Le 15 mai 1840, la Revue des deux mondes publiait un article de George Sand sur un jeune poète dont le nom était parfaitement ignoré jusque-là, Georges-Maurice de Guérin, mort l’année précédente, le 19 juillet 1839, à l’âge de vingt-neuf ans. […] C’est en 1833 que Maurice de Guérin, qui n’était alors que dans sa vingt-troisième année, commença de développer et d’épanouir dans le cercle de l’intimité cette première fleur de sentiment, qui nous est montrée seulement aujourd’hui et qui va nous rendre tout son parfum. […] Aucun de ceux qui ont connu et aimé M. de Lamennais, en ces années de passion douloureuse et de crise, à quelque point de vue qu’on se place, n’ont, ce me semble, à en rougir ni à s’en repentir. […] Après trois années d’une vie indépendante et toute parisienne, aux approches de la mort, les siens eurent la consolation de le voir redevenir chrétien. […] Que l’on se figure, à La Chênaie, qui s’appelait encore une maison sainte, le jour de Pâques de cette année 1833, le 7 avril, une matinée radieuse, et ce qui s’y passait une dernière fois de touchant.
Nous avons ici les sept dernières années que le comte de Maistre passa à la cour de Russie. […] Les événements de ces années étaient les plus grands qui pussent intéresser et passionner une intelligence attentive à méditer sur les destinées des empires. […] En rabattant tout ce qu'on voudra des impressions de De Maistre, qui varient d’ailleurs au jour le jour au gré des nouvelles et des bruits divers, mais qui n’excèdent pas (car rien ne saurait les excéder) de pareilles réalités, il reste très curieux d’observer avec lui cette grande et unique année par le revers russe, de passer par toutes les vicissitudes d’émotions qui, là-bas, répondaient aux nôtres en sens inverse, et de connaître autrement que par nos bulletins ces physionomies singulières et expressives des Koutousov, des Tchitchagov, du Modenais Paulucci et de tant d’autres ; de comprendre enfin le génie russe dans son originalité, dans sa religion nationale et sa foi inviolable. […] Mais n’oublions pas le fond, son arrière-pensée fixe : « Le monde est dans un état d’enfantement », répète-t-il souvent en ces années 1815-1816. […] Les dernières années que de Maistre passa en Russie furent moins heureuses que ne l’avaient été celles de la grande crise ; le lendemain du triomphe fut presque partout le commencement de la désunion.
L’auteur a pourtant, par le titre même de son livre, pris possession déjà de l’époque, et il dit « Mon temps. » J’ai toujours été étonné, je l’avoue, de cette façon de dire, qui est très en usage, je le sais, même chez d’autres peuples ; mais j’en suis toujours un peu choqué pour mon compte ; quand un homme, si éminent qu’il soit, parle des années que nous avons parcourues et vécues comme lui, et qu’il m’en parle à moi-même, j’aimerais mieux qu’il dît « Notre temps. » L’originalité de l’ouvrage commence avec le second volume, c’est-à-dire avec la Révolution de Juillet, qui porta décidément M. […] Lorsqu’ils l’essayèrent quelques années après, il était trop tard, et le système contraire était fondé. […] Guizot : Quelle idée se fait-on du roi qui présida à ce régime des dix-huit années ? […] Guizot des autres et par comprendre que cette roideur, très modifiée avec les années, n’était pas ce qu’elle paraissait. Il y eut même un jour où il lui dit (assure-t-on), — c’était vers 1845, — à un moment critique où on voulait le lui ôter comme ministre et où le vote de la Chambre avait hésité : « Monsieur Guizot, collez-vous à moi. » Mais, tout en appréciant avec estime le talent de l’homme qui le servait avec tant d’éclat, il ne partageait pas sa confiance ni cette intrépidité monarchique si absolue sur une base que lui-même sentait si étroite et si vacillante : « Vous avez mille fois raison, lui répétait-il souvent dans les dernières années ; c’est au fond des esprits qu’il faut combattre l’esprit révolutionnaire, car c’est là qu’il règne ; mais, pour chasser les démons, il faudrait un prophète. » Ce prince était donc, somme toute, un homme d’esprit, et bonne tête, tant qu’il ne faiblit pas. — « Cette bonne tête, ou plutôt cette bonne caboche , » disait de lui un de ses anciens ministres qui se reprenait, comme si le premier mot était un peu trop noble pour le sujet.
