Un des ancêtres, calviniste, avait même été martyr dans les guerres des Camisards, et Maury, menacé plus tard de la lanterne, eut plus d’une fois l’occasion de songer à ce pendu qu’il n’était pourtant pas jaloux d’imiter. […] L’abbé Maury espérait de lui quelque résignation de bénéfice, et, le voyant infirme, il songeait aussi à lui succéder à l’Académie. […] En vain l’abbé Maury chercha-t-il à se faire interrompre, s’interrompit-il lui-même, se plaignit-il qu’on ne voulait pas l’entendre ; en vain, abandonnant et reprenant le sujet principal de son discours, se perdit-il dans les digressions les plus étrangères, interpella-t-il personnellement Mirabeau et lui jeta-t-il vingt fois le gant de la parole ; au moindre mouvement d’impatience qui s’élevait dans l’Assemblée : « Attendez, monsieur l’abbé, disait Alexandre Lameth avec un sang-froid désespérant, je vous ai promis la parole, je vous la maintiendrai. » Et, se tournant vers les interrupteurs : « Messieurs, écoutez M. l’abbé Maury : il a la parole ; je ne souffrirai pas qu’on l’interrompe. » Ayant ainsi expliqué au long tout ce jeu de scène et de coulisse, Ferrières termine en disant : « Après deux grandes heures de divagations, tantôt éloquentes, tantôt ennuyeuses, l’abbé Maury descendit de la tribune, furieux de ce qu’on ne l’en avait pas chassé, et si hors de lui, qu’il ne songea pas même à prendre de conclusions. » Or, quand on lit dans les Œuvres de l’abbé Maury, ou même dans l’Histoire parlementaire de MM.
Bien qu’il ne se fît pas plus d’illusion comme observateur dans le Nouveau Monde que dans l’Ancien, et qu’il vît les hommes tels qu’ils étaient, il songeait pourtant par moments à s’établir sur quelque point de cette contrée hospitalière, lorsque des difficultés imprévues l’avertirent que l’Europe était encore pour lui une patrie plus sûre et meilleure. […] C’est ici que la vie de Volney serait très intéressante historiquement si nous la savions en détail et s’il avait songé à l’écrire. […] Chaque année, quand l’hiver m’attriste, je parle d’aller en Provence, et, quand je songe au départ, je m’enfonce dans mon grand fauteuil, et je fais plus grand feu pour remplacer le soleil.
Shakespeare pense, Shakespeare songe, Shakespeare doute. […] toutes les sectes bibliques se bouchent les oreilles, sans songer qu’Aaron adresse exactement la même épithète à Séphora, femme de Moïse. […] Quelle lune jettera à cet édifice une lumière plus mystérieuse que le Songe d’une nuit d’été ?
Le rencontre-t-il dans la rue, il lui achète des boîtes d’allumettes par douzaines : c’est une de ses consolations de songer qu’il aide un gentilhomme « à redorer son blason. » Filouze, grand contempteur, n’accorde son admiration qu’au journaliste JACQUES MONLEAU Il est vrai que Jacques Monleau l’appelle « crapule » quand il le coudoie — faisant le jeudi sur les Allées Neuves. […] Il était tout naturel qu’elle eût songé à son futur ! […] Ce mot latin, « Capitolium », te fait peut-être songer, mon ami, à quelque bâtisse vingt fois séculaire, — de l’âge des Thermes, rue de Cluny, à Paris ; et tu murmures déjà le vers des Feuilles d’automne : Toulouse la romaine, où, dans des jours meilleurs, etc.
Jamais Catulle, jamais Pétrone, n’auraient songé à offenser l’honnêteté publique s’ils eussent dû vaincre la pudeur des oreilles pour confier leurs ouvrages à la mémoire des hommes. […] « L’absence du merveilleux, dit Thucydide, sera cause peut-être que les événements que je décris plairont moins à la lecture. » Le même écrivain dit encore : « Les anciens historiens ont plus songé à plaire à la lecture, qu’ils n’ont songé à dire la vérité. » Ces deux phrases sont remarquables en ce qu’elles indiquent bien les deux genres d’altérations que les premiers historiens ont apportées dans leurs rédactions en prose, altérations dont on leur a su gré, et qui ont cependant conduit à l’arbitraire.
