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1796. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Il en eut la pensée dans le temps où il aima la gloire avec candeur, alors qu’elle lui apparaissait sous les traits des jeunes Français de l’âge futur apprenant de lui à admirer, dans l’époque où régna Louis XIV, toutes les grandeurs de leur pays. […] Pour moi, qui ne puis m’accoutumer à ce que la marche des nations soit une course aveugle à travers le temps, qui regarde la guerre qu’on fait au passé comme une guerre civile, tout en admirant dans l’Essai la beauté de la pensée première, les vérités de détail dont le livre est semé, un style où, à la différence du style précieux, ce sont les beautés et non les défauts qui se cachent, j’estime que le bien n’y compense pas le mal, et je ne verrais pas sans inquiétude pour mon pays qu’on y préférât l’Essai sur les mœurs au Siècle de Louis XIV. […] La pensée qui lui fait prendre la plume est de railler des abus ; mais s’il s’en présente un par trop criant qui le prenne aux nerfs, il éclate, et l’on entend le cri de la douleur vraie parmi des moqueries. […] Otez du discours d’un homme d’esprit ce qui est pensée ou sentiment juste, raillerie fine, louange délicate, il reste encore quelque chose qui ne nous apprend rien et pourtant qui n’est pas de trop.

1797. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XIII. La littérature et la morale » pp. 314-335

Le respect de la pensée d’autrui, la tolérance mutuelle, la volonté de reconnaître à tous une égale liberté de conscience prit peu à peu dans l’estime générale, malgré la résistance des partisans attardés de l’orthodoxie forcée, la place si longtemps occupée par la conception chère aux Inquisiteurs. […] Dans ce qui reste après cette grave amputation, l’écrivain est condamné au perpétuel dilettantisme, qui jongle avec les opinions et dit tour à tour blanc et noir ; impassible, il risque de composer des ouvrages qui ont le froid et le poli de la glace ; détache de la lutte des idées, il est réduit au souci exclusif de la forme ; forcé de s’abstenir en toute question qui touche à la vie profonde de la nation, il s’abâtardit en une sorte de veulerie et de lâcheté intellectuelles  ; il en arrive à fabriquer de jolis riens, des bibelots de décadence, flacons ciselés où ne demeure plus une goutte de liqueur, plus un atome de parfum ni de pensée. […] Parfois tout un parti, toute une école, toute une secte crie son admiration pour une œuvre ou un écrivain ; quand des gens se proclament calvinistes, byroniens, stendhaliens, tolstoïstes, que sais-je encore, ils avertissent qu’on doit chercher sur eux l’empreinte d’un maître ; et de fait, dans leur conduite et leur pensée, si l’on connaît bien ce maître, on retrouve aisément les traces de l’ascendant qu’ils ont subi. […] ; lecteurs ou spectateurs tendent à incliner dans le sens où l’auteur a penché lui-même, et ils y sont entraînés d’autant plus volontiers que celui-ci, au lieu d’asséner ses opinions, laisse à moitié deviner le fond de sa pensée.

1798. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. John Stuart Mill — Chapitre II : La Psychologie. »

Ce sont les trois éléments principaux de tous les groupes ; partout où ils sont, il y a groupe ; tout autre élément du groupe se présente à notre pensée, moins pour ce qu’il est, que comme marque de ces trois éléments. […] En vertu de la loi d’association, c’est-à-dire d’une loi d’habitude mentale, les actions de la première espèce étant associées constamment dans l’expérience et dans la pensée, avec ce qui produit le bonheur, deviennent elles-mêmes un objet d’approbation : les actions contraires étant associées constamment, dans l’expérience et dans la pensée, avec ce qui détruit le bonheur, deviennent un objet de condamnation. » Par suite le sens moral serait un sentiment acquis, non primitif, dont un exemple grossier, disent les Utilitaires, peut suffisamment expliquer le mode de formation. […] Par suite il se forme dans la pensée une association indissoluble entre la vertu et le bonheur ; puis par la force de l’habitude, nous en venons à pratiquer le devoir pour lui-même, sans préoccupation du bonheur qu’il procure et même au prix du sacrifice conscient et délibéré du bonheur.

