« Quand le soleil a terminé sa course et que les ombres commencent à se répandre sur la terre, les Grecs vont se délasser de leur journée dans leur navire. […] Le guerrier, qui l’épiait caché dans l’ombre, lui traversa le flanc. […] Tes rivaux, triomphant des malheurs de ta vie, Plaçant entre elle et toi les ombres de l’envie, Disputèrent encore à ton dernier regard L’éclat de ce soleil qui se lève si tard. […] Ce dieu monte sur la cime d’un pin du mont Ida pour en descendre sous la forme de murmure et d’ombre sur les yeux de Jupiter. […] On y voit Achille égorgeant les prisonniers troyens en présence des principaux chefs de l’armée des Grecs : l’ombre de Patrocle assiste à cette immolation.
S’oublier une minute, nouveau Narcisse, dans la contemplation de soi, à l’ombre des fontaines de la Vie, prêter l’oreille au murmure continu de l’Être qui s’égoutte au bord du Temps, c’est permettre à la Nature de nous renvoyer notre image, jusque-là ignorée ; c’est souffrir que notre âme se révèle chantante, alors que le martèlement de nos pas, le long des chemins de l’existence tumultueuse, risquait à jamais d’étouffer ses divines harmoniques. […] Prisonnier de la fameuse Caverne, il ne perçoit que la projection de son ombre sur le mur de Vie et prend son propre fantôme — son symbole — pour le Réel. […] Puis des lacets s’offrent, des circuits s’emparent de la marche, allègent l’effort de la montée ; l’ombre des montagnes s’appesantit sur le touriste assoiffé d’idéal. […] Ce serait comme un visage derrière une vitre : si nous passons rapides il échappe, mais dès que l’attention fixe notre regard sur les ténèbres, la figure bientôt sort de l’ombre et nous parle. […] Semblables à des spectateurs arrêtés au bord d’un océan d’ombre, nous contemplons ravis l’essor prodigieux de fusées lumineuses qui crèvent dans le ciel noir de nos esprits et le transforment une seconde en un grand soleil d’or.
Seul, au milieu de cette vie montante, le grand christ, resté dans l’ombre, mettait la mort, l’agonie de sa chair barbouillée d’ocre, éclaboussée de laque. […] Il se leva sur son séant, regardant par terre, dans les coins d’ombre de la pièce. […] Depuis le jour du meurtre, il a fui comme l’ombre ! […] Les femmes vous suivront désormais comme cette ombre que Schlemihl a eu la sottise d’aliéner. […] On devait y viser quelque peu au bel esprit ; Mérimée ne s’en défend pas, ce qui ne l’empêche pas de nous montrer se profilant déjà dans l’ombre la statue du Commandeur.
Cependant il y a une ombre au tableau d’un artiste aussi choyé des Muses. […] Chacun donne, à sa guise, une chanson équivoque, quelques caricatures, des ombres chinoises même, tout est bienvenu. […] l’ombre ! » s’écria-t-il en tournant autour de la hampe. « Je cherche l’ombre, mais où est l’ombre, l’ombre du drapeau ? […] Encore des ombres chinoises !
Parfois les ombres des invités se détachaient minces et noires, en écran, devant les lampes, comme ces petites gravures qu’on intercale de place en place dans un abat-jour translucide dont les autres feuillets ne sont que clarté. […] À l’ombre des jeunes filles en fleurs, p. 16 (N. […] A l’ombre des jeunes filles en fleurs, p. 134. […] À l’ombre des jeunes filles en fleurs, I, 30. […] À l’ombre des jeunes filles en fleurs, I, 17.
Et riant, conversant de rien, de toute chose, Retenant la pensée au calme qui repose, On voyait le soleil vers le couchant rougir, Des saules non plantés les ombres s’élargir, Et sous les longs rayons de cette heure plus sûre S’éclairer les vergers en salles de verdure, Jusqu’à ce que, tournant par un dernier coteau, Nous eûmes retrouvé la route du château, Où d’abord, en entrant, la pelouse apparue Nous offrit du plus loin une enfant accourue13, Jeune fille demain en sa tendre saison, Orgueil et cher appui de l’antique maison, Fleur de tout un passé majestueux et grave, Rejeton précieux où plus d’un nom se grave, Qui refait l’espérance et les fraîches couleurs, Qui sait les souvenirs et non pas les douleurs, Et dont, chaque matin, l’heureuse et blonde tête, Après les jours chargés de gloire et de tempête, Porte légèrement tout ce poids des aïeux, Et court sur le gazon, le vent dans ses cheveux.