L’aquarium les plaint, toutes ces eaux vassales Que la vie intéresse, et s’y associant ; Tandis que lui, de son seul songe est conscient ; Il n’a pas d’autre but que ses fêtes mentales Et l’anoblissement de l’univers qu’il est ; Eau de l’aquarium dont la pâleur miroite. […] Le solitaire découvreur des terres vierges du songe ne permet pas aux grossiers produits d’humanité d’embarrasser la route qu’il suit, perdu qu’il est dans son rêve d’épuration toujours plus artistique et plus parfaite. […] A travers les stériles et bruyantes agitations du songe vital, faisons le silence en nous-mêmes, soyons toujours plus silencieux ; que le silence étende un voue entre la chasteté de nos élans et ces vaines formes, là-bas ; que le silence croisse en nous, jusqu’à ce qu’il chante… Ô le chant du silence !
Rien n’est plus logique, si l’on songe à la situation du prêtre au début de son sacerdoce. […] Et le jugement s’affirme plus précis de jour en jour ; c’est à cela que le prêtre devrait songer parfois entre deux credo, car il y va de son honneur. […] Je voudrais qu’avant de franchir le seuil du monstrueux séminaire, un avis de l’humanité fut soumis à leurs méditations, pour sauver du naufrage, s’il se pouvait, leur existence menacée : « Ami, tes frères les hommes te supplient de songer à toi-même, à cette heure décisive où de faux apôtres s’apprêtent à déposer en toi les germes de la corruption.
Ceux-ci n’en seront d’ailleurs pas choqués, car il est rare que les excentricités auxquelles nous nous livrons en songe paraissent émouvoir les spectateurs, si confus que nous en puissions être nous-mêmes. […] On cite des maladies et des accidents graves, attaques d’épilepsie, affections cardiaques, etc., qui ont été ainsi prévues, prophétisées en songe. […] Sans doute on cite quelques exemples de travail artistique, littéraire ou scientifique, exécuté au cours d’un songe.
Il a songé dans sa pensée aux tentes mobiles, aux retranchements forcés, à la lance flamboyante des escadrons, au torrent des coursiers qui s’élancent, au commandement rapide et à la prompte obéissance. […] Devant l’Etna et ses jets de feu nocturnes enflammant au loin la mer de Sicile, Pindare ne songe pas à lui-même ; il ne mêle pas les mécomptes de l’orgueil poétique à ces terreurs de la nature. […] La sainte majesté du sujet, la gravité de l’affliction chrétienne, élèvent ici le talent du poëte et lui donnent, dans l’expression et dans la mélodie, un calme de douleur et de foi dont la simplicité presque intraduisible semble une voix mystique entendue dans un songe, mais qu’on ne peut retrouver.
Est-ce que le théâtre de Corneille n’est pas (sans y songer, je le veux bien) une prédication morale des plus éloquentes, des plus élevées ? […] Et voilà comment, sans que le poète peut-être y ait songé, une tirade, ridicule dans la première pièce, est devenue une éloquente apostrophe dans l’autre. […] Ne serait-ce pas pour cela que notre illustre Rouennais en met partout sans y songer ? […] Chacun des deux personnages, sans rien ménager, ne songe qu’à accomplir son rigoureux sacrifice. […] Plus tard l’auteur du Cid supprima ce passage, sans doute quand il fut reçu à l’Académie, ou quand il songea à s’y présenter.
Jusque-là, pas un mot qui puisse y faire songer. […] Il est regrettable que Barrès n’ait pas songé à développer cet apparent paradoxe. […] Ce n’est pas la manière des grands Italiens ou des grands Hollandais : cela fait songer à toute notre ancienne école française. […] Parfois l’on songe à Dickens, parfois à Alphonse Daudet. […] Mais nul ne semble y songer.
