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2096. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Il passa son enfance avec eux en tête-à-tête, et se trouva versificateur dès qu’il sut parler. […] En vérité, je voudrais admirer les œuvres d’imagination de Pope ; je ne saurais. […] En effet, toutes les ordures de la vie littéraire y sont ; et Dieu sait ce qu’elle était alors ! […] À ce moment, et après cent ans de culture, il n’y a aucun mouvement, aucun objet, aucune action qu’on ne sache décrire. […] Un grand écrivain est un homme qui, ayant des passions, sait le dictionnaire et la grammaire ; celui-ci sait à fond le dictionnaire et la grammaire, mais s’en tient là.

2097. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Quand il sait parler, tout se réduit à de simples mots, qui deviennent les substituts de ses actions comme de ses sensations. […] Cette action indirecte ne saurait constituer la liberté de la croyance, pas plus que la corruption des témoins dans un tribunal ne constitue la liberté du juge. […] On sait que F. […] La question revient donc à savoir si le temps, à lui seul, exerce une influence. […] On savait que ces deux phénomènes s’accompagnent toujours dans l’expérience, et que les variations du premier sont concomitantes avec les variations du second.

2098. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Nous ne savons pas grand’chose sur sa première enfance. […] S’il n’est pas né dans cette maison, comme on l’a cru longtemps, on ne saurait douter qu’il y soit venu souvent. […] Je ne sais point de connaissances spéciales dont ce pur littérateur ait fait montre plus tard, hormis celle-là. […] On sait le traitement dont le duc de Montausier estimait que l’auteur des Satires était digne pour avoir médit de Chapelain. […] Il savait mettre en valeur un argument foudroyant par d’astucieux silences qui le faisaient croire lassé ou vaincu.

2099. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Conclusion »

On ne sait s’ils sont plus impérieux que soumis. […] C’est la pensée de Pascal retournée : l’univers connaît l’homme, et s’il écrasait l’homme, il saurait qu’il l’écrase. […] Cette poésie ne fait pas d’efforts pour s’éloigner de la prose ; elle sait qu’il n’y a rien de plus charmant que la prose française, et que le mieux qu’elle puisse faire, c’est de ressembler à sa sœur en gardant sa physionomie. […] Celui-ci s’est concentré dans quelques œuvres, et bien qu’ayant mis en appétit le public, il a su le rationner. On sait s’il s’en est bien trouvé.

2100. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

La bataille de Ligny gagnée, les Prussiens repoussés mais non détruits, toute la question pour Napoléon était de savoir s’il pourrait atteindre les Anglais séparément, à temps, et si eux voudraient s’y prêter. […] Et voici que la réserve de grosse cavalerie de la garde, entraînée elle-même par le mouvement de Kellermann, saisie à son tour de je ne sais quel élan vertigineux (ô noble malheur d’une armée trop électrisée ce jour-là !) […] On le sait trop bien. […] J’aime la vérité assurément et la réalité franche, je le répète assez souvent ; je sais même surmonter un dégoût pour arriver au plus profond des choses, au plus vrai de la nature humaine ; mais je m’arrête là où l’inutilité saute aux yeux et où la puérilité commence. […] Je ne sais pas dans la littérature des nations 250 pages plus grandes de sujet ni plus simples. — Non, nous ne sommes pas en décadence.

2101. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Dübner »

« Repoussé ou peu agréé dans le principe du côté universitaire, Dübner trouva un empressé et généreux accueil parmi les membres de l’enseignement libre, qui surent apprécier aussitôt son utilité et les services qu’il pouvait rendre. […] « Remercions aussi l’artiste distingué dont le ciseau a si bien servi cette pensée d’amitié et de justice, et a su figurer à nos yeux l’image et l’esprit de notre ami dans une composition heureuse. […] Mais le grand philologue de Leyde, qui était son véritable ami, qui entretenait avec lui un commerce de lettres, qui se plaisait à être son hôte dans ses voyages à Paris, saurait dire mieux que personne et dans leur juste mesure les qualités précises et multiples de celui qu’il distinguait et estimait entre tous. […] Heureux après tout, heureux homme, pourrions-nous dire, qui a consacré toute sa vie à d’innocents travaux, payés par de si intimes jouissances ; qui a approfondi ces belles choses que d’autres effleurent ; qui n’a pas été comme ceux (et j’en ai connu) qui se sentent privés et sevrés de ce qu’ils aiment et qu’ils admirent le plus : car, ainsi que la dit Pindare, « c’est la plus grande amertume à qui apprécie les belles choses d’avoir le pied dehors par nécessité. » Lui, l’heureux Dübner, il était dedans, il avait les deux pieds dans la double Antiquité ; il y habitait nuit et jour ; il savait le sens et la nuance et l’âge de chaque mot, l’histoire du goût lui-même ; il était comme le secrétaire des plus beaux génies, des plus purs écrivains ; il a comme assisté à la naissance, à l’expression de leurs pensées dans les plus belles des langues ; il a récrit sous leur dictée leurs plus parfaits ouvrages ; il avait la douce et secrète satisfaction de sentir qu’il leur rendait à tout instant, par sa fidélité et sa sagacité à les comprendre, d’humbles et obscurs services, bien essentiels pourtant ; qu’il les engageait sans bruit de bien des injures ; qu’il réparait à leur égard de longs affronts. […] Tous ceux qui ont causé avec Dübner dans les derniers temps de sa vie savent, par exemple, qu’il s’en est fallu de peu que le titre de l’édition de Cesar ne portât point son nom, mais seulement le nom du directeur de l’Imprimerie impériale.

2102. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Appendice — II. Sur la traduction de Lucrèce, par M. de Pongerville »

Viennet avait écrit je ne sais plus quelle lettre qui courait dans les journaux ; c’était au lendemain de sa mort. […] — Savez-vous bien que notre confrère Viennet, qui se donnait des airs d’indépendance et qui n’était qu’un déiste pusillanime, n’a pas craint d’écrire dans une lettre à ce…, notre si peu confrère, que nous étions trois autour du tapis vert, trois ni plus ni moins, qui étions de la religion de Lucrèce ? […] Il redisait de beaux vers de Lucrèce qu’il savait par cœur : il l’avait commenté bien avant Homère, peut-être avant Virgile ; il s’en était nourri dès l’adolescence181. […] « Quand on a su vivre quinze ans avec Lucrèce sans se pénétrer de son esprit, il serait miraculeux qu’on eût réussi à rendre les innombrables beautés par lesquelles cet esprit se manifeste et transpire à chaque page, et presque à chaque vers. […] Nouveaux Lundis, tome X, page 108. — Et à propos de cette même page, à un ami qui lui écrivait : « Cette fois je vous y prends, je crois que vous êtes spinoziste… », Sainte-Beuve répondit : « Je ne me doutais pas de mon spinozisme ; vous m’avez fait relire ma page ; mais savez-vous que le spinozisme est quelque chose de beaucoup trop beau pour moi et de beaucoup trop artificiellement compliqué ?

