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2074. (1830) Cours de philosophie positive : première et deuxième leçons « Avertissement de l’auteur »

Quoique des esprits différents aient pu, sans aucune communication, comme le montre souvent l’histoire de l’esprit humain, arriver séparément à des conceptions analogues en s’occupant d’une même classe de travaux, je devais néanmoins insister sur l’antériorité réelle d’un ouvrage peu connu du public, afin qu’on ne suppose pas que j’ai puisé le germe de certaines idées dans des écrits qui sont, au contraire, plus récents. […] Mais je n’ai pas dû choisir cette dernière dénomination, non plus que celle de philosophie des sciences, qui serait peut-être encore plus précise, parce que l’une et l’autre ne s’entendent pas encore de tous les ordres de phénomènes, tandis que la philosophie positive, dans laquelle je comprends l’étude des phénomènes sociaux aussi bien que de tous les autres, désigne une manière uniforme de raisonner applicable à tous les sujets sur lesquels l’esprit humain peut s’exercer.

2075. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Pierre Mancel de Bacilly »

Et, en effet, si vous la séparez un instant des passions terribles qui s’en sont servies et qui sont prêtes à s’en servir encore, si, la regardant aux entrailles, vous lui demandez, comme aux autres spéculations de la pensée, ses titres réels à l’estime ou à l’admiration des hommes, vous serez bientôt convaincu de l’impuissance et de l’inanité de cette espèce de littérature, qui depuis le commencement du monde de la métaphysique pivote sur trois ou quatre idées dont l’esprit humain a cent fois fait le tour, qui tient toute, en ce qu’elle a de vrai, dans sept chapitres d’Aristote, sans que jamais personne en ait ajouté un de plus, et à laquelle Dieu a plusieurs fois envoyé des hommes de génie inutiles, comme s’il avait voulu par là en démontrer mieux le néant ! […] Mais Mancel est un esprit droit, élevé et solide, qui a horreur de la chimère et qui sait apprécier comme nous un règne dont le caractère semble précisément d’unir la liberté civile à l’autorité politique. […] Quoiqu’une théorie repose au fond d’un pareil ouvrage, — car de toute pensée générale, de tout fragment de vérité, il est facile de déduire ce que la science appelle une théorie, — ce livre n’est pas, à proprement parler, ce que les esprits qui recherchent ces organisations de la pensée entendent généralement par un système.

2076. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre premier »

Mais cette première union n’eut été qu’une surprise du cœur, impuissante à durer, si l’esprit de l’armée n’était venu continuellement déferler sur l’arrière, et guider, assainir, unir l’esprit des non-combattants.‌ […] Mais si l’on s’attache dans ce prodigieux pêle-mêle aux états d’esprit fortement accusés et si l’on s’applique à les classer par familles, quel document psychologique !

2077. (1895) Journal des Goncourt. Tome VIII (1889-1891) « Année 1891 » pp. 197-291

Et je ne suis en train de rien faire, et ayant besoin d’être absent de chez moi, et un peu de moi-même, je m’en vais au Musée du Louvre, remiser mon esprit dans du vieux passé. […] C’est à l’heure qu’il est, le seul valeureux dans les lettres, le seul prêt à compromettre un peu de la tranquillité de son esprit, le seul prêt à se donner un coup de torchon. […] Il nous le peint comme un esprit de la même famille que le sien, comme un mystique, mais avec une touche mélancolieuse, venant d’une santé plus frêle, d’une nature plus délicate. […] il fait bon être Scandinave… Si la pièce était d’un Parisien… Oui, oui, c’est entendu, du dramatique bourgeois qui n’est pas mal… mais de l’esprit à l’instar de l’esprit français, fabriqué sous le pôle arctique… et un langage parlé, quand il s’élève un peu, toujours fait avec des mots livresques. […] Il attribue cette disposition de son esprit à la persistance des lectures romanesques de son enfance.

2078. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Ce n’était point esprit de singularité, mais de bonne solidarité. […] Elle ne faisait que camarader avec des esprits distingués, mais autrement orientés, comme M.  […] Elles expliquent des états d’esprit. […] La sensation que ton esprit caresse va changer tes nerfs en chaînes de plomb. […] Qu’on aille à l’Esprit.

2079. (1885) Les étapes d’un naturaliste : impressions et critiques pp. -302

Oui, ç’a été une faute affreuse, mais instinctive, une faute inspirée, peut-être, par l’esprit de l’Enfer qui me possède. […] Malgré ton esprit, malgré ton amour pour moi, je ne fusse point tombe, si j’avais été vraiment vertueux, si j’avais eu une vocation réelle. » — Luis n’a rien, en effet, de ce qui constitue le prêtre : sans doute, la foi a semé en lui le germe des qualités qui en feront un excellent mari, le modèle des pères de famille, mais l’esprit d’abnégation, l’esprit de sacrifice, l’esprit de mortification, où sont-ils ? […] Oui, c’est bien là le Michel Servet que nous peint l’histoire, ce sectaire original, cet esprit exalté et têtu, ce polémiste grossier ! […] Ce qui témoignait encore déplus d’esprit. […] Edmond About sera donc dans la noble compagnie le représentant de l’esprit… et de la chance.

2080. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Querelles générales, ou querelles sur de grands sujets. — Première Partie. Des Langues Françoise et Latine. — Les traductions. » pp. 125-144

. ; car, parmi les auteurs où il y a le plus à changer, c’est assurément chez les romanciers Anglois, & nommément chez le docteur Swift, écrivain plein d’esprit & original ; mais à qui l’on reproche, en Angleterre même, d’être un à low author, un auteur qui tombe souvent dans le bas. […] « Ce n’est là qu’une imitation basse, qui, par une fidélité trop scrupuleuse, devient très-infidèlle : pour conserver la lettre elle ruine l’esprit ; ce qui est l’ouvrage d’un froid & stérile génie. » A force de vouloir être exact, ajoutoient-ils, on n’est que plat & sec, on se fait un stile le plus souvent confus, entortillé. […] On desire de connoître, d’après lui, Tacite, cet historien qui a si bien peint l’ame fausse, impérieuse, dissimulée & cruelle de Tibère, exécrable imposteur, modèle de Cromwel pour les grandes qualités & les grands vices ; cet historien, qui a si bien nuancé le caractère des Romains, qui veut prouver que tout, dans le sénat & chez Tibère, se faisoit par une combinaison de crimes ; cet historien dans qui l’on remarque un esprit d’ordre & de suite, des réflexions & des vues profondes & lumineuses, un talent merveilleux pour faire des tableaux. […] Le célèbre président Bouhier, ce sçavant d’un esprit si juste & d’un goût si délicat, tient pour les vers. […] Ils leur préféroient, sans hésiter, l’ignorance & la platitude de Marole & de Martignac, les écarts d’imagination de Catrou, les bévues de Saint-Rémi, la froideur de Bellegarde & de Tarteron, la mauvaise grace de Dacier, l’enflure & l’esprit de systême de Sanadon, l’incorrection & le verbiage de l’abbé Bannier.

