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581. (1874) Premiers lundis. Tome II « Doctrine de Saint-Simon »

Ce n’est pas sans un sentiment de surprise et d’admiration que celui qui n’est pas encore pleinement transformé à la religion de l’avenir, après avoir maintes fois entendu parler des qualités et des mérites du jeune apôtre qui écrivit ces lettres, ne trouve, en ouvrant le volume, qu’un petit nombre de détails indispensables sur sa personne et sa destinée. […] Mais le sentiment, qui anime les pères et les frères en Saint-Simon d’Eugène Rodrigues, est à la fois plus simple et plus haut, plus calme et plus touchant ; leur langage est plus d’accord avec ce qu’il a dû désirer et espérer lui-même, avec ce qu’il doit continuer de sentir au sein de la vie nouvelle où il est déjà entré. […] Elevé tendrement au sein d’une famille où s’était conservée la tradition des liens d’une parenté patriarcale, il fut un de ceux qui appelèrent et réalisèrent avec le plus de ferveur la hiérarchie dans la grande parenté de l’espèce humaine ; il s’efforça d’harmoniser ce qu’il y a de religieux dans les sentiments de famille avec la dévotion à l’humanité nouvelle révélée par Saint-Simon. […] Or, voilà pourquoi le christianisme est resté en chemin de son œuvre ; voilà pourquoi de Maistre, génie autant mosaïque qui catholique, ne conçoit pas que Dieu, auteur de la société des individus, n’ait pas poussé l’homme, sa créature chérie et perfectible, jusqu’à la société des nations ; voilà pourquoi les juifs s’obstinent à contempler avec un sentiment orgueilleux de supériorité leur loi, si complète en elle-même, que le christianisme a brisée avant d’avoir à rendre au monde l’unité définitive ; voilà pourquoi la religion de l’avenir, qui devra renfermer tous les caractères du judaïsme et du christianisme, renfermera aussi dans ses temples les juifs et les chrétiens, en les mettant d’accord, selon qu’il a été dit dans les anciennes et les nouvelles Écritures.

582. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VI. De la littérature latine sous le règne d’Auguste » pp. 164-175

Ils invoquent, ils rappellent avec délices la fraîcheur de la nature, pour échapper à leur soleil dévorant ; mais les Romains demandent de plus à la campagne un abri contre la tyrannie, c’était pour se reposer des sentiments pénibles, c’était pour oublier un joug avilissant, qu’ils se retiraient loin des cités habitées. […] Elles n’avaient point encore l’existence indépendante que leur assurent les lois modernes : mais reléguées avec les dieux pénates, elles inspiraient, comme ces divinités domestiques, quelques sentiments religieux. […] Des vers de Tibulle à Délie, le quatrième chant de l’Énéide, Ceyx et Alcione, Philémon et Baucis, peignent les sentiments de l’âme avec cette langue des Latins dont le caractère est si imposant. […] La manie d’exercer son esprit à froid sur les sentiments du cœur, doit produire partout des résultats à peu près semblables, malgré la différence des temps.

583. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre II. Recherche des vérités générales » pp. 113-119

Un jour, on cherchera des rapports d’idées ou de sentiments ; le lendemain, des analogies de structure ou de style. […] Il voit que les œuvres de Rousseau, qui sont les premières à prêcher en langue française l’amour des champs, paraissent de 1750 à 1760 ; il constate que les Anglais, Thomson, par exemple, ont exprimé les mêmes sentiments plus de vingt ans auparavant. […] Il faut donc que la France et l’Europe entière aient été prédisposées à ce réveil du sentiment de la nature. […] Si l’on veut après cela résumer les causes qui ont amené en France cette renaissance du sentiment de la nature, on arrive à cette formule : Cause essentielle : la longue et fatigante durée d’une civilisation trop exclusivement mondaine, durée qui engendre le désir de sensations opposées.

584. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre premier. Vue générale des épopées chrétiennes. — Chapitre III. Paradis perdu. »

Car si le fils de Pélée atteint le but de ses désirs, toutefois la conclusion du poème laisse un sentiment profond de tristesse1 : on vient de voir les funérailles de Patrocle, Priam rachetant le corps d’Hector, la douleur d’Hécube et d’Andromaque, et l’on aperçoit dans le lointain la mort d’Achille et la chute de Troie. […] » Ainsi le premier sentiment que l’homme éprouve est le sentiment de l’existence d’un Être suprême ; le premier besoin qu’il manifeste est le besoin de Dieu ! […] Ce sentiment vient peut-être de l’intérêt qu’on prend à Hector.

585. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Mes petites idées sur la couleur » pp. 19-25

Celui qui a le sentiment vif de la couleur, a les yeux attachés sur sa toile ; sa bouche est entrouverte, il halète ; sa palette est l’image du chaos. […] Celui qui a acquis le sentiment de la chair, a fait un grand pas ; le reste n’est rien en comparaison. […] Jamais cette imitation ne donnera le sentiment de la chair. […] J’achève en une ligne ce que le peintre ébauche à peine en une semaine ; et son malheur, c’est qu’il sait, voit et sent comme moi, et qu’il ne peut rendre et se satisfaire ; c’est que ce sentiment le portant en avant, le trompe sur ce qu’il peut, et lui fait gâter un chef-d’œuvre : il était, sans s’en douter, sur la dernière limite de l’art.

586. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 29, qu’il est des païs où les ouvrages sont plûtôt apprétiez à leur valeur que dans d’autres » pp. 395-408

Les françois en general n’ont pas le sentiment intérieur aussi vif que les italiens. […] Le Poussin que nous vantons tant aujourd’hui, fut mal soutenu par le public lorsque dans ses plus beaux jours il vint travailler en France, mais quoi qu’un peu tard, les personnes désinteressées et dont l’avis est conforme à la verité se reconnoissent, et prenant confiance dans un sentiment qu’elles voïent être le sentiment du plus grand nombre, elles se soulevent contre ceux qui voudroient faire marcher de pair deux ouvriers trop inégaux. […] Il n’y auroit rien de certain en vertu des lumieres humaines, si quatre cens personnes qui s’entrecommuniquent leur sentiment, pouvoient croire qu’elles sont touchées quand elles ne le sont pas, ou si elles pouvoient être touchées sans qu’on leur eut présenté un objet réellement interessant.

587. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 18, reflexions sur les avantages et sur les inconveniens qui resultoient de la déclamation composée des anciens » pp. 309-323

Despreaux en daigna parler, et notre scene a même conservé quelques vestiges ou quelques restes de cette declamation qu’on auroit pû écrire si l’on avoit eu des caracteres propres à le faire, tant il est vrai que le bon se fait remarquer sans peine dans toutes les productions dont on peut juger par sentiment, et qu’on ne l’oublie pas, quoiqu’on n’ait point pensé à le retenir. […] Ainsi dans les choses qui doivent tomber sous notre sentiment, les effets de la nature causent toujours en nous les mêmes sensations agreables ou desagreables, soit que nous observions, soit que nous n’observions pas comment la chose arrive, soit que nous nous embarrassions de remonter jusqu’aux causes de ces effets, soit que nous nous contentions d’en joüir : soit enfin que nous aïons réduit en methode l’art de ménager, suivant des regles certaines, l’action des causes naturelles, soit que nous ne suivions que l’instinct dans l’application que nous faisons de ces causes. […] La plûpart ne la connoissoient que par voie de sentiment. […] En second lieu, on ne doit pas être surpris du sentiment des gens du métier.

588. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XIV. Panégyrique de Trajan, par Pline le jeune. »

Qu’on me pardonne de m’être arrêté un moment sur le spectacle d’une amitié si touchante ; il est doux, même en écrivant, de pouvoir se livrer quelquefois aux mouvements de son cœur : et j’aime encore mieux un sentiment qui me console, qu’une vérité qui m’éclaire. […] Ceux qui ont reçu de la nature une âme forte, ceux qui ont le bonheur ou le malheur de sentir tout avec énergie, ceux qui admirent avec transport et qui s’indignent de même, ceux qui voient tous les objets de très haut, qui les mesurent avec rapidité et s’élancent ensuite ailleurs, qui s’occupent beaucoup plus de l’ensemble des choses que de leurs détails, ceux dont les idées naissent en foule, tombent et se précipitent les unes sur les autres, et qui veulent un genre d’éloquence fait pour leur manière de sentir et de voir, ceux-là sans doute ne seront pas contents de l’ouvrage de Pline ; ils y trouveront peut-être peu d’élévation, peu de chaleur, peu de rapidité, presqu’aucun de ces traits qui vont chercher l’âme et y laissent une impression forte et profonde ; mais aussi il y a des hommes dont l’imagination est douce et l’âme tranquille, qui sont plus sensibles à la grâce qu’à la force, qui veulent des mouvements légers et point de secousses, que l’esprit amuse, et qu’un sentiment trop vif fatigue ; ceux-là ne manqueront pas de porter un jugement différent. […] Il arrive dans les ouvrages ce qu’on voit en société : le désir éternel de plaire rapetisse l’âme et lui ôte le sentiment et l’énergie des grandes choses. […] De tous les sentiments, l’amour est le plus fier, le plus indépendant et le plus libre.

589. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Werther. Correspondance de Goethe et de Kestner, traduite par M. L. Poley » pp. 289-315

Goethe, âgé de vingt-trois ans, dans la plénitude et le vague d’un génie qui est à la veille de produire, mais qui hésite encore, le front chargé de nuages et de pensées qui vont en tous sens, le cœur gonflé de sentiments et ne sachant qu’en faire (sera-ce une passion ? […] Il a sur la fête de Noël une lettre à Kestner pleine de joie, de cordialité, de sentiment pittoresque, et aussi de sentiment de famille : Hier (veille de Noël), mon cher Kestner, j’ai été avec plusieurs braves garçons à la campagne ; notre gaieté a été bruyante : des cris et des rires depuis le commencement jusqu’à la fin. […] Werther une fois fait, et même à mesure qu’il le conçoit et le compose, Goethe retrouve sa sérénité ; il a triomphé de ses sentiments puisqu’il les a magnifiquement exprimés. […] Voilà pour l’auteur. — Mais les lecteurs, au contraire (je parle des premiers lecteurs, de ceux de 1774), qui trouvent dans le prodigieux petit livre tous leurs sentiments, jusque-là confus, exprimés au vif et en traits de feu, s’y prennent, ne s’en détachent plus, passent, sans s’en apercevoir, du Werther-Goethe au Werther-Jérusalem, et sont ainsi conduits, par cette contagion du talent et de l’exemple, à l’idée du suicide. […] Autrefois, c’étaient mes propres sentiments ; maintenant ce sont en outre les embarras d’autres personnes que je dois supporter et arranger.

590. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre I. La littérature pendant la Révolution et l’Empire — Chapitre IV. Chateaubriand »

La bizarre enfance de Chateaubriand l’a accoutumé à ne rien compter au-dessus de son sentiment propre. […] Il n’est pas de ceux que l’exaltation des sentiments sollicite aux actes. […] C’est que ses idées ne sont que des reflets, des prolongements de ses sentiments. En leur médiocrité, elles correspondent à des sentiments intenses, profonds, originaux. […] La tristesse pessimiste, séparée du sentiment chrétien, se retrouvera dans Vigny : sans compter qu’un chapitre du Génie du Christianisme me paraît bien lui avoir indiqué Éloa666.

591. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Dupaty, que vous connaissez de réputation ; une autre liaison non moins précieuse avec une femme aimable que j’ai trouvée ici, et qui a pris pour moi tous les sentiments d’une sœur ; des gens dont je devais le plus souhaiter la connaissance, et qui me montrent la crainte obligeante de perdre la mienne ; enfin, la réunion des sentiments les plus chers et les plus désirables : voilà ce qui fait, depuis trois mois, mon bonheur ; il semble que mon mauvais Génie ait lâché prise, et je vis, depuis trois mois, sous la baguette de la Fée bienfaisante. Les douces paroles ne sont pas si fréquentes sous la plume de Chamfort, et les sentiments indulgents n’habitent pas si volontiers dans son cœur, qu’on doive négliger de les relever quand on les rencontre. […] Le genre admis, il y a de la simplicité, et l’on s’est accordé à y louer un style pur et des sentiments doux, ce qui est assez singulier dans une tragédie et chez un auteur tel que Chamfort : il réservait toute sa douceur pour ses tragédies. […] Il s’était retiré à la campagne avec une amie plus âgée que lui, mais avec laquelle il se sentait en parfait rapport de sentiment et de pensée. […] C’est que la soif d’égalité étouffait tout autre sentiment chez lui.

592. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Le sentiment du beau me conduit. […] Il leur enlève le « sentiment » même. […] Il parle au sentiment, et le sentiment est plus répandu que l’intelligence. […] José-Maria de Heredia, qu’au sentiment de M.  […] Le premier était un sentiment, le second un goût.

593. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Ces paroles l’introduisent dans un univers de sentiments jusqu’alors aperçu à peine. […] Du sentiment religieux chez M.  […] Ce sentiment seul n’aurait pas suffi. […] Aucun écrivain n’a plus de nouveauté que lui dans les idées et dans les sentiments, parce qu’aucun n’a déployé plus de sincérité dans l’invention de ses idées et l’exposition de ses sentiments. […] Les sentiments ne furent point partagés, et le style ne fut point goûté.

594. (1910) Rousseau contre Molière

Et ces sentiments sont-ils plus faibles dans les lieux où il n’y a point de spectacles ? […] L’amour du beau — c’est du beau moral qu’il est ici question — est un sentiment aussi naturel au cœur humain que l’amour de soi-même ; il ne naît point d’un arrangement de scènes ; l’auteur ne l’y porte pas, il l’y trouve, et de ce pur sentiment qu’il flatte naissent les douces larmes qu’il fait couler. » Je disais donc bien : 1° Le théâtre ne nous inspire que les sentiments que nous avons ; 2° ces sentiments que nous apportons au théâtre sont dirigés du côté du bien. […] 2° que, parmi les sentiments exprimés par les personnages, le public choisira précisément pour les caresser et pour les éprouver lui-même les sentiments mauvais, puisqu’il est foncièrement bon et n’apporte au théâtre que des sentiments tout prêts pour le bien ? […] Les droits les plus sacrés, les plus touchants sentiments de la nature sont joués dans cette odieuse scène. […] Enfin Rousseau est tout plein de sentiment religieux et ne saurait s’en passer.

595. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

« Quant à des sentiments autres que ceux de l’estime et d’une vive amitié de la part de la princesse, je crois qu’ils n’existent pas. […] … Tant que j’ai conservé l’espoir de la revoir, je croyais mes sentiments pour elle très naturels ; à présent ils me possèdent trop. […] Les regards de tous ces hommes, admirablement groupés dans leurs attitudes diverses, ont l’unité du même sentiment : l’attention sombre à l’horizon menaçant ; la préoccupation muette du vent qui va sortir du nuage. […] Il aurait fallu des yeux plus clairvoyants que les miens pour y découvrir d’autres sentiments, car il y régnait une réserve d’expressions toute platonique… Peut-être, ajoute-t-il, est-ce là ce qui a fait durer l’illusion. […] … Il dort dans la patrie de Canova, avec lequel il eut tant de ressemblance par le sentiment du beau, ce vrai but de l’art.

596. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Il s’en faut en effet que sa parole soit aussi hardie que son sentiment. […] Ses peintures sont plutôt des sentiments que des images. […] Sa critique est toute de sentiment. Le sentiment est un excellent juge des beautés littéraires ; c’est même le meilleur, je le veux bien. […] Vauvenargues n’hésite pas ; il dit son sentiment, mais sans la moindre pensée de polémique.

597. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Recevez du moins l’assurance de ces sentiments. — Servan aîné, à Roussan, par Saint-Remy, département des Bouches-du-Rhône, 17 frimaire an VIII. […] Si vous n’aviez pas reçu la lettre où j’ai tâché de vous exprimer les sentiments ou plutôt les premiers mouvements de mon cœur, que penseriez-vous de moi ? […] Sa Lettre à Fauriel sur les Causes finales respire les plus admirables sentiments et agite les conjectures les plus consciencieuses. […] Je vous exprime ici d’une manière bien vague et bien incomplète un sentiment réel et pénible. […] Il y apportait un sentiment vif, passionné, et qui aurait pu s’appeler de la sollicitude.

598. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre I. Les origines. — Chapitre I. Les Saxons. » pp. 3-71

Au premier rang, « un certain sérieux qui les écarte des sentiments frivoles et les mène sur la voie des sentiments élevés32. » Dès l’origine, en Germanie, on les trouve tels, sévères de mœurs, avec des inclinations graves et une dignité virile. […] Voici les récits que les thanes, assis sur leurs escabeaux, à la clarté des torches, écoutaient en buvant la bière de leur prince : l’on y voit leurs mœurs, leurs sentiments, comme les sentiments et les mœurs des Grecs dans l’Iliade et l’Odyssée d’Homère. […] Poëmes païens. —  Genre et force des sentiments. —  Tour de l’esprit et du langage. —  Véhémence de l’impression et aspérité de l’expression. […] Et néanmoins il n’ajoutera rien au sentiment primitif. […] Mais cet esprit exclu du sentiment du beau n’en est que plus propre au sentiment du vrai.

599. (1888) Épidémie naturaliste ; suivi de : Émile Zola et la science : discours prononcé au profit d’une société pour l’enseignement en 1880 pp. 4-93

Pour ce qui est de la pensée, en elle-même, lorsque par des hardiesses de haut vol, elle a exprimé les grands sentiments, les grandes idées qui agitent, qui excitent, qui inspirent l’humanité, idées et sentiments dont le nombre est très limité, il ne lui est pas donné d’aller au-delà, elle ne peut donc que se répéter. […] Dans le sentiment, il n’a vu que l’abus qu’on peut en faire, et il a écrit le Père Goriot. […] Les auteurs ont accouru à tous les genres romans d’histoire, d’aventures, de passions, de sentiments, de mœurs, de crime, ont été constamment faits, refaits et réédités à satiété. […] Pour que l’ouvrier se garde de ces habitudes abrutissantes et meurtrières, il suffit qu’il ait de bons sentiments et le goût du travail. […] Les naturalistes nous reprochent notre idéal postiche, disent-ils, et bon tout au plus à engendrer des sentiments et des jugements factices.

600. (1891) Esquisses contemporaines

Les mots ne suffisent plus à exprimer toute l’intensité du sentiment moderne. […] Excellant à rendre les intuitions, sa phrase est impuissante à conclure et n’aboutit qu’au sentiment. […] Il naîtra dès lors ce sentiment amer de notre infinitésimale petitesse en regard de la nature éternelle qui nous précède et qui nous suit, sentiment tout moderne, que les anciens semblent avoir peu connu. […] Bourget n’a guère souci que de vie sentimentale, et les sentiments meurent vite quand on les analyse. […] L’auteur accorde que le sentiment du péché est un sentiment légitime ; il y reconnaît la substance du dogme chrétien.

601. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Les maladies, la persécution avaient développé ses sentiments religieux. […] Un trouble universel m’ôtait tout autre sentiment. […] mon Dieu, très bon sentiment, si l’on n’avait tout de même un peu trop abusé de cette substitution du sentiment à la raison. […] Ils n’avaient que la pitié, sentiment naturel. […] L’action est simple ; les situations et les faits y sont produits par les sentiments

602. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Cette fable si pathétique devint entre ses mains un tissu de conversations brillantes et sublimes, où il prodigua les sentiments héroïques. […] La pensée, du reste, est héroïque, et le sentiment passionné. […] Cette admiration pour les anciens Romains ne s’épuisera jamais ; elle a sa source dans le cœur, et dans les sentiments les plus honnêtes du cœur. […] Élevé chez les jésuites, Voltaire semblait avoir conservé pour eux quelque sentiment d’estime et de reconnaissance. […] Il répugne à nos mœurs qu’une femme fasse l’office de bourreau ; c’est calomnier le plus doux sentiment de la nature, que de le confondre avec les passions les plus brutales.

603. (1885) Le romantisme des classiques (4e éd.)

Et qui pour votre amour n’a point de sentiment ? […] Chez lui, ce personnage, faute d’espace et d’air, est un peu monotone, quoique les sentiments en soient généreux et touchants. […] Enfin les Sentiments de l’Académie parurent. […] On ne peut qu’applaudir à ces sentiments. […] n’attendrissez point ici mes sentiments !

604. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Agréez, je vous prie, le témoignage de mes sentiments les plus distingués. […] Là commence l’histoire de ses chutes, étrangères à son amour, étrangères à tout sentiment du cœur, avilissantes. […] Mais c’est par l’âme, par le sentiment que M.  […] Elle parle au pèlerin, et bientôt le rend tout entier au sentiment de son incurable malheur. […] Que s’il entraîne un sentiment de dépendance, ce sentiment ne détruit en nous ni la personnalité, ni la responsabilité, que la conscience atteste, que l’œuvre même de Dieu suppose, et que l’Évangile proclame.

605. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Le rôle est plein d’antithèses, de fioritures, et aussi de sentiments simulés. […] Et quelle grossièreté de sentiments chez ce héros de la foi ! […] Non seulement l’amour, mais tous les sentiments en général. […] C’est une fauve ; ses sentiments sont simples. […] Par un sentiment d’irréductible pudeur, par un invincible respect de soi.

606. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

M. de Fontanes y prit le sentiment terrible du religieux ; pourtant l’imagination était peut-être plus frappée que le cœur. […] Quand ils avaient créé des habitudes et des sentiments dans l’esprit et dans l’âme de leurs concitoyens, ils croyaient leur tâche presque achevée. […] Pureté, sentiment, discrétion, tout en fait un petit chef-d’œuvre, à qui il ne manque que de nous être arrivé par l’antiquité. […] Dénué de tout sentiment jaloux, il avait ses idées très-arrêtées en poésie française et très-négatives sur l’avenir. […] Sa conduite dans tout ce qui va suivre fut celle d’un homme honnête, modéré, qui cède, mais qui cède au sentiment, jamais au calcul.

607. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre II. Le Roman (suite). Thackeray. »

L’indignation, la douleur, le mépris, le dégoût, sont ses sentiments ordinaires. […] À la moindre émotion, ses larmes coulent, ses sentiments frémissent, comme un papillon délicat qu’on écrase dès qu’on le touche. […] Presque toujours, lorsqu’il décrit de beaux sentiments, il les dérive d’une vilaine source. […] » On voit qu’il a le sentiment du devoir conjugal. […] Il aime à se représenter des sentiments, à sentir leurs attaches, leurs précédents, leurs suites, et il se donne ce plaisir.

608. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Fénelon y définit son idéal, qui est l’idéal de son tempérament : une éloquence naturelle, familière, insinuante, qui persuade par sentiment plus que par logique, qui aille du cœur au cœur, et soit faite surtout de ferveur et de tendresse. […] Toutes les variétés de sentiments, toutes les sortes d’esprit y sont : et quelle connaissance de l’homme et du monde, des ressorts par lesquels se manient les cœurs ! […] Contre la critique dogmatique, contre l’application mécanique des règles, il fonde la critique de sentiment. […] Chrétien, il est mû par le sentiment, plutôt que soumis à la règle ; il est personnel, indocile, téméraire, hétérodoxe. […] Il a l’amour de l’humanité, le sentiment social et philanthropique ; il est bienfaisant et prêche la bienfaisance.

609. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre II. L’époque romantique — Chapitre IV. Le théâtre romantique »

Il n’y a pas là-dedans une idée morale, un sentiment : rien que l’horreur physique. […] Toutes les laideurs, la morale avec la physique, et dans cette dégradation de tout l’être humain, un sentiment ingénu, l’amour paternel : voilà Triboulet. […] Hugo amène n’importe comment les situations, les sentiments sur lesquels son inspiration lyrique pourra librement partir : il fait pour lui-même ce que le librettiste fait pour le musicien. […] Alors la comédie crée un univers de la couleur de ce sentiment, et la vérité morale est entière dans l’absolue fantaisie de la construction scénique. […] De la tentative de La Chaussée et de Diderot, il n’était guère resté, conformément au sentiment de Voltaire, que la comédie mixte, où des scènes attendries et pathétiques alternent avec les scènes plaisantes.

610. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

— Oui, je sais que la poésie n’est que sentiment, couleur et musique, et qu’elle n’a presque pas besoin de pensée. […] Ils m’empêchent de sentir sa poésie »… La demi-douzaine d’idées et de sentiments que j’énumérais tout à, l’heure, songez qu’il les a développés en cinquante ou soixante mille vers. […] C’est l’ouvrier des mots, l’homme de style qui commande chez lui à l’homme de pensée et de sentiment. […] C’est affaire de sentiment et d’ « opinion » matière aux disputes et aux jugements incertains des hommes. […] Il eut la chance de survivre à l’Empire, de revenir de l’exil et, à partir de ce moment, d’être l’interprète des sentiments et des passions du Paris révolutionnaire.

611. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De l’état de la France sous Louis XV (1757-1758). » pp. 23-43

Voyez, mon cher comte, si vous pouvez plus que moi exciter le principe de vie qui s’éteint chez nous : pour moi, j’ai rué tous mes grands coups, et je vais prendre le parti d’être en apoplexie comme les autres sur le sentiment, sans cesser de faire mon devoir en bon citoyen et en honnête homme. […] Il y a là un sentiment de dignité avant tout et de haute convenance nationale, d’honneur de couronne, comme on disait alors, lequel sentiment est au cœur de Marie-Thérèse et que Bernis n’a pas : il raisonne dans toutes ses lettres à peu près comme Mme de Maintenon dans celles qu’elle écrivait à la princesse des Ursins, et où le mot de paix revient à chaque page. […] Ma seule espérance, qui n’est qu’un sentiment de femme ou d’enfant, c’est que puisque je ne suis pas mort de notre honte, il est possible que je sois réservé pour la réparer. […] Voilà mon sentiment : si ce n’est pas celui du roi, il faut chercher promptement un autre sujet avec qui je puisse me concerter. […] Louis XV coupa court à la difficulté par un ordre que Bernis reçut le 13 décembre et qui l’exilait dans son abbaye près de Soissons : une lettre de lui au roi écrite au reçu de l’ordre, et une autre lettre écrite dans la soirée de la même journée à Mme de Pompadour, n’expriment que des sentiments de soumission parfaite et de reconnaissance infinie pour le passé, sans un seul mouvement de plainte.

612. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Réminiscences, par M. Coulmann. Ancien Maître des requêtes, ancien Député. »

Mme Dufrenoy était un vrai poète par l’âme, par la passion, par le sentiment du rythme et de l’harmonie ; elle avait de la composition, du dessin jusque dans l’élégie : par malheur, l’éclat du style a manqué à ses inspirations et à sa flamme. […] Coulmann des sentiments assez tendres et qui se trouvèrent blessés, à la fin, d’un manque de confiance ou d’un partage de tendresse. […] Mme Dufrenoy, pour peu qu’elle eût été de quelques années plus jeune, eût éprouvé peut-être quelque chose de ce même sentiment pour son jeune ami. […] Coulmann, en abordant Mme Sophie Gay, avait, il paraît, quelques préventions, quelques craintes : il la savait railleuse et mordante, il la croyait dangereuse peut-être ; il se la figurait plus compliquée qu’elle n’était ; enfin, il laissa entrevoir un soupçon, un sentiment de réserve, tout en lui demandant son amitié. […] Il est si usé que c’est aux autres qu’il emprunte les sentiments qu’il ne trouve plus en lui-même.

613. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXVIIe entretien. Sur la poésie »

III L’homme sensitif et pensant est un instrument sonore de sensations, de sentiments et d’idées. […] Voilà, selon nous, toute l’origine et toute l’explication du vers, cette transcendance de l’expression, ce verbe du beau, non dans la pensée, mais dans le sentiment et dans l’imagination. […] J’y vois bien la richesse, j’y vois bien l’utile, mais le beau, mais l’impression, mais le sentiment, mais l’enthousiasme, où sont-ils ? […] Enfin, si on calcule par la pensée l’incalculable ondulation de ces vagues succédant aux vagues qui battent depuis le commencement du monde de leur flux et de leur reflux les falaises dont les granits pulvérisés sont devenus un sable impalpable à ces frôlements de l’eau, on s’égare dans la supputation des siècles et on a quelque sentiment de l’étendue. — Émotion ! […] Il y composa des vers, où le sentiment de la solitude, qui porte à Dieu, se mêle aux sentiments de Dieu qui remplit la solitude.

614. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Jasmin. (Troisième volume de ses Poésies.) (1851.) » pp. 309-329

La poésie de Jasmin est tout émaillée de ces vers charmants qui font luire aux yeux les objets, qui font briller sur la vitre le soleil du matin, et étinceler la maisonnette à travers le bouquet de noisetiers : mais ici cet éclat de description se confond avec le pur sentiment. […] Il avait composé pour cette solennité une pièce nouvelle, intitulée Le Prêtre sans église, et inspirée des mêmes sentiments élevés et droits. […] De tels exemples, où tant de sentiments délicats et généreux se confondent des deux parts dans un sentiment religieux supérieur, semblent ramener la poésie à ses plus nobles origines et ne se peuvent raconter sans émotion. […] La Vigne de Jasmin est un de ces petits chefs-d’œuvre qu’on ne peut attendre que de ces poètes accomplis en qui le sentiment et le style s’unissent pour satisfaire à la fois l’âme et le goût. […] Heureux de la conversion, le poète s’écrie en finissant, dans un sentiment qui déborde le cadre de son poème : « C’est beau de sauver la sainte poésie, mais c’est cent fois plus beau de sauver son pays ! 

615. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire des travaux et des idées de Buffon, par M. Flourens. (Hachette. — 1850.) » pp. 347-368

Voyons-le tel qu’il était à Montbard ; mais entrons-y non pas, comme le fit Hérault de Séchelles, en espion léger, infidèle et moqueur ; entrons-y plutôt avec ce sentiment élevé et pénétré qui fit que Jean-Jacques, passant à Montbard en 1770, voulut voir ce cabinet de travail qu’on a appelé le berceau de l’histoire naturelle, et en baisa à genoux le seuil. […] Voltaire essayait parfois de le mordre et de le ridiculiser ; mais il s’arrêtait par un sentiment involontaire de respect. D’Alembert, moins délicat que Voltaire, et moins averti par le sentiment du beau, se donnait toute carrière sur Buffon. […] Cette précaution une fois prise, il raconte avec une suite, une précision et un sentiment de réalité qui étonne et fait illusion à la fois, ces scènes immenses et terribles de débrouillement, ces spectacles effroyables, et qui n’eurent point de spectateur humain. […] Le sentiment moral reste un peu blessé, au milieu de tous les étonnements qu’excite ce bel ouvrage, de le trouver si muet et si désert du côté du ciel. — Seul le Génie de l’humanité y domine et s’y glorifie dans une dernière page d’une perspective grandiose et superbe, bien que légèrement attristée49.

616. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

C’est un chant destiné à traduire et à exprimer l’ivresse publique, la gloire des vainqueurs, la pompe des noces solennelles ou le deuil des grandes funérailles, quelque sentiment général qui transporte à un moment une nation. […] Or, chez les modernes, à part de très rares circonstances, une telle réunion de sentiments, un tel accord sympathique n’a guère lieu que dans le genre de la chanson, à table et au dessert. […] Il respire dans cette pièce un profond sentiment de la justice que la postérité accorde aux œuvres durables et aux monuments élevés avec lenteur : Flatté de plaire aux goûts volages, L’Esprit est le dieu des instants. […] Je ne sais si le talent poétique de Le Brun eût jamais été susceptible de se développer et de grandir en des régions plus heureuses ; mais à coup sûr, par une telle habitude de sentiments et de pensées, il s’en était interdit les moyens ; il avait tari en lui les sources jaillissantes et fécondes. […] Il avait de la galanterie plus que du sentiment, mais souvent une galanterie fort ingénieuse et délicate (lire de lui, au premier livre des Épigrammes, La Méprise, ou les Flambeaux changés).

617. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

Qu’on relise dans leur suite ses lettres à Voltaire, à d’Alembert, et, au milieu de quantité de choses qui font tache et qu’on regrette d’y trouver, on reconnaîtra dans le fond des sentiments un sage et un roi. […] Un homme de mérite et d’un caractère respectable, M. le docteur Henry, pasteur de l’église française de Berlin, a examiné ce point dans un sentiment de patriotisme et de christianisme à la fois, et avec le désir de trouver Frédéric moins coupable qu’il ne paraît à travers Voltaire. […] Mais Frédéric n’est pas encore roi, il n’a rien à offrir à son ami que ses sentiments pour le retenir ; loin de disposer d’aucune position, d’aucune faveur, il est lui-même dans la gêne. […] La beauté des sentiments qu’on y voit exprimés réfléchit en partie sur Frédéric, qui savait si bien les comprendre, et qui fut digne, à cet âge, de les inspirer : Varsovie, 3 novembre 1740. […] On ne retrouve guère des gens qui ont tant d’esprit joint avec tant de candeur et de sentiment.

618. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Daphnis et Chloé. Traduction d’Amyot et de courier »

Après lui, après les deux disciples qu’on ne sépare guère de lui, on n’a que de rares idylles : Méléagre en a fait une sur le Printemps, et qui, dans sa brièveté, mérite d’être comptée à sa date pour le très-vif sentiment de la nature, qui s’y peint en chaque vers ; mais ce n’est qu’un cadre, il y manque les personnages. […] Il a fallu assez de temps pour que l’œuvre fût appréciée à son prix par les modernes ; mais le bon Amyot avait certainement le sentiment et l’instinct de ce qu’elle valait, lorsqu’il choisir exprès pour l’une des premières traductions du grec qu’il comptait donner au public. […] Ce que nous appelons le sentiment esthétique est tout à fait absent. […] Une peinture plus vive que touchante des premières émotions, des premiers sentiments de deux jeunes amants élevés dans la simplicité d’une vie champêtre et protégés contre eux-mêmes par la soûle ignorance. […] Et un goût, une perfection, une délicatesse de sentiment comparables à tout ce qui s’est fait de mieux !

619. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

L’âge de l’innocence est partout l’âge du bonheur, même en amour. » Cependant Bonstetten dut quitter Rome ; il en emporta un sentiment aimable et léger comme lui ; il écrivait quelquefois à la belle reine, qui lui répondait sur le ton de l’amitié ; il ne la revit que plus de trente ans après : ah ! […] Saint-René Taillandier d’une singulière exigence envers la belle et noble personne dont il s’est fait le biographe et le peintre après M. de Reumont : « On voudrait savoir, dit-il, quel a été le rôle de la princesse auprès d’un tel mari ; on voudrait savoir si elle a exercé quelque influence sur sa conduite, si elle a tenté de relever son cœur, de le rappeler au sentiment de lui-même, si elle a essayé enfin de guérir le malade avant de s’en détourner avec dégoût. […] Du reste, ma très chère sœur, vous ne devez pas mettre en doute mes sentiments envers vous, et jusques à quel point j’ai plaint votre situation. […] Alfieri (c’est là son beau côté) eut pour Mme d’Albany, dès le premier jour, un culte, un sentiment de respect soumis et d’admiration enthousiaste qui ne s’est jamais démenti. […] Taillandier oublie trop, et dont M. de Lamartine nous disait, hier encore, avec le charme qui s’attache même à ses dernières paroles : « L’amour en Italie, comme on peut le voir par la Béatrice de Dante et par la Laure de Pétrarque, est le plus avoué et en même temps le plus sérieux des sentiments de l’homme.

620. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

comme chaque idée, chaque sentiment va revêtir à ses yeux un masque, un personnage, et marcher à ses côtés ! […] Boyer est mort fort chrétiennement ; sur quoi je vous dirai, en passant, que je dois réparation à la mémoire de la Champmeslé, qui mourut avec d’assez bons sentiments, après avoir renoncé à la comédie, très-repentante de sa vie passée, mais surtout fort affligée de mourir : du moins M.  […] Mais, même en tenant compte de l’intention, on peut conclure hardiment, après avoir lu et comparé ces passages, que les sentiments du poëte ne prenaient plus la forme dramatique, et que la figure de la Champmeslé lui était depuis longtemps sortie de la mémoire. […] Les derniers sentiments exprimés dans cette pièce ne furent point étrangers à l’âme de Racine. […] C’est une conversation douce et choisie, d’un charme croissant, une confidence pénétrante et pleine d’émotion, comme on se figure qu’en pouvait suggérer au poëte le commerce paisible de cette société où une femme écrivait la Princesse de Clèves ; c’est un sentiment intime, unique, expansif, qui se mêle à tout, s’insinue partout, qu’on retrouve dans chaque soupir, dans chaque larme, et qu’on respire avec l’air.

621. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre II. Rapports des fonctions des centres nerveux et des événements moraux » pp. 317-336

Tyndall155, que tous les grands penseurs qui ont étudié ce sujet, sont prêts à admettre l’hypothèse suivante : que tout acte de conscience, que ce soit dans le domaine des sens, de la pensée ou de l’émotion, correspond à un certain état moléculaire défini du cerveau ; que ce rapport du physique à la conscience existe invariablement, de telle sorte que, étant donné l’état du cerveau, on pourrait en déduire la pensée ou le sentiment correspondant, ou que, étant donnée la pensée ou le sentiment, on pourrait en déduire l’état du cerveau. […] Mais les deux cas diffèrent en ceci, que, si l’on ne peut démontrer l’influence du courant sur l’aiguille, on peut au moins se la figurer, et que nous n’avons aucun doute qu’on finira par résoudre mécaniquement le problème ; tandis qu’on ne peut même se figurer le passage de l’état physique du cerveau aux faits correspondants du sentiment. — Admettons qu’une pensée définie corresponde simultanément à une action moléculaire définie dans le cerveau. […] Si notre intelligence et nos sens étaient assez perfectionnés, assez vigoureux, assez illuminés, pour nous permettre de voir et de sentir les molécules mêmes du cerveau ; si nous pouvions suivre tous les mouvements, tous les groupements, toutes les décharges, électriques, si elles existent, de ces molécules ; si nous connaissions parfaitement les états moléculaires qui correspondent à tel ou tel état de pensée ou de sentiment, nous serions encore aussi loin que jamais de la solution de ce problème : Quel est le lien entre cet état physique et les faits de la conscience ? […] Admettons que le sentiment amour, par exemple, corresponde à un mouvement en spirale dextre des molécules du cerveau, et le sentiment haine à un mouvement en spirale senestre.

622. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. James Mill — Chapitre I : Sensations et idées. »

Nous connaissons les sensations simples et ces sentiments secondaires qui en sont les images. […] L’association est un fait si général que notre vie entière consiste en une suite de sentiments (train of feelings). […] Les causes qui renferment l’association semblent se résoudre à deux : la vivacité des sentiments associés et la fréquence de l’association. […] Elle n’a point le sentiment de ce qui est primitif, de cette époque lointaine ou les sens et l’imagination prédominaient, et ou l’âme ne saisissait que les choses vivantes et concrètes29. […] La conscience est le nom de nos sentiments pris un à un ; l’imagination est le nom d’une suite de sentiments ou idées.

623. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Marie Stuart, par M. Mignet. (2 vol. in-8º. — Paulin, 1851.) » pp. 409-426

Dargaud leur a rendu justice avec effusion et cordialité ; il a fait passer dans les moindres lignes de son Histoire le sentiment de poésie et de pitié exaltée qui l’anime pour les souvenirs de la royale et catholique victime ; il a mérité une très belle lettre que Mme Sand lui a adressée de Nohant (10 avril 1851), et où elle le félicite en le critiquant à peine, et en parlant surtout de Marie Stuart avec charme et avec éloquence. […] La femme, telle que Marie Stuart, mobile, ardente et entraînée, avec le sentiment de sa faiblesse et de son abandon, aime à trouver son maître et par moments son tyran dans celui qu’elle aime, tandis qu’elle méprise vite en lui son esclave et sa créature, quand il n’est rien que cela ; elle aime mieux un bras de fer qu’une main efféminée. […] Sa faute n’est pas là, et, au milieu de tant d’infidélités et d’horreurs, ce serait pousser bien loin la délicatesse que de réclamer l’éternité du sentiment pour ces restes d’une passion effrénée et sanglante. […] Elle s’en pénètre et le substitue dès le premier instant à tous ses anciens sentiments personnels, qui peu à peu expirent et qui s’apaisent en elle avec les occasions fugitives qui les avaient soulevés. […] Ayant à raconter dans ses Recherches la mort de Marie Stuart, il l’oppose à l’histoire tragique du connétable de Saint-Pol, à celle du connétable de Bourbon, qui lui ont laissé un mélange de sentiments contraires : « Mais en celle que je discourrai maintenant, dit-il, il me semble n’y avoir que pleurs, et, par aventure, se trouvera-t-il homme qui, en lisant, ne pardonnera à ses yeux. » M. 

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