Cet idéal était patriotique et chrétien tout ensemble : un jour, dans un entretien dont les termes ont été recueillis par ses pieuses élèves, et après leur avoir parlé de tout ce qu’il y avait eu de peu médité et de non prévu dans sa grande fortune à la Cour, elle a dit avec un élan et un feu qu’on n’attendrait pas de sa part, mais qu’elle avait dès qu’elle en venait au sujet chéri : Il en est de cela comme de Saint-Cyr, qui est devenu insensiblement ce que vous le voyez aujourd’hui. […] Ce que vous sentez là-dessus est encore matière de sacrifice ; il faut, que votre esprit devienne aussi simple que votre cœur… Employez votre esprit non à multiplier vos dégoûts, mais à les vaincre, mais à les cacher en attendant qu’ils soient vaincus, mais à vous faire aimer les plaisirs de votre état. […] » Une haute idée, c’est que les Dames de Saint-Louis étant destinées à élever des demoiselles qui deviendront mères de famille et auront part à la bonne éducation des enfants, elles ont entre leurs mains une portion de l’avenir de la religion et de la France : « Il y a donc dans l’œuvre de Saint-Louis, si elle est bien faite et avec l’esprit d’une vraie foi et d’un véritable amour de Dieu, de quoi renouveler dans tout le royaume la perfection du christianisme. » La fondatrice leur rappelle expressément qu’étant à la porte de Versailles comme elles sont, il n’y a pas de milieu pour elles à être un établissement très régulier ou très scandaleux : « Rendez vos parloirs inaccessibles à toutes visites superflues… Ne craignez point d’être un peu sauvages, mais ne soyez pas fières. » Elle leur conseille une humilité plus absolue qu’elle ne l’obtiendra : « Rejetez le nom de Dames, prenez plaisir à vous appeler les Filles de Saint-Louis. » Elle insiste particulièrement sur cette vertu d’humilité qui sera toujours le côté faible de l’institut : « Vous ne vous conserverez que par l’humilité ; il faut expier tout ce qu’il y a eu de grandeur humaine dans votre fondation. » Quoi qu’il en soit des légères imperfections dont l’institut ne sut point se garantir, il persista jusqu’à la fin dans les lignes essentielles, et on reconnaîtra que c’était quelque chose de respectable en l’auteur de Saint-Cyr que de bâtir avec constance sur ces fondements, en vue du xviiie siècle déjà pressé de naître, et dans un temps où Bayle écrivait de Rotterdam à propos de je ne sais quel livre : On fait, tant dans ce livre que dans plusieurs autres qui nous viennent de France, une étrange peinture des femmes de Paris. Elles sont devenues, diton, grandes buveuses d’eau-de-vie et grandes preneuses de tabac, sans compter les autres excès dont on les accuse, comme tyrannie sur leurs maris, orgueil, coquetterie, médisance, impudicité, etc. […] Pendant son agonie, elle devint beaucoup plus belle qu’elle n’avait été dans le temps de sa meilleure santé ; mais c’était une beauté toute céleste qui inspirait de la dévotion, et nous la regardâmes mourir avec ravissement… La langue de Saint-Cyr forme une nuance à part dans celle du siècle de Louis XIV ; Mme de Caylus en est la fleur mondaine ; on sent qu’Esther y a passé, et Fénelon également.
Excité par ces merveilles, il s’ennuya de la vie de bureau, entra comme maréchal des logis dans un régiment de dragons, et y devint sous-lieutenant : il donna sa démission deux ans après, lors de la paix d’Amiens. […] C’est Montaigne, je crois, qui a dit : « Les hommes se font pires qu’ils ne peuvent. » Beyle, ce sceptique, ce frondeur redouté, était sensible : « Ma sensibilité est devenue trop vive, écrivait-il deux ans avant sa mort ; ce qui ne fait qu’effleurer les autres me blesse jusqu’au sang. […] Selon la définition qu’il en donne, un auteur romantique n’est autre qu’un auteur qui est essentiellement actuel et vivant, qui se conforme à ce que la société exige à son heure ; le même auteur ne devient classique qu’à la seconde ou à la troisième génération, quand il y a déjà des parties mortes en lui. Ainsi, d’après cette vue, Sophocle, Euripide, Corneille et Racine, tous les grands écrivains, en leur temps, auraient été aussi romantiques que Shakespeare l’était à l’heure où il parut : ce n’est que depuis qu’on a prétendu régler sur leur patron les productions dramatiques nouvelles, qu’ils seraient devenus classiques, ou plutôt « ce sont les gens qui les copient au lieu d’ouvrir les yeux et d’imiter la nature, qui sont classiques en réalité ». […] Il est probable que Beyle y aura songé en prenant le nom sous lequel il devint un guide de l’art en Italie.
Elle eut un salon d’un caractère particulier, sérieux, ingénieux, extrêmement artificiel d’aspect, et qui, entre les divers salons de l’aristocratie européennes distinguait par une teinte théologique prononcée ; et si l’on m’avait dit, il y a trente ans, lorsque j’entendis parler d’elle pour la première fois, que ce salon deviendrait un jour un sujet d’entretien public, que tous les journaux de Paris en raffoleraient, que tous les critiques parisiens y rendraient hommage en tâchant de se monter au ton des initiés, je ne l’aurais jamais cru. Il fallut que bien des révolutions s’accomplissent pour que ce miracle devînt possible ; mais, par cela même qu’il dura, le salon de Mme Swetchine se renouvela souvent, et, dans les dix ou douze dernières années notamment, il fît d’intéressantes recrues, il acquit un certain nombre de jeunes amis et de fidèles qui avaient du mouvement, du liant, beaucoup d’entregent, le goût de la publicité, le talent de l’oraison funèbre, et qui lui ont fait sa réputation posthume. […] L’épouse elle-même ne put les ignorer, mais elle leur imposa silence, et lorsque le jeune Strogonof se fut résigné à un autre mariage, Mme Swetchine devint l’amie la plus sûre et la plus fidèle de sa femme. » S’il est vrai qu’il y eut une lutte dans le cœur de la jeune fille, et un sacrifice pénible à consommer pour obéir à la décision de son père, si cet amer mécompte, ce renoncement au bonheur dans le mariage, en flétrissant du premier jour l’avenir, la jeta par volonté et de parti pris dans les voies austères du devoir et de la résignation en Dieu, il est impossible d’en rien découvrir dans ce passage du livre de M. de Falloux. […] Stendhal dirait dans une de ses explications à l’italienne : Ce que c’est pourtant qued’avoir de l’âme et des entrailles, et de n’avoir ni amant, ni enfant — Elle a tout analysé, tout scruté (au moins elle le croit) ; ignorante des lois naturelles positives et des méthodes d’observation autant qu’avide et curieuse de tous les mirages de la réflexion morale et des mille explications ingénieuses à la saint Bernard et à la saint Augustin, elle est devenue une femme docteur en matière de sentiment et de spiritualité, de même qu’elle sera bientôt un docteur aussi en matière de conciles œcuméniques : « … Quand vous me dites : Avez-vous éprouvé cela ? […] Les premiers mots qu’elle vous disait, et par lesquels elle croyait vous honorer, concernaient votre croyance et l’état de votre âme : elle essayait d’un premier grapin à jeter sur vous. — « Quand on a fait Volupté, me dit-elle la première fois que je la vis, on a une responsabilité. » Je m’inclinai en silence. — J’ai beaucoup vu, dans un voyage qu’elle fit à Paris, cette charmante Roxandre, cette amie de jeunesse de Mme Swetchine et qui était devenue la comtesse Edling : elle s’est plainte à moi bien souvent (j’en demande bien pardon à ceux qui ont écrit le contraire) d’un certain fonds de froideur ou de réserve qu’elle rencontrait désormais dans son ancienne amie et qu’elle attribuait à la différence de communion.
