre ses bras, après cette sanctifiante agonie au sortir de laquelle l’amant serait allé autrefois se jeter dans un cloître et prier éternellement pour l’âme de l’amante, lui, il rentre par degrés dans le monde ; il trouve moyen, avec le temps, d’obéir à l’ordre de celle qui est revenue à l’aimer comme une mère ; il finit par se marier et par être raisonnablement heureux. […] C’est, au contraire, un trait parfait et bien naturel de la part d’une telle femme en notre temps que de lui entendre dire : « Sais-tu, Ernest, que pendant ton absence et dans l’espérance d’adoucir les regrets que j’éprouvais de ne plus te voir, j’ai fait bien des efforts pour devenir dévote à Dieu ?

43. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XIII : Affinités mutuelles des êtres organisés »

Certaines plantes de la famille des Malpighiacées portent des fleurs parfaites et des fleurs dégénérées. […] Le déguisement est si parfait, qu’à moins d’un examen soigneux on ne peut les distinguer. […] Cependant nul ne contestera probablement que le Papillon soit plus parfait que la chenille. […] Cependant le style reste bien développé et garni de poils, comme dans les autres Heurs parfaites, et sa fonction consiste à frotter les anthères qui l’environnent pour en faire jaillir le pollen. […] Cependant chez les êtres vivants il résulte de la grande loi d’hérédité, qui tend à perpétuer les caractères acquis, un parallélisme presque parfait des deux éléments hostiles de toute classification.

44. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre V. Premiers aphorismes de Jésus. — Ses idées d’un Dieu Père et d’une religion pure  Premiers disciples. »

Peu originale en elle-même, si l’on veut dire par là qu’on pourrait avec des maximes plus anciennes la recomposer presque tout entière, la morale évangélique n’en reste pas moins la plus haute création qui soit sortie de la conscience humaine, le plus beau code de la vie parfaite qu’aucun moraliste ait tracé. […] Soyez parfaits, comme votre Père céleste est parfait 248. » Un culte pur, une religion sans prêtres et sans pratiques extérieures, reposant toute sur les sentiments du cœur, sur l’imitation de Dieu 249, sur le rapport immédiat de la conscience avec le Père céleste, étaient la suite de ces principes. […] Il n’y avait pas encore de chrétiens ; le vrai christianisme cependant était fondé, et jamais sans doute il ne fut plus parfait qu’à ce premier moment. […] Certes, si l’Évangile se bornait à quelques chapitres de Matthieu et de Luc, il serait plus parfait et ne prêterait pas maintenant à tant d’objections ; mais sans miracles eût-il converti le monde ?

45. (1694) Des ouvrages de l’esprit

Il n’est pas si aisé de se faire un nom par un ouvrage parfait, que d’en faire valoir un médiocre par le nom qu’on s’est déjà acquis. […] Il y a dans l’art un point de perfection, comme de bonté ou de maturité dans la nature, celui qui le sent et qui l’aime a le goût parfait ; celui qui ne le sent pas, et qui aime en deçà ou au-delà, a le goût défectueux. […] De même on ne saurait en écrivant rencontrer le parfait, et s’il se peut, surpasser les anciens que par leur imitation. […] Quelle prodigieuse distance entre un bel ouvrage, et un ouvrage parfait ou régulier ! […] Je ne sais pas comment l’Opéra, avec une musique si parfaite et une dépense toute royale, a pu réussir à m’ennuyer.

46. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — V — Vielé-Griffin, Francis (1864-1937) »

Le vers libre, tel que le pratiquent quelques-uns des poètes de ce temps, exige un rythme parfait et rigoureusement adéquat à l’émotion que le poète veut exprimer. […] Je parlerai d’un des deux autres tout à l’heure, et mes lecteurs savent bien le troisième, familiers du charme original des Palais nomades, plus parfait des Chansons d’amant. […] Vielé-Griffin y sut allier la plus simple et la plus sincère inspiration rustique à un art d’autant plus parfait qu’il se dissimule.

47. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Cet antagonisme engendre un défaut de convergence dans l’effort commun, et ce dommage, ainsi que chez l’individu, se traduit, tantôt par des effets superficiels et comiques, tantôt par des conséquences plus graves, déterminant un rendement moindre de l’activité générale, une dépréciation de l’énergie collective, une production moins parfaite, une impuissance et jusqu’à une complète désagrégation. […] Ils se sont vu placer devant les yeux des modèles parfaits, mettre en main des méthodes — merveilleux instruments de mentalité ; — ils se sont vu montrer des raccourcis, ouvrir des portes dérobées et soudain ils se trouvèrent de plain-pied avec un territoire où fleurissaient l’art, la science et le goût, où s’épanouissaient déjà la connaissance et la beauté. […] L’Italie, qui avait précédé la France dans la découverte et dans l’imitation de l’antique, lui présenta, à côté des modèles de l’Attique et de Rome, des modèles italiens, des œuvres déjà parfaites en quelques ordres, dans la peinture notamment et dans la sculpture.

