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2241. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Souvenirs d’un diplomate. La Pologne (1811-1813), par le baron Bignon. (Suite et fin.) »

Il nous a donné dans ses Mémoires un aperçu neuf, mais trop abrégé, trop à demi-mot et plutôt fait pour irriter la curiosité que pour la satisfaire, sur les intrigues mi-galantes, mi-politiques, qui animèrent singulièrement l’hiver de 1808-1809. […] Je ne sais rien de plus significatif à cet égard qu’une lettre du roi de Westphalie Jérôme, à son frère, écrite à la date du 5 décembre 1811, et qui exprime, qui résume la situation vraie, telle qu’elle se dessinait aux yeux d’un frère dévoué de l’Empereur, placé au cœur même de la difficulté, au centre du péril : « Sire, écrivait le roi Jérôme, établi dans une position qui me rend la sentinelle avancée de la France, porté par inclination et par devoir à surveiller tout ce qui peut donner atteinte aux intérêts de Votre Majesté, je pense qu’il est convenable et nécessaire que je l’informe avec franchise de tout ce que j’aperçois autour de moi. […] Il n’était pas jusqu’à l’observateur du dernier degré qui, au lieu de me donner la simple note de ce qu’il avait vu de ses propres yeux, ne fît un roman d’armée russe à sa façon. […] C’était jouer de malheur que de donner ainsi dans l’à-propos et de choisir si bien et à bout portant ses points de mire. […] Bignon, a donné les plus curieux détails, et les plus circonstanciés, sur les ladreries, mesquineries et lésineries avérées de cet archevêque ambassadeur qui ne savait faire que de belles phrases, s’endormir au Conseil et dans toutes les cérémonies, et qui ne voulut jamais qu’on prît la peine d’approprier sa chapelle pour y entendre une seule fois la messe42.

2242. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « La civilisation et la démocratie française. Deux conférences par M. Ch. Duveyrier »

Duveyrier a développé des idées neuves, très ingénieuses, et qui, pour ceux qui réfléchissent, donnent à penser pour bien longtemps. […] Duveyrier, qui est un auteur dramatique des plus distingués, qui connaît la mise en scène et l’art du dialogue, qui a excellé à faire parler des personnages naïfs et originaux, ait su donnera ce qu’il lisait l’accent, le ton, la physionomie, et que dans un seul monologue il ait diversifié les rôles. […] Plusieurs, entre les plus haut arrivés, y travaillent et y donnent les mains80. […] Les civilisés purs, même lorsqu’ils se donnent la perspective la plus vaste, ne l’ont encore que bornée. […] Si Lanjuinais n’avait pas exigé le titre, ses gens auraient mis leur vanité à le lui donner. — Lemercier (Népomucène) passe pour un grand caractère, à trempe républicaine ou du moins d’une teinte des plus libérales : sa femme, Édon de son nom, était fille ou nièce du restaurateur bien connu dans la rue de l’Ancienne-Comédie.

2243. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Sur la reprise de Bérénice au Théâtre-Français »

La pièce se donna pour la première fois sur le théâtre de l’hôtel de Bourgogne, le 21 novembre 1670 ; elle eut d’abord plus de trente représentations, un succès de larmes, des brochures critiques pour et contre, des parodies bouffonnes au Théâtre-Italien, enfin tout ce qui constitue les honneurs de la vogue. […] La pièce ne fut donnée alors que deux fois. […] J’accepte le mot sans défaveur, et je dirai à mon tour de Bérénice que c’est moins une tragédie qu’une comédie de cœur, une comédie-roman, contemporaine de Zayde, et qui allait donner le ton à la Princesse de Clèves. […] Je ne sais à quel ton au juste appartiennent, dans l’ordre des genres, tant de vers faciles, tendres, naturels et amoureux, mais qui sont le soupir et la plainte de tous les cœurs bien touchés : Voyez-moi plus souvent, et ne me donnez rien ! […] Quant à l’Antiochus, il est suffisant. — Ainsi, pour conclure, nous devons à mademoiselle Rachel non-seulement le plaisir, mais aussi l’honneur d’avoir goûté Bérénice, et il ne tient qu’à nous, grâce à elle, de nous donner pour plus amateurs de la belle et classique poésie en 1844 qu’on ne l’était en 1807.

2244. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

L’idylle, telle que la donnait Gessner et que la reproduisait Léonard, était simplement la pastorale dans le sens restreint du genre. […] L’imitation qu’il a donnée du Village détruit, de Goldsmith, a de l’agrément, de l’aisance ; et offre même une sorte de relief, si on évite de la comparer de trop près avec l’original. […] Il s’agit de pénétrer ses vues, de s’assurer que le secours, si on le donne, sera bien affecté à l’emploi promis. […] Quelques idylles et poésies champêtres, composées en ces mêmes années, s’ajoutèrent à une nouvelle et assez jolie édition que donna Léonard (La Haye, 1782). […] Cet article a été donné au Journal des Débats (21 avril 1843), avec destination aux victimes du tremblement de terre de la Guadeloupe : l’humble obole marquée au nom de Léonard revenait de droit à ses infortunés compatriotes.

2245. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 15 janvier 1887. »

Au courant de décembre dernier, un arrêt de la cour de Leipzig donna gain de cause à la famille Wagner. […] A ce point de vue il donna aux jeunes musiciens un grand exemple de personnalité. […] La publication en a commencé en 1878 ; tous les deux ans on en donne quelques pages. […] Nous donnerons aussi une place importante au mouvement artistique contemporain, aux efforts des jeunes artistes qui cherchent leur formule dans la voie ouverte par le Maître. […] C’est lui qui donna dans la revue une première définition du wagnérisme dans un des tout premiers articles.

