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882. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Chateaubriand — Chateaubriand, Mémoires »

On y voit une haute indifférence politique, un bien ferme coup d’œil sur des ruines fumantes, une appréciation chaleureuse, mais souvent équitable, des philosophes ou des personnages révolutionnaires ; il m’arrive à chaque page, en lisant l’Essai, d’être de l’avis du jeune homme contre l’auteur des notes, que je trouve trop sévère et trop prompt à se condamner. […] Certes, nulle vie n’a été plus traversée, semée sur plus de mers, sillonnée de plus de sortes d’orages ; et quand, après tant d’incomparables vicissitudes, on porte sa douleur sans fléchir, comme ces personnages de rois et d’empereurs qui, outre leur diadème de gloire au front, portent un globe dans la main, on en mesure mieux tout le poids. […] On sait tous les personnages du château, on sait jusqu’aux lieux où couchent les domestiques dans la grosse tour ou dans les souterrains.

883. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME ROLAND — I. » pp. 166-193

Maintenons commerce avec ces personnages, demandons-leur des pensées qui élèvent, admirons-les pour ce qu’ils ont été d’héroïque et de désintéressé, comme ces grands caractères de Plutarque, qu’on étudie et qu’on admire encore en eux mêmes, indépendamment du succès des causes auxquelles ils ont pris part, et du sort des cités dont ils ont été l’honneur. […] Mais les expressions, qui d’elles-mêmes vont s’idéalisant à son sujet, doivent se tempérer plutôt : car, en abordant cette femme illustre, c’est d’un personnage grave, simple et historique, que nous parlons. […] La Révolution, tout imparfaite qu’elle soit, a changé la face de la France, elle y développe un caractère, et nous n’en avions pas ; elle y laisse à la vérité un libre cours dont ses adorateurs peuvent profiter. » Les rapides conquêtes de 89, on le voit, étaient loin de lui suffire ; sa méfiance, son aversion contre les personnages dirigeants de cette première époque, ne tardent pas à éclater.

884. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Toutes les fois que l’auteur a besoin d’un personnage, il l’appelle du fond du néant, comme dans les contes de fées ou comme dans les contes de Voltaire, et le personnage obéit contre toute vraisemblance au signe de l’écrivain. […] Victor Hugo, au contraire, n’a eu besoin que de son âme, d’ouvrir les yeux autour de lui, au milieu de nous, de décrire une maison déserte et un jardinet inculte dans un de nos faubourgs les plus reculés, et d’y placer deux êtres qui se sont entrevus, deux innocents, deux sauvages de la grande ville, Cosette et Marius ; et, avec ces simples personnages, il a fait, en racontant leurs entrevues et leurs entretiens, le plus ravissant tableau d’amour qu’il ait jamais écrit.

885. (1892) Boileau « Chapitre V. La critique de Boileau (Suite). Les théories de l’« Art poétique » (Fin) » pp. 121-155

En conséquence, les personnages dramatiques se maintiendront « tels qu’on les aura vus d’abord » ; l’inconstance même de leurs actes se rattachera sensiblement à leur permanente identité morale. — Chaque homme a sa physionomie singulière, ses nuances propres et particulières de caractère ; nous ne croyons pas qu’il y ait deux esprits exactement semblables ; la nature ne fait de ménechmes qu’au physique. […] Non pas que le but de l’art soit d’exprimer les personnages historiques dans leur individualité, ni qu’il importe en soi si l’athée s’appelle Énée ou Mézence, ou le fratricide Néron ou Marc-Aurèle : mais ces noms évoquent dans les esprits certaines images indestructibles et irréfrénables, dans lesquelles doit nécessairement se couler l’étude de psychologie générale. […] On sait que l’événement lui a donné tort, et que le xviiie  siècle a créé deux formes dramatiques, pour lesquelles le xixe a délaissé la tragédie et réduit la pure comédie à la farce ; l’une, le drame bourgeois, qui emprunte ses personnages à la comédie et son action à la tragédie ; l’autre, la comédie larmoyante, ou mixte, la pièce, comme on dit assez vaguement de nos jours, qui associe et fond dans des proportions diverses les impressions tragiques et comiques, le rire et les larmes.

886. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mendès, Catulle (1841-1909) »

Les personnages en sont peut-être mièvres, mais vivants, gais ou douloureux, probables, en place plus sans doute que des personnages de tapisseries au geste lent parce que figé, d’un procédé trop immobile. Dans le Roi vierge, il faut choisir, pour lui rendre justice, le beau personnage de Gloriane et l’agile silhouette de Brascassou relevé de toute sa louche agilité, cette statue de chair vive, cette reine d’opéra.

887. (1889) Les premières armes du symbolisme pp. 5-50

Les personnages qui parlent dans la pièce sont : Un Détracteur de l’École symbolique M.  […] La conception du roman symbolique est polymorphe : tantôt un personnage unique se meut dans des milieux déformés par ses hallucinations propres, son tempérament : en cette déformation gît le seul réel. Des êtres au geste mécanique, aux silhouettes obombrées, s’agitent autour du personnage unique : ce ne lui sont que prétextes à sensations et à conjecture.

888. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre deuxième »

A-t-il même pris soin de conserver à ses personnages les traits et les proportions qu’il leur a donnés d’abord ? […] Voilà trois siècles que nous voyons au milieu de nous bon nombre des personnages qu’il a créés, et que nous nous reconnaissons dans les deux principaux, Pantagruel et Panurge : l’un le type du bon relatif, plutôt que de la perfection romanesque ; l’autre le type du médiocre plutôt que du mal, et à cause de cela pas plus haïssable que l’autre n’est admirable. […] Oui, s’il est vrai qu’il ait eu, dans les lettres, le don du génie, qui est d’exprimer des vérités générales dans un langage définitif ; oui, si l’on ne veut voir dans son ouvrage que ces créations qui sont des vérités générales sous la forme de personnages qui vivent, et qui ont un nom immortel parmi les hommes.

889. (1913) La Fontaine « VII. Ses fables. »

Ici, la grenouille qui veut se faire plus grosse que le bœuf, ou aussi grosse que le bœuf, est tout simplement le bourgeois gentilhomme ; c’est tout simplement celui qui veut sortir de sa sphère et qui se gonfle pour atteindre les dimensions d’un autre personnage de la société. […] De même le Rat et l’Huître, où le rat, personnage, ailleurs, dans La Fontaine, très prudent, très rusé et très sage, surtout, il est vrai, quand il a un peu d’âge, mais enfin, le rat qui n’est pas sot, dans La Fontaine, nous est peint ici comme un petit étourdi qui se laisse prendre le nez par une huître entr’ouverte pour avoir trouvé ce mets délicieux et avoir voulu s’en régaler. […] Le loup, en langue des dieux, Parle au chien dans mes ouvrages : Les bêtes, à qui mieux mieux, Y font divers personnages ; Les uns fous, les autres sages ; De telle sorte, pourtant.

890. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIX. M. Cousin » pp. 427-462

Nous l’avons dit plus haut : Mme de Longueville, malgré toutes ses illustrations, n’est pas un personnage d’une telle place dans l’histoire que les Mémoires du temps ne suffisent à en faire connaître ce qu’il est utile d’en savoir. […] Cousin n’avait pas en lui cette faculté à part, la faculté sui generis qu’avait Walter Scott à un degré qui a mis sa gloire presque au niveau de celle de Shakespeare : — la faculté de comprendre un personnage historique par une intuition supérieure plus puissante, pour aller au vrai, que toutes les précautions de l’information et de la recherche, — le portrait de Mme de Longueville ne devait plus être qu’une peinture sans profondeur sur une toile inerte. […] Le complot fut éventé, Mme de Chevreuse, personnage de Mémoires, et qui pouvait entrer dans l’Histoire par un crime, n’y entre pas, car l’Histoire exige des faits et gestes et laisse à l’examen de la conscience et au jugement de Dieu les perversités de l’intention !

891. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre VI. Milton. » pp. 411-519

De tels personnages ne peuvent point parler ; ils chantent. […] Il recule ses nouveaux personnages jusqu’à l’extrémité de l’antiquité sacrée, comme il a reculé ses anciens personnages jusqu’à l’extrémité de l’antiquité fabuleuse, parce que la distance ajoute à leur taille, et que l’habitude cessant de les mesurer cesse de les avilir. […] Libres d’enthousiasme, nous jugeons ses personnages ; nous exigeons qu’ils soient vivants, réels, complets, d’accord avec eux-mêmes, comme ceux d’un roman ou d’un drame. […] Il fait des discours corrects, solennels, et ne fait rien de plus ; ses personnages sont des harangues, et dans leurs sentiments on ne trouve que des monceaux de puérilités et de contradictions. […] De tous les personnages que l’homme puisse mettre en scène, Dieu est le plus beau.

892. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre II. L’Âge classique (1498-1801) — Chapitre II. La Nationalisation de la Littérature (1610-1722) » pp. 107-277

S’il emprunte un sujet à l’Espagne, — parce que l’Espagne est à la mode, — il imprime donc à ses personnages, dans Le Cid ce caractère d’humanité, dans Le Menteur ce caractère de politesse, et, dans l’un et dans l’autre, ce caractère de généralité qui sont autour de lui les caractères des « honnêtes gens », et comme les signes auxquels ils se reconnaissent entre eux. […] Tel est bien le cas de Dancourt, qui n’a point de génie, dont le talent est mince, le comique peu profond, la plaisanterie souvent grossière, mais dont le théâtre abonde en détails de mœurs, en bouts de dialogues pris sur le fait, rendus au vif, et je n’ose pas dire en portraits, ce serait trop d’honneur, mais en silhouettes au moins de personnages qui s’habillent et qui parlent, qui marchent ou qui s’agitent, qui sentent et qui pensent à la mode de l’an 1700. […] — Il semble que ce soit de la condition des personnes ; — de la nature du dénouement ; — et de la réalité des personnages dans l’histoire. — Hardy a-t-il eu le sentiment de l’importance de l’histoire dans la tragédie ? […] On peut donc dire qu’avec tous ses défauts c’est un peu plus que sa « rhétorique » selon l’expression de Sainte-Beuve, qu’il a fait faire à l’esprit français. — Il a su où étaient les sources, et, comme disaient les anciens, les « lieux » de la grande éloquence ; — il a fait preuve en plus d’une occasion d’un sens critique assez juste et assez exercé [Cf. ses jugements sur Ronsard et sur Montaigne] ; — et il a enfin tendu constamment à l’élévation. — Que toutes ces raisons font de son personnage un personnage considérable de notre histoire littéraire. — On l’a beaucoup suivi, beaucoup imité ; — c’est en lui que s’est achevée la transformation du lyrisme en éloquence ; — et sa plus grande erreur, qui est celle de toute son époque, n’a été que de croire que l’objet de l’art était d’orner la nature, pour la faire plus belle. — Il faut connaître les moyens qu’il y en a, pour en user le moins possible ; — et les proportionner aux sujets et aux conjonctures. […] — Le prétendu roman de Pascal. — Si Pascal a été « joueur », comme le veut Sainte-Beuve ; — « beau, souffrant, plein de langueur et d’ardeur, impétueux et réfléchi, superbe et mélancolique », comme le peint Cousin ; — ou, comme le croit un autre encore, s’il a rêvé de jouer un personnage politique [Cf. 

893. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — Post-scriptum » pp. 154-156

J’ai les mains pleines de preuves se rapportant à des dates très différentes ; mais c’en est assez sur un fait qui n’intéresse le public qu’en tant que servant à bien marquer la physionomie distincte et même contraire de deux personnages historiques assez notables.

894. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XII » pp. 47-52

Le Journal des Débats d’aujourd’hui 21 continuera de vous édifier sur les attaques et les ripostes : toute cette polémique pourtant m’est bien déplaisante, et je ne saurais l’approuver : Querelle de cuistres et de bedeaux, disait un grand personnage.

895. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXXVI » pp. 147-152

Mais, si ce sont là les anxiétés réelles de plus d’un personnage universitaire éminent qui craint, comme on dit vulgairement, pour le pot-au-feu, il est impossible qu’à la tribune la question ne s’élève pas au-dessus de toutes ces considérations mesquines.

896. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Giraud, Albert (1848-1910) »

Il dessine ainsi, à grands traits amples, la conception de ses personnages et ses visions d’antan.

897. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XIII. Beau trio » pp. 164-169

Contentez-vous de cette indication et ne soyez point si curieux de connaître l’historique des personnages qu’on nous présente. — Lydie, femme du précédent, est une enfant trouvée, nature débauchée et hystérique.

898. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre troisième. Suite de la Poésie dans ses rapports avec les hommes. Passions. — Chapitre VII. Suite du précédent. — Paul et Virginie. »

Les personnages sont aussi simples que l’intrigue : ce sont deux beaux enfants dont on aperçoit le berceau et la tombe, deux fidèles esclaves et deux pieuses maîtresses.

899. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 50, de la sculpture, du talent qu’elle demande, et de l’art des bas-reliefs » pp. 492-498

Une tour qui paroît à cinq cens pas du devant du bas-relief, à en juger par la proportion d’un soldat monté sur la tour, avec les personnages placez le plus près du bord du plan, cette tour, dis-je, est taillée comme si l’on la voïoit à cinquante pas de distance.

900. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Madame de La Fayette ; Frédéric Soulié »

Du reste, le plus étonnant, dans les Mémoires du Diable, ce n’est pas, comme on pourrait le croire, le souffle vraiment diabolique qui met en danse les faits, les personnages, les épisodes, les histoires ; mais c’est surtout l’immense psychologie qui circule à travers ces fantastiques créations.

901. (1902) La poésie nouvelle

Et la seconde rappelle ces étoffes légères, molles et dociles à la variété des gestes, dont vêtent leurs personnages les peintres des saines et belles époques d’art.‌ […] C’est-à-dire que, présentant ses personnages, — au lieu d’en suivre pas à pas l’évolution psychologique, selon la méthode latine, — il fixera seulement, dans leurs contrastes ou leurs incohérences, les principaux moments de leurs lueurs d’âme. […] Le livre de vers apparaît donc comme « un drame se passant dans une conscience avec un personnage principal, se multipliant en une foule de personnages qui ne sont que facettes de ses idées avec l’évocation du reflet sur sa conscience des personnages qu’il évoque comme interlocuteurs56. » ‌ De cette conception d’un vaste ouvrage, tel que les Palais Nomades, résulte son heureuse variété. […] Et la synthèse est merveilleusement complexe ; elle embrasse dans son unité supérieure toutes les pensées et sensibilités diverses dont se constitue une âme collective et des êtres nombreux apparaissent là qui, sans être différenciés tout à fait les uns des autres comme les personnages d’un drame, y sont plutôt les éléments d’une ample symphonie. […] Aux petits personnages « si proprets dans leur mise et si roses » de ce peintre, il oppose de vrais hommes de labours, tels qu’ils sont, « noirs, grossiers, bestiaux », et il se plaît à leur bestialité, à leur sauvagerie ; il les aime d’être instinctifs, prompts à la révolte et, en fête, vite allumés à la chair grasse des filles.‌

902. (1939) Réflexions sur la critique (2e éd.) pp. 7-263

Je ne discute pas plus la ressemblance ici que le costume des personnages dans une toile de Véronèse. […] S’il n’a pas l’ampleur, la puissance, la pleine pâte du Serpent Noir, il l’égale par la maîtrise du métier, par la délicatesse des demi-teintes, par le modelé léger et fluide des personnages. […] Mais ces opinions sont secondaires ici ; nulle part on n’a la sensation que Molière ait prêté à l’un de ses personnages, même à ses raisonneurs, à ses Cléante et ses Ariste, ses propres idées. […] » Et Molière, au fond et après tout, a-t-il pu créer ce personnage de Jourdain sans avoir pour lui un peu de cette mâle tendresse qu’il garde, sous ses railleries, à Alceste ? […] Dans ces deux courts romans, il est successivement, et sans illusion de sa part, Emma Bovary, Frédéric Moreau, Bouvard et Pécuchet ; personnages peu compliqués.

903. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « DE LA MÉDÉE D’APOLLONIUS. » pp. 359-406

Ces remarques, qui tombent sur l’ensemble du poëme, cessent de s’appliquer justement au chant iii, c’est-à-dire au moment de l’arrivée des héros en Colchide, et dès qu’intervient le personnage de Médée. […] — Rien de plus heureux, on le voit, que tout ce concert extérieur qui tend à faire de Médée le personnage nécessaire. […] e Rémusat proclamait récemment la première des femmes, en est atteinte ; et, sans sortir de notre connaissance et de notre littérature, je retrouve quelques traits irrécusables chez un certain nombre de personnages de la réalité ou du roman (j’aime à les confondre), chez Louise Labé, chez la Religieuse portugaise, la princesse de Clèves, Des Grieux, le chevalier d’Aydie, mademoiselle de Lespinasse, Virginie, Velléda, Amélie. […] En n’arrêtant pas à temps son plus aimable personnage, et en manquant (du moins d’après nos idées modernes) cette fin de son poëme, Apollonius a-t-il mérité de rester si peu avant dans la mémoire des hommes, d’être si peu lu ou si rarement cité ?

904. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE LA FAYETTE » pp. 249-287

C’étoit un grand personnage, quoi que ses envieux en aient voulu dire : il ne savoit pourtant pas toutes les finesses de la poésie ; mais Mme de La Fayette les entendoit bien. » La personne qui préférait à tout et sentait ainsi les poëtes était à la fois celle-là même qui se montrait vraie par excellence, comme M. de La Rochefoucauld plus tard le lui dit, employant pour la première fois cette expression qui est restée : esprit poétique, esprit vrai, son mérite comme son charme est dans cette alliance. […] Il est touchant de penser dans quelle situation particulière naquirent ces êtres si charmants, si purs, ces personnages nobles et sans tache, ces sentiments si frais, si accomplis, si tendres ; comme Mme de La Fayette mit là tout ce que son âme aimante et poétique tenait en réserve de premiers rêves toujours chéris, et comme M. de La Rochefoucauld se plut sans doute à retrouver dans M. de Nemours cette fleur brillante de chevalerie dont il avait trop mésusé, et, en quelque sorte, un miroir embelli où recommençait sa jeunesse117. […] Bussy, qui, dans ses lettres à Mme de Sévigné, parle assez longuement de la Princesse de Clèves, ajoute avec cette incroyable fatuité qui gâtait tout : « Notre critique est de gens de qualité qui ont de l’esprit : celle qui est imprimée est plus exacte et plaisante en beaucoup d’endroits. » Pour venger Mme de La Fayette de quelques malignités de cet avantageux personnage, il suffit de citer de lui ce trait-là119. […] En achevant leur roman idéal, il est clair que les deux amis, — que M. de La Rochefoucauld et elle, — en venaient à douter de ce qu’il y aurait eu de félicité imaginable pour leurs chers personnages, et qu’ils se reprenaient encore à leur douce liaison réelle comme au bien le plus consolant et le plus sûr.

905. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVIIe entretien. Balzac et ses œuvres (2e partie) » pp. 353-431

Tout commence chez lui par ce milieu de ses personnages, préface de l’homme. […] Saumur ne savait rien de plus sur ce personnage. » IV Voici maintenant la maison, le lieu du supplice, « La maison à M.  […] ” Enfin, hormis le nombre des personnages, en remplaçant le loto par le whist et en supprimant les figures de M. et de Mme Grandet, la scène par laquelle commence cette histoire était à peu près la même que par le passé. […] Si Charles fût arrivé du fond des Indes, il eût donc retrouvé les mêmes personnages et les mêmes intérêts.

906. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Et tout ce mouvement autour de vous fait l’effet d’une agitation automatique, et le coin de foyer qu’on entrevoit, vous montre, assis sur la banquette, des personnages en costumes, les bras tombants comme des marionnettes aux ficelles cassées. […] Donc ils avaient inventé un personnage imaginaire, dans la peau et les manches duquel ils passaient, tour à tour, et les bras et leur esprit de blague. Ce personnage assez difficile à faire comprendre, s’appelait de ce nom collectif et générique : le Garçon. […] Le Garçon avait des gestes particuliers qui étaient des gestes d’automate, un rire saccadé et strident à la façon d’un rire de personnage fantastique, une force corporelle énorme.