Un homme simple, laborieux, honnête, bon chrétien, tiède chrétien, parvenu à l’aisance, songe, comme on dit, « à vivre sa vie ». […] Mais ces grands gars stylés, mais ces fraîches fillettes dociles, à quoi pensez-vous donc qu’elles songent avant le lever du rideau, contre le châssis de ce coin de scène ? […] Son génie même s’en trouvait agrandi, — augmenté de tous les chefs-d’œuvre profanes dont la conversion avait arrêté la croissance : un génie, songez donc, qu’il n’eût fallu rien moins que Dieu pour vaincre ! […] Elle révèle une sensibilité poétique de restreinte envergure, sans doute, mais de la plus exquise et de la profonde qualité. — Or, songez que la tragédie, au temps où l’aborde Racine, vit d’éloquence ! […] Songez… Mais non, M.
On discute un texte, on songe à l’amender ; comme on y sent la main humaine, on songe à y mettre la main. […] Le chrétien moderne lui-même croit à la création, mais n’y songe pas. […] Il ne songe pas que cela veut dire : au commencement il y a Dieu, et rien. […] Mais songez que les contemporains en ont été comme étourdis et fascinés. […] Tranchons le mot, il ne songe pas uniquement à lui ; mais il songe beaucoup à lui.
. — Le Songe d’une nuit d’été, féérie (1886). — Struensée, drame en cinq actes et en vers (1898).
Mais comment a-t-il le courage de se tuer lorsqu’il songe à sa mère ? […] Robert a beau attester son amour ; Élisabeth songe en elle-même que ce n’est là qu’une base fragile. […] Quand je songe à ceux qu’attaque M. […] Itzig ne songeait pas à mal. […] Freytag ; elle jaillit sans qu’il la cherche ; elle coule sans qu’il songe à la diriger.
En sorte qu’il fait songer à Ronsard infiniment plus qu’à Boileau. […] J’ai remarqué que nul ne songeait plus, l’autre jour, à lui reprocher le soin légitime qu’il prend de son vêtement ou de ses cheveux, ni les « succès de salon » qu’il a pu rencontrer quand il était très jeune. — À mesure que sa pensée mûrissait, sa manière oratoire s’est simplifiée. […] * * * Il me disait un jour : « Quand je songe à quel point j’ai eu jadis la folie et l’orgueil de vivre, je me dis qu’il est juste que je souffre. » Je me suis rappelé ce propos d’héroïque résignation en voyant, parmi les roses qui jonchaient son lit de mort, sa tête devenue ascétique et, sur sa poitrine, le crucifix… La République Française On dira d’elle ce qu’on voudra : elle a ceci pour elle, qu’étant la plus révolutionnaire des républiques, elle est pourtant l’héritière d’un passé monarchique plus long et plus illustre que celui d’aucune des nations européennes. […] Il songe : — Que l’image de Notre-Dame de Lourdes ait été uniquement créée par le désir de Bernadette, qu’importe ?
Telle est du moins la technique de la plupart des Poèmes anciens et romanesques et des poèmes principaux de Tel qu’en songe, — technique à laquelle plusieurs écrivains déjà loin de leurs débuts, M. […] Printanière, dans l’aube éternelle du rêve Et dans l’aurore assise, Elle tisse en rêvant Des choses qu’Elle sait, et sourit ; et, devant Elle, au gré de sa main agile, court sans trêve La navette laborieuse, et le doux vent D’avril emmêle ses cheveux qu’Elle soulève Et rejette sur son épaule ; et, relevant La tête, Elle fredonne un air qu’Elle n’achève… De l’ombre, Elle apparaît, comme en un cadre d’or : Derrière Elle l’azur et des plaines qu’arrose Un fleuve ; et, sur sa tête, un rameau de laurose Étend ses fleurs contre l’azur clair ; — et l’effort Du métier, comme un chant monotone et morose Se plaint très doucement : — on envierait le sort De celui qui baiserait la main qu’Elle pose Négligemment, parfois, et lasse de l’effort… Mais moi, la voyant rire en rappelant sans doute Quelque doux jour mort de sa joie un soir de mai, Je songeai que, peut-être, pour avoir aimé Son rire, d’autres ont repris la lente route Tristes d’un souvenir et le cœur affamé D’un mets où nulle lèvre impunément ne goûte. […] L’art est subjectif, mais il est objectif aussi, sans cela pourquoi ne point songer seulement, pourquoi écrire, peindre, sculpter ? […] La confusion apparaît probable lorsque l’on songe à la confusion des termes eux-mêmes.