2246. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre douzième. »

Cette fable est joliment contée ; mais voilà, je crois, le seul éloge que l’on puisse lui donner. […] La raison que donne l’aigle du besoin qu’elle a d’être désennuyée, est très-plaisante ; et l’exemple de Jupiter est choisi merveilleusement. […] C’est lui seul qui accrédite la louange, en même temps qu’il honore et celui qui la reçoit et celui qui la donne. […] A qui donner le prix ? […] Ce vers aurait pu donner l’idée de la petite comédie intitulée le Procureur arbitre, dont le héros se conduit de la même manière.

2247. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

. — Et certes, nous n’avons pas prétendu qu’elle dût nous en donner une explication, intégrale ; par conséquent, nous n’avons pas, pour présenter une explication sociologique du mouvement égalitaire, à exclure d’autres explications qui peuvent concourir avec elle. […] Force nous est donc de commencer par chercher si la seule vertu des races ou celle des idées explique pleinement l’expansion de l’égalitarisme, si l’Anthropologie ou l’Idéologie est capable de nous en donner la raison suffisante. […] Si l’on continue à donner aux « races » des qualificatifs qui ne conviennent qu’aux « civilisations », et à tenir pour l’apanage des races germaine ou slave des institutions d’ailleurs variables, dont l’hérédité biologique ne saurait nullement expliquer la permanence ou les transformations, il est trop évident qu’on ne fait qu’emprunter un mot au vocabulaire naturaliste pour désigner des phénomènes sociaux. […] Ce n’est donc pas donner des mouvements des sociétés une explication suffisante que d’en demander tout le secret à la création, puis à la propagation des idées individuelles. […] D’abord, serait-il facile de prouver que, partout où telle forme sociale est donnée, l’égalitarisme apparaît, et surtout que leurs variations sont concomitantes ?

2248. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Jouffroy.] » pp. 532-533

J’ai donné au tome Ier de mes Portraits littéraires un article fort étudié sur M.  […] J’en donnerai un extrait à l’usage des curieux en matière de biographie littéraire et qui, une fois mis en goût sur un auteur de renom, trouvent qu’on n’en sait jamais trop : …… Peut-être ne vous sera-t-il pas indifférent d’avoir quelques détails sur la jeunesse du philosophe dont vous suiviez avec tant d’amour les leçons dans sa petite chambre de la rue du Four. […] Je n’eus plus qu’indirectement de ses nouvelles, entre autres, dans une circonstance qui me fut extrêmement pénible, et que je rappelle ici pour vous donner une idée de l’esprit plus libéral que patriotique qui animait alors l’École normale.

2249. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXXI » pp. 323-327

Le premier livre contient la vie d’Abélard, les livres suivants sont consacrés à l’analyse et à l’examen de sa philosophie, et deviennent indispensables à l’étude de la scolastique dont ils donnent la clef. […] Les illusions de cette petite cour sont singulières ; elles étonnent de la part d’un esprit sensé comme l’était après tout celui de Louis XVIII ; on n’a qu’à lire les instructions qu’il donnait à M. de Saint-Priest auprès de M. de Thugue et de la cour de Vienne, à la veille de Marengo. […] — On demandait un jour à un homme considérable qui avait beaucoup connu Louis XVIII, si, vers la fin, lorsqu’il accepta et subit les ultra-royalistes et le parti du comte d’Artois, il avait bien toute sa tête ; cet homme considérable, et que nous pourrions nommer (Royer-Collard), répondit : « Il avait un peu baissé ; vers la fin il n’y avait plus en lui que ce qu’il était tout d’abord, le bel esprit, le petit esprit du XVIIIe siècle ; tout ce que l’expérience lui avait donné d’acquis dans l’intervalle s’en était allé. » — Ainsi cela arrive souvent en vieillissant ; on perd ce qui n’était qu’acquisition et emprunt ; on retombe au point de départ. — Eh bien, Louis XVIII, dans cette Correspondance avec M. de Saint-Priest, en est encore à ce point de départ, avant l’expérience acquise.

2250. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Appendice — Début d’un article sur l’histoire de César »

Tout ce qu’il faut savoir à heure donnée, César le sait ; tout ce qu’il faut entreprendre et faire, il le fait à point. […] Cette ambition unique, qu’ils se sont proposée et inculquée dès la jeunesse, et qu’ils n’ont abdiquée à aucun moment, cette éducation qu’ils se sont donnée, si exclusive, si incomplète, mais si perpétuellement tendue vers un seul point, leur a réussi ; ils ont élevé leur esprit et leur pensée jusqu’à la hauteur du but, invraisemblable pour tous et certain pour eux seuls, qu’ils contemplaient toujours et auquel ils visaient sans trêve. […] Le choix des hommes leur est à peu près égal, et ils prendraient volontiers même les moins bons au préjudice des meilleurs, tant ils sont persuadés qu’ils sont l’homme seul, l’homme nécessaire et qui suffit à tout dans la situation donnée.