1799. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Chapitre III. De la nature du temps »

Le même raisonnement pouvant se répéter de proche en proche, une même durée va ramasser le long de sa route les événements de la totalité du monde matériel ; et nous pourrons alors éliminer les consciences humaines que nous avions d’abord disposées de loin en loin comme autant de relais pour le mouvement de notre pensée : il n’y aura plus que le temps impersonnel où s’écouleront toutes choses. […] Sans la simultanéité de flux, nous ne tiendrions pas pour substituables l’un à l’autre ces trois termes, continuité de notre vie intérieure, continuité d’un mouvement volontaire que notre pensée prolonge indéfiniment, continuité d’un mouvement quelconque à travers l’espace. […] Notre pensée, interprétant le temps mathématique, refait en sens inverse le chemin qu’elle a parcouru pour l’obtenir. […] Or, impossible d’en spatialiser par la pensée une partie seulement : l’acte, une fois commencé, par lequel nous déroulons le passé et abolissons ainsi la succession réelle nous entraîne à un déroulement total du temps ; fatalement alors nous sommes amenés à mettre sur le compte de l’imperfection humaine notre ignorance d’un avenir qui serait présent et à tenir la durée pour une pure négation, une « privation d’éternité ».

1800. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Geoffroy de Villehardouin. — I. » pp. 381-397

Pourtant, plume en main (si tant est que lui-même il tînt la plume), ou en se disant qu’il allait dicter et composer, il était quelque peu gêné dans l’expression de ses pensées, et, bien qu’il en produisît le principal, il n’en donnait et n’en fixait qu’une partie : de vive voix, dans les occasions et en présence des gens, il était, on doit le croire, bien autrement large et abondant. […] La parole est une faculté qui, à toutes les époques, et dans un degré éminent, est donnée naturellement à quelques-uns : c’est entre la parole parlée et cette même parole écrite que la plus grande différence a lieu et qu’il se fait un naufrage de bien des pensées. […] La suite de la chronique de Villehardouin donnera jour et développement à ces pensées.

1801. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La marquise de Créqui — III » pp. 476-491

Ces grands talents, en apparaissant, renouvellent les courants de l’intelligence et de la curiosité publique, mais dérangent et troublent l’atticisme là où il existe encore : on les applaudit, on s’exalte, on les veut imiter, et on les imite même quand on ne le veut pas ; ils s’interposent pour longtemps, avec leur manière de dire, entre la pensée et l’expression de chacun de leurs admirateurs. […] Les hardiesses de la philosophie, devenues plus tard des instruments de destruction, n’étaient alors que des stimulants pour la pensée. […] Plus rien de libre ni de léger ; comme chez les fabuleux Phéaciens, ce qui l’instant d’auparavant était le navire ailé qui allait et venait sans cesse et volait aussi vite que la pensée, s’était tout d’un coup changé en un rocher fixe, en une écrasante montagne qui barrait la vue et couvrait la ville d’effroi.

1802. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « La comtesse d’Albany par M. Saint-René Taillandier. »

« Sublime miroir de pensées sincères, montre-moi en corps et en âme tel que je suis : — cheveux maintenant rares au front, et tout roux ; — longue taille, et la tête penchée vers la terre ; — un buste fin sur deux jambes minces ; — peau blanche, yeux d’azur, l’air noble ; — nez juste, belles lèvres et dents parfaites ; — plus pâle de visage qu’un roi sur le trône ; — tantôt dur, amer, tantôt pitoyable et doux ; — courroucé toujours, et méchant jamais ; — l’esprit et le cœur en lutte perpétuelle ; — le plus souvent triste, et par moments très gai ; — tantôt m’estimant Achille, et tantôt Thersite. — Homme, es-tu grand ou vil ? […] Voilà la lèvre vermeille, l’œil noir, le sein qui triomphe du lis, les règles chéries de toutes mes hautes pensées. […] Mme d’Albany, bien italienne en cela, n’eut point d’autre pensée, elle n’y mit pas plus d’art et de façon, dès qu’elle eut remarqué le poète et compris son amour.