Me voyant studieux, appliqué, consciencieux, il me dit au bout de très peu de temps : « Songez donc à notre société ; là est votre place. » Il me traitait déjà presque en confrère. […] Ce n’est pas comme à Saint-Nicolas, par exemple, où on ne laissait jamais la machine aller seule ; le mécanicien était toujours là, volant à droite, à gauche, mettant partout le doigt, essoufflé, empressé parce qu’on ne songeait pas que la machine la mieux montée est celle qui exige le moins d’action de la part du moteur. […] Ni les Pères de l’Église, ni les écrivains chrétiens de la première moitié du moyen âge ne songèrent à dresser une exposition systématique des dogmes chrétiens dispensant de lire la Bible avec suite. […] Heureux les enfants qui ne font que dormir et rêver et ne songent pas à s’engager dans cette lutte avec Dieu même !
. — Le songe d’Atossa. — Qu’est-ce qu’Athènes ? […] — Une jeune fille, deux jeunes filles pour chaque capitaine. — Et des vêtements de couleur pour Sisera, — des vêtements à doubles broderies, pour orner l’entrée du triomphe. » — Tandis qu’elle berce, en chantant, son souci, une femme s’approche de Sisera endormi, prend une cheville de la tente, et l’enfonce d’un coup de marteau, dans son front, — « Entre ses pieds, il tombe, s’agenouille, s’étend. — Entre ses pieds, il s’agenouille, tombe : — où il s’agenouille, là il tombe mort. » Un Songe effrayant a visité Atossa, et la pousse en sursaut hors du lit nuptial où Darius dormait jadis avec elle. […] Tel le Songe qu’Atossa raconte, mêlé d’étrangeté orientale et de beauté hellénique : il donne l’idée d’une sculpture persépolitaine que l’art grec aurait retouchée. — Deux femmes richement vêtues, l’une de la tunique dorienne, l’autre de la robe persane, lui sont apparues, plus belles que les femmes qui vivent maintenant, au-dessus d’elles par la majesté de leur taille. […] Pour vous, songez à ces châtiments.
J’ai songé à profiler de ces bonnes dispositions. […] Je chercherais par inclination à m’en faire un ami, mais il n’y a pas moyen, tout le monde court après ; et puis je songe que dans un mois cet homme aujourd’hui si populaire sera entouré de gardes, qu’on ne l’appellera que Votre Majesté : cela m’étourdit l’imagination. […] Songez, mon ami, que je m’occupe de vous, que je parle de vous, lorsque je trouve de bonnes oreilles. […] Il faut songer à se rendre meilleur ; voilà la bonne philosophie.