Bœrne atteint-il plus juste quand il dit de Bug-Jargal et de Han d’Islande : « C’est tout magnifique, plein d’une chaleur d’été ; mais l’on désire quelquefois l’ombre et la fraîcheur, et elles manquent.
La malechance posthume le guette, et encore, par-delà le Styx, s’aigrira son ombre.
Sortez, ombres, sortez de la nuit éternelle, Voyez le jour pour le troubler ; Que l’affreux désespoir, que la rage cruelle, Prennent soin de vous rassembler : Avancez, malheureux coupables, Soyez aujourd’hui déchaînés, Goûtez l’unique bien des cœurs infortunés, Ne soyez pas seuls misérables.
Il le considéra comme une ombre qui releveroit l’éclat de sa grande réputation.
Son ombre leur étoit chère ; ils desiroient qu’elle fût vengée.
La nuit s’approche, les ombres s’épaississent : on entend des troupeaux de bêtes sauvages passer dans les ténèbres ; la terre murmure sous vos pas ; quelques coups de foudre font mugir les déserts ; la forêt s’agite, les arbres tombent, un fleuve inconnu coule devant vous.
Un peu de refléxion leur auroit fait trouver l’éclaircissement de cette ombre de difficulté, s’ils avoient daigné le chercher.
Un mot d’explication J’avais espéré, après la ridicule campagne de presse que subirent — et dont profitèrent, peut-être — mes amis intellectuels les jeunes écrivains, j’avais espéré, dis-je, que de nouvelles « actualités » détourneraient la veine des chroniqueurs et laisseraient aux Laborieux un peu de silence et d’ombre pour parfaire de nouveaux et plus définitifs ouvrages ; J’avais compté sans l’éhontée soif de réclame qui pousse les stériles et les impuissants : Déjà le Traité du Verbe — pétard qui fit trop long feu — avait émotionné le public en 86 ; la fin de 87 voit éclore une brochure d’adéquate valeur, L’École décadente, mais aux visées documentaires les plus dangereusement fausses et qui ont surpris la bonne foi de beaucoup.
Sans être un Hercule, il file aux pieds d’une Omphale qui ne lui permettrait même pas de s’y asseoir, si elle était vivante ; mais nous n’en aurons pas moins probablement l’occasion de nous replier sur ses anciens travaux à propos de quelque édition de ses œuvres, et alors, il aura le jugement auquel il a droit comme Lamennais, Royer-Collard, Ballanche et tant d’autres qui — à quatre pas dans le passé, — semblent déjà s’enfoncer dans l’ombre d’un siècle.
Dégagé par la catastrophe de 1830 non de l’affection et des respects que je portais à la royauté des Bourbons légitimes exilés, mais dégagé par la fausse attitude des légitimistes dans la chambre de toute solidarité avec eux, excepté de la solidarité d’origine commune ; dégagé de la royauté d’Orléans, dont je ne conspirais pas la chute, mais dont je ne plaignais pas les dangers et les expiations ; plus dégagé encore des coalitions anarchiques que les aristocrates, les démocrates, les légitimistes, nouaient dans le parlement, rien ne m’empêchait d’écrire de la Révolution une histoire qui pût froisser, offenser, irriter même par son impartialité toutes ces opinions et profiter au besoin à la moralisation future d’une seconde république que j’entrevoyais dans l’ombre du lointain, comme une dernière ressource du gouvernement en France, après la chute, certaine selon moi, de la royauté d’Orléans. […] C’est sur ce vrai modèle, sorti de l’ombre du rideau du lit conjugal, que j’ai modelé le buste de Danton. […] Ces sortes de figures sinistres doivent rester dans l’ombre des tableaux ; la lumière les jette trop en avant sur la scène.