1803. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite et fin.) »

Luzel a déjà dû s’impatienter, s’il nous lit, et je suis sûr que, s’il était à portée de voix, il aurait demandé plus d’une fois la parole ; car, lui, il a la prétention d’être dans un cas tout différent : « Nous autres Bretons, dit-il dans sa préface, nous avons l’avantage précieux de posséder une langue à nous : je dis langue et je repousse vigoureusement le mot flétrissant de patois. » Loin de moi l’idée de le contredire et de porter atteinte à sa patriotique pensée ! […] Telle qu’il la sentait et la pratiquait, habile au métier, charmé des sons, amusé aux syllabes, rien n’existait pour lui en dehors de cette poésie ; il y mettait tout son soin comme toute sa pensée : il n’avait pas de prose. […] Élie Mariaker est le nom de l’auteur censé mort, dont on nous donne la vie, la pensée et les vers.

1804. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

Il ressort surabondamment de tous ces témoignages qu’il n’y avait plus rien du poëte, presque plus rien de l’homme de lettres dans Racine mourant : le chrétien seul, et le chrétien selon Port-Royal, survivait et chassait toute autre pensée. […] Il avait été reçu par M. de La Chapelle, directeur, qui ne parla pas mal non plus et qui dit même des choses assez neuves et très à propos à cette date de 1699, fin d’un siècle, sur les heures de perfection et de décadence littéraire pour les nations : il développa une pensée de l’historien Velleius Paterculus, et parla de cette sorte de fatalité qui fixe dans tous les arts, chez tous les peuples du monde, un point d’excellence qui ne s’avance ni ne s’étend jamais : « Ce même ordre immuable, disait-il, détermine un nombre certain d’hommes illustres, qui naissent, fleurissent, se trouvent ensemble dans un court espace de temps, où ils sont séparés du reste des hommes communs que les autres temps produisent, et comme enfermés dans un cercle, hors duquel il n’y a rien qui ne tienne ou de l’imperfection de ce qui commence ou de la corruption de ce qui vieillit. » C’était bien pensé et bien dit. […] Leur pensée n’était plus à la hauteur de leur talent.

1805. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Sainte-Beuve, qui pourront se rattacher désormais à l’Histoire de la Libre Pensée au XIXe siècle2. […] C’est ainsi que ce journal d’opposition et réputé hostile, qui donnait à la fois asile à un républicain proscrit et à un sénateur de la gauche de l’Empire, entend et pratique le vrai principe de la liberté de la presse, quand les voix s’élèvent d’en haut, — non plus des régions officielles, mais des sommités du talent et de la pensée. — M’est-il permis de parler ainsi de mon maître, et M.  […] Aussi l’état de ma santé étant ce qu’il est, il ne me sera pas difficile, si l’ancien Moniteur suivait une ligne qui fût par trop en contradiction avec ma pensée, de m’abstenir et de rester dans ma chambre.

1806. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre III. Poésie érudite et artistique (depuis 1550) — Chapitre II. Les tempéraments »

Cependant tout, ici, n’est pas à condamner : qu’on prenne la plus fameuse des odes pindariques, l’Ode à Michel de l’Hôpital, énorme machine de vingt-quatre strophes, antistrophes et épodes, et de huit cent seize vers : on y trouve, pour la première fois, un long poème d’une structure achevée, un rude effort de composition ; on y trouve du mouvement, et de ce mouvement lyrique qui tient à l’organisation rythmique, de l’éloquence aussi, une éloquence qui tient à la hauteur, au sérieux, à la sincérité de la pensée. […] Ce qui lui manqua, ce fut une pensée originale, une pensée qui ne fût occupée qu’à faire entrer le monde et la vie dans les formes du tempérament, à projeter le tempérament sur l’univers et sur l’humanité : qui par conséquent permît au tempérament de dégager toute sa puissance, et de réaliser ses propriétés personnelles.

1807. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Si quelqu’un doit être expert en attitudes simples et naturellement nobles, en nuances du cœur et de l’esprit, en charme, en propreté de tenue et de caractère, en goût sûr et sobre, c’est l’être qui, éloigné de tout sport brutal, de tout négoce et de toute violence, sert des intérêts abstraits, fait de la pensée et de la plastique sa principale étude. […] Il n’aurait qu’une attention de quelques instants à soutenir pour s’assimiler à fond cet art superficiel, mais pratique, de la tenue dans la vie, offrir une surface polie et impénétrable aux bêtes curieuses qui guetteraient ses défauts ou ses faiblesses secrètes, murer sa pensée derrière la courtoisie, et apparaître strict, armé, indémontable, aux yeux des « mondains » ébahis de sa vraie aristocratie. […] L’homme nouveau, riche de pensées, sobre de gestes, est fait pour réserver sa vie intime, haïr la vedette personnelle, et frapper la médiocratie en plein cœur par l’audace réfléchie, la résolution logique de ses idées, en soustrayant son visage à tout examen.