On convient généralement de la supériorité de notre jeune école philosophique et historique ; notre siècle est déjà si bon juge en fait de prose, que personne ne songe à nier l’immense talent de M. l’abbé de la Mennais, quoique ses systèmes soient combattus de toutes parts. […] Songez que c’est par cette alliance irrésistible de tous les talents, que vos devanciers ont sapé les bases de l’ancienne société et posé celles du nouvel ordre de choses. […] Songez que vous parlez à ce peuple français, le premier peuple du monde, parce qu’il est le plus chevaleresque et en même temps le plus philosophique ; à ce peuple changeant il est vrai, parce qu’il est étonnamment impressible, mais qui sait souffrir et mourir pour une doctrine, qui fait la guerre pour le triomphe d’une idée, et dont les fureurs même ont été commises au nom d’un principe. […] Au Théâtre-Français, parce que n’ayant plus de grands acteurs tragiques, il ne peut espérer de vogue que par l’attrait d’un genre et d’un système de pièces entièrement neufs sur notre scène ; au public, parce que lassé de tant de pâles contre-épreuves de nos chefs-d’œuvre, lassé de la mesquine représentation de nos chefs-d’œuvre eux-mêmes ; il aime mieux les relire vingt fois avec délices et attendre pour revenir au théâtre que quelque chose y réponde à ce vague besoin de nouveauté qui le tourmente ; à l’art enfin, parce que faute de point de comparaison il serait à craindre que ce besoin se satisfît aveuglément avec des ouvrages prétendus romantiques, faits sans inspiration et sans étude, qui n’auraient que les formes extérieures des drames de Shakespeare, et dont toute la nouveauté consisterait à briser les unités de temps et de lieu, auxquelles personne ne songe, et à mêler des lazzis du boulevard au langage cérémonieux de notre vieille tragédie.
Rendre à la poésie française de la vérité, du naturel, de la familiarité même, et en même temps lui redonner de la consistance de style et de l’éclat ; lui rapprendre à dire bien des choses qu’elle avait oubliées depuis plus d’un siècle, lui en apprendre d’autres qu’on ne lui avait pas dites encore ; lui faire exprimer les troubles de l’âme et les nuances des moindres pensées ; lui faire réfléchir la nature extérieure non seulement par des couleurs et des images, mais quelquefois par un simple et heureux concours de syllabes ; la montrer, dans les fantaisies légères, découpée à plaisir et revêtue des plus sveltes délicatesses ; lui imprimer, dans les vastes sujets, le mouvement et la marche des groupes et des ensembles, faire voguer des trains et des appareils de strophes comme des flottes, ou les enlever dans l’espace comme si elles avaient des ailes ; faire songer dans une ode, et sans trop de désavantage, à la grande musique contemporaine ou à la gothique architecture, — n’était-ce rien ? […] Mais étendons notre vue et songeons un peu à ce qu’a été la poésie lyrique moderne, en Angleterre, de Kirke White à Keats et à Tennyson en passant par Byron et les lakistes, — en Allemagne, de Burger à Uhlandet à Ruckert en passant par Goethe, — et demandons-nous quelle figure nous ferions, nous et notre littérature, dans cette comparaison avec tant de richesses étrangères modernes, si nous n’avions pas eu notre poésie, cette même école poétique tant raillée.
Nous sommes avec un esprit sage, prudent, modéré, doué des qualités civiles ; il a ses préférences, ses convictions ; il ne les cache pas, il les professe ; mais nous sommes aussi avec un esprit droit qui ne procède point par voies obliques ; lui du moins, en écrivant l’histoire, il ne songe à faire de niches à personne (ce qui est indigne d’esprits éclairés et mûrs, ce qui fait ressembler des hommes réputés graves, des hommes à cheveux gris et à cheveux blancs, à de vieux écoliers malins tout occupés à jouer de méchants tours à leur jeune professeur) ; il ne pense pas sans cesse à deux ou trois choses à la fois, il ne regarde pas toujours le présent ou l’avenir dans le passé : il étudie ce passé avec scrupule, avec étendue et impartialité, et il nous permet de faire avec lui, ou même sans lui, toutes sortes de réflexions sur le même sujet. […] · L’historien, sans songer à être peintre, fait à cet endroit un portrait fort ressemblant de Louis XVIII, le grand modérateur, sur lequel reposait l’exécution du pacte tant bien que mal contracté.
Montesquieu, en effet, auquel l’ouvrage de M. de Tocqueville faisait naturellement songer, et dont il affectait de reproduire quelques-unes des formes, telles que la fréquence, la coupe des chapitres, leur intitulé, etc., Montesquieu est un philosophe politique supérieur, en ce qu’il est souverainement indifférent et calme, se plaçant dès l’origine au vrai point de vue de la nécessité et de la réalité des choses, s’y conformant selon les lieux, les climats, les races, sans y apporter en travers un idéal préconçu qui pourrait bien être une idole. […] M. de Tocqueville me communique, sans que j’y songe, de sa méthode, et je m’aperçois que je m’arrête pour raisonner avec lui et sur lui à chaque pas.