Par l’adjonction d’un emblème, un fait de nature ou un symbole se change en allégorie, puisqu’il devient la représentation explicite d’une idée, grâce au sens conventionnel de l’emblème. […] Il devient allégoriste s’il se borne à juxtaposer des formes à l’idée d’abord déduite, s’il leur fait exprimer explicitement cette idée ou s’il a recours à des formes sans lien direct avec les formes primitives d’où jaillissait l’idée. […] Alors la peinture se fait superficielle et sans saveur, la sculpture incohérente ou glacée ; la musique, devenue descriptive, n’est plus de la musique, la littérature disparaît en phrases incolores ou déclamatoires. […] La parabole du grain de sénevé est un symbole dans l’Évangile ; mais, telle que le catéchisme nous l’enseigne, à savoir : « le grain de la pensée divine germera dans le cœur des hommes et l’on en verra grandir l’arbre immense de l’Église universelle dont les rameaux couvriront toute la terre », — elle devient une allégorie. […] Le leit-motiv devient un emblème, et rien de plus, s’il ne trouve dans l’orchestique sa raison d’être.
Le général Dupont, l’un des plus brillants officiers de la grande armée, le même qui, dans la campagne de 1805, à Haslach, animé d’une inspiration digne d’un vrai capitaine, avait su défaire 25 000 Autrichiens avec 6 000 hommes, et que Napoléon destinait à devenir un de ses prochains maréchaux ; Dupont, lancé en flèche dans l’Andalousie révoltée, est bientôt obligé de se rabattre et de songer à une retraite. […] Ceux-là, si leur position devenait mauvaise un moment, on avait le temps d’accourir à leur aide et de les sauver ! […] Il citait Dupont qui, durement puni pour son malheur à Baylen, devient ministre en 1814, et alors bien véritablement coupable, et qui se venge. […] Le soldat anglais, bien nourri, bien dressé, tirant avec une remarquable justesse, cheminant lentement parce qu’il est peu formé à la marche et qu’il manque d’ardeur propre, est solide, presque invincible dans certaines positions où la nature des lieux seconde son caractère résistant, mais devient faible si on le force à marcher, à attaquer, à vaincre de ces difficultés qu’on ne surmonte qu’avec de la vivacité, de l’audace et de l’enthousiasme. […] Tout lecteur attentif devient un moment le prince Berthier.
Le plus grand plaisir de Saint-Évremond, celui qu’il goûtait le plus délicieusement dès sa jeunesse, dans l’âge des passions, et qui lui devint plus cher chaque jour en vieillissant, était celui de la conversation : « Quelque plaisir que je prenne à la lecture, disait-il, celui de la conversation me sera toujours le plus sensible. […] On entrevoit assez tout ce code de morale, qui est beaucoup moins nouveau aujourd’hui, et qui est même devenu un lieu commun assez vulgaire. […] Elle eut de la sorte pour amis tout ce qu’il y avait de plus trié et de plus élevé à la Cour, tellement qu’il devint à la mode d’être reçu chez elle, et qu’on avait raison de le désirer par les liaisons qui s’y formaient. […] » est devenu un proverbe. […] C’était juste le moment où Ninon, cessant d’être la Ninon de la Fronde, de la régence et de sa première légèreté, devenait Mlle de Lenclos et passait au personnage qu’elle a de plus en plus perfectionné et soutenu jusqu’à la fin de sa vie.
Tous les anciens amis de la reine sont revenus après une disgrâce plus ou moins longue : chacun d’eux compte sur la même faveur qu’autrefois, et ils ne s’aperçoivent pas d’abord que cette reine, qu’ils avaient laissée opprimée par Richelieu, sans enfants et encore Espagnole de cœur, est devenue mère, toute aux intérêts du jeune roi, et une reine toute française. […] Il y avait dans son visage quelque chose de si agréable, qu’elle se faisait aimer de tout le monde ; mais elle était maigre et petite : elle avait même la taille gâtée ; et sa bouche, qui naturellement n’était pas belle, par la maigreur de son visage était devenue grande. […] Cette comédie italienne, représentée chez le cardinal, excita l’enthousiasme de quelques courtisans tels que le maréchal de Grammont ou le duc de Mortemart qui paraissait enchanté au seul nom des moindres acteurs ; « et tous ensemble, afin de plaire au ministre, faisaient de si fortes exagérations quand ils en parlaient, qu’elle devint enfin ennuyeuse aux personnes modérées dans les paroles ». […] Mme de Sénecé, que le cardinal avait jusque-là maltraitée et qui faisait la haute, est choisie par lui pour garder ses nièces lorsqu’elles arrivent d’Italie, et la voilà tournée en un jour : Tel paraît vaillant contre le favori qui, au moindre adoucissement de sa part, devient poltron ; et d’ordinaire cette hauteur se termine à une véritable bassesse que la rage d’en avoir été méprisé lui a fait colorer de générosité, de vertu et d’amour du bien public. […] Ses Mémoires deviennent plus sérieux et prennent un caractère historique plus élevé à mesure qu’on avance dans le mouvement des agitations civiles et dans les troubles de la Fronde.