Il appert de l’un et de l’autre que l’auteur, personnage d’une quarantaine d’années, portant lunettes, bonne mine, mâle encolure, tête posée avec aplomb, menton ras et double, lèvre fine, ferme, prompte à la malice, est né à Nantes, que son père y était libraire ; j’ajouterai, — car je ne suis pas homme à me contenter à demi en matière de biographie, — qu’il fut élevé à Bordeaux, qu’il y fit des études classiques succinctes et fut mis de bonne heure à la pratique, je veux dire au journal, au Courrier de la Gironde. […] Monselet (car ici je l’appellerai monsieur), a donc voulu réhabiliter Fréron ; il n’est pas le premier qui l’ait tenté ; je me rappelle, il y a bien des années, avoir entendu là-dessus, à l’Athénée, une leçon de notre ami Jules Janin qui fit précisément la même tentative. […] L’auteur de l’Année littéraire, qui pardonnait encore moins un souper triste qu’un mauvais ouvrage, me demanda avec une sorte d’impatience quelle était cette bamboche (ce fut son expression) qui parlait au lieu d’écouter, qui avait le ton si affirmatif, nous régentait depuis deux heures et se pavanait à table en empereur de rhétorique. » Après le récit de Dorat, voici celui de La Harpe : « J’étais encore au collège quand je dînai avec lui chez M. […] L’Écossaise n’avait point encore paru, mais j’avais lu quelques feuilles de l’Année littéraire qui m’avaient révolté. […] Le goût des livres et de l’érudition semble vouloir prendre le dessus en lui avec les années ; c’est bon signe : qu’il ait un jour le plat du milieu, le livre solide et de résistance, tous ses hors-d’œuvre y gagneront19.
Elle fut séparée de lui juridiquement, mais après des années de mauvais traitements et de martyre. […] Quand Voltaire écrivait cela, en mars 1735, il venait d’avoir quarante et un ans, et les quatorze années qui suivirent, il les passa dans cette union intime qui remplit tout le milieu de sa vie. […] Voltaire avait une très grande fortune pour le temps (quelque chose comme 80 000 livres de rentes) ; cette fortune alla en s’accroissant avec les années par la bonne administration du maître, et partout où il passait il faisait couler avec lui une veine d’or, ce qui ne nuit jamais, même à des paradis terrestres. […] Pour faire le plus charmant et le plus vrai portrait de Voltaire, il suffirait d’extraire avec choix quelques-unes de ses propres paroles ; Voltaire n’est pas homme à se contraindre, même en ce qui le juge, ni à retenir longtemps ses pensées : Ne me dites point que je travaille trop, écrivait-il vers ces années de Cirey : ces travaux sont bien peu de chose pour un homme qui n’a point d’autre occupation. […] Deux succès surtout la mirent, quelques années après, en évidence : les Lettres d’une Péruvienne, publiées en 1747, et le drame de Cénie, représenté en juin 1750.