André Chénier, qui, je le crois bien, songeait en ce moment au poëte Le Brun, son ami, dont il ne pouvait concilier le talent et le caractère, s’écriait : Ah ! […] Cette mythologie d’anges qui a succédé à celle des nymphes, les fleurs de la terre et les parfums des cieux, un excès même de charité aumônière et de petits orphelins évoqués, tout cela nous a paru, dans ces pièces, plus prodigué qu’un juste sentiment de poésie domestique n’eût songé à le faire.
Soyons assez sages pour nous persuader que nous avons fait un agréable songe, et ne nous plaignons pas du destin ; car jamais songe délicieux n’a été aussi long.
Songez, pour excuser cette morale gauloise, que le Gaulois n’a jamais fait sa règle et qu’il l’a toujours subie ; ecclésiastique ou civile, elle lui vient d’ailleurs et d’en haut. […] Il loue Epicure, il parle de la mort en païen, il voudrait, comme Lucrèce, « qu’on sortît de la vie ainsi que d’un banquet, remerciant son hôte. » Il ne semble pas songer qu’il y ait quelque chose au-delà de la vie et du plaisir.
Et ce vieux capitaine a tant de finesse native, tant d’expérience accumulée, il a tant fait pendant soixante ans pour faire jouer les ressorts des âmes de ses soudards, pour saisir ses supérieurs aussi par les propriétés de leur humeur, qu’en racontant sa vie, il dépasse sans y songer la couche superficielle des faits historiques ; il plonge à chaque moment dans les consciences, les découvre dans les actes, les gestes, les paroles ; il se découvre lui-même à nous jusqu’au fond de son être intime. […] Biographie : Pierre de Bourdeille (vers 1534-1614), né en Périgord ; on le trouve successivement en Italie, en Écosse, en Angleterre, dans l’armée du duc de Guise pendant la 1re guerre civile, avec les espagnols dans leur expédition contre les Barbaresques, en Espagne, en Portugal, en Italie, à Malte : il prend part à la 3e guerre civile, devient chambellan de Henri III, est exilé de la cour en 1582, et songe à passer en Espagne, quand une chute de cheval le met pour quatre ans au lit, et pour le reste de ses jours le condamne au repos. — Éditions : princeps, 1665 : ainsi le xvie s. a ignoré Brantôme ; éd.
Je ne dis pas qu’il n’avait pas songé qu’il ferait plaisir à tel ou tel en les citant ; c’était comme des cartes de visite qu’il déposait chez les membres de la Presse, ses juges de demain, qui casseraient ou ratifieraient devant le grand public l’arrêt de la Faculté. […] Pour moi, ce m’est un encouragement et une force, de songer qu’en montant dans cette chaire qu’il a trop peu de temps occupée, j’y trouve installée déjà par lui, éprouvée par sa pratique et revêtue de son autorité, la méthode que je crois, sinon la plus glorieuse pour le maître, du moins la plus utile pour les auditeurs et la plus adaptée aux objets de l’histoire littéraire.
On est beaucoup à s’éveiller chaque matin avec une admirable idée de roman, mais la journée se passe avant qu’une ligne en soit écrite, et le lendemain on s’aperçoit que le sujet a été traité, pour ne pas s’humilier on dit : gâché, par Maizeroy, par Théophile Gautier ou par Homère, et on a tort de s’en apercevoir et raison tout ensemble, parce que l’idée s’est fanée du jour au lendemain, faute qu’on ait songé à la planter au papier, à l’arroser d’encre vivifiante : la veille, oui, c’était original, le lendemain, oui, c’est banal. […] Ils ne songent à améliorer que leur âme.