48. (1899) L’esthétique considérée comme science sacrée (La Revue naturiste) pp. 1-15

Car nous ne sommes pas seulement destinés à reproduire des sites humides, à cadencer l’élocution des strophes mobiles, à tirer hors des blocs de marbre des groupes héroïques et parfaits : il nous reste à donner un équilibre interne à un monde qui n’en possède plus. […] Les harmonies du musicien, le pinceau du peintre, la lyre du poète et le ciseau du statuaire réalisent des types absolus dont l’imitation rend les races parfaites. […] La révélation d’un monde plus parfait s’effectue par l’esthétique. […] Certains ouvrages sont si parfaits que Dieu ne l’est pas davantage.

49. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — I » pp. 356-374

Je ne connais que votre éloignement, votre tiédeur et la plus parfaite indifférence qui fut jamais. […] C’était la victoire de Lissa ou de Leuthen, la plus parfaite et la mieux gagnée de toutes celles de Frédéric. […] Le prince Henri a du genre humain une bien meilleure opinion que Frédéric ; on n’a pas à beaucoup près toutes ses lettres, mais on en peut jusqu’à un certain point juger d’après les réponses qu’y fait son frère ; le prince Henri, qui n’est pas sans quelques-unes des idées françaises d’alors, et qui a de nos illusions à la Jean-Jacques, soutient volontiers que la vertu et le bonheur habitent dans les cabanes, et qu’il y a par le monde de vrais sages, de parfaits philosophes. […] voilà ce qui mène à une vertu parfaite, et ce qu’on trouve aussi peu dans les chaumières que dans les palais. […] Pendant que je la lisais, je me rappelais bien souvent cette autre correspondance récemment publiée, si étonnante, si curieuse, si pleine de lumière historique et de vérité, entre deux autres frères, couronnés tous deux, le roi Joseph et l’empereur Napoléon ; et, sans prétendre instituer de comparaison entre des situations et des caractères trop dissemblables, je me bornais à constater et à ressentir les différences : — différence jusque dans la précision et la netteté même, poussées ici, dans la correspondance impériale, jusqu’à la ligne la plus brève et la plus parfaite simplicité ; différence de ton, de sonoréité et d’éclat, comme si les choses se passaient dans un air plus sec et plus limpide ; un théâtre plus large, une sphère plus ample, des horizons mieux éclairés ; une politique plus à fond, plus à nu, plus austère, et sans le moindre mélange de passe-temps et de digression philosophique ; l’art de combattre, l’art de gouverner, se montrant tout en action et dans le mécanisme de leurs ressorts ; l’irréfragable leçon, la leçon de maître donnée là même où l’on échoue ; une nature humaine aussi, percée à jour de plus haut, plus profondément sondée et secouée ; les plaintes de celui qui se croit injustement accusé et sacrifié, pénétrantes d’accent, et d’une expression noble et persuasive ; les vues du génie, promptes, rapides, coupantes comme l’acier, ailées comme la foudre, et laissant après elles un sillon inextinguible54.

50. (1890) L’avenir de la science « XVI »

Le mot nous manque pour exprimer cet état intellectuel, où tous les éléments de la nature humaine se réuniraient dans une harmonie supérieure, et qui, réalisé dans un être humain, constituerait l’homme parfait. […] Mais l’analyse est la condition nécessaire de la synthèse véritable : cette diversité se résoudra de nouveau en unité ; la science parfaite n’est possible qu’à la condition de s’appuyer préalablement sur l’analyse et la vue distincte des parties. […] Toutes les phases de l’humanité sont donc bonnes, puisqu’elles tendent au parfait : elles peuvent seulement être incomplètes, parce que l’humanité accomplit son œuvre partiellement et esquisse ses formes l’une après l’autre, toutes en vue du grand tableau définitif et de l’époque ultérieure, où, après avoir traversé le syncrétisme et l’analyse, elle fermera par la synthèse le cercle des choses. […] Dans le syncrétisme, tous les éléments étaient entassés sans cette exacte distinction qui caractérise l’analyse, sans cette belle unité qui résulte de la parfaite synthèse. […] Michelet, n’est le génie qu’en ce qu’il est à la fois simple et analyste, à la fois enfant et mûr, homme et femme, barbare et civilisé 155. » La science, de même, ne sera parfaite que quand elle sera à la fois analytique et synthétique ; exclusivement analytique, elle est étroite, sèche, étriquée ; exclusivement synthétique, elle est chimérique et gratuite.

51. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Nisard me paraît avoir jugés avec une parfaite justesse : c’est Voltaire et Buffon ; on lira avec plaisir et instruction les chapitres qu’il leur a consacrés, mais il est difficile de ne pas faire d’assez nombreuses réserves quant aux deux autres. […] J’accorde donc qu’il y a de grandes époques littéraires, que le goût a ses révolutions et, ses décadences, que les époques politiques, scientifiques, industrielles, sont peu favorables à la beauté pure, que les langues se gâtent avec le temps, et qu’en général il n’y a qu’un temps où se rencontre une parfaite harmonie entre la forme et le fond, que ce sont ces époques que l’on appelle classiques, et que les autres s’approchent d’autant plus de la beauté qu’elles s’approchent de cet idéal. […] Mais nous croyons en même temps qu’il y a bien des places dans la maison du Seigneur ; qu’un certain classique n’est pas tout le classique ; que le parfait a toujours quelque imperfection qui permet de concevoir un autre genre de parfait ; que, par exemple, le classique du xviie  siècle n’est qu’une forme de classique qui n’est pas sans défaut ; qu’on pourrait soutenir très-fortement que le classique grec lui est supérieur, et peut-être aussi que le classique anglais ou allemand (si l’on peut employer une telle expression) lui est égal ; que, pour comparer en toute justice ces différents genres de chefs-d’œuvre, il faudrait lire Goethe et Shakespeare avec la même préparation que nous lisons Racine ou Corneille : il faudrait se faire Anglais ou Allemand, tandis qu’il nous est si facile d’être Français. […] Aujourd’hui, l’esprit français n’a plus cette candide innocence qui lui faisait croire qu’il était le modèle Unique et parfait de la civilisation, de la littérature et du goût.

52. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Samuel Bailey »

Bailey répond, comme on pouvait s’y attendre, que c’est notre ignorance de toutes les causes en jeu qui fait que les événements volontaires ne sont pour nous que probables : si nous les connaissions toutes, il y aurait une certitude parfaite. […] En accomplissant ces actions, nous n’en faisons pas moins ce qui nous plaît ; nous agissons avec une parfaite liberté. […] Les mêmes actions humaines peuvent être voulues avec une liberté parfaite par l’auteur, et prédites avec une certaine confiance par l’observateur.

53. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre III. Suite des Époux. — Adam et Ève. »

Adam, quoiqu’à peine né et sans expérience, est déjà le parfait modèle de l’homme : on sent qu’il n’est point sorti des entrailles infirmes d’une femme, mais des mains vivantes de Dieu. […] Cependant Milton n’a pas voulu peindre son Ève parfaite ; il l’a représentée irrésistible par les charmes, mais un peu indiscrète et amante de paroles, afin qu’on prévît le malheur où ce défaut va l’entraîner. […] Pour rendre le tableau parfait, Milton a eu l’art d’y placer l’esprit de ténèbres comme une grande ombre.

54. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes pensées bizarres sur le dessin » pp. 11-18

Plus l’imitation serait parfaite et analogue aux causes, plus nous en serions satisfaits. […] Une figure humaine est un système trop composé pour que les suites d’une inconséquence insensible dans son principe ne jettent pas la production de l’art la plus parfaite à mille lieues de l’œuvre de la nature. […] Ce n’est que dans l’intervalle de ces deux âges, depuis le commencement de la parfaite adolescence jusqu’au sortir de la virilité, que l’artiste s’assujettit à la pureté, à la précision rigoureuse du trait, et que le poco più ou poco meno, le trait en dedans ou en dehors fait défaut ou beauté.

55. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Il y aurait donc des images générales, et ces images seraient des signes, des signes tels qu’on n’en saurait trouver de plus parfaits. […] Or un signe ne saurait être appelé parfait s’il n’est pas à la portée de tous et capable d’obtenir un assentiment universel. […] Si enfin il est par essence rigoureusement hétérogène à ses concomitants, c’est-à-dire impartial, son indépendance est parfaite, et elle ne pourra cesser d’être parfaite. […] Actuellement, le mot intérieur ou extérieur est, sauf de rares exceptions, un signe parfait ; car, comparé aux pensées qu’il exprime, il n’est pas seulement un état, plus vif que ses concomitants, mais un état doué d’une certaine indépendance, et dont l’impartialité confirme et garantit l’indépendance. […] Si la partie supérieure de cette figure se détache, nous avons 4°, c’est-à-dire un signe arbitraire, impartial, sans rapport d’analogie avec l’idée ; la disposition interne de l’idée est alors parfaite, c’est-à-dire conforme à la généralité que l’esprit attribue à son concept.

56. (1866) Cours familier de littérature. XXI « CXXIIe entretien. L’Imitation de Jésus-Christ » pp. 97-176

Voici votre serviteur, je suis prêt à tout : car je désire de vivre, non pour moi, mais pour vous ; faites que ce soit d’une manière parfaite et digne de vous. — Mon âme, dit l’homme, tu ne pourras trouver une pleine consolation ni une joie parfaite qu’en Dieu, qui est le consolateur des pauvres et le protecteur des humbles […] Quand je le reprends, je ne vous ôte rien du vôtre, parce que c’est de moi que vient toute grâce excellente et tout don parfait. […] Plus donc la nature est assujettie et vaincue, plus la grâce se répand avec abondance ; et chaque jour, par ces nouvelles influences, l’homme intérieur se reforme pour devenir une plus parfaite image de Dieu. […] Alors aussi il comprend bien qu’une sécurité parfaite, une pleine paix, ne sont point de ce monde. […] L’amour de Jésus est généreux ; il fait entreprendre de grandes choses, et il excite toujours à ce qu’il y a de plus parfait.

57. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série «  M. Taine.  »

Pour moi, je ne sens point chez Mme de Rémusat l’âme étroite et mesquine qu’on lui prête ; je suis fort tenté de croire à la parfaite liberté de son jugement comme à la sincérité de son récit ; et je ne pense point faire preuve, en cela, de tant de naïveté. […] Vous pouvez concevoir (peut-être) la justice parfaite, non la parfaite félicité. […] De même, pour nous donner l’idée des délices parfaites que Faustus et Stella goûtent par les oreilles, le poète fait chanter le rossignol dans le crépuscule, nous décrit les sensations et les sentiments qu’éveille en lui la musique de Beethoven ou de Schumann, et se contente d’ajouter que Stella chante mieux que le rossignol, et que la musique du paradis est encore plus belle que celle des concerts Lamoureux. […] Faustus, après le parfait contentement de ses sens, a la joie plus haute de connaître la vérité. […] Sully-Prudhomme accorde la science parfaite à Faustus, et, dans le même temps, il lui interdit (forcément) la seule notion qui constituerait la science parfaite.

58. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Une Réception Académique en 1694, d’après Dangeau (tome V) » pp. 333-350

s’écriait-il aussitôt ; son air charmant et majestueux se répand sur toutes ses actions ; sa maison royale emprunte quelques rayons de sa gloire ; son âge est mûr et parfait ; le travail infatigable lui est devenu naturel… Son amour extrême pour nous sacrifie toutes ses veilles à notre repos, et s’il abrège et méprise le temps du sommeil, c’est parce qu’il le passe sans nous… Ne vous étonnez pas, messieurs, du zèle de ce discours : chaque mot est un trait de flamme… Cela paraissait ridicule, dit de ce ton, même alors, — surtout alors62. […] Cela, on le voit, n’est pas tout à fait juste, et il ne manque rien à ce discours pour être en parfait contraste avec le genre de l’évêque. […] Il remplit admirablement bien tous les devoirs de la dignité pastorale. » Un peu plus loin, et sans qu’on ait songé au contraste, l’abbé de Caumartin nous est rendu dans sa grâce parfaite et son amabilité : « L’abbé de Caumartin est également versé dans la scholastique et dans la positive. […] Sa jeunesse et sa bonne reine rendent sa vertu plus agréable et recommandable : la science de la religion en lui est accompagnée d’une parfaite connaissance des belles-lettres. » 62. […] Molé, qui s’est passée sous nos yeux, a offert un parfait pendant à la réception de M. de Noyon, mais avec moins de gaieté et plus d’amertume.

59. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Histoire de la littérature anglaise, par M. Taine, (suite et fin.) »