Il y a quelques années, un Russe de distinction, le prince Alexandre Labanoff, s’est mis à rechercher avec un zèle incomparable, dans les archives, dans les collections et les bibliothèques de l’Europe, toutes les pièces émanant de Marie Stuart, les plus importantes comme les moindres de ses lettres, pour les réunir et en faire un corps d’histoire, et à la fois un reliquaire authentique, ne doutant pas que l’intérêt, un intérêt sérieux et tendre, ne jaillît plus puissant du sein de la vérité même. […] Ces douze ou treize années de séjour en France furent sa joie et son charme, et le principe de sa ruine. […] Seule et sans conseil, aux prises avec les seigneurs et avec la noblesse comme avaient été ses aïeux, Marie Stuart, prompte, mobile, sujette à ses prédilections ou à ses antipathies, était déjà insuffisante : qu’était-ce donc lorsqu’elle se trouvait de plus en face d’un parti religieux, né et grandi durant les années récentes, en face d’un parti « raisonneur et sombre, moral et audacieux », discutant rationnellement et la Bible en main le droit des rois, et poussant la logique sous la prière ? […] Les sept années que Marie Stuart passa en Écosse, depuis son retour de France (19 août 1561) jusqu’à son emprisonnement (18 mai 1568), sont remplies de toutes les erreurs et de toutes les fautes que peut commettre une jeune princesse légère, emportée, irréfléchie, et qui n’a d’adresse et d’habileté que dans le sens de sa passion, jamais en vue d’un dessein politique général. […] Et pourtant elle mérite toute cette pitié, et il suffit, pour la lui rendre insensiblement, de la suivre dans la troisième et dernière partie de sa vie, durant cette longue, injuste et douloureuse captivité de dix-neuf années (18 mai 1568 — 5 février 1587).
De retour dans sa patrie, dans la philosophique et opulente Angleterre, à l’époque même où les lettres accréditées y conduisaient au pouvoir, où les hommes d’État étaient de grands orateurs, William Pitt, Fox, Burke, où les lettrés se mêlaient partout aux affaires, Gibbon, Shéridan, Glover, Macpherson, il vécut loin du parlement, loin du monde, dans la modeste chambre d’un collège, où il semblait perpétuer la vie laborieuse d’étudiant, et d’où il s’échappait quelques mois, chaque année, pour voyager dans son pays, en étudier les beautés naturelles, les vieux monuments, et renouveler en soi la religion de la patrie comme celle de la science. […] Il aima et soigna tendrement sa mère et deux sœurs de sa mère, et passa près de trente années dans une chambre des bâtiments de l’université de Cambridge, d’abord à Peter-House, puis dans un autre collège de la même corporation. […] On sait que Gray, déjà classiquement érudit, et plein du spectacle et des souvenirs littéraires de la France et de l’Italie, avait passé six années dans la lecture assidue des écrivains grecs, projetant une édition critique de Platon, puis de Strabon, philologue, métaphysicien, historien, géographe, et alliant la patience continue des recherches aux rares saillies de l’enthousiasme. […] « Marquez l’année et marquez la nuit où la Severn répétera avec épouvante les râles de mort qui bruis• sent à travers les voûtes de Berkley, les râles d’un roi agonisant….. […] De longues années de désastres précipitent leur cours fatal, et s’ouvrent passage entre des escadrons de guerriers du même sang.
Un centenaire est la commémoration d’un événement glorieux qui s’est passé il y a cent années, ou un certain nombre de fois cent années, qui a donc une date précise. […] Ils n’ont pas eu leur jour, leur mois, leur année de formelle survenue et irrécusable apparition. […] C’était en l’année 1852. […] Une trentaine d’années plus tard, il saluait en Saint-Saëns le meilleur musicien de son pays. […] Voici de longues années que Mme Lekeu a rejoint cet enfant adoré, qui fut, lui aussi, un enfant sublime.
Elle ne quitta guère son lit pendant les années 1776 et 1777. […] Il était né près de Dantzig, en territoire polonais, l’année 1754. […] Il mourut à cinquante-cinq ans, après avoir régné dix-huit années. […] prophète de malheur, — une quarantaine d’années avant l’événement. […] Elle prouve qu’elle existait encore au printemps de l’année 1790.