2103. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Lamennais, Paroles d'un croyant »

« Quelque chose que nous ne savons pas se remue dans le monde : il y a là un travail de Dieu. […] « On les verra, errant sur les chemins, demander aux passants quelques haillons pour couvrir leur nudité, un peu de pain noir pour apaiser leur faim, et je ne sais s’ils l’obtiendront.  […] « Et les hommes se regarderont à cette lumière, et ils diront : « Nous ne connaissions ni nous ni les autres, nous ne savions pas ce que c’est que l’homme : à présent nous le savons. » « Et chacun s’aimera dans son frère, et se tiendra heureux de le servir ; et il n’y aura ni petits ni grands, à cause de l’amour qui égale tout, et toutes les familles ne seront qu’une famille, et toutes les nations qu’une nation.  […] Je sais que les propositions que l’auteur prête aux sept hommes, et qui peuvent paraître le plus exagérées : Abolissons la science ; tuons la concorde ; le bourreau est le premier ministre d’un bon prince, etc., sont textuellement extraites d’un livre italien assez récemment imprimé à Modène.

2104. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Victor Hugo — Victor Hugo, Les Feuilles d'automne, (1831) »

Il faut leur en savoir gré, car on en pourrait trouver qui s’obstinent à nier le soleil, parce qu’ils ne l’ont pas prévu ; mais pourtant si le poëte, qui a besoin de la gloire, ou du moins d’être confirmé dans sa certitude de l’obtenir, s’en remettait à ces agiles intelligences dont l’approbation marche comme l’antique châtiment, pede pæna claudo, il y aurait lieu pour lui de défaillir, de se désespérer en chemin, de jeter bas le fardeau avant la première borne, comme ont fait Gilbert, Chatterton et Keats. […] Heureux qui, l’ayant découverte et pressentie avant la foule, y sait demeurer intérieur et fidèle, la voit croître, s’épanouir et mûrir, jouit de son ombrage avec tous, admire ses inépuisables fruits, comme aux saisons où bien peu les recueillaient, et compte avec un orgueil toujours aimant les automnes et les printemps dont elle se couronne ! […] L’échelle lumineuse qu’avait rêvée dans sa jeunesse le fils du patriarche, et que le Christ médiateur a réalisée par sa croix, n’existe plus pour le poëte : je ne sais quel souffle funèbre l’a renversée. […] Victor Hugo a su dès longtemps la contraindre ; jamais toutes les ressources et les couleurs de l’artiste n’avaient été à ce point assorties. […] Ce livre, avec les oppositions qu’il enferme, est un miroir sincère : c’est l’hymne d’une âme en plénitude qui a su se faire une sorte de bonheur à une époque déchirée et douloureuse, et qui le chante.

2105. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « VICTORIN FABRE (Œuvres publiées par M. J. Sabbatier. Tome Ier, 1845. » pp. 154-168

on ne saurait avoir même l’idée de mettre l’ouvrage très-distingué d’un homme d’esprit, qui pense, en parallèle avec un écrit de Victorin ! Mais savez-vous bien que cela donne envie à quelques-uns de ceux qui ont connu Victorin Fabre et qui voudraient d’ailleurs observer le respect dû à sa mémoire (et je suis du nombre), que cela leur donne envie de dire tout net que cet écrivain de talent était surtout un écrivain de labeur, qu’il pensait peu, hormis dans les sillons déjà tracés, que sa rhétorique, pour ne s’être pas faite à temps au collége, se prolongea trop longtemps dans les concours académiques, que ces concours académiques où il triompha coup sur coup en vers et en prose ne firent jamais de lui qu’un magnifique écolier, que son front de lauréat ploya, à la lettre, sous le poids de ses couronnes, et que, dès qu’un premier échec l’eut jeté hors de l’arène des concours, on ne retrouva plus en lui, devant le grand public, qu’un talent fatigué et non pas un esprit supérieur ? […] Sabbatier le répète souvent, prodiguant à ses amis ce terme rare ; Ginguené avait plus de sens que de finesse, et moins de délicatesse que de solidité ; ce mot exquis, si l’on y prend garde, s’applique à bien peu de juges, et je ne sais que Fontanes, parmi les maîtres de ce temps-là, à qui il convînt véritablement. […] Lycée, Jeux Floraux, Académie, il brillait partout ; il cumulait, comme cet héroïque lutteur, le laurier de Delphes, le chêne de Pergame et le pin de Corinthe ; il aurait volontiers laissé écrire au-dessous de sa statue : « Ceci est la belle image du beau Milon, qui sept fois vainquit à Pise, sans avoir, une seule fois, touché la terre du genou. » Or, le jour où son genou fléchit en effet, le jour où la palme (style du genre) lui échappa et où il fut évincé par un plus heureux, il ne sut plus se consoler, il resta dépaysé longtemps, l’esprit tendu, avec tout un attirail oratoire qui ne sert que dans ces sortes de joûtes, et qui, en se prolongeant, doit nuire au libre développement des forces naturelles. […] Voulez-vous savoir comment M.

2106. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Des soirées littéraires ou les poètes entre eux »

Au xviiie  siècle, la philosophie, en imprimant son cachet à tout, mit bon ordre à ces récidives de tendresse auxquelles les poëtes sont sujets si on les abandonne à eux-mêmes ; elle confisqua d’ailleurs pour son propre compte toutes les activités, toutes les effervescences, et ne sut pas elle-même en séparer toutes les manies. […] Au milieu de cette admiration haletante et morcelée, l’idée de l’ensemble, le mouvement du fond, l’effet général de l’œuvre, ne saurait trouver place ; rien de largement naïf ni de plein ne se réfléchit dans ce miroir grossissant, taillé à mille facettes. […] Quant au génie pourtant, je ne saurais concevoir sur son compte de bien graves inquiétudes. […] Si vous ne savez pas d’aventure quelque monologue de tragédie, fouillez dans vos souvenirs personnels ; entre vos confidences d’amour, prenez la plus pudique ; entre vos désespoirs, choisissez le plus profond ; étalez-leur tout cela ! […] Il savait échapper aux ovations stériles et à ces curieux de société qui se sont toujours fait gloire d’honorer les neuf Sœurs.

2107. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. Vitet à l’Académie française. »

La censure d’alors interdisant au drame tout développement historique un peu vrai et un peu profond, on se jeta dans des genres intermédiaires, on louvoya, on fit des proverbes et des comédies en volume ; c’est ce qui s’appelle peloter en attendant partie : je ne sais si la partie est venue, ou plutôt je sais comme tout le monde qu’au théâtre elle n’a pas été gagnée. […] Il est assez ordinaire, on le sait, d’être bon dans la première partie de la vie ; cette première bonté tient à la nature, à la jeunesse, à ce superflu de toutes choses qu’on sent au-dedans de soi ; on a de quoi prêter et rendre aux autres. […] » — Soumet était, caressant et malin, un peu creux d’idées, voulant par moments faire croire à je ne sais quelle métaphysique qu’il ne possédait pas, très-aimable quand il ne parlait que de vers, pourtant très-comédien toujours, même dans les moindres circonstances de la vie, ne s’étant jamais consolé de la fuite de la jeunesse, et en prolongeant l’illusion jusqu’à la fin. […] On sait les vers de Voltaire. — Voir encore sur lui le jugement de d’Alembert et ses propres lettres dans le volume intitulé Correspondance inédite de madame Du Deffand (2 vol., 1809) ; l’opinion de d’Alembert sur le président s’y peut lire au tome I, pages 232 et 251.