2081. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

La Critique littéraire a pour fonction de juger les œuvres de l’esprit, combinées pour produire un effet de pathétique et de beauté spéciale. […] Comme disait le prince de Ligne, cet homme d’un esprit fou qui créait un Rousseau, lorsqu’il parlait de Rousseau : Elle aurait eu du style quand elle aurait parlé d’un morceau de fromage. […] Elle était restée femme comme il faut, en cette attitude charmante de femme comme il faut, qui se joue d’écrire et qui est chez soi, dans les choses de l’âme et de l’esprit, autant que dans les choses du monde. […] Son style, qui est celui d’une femme d’esprit, usagée aux livres, et qui, par conséquent, s’est frottée à beaucoup de styles, ressemble à cette écriture américaine et égalitaire, correcte et même jolie, mais qui est la même sous la plume d’une duchesse que sous la plume d’une fille de comptoir qui fait les additions au restaurant. […] Les autres œuvres de l’esprit ont des côtés par lesquels on se revanche.

2082. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Sixte-Quint et Henri IV »

Absolu de principes comme tous les esprits qui croient à une vérité, Segretain n’en a pas moins les qualités de l’historien : le calme du regard qui voit, sans sourciller, même ce qui le blesse ; la main droite qui sait dépouiller les faits ; et la ferme qui sait les peser. […] Des premières formes de son talent, il n’a gardé que l’esprit, que je lui conseille bien de garder toujours. Le livre qu’il intitule Sixte-Quint et Henri IV est une vue nouvelle, pour conduire par un chemin de plus à une conclusion déjà ancienne dans beaucoup d’esprits, c’est que la Réforme ne réforma rien, mais détruisit tout du monde qu’elle devait réformer… La Réforme, en effet, pour tous ceux qui l’ont étudiée, fut la destruction complète et violente du monde catholique, si unitairement constitué, tel qu’il était au Moyen Âge, destruction consommée par une minorité qui ne l’eût jamais accomplie si les gouvernements n’avaient donné mieux que le nombre en donnant les forces organisées de leur pouvoir à cette minorité sans eux vaincue. […] Cela déconcerte un peu les idées reçues, mais voyez si avec la nature de Henri, cette nature indifférente aux idées religieuses pour elles-mêmes, son bon sens qui touchait au génie, son ardeur de cœur et de sens, son esprit politique, pratique et si bien fait pour le commandement, voyez si le catholicisme, cette religion de l’unité et de l’ordre et qui était encore la force dans le pays, ne devait pas être préférée à l’anarchie des doctrines protestantes, scindées déjà de son temps par plusieurs communions. […] L’Hôpital lui-même n’était allé que jusqu’à un simple édit de tolérance : or, l’Édit de Nantes reconnaissait un droit… Enfin, il y a plus encore : les idées modernes existaient si peu sur l’égalité des cultes et la liberté religieuse, que ces idées, maintenant en possession de tous les esprits, sans l’Édit de Nantes n’auraient peut-être jamais existé.

2083. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Si j’avais une fille à marier ! » pp. 215-228

Sans ce besoin, plein de coquetterie, de se recommander au seigneur public et de se concilier ses chères bonnes grâces, Weill n’eût peut-être pas collé au front de son livre cette locution usuelle, vulgaire, qui semble chercher des échos dans l’esprit de tous ceux qui la débitent, et qui doit plaire par sa simplicité familière aux amateurs du simple et du familier (et on sait s’ils sont nombreux, ces braves gens-là !) […] Marier sa fille et la marier bien, l’élever, de longue main, en vue de ce grand fait du mariage qu’il croit la destinée la plus sublime de la femme, ce notable embarras qui a tant fait gauloiser l’esprit français, cette vieille difficulté que les moralistes de l’ancien temps, les moralistes anti-rêveurs, croyaient éternelle, — comme, du reste, ici-bas, toutes les manières d’être heureux, — Alexandre Weill a cru qu’il pourrait, en s’y prenant bien, la diminuer, ou complètement s’en rendre maître. […] — qu’il empêchera les influences de ces romans ou leur curiosité, qui est déjà une influence, de pénétrer dans l’esprit de sa fille, en y opposant son système concentré de physiologie paternelle. […] finit par étrangler son esprit avec son sujet. […] Il a des impatiences d’auteur et un esprit plus facile que vraiment fécond, plus hâté de produire que mâle de production.

2084. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Byron »

Pour qu’il naquît, il fallait que son génie rencontrât le génie grec qu’il n’avait pas trouvé à Harrow, où il n’étudia point, par cet esprit de contradiction et de paresse qui est souvent l’esprit des gens de génie. […] III La violence donc, — car il est violent, et c’est cette violence de sentiment, ne troublant jamais la pureté de sa forme, qui fait de Byron ce mélange d’intensité et de pureté vraiment incomparables, — la violence donc, naturelle à Byron, a empêché de voir ce qui distinguait le plus son génie, comme d’autres choses, qui étaient plus ou moins en lui, ont fait illusion sur sa vie… J’ai dit plus haut que l’esprit de contradiction était naturellement développé en lui à un degré extraordinaire. […] Eh bien, c’est cet esprit de contradiction, avec lequel je me ferais bien fort d’expliquer toute la vie de Lord Byron, c’est cet esprit qui nous l’a cachée, et qui nous l’a cachée, en la tachant… Comprimé par la règle anglaise, ce Grec, dilaté par la vie libre de la Grèce, se donna l’affreuse courbature de se faire fanfaron de vices, pour justifier et exaspérer les cris de paon de la puritaine Angleterre, cette paonne de vertu !