Elle commence par nous montrer la place où cet événement va se passer, un site, un paysage, une ville, une maison, un palais, un temple, un champ de bataille, une assemblée publique, un peuple en ébullition ou en silence, mêlé ou attentif à un événement : puis elle nous montre un personnage qui arrive sur cette scène pour y figurer au premier plan, son visage, son attitude, sa démarche, sa physionomie calme ou convulsive, son costume même et jusqu’à l’ombre que son corps projette à côté ou derrière lui sur la place ou sur la foule au milieu de laquelle il apparaît. […] Ses cheveux blond-cendré étaient longs et soyeux ; son front haut et un peu bombé venait se joindre aux tempes par ces courbes qui donnent tant de délicatesse et tant de sensibilité à ce siège de la pensée ou de l’âme chez les femmes ; les yeux de ce bleu clair qui rappelle le ciel du Nord ou l’eau du Danube ; le nez aquilin, les narines bien ouvertes et légèrement renflées, où les émotions palpitaient, signe du courage ; une bouche grande, des dents éclatantes, des lèvres autrichiennes, c’est-à-dire saillantes et découpées ; le tour du visage ovale, la physionomie mobile, expressive, passionnée ; sur l’ensemble de ces traits, cet éclat qui ne se peut décrire, qui jaillit du regard, de l’ombre, des reflets du visage, qui l’enveloppe d’un rayonnement semblable à la vapeur chaude et colorée où nagent les objets frappés du soleil : dernière expression de la beauté qui lui donne l’idéal, qui la rend vivante et qui la change en attrait. […] « Dans l’ombre encore, et derrière les chefs de l’Assemblée nationale, un homme presque inconnu commençait à se mouvoir, agité d’une pensée inquiète qui semblait lui interdire le silence et le repos ; il tentait en toute occasion la parole, et s’attaquait indifféremment à tous les orateurs, même à Mirabeau.
Ses mains jointes sont tellement éloquentes par la pression des doigts contre les doigts et par les veines à travers lesquelles on voit circuler le sang brûlant de se répandre pour l’homme, son frère, que, lors même qu’on ne verrait ni le corps, ni les jambes, ni le buste, ni la tête divine, mais que ces mains seules sortiraient de l’ombre, le tableau aurait suffisamment parlé au cœur ; on aurait pleuré, on aurait compris que ces deux mains tendues par l’enthousiasme de l’agonie triomphante étaient assez fortes pour arracher l’aiguillon à la mort et le salut de l’humanité au ciel. — La passion de ces mains est égale à l’objet. […] Un beau champ de blé plein de moissonneurs et de gerbes, et, parmi ces gerbes, une seule debout faisant ombre à deux petits enfants, et leur grand’mère les faisant déjeuner avec du lait ! […] En arrivant j’ai reconnu l’église sous son grand ormeau où j’allais sauter à l’ombre, puis la grande cour et puis la petite avec son puits, la porte à vitres du salon, et, dans ce salon, les grandes belles dames que j’aimais tant à voir ; une à côté d’un capucin en méditation qui fait contraste, chose que je n’avais pas tant remarquée qu’à présent.
Seule dans le bois avec mon père, nous nous sommes assis à l’ombre, parlant de toi. […] Les autres ne sont que des ombres. […] Je me suis assise à l’ombre d’un cerisier, et là, pensant au passé, j’ai pleuré.
Je sais que je ne dis que des à peu près, des probabilités, des contresens, des ombres ; mais tu me pardonneras comme le père pardonne au murmure confus du nouveau-né qui cherche à prononcer son nom ! […] Il a agi, et il s’est caché dans l’éblouissement de sa toute-puissance, dans le mystère, cette ombre de Dieu ! […] L’absence de ce fléau, un mélange de variété et d’immensité, la fraîcheur relative de l’air, les formes diverses et bizarres de la végétation, la majesté de l’ombre et du silence, tous ces éléments combinés donnent de l’attrait à ces solitudes sauvages, que peuplent seuls les arbres et les lianes.