2108. (1874) Premiers lundis. Tome I « Walter Scott : Vie de Napoléon Bonaparte — I »

Sans remonter si haut, si de nos jours le vénérable Goethe, dérogeant une fois à cet esprit de sagesse et d’à-propos qu’il sait porter en toutes choses, s’avisait sur la fin de sa carrière d’un effort malencontreux, qui de nous aurait le courage ou plutôt la lâcheté de relever sans pitié l’illusion du grand poëte, et de rompre par de rudes et inutiles vérités le calme religieux dans lequel il jouit de sa gloire ? Tout en admirant chez Walter Scott un génie rare que nous avons assez exalté, nous ne prétendons pas le placer encore parmi ces deux ou trois privilégiés de chaque siècle, qui méritent d’être abordés jusqu’à leur dernier jour avec tant d’égards, de ménagements, de complaisance, et envers qui l’on a déjà les sentiments graves de la postérité confondus avec ce je ne sais quoi d’affectueux et de reconnaissant qu’inspire un grand homme aux contemporains dignes de l’entendre. […] Quand sir Walter Scott en viendra à la campagne d’Italie et à la correspondance de Bonaparte avec Joséphine, il comparera le style étincelant de ces lettres au langage d’un berger arcadien, et il ajoutera ces singulières paroles qu’on croirait entendre sortir des lèvres froncées d’une milady autour d’une table à thé : « Nous ne pouvons nous dispenser de dire que dans certains passages, qu’assurément nous ne citerons pas, cette correspondance offre un ton d’indélicatesse (indelicacy) que, malgré l’intimité du lien conjugal, un mari anglais n’emploierait pas, et qu’une femme anglaise ne regarderait pas comme l’expression convenable de l’affection conjugale. » Risum teneatis… Maintenat que nous avons un échantillon du XVIIIe selon sir Walter Scott, prenons une idée du tableau qu’il trace de la révolution francaise : « La définition du tiers état par Sieyes fit fortune, au point que les notables demandèrent que les députés du tiers fussent égaux en nombre aux députés de la  noblesse et du clergé réunis, et formassent ainsi la moitié numérique des délégués aux États généraux. » Mais on sait que l’Assemblée des notables se prononça contre le doublement du tiers, et que le bureau présidé par Monsieur fut le seul qui vota pour cette mesure. […] Et d’abord, le jour de la première séance, il nous montre « tous les yeux fixés sur les représentants du tiers état, vêtus  d’un habit modeste, conformes à leur humble naissance et à leurs occupations habituelles. » Il nous apprend que, parmi ces représentants, si modestement vêtus, se trouvaient beaucoup de gens de lettres « qu’on a y avait appelés, parce qu’on les savait partisans de  systèmes, la plupart incompatibles avec l’état présent  des choses ; que, dans le principe, ces gens de lettres avaient été tenus à l’écart par les avocats et les  financiers, leurs collègues ; mais qu’à la fin ils avaient  repris le dessus et s’étaient faits républicains décidés » ; — que pourtant ces républicains décidés, lesquels étaient« d’un ordre plus élevé et de sentiments plus honorables » — que les jacobins de club, avaient surnommé ceux-ci « les enragés » ; — que néanmoins il y avait dans l’Assemblée de furieux démagogues, désignés sous le nom de Montagne ; et que, « quand les jacobins de la Montagne s’efforçaient d’interrompre Mirabeau par leurs rugissements, celui ci s’écriait d’une voix de tonnerre : Silence aux trente voix ! […] On sait le jeu de mot sur lequel roule l’aventure d’Ulysse enfermé dans la caverne du cyclope Polyphème.

2109. (1823) Racine et Shakspeare « Chapitre premier. Pour faire des Tragédies qui puissent intéresser le public en 1823, faut-il suivre les errements de Racine ou ceux de Shakspeare ? » pp. 9-27

Toute la dispute entre Racine et Shakspeare se réduit à savoir si, en observant les deux unités de lieu et de temps on peut faire des pièces qui intéressent vivement des spectateurs du dix-neuvième siècle, des pièces qui les fassent pleurer et frémir, ou, en d’autres termes, qui leur donnent des plaisirs dramatiques, au lieu des plaisirs épiques qui nous font courir à la cinquantième représentation du Paria ou de Régulus. […] Le Romantique. — Je vous demande pardon ; la raison ne saurait vous l’apprendre. Comment feriez-vous pour savoir que le spectateur peut se figurer qu’il s’est passé vingt-quatre heures, tandis qu’en effet il n’a été que deux heures assis dans sa loge, si l’expérience ne vous l’enseignait ? Comment pourriez-vous savoir que les heures, qui paraissent si longues à un homme qui s’ennuie, semblent voler pour celui qui s’amuse, si l’expérience ne vous l’enseignait ? […] Les gens de cet âge à Paris ont pris leur parti sur toutes choses, et même sur des choses d’une bien autre importance que celle de savoir si, pour faire des tragédies intéressantes en 1825, il faut suivre le système de Racine ou celui de Shakspeare.

2110. (1863) Molière et la comédie italienne « Chapitre V. Le théâtre des Gelosi (suite) » pp. 81-102

Le mari, qui se nommait Pantalon, demeura surpris, faisant de grandes instances à la comédienne pour savoir le nom de celui qui lui avait donné ce portrait. […] Pedrolino feint de se disputer avec Flaminia en disant : « Que sais-je si votre mari va à la comédie ou s’il n’y va pas ?  […] Vittoria lui répond en riant qu’elle ne sait ce qu’il veut dire, et elle s’éloigne avec Piombino. […] comme vous savez peu estimer l’amour d’une dame comme elle ! […] Vous êtes mon seigneur, et vous savez pourquoi j’ai fait ce que j’ai fait, et quel a été, depuis que je vous connais, mon unique désir.