2251. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XII. Du principal défaut qu’on reproche, en France, à la littérature du Nord » pp. 270-275

Le mérite négatif ne peut donner aucune jouissance ; mais beaucoup de gens ne demandent à la vie que l’absence de peines, aux écrits que l’absence de fautes, à tout que des absences. […] Quand vous rappelez des objets dégoûtants, vous excitez une impression fâcheuse, qu’on fuirait avec soin dans la réalité ; quand vous changez la terreur morale en effroi physique, par la représentation de scènes horribles en elles-mêmes, vous perdez tout le charme de l’imitation, vous ne donnez qu’une commotion nerveuse, et vous pouvez manquer jusqu’à ce pénible effet, si vous avez voulu le pousser trop loin : car au théâtre, comme dans la vie, quand l’exagération est aperçue, on ne tient plus compte même du vrai. […] Ce qui est simple repose la pensée, et lui donne de nouvelles forces ; mais ce qui est bas pourrait ôter jusqu’à la possibilité de reprendre à l’intérêt des pensées nobles et relevées.

2252. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — B — Béranger, Pierre-Jean de (1780-1857) »

Ils sont venus à lui ; oui, tous, un peu plus tôt, un peu plus tard, ils sont venus reconnaître en sa personne l’esprit du temps, lui rendre foi et hommage, lui donner des gages éclatants… [Causeries du lundi (1852).] […] Goethe Comme il tourne et façonne un sujet dans son esprit, avant de lui donner la forme définitive ! […] Philarète Chasles Béranger, qui n’a été qu’un moteur des masses et un Camille Desmoulins en chansons… s’est donné une Lisette, une bouteille et un mirliton : cela faisait partie de son équipage et de son arsenal de conspirateur.

2253. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XII. Demain »

Il a dit quelque part : « Chaque âme individuelle est une formule énergique qui contient l’Univers. » Il est peut-être à la veille de savoir que nous ne devons songer qu’à notre propre harmonie intérieure et que le reste nous sera donné par surcroît. […] Il voudrait bassement que le confort fût donné par surcroît à celui qui conquiert l’indépendance intellectuelle et morale. […] Par la volonté de marbre, il est une statue grecque ; mais la pensée lui donne, avec le mouvement, la polychromie souriante de la vie.

2254. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome I « Les trois siecles de la litterature françoise. — C — article » pp. 493-499

Moliere s’étoit bien gardé de donner dans un pareil travers ; son génie créateur, capable d’inventer ou de réhabiliter ce genre, s’il eût été dans l’ordre, rejeta toujours ce caractere de langueur qui dénature la Comédie. […] Il fait juger des choses par les principes, & non par les succès ; il se rappelle, dans ces momens de délire général, que les alimens les plus contraires sont quelquefois agréables aux estomacs dépravés, que la disette ou l’amour de la nouveauté donne du prix à la médiocrité, au vice même ; & connoissant tout à la fois les sources de la bizarrerie dominante, de la nature des objets qui l’entretiennent, le génie de la Nation qui l’encense, il attend, & pourroit prédire avec certitude, le moment de la révolution qui doit guérir de cette frénésie. […] Depuis Aristophane jusqu’à nous, le pinceau de Thalie n’a jamais été que le fléau du ridicule, & quiconque voudra lui donner un autre caractere, sera également proscrit & par Thalie & par ses vrais partisans.

2255. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — F. — article » pp. 348-354

Seroit-on bien reçu à dire que personne n’étoit plus capable de remplacer l’Abbé Desfontaines ; que, né avec autant d’esprit que son prédécesseur, il l’a emporté sur lui du côté du talent de la Poésie, & qu’on peut en juger par son Ode sur la Journée de Fontenoy, & par d’autres Pieces connues ; que les Auteurs Grecs & Latins lui étoient aussi familiers que ceux du siecle de Louis XIV ; qu’il a réuni la connoissance de plusieurs Langues étrangeres au mérite de bien écrire dans la sienne ; qu’il s’est montré supérieur dans l’art de faire l’analyse d’un Ouvrage, & sur-tout d’une Piece de Théatre, quand il a voulu s’en donner la peine ? […] Quels autres noms pouvoit-il lui donner, en voyant que, parmi les cent cinquante volumes qui composent le Recueil de son Journal, il n’y en a pas un où il n’ait l’audace de critiquer ceux qui passent pour nos meilleurs Ecrivains ? […] il auroit pu alors impunément attaquer les Grands Hommes, donner des Brevets d’honneur aux petits, en obtenir un pour lui-même, & espérer de figurer, après sa mort, dans le Calendrier des véritables Gens de Lettres.

2256. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre XI. Le Guerrier. — Définition du beau idéal. »

C’est que le christianisme a fourni, dès sa naissance, le beau idéal moral, ou le beau idéal des caractères, et que le polythéisme n’a pu donner cet avantage au chantre d’Ilion. […] C’est ce qui fait la beauté des temps chevaleresques, et ce qui leur donne la supériorité, tant sur les siècles héroïques que sur les siècles tout à fait modernes. […] Et, d’un autre côté, le poète chrétien, plus heureux qu’Homère, n’est point forcé de ternir sa peinture en y plaçant l’homme barbare ou l’homme naturel : le christianisme lui donne le parfait héros.

2257. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Un petit corollaire de ce qui précède [Mon mot sur l’architecture] » pp. 77-79

Si la solution du problème des trois corps n’est que le mouvement de trois points donnés sur un chiffon de papier, ce n’est rien ; c’est une vérité purement spéculative. […] Michel Ange donne au dôme de Saint Pierre de Rome la plus belle forme possible. […] C’est elle qui lui a appris à donner à l’aile du moulin l’inclinaison la plus favorable au mouvement de rotation.