1808. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Les regrets. » pp. 397-413

Dans ce moment, même, qu’ils daignent, je les en prie, ne pas prendre ou donner le change sur ma pensée : je ne viens pas ici conseiller d’épouser le pouvoir, mais simplement de ne pas le nier avec obstination, de ne pas bouder la société qui l’a ratifié, le fond et le vrai de la société de notre temps. […] Nous sommes tous plus ou moins tentés de parler ainsi, si nous nous livrons à la vivacité de notre premier mouvement et si ce que Pascal appelait la pensée de derrière ne nous avertit. […] « Ils avaient dû trouver, disaient d’ingénieux publicistes, dans leurs pensées toujours refoulées, un exercice qui doublait leurs forces. » C’était une erreur.

1809. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « J. K. Huysmans » pp. 186-212

Toutes les réalités y deviennent légères et flatteuses, depuis le vermeil expirant des cuillères, à thé, jusqu’à la coupe bénigne de la coiffe de la domestique, depuis la splendeur assourdie des ameublements, les gaufrages des tentures, le mystérieux rayonnement des tableaux, à cette bibliothèque enfermant sous la beauté des reliures d’inestimables livres à l’exquisité des liqueurs bues, des parfums inhalés, des pensées évoquées et contemplées. […] Et c’est ainsi armé des plus fins outils à sculpter la pensée, que M. Huysmans estparvenu à écrire ce surprenant chapitre VII de A Rebours, qui, racontant les intimes fluctuations d’âme d’un catholique incrédule, dévotieux et inquiet, marque le cours de pensées de théologie ou de scepticisme, par une succession de précises images, accomplissant le tour de force de seize pages de la plus subtile psychologie, écrites presque constamment en termes concrets.

1810. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre IX. Seconde partie. Nouvelles preuves que la société a été imposée à l’homme » pp. 243-267

Enfin il ne trouve que là les douceurs de l’étude, le goût pour les sciences, les pensées généreuses, les sentiments élevés, la gloire, noble et immense instinct de l’immortalité ; car l’immortalité elle-même n’est qu’au sein de la société, comme la société seule est conservatrice des traditions religieuses. […] L’ère nouvelle n’est donc point, comme on l’a cru, celle de la liberté civile, ni même celle de l’égalité devant la loi, et de l’admissibilité de tous à tous les emplois : c’est l’ère de l’indépendance et de l’énergie de la pensée ; celle des lois écrites substituées aux lois traditionnelles ; celle des institutions sociales et des institutions religieuses marchant sur deux lignes séparées ; celle du bien-être social appliqué à toutes les classes ; celle de la raison humaine devenue adulte, et s’ingérant de décider par sa propre autorité ; celle de la démonstration rigoureuse, qui repousse les axiomes en géométrie et les préjugés en politique ; celle du discrédit des faits antérieurs pris comme base convenue et incontestable ; celle de l’opinion consultée à chaque instant, et à part même de toute conjoncture nouvelle. […] Il a fallu partir de l’existence de la société pour raisonner avec certitude sur le nouvel ordre de choses qui tend à s’établir, quelque indépendant qu’il soit d’ailleurs de tout ce qui a précédé, comme il a fallu partir du don primitif de la parole pour arriver à expliquer l’émancipation graduelle de la pensée : c’est ce qui nous reste à faire pour achever le tableau de l’âge actuel de l’esprit humain.

1811. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Appendice. [Rapport sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques.] » pp. 497-502

Le mieux donc et le plus sûr pour tout auteur qui se préoccupe du noble but qu’a en vue l’institution présente, c’est que la pensée morale préexiste dès l’origine de l’ouvrage, qu’elle en domine la conception, qu’elle le pénètre ensuite dans le détail par une intention pleine et droite, qu’on la sente circuler et ressortir à travers les égarements mêmes, les luttes de passions et les aventures qui sont du ressort de la scène. […] L’institution des primes est bonne, utile, et peut devenir féconde en résultats à l’avenir, mais à la seule condition qu’on ne se départira jamais, en l’appliquant, de la pensée essentielle qui l’a inspirée.