Au commencement de la Révolution, il était devenu imprimeur ; il imprimait la Chronique de Paris, rédigée par Condorcet et autres de ce bord, et il y glissait au besoin quelques petits articles. […] Il signale, à cette date, l’absence de toute règle et de toute direction dans les écoles du gouvernement : « En ne considérant que les résultats, on trouverait que le gouvernement paye aujourd’hui pour que l’on instruise des hommes qui deviendront de plus en plus difficiles à gouverner. » Toutes ces idées de M. […] Cette qualité de correspondant de l’Empereur devient un peu une prétention et une profession. Enfin, au lieu de sa liberté des premières années, l’auteur se classe dans la hiérarchie ; il devient maître des requêtes, préfet. […] On regrette que le Premier consul auquel il avait eu le mérite de s’adresser avec tant de bon sens, et qui lui faisait l’honneur de l’écouter, devienne alors, sous sa plume presque injurieuse, Buonaparte au lieu de Bonaparte.
Ces suicides des Caton, des Brutus, lui inspirent des réflexions où il entre peut-être quelque idolâtrie classique et quelque prestige : « Il est certain, s’écrie-t-il, que les hommes sont devenus moins libres, moins courageux, moins portés aux grandes entreprises qu’ils n’étaient lorsque, par cette puissance qu’on prenait sur soi-même, on pouvait, à tous les instants, échapper à toute autre puissance. » Il le redira jusque dans L’Esprit des lois, à propos de ce qu’on appelait vertu chez les anciens : « Lorsqu’elle y était dans sa force, on y faisait des choses que nous ne voyons plus aujourd’hui, et qui étonnent nos petites âmes. » Montesquieu a deviné bien des choses antiques ou modernes, et de celles même qu’il avait le moins vues de son temps, soit pour les gouvernements libres, soit pour les guerres civiles, soit pour les gouvernements d’empire ; on ferait un extrait piquant de ces sortes de prédictions ou d’allusions prises de ses œuvres. […] Il y a autant d’esprit que de connaissances pratiques. » Ce dernier point est devenu douteux pour nous : « Il n’y a aucun livre, a dit au contraire un critique anglais moderne, qu’on puisse citer comme ayant autant fait pour la race humaine dans le temps où il parut, et duquel un lecteur de nos jours puisse tirer si peu d’idées positives applicables. » Mais c’est là la destinée de presque tout ouvrage qui a fait marcher l’esprit humain. […] Il disait un jour à Suard jeune et à d’autres qui l’écoutaient : « Je suis fini, moi ; j’ai brûlé toutes mes cartouches ; toutes mes bougies sont éteintes. » — Il écrivait vers le même temps cette pensée d’une mélancolie haute et sereine : J’avais conçu le dessein de donner plus d’étendue et de profondeur à quelques endroits de mon Esprit, j’en suis devenu incapable ; mes lectures m’ont affaibli les yeux, et il me semble que ce qui me reste encore de lumière n’est que l’aurore du jour où ils se fermeront pour jamais. […] Montesquieu, dans le monde, ne se laissait pas aller aux coteries qui devenaient impérieuses ; on a retenu sur lui les jugements de Mme Geoffrin et de la duchesse de Chaulnes, c’est-à-dire de deux femmes qui aimaient assez à tirer parti de ceux qu’elles voyaient et à en jouer à leur gré. […] Il avait la bonhomie de croire qu’il avait négligé de faire la fortune de son nom et l’illustration de sa maison : « J’avoue, disait-il, que j’ai trop de vanité pour souhaiter que mes enfants fassent un jour une grande fortune ; ce ne serait qu’à force de raison qu’ils pourraient soutenir l’idée de moi ; ils auraient besoin de toute leur vertu pour m’avouer. » Ainsi il croyait, par exemple, que si l’un de ses enfants devenait ministre, chancelier, ou quelque chose de tel, ce serait un embarras à un personnage si considérable que d’avoir un père ou un aïeul comme lui qui n’aurait fait que des livres, Ceci même est un excès de modestie ou un reste de préjugé qu’on a peine à comprendre.
Et cette méthode, que je n’adoptai pas d’abord sans faire quelque violence à mon inclination naturelle, me devint à la longue aisée et si habituelle que, peut-être, depuis ces cinquante dernières années, personne n’a jamais entendu une expression dogmatique échapper de ma bouche. […] Au sortir de l’imprimerie de son frère, ne pouvant trouver d’ouvrage à Boston, il part pour New York, et de là pour Philadelphie, qui va devenir sa patrie d’adoption. […] Il ne contribua pas seulement à fonder par souscription la première bibliothèque commune, la première société académique (qui deviendra l’université de Philadelphie), le premier hôpital ; il leur apprenait à se chauffer au logis par des poêles économiques, à paver leurs rues, à les balayer chaque matin, à les éclairer de nuit par des réverbères de forme commode. Ce qu’il n’invente pas directement, il le perfectionne, et l’idée, en passant par lui, devient à l’instant plus ingénieuse et plus simple. […] La prochaine fois que nous nous rencontrâmes à la Chambre, il me parla (ce qu’il n’avait jamais fait auparavant), et avec beaucoup de civilité ; et il témoigna toujours depuis un empressement à me servir en toute occasion, si bien que nous devînmes grands amis, et que notre amitié dura jusqu’à sa mort.