La Fontaine, dans Le Songe de Vaux, donne à madame Fouquet le nom de Sylvie. […] Racan, dit Boileau, avait plus de génie que Malherbe, mais il est plus négligé et songe trop à le copier.
La critique de détail, en ce qui concernait les moindres artifices de style et de diction, prenait chez les anciens une importance dont personne ne songeait à se railler. […] Peu de gens de nos jours se sont tués, eu égard à tous ceux qui ont songé à le faire.
Il ne se fit envahisseur, il ne songea à être conquérant qu’à la dernière extrémité, quand on l’eut indignement trompé et que tout fût décidément perdu si le lion enfin ne s’éveillait pas ! […] Il fallait une époque comme la nôtre, un temps amoureux fou des mots, pour songer à introduire dans l’auréole sanglante du vainqueur d’Hermosillo et du condamné de Guaymas l’auréole, si pâle à côté, d’un talent littéraire réel, mais qui ne trouva sa sincérité et sa plénitude que dans les lettres où l’observateur politique, l’homme d’intuition et d’exécution, le lutteur contre la difficulté, dominent tout !
IV Trois sortes d’esprits règnent sur le monde, — aussi bien sur le monde de l’Action que sur le monde de la Pensée : l’esprit religieux, l’esprit social, l’esprit individuel, et jamais l’Histoire, qui les reconnaît tous les trois, n’a songé même à discuter leur hiérarchie. […] Il est évident que ce genre d’esprits, qui entendent, d’ailleurs, presque toujours les choses sociales : la notion qu’on se fait de Dieu impliquant tout le reste, l’emportent, et de beaucoup, sur les esprits qui ne se préoccupent que des problèmes terrestres de la vie, et ne songent qu’à tirer — extraction sublime, néanmoins !
On ne songeait pas que cette laideur se transformerait un jour en beauté pour des yeux moins prévenus. […] Renouveler l’ensemble est la marque du grand artiste, et je ne puis m’empêcher ici de songer à Richard Wagner qui, tout en fondant le drame musical, entendait réformer, suivant son tempérament propre, tous les arts qui s’y rattachent, animés du même souffle que l’œuvre principale, incomplète sans eux.
Mariette fut assez déconcertée, mais ne songea point au retour. […] Voilà donc cet amour, qui était tout son orgueil, toute sa joie de vivre, flétri et mort ; et ce songe d’un mariage avec un homme qui n’eût jamais aimé qu’elle, comme elle n’aimerait jamais que lui, ce songe de lentes et douces années s’est brusquement évanoui. […] Puis Rachmed songe que la face du mort doit être tournée vers la ville sainte de la Mecque ; il craint que tout ce travail n’ait été inutile. […] On dirait qu’au lieu de vouloir assommer ses adversaires par des poids énormes, il songe à les griser de parfums en leur mettant sous le nez des feuillages et des fleurs. […] Dès le premier tintement de la cloche, le sergent, qui songeait à la cantine, eut un beau geste de commandement ; les classes se disloquèrent et le peloton s’aligna sur deux rangs.
Je songe à des gens dont le nom s’étale maintenant dans les journaux le lendemain des « premières » ou des réceptions académiques. […] Il songeait à ses espérances, vite éveillées et tôt déçues. […] Ils songent à Charles Bovary, à la Terre, aux paysans de George Sand et de Balzac. […] Songe illusoire ! […] Personne, ou presque personne ne songe à ce pauvre coin de Biscaye.
Que l’entretenez-vous encore, ce Moraliste, du songe inefficace que vous appelez l’art ? […] Pour certaines têtes il est la vie elle-même, et c’est la vie qui est un mauvais songe. […] Il ferme les yeux pour ne pas voir ce tableau de la douloureuse réalité, et il élabore en lui-même le songe d’un autre univers. […] Une lecture, même superficielle, de ses œuvres démontre que son genre d’imagination le conduisait inévitablement vers le pays du songe religieux et cosmogonique. […] Le même besoin de songe qui inclinait le poète à reproduire l’une de ces deux épopées l’entraîne vers l’autre.