Voilà six ans que tout Paris est campé, pour ainsi dire, dans le vain espoir de se loger à meilleur marché l’année prochaine. […] Je m’étais bien promis de n’en pas tant manger cette année. — Et moi qui n’en ai pas goûté ? […] Remontons le cours des années, de la jeunesse à l’enfance ; voici les crèches. […] L’initiative individuelle chez nous compte ses droits, comme l’homme compte ses années, en les perdant. […] Qui nous eût dit cela il y a quelques années nous aurait bien surpris.
Arthur Chuquet limite son étude à vingt années d’une vie si féconde en merveilles. […] Du même coup elle nous a donné Napoléon, qui naquit précisément l’année suivante. […] Il a inscrit, en effet, pour chaque jour de l’année, la mention de deux victoires. […] » Le mois d’avril de l’année 1815 fut ensoleillé d’allégresse et d’enthousiasme. […] Les années qui se posent sur ces petites têtes si chères ne calment pas cet amour inquiet.
L’année suivante, à Pâques, tout était arrangé pour retourner près de mon amie ; une nouvelle maladie de mon père vient encore comme à point nommé arrêter tous mes projets. […] Il passa à Paris une partie de l’année 1792. […] Dans le printemps et l’été de cette année 92, il vécut à Petit-Bourg, où il écrivait en prose un poème hiéroglyphique et baroque intitulé Le Crocodile ; il le termina le 7 août 1792, « à une heure après midi, dans le petit cabinet de son appartement de Petit-Bourg, donnant sur la Seine ». […] Revenant habiter à Paris l’année suivante, vers octobre 1793 : J’ai la douce consolation, dit-il, d’y éprouver que l’on peut trouver Dieu partout, que partout où on trouve son Dieu on ne manque de rien, on ne craint rien, on est au-dessus de tout, enfin que l’on peut obtenir toutes les connaissances qui nous sont nécessaires sur notre propre conduite si on les demande avec confiance. […] Les dernières années de Saint-Martin se passèrent tantôt à Paris, tantôt à la campagne, à méditer, à écrire, à traduire Boehm, à revoir ses amis de l’émigration et de la haute société qui rentraient peu à peu et se ralliaient après l’orage.
Il s’agissait pour Villars de joindre l’électeur de Bavière le plus promptement possible ; mais en attendant qu’il eût fait reconnaître les chemins et qu’ils fussent praticables, il résolut d’attaquer le prince de Bade dans ses lignes de Bühl et de Stollhofen, lignes en renom qui fermaient l’entrée de l’Allemagne, et qu’il emporta quelques années plus tard sans difficulté, mais après la mort du prince. […] Dans le journal de ses dernières années, écrit ou dicté par lui, il ne dit de mal de personne, et y nomme même Saint-Simon à la rencontre, indifféremment. […] Je les avais divisées en trois parts : la première servait à payer l’armée, qui ne coûta rien au roi cette année (1707) ; avec la seconde, je retirai les billets de subsistance qu’on avait donnés l’année dernière aux officiers, faute d’argent, et j’en envoyai une grosse liasse au ministre des finances ; je destinai la troisième à engraisser mon veau (son château de Vaux) : c’est ainsi que je l’écrivis au roi, qui eut la bonté de me répondre qu’il approuvait cette destination, et qu’il y aurait pourvu lui-même si je l’avais oublié. […] » Villars rentré en France vit tous les grands commandements se distribuer pour l’année 1704 sans en obtenir : le roi le destinait à une mission assez singulière et de confiance. […] L’année suivante (1706) fut désastreuse pour la France sur toutes les frontières : Villars seul se maintint sur la sienne sans échec, et même avec avantage.