Je conçois qu’on ne mette pas toute la poésie dans le métier ; mais je ne conçois pas du tout que, quand il s’agit d’un art, on ne tienne nul compte de l’art lui-même, et qu’on déprécie à ce point les parfaits ouvriers qui y excellent. […] Le poète critique attribue même un peu trop à Homère quand, se souvenant à son sujet d’un mot d’Horace pour le réfuter, il dit que là où nous voyons une faute et une négligence, il n’y a peut-être qu’une ruse et un stratagème de l’art : « Ce n’est point Homère qui s’endort, comme on le croit, c’est nous qui rêvons. » Le beau rôle du vrai critique, Pope l’a défini et retracé en divers endroits pleins de noblesse et de feu, et que je rougis de n’offrir ici que dépolis et dévernis en quelque sorte, dépouillés de leur nette et juste élégance : « Un juge parfait lira chaque œuvre de talent avec le même esprit dans lequel l’auteur l’a composée : il embrassera le tout et ne cherchera pas à trouver de légères fautes là où la nature s’émeut, où le cœur est ravi et transporté : il ne perdra point, pour la sotte jouissance de dénigrer, le généreux plaisir d’être charmé par l’esprit. » Et ce beau portrait, l’idéal du genre, et que chaque critique de profession devrait avoir encadré dans son cabinet : « Mais où est-il Celui qui peut donner un conseil, toujours heureux d’instruire et jamais enorgueilli de son savoir ; que n’influencent ni la faveur ni la rancune ; qui ne se laisse point sottement prévenir, et ne va point tout droit en aveugle ; savant à la fois et bien élevé, et quoique bien, élevé, sincère ; modeste jusque dans sa hardiesse, et humainement sévère ; qui est capable de montrer librement à un ami ses fautes, et de louer avec plaisir le mérite d’un ennemi ; doué d’un goût exact et large à la fois, de la double connaissance des livres et des hommes ; d’un généreux commerce ; une âme exempte d’orgueil, et qui se plaît à louer, avec la raison de son côté ? » Pour être un bon et parfait critique, Pope le savait bien, il ne suffit pas de cultiver et d’étendre son intelligence, il faut encore purger à tout instant son esprit de toute passion mauvaise, de tout sentiment équivoque ; il faut tenir son âme en bon et loyal état. […] Il y a entre autres un passage célèbre et le plus parfait peut-être qui existe en son genre chez les modernes ; Addison l’a cité avec éloge dans le 253e numéro de son Spectateur : « Ce n’est pas assez de n’offenser par aucune rudesse : le son doit sembler n’être que l’écho du sens. […] Taine nous entretenait l’autre jour27, — occupés, dis-je, à rechercher uniquement et scrupuleusement la vérité dans de vieux livres, dans des textes ingrats ou par des expériences difficiles ; des hommes qui voués à la culture de leur entendement, se sevrant de toute autre passion, attentifs aux lois générales du monde et de l’univers, et puisque dans cet univers la nature est vivante aussi bien que l’histoire, attentifs nécessairement dès lors à écouter et à étudier dans les parties par où elle se manifeste à eux la pensée et l’âme du monde ; des hommes qui sont stoïciens par le cœur, qui cherchent à pratiquer le bien, à faire et à penser le mieux et le plus exactement qu’ils peuvent, même sans l’attrait futur d’une récompense individuelle, mais qui se trouvent satisfaits et contents de se sentir en règle avec eux-mêmes, en accord et en harmonie avec l’ordre général, comme l’a si bien exprimé le divin Marc-Aurèle en son temps et comme le sentait Spinosa aussi ; — ces hommes-là, je vous le demande (et en dehors de tout symbole particulier, de toute profession de foi philosophique), convient-il donc de les flétrir au préalable d’une appellation odieuse, de les écarter à ce titre, ou du moins de ne les tolérer que comme on tolère et l’on amnistie par grâce des errants et des coupables reconnus ; n’ont-ils pas enfin gagné chez nous leur place et leur coin au soleil ; n’ont-ils pas droit, ô généreux Éclectiques que je me plais à comparer avec eux, vous dont tout le monde sait le parfait désintéressement moral habituel et la perpétuelle grandeur d’âme sous l’œil de Dieu, d’être traités au moins sur le même pied que vous et honorés à l’égal des vôtres pour la pureté de leur doctrine, pour la droiture de leurs intentions et l’innocence de leur vie ?

60. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Si ce que je te disois tout à l’heure est vrai, le modèle le plus beau, le plus parfait d’un homme ou d’une femme, seroit un homme ou une femme supérieurement propre à toutes les fonctions de la vie, et qui seroit parvenu à l’âge du plus entier dévelopement, sans en avoir exercé aucune. Mais comme la nature ne nous montre nulle part ce modèle ni total ni partiel, comme elle produit tous ces ouvrages viciés ; comme les plus parfaits qui sortent de son attelier ont été assujettis à des conditions, des fonctions, des besoins qui les ont encore déformés, comme par la seule nécessité sauvage de se conserver et de se reproduire, ils se sont éloignés de plus en plus de la vérité, du modèle premier, de l’image intellectuelle, en sorte qu’il n’y a point, qu’il n’y eut jamais, et qu’il ne peut jamais y avoir ni un tout, ni par conséquent une seule partie d’un tout qui n’ait souffert ; scais-tu, mon ami, ce que tes plus anciens prédécesseurs ont fait. […] Serviles et presque stupides imitateurs de ceux qui les ont précédés, ils étudient la nature comme parfaite, et non comme perfectible ; ils la cherchent, non pour aprocher du modèle idéal ou de la ligne vraie, mais pour aprocher de plus près de la copie de ceux qui l’ont possédée. […] Je ne dis pas qu’une nature grossièrement viciée ne leur ait inspiré la première pensée de réforme et qu’ils n’aient longtemps pris pour parfaites des natures dont ils n’étoient pas en état de sentir le vice léger ; à moins qu’un génie rare et violent, ne se soit élancé tout à coup du troisième rang où il tâtonnait avec la foule, au second. […] Le célèbre Garrick disoit au chevalier de Chastelux, quelque sensible que nature ait pu vous former, si vous ne jouez que d’après vous-même, ou la nature subsistante la plus parfaite que vous connoissiez, vous ne serez que médiocre… médiocre !

61. (1884) Cours de philosophie fait au Lycée de Sens en 1883-1884

On ne saurait donner à cette question une réponse parfaite. […] L’imparfait au parfait. […] Quand nous parlons d’une chose plus ou moins parfaite, nous ne distinguons ces divers degrés que relativement à quelque chose d’absolument parfait. […] De la parfaite harmonie entre ces deux termes naîtra le beau. […] L’instinct est parfait.