2085. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Alfred de Vigny »

Il ôte aux êtres bas d’esprit, dont le monde est plein, cette joie de pouvoir dire que la vie des poètes les plus éclatants n’est que leur poésie à la renverse, et qu’avec leurs ailes, — leurs ailes de Chimères !  […] C’était un homme d’esprit à la française, très capable, comme il l’a bien prouvé, de glisser sa petite comédie à la Marivaux entre deux poèmes d’albâtre pur… Excepté la force des épaules, auxquelles on pourrait reconnaître la race de guerre, faite pour la cuirasse, dont il était issu, rien n’indique, dans ce portrait des Œuvres posthumes, le mousquetaire rouge qu’avait été pourtant Alfred de Vigny. […] Si, plus haut parvenus, de glorieux esprits Vous dédaignent jamais, méprisez leur mépris ; Car ce sommet de tout, dominant toute gloire, Ils n’y sont pas, ainsi que l’œil pourrait le croire. […] Tel que l’on croit complet et maître en toute chose Ne dit pas les savoirs qu’à tort on lui suppose, Et qu’il est tel grand but qu’en vain il entreprit, — Tout homme a vu le mur qui borne son esprit » Enfin, — car il faut se borner, — dans une pièce intitulée : Jésus au mont des Oliviers, où l’âme du chrétien, rouverte un moment, se referme tout à coup, redevenue rigide, je trouve ces vers d’une stoïcité presque impie, qui vont assez avant dans l’inspiration du poète pour qu’on en comprenne la profondeur et pour que rien ne soit citable après : ……………………………………………… Le juste opposera le dédain à l’absence Et ne répondra plus que par un froid silence Au silence éternel de la Divinité. […] Il y a dans ces Poèmes d’Alfred de Vigny, réunis sous ce nom général de : Destinées, des morceaux qui n’ont pas ce double caractère que je tiens surtout à signaler, et qui se rapprochent de la première manière de l’auteur, mais concentrée, mûrie, calmée ; d’une couleur moins vive, mais certainement d’un dessin plus fort : La Jeune Sauvage, La Maison du Berger, et surtout L’Esprit pur, poésie cornélienne, l’exegi monumentum du poète, dans laquelle, se mesurant à ses ancêtres, gens d’épée dont il raconte admirablement la vie de cour et d’armes : Dès qu’ils n’agissaient plus, se hâtant d’oublier : il se trouve plus grand de cela seul qu’il a mis sur son casque de gentilhomme : Une plume de fer qui n’est pas sans beauté !

2086. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Gogol. » pp. 367-380

Et l’a-t-il peint ainsi parce qu’il l’a vue ainsi, — car les peintres ont parfois des organes dont ils sont les victimes, — ou parce qu’elle est véritablement ainsi, cette Russie, au fond si peu connue, cette steppe en toutes choses, cette platitude indigente, immense, infinie, décourageante, et qui est partout dans les mœurs russes, dans les esprits, dans les caractères ? Voilà la question très-embarrassante, mais fatale, qui s’élève du livre de Gogol dans l’esprit de tout critique qui a pour devoir d’en parler. […] Charrière, qui a pour Gogol les bontés d’un homme d’esprit pour la personne qu’il a pris la peine de traduire, n’hésite pas à mettre les Ames mortes à côté de Gil Blas, et, si cela lui fait bien plaisir, nous ne dérangerons rien à cet arrangement de traducteur, car la réputation de Gil Blas, — ce livre écrit au café entre deux parties de dominos, — a dit le plus fin et le plus indulgent des connaisseurs, — n’est pas une de ces gloires solides qui aient tenu contre le temps. […] Mais ce fait de n’être jamais que négativement et non pas affirmativement Russe, ce fait l’empêche, lui, d’être inventeur, comme les autres talents russes, qui ont toutes les puissances de l’esprit, excepté l’invention, la seule chose qui s’affirme et qu’on n’imite pas. […] Ce livre a été publié en deux parties et à deux époques, mais la première est la plus curieuse, car le satirique, dans cette première partie, l’est sans esprit de retour ; il brûle son vaisseau, et, dans la seconde, il fait l’effet d’arranger les planches d’une barquette pour s’en revenir !

2087. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Introduction »

Ou bien nous essayons de justifier ces affirmations mêmes en les déduisant des lois les plus générales de l’univers ; nous voulons établir qu’elles sont conformes aux principes directeurs de la nature ou de l’esprit : et alors, aux problèmes moraux se superposent les problèmes métaphysiques de l’égalité. […] Notre métaphysique construite, non seulement nous déclarons que les exigences de l’esprit ou celles de la nature sont par-dessus tout respectables ; mais nous l’expliquons, par la place que nous assignons à la nature ou à l’esprit dans notre système du monde. […] Mais, que ces maximes soient fondées en raison ou simplement posées par la conscience, ce qui nous importe ici, c’est l’attitude qu’elles impriment à l’esprit : elle reste distincte de l’attitude de la science. […] Nos préférences fondées ou non en raison, n’ont plus voix au chapitre : c’est avec un esprit méthodiquement désintéressé que nous devons aborder, comme s’il s’agissait de minéraux ou de végétaux quelconques, l’étude des idées égalitaires ; elles ne sont plus pour nous que des produits qu’il faut expliquer, et non estimer.

2088. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Or, comme l’esprit humain ne pouvait se plier à cette abdication de sa liberté morale et déclarer la révélation sacerdotale en permanence dans la politique de tout l’univers, il fallait la force sans raisonnement et sans réplique pour contraindre l’esprit humain, il fallait le bourreau pour dernier argument de conviction. […] Ne l’imitons pas et disons franchement, après de longues et sincères applications d’esprit à cette question d’histoire et de philosophie, que l’origine du peuple chinois est une énigme. […] une poésie rythmée avec un art où l’esprit et l’oreille combinent le sens et la musique dans un accord merveilleux ? […] Il le tempère par ce même esprit de famille dont il fait le fondement de sa politique. […] L’étude des cérémonies nous apprend comment on doit s’acquitter envers le ciel, les esprits et les ancêtres ; elle nous enseigne à ne pas confondre les rangs.

2089. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Mais ce n’est pas tout à fait ainsi que procède l’esprit humain. […] L’esprit humain les a en quelque sorte éprouvées pendant de longs siècles, puisque d’Aristote à Galilée c’est le Péripatétisme seul qui lui a suffi. […] Mais il n’avait que la justesse de l’esprit, il n’en avait pas assez l’étendue ni surtout l’élévation. […] Aristote, en effet, est un esprit juste (mérite immense) ; mais ce n’est pas un esprit haut. […] Dans les choses de cet ordre, c’est le privilège de l’esprit grec que d’avoir surpassé le nôtre et de l’avoir instruit.