2111. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVII. Romans d’histoire, d’aventures et de voyages : Gebhart, Lemaître, Radiot, Élémir Bourges, Loti » pp. 201-217

Il connaît les épisodes du pontificat de Grégoire VII, et sa traversée si tragique sur la barque de saint Pierre, avec une sûreté et une aisance dont personne même ne peut mesurer la valeur, puisque nul ne sait sur ces matières à lui familières que ce que son érudition généreuse a bien voulu en apprendre au public. […] Il n’a ni la vanité que donne le savoir, ni l’orgueil que donne la foi. […] Paul Radiot sait ; il n’écrit que ce dont il est sûr, que ce qu’il a vivement senti. […] Son récit est local, profondément, mais il faut lui savoir gré d’épargner des descriptions de ciels et de palmiers déjà connus, gré davantage et point négativement d’avoir écrit un roman psychologique et social qui soit roman algérien. […] Je sais, depuis, maintenant, un nouveau livre où l’on peut pleurer, aux soirs noirs où c’est la jouissance désirée ; j’aurai la Mort d’Isabelle et ses ultimes paroles Floris, où, comme aux adieux de Wotan, toutes nos contraintes écorchées se fondront dans les sanglots, les sanglots de bénédiction qui sont, après le sommeil, le meilleur don des dieux mauvais aux hommes faibles.

2112. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre deuxième »

Homme du monde avant tout, hanteur des bureaux d’esprit, précepteur de cour, jésuite de l’école des accommodements, en même temps qu’il aime le précieux aisé dans Voiture, et qu’il ne le hait pas aiguisé et subtil dans Gracian, il honore Boileau et loue Bossuet, en homme qui sait être de l’avis de la gloire. […] Pour les anciens, il en parle sans vrai savoir, raisonnable tant qu’il les loue en gros et par égard pour leurs partisans ; mais en vient-il aux exemples, il fait comme Desmarets de Saint-Sorlin, il donne tête baissée dans les mauvais, ou, s’il admire les bons c’est par de méchantes raisons. […] Mais Voltaire ne se laisse pas plus prendre que Boileau au piège de ses louanges, et les vers que chacun sait punissent Trublet d’avoir aimé d’inclination Fontenelle, et Voltaire par ambition14. […] Ils savent que nous n’y sommes ni assez enclins de nous-mêmes, ni assez aidés par les autres. […] Les grands esprits d’alors savaient que s’attacher aux ornements, c’est prouver qu’on doute de l’excellence du vrai, ou qu’on veut avoir pour soi tout seul la gloire de ce qu’on écrit.

2113. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

Léon Deschamps savait choisir ses hommes et son heure. […] On sentait, en un mot, le besoin d’autre chose, sans savoir encore de quoi cet autre chose serait fait. […] Deux garçons effarés, ahuris, ne savent comment tenir tête à l’avalanche des appels, des revendications, ni comment glisser à travers la barricade des chaises et des tables chargées de bocks. […] Les voici : Jacques Ferny, beaucoup plus spi    rituel que Roqu’laure, Sait, avec art, tirer parti    Des chroniqu’s de Roch’fore… Dreling, dreling, dreling, dreling… Marcel Legay s’enflamme, Et tendre ou fougueux, son refrain Fait un bruit d’grelots ou d’tocsin Mais c’est la fin. […] Une nouvelle série de la Plume a paru sous la direction de Karl Boès, mais cette série étant postérieure à 1900 ne saurait être examinée ici et fera l’objet d’une étude ultérieure.

2114. (1882) Qu’est-ce qu’une nation ? « II »

Il faut donc admettre qu’une nation peut exister sans principe dynastique, et même que des nations qui ont été formées par des dynasties peuvent se séparer de cette dynastie sans pour cela cesser d’exister, Le vieux principe qui ne tient compte que du droit des princes ne saurait plus être maintenu ; outre le droit dynastique, il y a le droit national. […] Pour tous il est bon de savoir oublier. […] Les langues sont des formations historiques, qui indiquent peu de choses sur le sang de ceux qui les parlent, et qui, en tout cas, ne sauraient enchaîner la liberté humaine quand il s’agit de déterminer la famille avec laquelle on s’unit pour la vie et pour la mort. […] III. — La religion ne saurait non plus offrir une base suffisante à l’établissement d’une nationalité moderne. […] Et puis toutes les montagnes ne sauraient découper des États.

2115. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1852 » pp. 13-28

Il a mis dans sa préface : les auteurs qui vont louer leurs livres au cabinet de lecture… Et ce Pyat… J’ai voulu devant les magistrats dire toute ma conduite, montrer toute ma vie… Mais quand on me dit que je ne sais pas le français, moi, qui ne sais que cela… car je ne sais ni l’histoire, ni la géographie, ni rien… mais le français, cela me paraît prodigieux… Tout de même, ils ne m’empêcheront pas d’avoir tout Paris à mon enterrement !  […] Il nous montre une lettre de Victor Hugo, apportée par Mlle Thuillier, et où il nous fait lire cette phrase : « Il fait triste ici… il pleut, c’est comme s’il tombait des pleurs. » Dans cette lettre, Hugo remercie Janin de son feuilleton sur la vente de son mobilier, lui annonce que son livre va paraître dans un mois, et qu’il le lui fera parvenir dans un panier de poisson ou dans un cassant de fonte, et il ajoute : « On dit qu’après, le Bonaparte me rayera de l’Académie… Je vous laisse mon fauteuil. » Puis, Janin se répand sur la saleté et l’infection de Planche, sa bête d’horreur : « Vous savez, quand il occupe sa stalle des Français, les deux stalles à côté restent vides. […] » Une petite actrice des Français, dont je ne sais pas le nom, lui demandant s’il a vu une pièce quelconque : « Comment, s’écrie Janin, en bondissant sur son fauteuil, vous n’avez pas lu mon feuilleton ! 

2116. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre IV. La folie et les lésions du cerveau »

On aurait constaté alors un symptôme constant, à savoir l’adhésion des méninges ou membranes enveloppantes du cerveau aux circonvolutions cérébrales ; mais M.  […] Je ne sais si l’on peut dire que l’âme d’un fou est malade, mais à coup sûr elle ne me paraît pas bien portante. […] On la confondra avec le péché, comme le fait Heinroth, ou avec l’erreur, comme le fait Leuret ; mais je réponds que si l’âme est susceptible de deux sortes de désordres aussi différents l’un de l’autre que le péché et l’erreur, je ne vois pas pourquoi elle n’en admettrait pas un troisième, à savoir la folie, J’accorde qu’il n’est pas facile de définir et de distinguer la folie de ce qui l’avoisine ; mais M. Lemoine sait qu’il n’est pas aisé non plus de définir l’erreur et de la distinguer du péché, ou réciproquement, ce qui n’empêche pas que l’un et l’autre ne soient très-distincts. […] Je sais ce que l’on peut répondre, et M. 

2117. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

— Et cependant voyez-la sourire encore, entendez-la parler, de cette voix divine qui sait le chemin de tous les cœurs ; voyez-la se parer avec cette science naturelle que tant de femmes ont rêvée ! […] D’où vient-il, ce gentilhomme qui ne sait ni flatter, ni mentir, ni rien céder à pas une des nombreuses exigences de la vie de chaque jour ? […] Après quoi, s’il demande à ceux qui peuvent le savoir : ce qu’on faisait avant lui et comment cela se jouait ? les plus habiles lui répondent qu’ils n’en savent rien ; qu’en ceci chaque comédien est resté le maître de se montrer tout à fait comme un grand seigneur qui fronde, et de très haut, les vices de l’espèce humaine, ou tout à fait comme un philosophe qui s’en attriste. […] « Et parmi ces couronnes, il y en avait une qui avait été volée le matin même, dans un cimetière, sur une tombe profanée ; volée on ne sait par qui, par la même main invisible qui espérait ainsi attrister le dernier triomphe de Célimène !