2258. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 14, qu’il est même des sujets specialement propres à certains genres de poësie et de peinture. Du sujet propre à la tragedie » pp. 108-114

Le sacrifice d’Iphigenie, par exemple, ne convient qu’à un tableau où le peintre puisse donner à ses figures une certaine grandeur. […] Une erreur excusable peut donc réhabiliter, pour ainsi dire, le personnage qui commet un grand crime contre la loi naturelle, mais je me donnerai bien de garde de donner aux emportemens et aux premiers mouvemens le droit d’excuser les grands crimes, même sur le théatre.

2259. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 11, des ouvrages convenables aux gens de génie et de ceux qui contrefont la maniere des autres » pp. 122-127

Quand les poëtes et les peintres les mieux inspirez donnent, ou des poëmes composez d’un petit nombre de vers ou des tableaux qui ne contiennent qu’une figure sans expression et posée dans une attitude commune, ces productions sont exposées à des paralelles odieux. […] Il suffit donc, pour lui ressembler en cela, de se négliger et de ne point se donner la peine de pratiquer ce que l’art enseigne à faire pour donner de la rondeur à ses têtes.

2260. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « L’abbé Cadoret »

Pour l’abbé Cadoret, César, c’est le nom donné par Jésus-Christ et par l’Église au pouvoir temporel, sous cette grande forme monarchique qui lui est propre, toute autre forme politique n’étant jamais qu’une dégradation ou un affaiblissement du pouvoir ; et c’est ce pouvoir temporel, dans sa généralité la plus haute et quels que soient ses instruments ou ses manifestations sur la terre, que Cadoret s’est donné la mission de défendre contre ses plus dangereux ennemis. […] En 93, ils parlaient par la bouche de Camille Desmoulins du sans-culottisme de Jésus-Christ, et depuis ce temps-là ils ont continué de nous donner le Sauveur des hommes pour l’ennemi de ce pouvoir temporel qu’il est venu, au contraire, affermir en le purifiant.

2261. (1900) Taine et Renan. Pages perdues recueillies et commentées par Victor Giraud « Taine — V »

Taine ; elle éveille des idées trop nombreuses, trop graves pour que je me dispense de leur donner les formules convenables. […] Ce qu’a donné ce naturalisme (sa soumission aux lois de la nature) dans sa philosophie et dans son esthétique, c’est un problème que je n’examine pas, mais dans son œuvre d’historien politique, cette vue gœthienne l’a mené à une doctrine par trop timide. […] Taine sur un point spécial, quand il méconnaît ceux qui sont animés par le dévouement, le courage poussé jusqu’à l’héroïsme, ceux qui bravent la mort, se donnent à la fièvre.‌

2262. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — II » pp. 159-177

Il y a telle lettre où il commence par dire qu’il n’a rien à dire, et, sous prétexte de cela, il se met à trouver de très jolies choses et très sensées ; il y donne toute la théorie de la correspondance familière entre amis : écrire toujours, un mot chassant l’autre, et laisser courir la plume sans y tant songer, comme va la langue quand on cause, comme va le pas quand on chemine. […] De cette façon drôlatique il traverse tout Islington et vient enfin donner en plein dans la mare d’Edmonton. […] Je n’ai voulu que donner idée de ce côté si imprévu pour nous et si anglais du génie de Cowper. […] Je passe rapidement sur ces gentillesses, sur les progrès de la chaise que le jonc de l’Inde a rendue plus flexible, à laquelle on ajoute des bras, et à ces bras encore on ne donne pas d’emblée la parfaite et commode courbure : rien, dans les arts de la vie, ne se trouve du premier coup. […] [NdA] Cette lettre a été citée par Jeffrey dans l’article qu’il donna autrefois dans la Revue d’Edimbourg (juin 1804), sur la Vie de Cowper, par Hayley.

2263. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Les frères Le Nain, peintres sous Louis XIII, par M. Champfleury »

La littérature proprement dite n’offrirait cependant, durant cette période, que trop peu d’exemples à citer de la vérité dans les tableaux : on ose à peine rappeler les romans bourgeois trop vulgaires, dont Sorel donna la première idée dans son . […] C’est par là que les Le Nain pourraient justifier de l’appellation que leur donne M.  […] Mais il a surtout donné ses soins à un Recueil de Chansons populaires des plus variées et des mieux assorties. […] Je voudrais citer d’autres chants du Béarn qui sont à côté, et d’une mélancolie pénétrante ; mais donner les paroles sans la mélodie qui les anime, ce serait les trahir, et je passe à regret. […] Il te faut encore, et c’est là le plus beau triomphe, il te faut, tout en étant observée et respectée, je ne sais quoi qui t’accomplisse et qui t’achève, qui te rectifie sans te fausser, qui t’élève sans te faire perdre terre, qui te donne tout l’esprit que tu peux avoir sans cesser un moment de paraître naturelle, qui te laisse reconnaissable à tous, mais plus lumineuse que dans l’ordinaire de la vie, plus adorable et plus belle, — ce qu’on appelle l’idéal enfin.