2090. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Mézeray. — I. » pp. 195-212

Cette coïncidence m’a frappé, et je me suis dit que pour que deux esprits sérieux, appliqués, travaillant en conscience et loin du bruit, l’un à Dijon et dans un ordre d’idées et de considérations catholiques, l’autre à Alais dans la communion protestante, que pour que ces deux esprits, ayant fait chacun de Mézeray une étude spéciale, se fussent ainsi rencontrés dans une opinion commune, il fallait que l’historien, à bien des égards, le méritât. […] Ce n’est pas en des temps de Fronde qu’il eût appris à les concevoir, et c’est pour avoir, en ses jeunes années, en sa saison de verve et d’entreprise, vu réunies entre les mains de Richelieu les pièces merveilleuses de cet assemblage, c’est pour lui avoir vu reconquérir ce Roussillon aliéné depuis un siècle et demi, et lui avoir vu refaire en tous sens une France, qu’il a su mêler lui-même à son Histoire cet esprit français étendu, cette intelligence d’ensemble qui y subsiste à travers les remarques plus ou moins libres et les réflexions conformes à notre vieux génie populaire. […] Elle a eu tant de princes, tant de grands seigneurs et tant de démêlés, soit avec les autres nations de la terre, soit avec ses propres sujets, à raison d’un nombre infini de petites seigneuries qui l’ont divisée cinq cents ans durant, qu’il est impossible à un esprit seul de les pouvoir toutes débrouiller. […] Aussitôt le mariage célébré en Normandie entre Blanche et le fils de Philippe Auguste, Louis emmène sa chère moitié à Paris : Les deux époux étaient à peu près pareils en âge, de treize à quatorze ans, tous deux d’un esprit enclin à la piété, éloigné du vice, pur, ouvert et sans fiel, et en tout tellement semblables l’un à l’autre, que de ce parfait rapport et de cette mutuelle correspondance naquit entre eux deux un amour saint, qui fut désormais l’âme de l’un et de l’autre. […] Aussi faible d’esprit qu’il était robuste de corps, sa force étant telle que d’un coup de massue il abattait le cheval et le cavalier, et rompait la plus forte lance sur son genou… Du reste, il n’avait point de vices d’homme privé, mais était vaste et sans mesure en toutes choses… Je ne fais que toucher les principaux traits, j’en supprime d’énergiques et de familiers, mais qui font bien en leur lieu.

2091. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Jean-Baptiste Massillon, né à Hyères en Provence le 24 juin 1663, fils d’un notaire du lieu, montra de bonne heure ces grâces de l’esprit et de la personne, ces dons naturels de la parole et de la persuasion qui ont distingué tant d’hommes éminents sortis de ces mêmes contrées et qui semblent un héritage ininterrompu de l’ancienne Grèce. […] Les jansénistes l’accusèrent d’en avoir altéré des endroits pour la doctrine : il est à croire qu’il se contenta seulement d’y remettre plus d’accord et de justesse, en y laissant subsister la forme première et l’esprit. […] Il n’est pas donné à tous les esprits de sentir et de goûter également ce genre de beautés et de mérites de Massillon : il en est, je le sais, qui le trouvent monotone, sans assez de relief et de ces traits qui s’enfoncent, sans assez de ces images ou de ces pensées qui font éclat. Aimer Massillon, le goûter sincèrement et sans ennui, c’est une qualité et presque une propriété de certains esprits, et qui peut servir à les définir. Celui-là aimera Massillon, qui aime mieux le juste et le noble que le nouveau, qui préfère le naturel élégant au grandiose un peu brusque ; qui, dans l’ordre de l’esprit, se complaît avant tout à la riche fertilité et à la culture, à la modération ornée, à l’ampleur ingénieuse, à un certain calme et à un certain repos jusque dans le mouvement, et qui ne se lasse point de ces lieux communs éternels de morale que l’humanité n’épuisera jamais.

2092. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — I » pp. 351-368

En général pourtant, les esprits les plus distingués entre ceux qui ont pris part aux grandes choses, mettent leur honneur et leur bon goût, quand ils en écrivent, à être ou à paraître simples. […] On ne saurait en être moins que Henri IV, et cette entière liberté de dire, jointe à son esprit naturel et si plein de saillies, est souvent d’un grand charme. […] Jung s’est attaché d’abord, et avec un esprit de critique précise et rigoureuse, à bien déterminer, dans cette quantité de dépêches et de pièces diverses, celles qui peuvent être considérées avec quelque certitude comme étant directement de la main ou de la dictée de Henri IV, et non point de la rédaction de ses secrétaires. […] Il ne rencontra rien de cela dans Marie de Médicis ; il croyait l’avoir trouvé ou à peu près dans Gabrielle, qui n’était digne d’un tel choix et d’une telle idée qu’à demi ; il l’aurait moins bien trouvé chez la noble Corisandre, dont la beauté un peu fière se fanait déjà, et dont l’esprit tournait à l’aigre et au bizarre. […] Toutes les gênes que peut recevoir un esprit sont sans cesse exercées sur le mien ; je dis toutes ensemble.

2093. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

C’est son plus beau moment, où sa générosité, sa fierté d’âme, son courage et ses ressources d’esprit se déploient avec bien de l’avantage, et tournent au bien public comme à son honneur. « Laissez faire, disait quelque temps auparavant un spirituel étranger54 aux nobles Espagnols irrités contre elle ; si l’on touche à l’Espagne, elle sera plus Espagnole qu’aucun de vous. » Elle justifia ce pronostic. […] Cela ferait comme la seconde couche générale dont s’imbiberait lentement l’esprit ; et ce ne serait que là-dessus, sur ce fond préparé et disposé à loisir, qu’on viendrait apporter ensuite ce qu’on doit aux recherches successives des Monmerqué, des Walckenaër, aux fouilles plus récentes et brillamment capricieuses de M.  […] Je cherche donc les moyens de gagner l’esprit de ce prince qui, dans le fond, ne devrait pas avoir la moindre répugnance à me préférer à toute autre. […] Elle plaisante avec esprit, avec agrément, mais avec froideur ; elle flatte et caresse de même : on sent l’artifice et le rire qui n’est que des dents et des lèvres, et que tout est factice dans la personne. […] Toute femme qu’elle est (notez-le bien), elle n’a pas de nerfs, de vapeurs, ni de ces nuages qui passent ; elle n’a pas cette imagination qui grossit les objets : sur un fond de santé forte, d’humeur heureuse et peut-être d’indifférence, il y a un esprit ferme, adroit et actif, de vives qualités disponibles, dressées de bonne heure à la grande vie, au train des cours, et qui cherchent leur aliment et leur plaisir dans le démêlé des intérêts, dans le maniement des ressorts, dans l’influence et la représentation continue.