2118. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

On n’y voit point le poëte courtisan qui mendie la faveur par de serviles adulations, mais l’homme de lettres qui sait plaire par le noble exercice de son talent. […] Les lettres étaient en crédit, car le faux savoir même était un moyen de fortune ; Les Femmes savantes en sont la preuve. […] Moncade sait qu’il s’avilit ; Dolban est persuadé qu’il s’honore, et ce qui était naguère l’oubli de la dignité, plus maintenant que le préjugé vaincu. […] Tu distinguas l’imposteur de l’homme religieux ; tu saurais séparer le faux philosophe du véritable ami de la sagesse ; le novateur factieux, du citoyen qui travaille à d’utiles découvertes ; le charlatan littéraire, de l’écrivain qui dédaigne les succès d’un jour, et qui n’aspire qu’aux suffrages de la postérité. Tu saurais peindre le courtisan, sans offenser la cour ; l’ambitieux, sans atteindre l’homme qui se dévoue au service de sa patrie ; le flatteur, sans outrager le sujet qui rend un hommage légitime à son prince.

2119. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le colonel Ardant du Picq »

Je ne sais rien personnellement du colonel Ardant du Picq, sinon qu’il est un colonel, et cela me suffit, tant j’ai de goût pour les colonels ! […] Il y a même de très grands écrivains, de très grands artistes, qui emploient leur talent et leur art à fausser l’histoire et à faire d’elle la servante ou d’un système ou d’un parti ; par cela seul se déshonorant de ce qu’ils l’ont déshonorée… Michelet est de ceux-là, par exemple, et la critique peut pleurer sur lui, parce qu’elle sait tout ce qu’en le perdant la vérité y a perdu. […] Le colonel Ardant du Picq ne la pose pas, cette thèse, altièrement, dans ses Études sur le Combat ; mais elle en résulte et elle en sort pour les esprits qui savent déduire. […] L’auteur des Études sur le Combat excepte, il est vrai, un très petit nombre d’âmes, nées impassibles comme le bronze, et rares comme des aérolithes, car elles semblent venir directement du ciel ; mais cet homme de batailles, qui a pratiqué les batailles et qui n’est dupe d’aucune poésie faite après coup, ne croit guère aux héros que sous bénéfice d’inventaire, et sous l’action déterminée et décisive d’une discipline qui crée l’énergie et fait d’un homme cette force qu’on appelle un soldat… Observateur aiguisé par toutes les expériences de sa vie, le colonel Ardant du Picq sait que la puissance des armées est toujours en raison, non seulement directe, mais unique, de la puissance de leur discipline, et il le prouve, par tous les témoignages de l’histoire, chez les peuples que la guerre a le plus illustrés. […] cette tradition de tous les génies militaires sur la nécessité de la discipline, retrouvée aujourd’hui dans sa beauté sévère sous la plume du colonel Ardant du Picq, sera considérée, qui sait ?

2120. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

On savait que de forts cerveaux se mettaient à deux ou à trois, selon le tirage, pour la confection en commun d’un livre, soit roman, soit drame, — mais vingt-deux personnes à la file, toute une multitude, toute une tribu, cela ne s’était pas encore vu dans ce temps d’association facile, et on ignorait cette littérature à l’Adam Smith, où chacun faisait son vingt-deuxième de traduction. […] Non une gloire de haute graisse, — comme disait Rabelais, qui n’est pas, lui, un horatien avec sa grande expression et son large rire, — mais une gloire de fin goût, une gloire qui a un schiboleth que tout le monde ne sait pas dire et n’entend pas ! […] Que la vulgarité de l’âme et de l’inspiration d’Horace passât à travers la pureté de sa forme littéraire, Rigault ne pouvait l’empêcher pour ceux qui savent la voir ; mais qu’avait-il besoin d’appeler distinction cette vulgarité ? […] Je crois le savoir, pour nous autres Français, du moins. […] Savez-vous par quoi ?

2121. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

L’examen de ces livres nous sera une bonne occasion de démontrer par les faits que les vrais exemples à suivre pour la politique des temps présents ne sauraient être invoqués que là où nous trouvons, soit en germe, soit développés, les deux principes de la société moderne : l’élévation des mœurs dans la famille, et la grandeur de la nationalité. Cette conséquence, que nous tâcherons de faire ressortir avec force, n’a point échappé à Lerminier, esprit sagace, qui sait sa portée, mais qui ne l’indique pas toujours. […] Seulement, nous croyons qu’il aurait dû appuyer davantage sur cet amour de l’antiquité grecque qui gâte, même littérairement, Fénelon, amour ignorant comme tous les amours, car si Fénelon savait les lettres grecques, il ne savait pas l’histoire grecque. […] Une chose morte peut avoir laissé aux choses vivantes une âme, un esprit, que sais-je ?

2122. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « L’Angleterre depuis l’avènement de Jacques II »

Doués de cet instinct politique qui distingue si éminemment l’esprit anglaisées whigs diffèrent en ceci des révolutionnaires des autres pays qu’ils savent la force du passé dans les institutions des hommes, et qu’en innovant ils veulent avoir l’air de maintenir et de continuer. […] pas au Moyen Âge comme les whigs l’ont entendu depuis, toutes ces choses n’étaient-elles pas, dans leur obscurité, favorables à la prétention éternelle des whigs : que toujours il y eut quelque part, on ne sait où, en Angleterre, à côté des droits de la couronne, d’autres droits qui limitaient les siens ? […] Hume ne permet pas d’en douter : « C’est sous Jacques — dit-il — que les points si longtemps en question entre le roi et le peuple furent finalement (finally) déterminés. » La prérogative fut circonscrite, et plus définie que sous les autres périodes du gouvernement anglais, ce qui veut dire, pour qui sait comprendre, que cette prérogative existait, soufferte, c’est-à-dire consentie, et, dans ce cas-là, circonscrire, n’était-ce pas innover ? […] On ne sait pas assez combien les peuples chicanent peu avec les races qu’ils aiment, et quelle puissance de fautes de toute espèce ces races prédestinées peuvent porter dans leur tête ou en faire sortir, sans en mourir ! […] Quant aux cruautés qu’on lui reproche, quant à ces terribles et vivants témoignages qu’on invoque : Jeffreys et le colonel Kirke, il faut se rappeler les idées d’un temps qui croyait que la première des vertus était la fidélité au prince, et ces mœurs publiques qui avaient été pétries dans le sang des guerres civiles, mais surtout, quand on est, comme Macaulay, l’auteur de la belle théorie des décimés de l’Histoire, il fallait savoir l’appliquer, pour l’honneur de la vérité et de la justice, fût-ce à ses ennemis !