2264. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Tracer ce caractère, raconter cette vie, ce serait remonter aux droits primitifs de l’homme, ce serait toucher à toutes les conditions sociales, ce serait appeler l’attention du philosophe et du législateur sur des questions qui n’ont pas encore été soulevées… Un tel caractère serait sans doute un modèle que je me suis plus d’une fois proposé. » Émile a résolu, depuis, le problème, un peu autrement sans doute que dans cette donnée première qui supposait alors une société monarchique, à demi aristocratique et parfaitement régulière. […] Émile, qui va dans le monde comme on irait en pays ennemi, s’est fait de bonne heure une contenance qu’il nous définit ainsi, à un moment où il juge à propos de la modifier : « Au lieu de cet air grave qu’on m’avait reproché si souvent, comme me donnant un maintien important et dédaigneux, je conservai le ton railleur et caustique que j’avais adopté pour me dispenser de répondre directement aux questions… » Il a souvent rencontré un jeune homme, Édouard de Fontenay, qui l’a regardé d’un air qui lui déplaît ; il a résolu de lui donner une leçon. […] La description des préparatifs est très-sentie, et l’événement qui a tant marqué depuis dans la vie de M. de Girardin y donne un sens particulier et comme prophétique : « Le mystère qu’il faut mettre à tous les apprêts d’un duel, ces apprêts mêmes, ont quelque chose d’horrible ; les soins, les précautions qu’il faut prendre, le secret qu’il faut garder, tout cela ressemble aux préparatifs d’un crime. […] « Moins qu’à tout autre, je le sais, il m’appartient, en cette douloureuse circonstance, de prononcer ici les noms de la Religion et de la Raison ; aussi leur langage élevé n’est-il pas celui que je viens faire entendre, mais l’humble langage qui me convient… » Et il donnait quelques conseils pratiques, des conseils qui s’adressaient particulièrement aux témoins, seuls juges du cas d’inévitable extrémité auquel il fallait réduire de plus en plus cette odieuse pratique, débris persistant d’une autre époque. […] L’un, homme d’épée, républicain plus théorique que pratique, sachant l’histoire, se rattachant aux anciens partis, ayant ses principes, mais aussi ses prédilections, ses antipathies, ses haines, cherchant à combiner et à nouer dans un seul faisceau plus de choses sans doute qu’il n’est donné d’en concilier, représentait avec un talent vigoureux et des mieux trempés la presse sévère, probe, mais fermée, exclusive, ombrageuse et méfiante, un peu sombre, la presse à la fois libérale, guerrière, patriotique et anti-dynastique ; moins encore un ensemble de doctrines ou un système d’idées qu’une position stratégique et un camp.

2265. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Mlle Eugénie de Guérin et madame de Gasparin, (Suite et fin.) »

On voit ce que Mme de Gasparin a voulu dans la plupart de ses petits tableaux et récits, elle a voulu nous donner des histoires protestantes et de sainteté. […] S’il est permis de comparer le saint au profane, je dirai que de même, quand Mme de Gasparin s’aperçoit qu’elle s’est trop plongée dans la nature, au sein du grand Pan, ou qu’elle s’est oubliée trop longtemps à écouter le merle et le rouge-gorge, vite elle met le signet de ce côté et elle donne un ton d’orgue biblique. […] Livrée à elle-même, elle est à l’allégresse ; elle a besoin de s’avertir, de se donner de temps en temps un coup de coude, pour se reprendre aux douleurs communes et aux angoisses. […] L’autre ne répugne à rien de ce qui prend et de ce qui mord, elle y va tout droit en curieuse et en aguerrie ; et « comme elle a toujours, dit-elle, envie de sauter où le troupeau ne saute pas », elle s’est amusée un jour à donner son avis motivé, et non pas du tout défavorable, sur Salammbô. […] C’est d’usage que tous les ans, à pareil jour, les jeunes baigneurs donnent un bal et fassent les frais d’une fête champêtre.

2266. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « JASMIN. » pp. 64-86

Il naquit pourtant au bruit d’un affreux charivari qu’on donnait à quelque voisin, et qui, dans son tintamarre de cornets et de poêlons, ne faisait que mieux résonner à ses oreilles vierges les trente couplets d’une chanson composée par son père. […] que mon âme tressaillait quand nous partions tous, au coup de midi, en entonnant : L’Agneau que tu m’as donné 46. […] Il était triste encore quand, après la foire, où il avait rempli sa petite bourse en portant des paquets, il la donnait à sa mère, et qu’il voyait celle-ci la prendre avec soupir en disant : « Pauvre enfant, tu viens bien à propos. » La pauvreté s’annonçait ainsi par de rares pensées, que bientôt dissipait la légèreté de l’âge. […] … Et quand j’allais l’attendre, Il me donnait toujours le morceau le plus tendre. […] Il est du petit nombre de ceux qui se perfectionnent ; dans ses poëmes de Françounetto et de Marthe la folle, il a su donner à son talent toute son étendue et son ressort, sans le forcer.

2267. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXe entretien. Fior d’Aliza (suite) » pp. 193-236

Le père Hilario leur dit seulement qu’il viendrait les chercher le lendemain secrètement, avant le lever du jour, pour donner devant eux la bénédiction mortuaire et la bénédiction nuptiale à leurs enfants. […] Je ne dormis pas non plus, mais je priai pendant la nuit tout entière pour que mon bon ange et ma patronne intercédassent auprès de Dieu, et pour que le jour suivant me fît sa sposa, et pour qu’ils me donnassent le surlendemain, jour fixé pour sa mort, la force et l’adresse de mourir pour lui. […] que de bénédictions nous lui donnâmes, quand ce jour fut arrivé et quand la femme du bargello, sauvée de tous soupçons par ma ruse, revint avec eux me reprendre, huit jours après au couvent, pour rentrer ensemble dans notre demeure. […] Ils se turent tous, et Fior d’Aliza, sans rabaisser son tablier, se leva de table et alla derrière la porte donner le sein à son enfant. […] puis, reconnaissant dans ses yeux la couleur des siens, et sur ses lèvres le rire gai et tendre d’Hyeronimo, elle le rapprochait de son visage et le baisait avec cette sorte d’ivresse que l’enfant à la mamelle donne à sa mère.