2094. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Flaubert met complètement de côté et considère comme non avenu le célèbre chapitre de Montesquieu dans l’Esprit des Lois : « Le plus beau traité de paix dont l’histoire ait parlé, est, je crois, celui que Gélon fit avec les Carthaginois. […] Jugement du genre, de la forme et de l’esprit du livre. […] Je sais que des amis d’un esprit très-distingué lui ont dit le contraire et lui ont précisément reconnu, en tout ceci, le don et le génie de l’intuition ; mais je ne comprends pas bien à quoi ce mot s’applique, là où toute vérification et tout contrôle sont à jamais impossibles, et je ne puis parler que selon les vraisemblances et d’après mes impressions, d’après celles également de bien des esprits ayant même mesure que moi et même niveau. […] Virgile et Apollonius, soyez à jamais bénis de tous les esprits délicats et de tous les cœurs tendres pour nous avoir laissé votre Didon et votre Médée : créations enchanteresses et immortelles ! […] Il en sort avec l’estime des doctes archéologues et des savants sémitisans, flattés dans l’objet de leurs études, avec l’estime encore, et mieux que cela, de quelques esprits éminents qui aiment la force jusqu’à ne pas en détester l’abus, et qui, rien qu’à lui voir cette vigueur héroïquement déployée, ont désiré de le connaître.

2095. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Jean-Bon Saint-André, sa vie et ses écrits. par M. Michel Nicolas. »

Assez d’écrivains, pressés de donner, comme les récits de la vérité, les rêveries de leur esprit ou les préventions de leur cœur, ont publié des ouvrages, prétendus historiques, de cette grande crise politique. […] C’était et ça allait être un franc conventionnel, ayant purement et simplement l’esprit qu’il croyait devoir être celui de cette grande Assemblée. […] Comme la plupart des régénérateurs de son temps, il paraissait croire, moyennant méthode, à une refonte complète possible de la constitution morale, intellectuelle et physique de l’homme : « La société a besoin, disait-il, que chacun de ses membres ait une constitution vigoureuse, un esprit éclairé et un cœur droit. » Prêchant l’excellence de l’éducation, il est en garde à tout instant contre l’instruction proprement dite, et semble demander qu’il n’y en ait pas trop, absolument comme Jean Reynaud parut le dire un jour dans sa fameuse circulaire. « Il est à remarquer, disait Jean-Bon, que les deux hommes qui ont le moins estimé les sciences soient précisément ceux qui ont le mieux senti le prix de l’éducation, Socrate et Jean-Jacques Rousseau. » Et, s’emparant de l’exemple de Socrate, dont la méthode était celle de la nature ; qui favorisait le développement des facultés morales et ne le forçait pas, et qui n’était, selon sa propre définition, qu’un accoucheur des esprits : « Eh bien ! […] Vous avez vu jusqu’à quel point ma femme s’était emparée de l’esprit et des volontés de cet enfant ; personne ne le caressait plus qu’elle, et personne ne s’en faisait mieux obéir qu’elle.

2096. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

Peu d’esprits en sont capables et en viennent à bout : il leur faut des guides. […] Si je lis l’abbé de Pradt, Marmont, Rœderer, je suis étonné du peu de profondeur que ces gens d’esprit ont mis à l’apprécier ; ou plutôt je ne devrais pas en être étonné, car c’est la condition de tout ce qui se juge au jour le jour et avant que le drame humain soit accompli. […] « Le moment semblait donc venu pour le premier Consul de se recueillir dans sa pensée, de s’entourer de toutes les lumières de son vaste esprit, et d’éviter à son pays des chances si redoutables. […] « C’est une affaire à recommencer », lui répondit tranquillement l’empereur, sans que la question eût été un instant douteuse dans son esprit ; et elle était tranchée en ces termes depuis plusieurs heures lorsque M. de Talleyrand reçut communication de la nouvelle. […] Il a su, dans les divers morceaux écrits par lui à des temps différents, éviter l’écueil de la contradiction : entre le morceau du 15 avril 1838 et ses dernières publications de 1857, il y a une harmonie frappante, et ce n’est nullement par fatalisme ou par un excès de logique qu’il est arrivé à ce cachet d’unité, c’est par un esprit d’examen rigoureux et sévère.

2097. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

Au milieu de tous ces noms, dont quelques-uns des plus doctes et appartenant à l’Académie des inscriptions, mais dont aucuns ne sont des noms en us, on rencontre avec plaisir deux femmes, l’une que le génie de l’art a douée en naissant, et qui, entre mille grâces naturelles, a celle du crayon et du pinceau ; l’autre qui vient de montrer qu’elle n’a qu’à vouloir, pour mettre une plume nette et fine au service de l’esprit le plus délicat. […] Après avoir été une enfant délicieuse, elle grandit sans cesser d’être charmante ; son esprit se développa avec sa taille, et son jugement, chaque jour plus avancé, promettait une maturité précoce. […] Les lettres qu’on publie d’elle aujourd’hui ne sont que des billets qui n’ajouteront pas beaucoup à l’idée qu’on a de son esprit ; une partie de ces billets est adressée à Mme de Maintenon. […] Vers la fin du règne de Louis XIV, le goût de l’esprit et même du bel esprit reparut sans doute et trouva faveur dans les petites cours de Saint-Maur et de Sceaux ; mais le gros de la Cour pendant ce temps-là était en proie à la bassette, au lansquenet et à d’autres excès, parmi lesquels celui du vin avait sa bonne part. […] Si j’y manque une seule fois, je serai ravie que le roi me le défende, et d’éprouver ce qu’une telle impression peut faire contre moi sur son esprit.