1812. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Note sur les éléments et la formation de l’idée du moi » pp. 465-474

Le mot obscure ne rend pas exactement ma pensée ; il faudrait dire dumpf en allemand, qui signifie aussi bien lourd, épais, terne, éteint. […] Sur ce point, presque tous emploient le même langage : « Je me sentais si complètement changé, qu’il me semblait être devenu un autre134 ; cette pensée s’imposait constamment à moi sans que cependant j’aie oublié une seule fois qu’elle était illusoire. » — « Quelquefois il me semble n’être pas moi-même, ou bien je me crois plongée dans un rêve continuel. » — « Il m’a littéralement semblé que je n’étais plus moi-même. » — « Je doutais de ma propre existence, et même par instants je cessais d’y croire. » — « Souvent il me semble que je ne suis pas de ce monde ; ma voix me paraît étrangère, et, quand je vois mes camarades d’hôpital, je me dis à moi-même : “Ce sont les figures d’un rêve.” » — Il semble au malade « qu’il est un automate » ; « il sent qu’il est en dehors de lui-même ». — Il ne « se reconnaît plus ; il lui semble qu’il est devenu une autre personne ».

1813. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XI. Trois bons médanistes : Henry Céard, Joris-Karl Huysmans, Lucien Descaves » pp. 145-156

Les qualifications naturelles de la forme de Céard, c’est, d’abord, la carrure : il sertit ses vigoureuses pensées dans les formules solides qui ne les laissent point s’échapper ; c’est, ensuite, l’ordre tout musical de la composition : il y a dans ses comédies, dans ses romans, même dans ses chroniques, un thème et un rythme. […] Cet éclat pénétrant du style qui nous force à voir par des clartés nouvelles et inédites, les détails de sa pensée a étonné des lecteurs d’En route, ceux du moins qui sont mal familiers des habitudes littéraires de Huysmans.

1814. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Première partie. Plan général de l’histoire d’une littérature — Chapitre IV. Moyens de déterminer les limites d’une période littéraire » pp. 19-25

Toutefois, dans le cours de ces soixante-quinze ans si pleins d’ardeur, d’élan, de foi en l’avenir, animés d’un si vif désir de changer les bases de la société existante, il y a un instant où les esprits conçoivent des pensées nouvelles et les cœurs des sentiments nouveaux. […] Les contemporains les plus clairvoyants remarquèrent ce changement de direction dans la pensée française.

1815. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre V. Des trois ordres de causes qui peuvent agir sur un auteur » pp. 69-75

Quand je me rappelle que telle Lettre Provinciale a été refaite jusqu’à treize fois ; quand je vois surchargé de ratures le brouillon d’une fable de La Fontaine ; quand je pense à l’implacable, acharnement avec lequel Rousseau et Flaubert retournaient une phrase dans leur tête pour la rendre conforme à leur idéal esthétique, je me dis qu’au nombre des influences qui développent les facultés contenues dans l’organisme initial, qui font sortir la fleur et le fruit du germe où ils étaient cachés, cette action de la pensée sur la pensée ne saurait être laissée de côté comme une quantité négligeable.

1816. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XV » pp. 175-187

Quatre objets, qui se représentaient sans cesse aux yeux ou à la pensée sous la monarchie ancienne, et surtout dans la littérature, avaient fait contracter ces habitudes de respect : les femmes, les prêtres, les grands, les rois. […] On souffrait à l’idée de revêtir ses pensées d’expressions nobles et vigoureuses, ou de voir quelqu’un pénétré des sentiments d’une personne.

1817. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre III. Soubrettes et bonnes à tout faire »

Tant qu’on lit, on est furieux contre l’auteur qui gâte une pensée supérieure à son talent. […] Et puis la pensée, c’est un peu loin d’Abel Hermant.

1818. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre V. Harmonies de la religion chrétienne avec les scènes de la nature et les passions du cœur humain. — Chapitre II. Harmonies physiques. — Suite des Monuments religieux ; Couvents maronites, coptes, etc. »

J’ai trop connu Paris : mes légères pensées, Dans son enceinte immense au hasard dispersées, Veulent en vain rejoindre et lier tous les jours Leur fil demi-formé, qui se brise toujours. […] Cloître sombre, où l’amour est proscrit par le Ciel, Où l’instinct le plus cher est le plus criminel, Déjà, déjà ton deuil plaît moins à ma pensée.