Certains de ses vers font songer à
On songe, en le lisant, à un Carrière poète.
Ils nous livrent sans cesse à des soins criminels ; Par eux, plus d’un remords nous afflige & nous ronge ; Nous voulons les garder & les rendre éternels, Sans penser qu’eux & nous passeront comme un songe.
Segrais, qui, de l’aveu de tout le monde, & de Madame de la Fayette elle-même, avoit travaillé à la Princesse de Cléves, sans songer à s’en faire honneur, n’étoit pas capable d’adopter un Ouvrage, au préjudice d’une femme dont il se plaisoit à seconder les talens.
Voici l’enfant folâtre, la petite fée voltigeante qui bat des mains, et « de ses yeux noirs malicieusement vous regarde en face, et se sauve pendant que ses rires éclatants creusent des fossettes dans les roses enfantines de ses joues. » Voici la blonde pensive qui songe, ses grands yeux bleus tout ouverts, fleur aérienne et vaporeuse « comme un lis penché sur un buisson de roses et que le soleil mourant traverse de sa lumière », faiblement souriante, « pareille à une naïade qui au fond d’une source regarde le déclin du jour. » Voici la changeante Madeline, soudain rieuse, puis soudain boudeuse, puis encore gaie, puis encore fâchée, puis incertaine entre les deux, étranges sourires, « délicieuses colères qui ressemblent à de petits nuages frangés par le soleil1519. » Le poëte revenait avec complaisance sur toutes les choses fines et exquises. […] Il vivait à la campagne, principalement dans l’île de Wight, parmi des livres et des fleurs, à l’abri des tracasseries, des rivalités et des assujettissements du monde, et l’on imaginait volontiers sa vie comme un beau songe, aussi doux que ceux qu’il nous avait donnés. […] Devant sa langueur et son délire, la pitié éclot, puis la tendresse, puis l’amour, « comme une campanule des Alpes, humide de larmes matinales, auprès de quelque froid glacier, fragile d’abord et faible, mais qui de jour en jour prend de l’éclat1533. » Un soir, il revient à lui, épuisé, les yeux encore troublés de visions funèbres ; il la voit flotter devant lui comme un rêve, ouvre péniblement ses lèvres pâles, et lui dit tout bas : « Si vous êtes cette Ida que j’ai connue, — je ne vous demande rien ; mais si vous êtes un songe, — doux songe, achevez-vous. […] La troisième fois enfin il la lance : « La grande épée jeta des éclairs sous la splendeur de la lune, — et fit dans l’air une arche de clarté, — comme le rayonnement d’aube boréale — qui jaillit lorsque les îles mouvantes de l’hiver s’entrechoquent — la nuit, parmi les bruits de la mer du Nord. — Mais avant que l’épée eût touché la surface, — un bras s’éleva, vêtu de velours blanc, mystique, merveilleux, — et la saisit par la poignée, et la brandit trois fois ; — puis s’enfonça avec elle dans la mer1541. » Alors Arthur, se soulevant douloureusement et respirant avec peine, ordonne à sire Bedivere de le charger sur ses épaules et de le porter jusqu’au rivage. « Hâte-toi, hâte-toi, car je crains qu’il ne soit trop tard, et je crois que je vais mourir. » Ils arrivent ainsi, le long des cavernes glacées et des roches retentissantes, jusqu’au bord du lac où « s’étalent les longues gloires de la lune d’hiver. » — « Là s’était arrêtée une barque sombre, — noire comme une écharpe funèbre de la proue à la poupe ; — tout le pont était couvert de formes majestueuses, — avec des robes noires et des capuchons noirs, comme en songe ; auprès d’elles, — trois reines avec des couronnes d’or ; de leurs lèvres partit — un cri qui monta en frémissant jusqu’aux étoiles palpitantes. — Et comme si ce n’était qu’une voix, il y eut un grand éclat de lamentations, pareil à un vent qui crie — toute la nuit dans une terre déserte, où personne ne vient — et n’est venu depuis le commencement du monde1542.