2098. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

Quant à moi, au milieu de toutes les preuves de talent, de génie naturel, d’esprit même et de sagacité que donne M. de Lamartine dans les pages flottantes et dans les fresques inachevées de ses Histoires, je m’attendrai toujours à toutes les distractions et à tous les lapsus de pinceau de la part de quelqu’un qui, ayant à parler de Camille Desmoulins pour son Vieux Cordelier, a trouvé moyen de le comparer à Fénelon. […] Ses livres d’histoire ne sont et ne seront jamais que de vastes et spacieux à-peu-près où circule par endroits l’esprit général des choses, où vont et viennent ces grands courants de l’atmosphère que sentent à l’avance, en battant des ailes, les oiseaux voyageurs, et que sentent également les poètes, ces oiseaux voyageurs aussi. Avant d’en venir à nous rendre l’esprit des premières scènes de la Restauration, M. de Lamartine s’est engagé dans le récit de la campagne de 1814. […] La seule partie supérieure des Histoires de M. de Lamartine, et qu’il serait injuste d’y méconnaître au milieu de tout ce qu’on y rencontre d’inexact et de défectueux, c’est le sentiment vif des situations générales, l’esprit en quelque sorte des grandes journées et des foules, cet esprit que le poète encore plus que l’historien embrasse et qu’il recueille en son âme, avec lequel il se mêle et se confond, et dont il excelle à tracer en paroles émues, et comme en ondes vibrantes et sonores, les courants électriques principaux. […] Dans ce tableau rapide, où il fait preuve de générosité et de bienveillance comme toujours, et où il a introduit aussi plus d’une spirituelle finesse, M. de Lamartine a commis quelques petites confusions et quelques mélanges qui montrent que l’esprit critique, chez lui, a encore des progrès à faire, même sur les sujets qui, ce semble, lui devraient être le plus connus.

2099. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — La banqueroute du préraphaélisme »

De purs mystiques, hantés par un idéal du passé, imprégnés de l’esprit chrétien, des êtres de rêve, séparés de la nature et de la vie par une barrière de préjugés. […] II Ruskin est incontestablement un vigoureux esprit. […] Quelle put être cette colossale méprise de la part d’un tel esprit ? […] Il est déplorable pour ce siècle et pour les siècles qu’une aussi riche nature, qu’un aussi noble esprit ait fait fausse route.‌ […] Malgré les études patientes de ces artistes devant la nature, leur esprit était faussé a priori.

2100. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « III — Un symbole »

) Vous ne bâtissez pas des églises pour le plaisir de faire des églises, vous ne faites pas de pèlerinage pour le plaisir de faire des pèlerinages ; vous cherchez à faire la guerre à l’esprit moderne. […] L’amiral La Roncière Le Noury. — Non, à l’esprit révolutionnaire ! […] Tout a disparu du « Vœu » primitif, ou plutôt, tout est prudemment dissimulé aux yeux de la « noble Chambre, si fidèle aux inspirations et aux traditions chrétiennes. » L’idée même du « Vœu » subsiste entière dans l’esprit de ceux qui l’ont formulé, mais ils se gardent bien d’en faire mention pour ne pas effrayer l’Assemblée. […] La restriction est à peu près celle-ci dans l’esprit de ces subtils prélats : « Nous sommes d’une race qui est la race française, mais nous sommes avant tout les fils respectueux de l’Église. […] Dans l’esprit des fondateurs de l’œuvre, le vœu au Sacré-Cœur est avant tout un témoignage d’expiation des révoltes de la nation contre le joug catholique, et des crimes de libre pensée dont la France s’était rendue coupable ; c’est l’amende honorable du peuple qui s’était ouvertement éloigné de Dieu depuis la fin du siècle dernier, et qui implorait le pardon de ses offenses.

2101. (1861) La Fontaine et ses fables « Deuxième partie — Chapitre II. Les bêtes »

L’esprit prend quelque chose de l’harmonie et de la sécurité des objets qui l’environnent. […] Notre sympathie ne souffre pas ; nous sentons que notre esprit est un magicien involontaire, et que ses créations ne sont qu’apparence. […] Cette volubilité d’esprit, de mouvements, de langage, en fait un bouffon public et un farceur de bas étage. […] Que le savant n’aperçoive dans ce loup qu’un animal nuisible, le poëte, d’un esprit plus libre, y distinguera les autres traits. […] Il comprendra que ses vices lui viennent de sa maladresse, que faute d’esprit il est toujours affamé, et que le besoin se tourne en rage.

2102. (1864) William Shakespeare « Première partie — Livre IV. Shakespeare l’ancien »

Un roi a bêtement volé l’esprit humain. […] Or, un certain esprit bourgeois et moyen arriva avec Socrate. […] Cela tenait peut-être à ce qu’il avait de l’esprit. […] L’esprit de nation est la meilleure muraille. […] Gutenberg est comme le second père des créations de l’esprit.

2103. (1913) Les idées et les hommes. Première série pp. -368

Alfred Capus est, à notre époque, l’un des esprits les plus joliment français. […] — on remarque un fléchissement de l’esprit français. […] Je ne sais si nulle adolescence de l’esprit s’est élancée avec plus de fougue. […] Un autre esprit, nommé Rector, l’excusa : Hodgson était allé reprendre haleine. […] Il a l’esprit de géométrie ; mais il a l’esprit de finesse et il entre dans la complication subtile des cœurs et de la destinée.

2104. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre II. Le théâtre. » pp. 2-96

qu’y a-t-il de particulier dans la structure et l’état de leur esprit ? […] Ils manifestent mieux que les autres hommes l’esprit public, parce que l’esprit public est plus fort chez eux que chez les autres hommes. […] Que se passe-t-il dans cet esprit ? […] Si le génie poétique est moindre, la structure d’esprit n’a pas changé. […] Leur esprit ne chemine point par les routes aplanies et rectilignes de la rhétorique et de l’éloquence.

2105. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Les circonstances ont centuplé l’effet des productions de son esprit. […] C’est toujours, au fond, le secret esprit de rivalité avec l’empereur. […] Mon esprit se plie facilement à ce genre de travail : pourquoi pas ? […] En les peignant, il exprime encore une disposition de son esprit. […] Rabelais, Montaigne, ont trop d’esprit et de philosophie pour être vaniteux.

2106. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Son esprit avait de l’étendue. […] Mais il a aussi l’esprit de caricature. Il manque d’esprit chrétien, à moins que l’esprit chrétien ne consiste exclusivement à voir partout l’horreur du péché originel. […] Son esprit est compliqué, mais son cœur est tout neuf. […] Pallain est bien capable de mettre de l’esprit jusque dans les statistiques.