L’estime dura toujours, mais sa bienveillance diminua entièrement, premièrement parce qu’il me trouva avec des contradictions qu’il n’attendait pas ; secondement parce qu’il remarquait que la confiance de la reine penchait toute de mon côté… Quel était l’état du royaume au moment où Richelieu, âgé de trente et un ans, y devint pour la première fois ministre ? […] Revenue à Paris avec le jeune roi, elle se voit obligée de partager l’autorité avec le prince de Condé ; l’hôtel de ce dernier est assiégé de la foule des courtisans et devient le vrai Louvre ; l’autre Louvre n’était plus qu’une solitude. […] Elle choisit pour cette exécution Thémines, dont Henri IV lui avait dit « qu’il était homme à ne reconnaître jamais que le caractère de la royauté », et à n’obéir qu’à elle : qualité qui devenait si rare ! […] Cette mission lui convenait fort ; mais les propositions de la reine qui lui vinrent par le maréchal d’Ancre l’emportèrent : « Outre qu’il ne m’était pas honnêtement permis, dit-il, de délibérer en cette occasion, où la volonté d’une puissance supérieure me paraissait absolue, j’avoue qu’il y a peu de jeunes gens qui puissent refuser l’éclat d’une charge qui promet faveur et emploi tout ensemble. » En entrant au Conseil, il y devient du premier jour le personnage important ; il a, comme nous dirions, le portefeuille de la Guerre et celui des Affaires étrangères, de plus, la préséance sur ses collègues comme évêque ; et tout cela à trente et un ans. […] Aussi y eut-il un si merveilleux effet de bénédiction de Dieu envers elle, que, par un subit changement, tous ceux qui assistèrent au triste spectacle de sa mort devinrent tout autres hommes, noyèrent leurs yeux de larmes de pitié de cette désolée… Je supprime quelques traits de mauvais goût ; et il finit par remarquer que ce qu’il en dit n’est point par l’effet d’aucune partialité, que c’est la vérité seule qui l’oblige à parler ainsi, « vu qu’il n’y a personne si odieuse qui, finissant ses jours en public avec résolution et modestie, ne change la haine en pitié, et ne tire des larmes de ceux mêmes qui, auparavant, eussent désiré voir répandre son sang ».
Nous la conservons cependant et elle nous paraît, à l’exemple de toutes les bonnes définitions, exprimer avec précision, non pas tel état de l’œuvre d’art, mais son devenir, le sens dans lequel elle se développe, et le but dont approchent le plus les plus hautes2. […] Nous rechercherons plus tard si ces émotions, inefficaces sur le moment, ne deviennent pas, dans la suite, des motifs de conduite, en d’autres termes, si le genre de lectures ne modifie pas le caractère ; on pourra examiner encore si l’habitude de ces émotions sans aboutissement, quelle qu’en soit la nature, n’entraîne pas certaines conséquences morales. […] Or, nous avons vu que l’émotion esthétique est une forme inactive de l’émotion ordinaire, et que chacune de ces dernières peut tour à tour devenir esthétique, et résulter, avec quelque modification, de la vue ou de l’audition d’une œuvre d’art. […] L’art est la création en nos cœurs d’une puissante vie sans acte et sans douleur ; le beau est le caractère subjectif, déterminant choix, par lequel, pour une personne donnée, les représentations sont ainsi innocentes et exaltantes ; l’art et le beau deviendraient donc des mots vides de sens si l’homme était pleinement heureux et pouvait se passer de l’illusion du bonheur, comme on cesserait alors d’y tendre douloureusement, vainement, par la religion, la morale et la science. […] Charles Féré (1852-1907), médecin, élève à Rouen du chirurgien Achille Flaubert, devint en 1881 le secrétaire de Charcot à la Salpêtrière, puis directeur en 1887 de l’hôpital Bicêtre.
Shakespeare — Sa vie I Il y a une douzaine d’années, dans une île voisine des côtes de France, une maison, d’aspect mélancolique en toute saison, devenait particulièrement sombre à cause de l’hiver qui commençait. […] On a beaucoup ri de cette mise en scène de clair de lune, devenue fameuse par le Songe d’une nuit d’été, sans se douter que c’est là une sinistre indication de Dante. […] De gardeur de chevaux il devint pasteur d’hommes. […] Puis de comparse il devint comédien, grâce à Burbage auquel, plus tard, dans un interligne de son testament, il légua trente-six schellings pour avoir un anneau d’or. […] Il était devenu chef de sa troupe de comédiens.
Si l’impression devient trop angoissante, un conte égrillard, une fable satirique dissipent la terreur qui commence à peser sur l’auditoire. Il semble même que ce décor de demi-obscurité soit devenu indispensable pour le conteur. […] Le couard devenu brave. […] Parmi ceux du présent recueil je citerai tant comme romanesques qu’anecdotiques : Bala et Kounandi — La Mauresque — Les inséparables — Le couard devenu brave — Les deux intimes. […] Ainsi le lièvre dont les Indo-Européens ont fait le symbole de l’inquiétude toujours en éveil27 devient chez les noirs l’animal avisé, détenteur de ce sac à malices dont nous avons fait, nous, la propriété de compère le renard.
Renan dit et répète à satiété que la critique historique est toute dans les nuances, qu’elle n’est pas ailleurs ; mais avec les procédés de sa méthode, les nuances finissent par devenir si fines, qu’elles cessent d’exister et que bientôt on ne les voit plus. […] Seulement les Anglais nous rendirent le salut et allaient devenir des héros, tandis que M. […] Shakespeare, avec son ironie charmante, appelle quelque part les laquais : « Messieurs les chevaliers de l’arc-en-ciel. » Avait-il deviné les laquais de la philosophie du mythe, de la contradiction et du devenir, ces nuées coloriées et que le premier vent de bon sens, s’il vient à souffler, emportera ? […] Renan devint hégélien. […] Ernest Renan devint philologue.
Certes, ce sont surtout des demi-savants qui condamnent, « au nom de la Science », des recherches telles que les vôtres : des physiciens, des chimistes, des physiologistes, des médecins font partie de votre Société, et nombreux sont devenus les hommes de science qui, sans figurer parmi vous, s’intéressent à vos études. […] Elle vise essentiellement à mesurer ; et là où le calcul n’est pas encore applicable, lorsqu’elle doit se borner à décrire l’objet ou à l’analyser, elle s’arrange pour n’envisager que le côté capable de devenir plus tard accessible à la mesure. […] Une conscience qui ne serait qu’un duplicatum, et qui n’agirait pas, aurait depuis longtemps disparu de l’univers, à supposer qu’elle y eût jamais surgi : ne voyons-nous pas que nos actions deviennent inconscientes dans la mesure où l’habitude les rend machinales ? […] Je ne puis entrer ici dans le détail d’une démonstration que j’ai tentée autrefois : qu’il me suffise de rappeler que tout devient obscur, et même incompréhensible, si l’on considère les centres cérébraux comme des organes capables de transformer en états conscients des ébranlements matériels, que tout s’éclaircit au contraire si l’on voit simplement dans ces centres (et dans les dispositifs sensoriels auxquels ils sont liés) des instruments de sélection chargés de choisir, dans le champ immense de nos perceptions virtuelles, celles qui devront s’actualiser. […] Mais si les faits, étudiés indépendamment de tout système, nous amènent au contraire à considérer la vie mentale comme beaucoup plus vaste que la vie cérébrale, la survivance devient si probable que l’obligation de la prouve incombera à celui qui la nie, bien plutôt qu’à celui qui l’affirme ; car, ainsi que je le disais ailleurs, « l’unique raison de croire à l’anéantissement de la conscience après la mort est qu’on voit le corps se désorganiser, et cette raison n’a plus de valeur si l’indépendance de la presque totalité de la conscience à l’égard du corps est, elle aussi, un fait que l’on constate ».