2268. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand. (Berlin, 1846-1850.) » pp. 144-164

Quelque éloge que donnent les bons juges à sa bataille de Leuthen, et à quelques-unes de ses grandes manœuvres et de ses opérations, ils ont encore plus de critiques à faire en mainte et mainte occasion. […] Ce titre, cette qualification de roi qui ne fut donnée qu’au fils du Grand Électeur, et comme par grâce, semblait plutôt avoir diminué le nom prussien qu’elle ne l’avait rehaussé. […] Sa première pensée fut qu’un prince doit faire respecter sa personne, surtout sa nation ; que la modération est une vertu que les hommes d’État ne doivent pas toujours pratiquer à la rigueur, à cause de la corruption du siècle, et que, dans un changement de règne, il est plus convenable de donner des marques de fermeté que de douceur. […] Il est inconcevable qu’envisageant tout, comme il le faisait, au point de vue supérieur de l’État et de l’intérêt social, Frédéric ait considéré la religion comme un de ces terrains neutres où l’on peut se donner rendez-vous pour le passe-temps et la plaisanterie des après-dîners. […] Pour donner une idée du général de Seckendorff, qui servait en même temps l’empereur et la Saxe : « Il était, dit-il, d’un intérêt sordide ; ses manières étaient grossières et rustres ; le mensonge lui était si habituel, qu’il en avait perdu l’usage de la vérité19.

2269. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Né d’un père excellent et qui, médiocrement instruit, avait donné avec un véritable enthousiasme dans le mouvement de la Renaissance et dans toutes les nouveautés libérales de son temps, il avait corrigé ce trop d’enthousiasme, de vivacité et de tendresse, par une grande finesse et justesse de réflexion ; mais il n’en avait point abjuré le fond originel. […] Ainsi Montaigne nous donne déjà une leçon, inutile leçon, et que je déduirai pourtant, puisque, au milieu de toutes les inutilités qui s’écrivent, celle-là en vaut bien peut-être une autre. […] Son opinion est « qu’il se faut prêter à autrui, et ne se donner qu’à soi-même ». […] Il aimait mieux prévenir le mal que de se donner l’honneur de le réprimer : « Est-il quelqu’un qui désire être malade, dit-il gaiement, pour voir son médecin en besogne ? […] En un mot, la consolation que se donne Montaigne, à lui et aux autres, est aussi haute et aussi belle que peut l’être une consolation humaine sans la prière.

2270. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Rulhière. » pp. 567-586

Trois hommes, dans le dernier tiers du xviiie  siècle, se distinguèrent comme à l’envi l’un de l’autre par un esprit fin, piquant, satirique, moqueur, et donnèrent en même temps des preuves d’un esprit sérieux ; ce furent Chamfort, dont nous parlions la dernière fois, Rivarol, dont nous parlerons peut-être un jour, et Rulhière, dont quelques ouvrages intéressants sont restés, dont on a retenu quelques jolies pièces de vers, et qui mérite certainement une étude. […] est-ce qu’il vous a pas encore donné votre congé ? […] Lorsqu’il aborde enfin sa vraie matière, qui commence avec l’élection du roi Stanislas Poniatowski, Rulhière a l’inconvénient d’avoir à se prononcer sur des caractères vivants qui n’ont pas eu leur entier développement, sur des personnages qui n’ont pas donné leur dernier mot. […] Parmi les chefs polonais, il en choisit pour ses héros qui n’ont pas soutenu plus tard ce caractère : il les voit de loin dans les poses chevaleresques qu’ils se donnent, et tout à leur avantage. […] Ce qu’il me dit sur eux en courant et dans sa vive familiarité, m’en apprend plus et entre mieux dans mon esprit que les scènes dramatiques et un peu extérieures de Rulhière, qui, tout en nous avertissant de l’ostentation de ses héros, y donne lui-même et s’y laisse prendre.

2271. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La princesse des Ursins. Lettres de Mme de Maintenon et de la princesse des Ursins — II. (Suite et fin.) » pp. 421-440

Mme des Ursins le lui reproche ; elle a des peines infinies à obtenir d’elle de donner accès une fois ou deux aux personnages éminents qui passent à la cour de France et qu’elle lui recommande. […] Pour Monseigneur le duc de Bourgogne, qui est, je crois, un peu sujet aux distractions, je m’étonne que, dans les premiers moments de sa joie, il ne prît pas quelque dame pour une bille, et qu’il ne lui donnât pas un coup du billard qu’il avait à la main. […] Il n’y a jamais de noirceurs dans tout ce que vous dites, mais il y a présentement une joie qui me donne toute celle dont je suis capable ; il faut, pour la rendre complète, que nous ayons la paix, et à des conditions dont je sois contente ; vous verrez, après cela, madame, de quelle humeur je serai. […] Le roi et la reine d’Espagne, auxquels elle s’est donnée, ont des sentiments élevés, « aussi élevés que le rang où Dieu les a mis ; ils sont incapables de faire des bassesses. Ils sont résolus de perdre plutôt la vie que de rien faire d’indigne de ce qu’ils sont », c’est-à-dire qu’ils sont résolus à défendre leur couronne les armes à la main jusqu’à la mort, et elle est incapable de leur donner un autre conseil.