Les deux fiancés m’avaient adossée sur mon séant contre le parapet du pont, à l’ombre, et ils me regardaient doucement avec de belle eau dans les yeux ; on voyait qu’ils attendaient, pour questionner, que je leur parlasse moi-même la première ; mais je n’osais pas seulement lever un regard sur tout ce beau monde pour lui dire le remercîment que je me sentais dans le cœur. […] — N’est-ce pas que c’est la chaleur et la poussière du jour qui t’ont surpris sur le chemin, pauvre bel enfant, me dit enfin la fiancée, et qu’à présent que l’ombre du mur et le vent de l’éventail t’ont rafraîchi, tu ne te sens plus de mal ? […] J’essayai de fermer les yeux pour dormir, mais ce fut impossible, monsieur ; plus je fermais mes paupières, plus j’y voyais en moi-même des personnes et des choses qui me donnaient un coup au cœur et des sursauts à la tête : les sbires sortant de derrière les arbres et tirant cruellement, malgré mes cris, sur mon chien et mes pauvres bêtes ; Hyeronimo lâchant sur eux son coup de feu ; le bandit de sbire mort au pied de l’arbre ; Hyeronimo, surpris et enchaîné, conduit par eux au supplice ; mon père aveugle et ma tante désespérée tendant leurs bras dans la nuit pour le retenir et ne retenant que son ombre ; des juges, un corps mort étalé devant eux ; des soldats chargeant leurs carabines avec des balles de fer dans un cimetière ou une fosse, toute creusée d’avance, attendait un assassin condamné à mort ; puis deux vieillards expirant de misère et de faim à côté de leur pauvre chien blessé dans notre cahute de la montagne, puis des ruisseaux de larmes sur des taches de sang qui noyaient toutes mes idées dans un déluge d’angoisses.
LXVI En 1844, les légitimistes imaginèrent de porter un défi impudent à cette révolution en passant avec éclat une revue de leurs forces à Londres : c’était la revue des ombres. […] Dieu seul reste grand dans son style, et quelque ombre de cette grandeur divine reste attachée à l’écrivain lui-même et le rend grand comme lui. […] Cette œuvre n’était pas entièrement nouvelle ; elle ne valait pas le Paul et Virginie de Bernardin de Saint-Pierre, ce livre parfait, où la poésie des tropiques sert de cadre à la religion et à la sensibilité de l’Europe ; mais les couleurs américaines et le contraste du délire de la nature amoureuse des forêts sauvages avec les rigueurs de l’ascétisme chrétien en font un tableau à part dans la littérature de cette époque ; c’est le catholicisme espagnol vu à travers les ombres terribles des horizons transatlantiques d’un nouveau monde.
Cependant le livre de l’Allemagne est à la fois une œuvre ingénieuse et un service rendu aux lettres ; et quoique notre siècle y ait pris, avec plus de libéralité envers le génie étranger, le goût des ombres de l’esthétique allemande, par beaucoup de pensées fécondes, par les perspectives qu’il ouvre devant l’esprit français, ce livre a été une influence, la première gloire après celle des œuvres durables. […] Rayons et Ombres, ce titre d’un de ses recueils, sera sa devise, si on l’entend non seulement de ces alternatives de tristesse et de joie, de doute et de croyance, d’espoirs et de découragements, qui de l’âme du poète se communiquent à la nôtre, mais de ses beautés qui resplendissent comme des rayons, et de ses défauts qui pèsent sur l’esprit comme des ombres134. […] De là, dans ses œuvres, distinguées plutôt que de premier ordre, la délicatesse tournant à la manière, la finesse à l’énigme ; de là un poète qui, pour se dérober aux yeux des profanes, s’enveloppe d’ombres, et finit par se perdre de vue lui-même.
L’ombre de la caisse d’épargne est sur son front. […] 26 septembre Je suis à Gisors, et comme une ombre riante, toute mon enfance se lève devant moi. […] Ces trois statues posées sur des piédestaux dans une chambre, tandis que, dans l’ombre d’un corridor qui ne finit pas, se débattent des formes confuses faisant peur.
La Fontaine montrera encore un grand amour pour les jardins qui sont des parcs et pour les parcs qui sont de véritables forêts, où l’on trouve l’ombre et le frais, comme il dit, et où l’on trouve une solitude peuplée de véritables ténèbres ; il montrera encore cet amour, lorsqu’il parlera des jardins qui entourent le château de Richelieu. […] Du lieu où nous regardions ces statues, on voit à droite une fort longue pelouse et ensuite quelques allées profondes, couvertes, agréables et où je me plairais extrêmement à avoir une aventure amoureuse ; en un mot de ces ennemies du jour tant célébrées par les poètes : à midi véritablement on y entrevoit quelque chose, Comme au soir, lorsque l’ombre arrive en un séjour, Ou lorsqu’il n’est plus nuit et n’est pas encor jour. […] Tu favorises les méchants Par ton ombre épaisse et profonde.