Il y avait là, en Italie et jusqu’à deux pas de Rome, comme un frère aîné demeuré rustique et manant, tandis qu’un frère cadet était devenu citadin, avocat, consulaire, et se piquait d’urbanité et d’élégance. […] Deux siècles plus tard, les Arabes ayant conquis la Septimanie, et Narbonne étant devenu le siège de leur puissance, il s’y introduisit encore une langue nouvelle. […] Fauriel, qui aurait pu le devenir, s’il n’avait été de ceux qui ajournent trop l’exécution de ce qu’ils projettent et de ce qu’ils savent à fond depuis longtemps, de ceux que possède le démon de la procrastination, comme disait Benjamin Constant. — M. […] L’École des Chartes, de laquelle sont sortis plus d’un de ceux que je viens de nommer, produisait de savants élèves qui, devenus maîtres à leur tour, ont porté dans ces questions de linguistique nationale un genre de critique bien essentielle pour contrebalancer les théories absolues des Allemands. […] Littré), on considère toutes les modifications qu’a subies la langue latine pour devenir langue romane comme un produit régulier de la loi de changement.
. — Cette vie devient de plus en plus agréable et absorbante. […] S’il change un peu, ce n’est que pour devenir plus sociable. […] Par cette détente universelle, la vie mondaine est devenue parfaite. « Qui n’a pas vécu avant 1789, disait plus tard M. de Talleyrand, ne connaît pas la douceur de vivre. » — Elle était trop grande, on n’en goûtait plus d’autre, elle prenait tout l’homme. […] Une soubrette n’a besoin que d’être entretenue pour devenir une dame. Un cordonnier est un « Monsieur en noir », qui dit à la mère en saluant la fille : « Madame, voilà une charmante demoiselle, et je sens mieux que jamais le prix de vos bontés » ; sur quoi la jeune fille, qui sort du couvent, le prend pour un épouseur et devient toute rouge. — Sans doute, entre ce louis de similor et un louis d’or pur, des yeux moins novices auraient démêlé la différence.
Ses enfants ici-bas, et Dieu au ciel avec l’ombre de sa femme comme rayonnement attractif autour de l’Être infini, étaient devenus sa seule pensée. […] Il m’invite à aller à Alby, je ne lui promets pas ; il faudrait sortir pour cela, et je deviens sédentaire. […] Dis, âme faible, chancelante, défaillante, que deviendrions-nous sans le secours divin ? […] Ces illusions étaient devenues des espérances. […] Nous ne savons pas ce qu’il serait devenu si Dieu l’avait laissé vivre jusqu’à pleine maturité d’esprit.
Cet art nouveau qui rend la vie en ce qu’elle est par essence une transition, un écoulement, une lente combustion aux mille figures de braises peu à peu cendrées, se manifeste avec une perfection encore inférieure dans le grand œuvre de Tolstoï, La Guerre et la Paix ; rien n’y est plus merveilleusement identique au réel que la croissante, la graduelle transformation des âmes, toujours pareilles à elles-mêmes, toujours nouvelles dans un devenir déployé pli à pli. […] Que ce soit une rougeur fébrile de Natacha, une parole douteuse d’Anna Karénine, une mine de dédain du prince André, ou le prince Nicolas frémissant et attendant l’occasion de lancer un régiment à la charge, le lecteur attiré, contraint et pénétrant se sent devenir peu à peu ces êtres et il est devant les mouvements de leurs esprits, comme face à face avec lui-même en ces instants où dans un sourire on sent et on découvre soudain tout le détail de sa nature, et comme elle est familière, unique, connue, surprenante et retorse. […] Tolstoï est devenu de romancier sectaire prosélytisant. […] Il fallait qu’en cette vie, dès ce moment, les hommes devinssent meilleurs et plus heureux, que cela fût facile, simple, instantané ; et le psychologue le plus génial de ce temps, celui dont la large âme a pénétré et recréé toute la multitude des types divers, qui a compris et fixé le plus véridiquement le plus large fragment du spectacle du monde, en est venu ces dernières années à élaborer un pauvre manuel de morale pratique ne contenant que quelques règles, mais telles que le plus religieux des hommes passerait pour fou à tenter de les accomplir, prônées cependant comme tout aisées, praticables sur l’heure, de nature à donner immédiatement le plein bonheur, et se résumant en ce précepte, de ne faire en aucune occasion de mal à qui que ce soit, même pour se défendre des méchants. […] Que l’on grandisse ces facultés au point où leur manifestation devient impérieuse, que l’on y accole les qualités d’élocution et d’arrangement juste nécessaires pour composer des œuvres littéraires de forme médiocre, que l’on fasse prédominer la connaissance, le rappel, l’imagination des personnes, sur celles des actes purs, des drames, des histoires, l’on aura énuméré les causes générales dernières des œuvres de Tolstoï, de leur contenu réaliste, de leur étendue, de leur valeur plus psychologique que dramatique, et la force de ces dons sera mesurée à la grandeur de leur manifestation, à la puissance d’illusion de l’œuvre à la sympathie, au saisissement, à l’attraction qui s’en dégagent.
On n’eut pas plutôt découvert la statue, qu’elle devint l’objet de l’admiration de tous les prétendus connoisseurs. […] La querelle s’échauffa tellement & devint si plaisante, qu’on en joua les auteurs sur plusieurs théâtres de Paris. […] En effet, que peut avoir à desirer le lecteur, après avoir vu l’implacable Junon appaisée, la mort de Turnus, Lavinie & l’empire du Latium, devenir le partage du héros ? […] Cependant si les mœurs sont attaquées dans un roman, l’auteur devient le dernier de tous les écrivains. […] La narration en est moins embarrassée : elle en devient plus naturelle, plus vive, plus intéressante, & le lecteur plus curieux, plus attentif, plus ému.