2123. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Pour le savoir, il faut ouvrir le livre même. […] Qui ne le sait ? […] Renée ne le reconnaît pas : « La raison d’État — nous dit-il — n’avait pas toujours été une religion pour Richelieu… Sa foi datait de son entrée au ministère. » Mais un homme aussi apte et aussi accoutumé aux choses de l’Histoire que l’auteur de Madame de Montmorency ne sait-il donc pas à quel point la Fonction ouvre, élargit et élève le regard, et que de ce sommet de la Fonction on voit ce qu’on ne voyait pas encore du bas de la vie ? […] Persécutée d’abord à cause du nom qu’elle portait, et des influences qu’on lui savait dans cette province du Languedoc que son mari avait gouvernée, elle ne sortit de prison, quand la persécution se détourna d’elle, que pour se retirer à Moulins, dans le couvent de Sainte-Marie, où elle garda pendant quelque temps sa maison. Elle y était venue, attirée par son amie madame de Chantai, qui en était supérieure, et elle y resta, captivée par la règle de ce François de Sales qui savait mêler à tout un miel divin.

2124. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XVI. Buffon »

Grand talent descriptif, qui sait encore mieux distribuer et encadrer ses tableaux que les peindre, il a précisément, comme peintre, le défaut de sa qualité souveraine : il pèche par l’ardeur ; il est froid comme l’exactitude et comme la majesté. […] Parmi tous les bonheurs et toutes les somptuosités de cette prodigieuse destinée que Dieu, après sa mort, continue à cet heureux, qui aurait pu jeter sa bague aux poissons du Jardin des Plantes, le meilleur, c’est cette gloire plus intelligente et plus pure, incarnée dans l’admiration d’un rare esprit qui sait, lui, pourquoi il admire, et qui se détache de ce fond d’éloges traditionnels et de sots respects qui compose le gros de toute renommée. […] Buffon, on le savait, avait des collaborateurs, et ce n’était là ni une infirmité ni une pauvreté de son génie, mais, au contraire, une puissance de plus. […] Comme les hommes qui savent choisir ceux qui les remplacent, il fut invisible et présent au Jardin du Roi. […] Flourens l’a prouvé, ce qui distingue Buffon des hommes de son temps que la gloire rendit fous, comme Rousseau et Voltaire, de vrais parvenus, c’est que sa belle tête calme sut résister à cette syrène !

2125. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXX. Saint Anselme de Cantorbéry »

M. de Rémusat a beau nous dire, avec une intention qui ne trompe personne : « Descartes ne serait pas aisément convenu que saint Anselme fut un de ses maîtres. » Tout ce qui s’occupe de philosophie n’en sait pas moins que l’argument de saint Anselme, sur l’existence de Dieu (et l’existence de Dieu, c’est toutes les questions de la philosophie dans une seule), est le même dans le Monologium que dans les Méditations. […] Ainsi, pour revenir à Hegel, Hegel a eu le droit d’écrire cette arrogante réserve : « Il ne manque à l’argument de saint Anselme que la conscience de l’unité de l’être et de la pensée dans l’infini », et M. de Rémusat a eu le droit aussi, à la fin de son ouvrage, de reprendre l’argument du Prologium, afin de le purifier de tout spinozisme et de lui donner cette valeur philosophique que nous avons indiquée et qui serait si grande si elle n’était pas chimérique, à savoir : le rationalisme du principe sans le panthéisme de la déduction ! […] On ne saurait blâmer sa méthode. […] M. de Rémusat a trop d’esprit pour insulter à cette surhumaine humilité, que Voltaire aurait traitée… nous savons comment ; mais sous le sérieux indulgent qu’il garde, M. de Rémusat ne cache pas autre chose que la vue mesquine et erronée d’un philosophe qui comprend tous les préjugés d’un siècle et d’un grand homme et qui ne les leur reproche pas. […] Nous ne savons.

2126. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXXI. Sainte Térèse »

Qui sait ? […] Or, si, avec quelques mots, toujours cités quand on parlait d’elle, elle exerçait je ne sais quel irrésistible empire sur les imaginations les plus ennemies, que sera-ce quand on pourra lire et goûter tant d’écrits, marqués à l’empreinte d’une âme infinie, de cette âme qui, sans en excepter personne dans l’histoire de l’esprit humain, — quand elle fut obligée d’écrire, soit pour se soulager d’elle-même, soit pour remplir un grand devoir, — fit tenir, dans les limites étouffantes d’une langue finie, le plus de son infinité ? […] C’est avoir profité que de savoir s’y plaire, a dit un poëte de la lecture d’un autre poëte : mais c’est bien plus vrai de la lecture de Sainte Térèse. […] Dire que c’est la vie d’une âme éprise de Dieu et de perfection, qui a monté pendant quarante ans, chaque jour, une marche du ciel, le chrétien seul nous comprendrait, le chrétien qui sait à quel prix sanglant s’achète cette lente et magnifique Assomption de l’Amour ! […] Il fallait qu’elle les sût pour les conduire, cette grande Directrice, qui les a conduites et soumises à un gouvernement inconnu des hommes, — le gouvernement de l’Amour !

2127. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « M. Jules De La Madenène » pp. 173-187

Provincial de naissance et d’éducation première, comme la plupart des esprits très-individuels, M. de La Madelène sait que la nuance sociale du paysan varie avec le pays où cette nuance existe, et il le sait trop bien pour avoir imité la faute de l’homme de génie qui, un jour, gâta un de ses plus formidables livres, en l’intitulant : Les Paysans. Lui, l’auteur du Marquis des Saffras, — mot patois qui dit, même avant que le livre soit ouvert, quelle est la variété de paysan à laquelle il a consacré ses facultés d’observation et de peinture, — lui donc, l’auteur du Marquis des Saffras, sait parfaitement qu’il n’y a pas plus de paysans en général que d’hommes en général, et que, quand on se sert de ce mot-là, fût-on Balzac lui-même, il faut ajouter une épithète au substantif et particulariser comme la nature. […] Cette bicoque était connue dans le pays sous le nom du Château des Saffras, et de là le titre de Marquis des Saffras que l’on donnait à Espérit. » Ces détails, nous les avons transcrits, au risque de paraître long, tels qu’on les trouve aux premières pages du livre de M. de La Madelène, parce qu’ils ne sont pas, comme on pourrait le croire, les inventions d’une fantaisie, qui ne sait où elle va, mais parce qu’ils ont une raison d’être dans l’idée première de ce roman très-combiné et très-réfléchi. […] Ils l’appellent l’esprit de la lune, l’espérit des ciales, et même l’évêque des cigales, les jours où ils l’aiment davantage, car ils l’aiment, cet homme qui en sait plus long qu’eux, par les seules forces mystérieuses de sa pensée, sans avoir comme eux rien appris !