À quoi bon et pourquoi, devant les ombres chinoises qui n’ont pas de Séraphin pour les remuer, cet autre Séraphin qui tient la plume de l’historien, après coup, inutilement ; ombre chinoise lui-même ? […] Ferrari souffre dans ses meilleures parties de cette philosophie de l’histoire qui le timbre si profondément d’inconséquence, quand ce n’est pas d’absurdité, mais en écartant même cette question de fatalité qui offusque tout de son ombre, comme dit Bossuet en parlant de la mort, les Révolutions d’Italie, cette Babel de faits entassés les uns sur les autres, n’ont ni solidité ni consistance.
… Dans de l’ombre et reclus. […] quelle ombre de tels coupables ont sur eux. […] ; et enfin, comme il faut que l’antique et éternel Hugo se retrouve partout avec l’ombre.
Chacune d’elles, Gourmont se donnait le plaisir, non pas de l’envoyer à l’Amazone, mais de la lui faire lire devant lui, et nul n’a guetté avec plus d’impatience les pensées et les ombres qui passent sur un visage. […] Les ombres de Racine et de la Champmeslé hantent le logis de l’Amazone, où Anatole France, comme Gourmont, Rodin, et tant d’illustres personnages leur disputent les attraits de la postérité. […] D’autant que l’ombre des Cochin et des Montalembert qui éclaire seule cet immeuble, si l’on peut dire, n’invite guère au romanesque. […] On ne sait ce qu’on y doit admirer le plus, dans ces Lectures pour une ombre, de la perfection de l’écrivain ou de la noblesse de l’officier. […] Émile-Paul, repris dans Lectures pour une ombre.
Le monument de la cité libre, les pieds dans l’ombre, rayonne en haut d’un soleil qui fait aveuglant l’horloge. […] Derrière eux, la ligne sévère des caissons avec leur roue de rechange, et au plus loin que l’œil va sous les arbres, dans ces jeux d’ombre et de lumière, encore des croupes de chevaux, des fumées de forges de campagne, des montagnes de foin et de paille. […] Cet incendie, ces cieux réverbérés, cet horizon de flammes, tout ce que l’imagination attendait de cet incendie des forêts, tout ce que cherche, à voir, près de l’abreuvoir, la foule piétinante dans l’ombre ; rien, rien qu’une ligne qui semble fermer la vue avec un mauvais cordon de réverbères mi-éteints. […] Des ombres aux tons violets de plombagine, des lumières d’argent. […] Ce soir, une voix dans l’ombre m’appelle.
Ombres qui se détachent de lui, qui vont se fondre dans le peuple des ombres pour lesquelles il écrit, et qui forment dès maintenant avec elles un monde, j’ai bien dit un oratoire, dont les fidèles se reconnaissent. Parlant d’une de ces ombres il nous fait pénétrer avec franchise dans son propre laboratoire d’ombres ! […] Il gardera toujours certaines puissances d’enfance qui lui maintiendront dans l’ombre sa rosée jusqu’au soir. […] Et la critique dramatique qui le suit comme l’ombre le corps maigrit comme lui. […] Si le plaisir est lumière, la douleur est ombre.
C’était un étrange mélange d’indécence et de grandeur : des coups de marteau qui clouaient le cercueil d’un pape, quelques chants interrompus, le mélange de la lumière des flambeaux et de celle de la lune, le cercueil enfin enlevé par une poulie et suspendu dans les ombres, pour le déposer au-dessus d’une porte dans le sarcophage de Pie VII, dont les cendres faisaient place à celle de Léon XII. […] Il ne retrouve un peu d’emphase que dans des lettres d’apparat qu’il écrit du château de Maintenon, appartenant à la maison de Noailles, où l’ombre de Louis XIV leur communique un cérémonial de phrases et de descriptions (genius loci) qui éblouissent sans toucher. […] Trouvez bon que je dépose quelques vers à votre porte ; depuis longtemps vous avez fait une paix généreuse avec l’ombre qui me les a inspirés. » — « Monsieur, répondait Chateaubriand, je ne crois point à moi, je ne crois qu’en Bonaparte ! […] Hugo était excusé par la jeunesse ; mais qui est-ce qui pouvait excuser M. de Chateaubriand de cette flatterie à une ombre ?