Ils avaient sauvé quelques troupeaux ; ils devinrent pasteurs en Arabie. En Chine, ils descendirent des montagnes à mesure que les eaux se retiraient des plaines ; ils creusèrent des canaux pour en faciliter l’écoulement ; ils défrichèrent ces marais et devinrent laboureurs. […] « Ne faudrait-il pas que la terre devienne déserte pour s’affliger de tes revers ? […] « Le goût du pain leur devient amer, et ils cessent de désirer leur nourriture. […] C’est par là que l’âme devient humaine, et, si j’ose le dire, sans qu’on se méprenne à mon expression matérielle, c’est-à-dire en contact par ses sensations avec la matière, si inférieure cependant à l’intelligence.
Un fameux pantomime, appelé Mnester, devient en même temps la passion de Messaline et de Poppée. […] Que deviendront les études, si l’on se condamne à la pauvreté en les cultivant ? […] Lorsqu’il cessa d’être l’instituteur du souverain, il en devint le ministre. […] Quel qu’il soit, le courtisan ne devient pas philosophe, non plus que le philosophe ne devient courtisan. […] Cette âme à qui la modicité suffisait, qu’est-elle devenue ?
Les peintures se ramassent et deviennent plus saisissantes. Le trait en devenant plus habile devient plus incisif. […] Sacha Guitry deviendrait jamais l’auteur à grands succès qu’on le voit aujourd’hui. […] Mais on sait quel déplaisant artifice est devenue la simplicité de M. […] Il sait par quel passage le précieux devient ridicule et par quel progrès le beau Brummel devient le Brummel de Caen : il le rend sensible.
Sa pénurie devint telle qu’il vendit sa maison de Rouen. […] Biœrnson devint positiviste, mais en gardant un tour d’esprit et des sentiments puritains. […] Le petit lieutenant est devenu l’empereur Napoléon et le gendre de l’empereur d’Autriche. […] L’hypocrisie de ce jeune scélérat est admirable, devient une chose artistiquement belle. […] Et c’est ici qu’Adèle devient sublime.
Conrard devint Cleodomas. […] Elle devint pour lui une Foi à servir, sans une concession, sans un compromis. […] Elle devenait pour lui purement expérimentale. […] — Cette faiblesse de jugement pouvait devenir un correctif de cette vanité exaspérée. […] Du roi Albert on pourrait dire que l’on devient plus honnête homme, rien qu’en pensant à lui.
Il est un peu bien sévère pour les honnêtes gens à qui la vie a mal tourné, qui ne sont pas devenus inspecteurs généraux de l’enseignement supérieur, ou qui, d’inspecteurs généraux ne deviennent pas assez vite sénateurs et ministres. […] Pour cette seule raison déjà, la moralité de son livre me deviendrait suspecte. […] que voulez-vous qu’elle devienne ? […] Par quelle suite de raisonnements captieux l’iniquité lui était-elle devenue justice ? […] Chacun fut vendu de son côté ; Regnard devint l’esclave d’un certain Achmet-Tale.
En vain ce despotisme, pressé par ses malheurs, a-t-il voulu s’enchaîner ; il s’arme de ses chaînes, et devient plus terrible encore. […] Chacun se trouva libre, parce que chacun fut offensé ; tout le monde devint citoyen, parce que tout le monde se trouva père. […] Elle a ses redoublements, et elle devient nécessairement contagieuse : car sitôt qu’un État augmente ce qu’il appelle ses troupes, les autres soudain augmentent les leurs, de façon qu’on ne gagne rien par là que la ruine commune. […] Il y en a bien où elle est établie ; mais elle accable plus que si elle n’y était pas, parce que le prince n’en levant ni plus ni moins, tout l’État devient solidaire. […] Les meilleures lois des Pyramides ou du Temple deviendraient les plus détestables axiomes appliqués au jour où nous sommes.
J’avais un cousin qui devint très amoureux d’une jeune fille du monde. […] Il y était recueilli, soigné… et devenait le mari de la jeune fille. […] Non, l’art dramatique ne deviendra pas tout à fait ce que j’ai prédit : « Quelquechose digne de prendre place entre des exercices de chiens savants et une exhibition de marionnettes à tirades », non, mais toutes les scènes de la capitale sont fatalement destinées à se transformer en des Édens, plus ou moins dissimulés. […] Un soir, un de nos jeunes amis, Scholl, devenu depuis le brillant journaliste de ce temps, se moquait aimablement du sérieux de nos travaux, de nos prétendues visées académiques, quand je l’interrompis en lui disant : — Eh bien ! […] Enfin, Dieu merci, nous ne fûmes pas joués, et nous dûmes peut-être à ce bienheureux refus de ne pas devenir des vaudevillistes à tout jamais.
Il dévorait des yeux celles qu’il ne pouvait manger de baisers : supplice de Tantale, à devenir fou. […] La croix de ma mère, les cheveux blancs de mon père, la voix du sang, devinrent dans la suite des ficelles dramatiques. […] Oscar devient fou, tue son ami, revient à la raison et se tue. […] Afin de comprendre ces phénomènes sociaux qui frappaient et détruisaient comme la foudre, les explications ordinaires devenaient insuffisantes ; les esprits terrorisés ne les attribuaient pas à des causes naturelles, mais à des causes mystérieuses, à des conspirations, à des complots ténébreux, à l’or de Pitt, du duc d’Orléans, à des causes tenant du miracle. […] « Quand nous devînmes enthousiastes de nos voisins, quand tout fut anglais en France, chiens, chevaux, jardins et livres, les Anglais, par leur instinct de haine contre nous, devinrent anti-Français ; plus nous nous approchions d’eux, plus ils s’éloignaient de nous.