62. (1861) La Fontaine et ses fables « Conclusion »

C’est là le terrain national, très-bon pour certaines plantes, mais très-mauvais pour d’autres, incapable de mener à bien les graines du pays voisin, mais capable de donner aux siennes une sève exquise et une floraison parfaite, lorsque le cours des siècles amène la température dont elles ont besoin. […] Plus un poëte est parfait, plus il est national.

63. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre premier. Beaux-arts. — Chapitre III. Partie historique de la Peinture chez les Modernes. »

Ainsi, selon l’antiquité, une passion volage produisit l’art des plus parfaites illusions. […] Or, il est aisé de prouver trois choses : 1º que la religion chrétienne, étant d’une nature spirituelle et mystique, fournit à la peinture un beau idéal, plus parfait et plus divin que celui qui naît d’un culte matériel ; 2º que, corrigeant la laideur des passions, ou les combattant avec force, elle donne des tons plus sublimes à la figure humaine, et fait mieux sentir l’âme dans les muscles, et les liens de la matière ; 3º enfin, qu’elle a fourni aux arts des sujets plus beaux, plus riches, plus dramatiques, plus touchants, que les sujets mythologiques.

64. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Avec une conséquence parfaite, H. […] Si elles étaient connues entièrement a priori, elles présenteraient une parfaite intelligibilité. […] La mécanique, ou science du mouvement, possède cette forme relativement parfaite. […] Il y a plus : elles relient le moins parfait au plus parfait. […] Et ce fond des choses, c’était, selon eux, la forme parfaite et la cause finale.

65. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CIIIe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (1re partie) » pp. 5-96

« Dans la cité parfaite, la question est bien autrement difficile. […] La république ou l’État parfait doit participer du pouvoir absolu par la vigueur de l’autorité, du pouvoir oligarchique par la sagesse des conseils. […] Il n’assigne même aucune cause spéciale de révolutions à la parfaite république, au premier gouvernement. […] On peut demander encore pourquoi la parfaite république de Socrate passe en se changeant au système lacédémonien. […] Nous dirons même, sans aucune flatterie, que de tous les ouvrages politiques c’est incontestablement le plus parfait, et qu’il rend tous les autres ou dangereux ou inutiles.

66. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VII : Instinct »

De même encore, en quelques cas, certains instincts ne peuvent être regardés comme absolument parfaits : mais comme des détails sur ce sujet et sur quelques autres analogues ne sont pas indispensables, je les supprimerai ici. […] À l’autre extrémité nous avons au contraire les cellules parfaites de l’Abeille domestique, construites sur deux rangs parallèles. […] Mais ce qu’il y a de plus important à remarquer, c’est qu’elles sont toujours construites à telle distance les unes des autres, que, si les sphères étaient parfaites, elles interféreraient les unes avec les autres. […] Le rayon de la Mélipone deviendrait ainsi peu à peu aussi parfait que celui de l’Abeille domestique. […] J’ai moi-même examiné des gradations semblables, et j’ai trouvé des séries presque parfaites.

67. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Nous ne lui demandons pas ce que nous devons penser d’un auteur ou d’un ouvrage ; qu’il nous mette seulement en main les pièces qui nous permettront de juger par nous-mêmes. » Le malheur est que cette parfaite indifférence est. impossible. […] Il y a, semble-t-il, une contradiction cachée dans toute tentative pour donner une formule parfaite et définitive de la beauté artistique. […] Cela revient à dire qu’une chose peut appartenir à un ordre inférieur, mais être plus parfaite que telle antre appartenant à un ordre supérieur. […] Supposons après cela qu’une œuvre appartenant à un ordre supérieur soit supérieure elle-même dans cet ordre et qu’elle ait de plus à un degré élevé ou du moins suffisant les qualités d’ordre inférieur qui lui sont nécessaires ; nous pouvons dire qu’elle aura une valeur plus haute que les œuvres les plus parfaites dont la beauté serait purement sensorielle, sentimentale ou intellectuelle. […] Elle n’est pas parfaite ; elle a besoin d’être précisée perfectionnée, et elle le sera sans nul doute par ceux qui viendront après nous.

68. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

La nature brisa encore cette création, comme elle avait fait des autres, et d’essai en essai, allant du plus imparfait au plus parfait, elle arriva à cette dernière création qui mit pour la première fois l’homme sur la terre… Pourquoi le jour ne viendrait-il pas aussi où notre race sera effacée et où nos ossements déterrés ne sembleront aux espèces vivantes que des ébauches grossières d’une nature qui s’efface ? […] « Il y a aux yeux de la raison une équation parfaite, absolue, nécessaire, entre l’idée de fin et l’idée de bien, équation qu’elle ne peut pas ne pas concevoir dès que le principe de finalité lui est apparu86. » Puisque la fin est le bien, la fin absolue de la création est le bien absolu ; or, ce bien nous apparaît comme sacré ou obligatoire. […] Mais d’autre part, en vertu de l’axiome que la fin absolue d’un être est appropriée à sa nature, et en vertu de cette observation que notre fin présente n’est pas appropriée à notre nature, il est nécessaire qu’à notre vie soient ajoutées une ou plusieurs vies, telles que nos penchants primitifs puissent y recevoir un contentement parfait. […] Cela est géométrique, et voilà un morceau de morale presque parfait. […] Leurs amis considéraient avec curiosité l’opposition parfaite de leurs natures, et un soir, dans la petite maison, on s’amusa fort en écoutant Pope, cervelle bizarre, qui, par un jeu d’imagination, transformait M. 

69. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre X : De la succession géologique des êtres organisés »

D’après la théorie de sélection naturelle, l’extinction des formes anciennes et la production des formes nouvelles et plus parfaites sont en connexion intime. […] Nous pouvons donc nous attendre à trouver, comme on l’observe en effet, un parallélisme de succession moins parfait chez les espèces terrestres que chez les espèces marines. […] Nous avons vu aussi que la spécialisation des parties ou des organes est avantageuse à chaque être ; de sorte que la sélection naturelle doit tendre constamment à spécialiser de plus en plus l’organisation de chaque individu, et à la rendre sous ce rapport plus parfaite et plus élevée. […] De sorte qu’en vertu de ce jugement de la victoire dans la lutte vitale universelle, aussi bien qu’au point de vue de la spécialisation plus ou moins parfaite des organes, les formes modernes, d’après la théorie de sélection naturelle, doivent être plus élevées que les formes anciennes. […] Mais nous voyons par là quelle est la difficulté insurmontable qu’il y a et qu’il y aura peut-être toujours à comparer avec une parfaite exactitude, à travers des rapports aussi complexes, le degré de supériorité relative des organismes imparfaitement connus qui ont composé les faunes des périodes successives de l’histoire de la terre.

70. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bataille, Henry (1872-1922) »

Le troisième acte devient admirable, lorsque, connaissant son mal et son sort, le lépreux attend dans la maison de son père le cortège funèbre qui va le conduire à la maison des morts, et l’impression finale est qu’on vient de jouir d’une œuvre entièrement originale et d’une parfaite harmonie. […] Des parties en sont parfaites, entre autres le deuxième acte tout à fait exquis, même le troisième s’il était, — affaire de pure impression personnelle d’ailleurs ! 

71. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 28, de la vrai-semblance en poësie » pp. 237-242

Pour mieux cacher l’accident, il fait soutenir à son propre fils le personnage du roi Tiberinus, à la faveur d’une ressemblance parfaite qui se trouvoit entre le roi et Agrippa. […] On n’a presque point de plaisir à revoir une piece qui suppose que la ressemblance du roi Tiberinus et d’Agrippa fut absolument si parfaite, même du côté de l’esprit, que l’amante d’Agrippa après avoir eu de longues conversations avec lui, continuë à le prendre pour Tiberinus.

72. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Deuxième leçon »

On voit, en effet, que, quelque parfaite qu’on pût la supposer, cette classification ne saurait jamais être rigoureusement conforme à l’enchaînement historique des sciences. […] On pourrait aisément établir une symétrie parfaite entre la division de la physique organique et celle ci-dessus exposée pour la physique inorganique, en rappelant la distinction vulgaire de la physiologie proprement dite en végétale et animale. […] Sous ce nouveau point de vue, une exécution convenable du plan général d’études que nous avons déterminé doit avoir pour résultat nécessaire de nous procurer une connaissance parfaite de la méthode positive, qui ne pourrait être obtenue d’aucune autre manière. […] En se bornant à l’étude d’une science unique, il faudrait sans doute choisir la plus parfaite pour avoir un sentiment plus profond de la méthode positive. Or, la plus parfaite étant en même temps la plus simple, on n’aurait ainsi qu’une connaissance bien incomplète de la méthode, puisqu’on n’apprendrait pas quelles modifications essentielles elle doit subir pour s’adapter à des phénomènes plus compliqués.

73. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Sismondi. Fragments de son journal et correspondance. »

cet observateur candide est arrivé assez vite à l’analyse parfaite du personnage et à l’explication la plus vraie comme la plus bienveillante. […] Mme de Chabot, la comtesse de Boigne qu’il nomme à part et distingue, lui montrèrent qu’on pouvait être jeune et continuer l’esprit, les grâces, la parfaite amabilité du passé. […] Il avait, on le sait, besoin d’aimer ; ce nouvel attachement, où il rencontrait un accord intellectuel parfait, remplit bientôt son existence, et lui permit de supporter la perte de sa mère qui mourut peu après. […] Ma confiance dans la parfaite bonté de Dieu, comme en sa justice, s’affermit tous les jours. […] En changeant peu à peu d’horizon, Sismondi porte, dans ses vues dernières, sa parfaite bonne foi, son bon sens, cette cordialité qui élève et qui touche.

74. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Coppée, François (1842-1908) »

. ; et pour trancher le mot, il a, en 1873, quoique avec la simplicité et la tenue élégante d’un parfait gentleman, quelque chose de foncièrement romantique ! […] Coppée, un ouvrier singulièrement habile, un artisan consommé qui possède tous les secrets du métier, ce n’est pas trop, en voyant une si parfaite simplicité, que de crier au prodige. […] François Coppée garde presque toujours une mesure parfaite.

75. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Lettres d’une mère à son fils » pp. 157-170

Il y a un mot de Kant, magnifiquement niais et bien digne, du reste, d’un anthropomorphite comme lui : « Quand un être parfait — dit-il quelque part — en aura élevé un autre, on saura alors quelles sont les limites du pouvoir de l’éducation. » On ne le saura donc jamais ; car d’êtres parfaits, il n’y en a point dans ce monde. Mais il y a des doctrines parfaites à s’assimiler, un idéal de perfection à poursuivre, et ce sont ces doctrines, c’est cet idéal que n’a point l’excellente et aimable madame d’Alonville.

76. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « V »

Je défie qui que ce soit de nier que, depuis lors, la tenue de la Revue Wagnérienne après une telle provocation n’ait pas été d’une modération parfaite, que les sentiments personnels que dès-lors j’éprouvais à l’égard de M.  […] Voici la liste des exécutants ; l’orchestre était excellent, mais les compliments les plus vifs sont dus spécialement aux chanteurs, tous parfaits musiciens et admirablement intelligents des œuvres qu’ils interprétaient. Correspondances LEIPZIG — Nous avons à signaler à Leipzig deux représentations presque parfaites des drames wagnériens : le 29 avril, on a donné le Rheingold. […] Perron, qui est bien le meilleur Wotan que nous avons vu jusqu’ici : mimique et chant tout est parfait. […] En résumé, sauf cette apparition déplorable de la coupure, cette représentation aurait été parfaite.

77. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Chansons de Béranger. (Édition nouvelle.) » pp. 286-308

Le temps n’est-il pas venu de dégager un peu toutes ces tendresses, toutes ces complaisances, de payer à l’homme, à l’honnête homme qui a, comme tous, plus ou moins, ses faibles et ses faiblesses, au poète qui, si parfait qu’on le suppose, a aussi ses défauts, de lui payer, dis-je, une large part, mais une part mesurée au même poids et dans la même balance dont nous nous servons pour d’autres ? […] Béranger a fait des chansons, et mieux que des chansons : a-t-il fait pour cela des odes parfaites ? […] Le Roi d’Yvetot par où il débuta en mai 1813, me semble parfait ; pas un mot qui ne vienne à point, qui ne rentre dans le rythme et dans le ton ; c’est poétique, c’est naturel et gai ; la rime si heureuse ne fait, en badinant, que tomber d’accord avec la raison. […] Les Bohémiens sont une de ces ballades ou fantaisies philosophiques, d’un rythme vif, svelte, allègre, enivrant ; c’est la meilleure peut-être, la plus belle et la plus parfaite de ses chansons que j’appelle désintéressées, et qui ne doivent rien aux circonstances. […] Béranger serait parfait s’il n’avait pas une petite prétention : laquelle ?

78. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre VII »

Les langues une fois formées peuvent se suffire à elles-mêmes ; quoique l’on n’ait pas d’exemple certain, parmi les parlers civilisés, d’une telle scission et d’un tel isolement, on supposera très logiquement que le dialecte de l’Ile-de-France, tout d’un coup privé du latin, se soit développé et ait atteint sa parfaite virilité à l’abri de l’influence extérieure. […] et de l’argent »67 ; je ne saurais calculer ce que vaut — valeur marchande — la parfaite connaissance de l’anglais, de l’allemand ou de l’espagnol ; ma vocation est de défendre, par des œuvres ou par des traités, la beauté et l’intégrité de la langue française, et de signaler les écueils vers lesquels des mains maladroites dirigent la nef glorieuse.

79. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 36, de la rime » pp. 340-346

C’est la conformité de son plus ou moins parfaite entre les derniers mots des deux vers qui fait son élégance. […] Les langues qu’ils parloient n’étoient pas susceptibles d’une poësie plus parfaite lors que ces peuples ont posé pour ainsi dire les premiers fondemens de leur poëtique.

80. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Il renoncera au monde des apparences actuelles, même revêtues de l’unité parfaite. […] Mallarmé, donnent cette impression parfaite de la nécessité artistique. […] Mallarmé restera toujours la parfaite incarnation du Poète idéal. […] comme nous sommes loin du parfait bourgeois de M.  […] Et je trouve l’expression la plus parfaite de cette philosophie anti-intellectualiste de M. 

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