Elle est le songe du matin des grandes vies ; elle contient en ombres toutes les réalités futures de l’existence ; elle remue les fantômes de toutes choses avant de remuer les choses elles-mêmes ; elle est le prélude des pensées et le pressentiment de l’action. […] XVI Rentré à Rome, Cicéron y vécut quelques années dans l’ombre, ne s’attachant à aucune des factions qui divisaient la république, ne faisant cortège à aucun des chefs de parti dont la faveur poussait les jeunes gens aux candidatures, et ne sollicitant rien du peuple. […] Ils sont disparus, ils sont muets, ils sont ensevelis dans l’ombre de leur Tusculum, adorant l’écho, suivant la timide sagesse de Pythagore. […] Mais l’ombre de leur vie passée suit les hommes publics jusque sur la terre étrangère : la mer, qui les sépare de leur patrie, ne les sépare pas de leur nom.
Avec cette idée persistante de la mort, qui me rapproche d’une autre mort, avec le vague de l’esprit, et cette en allée de soi-même que donne le lit, toute la journée, je l’ai passée avec mon frère, ainsi que dans la fréquentation d’un vivant avec une ombre, comme si, ce jour-là, le Christ, pour l’anniversaire de sa résurrection, donnait congé aux âmes des morts, et leur permettait de vivre autour des vivants, invisibles, mais amoureusement présents. […] Lundi 20 mai J’avais déjà remarqué plusieurs fois, combien sous le soleil, l’ombre portée des choses servait aux Japonais pour leurs dessins. […] Et cependant dans l’ensommeillement de ses pas, de ses mouvements, de sa pensée, quand, un moment, il secoue sa léthargie, le vieux Théo réapparaît, et ce qu’il dit, de sa voix assoupie, avec des ébauches de gestes, semble le langage de son ombre — qui se souviendrait. […] Picard nous le montre, pendant toute la Défense nationale, assis sur une chaise, en arrière de la table du conseil, en un coin, dissimulé, et retraité dans l’ombre, ne se décidant sur rien, ne se prononçant sur quoi que ce soit, ne se compromettant par aucune opinion tranchée, ménageant tous les partis, et se conservant pour toutes les aventures du hasard.
Il y a encore là, le charme de la mère, une femme lettrée, toute effacée dans une ombre de discrétion et de dévouement. […] Et le soir, presque endormi de fatigue, avec beaucoup de vague dans la cervelle, je suis couché au fond d’une barque, que mon machabée fait glisser, sans bruit, au milieu de la nuit et des ombres étranges des deux bords. […] Contre le vitrage monte un rideau vert, qui au milieu de la lumière ensoleillée de tout l’atelier, met une grande ombre sur tout ce côté, sur les liseurs de livres et de revues, assis sur le grand divan du milieu. […] Et dans le fouillis des choses, la presse des objets, la confusion des formes et des couleurs, l’on entrevoit encore des photographies de l’Empereur Napoléon III, dans toutes les phases de sa bonne ou de sa mauvaise fortune ; on entrevoit les éclairs de rubis et d’émeraude de toute une collection d’oiseaux-mouches dans l’ombre d’une armoire ; on entrevoit des aquarelles drolatiques de Giraud représentant des scènes de l’intérieur de la princesse ; on entrevoit d’élégiaques têtes d’études d’Amaury Duval ; on entrevoit de vieilles gravures représentant Napoléon Ier en costume troubadouresque ; on entrevoit des mécaniques en bronze doré pour tenir horizontalement une branche, on entrevoit par l’entrebâillement des panneaux, des tiroirs, des albums, des blocs de papiers à aquarelle, des cornets de cristal hérissés de pinceaux, des tubes, des vessies, une armée de bouteilles d’encres de couleur avec leurs floquets de ruban rouge : tous les ustensiles et tous les outils de la peinture à l’huile, de l’aquarelle, du pastel, du crayonnage, — à l’état de provisions.