Maintenant, ils ont amalgamé toutes leurs opinions et sont devenus fusionistes (un nouveau mot qu’ils mettront certainement dans leur Dictionnaire, car ce sont eux qui l’ont inventé). […] Les hommes forts qui avaient le droit d’être un et qui ont voulu devenir un quarantième ne paraissent même plus sous la coupole de l’Institut. […] Alors la forme est devenue tout pour elle, son premier et son dernier mot, son alpha et son oméga. […] Que devenait la Genèse en présence des démonstrations de Galilée, en présence des lois futures de Newton, de Kepler, de d’Alembert, de Laplace ? […] Ceux-là ont sagement quitté la palette, pour prendre la chambre noire, ils ont abandonné le vermillon et le brun de Madère pour l’azotate d’argent et l’hyposulfite de soude ; je n’y vois pas grand mal ; de mauvais peintres qu’ils étaient, ils sont devenus de bons photographes ; tout le monde y a gagné.
À force d’être curieux et soupçonneux, il y a des moments où Saint-Simon devient crédule : Restons dans les limites sévères de l’histoire. […] Son emploi étant donné un peu pour la forme et par complaisance au jeune M. de Barbezieux, le roi, qui se fait comme son tuteur et son garant, s’applique plus que jamais au travail ; il devient son propre ministre à lui-même : Vendredi 31 août (1691), à Marly. — Le roi se promena tout le matin dans ses jardins ; il travailla beaucoup l’après-dînée, comme il fait présentement tous les jours. […] Quelques passages rapprochés, et qui deviennent aussi fréquents chez Dangeau que l’étaient autrefois les articles des jeux et des divertissements, en diront plus que tout : Dimanche 6 janvier (1692), à Versailles. — Le soir il y eut appartement ; mais le roi n’y vient plus. […] Bignon avait fait établir pour la description des arts », celle qui est devenue l’Académie des inscriptions.
Théophile Gautier, devenu chef d’un démembrement et d’une subdivision importante de l’école de Hugo, est de ceux qui n’ont pas craint à l’origine de prendre justement pour point d’appui, dans le talent initiateur, ce qui semblait à d’autres un excès ou une limite. […] Il reconnaît avec nous que le public est devenu assez indifférent à la poésie, et il ne trouve pas que le public ait si tort : Le public, dit-il, n’est ni ingrat ni indifférent ; il veut qu’on l’amuse ou qu’on l’intéresse, il a raison. […] La préface de M. du Camp devient à cet endroit un champ de bataille ou plutôt une place d’exécution ; il prend corps à corps l’Académie française, il y établit des catégories, il promène sa liste d’amnistie ou de prescription sur la tête des quarante. […] Depuis quelques années les cieux semblent devenus d’airain.
Première question : Aucun des grands morceaux le plus souvent cités et devenus classiques de Mme de Sévigné (tels que le début de lettre sur le mariage de Mademoiselle, la lettre sur la douleur de Mme de Longueville et son entrevue avec Mlle de Vertus après la mort du comte de Saint-Paul, le récit de la mort de Vatel, etc.), aucun de ces endroits saillants se trouve-t-il atteint et renversé dans la nouvelle édition ? […] Seconde question : Aucun morceau digne de prendre place à côté de ces pages merveilleuses et de devenir classique à son tour, est-il produit pour la première fois dans le nouveau texte ? […] Il m’a paru quelquefois à regretter que le livre destiné à devenir classique, une fois mis en lumière, une fois livré au public et imprimé, on ne détruisît pas tous les manuscrits, tous les moyens d’un contrôle éternel et toujours renaissant ; qu’il n’y eût pas un règlement définitif et un arrêté de compte qui permît ensuite à l’admiration toute sa sécurité et son entière plénitude. […] Voilà comme nous disposons de vos affaires. » On avait rayé tout cela comme trop vulgaire, trop domestique, et trop peu fait pour les jolies petites bouches du xviiie siècle ; — et ceci encore, qui est dans la même lettre : « Votre petite devient aimable, on s’y attache.
Quand on s’est bien édifié autant qu’on le peut sur les origines, sur la parenté immédiate et prochaine d’un écrivain éminent, un point essentiel est à déterminer, après le chapitre de ses études et de son éducation ; c’est le premier milieu, le premier groupe d’amis et de contemporains dans lequel il s’est trouvé au moment où son talent a éclaté, a pris corps et est devenu adulte. […] Je supprime les exemples ; mais il est, dans la plupart des vies littéraires qui nous sont soumises, un tel moment où la maturité qu’on espérait est manquée, ou bien, si elle est atteinte, est dépassée, et où l’excès même de la qualité devient le défaut ; où les uns se roidissent se dessèchent, les autres se lâchent et s’abandonnent, les autres s’endurcissent, s’alourdissent, quelques-uns s’aigrissent ; où le sourire devient une ride. […] Cela même, dans le détail, devient piquant à observer ; on se déteste quelquefois toute sa vie dans les Lettres sans s’être jamais vus.
Ce qui hier encore s’appelait défaut dans un auteur, change aussitôt de nom et devient, une fois le type admis, un simple trait de signalement et de caractère. […] Eugénie, plus âgée que Louise, l’aime beaucoup, l’aime comme une jeune sœur, la croit par moments un peu inégale en amitié, ne cesse pourtant de la chérir, et doucement, la voyant si légère avec sa couronne de seize ans, la sermonne un peu jusqu’à ce que Louise, à son tour, finisse par devenir elle-même sérieuse, posée, recueillie, et se laisse entrevoir à nous dans un coin du salon lisant par goût du saint Jérôme. […] Que je regrette de vous voir devenir cornets à poivre ou pâture des rats ! […] Ce qu’ils n’ont pas fait, Mme de Gasparin Pose, et la devise donnée par Victor Hugo est devenue la sienne : la Bible, rien que la Bible d’une part, et de l’autre Dieu dans le soleil, dans la nature et dans ses œuvres.
C’est presque une profanation, à côté de cette Mlle Leduc, même épousée et devenue comme dans une mascarade marquise de Tourvoie, de nommer la comtesse de Bouflers qui présidait avec tant d’intelligence et de goût au salon de l’Isle-Adam, cette généreuse amie de Hume, de Rousseau et de Gustave III, esprit supérieur malgré de légers travers, et dont quelques pages, aujourd’hui retrouvées, sont dignes de l’histoire41. […] Le comte de Clermont s’était si bien acoquiné à Berny qu’il n’allait plus même à Versailles qu’à de très rares occasions, et l’appartement inscrit à son nom était plutôt devenu celui du roi Stanislas ou de tout autre hôte au gré de la reine. […] Il subit la loi du temps : il devint dévot avec les années. […] Cette figure intéressante du comte de Gisors, l’honneur de l’armée et « l’un des meilleurs sujets du royaume », est devenue l’objet d’une étude historique particulière sous la plume de M.