2272. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Ils étaient reconnaissants à l’abbé Barthélemy de tout ce qu’il leur avait appris, en quelques jours de lecture, sur ce monde grec et sur cette société ancienne dont on parlait sans cesse, et où il était donné à bien peu dès lors de pénétrer directement. […] Le récit que Barthélemy a donné de ses premières années de jeunesse, passées en Provence à diverses études, à apprendre l’hébreu, l’arabe, les médailles, les mathématiques et l’astronomie, est piquant, et il a essayé de le rendre tel, moyennant quelques anecdotes bien contées. […] Elle semble quelquefois se rappeler ce qu’elle n’a jamais appris… » Mais j’aime mieux, pour donner de la duchesse de Choiseul une idée saillante, emprunter les portraits en miniature qu’en a laissés un pinceau moins élégant et moins peigné que celui de l’abbé Barthélemy, mais plus vif en images : Ma dernière passion, dit Horace Walpole, qui ne la connut que quelques années plus tard (en 1766), et, je crois, ma plus forte passion est la duchesse de Choiseul. […] Et comment ne se fût-il pas donné tout entier aux Choiseul, qui allaient au-devant de lui et de ses moindres désirs par tant de grâces et de bienfaits ? […] Évidemment, Walpole ne se rendait pas bien compte de ce que signifiait le mot qu’il donnait en français ; il est probable qu’il entendait parler de ce badinage enjoué et vif que l’abbé Barthélemy avait dans un salon.

2273. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Un moment je crus lui donner la cohésion qui lui manquait en essayant de faire converger toutes ses idées vers un but social. […] « Enfin pour donner à sa personne la curiosité, le piquant, l’intérêt que le scandale ne peut manquer de lui ajouter dans une société pourrie comme la nôtre, il nie carrément l’amour. […] — Mon cher, répondit l’autre, il ne faut donner aucune prise à la critique. […] Mais cela suffit à donner une idée de leur funambulisme. […] Huret dans L’Écho de Paris, il lui a donné l’apparence de vitalité qui lui manquait et le voilà à son tour chef incontesté d’une nouvelle école.

2274. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IX. Mémoires de Saint-Simon » pp. 213-237

Fragments d’abord, publiés en 1818, il donnèrent assez de jouissances inattendues à l’imagination contemporaine pour qu’elle ressentit soudainement l’amour d’un livre qui faisait si largement immerger la vie dans l’histoire, et pour qu’elle désirât ardemment connaître l’ensemble et l’effet intégral de cette vaste fresque, comme l’a dit si heureusement M.  […] Ce regard, qui jugeait plus vite que le compas et l’équerre de Le Nôtre que cette fameuse fenêtre de Trianon n’était pas droite, avait-il vu que Saint-Simon, l’ami du duc d’Orléans, — nos amitiés donnent la mesure de nos discernements, — n’était pas non plus parfaitement droit d’intelligence ? […] Ni ses velléités féodales, ni ses colères de frondeur rétrospectif, ni ce tempérament d’Alceste qui donne si souvent à Saint-Simon l’air du Misanthrope, mais d’un misanthrope bien autrement colossal que celui de Molière, n’étaient capables de si profondément altérer des facultés qui, après tout, aimaient la grandeur et qui étaient faites pour l’histoire. […] » et il n’y a pas un seul fait, dans tous les Mémoires, qui donne à Saint-Simon, l’Alceste, moins l’honnêteté, cette fois, le droit de poser de telles conclusions ! […] c’était le quart d’heure ou jamais de nous donner sur le ministre de la Régence, sur ce grand méprisé (et peut-être trop méprisé) de l’histoire, autre chose que l’impayable et merveilleuse caricature continuée à travers laquelle le malheureux sera vu toujours.

2275. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Macaulay »

Il sait bien l’anglais et il nous en a donné plusieurs traductions distinguées. […] Pour cette raison, il n’a pas et ne pouvait pas avoir, comme historien, le sentiment impersonnel et éternel des choses qui donne à l’Histoire sa majesté, même sous la plume d’un petit écrivain grec (græculi) qui écrit la guerre de ce petit pays qu’on appelle le Péloponèse. […] aussi nombreux que je le voudrais ; mais, tels qu’ils sont, ils donnent une idée suffisante de la valeur et de la portée de Macaulay comme critique et comme écrivain. […] … Du reste, pour bien faire apprécier cette grande entente des choses et cette grande manière de les exposer et de les discuter qui distinguent particulièrement l’éloquent essayist de la Revue d’Édimbourg, il faudrait donner des passages entiers des Essais que M.  […] Le seul malheur de la vie de Macaulay fut sa mort prématurée ; mais ce malheur-là, qu’il ne vit pas venir, ne put avoir aucune influence sur son talent, qu’il fallait que la vie meurtrît pour lui donner ses teintes les plus touchantes !

2276. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « J. de Maistre » pp. 81-108

Étudier le génie dans son œuf est une volupté d’observation que ce volume ne manquera pas de donner à ceux qui sont capables de la sentir. […] Il est trop patricien pour donner cet avantage à ses adversaires. […] tu peux donner une âme commune à plusieurs millions d’hommes ? […] Donner ta pensée aux hommes qui n’existent pas encore ? […] Est-ce bien là l’aveugle figure de bronze ou de marbre qu’on a donnée à Joseph de Maistre ?

2277. (1899) La parade littéraire (articles de La Plume, 1898-1899) pp. 300-117

Il pense moins faire des effets de fleuret qu’à donner de rudes coups qui portent. […] On dédaignait, parmi les gens de talent, de donner aux foules la nourriture spirituelle. […] Marchons vers eux, donnons-leur la joie du verbe, des rythmes, des chansons. […] Il se donne à une grande besogne d’assainissement. […] Vraiment M. de Bouhélier et ses amis ont su donner à la littérature une impulsion nouvelle.