907. (1898) Manuel de l’histoire de la littérature française « Livre premier. Le Moyen Âge (842-1498) » pp. 1-39

. — Que l’examen des Moralités confirme les observations précédentes sur la « littérature allégorique », directement et indirectement : — directement, si les moralités ne sont qu’une forme de cette littérature : — par la nature des personnages qui en sont les héros : Mal-Avisé, Bien-Avisé, Rébellion, Malefin, etc. ; — par l’intention de « moraliser » dont leur seul nom témoigne ; — et par ce qu’elles contiennent de satire enveloppée. — Les mêmes observations sont indirectement confirmées : — par la supériorité des Farces sur les Moralités ; — et par la nature de cette supériorité, — qui consiste essentiellement en ce que les personnages n’y sont point des allégories, — mais des personnages réels. […] Les Miracles. — Les Miracles sont une aventure de la vie commune, dénouée par l’intervention de la Vierge ou d’un saint ; — dont le dénouement même, et surtout « l’intrigue », n’ont rien d’obligatoire ; — les personnages n’en ont rien de forcément plus ou moins historique ; — c’est à peine si l’on peut dire qu’ils visent à l’édification, et moins encore à renseignement ; — ils sont d’ailleurs souvent hostiles au clergé ; — et on ne voit pas que l’Église les ait pris sous sa protection. — La principale relation qu’ils aient avec les Mystères est donc d’avoir entretenu le goût du théâtre ; — et, si l’on le veut, de l’avoir développé par l’intermédiaire des confréries, puys ou chambres de rhétorique. — Que, par opposition à ces caractères, les Mystères, eux, sont vraiment la mise en scène des « mystères » de la religion ; — ce qui nous dispense d’épiloguer sur la signification et l’étymologie de leur nom. — Aussi leur véritable caractère est-il bien là, non ailleurs ; — et les scènes épisodiques dont ils sont remplis ne l’ont pas altéré ; — ce que prouve d’ailleurs la seule classification qu’on en puisse donner.

908. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « De la dernière séance de l’Académie des sciences morales et politiques, et du discours de M. Mignet. » pp. 291-307

On allait être entretenu des idées et des doctrines du défunt, des qualités du personnage en lui-même : on était loin des passions et des allusions du jour. […] Dans le dernier discours sur Jouffroy, il me semble avoir sacrifié plus que d’ordinaire à la mise en scène ; il y a mêlé un but étranger au sujet même qu’il étudiait ; il a voilé en un sens et drapé son personnage ; il a pris parti, plus finement qu’il ne convient, pour la malice et la rancune des grands sophistes et des grands rhéteurs dont l’histoire sera un jour l’un des curieux chapitres de notre temps, intolérants et ligués comme les encyclopédistes, jaloux de dominer partout où ils sont, et qui, depuis que l’influence décidément leur échappe, s’agitent en tous sens pour prouver que le monde ne peut qu’aller de mal en pis.

909. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le buste de l’abbé Prévost. » pp. 122-139

Et en particulier, les hommes remarquables, guerriers, prélats, savants, hommes de lettres, qui sont sortis avec éclat de la terre natale, y rentrent à l’état de personnages historiques après des années ou après des siècles, et y obtiennent d’un commun suffrage des bustes, des statues. […] Ne demandez point au roman de l’abbé Prévost de ces descriptions, ni de ces couleurs dont on a tant usé et abusé depuis : s’il peint, c’est en courant et sans appuyer ; ses personnages n’ont de couleur que la carnation même de la vie dans la première jeunesse.

910. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sylvain Bailly. — I. » pp. 343-360

Mais ce n’est pas aujourd’hui ce qui nous rappelle vers lui : ces scènes orageuses, tant célébrées, sont entrées dans toutes les mémoires, et l’époque qui les précède ou plutôt qui les embrasse, et durant laquelle Bailly remplit un rôle si honorable, a été tellement et tant de fois racontée et peinte, que les personnages qui y figurent sans cesse finissent presque par lasser nos yeux et par s’user. […] Il devenait de la sorte le médiateur entre eux ; il y avait dans ce rôle de quoi flatter l’amour-propre et dessiner un personnage.

911. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. (Tome XII) » pp. 157-172

Il a eu un pareil soin également envers les autres personnages de son histoire. […] L’exemple même de Raphaël dans ce portrait de Léon X prouverait, au besoin, qu’il ne faut pas craindre de représenter les physionomies des personnages au naturel ; et ceci me rappelle une esquisse d’un prince de l’Église, du cardinal Maury, par M. 

912. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Guillaume Favre de Genève ou l’étude pour l’étude » pp. 231-248

On ne s’intéresse pas à ce Marius qui n’est nullement un personnage intéressant, et que son biographe est trop exact pour nous montrer tel ; et l’auteur n’a pas su introduire quelque idée supérieure à la fois et juste, qui rattache cette vie à toute son époque, et qui fasse qu’on se rattrape par ce côté. […] C’est une loi en effet : chez les nations qui n’avaient pas l’imprimerie, sous les gouvernements qui n’avaient pas leur Moniteur, il arrivait très vite que les personnages glorieux qui avaient frappé l’imagination des peuples et remué le monde, livrés au courant de la tradition et au hasard des récits sans fin, se dénaturaient et devenaient des types purement poétiques.

913. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « L’abbé de Marolles ou le curieux — I » pp. 107-125

C’est de ce personnage chevaleresque sortit le fils qui lui devait ressembler si peu. […] Il n’avait pourvu d’abord qu’au plus pressé et à ce qui lui avait paru le plus directement de sa convenance, aux soins des bâtiments, aux réparations, au logement de la belle bibliothèque pour laquelle il fit bâtir un local tout exprès, orné de portraits peints des plus doctes personnages.

914. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

Seul, sans mission réelle, jeté avec ce titre de ministre à l’extrême Nord par une royauté qui s’est réfugiée à Cagliari et qui se soucie très peu de lui, n’en recevant ni instructions ni directions, et à peine quelque traitement, n’ayant pas toujours de quoi prendre une voiture, n’ayant pas même de quoi payer un secrétaire, il a su par la noblesse de son attitude, par sa dignité naturelle, par sa probité parfaite, par l’éclat et les lumières de sa parole sitôt qu’il se montre, se faire estimer, considérer au plus haut point, pénétrer dans l’intimité des premiers personnages de l’empire, y compris l’empereur lui-même qui le goûte, qui l’écoute, qui lui demande des mémoires et des notes, et qui certainement a dû penser un moment à se l’acquérir. […] De Maistre était un personnage trop considérable et un esprit trop convaincu pour se borner à être un observateur, un témoin passif et désintéressé ; il prit parti pour une société célèbre qui porta bientôt ombrage à l’orthodoxie russe, et dont le zèle arma le zèle contraire.

915. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Les personnages mis en scène sont si bien venus et si vivants, ils sont nés sous une si heureuse étoile, ils sont d’une physionomie si originale et ont un caractère si marqué (y compris leurs deux montures, inséparables des deux maîtres), qu’on s’attache et qu’on s’affectionne à eux tout d’abord, indépendamment de la moralité finale que l’auteur prétend tirer de leurs actions. […] Le personnage de Don Quichotte n’est complet qu’à sa seconde sortie et lorsqu’il est suivi de Sancho : ce n’est qu’au moyen de cette antithèse perpétuelle et de cette alliance boiteuse que l’action a tout son sens désormais, qu’elle a sa prise et sa portée en toute direction.

916. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Gisors (1732-1758) : Étude historique, par M. Camille Rousset. »

Il eut pour précepteur un abbé de Mange, un de ces bons abbés dévoués et lettrés, personnage domestique, comme les grandes familles en avaient alors. […] Ce qui s’oppose le plus à l’impression poétique en présence des personnages trop voisins de nous, c’est la moquerie, l’ironie, ce grand dissolvant des temps modernes, comme on l’a appelé.

917. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. LE COMTE MOLÉ (Réception à l’Académie.) » pp. 190-210

La modération de la révolution de Juillet a tourné l’écueil, et, bien qu’elle ait rempli l’Académie de ses personnages, ç’a été à des titres bien patents et sans idée aucune d’asservissement ou d’exclusion. […] VIII, 22), dans laquelle l’aimable et ingénieux Romain recommande aussi l’indulgence comme tenant de près à la justice, et cite à l’appui un mot de Thraséas, de ce personnage à la fois le plus austère et le plus humain : Qui vitia odit, homines odit ; voulant faire entendre que c’est une pente trop aisée de passer de la haine des vices à celle des hommes.

918. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Millevoye »

» répliqua le second personnage de l’Empire. — « Chez ma mère », repartit le poëte. […] Il reste plaisant toujours que le personnage qu’était là-bas M. le Duc, se trouve ici devenu le citoyen Cambacérès.

919. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « J.-J. Weiss  »

Il n’avait pas seulement ce qu’on peut appeler la dureté de l’âme générale et l’inhumanité, défaut commun chez les écrivains et les personnages célèbres de son temps, seul défaut saillant d’un siècle où bien décidément le caractère et l’esprit français ont atteint leur point de perfection et d’équilibre. […] Comme l’artiste crée ses personnages, le critique crée en quelque manière et façonne l’artiste qu’il définit.

920. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Les Gaietés champêtres, par M. Jules Janin. » pp. 23-39

En général, ces personnages du romancier sont fragiles : ils ne sont point bâtis ni constitués d’une argile terrestre bien forte, ni embrasés d’une étincelle du ciel bien ardente ; ils sont nés d’un souffle, animés d’un caprice, humides d’une goutte de rosée ; leur nom est jeunesse, beauté de dix-huit ans, facilité volage, oubli. […] Ce même dieu Pan semble avoir donné quelque chose de cette trépidation prestigieuse aux objets et aux personnages du xviiie  siècle, tels qu’ils se réfléchissent dans la pastorale de M. 

921. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Du Rameau » pp. 288-298

J’avoue toutefois que s’il fut jamais permis à la peinture d’employer l’allégorie, c’est dans un triomphe de la justice, personnage allégorique, à moins qu’on ne poussât la sévérité jusqu’à proscrire ces sortes de sujets, sévérité qui achèverait de restreindre les bornes de l’art, qui ne sont déjà que trop étroites, de nous priver d’une infinité de belles compositions à faire, et d’écarter nos yeux d’une multitude d’autres qui sont sorties de la main des plus grands maîtres. […] Il est de la plus grande vérité de caractère, c’est un personnage réel, il est grand sans être exagéré ; il est beau, quoiqu’il ait le nez gros et les joues creuses et décharnées, parce qu’il a le caractère de son état, et l’expression de son ministère.

922. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Gustave Droz » pp. 189-211

Les fourberies, les bassesses et les efforts de Scapin-Larreau pour avoir son miracle, pour le lancer, pour le rattraper quand il lui échappe, pour le relancer, pour le tenir droit devant l’opinion, comme un Saint-Sacrement, pour le faire passer à l’état incontesté et fulgurant, enveloppent tous les personnages du roman, qui sont nombreux, comme d’un moulinet de roueries, et, pendant toute la durée du livre, c’est dans ce vaste moulinet qu’on les voit. […] VII Gustave Droz, qui ne l’est pas d’affirmation, du moins pour son propre compte, dans son livre, s’il l’est pour le compte de son principal personnage, n’a pas fait catholique que le dénouement de son roman : il en a fait catholique l’action même, dans la vie et le péché de son prêtre.

923. (1874) Premiers lundis. Tome I « Œuvres de Rabaut-Saint-Étienne. précédées d’une notice sur sa vie, par M. Collin de Plancy. »

Il publia vers le même temps le Vieux Cévenol ou la Vie d’Ambroise Borély, personnage fictif, sur la tête duquel sont accumulées toutes les persécutions exercées contre les protestants depuis la révocation de l’édit de Nantes.

924. (1874) Premiers lundis. Tome I « M. de Ségur. Mémoires, souvenirs et anecdotes. Tome II. »

Les autres personnages de la cour ne sont pas moins agréablement dessinés.

/ 1910