« Elles devenaient longues, j’en supprime la plus grande partie. […] Si jadis j’avais pu croire ne faire guère que ce que j’ai fait (comme cela devient à craindre), je n’aurais jamais écrit. […] « Après avoir passé une partie de la vie d’une manière indécise, ne devient-il pas plus difficile de sortir de ce vague ? […] On est effrayé de cette inutile consommation des jours, et on voit avec peine s’approcher le moment qui doit confirmer cette contradiction dans la vie, de devenir vieux sans avoir vu que l’on fût jeune.
Il savait limiter ses impressions, les arrêter au point précis où elles deviendraient douloureuses et brutales. […] De l’Italie, et de l’antiquité, même de l’antiquité grecque qu’il eut le rare talent de percevoir à travers les insuffisantes traductions, il a tiré son goût délicat, et ce sens de la forme, ce besoin d’une perfection difficile, qui ont réglé l’emploi de ses facultés poétiques : c’est par là qu’il est devenu un artiste, et qu’il a travaillé sa matière en œuvre d’art. […] Alors toutes les bizarreries, toutes les impossibilités deviennent vraisemblables ; les symboles se présentent déjà tout chargés de sens, et taillés à la mesure des réalités naturelles. […] Déjà, chez lui, le naturalisme devient visiblement sensualisme.
Mais si ce journaliste s’appelle Henri Rochefort, la chose devient tout à fait impossible. […] Le sentiment de la nature s’est tourné en une adoration sensuelle et mystique ; le goût du pittoresque en une poursuite inquiète d’impressions ténues et insaisissables ; le goût de la réalité en une recherche morose de ce qu’elle a de brutal et de triste ; la tendresse est devenue hystérie et la mélancolie pessimisme. […] Mais, quand on prolonge un peu sa lecture, cette vision toujours et invinciblement grotesque des choses, sans une détente, sans un répit, devient enfin presque pénible, vous secoue d’un petit rire intérieur qui fait mal aux nerfs. […] Le masque que nous avons choisi finit par coller à notre peau, devient notre vrai visage.
Arlequin, devenu hardi, fait tapage et dit qu’il n’est pas honnête de conduire à pied devant un tribunal un seigneur qui a des chevaux et des carrosses. […] Dominique, le confirmèrent dans son opinion, et nous voyons la forme qu’ils donnèrent au caractère d’Arlequin, qui est bien différente de l’ancienne… Depuis lors, le caractère d’Arlequin est devenu l’effort de l’art et de l’esprit du théâtre. Lorsqu’il a été manié par des acteurs de quelque génie, il a fait les délices des plus grands rois et des gens du meilleur goût ; c’est un caméléon qui prend toutes les couleurs. » Arlequin, s’il n’était jadis naïf qu’à demi, devient alors tout à fait scélérat : « Arrogant dans la bonne fortune, dit M Jules Guillemot48, traître et rusé dans la mauvaise ; criant et pleurant à l’heure de la menace et du péril, en un mot Scapin doublé de Panurge, c’est le type du fourbe impudent, qui se sauve par son exagération même, et dont le cynisme plein de verve nous amuse précisément parce qu’il passe la mesure du possible pour tomber dans le domaine de la fantaisie. » Arlequin, avec ses nouvelles mœurs, court fréquemment le risque d’être pendu ; il n’y échappe qu’à force de lazzi. […] Qu’est devenu ce répertoire ?
… Avoir le ciel entier pour soi ; n’être plus qu’un Et deux pourtant ; fondre mon être dans ton être ; Devenir azur, nuage, étoile, parfum, Loin des hommes, loin des demain, loin des peut-être ! […] Dupont et Lapissida avaient signé avec lui devenait inutile : les directeurs de la Monnaie se fussent pourtant résignés à cette perte d’argent et eussent enfin joué le drame attendu ; mais il leur fallait maintenant l’autorisation des héritiers de Wagner. Ici les faits deviennent plus difficiles à raconter. […] La cause Wagnérienne triomphe en France comme partout : ce qui eût été imprudent au moment de la lutte devient nécessaire au moment de la victoire ; il importe aujourd’hui qu’une Revue « Wagnérienne » entre directement dans l’actualité de chaque jour pour y prendre la ferme attitude qui convient à son titre.
Elle est très occupée de ses ouvriers, et va à Saint-Cloud où elle joue au Hoca. » Ce jeu de hasard était devenu en vogue après la bassette. […] « On devait partir aujourd’hui pour Fontainebleau, où les plaisirs devaient devenir des peines par leur multiplicité : tout était prêt. […] Malgré cette belle apparence, et la confiance présomptueuse, et l’insolence qu’affectait madame de Montespan, le dégoût du roi était devenu la mesure de ses scrupules de dévotion ; et il s’établit une séparation formelle entre le roi et elle. […] Je deviens la plus intéressée créature du monde, et je ne songe plus qu’à augmenter mon bien.
Il est vite obligé de réparer ces bons accès en faisant à son tour quelque proposition bien folle ; c’est ce qui marque très naturellement, dit-il, « l’extravagance de ces sortes de temps, où tous les sots deviennent fous, et où il n’est pas permis aux plus sensés de parler et d’agir en sages ». […] On y voit que quelques amis avaient parlé au cardinal de la triste situation de Patru, et celui-ci en a regret ; car il sait « quel fardeau c’est à une âme magnanime que d’être obligée de refuser : Lorsque je devins votre serviteur, ajoute-t-il, je ne regardai point à vos mains. […] Cet homme qui, comme je l’ai dit, n’avait jamais été qu’un demi-séditieux, et non un Catilina, comme l’a nommé Voltaire, et qui, jusque dans ses plus grandes révoltes, avait toujours respecté, en ce qui regardait l’autorité royale, ce qu’il appelait le « titre du sanctuaire », était devenu le plus réconcilié et le plus zélé des cardinaux français pour les intérêts de Louis XIV. […] La politique de Rome et celle de France s’unirent pour s’opposer à un genre de renonciation qui aurait pu devenir un précédent et, dans l’avenir, un moyen de politique aux mains des puissances.