2128. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVI. Des éloges académiques ; des éloges des savants, par M. de Fontenelle, et de quelques autres. »

On sait que Fontenelle est le premier qui ait orné les sciences des grâces de l’imagination ; mais, comme il le dit lui-même, il est très difficile d’embellir ce qui ne doit l’être que jusqu’à un certain degré. […] À l’égard de sa manière, car il en a une, la finesse et la grâce y dominent, comme on sait, bien plus que la force ; il n’est point éloquent, ne doit et ne veut point l’être, mais il attache et il plaît. […] Peut-être même lui savons-nous gré de ne pas vouloir nous forcer à l’admiration, sentiment qui nous accuse toujours un peu ou d’ignorance ou de faiblesse. […] On citera toujours le tableau de la police de Paris comme un morceau très éloquent, non pas, à la vérité, de cette éloquence de l’âme qui remue, mais de celle de l’esprit, qui sait voir et présenter un grand objet sous toutes ses faces80. […] Je sais qu’il y a des hommes qui ne peuvent approuver, dans les autres, ce qu’ils n’ont pas senti ; ceux-là goûtent des beautés d’un autre genre.

2129. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre VI. Bossuet et Bourdaloue »

l’eût-il su ? […] Il faut que la raison renonce à rien savoir, à rien comprendre, ou bien qu’elle accepte ces dogmes, qui la dépassent, et qui sont la condition de toute connaissance, la source de toute intelligibilité. […] Pour lui, il plaçait le dogme avant tout, comme source et fondement de la morale433, et il s’attachait à expliquer, interpréter, justifier les mystères et les articles de foi, persuadé qu’un chrétien sait ce qu’il doit faire, lorsqu’il sait ce qu’il doit croire. […] Il a même fait effort pour être bien informé : il n’est pas de ceux qui craignent de savoir, de peur de ne pouvoir plus admirer ou aimer. […] Il savait que toutes les pièces du dogme se tenaient : aussi se montrait-il intraitable contre tous ceux qui en altéraient quelque partie.

2130. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Sus aux aboyeurs à la lune, aux poètes poitrinaires, aux chantres des charniers ! […] Je sais que vous riez amèrement de cette nécessité, où l’on est en France de prendre un état… Il vaut mieux, mon cher René, ressembler un peu plus au commun des hommes et avoir un peu moins de malheurs. » Prendre un état, ressembler au commun des hommes, mais c’était le malheur des malheurs pour René. […] Mais quand René écrivit son autobiographie, l’heure des réalités triviales était passée pour lui ; leur souvenir ne revenait que dans un demi-jour lointain ; il sut n’en préserver que ce mirage nuageux, teinté par les sentiments du présent. […] « J’ai vu, écrit Riousse, ces longues tramées d’hommes qu’on envoyait à la boucherie ; aucune plainte ne sortait de leur bouche, ils marchaient silencieusement… ils ne savaient que mourir. […] De tous les romanciers, le seul Paul de Kock, souverainement méprisé par les aigles du roman, a su retrouver un peu de la gaieté animale et débordante de Rabelais et de nos vieux conteurs.

2131. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — III. (Fin.) » pp. 246-261

Je ne sais ce que Duclos répondit, ni en quel sens il agit précisément : l’essentiel et ce qui le caractérise, c’est que sa ligne générale de conduite fut plus prudente et plus indépendante que Voltaire n’aurait voulu. […] Dans les luttes personnelles qu’il engageait, il s’était accoutumé à n’avoir jamais, comme on dit, le dernier ; on le savait entier et emporté, on le craignait et on faisait place devant lui. […] Il savait de l’Angleterre et de son gouvernement beaucoup plus de choses qu’on ne supposerait, et que Bolingbroke lui avait apprises durant plusieurs séjours que Duclos avait faits à sa campagne près d’Orléans. […] Sachons-le : Duclos a été maire de Dinan pendant plusieurs années ; il a trouvé moyen de concilier cette vie bretonne avec son existence parisienne ; il a été membre des états de sa province ; c’est un homme de lettres qui a de la pratique administrative, et qui a connu un coin de vie parlementaire et politique. […] À côté de parties désintéressées, il avait des coins d’avarice, comme on l’a remarqué pour Mézeray : Il n’a jamais vécu chez lui, dit Sénac de Meilhan, et, comme son bien était en argent comptant, la crainte d’être volé lui faisait prendre des précautions pour qu’on ne sût pas qu’il avait chez lui de grosses sommes : c’est par cette raison que, peu de temps avant de mourir, il emprunta vingt-cinq louis à l’un de ses amis.

2132. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Je ne saurais comparer les sentiments de ces dames pour leurs médecins qu’à ceux que leurs grand-mères avaient, à la fin du siècle de Louis XIV, pour leurs directeurs ; et, dans le fait, la préférence que de nos jours le corps avait obtenu sur l’âme explique assez ce déplacement d’affections. […] Je sais des juges plus sévères et qui, sans avoir étudié de bien près Vicq d’Azyr, le rejettent à première vue et le rabaissent beaucoup trop dédaigneusement en ne le prenant que par ses défauts fleuris. […] Vicq d’Azyr, selon la remarque de Grimm, prit, en louant Buffon, le parti le plus sûr et le plus fait pour être approuvé généralement ; ce fut de l’analyser avec suite, avec étendue ; il y mêla de l’éclat, et en quelques endroits il sut s’élever sur les pas de son modèle. […] Il y est apprécié à sa hauteur comme savant : « Pour savoir tout ce que vaut M. de Buffon, il faut, messieurs, l’avoir lu tout entier. » On a dit de nos jours que Buffon n’avait été apprécié à ce titre de savant et non plus seulement d’écrivain que depuis une quinzaine d’années. […] qui sait s’il ne faut pas que plusieurs efforts concourent en même temps à l’agrandir ; si cet état violent n’est pas indispensable pour que les grandes combinaisons s’opèrent ?

2133. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

Lire à ce propos Jomini24, si lumineux, si judicieux, et qui nous fait si bien voir le nœud stratégique d’une action, est un plaisir qui n’est pas réservé aux seuls militaires et que tous les esprits critiques savent apprécier. […] Je ne sais si mon physique y résistera. […] ce jeune guerrier si intrépide, si intelligent, si actif et si infatigable, hésite à accepter le grade de général de brigade qu’il vient de mériter et de gagner, au vu et su de tous ! […] Il faut rabattre de ces paroles, je le sais ; mais rabattez ce que vous voudrez, il en restera encore assez pour déceler le symptôme que nous y cherchons. […] Vous savez que je ne demande que quand j’ai besoin.