1819. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 5, des études et des progrès des peintres et des poëtes » pp. 44-57

On y voit des pensées nouvelles. […] La pensée et l’expression naissent presque toûjours en même-temps.

1820. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Les Philippiques de la Grange-Chancel »

Rhéteur, déclamateur, et par-dessus imitateur, — imitateur avec bassesse, — n’ayant ni une idée supérieure, ni entrailles, ni sincérité d’aucune sorte, il ne fut pas même à la rigueur un honnête homme pour ceux-là qui pensent que les grandes pensées viennent du cœur. […] Qu’il ait été un satirique effréné, à outrance, qu’il ait exagéré, qu’il en ait trop dit, que les objets se soient grossis, se soient défigurés sous la dilatation de son regard épouvanté ou indigné, qu’il ait calomnié même par le fait, mais à ses risques et périls, et en mettant sa tête au jeu sans la réclamer, la Critique, qui sait bien qu’un jour il parla la pensée de la France, et que l’homme qu’il accusait avait lui-même, par sa conduite et ses maximes, épaissi sur sa tête la nuée livide de si effroyables soupçons, la Critique l’innocenterait sans peine, si seulement il avait eu la bonne foi de sa colère, le vulgaire mouvement de sang de son indignation !

1821. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Notre critique et la leur »

C’était un bon sens très guindé dans une tête excessivement aride, un homme né podagre du cerveau, travaillé par une infécondité infiniment douloureuse, moins heureux tout le temps qu’il vécut que le lion de Milton, auquel il ne ressemblait pas, lequel finit par tirer sa croupe du chaos ; car il ne put jamais, lui, se dépêtrer des embarras obstinés de sa pensée, du vague des mots et du vide des choses au fond desquels il est mort plongé. […] À côté du théâtre, il y a les livres, les livres, dont le meilleur fait moins de bruit que la plus mauvaise de toutes les pièces, car c’est encore un des caractères de ce temps contre lesquels nous voulons réagir que la gloire facile du théâtre, que cette préoccupation des spectacles qui matérialisent tous, plus ou moins, la pensée des peuples.

1822. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Rome et la Judée »

Puisque sa veine était tarie, puisqu’il avait donné le meilleur du sang de sa pensée à son premier livre, ne pouvait-il pas, au moins, s’imiter ? […] Malgré l’extraordinaire grandeur des faits qui y sont retracés et dont l’intérêt vient d’eux-mêmes, il est, littérairement et de pensée, d’une pauvreté désolante, et les livres pauvres sont au-dessous des livres mauvais.

1823. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Auguste Vitu » pp. 103-115

Or, Auguste Vitu est très capable de faire un livre, ramassé, soutenu et fort, soit d’antiquités, soit d’histoire ; mais comme l’histoire est, en ce moment, ce qui doit passer le plus près de toute pensée qui comprend les dangers du présent et veut le salut de l’avenir, c’est un livre d’histoire que nous lui demandons positivement. […] Mais il ne faut pas imputer à la forme de sa pensée historique les perversités et les scélératesses de son esprit.

1824. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIII. P. Enfantin »

Enfantin assimile, avec une perversion du sens intellectuel qui pourrait bien être une perversité, sa pensée à la pensée chrétienne.

1825. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Vous rapprocherez avec une pareille justesse les pensées générales du temps où vivait Lucain, des fruits de son imagination épique. […] Ainsi le sujet, expliqué nettement en peu de vers, se grave tout entier dans la pensée. […] Nos pensées matérielles, qui n’aboutissent qu’à la mort, lui révéleront-elles le mystère de l’immatérialité des êtres destinés à se survivre ? […] Enfin l’âme, qui ne se nourrit que de fortes et hautes pensées et que de grands sentiments, ne soutient pas le perpétuel exercice de ses facultés intelligentes, et ne veut pas toujours planer dans les régions de l’enthousiasme : nous nous fatiguerions de son essor. […] Notre lyrique frappe vivement notre pensée de la stabilité du monument qu’il érigea.