Seulement, pour qui veut explorer la nuit, autre chose est de poser à terre sa lanterne, tout près de ses pieds, où elle ne fera sortir de l’ombre qu’un certain nombre de grains de sable ; autre chose de la diriger à droite et à gauche, de projeter sa clarté au loin et en avant, à chaque pas. […] Et l’« avertissement noir » passe et repasse dans l’œuvre de Loti, et il arrive que c’est précisément cette mort inévitable, proche toujours, qui donne à la vie son prix infini : la proximité de l’ombre rend la lumière plus intense et plus douce. […] Même s’il s’agit d’une paysanne italienne, un être bien réel cependant, sa façon de voir restera la même : Ses grands yeux, Qui parfois tournaient, à moitié étourdis, sous Ses paupières passionnées, et comme noyés, quand elle parlait, Avaient aussi en eux des sources cachées de gaieté, Lesquelles, sous les noirs cils, sans cesse S’ébranlaient à son rire, comme lorsqu’un oiseau vole bas Entre l’eau et les feuilles de saule, Et que l’ombre frissonne jusqu’à ce qu’il atteigne la lumière323. […] Toute ombre hors d’un territoire Se teinte itérativement A la lueur exhalatoire Des pétales de remuement.
Mauclair d’avoir laissé sa prime intellectualité s’étioler dans l’ombre instable de Barrès. […] Ce sont les contes de Marcel Schwob, si pleins d’une atmosphère étrange de crypte souterraine, de fards milésiens, de jeunes corps amoureux, si ruisselants d’eaux, de miroirs, de gemmes, rappelant à la fois les encens du temple, les toiles de Rochegrosse et Gustave Moreau et cette angoisse qui flotte sur les ruines solitaires au crépuscule : les contes de Jean Lorrain, avec leurs gnomes, leurs fées, leurs éphèbes équivoques, leurs princesses d’ivoire et d’ivresse, leur frisson d’inconnu, leur ombre nostalgique et peuplée de fantômes luxurieux. […] elle corrobore tout ce que j’ai dit de l’Ombre des jours. […] Ces notes forment un volume, Dans l’ombre chaude de l’Islam ou dans une zouïya marocaine, Isabelle Eberhardt est mise en scène.
Mais nous nous contentons le plus souvent du premier, c’est-à-dire de l’ombre du moi projetée dans l’espace homogène. […] Nous voici donc en présence de l’ombre de nous-mêmes : nous croyons avoir analysé notre sentiment, nous lui avons substitué en réalité une juxtaposition d’états inertes, traduisibles en mots, et qui constituent chacun l’élément commun, le résidu par conséquent impersonnel, des impressions ressenties dans un cas donné par la société entière. […] Il n’en est rien cependant, et par cela même qu’il déroule notre sentiment dans un temps homogène et en exprime les éléments par des mots, il ne nous en présente qu’une ombre à son tour : seulement, il a disposé cette ombre de manière à nous faire soupçonner la nature extraordinaire et illogique de l’objet qui la projette ; il nous a invités à la réflexion en mettant dans l’expression extérieure quelque chose de cette contradiction, de cette pénétration mutuelle, qui constitue l’essence même des éléments exprimés.
L’aimable et spirituel abbé Fraguier, le même qui, à l’apparition du premier manifeste de La Motte, avait fait en latin ce vœu public aux Muses de lire chaque jour de l’année 1714, avec son ami Rémond, mille vers d’Homère pour détourner loin de soi la contagion du sacrilège ; l’abbé Fraguier, dans une élégie également latine sur la mort de Mme Dacier, nous la représente arrivant aux champs Élysées et reçue par sa fille d’abord, cette jeune enfant qui court à elle les cheveux épars et en pleurant ; puis l’Ombre d’Homère, pareille à Jupiter apaisé, sort d’un bosquet voisin et la salue comme celle à qui il doit d’avoir vaincu et de régner encore (« Quod vici regnoque tuum est… »). Pour elle, qui se mêle à ces illustres ombres, elle est accueillie aussi par les femmes célèbres dont la renommée peut faire envie aux plus grands hommes ; mais, jusqu’en cette demeure dernière et parmi ces naturelles compagnes, « ce n’est ni Sapho ni la docte Corinne qui lui plaisent le plus, c’est plutôt Andromaque et Pénélope ».