2107. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

Uniquement livré aux plaisirs, il était moins sensible à l’éclat du trône, qu’importuné des devoirs qu’il impose… Le connétable Arthus de Bretagne, comte de Richemont, Giac, Le Camus de Beaulieu, La Trémoille, le comte du Maine, gouvernèrent successivement l’esprit du roi. […] Rien de tout cela n’est sans doute bien essentiel à rapporter, mais ces particularités animent le chemin ; elles dessinent et fixent les événements dans l’esprit, et surtout la suppression constante et systématique qu’on en fait en toute rencontre a tous les inconvénients de la sécheresse. — Pourquoi cela ne plaît-il pas ? […] Louis XIV, tout à la fin de sa vie, s’était pris de goût et d’amitié pour une demoiselle de Chausseraye (ou de La Chausseraye), qui avait de l’esprit qu’elle cachait sous un air d’ingénuité. […] Parlant des insultes de nos côtes, de la descente des Anglais en Bretagne et du combat de Saint-Cast, où ils furent vaillamment rejetés à la mer (septembre 1758), Duclos, après avoir cité quelques actions glorieuses de cette journée toute bretonne et toute française, ajoute avec une vigueur d’ironie patriotique : « On vit dans cette occasion ce que peut la persuasion la plus légère d’avoir une patrie. » Dans cet examen rapide de Duclos historien, mon intention n’a pas été de diminuer l’idée qu’on doit avoir de son esprit, mais seulement de bien montrer à quoi s’est réduit son travail. […] Montesquieu, pendant la conception et l’effort de L’Esprit des lois, ne semblait encore qu’un homme de beaucoup d’esprit à la plupart de ses plus sérieux contemporains.

2108. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — I. » pp. 235-256

Il est jusqu’à un certain point le précurseur de De Maistre, mais dans un esprit et avec un souffle assez différent. […] Il fut six mois dans la magistrature, en qualité d’avocat du roi au siège présidial de Tours ; il en souffrait cruellement, et il nous a exprimé à nu ses angoisses : Dans le temps qu’il fut question de me faire entrer dans la magistrature, j’étais si affecté de l’opposition que cet état avait avec mon genre d’esprit, que de désespoir je fus deux fois tenté de m’ôter la vie. […] Saint-Martin y apporta un zèle pur et candide, aucun esprit de critique, la docilité de l’agneau ; il ne douta point de la réalité des opérations plus ou moins magnétiques dont il fut témoin. […] Cette vue en faveur de la jeunesse le menait à dire encore que, dans les relations de maître à élève, l’élève, quand il était bon, était celui des deux qui valait le mieux, surtout quand il n’avait pas eu le malheur de se gâter l’esprit par les systèmes. […] Je ne veux pas abuser avec Saint-Martin des pensées détachées, sachant qu’il a dit, de celles mêmes qu’il écrivait : « Les pensées détachées ne conviennent qu’aux esprits très faibles ou qu’aux esprits très forts ; mais, pour ceux qui sont entre ces extrêmes, il leur faut des ouvrages suivis qui les nourrissent, les échauffent et les éclairent tout à la fois. » Saint-Martin n’ayant écrit aucun ouvrage qu’un lecteur ordinaire puisse lire de suite, il faut bien en venir aux pensées et aux extraits avec lui pour en donner quelque idée au monde.

2109. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier. »

Nul esprit d’enfant et d’adolescent n’était plus préparé, on le voit, et plus prédestiné que le sien à prendre vivement la fièvre littéraire qui déjà courait et régnait au dehors. […] S’il est vrai que Théophile Gautier partagea ou eut l’air de partager quelques-uns des travers qu’il décrit, il était impossible de les railler avec plus de conscience, d’esprit et de finesse. […] je ne sais pas à quoi il ne croyait pas, tout esprit fort qu’il était : il est vrai qu’il ne croyait pas en Dieu ; mais, en revanche, il croyait en Jupiter, en M.  […] Dès ses premières années et au sein d’une éducation de famille calme et honnête, sous l’aile d’une bonne mère, il est arrivé à la corruption d’esprit la plus profonde, à la satiété et à la nausée avant le plaisir. […] Chez Musset, le mondain et plus que mondain, le débauché homme d’esprit, à la mode de 1832, a servi singulièrement le poète.

2110. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Il y a ici un accent, une note que ne donnent ni l’intérêt politique, ni la conviction personnelle, ni le simple esprit guerrier : il y a ici du sentiment qui mène Yvain à la fontaine merveilleuse. […] Ce meurtre, en un tel jour, en un tel lieu, cette audacieuse entreprise de la force brutale contre la sainteté du caractère ecclésiastique, firent sur les esprits une impression profonde. […] Il n’a pas les talents de son devancier : mais c’est un charmant esprit, franc, ouvert, primesautier, un esprit de la famille de La Fontaine et de Montaigne. […] Le temps avait un peu brouillé dans son esprit la chronologie : et le dessin des opérations militaires lui apparaît un peu confusément. […] Son originalité, sa caractéristique, c’est une curiosité toujours éveillée, toujours active, d’autant qu’à son esprit vierge de toute science solide et positive, tout est nouveau.

2111. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Cette réaction, pour être vraie, fut, je crois, davantage dans la forme que dans l’esprit. […] Ils eurent dans l’esprit de la sagesse, de la fermeté et de l’ordre. […] Peu d’esprits plus singulièrement doubles que le sien. […] Ce ne fut plus une tentative isolée d’esprits mécontents du passé, ce fut la réunion, pour l’œuvre commune, des talents les plus divers. […] Une nouvelle génération, qui vient, rêve à son tour un art à sa convenance et à l’empreinte de son esprit.

2112. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Correspondance entre Mirabeau et le comte de La Marck (1789-1791), recueillie, mise en ordre et publiée par M. Ad. de Bacourt, ancien ambassadeur. » pp. 97-120

Malouet : J’ai désiré, lui avait-il dit, une explication avec vous, parce qu’au travers de votre modération je vous reconnais ami de la liberté, et je suis peut-être plus effrayé que vous de la fermentation que je vois dans les esprits et des malheurs qui peuvent en résulter. […] Ici, en dégageant les relations de Mirabeau avec La Fayette de tout ce qui est secondaire et trop personnel et de quelques mauvaises paroles, en ne les prenant que dans leur ensemble et leur but, et dans leur véritable esprit, il nous est impossible, et nous croyons qu’il sera impossible à tout lecteur impartial, de ne pas arriver à un résultat des plus fâcheux pour l’illustre général et pour sa renommée historique définitive. […] Dans ses Mémoires, où l’homme d’esprit, l’homme de tenue et de bon ton a recouvert les fautes du personnage politique, il est convenu lui-même de quelques-uns de ces torts : « La Fayette, dit-il, eut des torts avec Mirabeau, dont l’immoralité le choquait ; quelque plaisir qu’il trouvât à sa conversation, et malgré beaucoup d’admiration pour de sublimes talents, il ne pouvait s’empêcher de lui témoigner une mésestime qui le blessait. » Il est bon que ceux qui mettent la main aux affaires publiques et aux choses qui concernent le salut des peuples le sachent bien, les hommes en face de qui ils se rencontrent, et qui souvent sont le plus faits pour être pris en considération, ne sont pas précisément des vierges, et il n’est pas de plus grande étroitesse d’esprit que de l’être soi-même à leur égard plus qu’il ne convient. […] M. de Bacourt, chargé, par la dernière volonté du prince d’Arenberg, du soin délicat de cette publication, s’en est acquitté en esprit élevé et simple, qui comprend, explique, ordonne toute chose, qui met en lumière de tout point le précieux dépôt dont il est chargé, et qui a la modestie de s’effacer devant les personnages principaux dont il éclaire et fait valoir les figures. […] Les leçons lumineuses en jaillissent de toutes parts ; mais, pour les bien prendre, pour les appliquer dans des circonstances à la fois analogues et différentes, il faut sans doute quelque chose de l’esprit même qui les a dictées.