1826. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Cela convenait très bien, mais je crois que Léonard était aussi loin qu’on peut l’être de la pensée de M.  […] La véritable dernière pensée du créateur dans l’ordre animal, c’est l’oiseau. […] Nous percevons ces mouvements sous la forme de sensations ou de pensées. […] Ils sont d’une lucidité singulière, d’une belle tenue de pensée, d’une noble hardiesse logique. […] C’est une simple pensée ou un rêve.

1827. (1860) Ceci n’est pas un livre « [Épigraphe] » p. 

PENSÉE DE DON PASQUALE.

1828. (1922) Gustave Flaubert

Et d’ailleurs il fallait toujours qu’il y eût entre lui et l’objet de sa pensée un espace libre de solitude et de rêve. […] Imbécile dans sa pensée, « trottoir de rue » où ne passent que des idées reçues. […] Que de choses flottent encore dans les limbes de la pensée humaine ! […] La pensée profonde de Notre-Dame de Paris était au fond la même que celle des Martyrs. […] On imagine une grande œuvre de Flaubert pensée et écrite ainsi, le contraire de l’Éducation et de Bouvard.

1829. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gauche, Alfred (18..-19.. ; poète) »

Anonyme Au seuil du Paradis : Des vers de la plus vive originalité, avec des recherches de rythme et des hardiesses de pensée.

1830. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — F — Février, Raymond (1854-19..) »

Raymond Février (dans les Élévations poétiques) est chaste, grave, religieuse… Sa langue poétique est très ferme, très solide, et — chose plus rare — les pensées abondent sous sa plume.

1831. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — A — article »

Son Traité sur la Prudence n’annonce pas qu’il en eut beaucoup lui-même ; les pensées en sont triviales, & le style lâche & incorrect, deux raisons pour empêcher un homme prudent d’écrire.

1832. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff (suite) » pp. 317-378

Il secoua la tête ; puis sa pensée s’arrêta sur Lise. […] Je me plais à la voir, quand elle s’arrête tout à coup, vous écoute attentivement sans sourire, puis s’absorbe dans sa pensée et rejette ses cheveux en arrière ! […] Mais quelle est votre pensée ? […] Sa pensée s’arrêta sur elle, et son cœur reprit un peu de calme : « Pure jeune fille !  […] « Non, jamais ; nous avons de ses nouvelles par d’autres. » Il se fit soudain un profond silence. « Voilà l’ange du silence qui passe. » Telle est la pensée de tous.

1833. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — H — Hély, Léon (1864-19..) »

François Coppée En compagnie des vrais paysans de Millet, baigné de brumes limpides de Corot, vous attrapez au vol les pensées du semeur ; vous êtes un suiveur de troupeaux à clochettes, un écouteur de grillons ; les myosotis du bord du Morin vous sourient… [Préface aux Claires Matinées (1899).]

1834. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — R — Ricquebourg, Jean (1868-1914) »

Pierre Quillard Leconte de Lisle se serait plu aux tierces rimes ironiques et féroces de la Justice du mandarin, aux paysages et aux animaux étudiés et décrits en traits sobres et durs, et aux belles strophes où la pensée métaphysique se laisse apercevoir seulement sous un voile d’images éclatantes.

1835. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Loy, Aimé de = Desloye, Jean-Baptiste Aimé (1798-1834) »

Sainte-Beuve Il y a, dans les vers de Loy, souvent redondants, faibles de pensée, vulgaires d’éloges, je ne sais quoi de limpide, de naturel et de captivant à l’oreille et au cœur, qui fait comprendre qu’on l’ait aimé.

1836. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article »

Ses Pastorales sont très-variées, & offrent un agréable tissu de pensées naturelles, naïves, délicates, embellies par une versification douce, simple, facile, & qui forme le vrai caractere de cette espece de Production, dont la tendresse est l’ame, & l’aménité le coloris.

1837. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Bézobrazov, Olga de (18..-19..) »

Charles Fuster Poussière d’étoiles nous apporte comme un poudroiement de pensées et d’images, dont plusieurs admirables.

1838. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — C — Courtois, Pierre (18..-19.. ; poète) »

Pierre Courtois me semble avoir réuni ce que toute sa jeunesse lui inspira de pensées, de sentiments et de rêves.

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