2134. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Pourquoi, dans ce même Çà et Là (car je ne m’astreins pas à l’ordre chronologique), à propos d’une visite et d’un séjour en Alsace, courir sus aux Juifs en masse, aux Luthériens, aux Piétistes ou non Piétistes, aux humbles pasteurs de ces contrées : « On rencontre par la campagne, dit l’auteur, des charretées de personnages, hommes et femmes, vêtus de noir, avec un certain air d’honnêteté douceâtre et de santé blafarde. […] Savez-vous qu’il a devancé Madame Bovary pour certaines peintures étonnantes de vérité locale ? […] Grosses outres gonflées de fourberies et d’usure, je saurai tirer de vous quelque chose qui pourra suppléer au remords ! Croyez qu’il n’y a point de Dieu ; mais il y a un journaliste, un gamin… car enfin je ne suis qu’un gamin… « Au fait, je ne sais pas jusqu’à quel point je vaux mieux qu’eux… Je fais un métier de bourreau, et je ne suis pas absolument sûr de le faire par conscience… Ils ont leurs passions, j’ai les miennes ; ils cherchent leurs plaisirs, et moi, en les tourmentant, je cherche le mien… » Voilà des aveux. — La fin du roman me déplaît et déplaira, je crois, à bien du monde ; le parti pris s’y faitsentir. […] Je sais qu’autrement, et en observant toutes les convenances sociales, un défenseur catholique, un journaliste ami de la Religion, peut être infiniment respecté et honoré, sans produire un grand effet.

2135. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Lettres de Madame de Sévigné »

Monmerqué, le plus instruit et le plus aimable des amateurs, le plus riche en documents, en pièces de toutes sortes, si au fait des sources et si porté à les indiquer, n’avait pas en lui l’esprit de critique et d’exacte méthode qui mène à terme et pousse à la perfection un travail de ce genre ; il fallait qu’un philologue de profession et à la fois ouvert à toutes les belles-lettres, un homme qui a fait ses preuves dans l’érudition antique la plus délicate et la plus ardue, et qui sait, à l’occasion, en sortir, apportât dans cette étude moderne les habitudes de la critique véritable et classique, pour que toutes les garanties, celles de la fidélité et du goût, se rencontrassent réunies : j’ai nommé M.  […] Avant son intervention cependant et son installation au cœur du sujet, pour persuader aux hommes instruits qui sont entrés dans la pensée de cette édition nouvelle, qu’elle était importante, qu’elle était indispensable, qu’il ne s’agissait pas seulement de quelques points à rectifier çà et là, mais qu’il y avait lieu, en effet, à une réparation et presque à une restitution continue, il a fallu bien des instances, bien des pas et bien des paroles (je le sais, moi qui en ai été quelquefois le porteur et le messager), il a fallu montrer à l’avance bien des passages et des exemples comme preuve décisive de l’étendue du ravage et du mal profond qu’on avait à réparer. […] On ne sait plus vraiment à quoi s’en tenir sur rien, même en fait de chefs-d’œuvre. […] On savait qu’elle se passait bien des choses en causant ; il se voit maintenant qu’elle se les passait en écrivant aussi : les preuves de ces libertés et de ces salaisons de langage sont des plus significatives, et telles qu’on n’en saurait désirer de plus fortes. […] Car, bien que nous ne soyons pas demeurés muets chacun de notre côté, il me semble que nous nous faisons valoir l’un l’autre, et que nous nous entredisons des choses que nous ne disons pas ailleurs. » Je ne sais si elle le fait valoir autant qu’il s’en flatte ; mais certes, il la fait valoir par sa roideur de ton et ses airs guindés, elle la rieuse à belles dents, la malicieuse enjouée, la ravissante et la légère !

2136. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Connaître et bien connaître un homme de plus, surtout si cet homme est un individu marquant et célèbre, c’est une grande chose et qui ne saurait être à dédaigner. […] Je ne sais pas de jouissance plus douce pour le critique que de comprendre et de décrire un talent jeune, dans sa fraîcheur, dans ce qu’il a de franc et de primitif, avant tout ce qui pourra s’y mêler d’acquis et peut-être de fabriqué. […] On ne saurait s’y prendre de trop de façons et par trop de bouts pour connaître un homme, c’est-à-dire autre chose qu’un pur esprit. […] Je ne sais qui faste ou quelle froideur m’avertit ; la sincérité ne se fait pas sentir. […] Rien ne sert mieux à marquer les limites d’un talent, à circonscrire sa sphère et son domaine, que de savoir les points justes où la révolte contre lui commence.

2137. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. BRIZEUX (Les Ternaires, livre lyrique.) » pp. 256-275

J’en sais, dans ce temps-ci, un assez grand nombre, de distingués et même d’assez ordinaires, simples majors ou caporaux déjà vieillis dans le régiment dont ils ne seront jamais colonels. […] Si ces hommes, je parle des plus ordinaires, se hasardent à la prose, au roman, à l’histoire, à l’éloge académique, que sais-je ? […] On peut faire mieux, on peut faire autrement ; on ne remplace pas plus une pensée poétique qu’on ne remplace une âme : chaque création de ce genre, pour autant qu’elle est poétique, est unique et irréparable ; ce qui a été dit par un poëte, un autre ne le redira pas. » De nos jours, où toutes les vocations sont remuées et où tous les numéros, même incomplets, ont chance de sortir, combien ne savons-nous pas de ces âmes poétiques qui essayent de s’exprimer partout où elles sont, en province, dans le fond d’un bureau, au creux d’une vallée, au bord de leur nid enfin, et cela sans trop de manie d’imitation, sans trop de rêve de gloire, mais pour se satisfaire humblement et se suffire ! […] Elle tient encore, si je l’ose dire, de celle de la chèvre125 qui, après avoir bondi d’un saut abrupt, tout d’un coup, au lieu de courir, tourne court au bord du précipice et s’y tient pendante avec hardiesse dans un arrêt net et élégant : de l’autre côté du ravin le promeneur indécis ne sait d’abord si c’est un jeu du rocher, et admire. […] Le juge peut m’entendre : Ami, le savez-vous ?

2138. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre IV. Poésie lyrique »

Il est libre et ne peut être retenu… L’amour surtout n’a pas de mesure, et s’exalte dans une ardeur sans mesure… L’amour ne sent point le poids ni la peine, il veut plus que sa force, et n’allègue jamais l’impossibilité, et se croit tout possible et tout permis… L’amour veille ; en dormant même il veille… Celui qui aime, sait la force de ce mot — On ne vit point sans douleur dans l’amour. […] Comme l’amour parfait des mystiques ne saurait être l’état du commun des fidèles, et les dégraderait plus qu’il ne les élèverait, s’ils essayaient d’y atteindre, ainsi le pur amour des Provençaux ne saurait être à la portée que d’une rare élite. […] On ne saurait faire abstraction de l’opération intellectuelle, qui les a formés : c’est à elle que va l’estime ou l’admiration. […] Il mourut en 1224. — Blondel de Nesles vécut dans la fin du xiie  siècle : on ne sait rien de sa vie. — Gace Brûlé, chevalier champenois, commença à écrire dans les vingt dernières du xiie  siècle. […] Qu’on en juge : Pour lui m’en vais soupirant en Syrie, Car je ne dois trahir mon Créateur : Qui lui faudra en si pressant besoin, Sachez que Dieu lui faudra en plus grand Et sachent bien les grands et les petits, Que là doit-on faire chevalerie.

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