2113. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

Dépendant du monde, des salons et même des libraires, il lui aurait fallu un grand art, un esprit d’adresse et de conciliation pour s’élever insensiblement au degré d’autorité où il aspirait, et il n’avait pour lui qu’une grande âpreté et rigueur de caractère : Impiger, iracundus, inexorabilis, acer, a-t-on dit de lui comme d’Achille. […] Le 18 Fructidor, en le frappant et en l’obligeant de se cacher à la campagne, le rendit pour quelque temps au calme et à une meilleure santé du corps et de l’esprit. […] J’en dirai ce que j’ai dit des vers de Gilbert et de Le Brun contre La Harpe : il est fâcheux à lui d’y avoir prêté, et jamais un grand critique ni un esprit judicieux du premier ordre ne s’arrangera de telle sorte d’avoir ainsi les rieurs, gens d’esprit, contre soi. […] Nous étions à table chez un de nos confrères à l’Académie, grand seigneur et homme d’esprit. […] Appliquez cette règle au Génie du christianisme, et vous verrez qu’il résiste. » L’esprit de parti, chez La Harpe, ne nuisait pas à cette équité finale.

2114. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

La discipline du collège a incliné les esprits à ne considérer que les idées les plus générales ; l’abstrait domine la vie. […] De tels esprits sont assez souvent inaptes à traduire exactement une langue en une autre ; ils perçoivent une image et la transposent par des phrases, au lieu de calquer directement la phrase sur la phrase : ils le sont plus souvent encore à répéter textuellement des mots ; la mémoire littérale accompagne rarement la mémoire visuelle. […] L’effort, même d’un pauvre d’esprit, à dire ingénuement son âme inachevée, est touchant comme la lutte d’un brin d’herbe contre une pierre ; la pierre est parfois vaincue. […] Mais que de génie pour les disposer, ces lumières que tous les jeux reconnaissent, guider les esprits vers une seule maison, étoiles ! […] Le nombre des combinaisons possibles (il y a peut-être cent mille clichés dans Goyer-Linguet) touche à l’infini dans l’absolu ; elles sont toutes mauvaises, et le jeu est dangereux qui habitue l’esprit à recevoir, sans travail et sans lutte, la becquée.

2115. (1782) Plan d’une université pour le gouvernement de Russie ou d’une éducation publique dans toutes les sciences « Plan d’une université, pour, le gouvernement de Russie, ou, d’une éducation publique dans toutes les sciences — Plan, d’une université, pour, le gouvernement de Russie » pp. 433-452

Mais des lois propres à la généralité des esprits ne peuvent être des lois particulières ; utiles au grand nombre, il faut nécessairement que quelques individus en soient lésés. […] La portée commune de l’esprit humain est la règle d’une éducation publique. […] Procéder de la chose facile à la chose difficile ; aller depuis le premier pas jusqu’au dernier, de ce qui est le plus utile à ce qui l’est moins, de ce qui est nécessaire à tous à ce qui ne l’est qu’à quelques-uns ; épargner le temps et la fatigue, ou proportionner l’enseignement à l’âge et les leçons à la capacité moyenne des esprits. […] L’écrivain se laissera conduire par le fil naturel qui enchaîne toutes les vérités, qui les lie dans son esprit et les amène sous sa plume ; mais sa méthode ne peut convenir à un enseignement public. […] Je suppose que son esprit n’est pas assez avancé, et que la porte de l’université ne lui sera pas encore ouverte, s’il n’est pas en état de saisir les premiers principes de l’arithmétique, de toutes les sciences la plus utile et la plus aisée.

2116. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « V. M. Amédée Thierry » pp. 111-139

Il est des esprits qui ne vont qu’à la moitié des choses : mais, disons-le lui, si le progrès existe encore dans la puissance de son esprit, il est dans l’abandon de cette conception historique qui n’est pas le rationalisme, mais qui y touche ; qui lui laisse ses négations, il est vrai, mais qui lui prend la platitude de sa couleur et la maigreur de son dessin, et fait de l’histoire une nabote, — une naine qui n’est pas une fée ! […] Amédée Thierry tient probablement aux bornes de son esprit, — à ces bornes qui sont toujours la fatalité de l’intelligence. […] Mais, quoique en se fermant, l’œil de son esprit ait vu probablement l’aurore du jour qui lui avait, toute sa vie, manqué, ses œuvres et son talent portèrent la peine de cette indigence. […] C’est par cette expression, nécessaire à tout ce qui va d’un esprit à un autre et qui doit y pénétrer et s’y asseoir ! […] Tout se compare dans la vie, et l’esprit est souvent pipé par les comparaisons.

2117. (1874) Premiers lundis. Tome II « Adam Mickiewicz. Le Livre des pèlerins polonais. »

Pour le lire convenablement, et se pénétrer de l’esprit qui y respire, il convient de dépouiller bien des idées familières aux libéraux et aux républicains rationalistes, comme nous le sommes. […] Il craint pour eux l’exemple des peuples charnels que l’intérêt et le bien-être énervent ; il craint l’affaiblissement à la longue de cet esprit d’héroïsme et de sacrifice qu’il décerne, trop exclusivement selon nous, mais par une partialité devant laquelle nous nous inclinons, à sa Pologne toujours vivante et immolée. […] Mickiewicz nous a semblé, le dirons-nous, un peu injuste, un peu abusé par l’analogie poétique qui lui a fait considérer jusqu’au bout sa nation comme une sorte de peuple juif, unique, privilégié, doué entre tous de l’esprit de sacrifice, et du sein duquel la liberté, comme un autre messie, doit sortir. […] Vous avez combattu à Grochow ou à Ostrolenka, et les derniers de nous, abusés qu’ils étaient, et, certes, remplis de l’esprit de sacrifice, mouraient, il y a un an, à Saint-Merry.

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