Or, cette personne qui revient quelquefois dans ses lettres, disciple de Corinne à beaucoup d’égards, surtout par les prétentions à l’enthousiasme, et qui paraît avoir été peintre, si ce n’est poète, il ne put jamais, malgré son esprit et son mérite, parvenir à la goûter : Ma foi, mon cher, écrivait-il à un ami, malgré son amabilité (affectée bien souvent), je lui trouve si peu de naïveté, de vrai sentiment, de jugement raisonnable, qu’elle est bien loin d’aller sur ma piquée… Elle nous fait des compliments si exagérés souvent, qu’il est impossible de ne pas voir qu’ils ne sont que dans sa bouche ; et puis, enfin, on voit le caractère des gens dans leur peinture ; je trouve qu’elle n’a pas l’ombre de sentiment, pas d’expression, pas de vérité bien souvent dans la couleur ; pour le dessin, elle ne s’en doute pas : et elle veut mettre à tout cela une touche-homme… Ma foi, je la juge violemment, tu diras. […] Quoique je sois bien loin d’avoir tous ces avantages, il s’en faut beaucoup que je ne me félicite pas de mon sort, et je serais un ingrat envers la divine intelligence si j’osais lui adresser l’ombre d’une plainte, surtout maintenant que j’ai le bonheur de vivre en famille.
Acanthe, assis au pied d’un aulne, exhale donc ses regrets et maudit la poésie, qu’il accuse fort injustement de son malheur ; il allait de dépit briser ses chalumeaux, lorsque du lit profond de la Saône, qui coule devant lui, il voit sortir et apparaître un fantôme, une ombre vêtue à la romaine, celle du poète Maynard, l’auteur de deux ou trois belles odes et de quantité d’épigrammes oubliées. […] Il lui semblait, comme à Martial, que pour créer des poètes, et de grands poètes, il ne s’agissait que de les encourager par des largesses ; il pense là-dessus comme Clément Marot, comme les poètes valets de chambre (avant que Molière en fût) ; il n’a pas de doctrine plus relevée, et, dans une pièce imitée de Martial même, il le dit très lestement au maréchal de Noailles, l’un de ses patrons d’autrefois : Dans ce beau siècle où Paris est au faite, Grâce à son roi, des biens, des dignités, Où sous son ombre elle élève sa tête Cent pieds de haut sur les autres cités, À concevoir vous trouvez difficile Pourquoi ce roi, plus couvert de lauriers, Plus grand qu’Auguste, a manqué de Virgile Pour consacrer ses triomphes guerriers.
Il s’efface comme poète dans l’ombre de Marot comme conteur dans l’ombre de la reine de Navarre.
Ce dernier calque de l’homme, cette forme si vague, si effacée, à peine empreinte sur une poussière à peu près impalpable, volatile, presque transparente, d’un blanc mat et incertain, est ce qui donne le mieux quelque idée de ce que les anciens appelaient une ombre. […] Partout il est le même : figurez-vous une démarche longue et lente, un peu penchée, dans une paisible allée où l’on cause à deux du côté de l’ombre, et où il s’arrête souvent en causant ; voyez de près ce sourire affectueux et fin, cette physionomie bénigne où il se mêle quelque chose du Fléchier et du Fénelon ; écoutez cette parole ingénieuse, élevée, fertile en idées, un peu entrecoupée par la fatigue de la voix, et qui reprend haleine souvent ; remarquez, au milieu des vues de doctrine et des aperçus explicatifs qui s’essaient et naissent d’eux-mêmes sur ses lèvres, des mots heureux, des anecdotes agréables, un discours semé de souvenirs, orné proprement d’aménité : et ne demandez pas si c’est un autre, c’est lui.
On se promène dans un jardin où il n’y a guère que l’ombre d’une table de pierre, et l’on dîne dans une salle à manger, où l’on vous passe beaucoup de bouteilles de toutes sortes de vins, en face de douze Césars peints sur les murs par un vitrier. […] Leroy a choisi pour son tableau du Salon prochain, un chemin creux, et, couchés par terre, dans l’ombre, nous passons une partie des journées à l’entendre parler de Jacques, de Millet, etc.
et sans l’ombre d’effort ! […] Ombres fugitives et déplorables, savons-nous ce que c’est que le bonheur ? […] Quel nomenclateur des ombres m’indiquerait la tombe effacée ? […] Les autres sont des ombres, même Hiéroclès, le proconsul jacobin. […] L’ombre de l’île, obscure et fixe, repose au milieu d’une plaine mobile de diamants.