2278. (1884) La légende du Parnasse contemporain

Il ne lui fut pas donné de voir la réussite de ses camarades du Parnasse, dont il eût justement partagé le succès. […] C’est à Lucerne surtout qu’il me fut donné de le connaître intimement. […] Monsieur, vous habitez une chambre qui donne envie de se pendre. […] Je veux lui donner tout, ma vie et ma pensée. […] Mais aussi quel prix donnait aux éloges cette sévérité coutumière !

2279. (1902) Les poètes et leur poète. L’Ermitage pp. 81-146

« Donnez du pain d’abord » leur a crié un jour M.  […] Il vous donne l’ivresse des visions éclatantes et des merveilleuses sonorités. […] Or nul autre ne m’a donné, au même degré, cette impression. […] Tout dépend de ce qu’ils me donnent et de ce que je leur apporte à l’heure même où je les lis. […] Remy de Gourmont auquel nous empruntâmes notre question, et les poètes qui vinrent en si grand nombre nous donner leur opinion.

2280. (1880) Goethe et Diderot « Gœthe »

La description qu’il donna, à cette époque, du Carnaval à Rome, sortit de cette méthode de travail bien plus que d’une impression sincère. […] Porchat, qui contient toutes les poésies lyriques, donne, à cela près de l’expression rhythmique et grammaticale, tout ce qui constitue la poésie de Gœthe. […] Combinaison très particulière d’éléments qui donne Gœthe, et qu’on méprisera peut-être autant qu’on la vante quand ces éléments seront désagrégés. […] Cet homme des yeux, qui ne parlait que de ses yeux, qui ne vivait que par ses yeux, ne leur donna jamais des bains d’or et de pourpre. […] Ce favori du monde, à qui le monde a donné tout ce qu’un roi imbécile peut donner à un favori, reçut du monde le don du génie, de la passion, et même des larmes, qu’il n’avait pas et qu’on lui inventa.

2281. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « M. Denne-Baron. » pp. 380-388

Il aimait à la folie les lettres, les muses, comme on disait encore ; il cultivait les divers arts, particulièrement la musique, savait le grec et en traduisait ; il s’inspirait du poème du Musée pour donner en 1806 Héro et Léandre, poème en quatre chants, suivi de poésies diverses, de traductions ou imitations en vers de Virgile, d’Ovide, de Lucain, ou même du Cantique des cantiques. […] En voici quelques strophes qui donnent idée de cette touche heureuse. […]         Glisser dans l’air à petit bruit ; C’est lui qui donne encore une voix aux Naïades, Des soupirs à Syrinx, des concerts aux Dryades,         Et de doux parfums à la Nuit. […] Denne-Baron, distrait aux caprices, au laisser-aller d’une imagination réelle, mais vagabonde, n’eut point cette patience ardente qui donne au talent le droit de marcher à la suite des génies.

2282. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Appendice » pp. 511-516

Léon Laya, renouvellent avec fraîcheur et dans un tour bien moderne ce thème, si cher à l’ancienne comédie depuis et même avant Les Adelphes de Térence, de deux pères ou oncles, l’un sévère, l’autre indulgent, et qui, par ce régime contraire auquel ils soumettent leurs fils ou leurs neveux, arrivent en leur personne à un résultat opposé qui juge la méthode et donne en définitive gain de cause à l’indulgence. […] Le Demi-Monde, cette chose longtemps douteuse, équivoque mal définie, et qui a maintenant un nom, cette province aux frontière vagues et dont la géographie est comme fixée pour le moment, est-ce là un sujet qui prête à une leçon morale vivement donnée ? […] À propos du second acte et de cette scène parfaite entre Raymond et Olivier chez Mme de Vernières, il a été remarqué, et par les juges les moins soupçonnés d’être complaisants, qu’il y avait là une leçon en même temps qu’une définition, une leçon donnée sur place, au cœur du camp ennemi, de la façon la plus insultante, la plus neuve et qui se retient le mieux. […] Mais ce dernier ouvrage, fondé, comme presque tous ceux du même genre, sur ce qu’on peut appeler l’adultère fondamental et antérieur à l’action, n’a point paru d’ailleurs différer notablement en mérite d’autres drames de la même famille, déjà couronnés les années précédentes ; et quant à l’agréable petite comédie donnée à la veille du nouvel an, c’eût été l’exagérer que de l’élever isolément jusqu’à l’importance d’un enseignement utile.

2283. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Poésie — I. Hymnes sacrées par Édouard Turquety. »

Il n’en est pas à son coup d’essai ; c’est le troisième volume qu’il donne dans le même ordre d’idées religieuses. […] Turquety a un public ; en Bretagne, dans le Midi, à Toulouse, beaucoup de lecteurs fervents et fidèles le désirent : pour eux, il donne à des sentiments chrétiens qu’il rajeunit, à des dogmes qu’il exprime, une mélodie qu’on aime. […] Ces Études russes, que le prince Mestscherski nous donne comme un supplément modeste des Études si vives et si gracieuses d’Émile Deschamps, s’adressent aux poètes français et méritent bien leur reconnaissance. […] Les petites pièces qui ont pour titre la Coupe, les Batteurs de blé, le Troubadour d’Alcéonie, donnent longtemps à réfléchir par le tour naïvement symbolique et mystique de leur rêverie.

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