J’allais omettre une spirituelle dissertation sur Ronsard et Malherbe, que le professeur Amiel écrivait pour les collèges et gymnase de Genève, à l’ouverture de l’année scolaire 1849-1850 ; nouvelle preuve de l’intérêt que les pays circonvoisins et de langue française mettaient à ce genre de questions, qu’on dirait renouvelées de Balzac et que la critique de notre siècle rajeunit. Par ce simple aperçu, que je ne me flatte pas d’avoir su rendre complet, j’ai tenu à bien montrer du moins l’ensemble du mouvement qui s’est produit, depuis une trentaine d’années, autour de cette famille particulière de vieux poètes. […] Ce n’est qu’en ces dernières années qu’on a vu des hommes très au fait de l’ancienne et première poésie du moyen âge, et dont ç’avait été d’abord le point de vue préféré, se porter successivement sur celle du xvie siècle, en observant pour ainsi dire les étages et les gradations, en ne prenant pas la file à un moment quelconque, mais en suivant la chaîne dans toute son étendue. […] Il paraît que, pour l’étude, il s’était surtout formé par lui-même, et qu’il avait profité de deux années de mauvaise santé, où il avait été retenu dans sa chambre, pour lire les anciens poètes grecs et latins. […] En quelques années on oublia trois ou quatre siècles, et, avec cette malheureuse ambition qui est le fait de tous les novateurs, on voulut reconstruire à nouveau toute la littérature française.
Il se trouve ainsi, après des années, plus en avant et plus en train que de plus ardents au départ, mais qui ont dès longtemps rebroussé. […] Les esprits et les choses sont allés tellement depuis quelques années, et se comportent tellement chaque matin, que, pour se remettre au pas avec eux et avec elles, rien n’est mieux, rien n’est plus court et plus juste qu’une certaine inconséquence. […] Quoi qu’il en soit, pour insister sur un point capital de l’histoire littéraire de ces dernières années, je suis de ceux qui estiment que l’école dite romantique a été dissoute par le fait même de la révolution de Juillet. […] Le nom de Courier provoque le rapprochement avec un pamphlétaire d’esprit et même de talent182, qu’on lui a comparé souvent en ces dernières années et que quelques-uns n’ont pas craint de lui préférer. […] Et si le style s’en mêle, si l’agrément a touché ces humbles pages d’autrefois, elles ont aussi pour qui les rouvre après des années, un certain parfum.
Celui-ci naît quelques années seulement après la mort de son devancier : mais un siècle à peu près sépare les deux œuvres, et l’Histoire de Saint Louis nous conduit aux premières années du xive siècle, presque à la fin du véritable moyen âge. […] La Vierge vient remplacer la sacristine d’un couvent, qui s’est enfuie pour vivre dans la débauche, en sorte qu’on n’a pas remarqué son absence lorsqu’après bien des années le repentir la ramène. […] Garnier de Pont-Sainte-Maxence, ayant recueilli les témoignages des amis, des parents, de la sœur du saint, la composa dans les deux ou trois années qui suivirent le meurtre, en strophes de cinq alexandrins monorimes, et la récita plus d’une fois aux pèlerins venus pour visiter le tombeau63. […] S’étant croisé en 1248, il avait rencontré saint Louis à Chypre : la droiture, la vivacité, la gaieté de ce chevalier de vingt-quatre ans avaient séduit le roi, aux côtés de qui il resta pendant les six années de cette croisade de misère. […] Il a dicté ses Mémoires dans les dernières années de sa vie, entre 1207 sans doute et 1212.Éditions de la Conquête de Constantinople : Blaise de Vigenère, Paris, 1585 ; Du Cange, Paris, 1657 ; de Wailly, Paris, Didot, 1872 ; Bouchet, Paris, Lemerre, 1892. — À consulter : Hanotaux : Revue historique, IV, 74-100, Debidour, les Chroniqueurs, t.
Chacun sait qu’en France, durant ces trente-cinq années, tous les genres littéraires ont vu triompher avec éclat, sous le nom de réalisme ou de naturalisme, la tendance à subordonner le beau au vrai, l’art à la science. […] Sans doute, tous les socialistes n’acceptaient pas, même en ce temps-là, ces doctrines si peu conformes à la tradition française ; mais l’école qui les propageait rencontra des esprits préparés à les accueillir, parce qu’il y avait alors un véritable interrègne d’idéal ; elle profita de son accord avec les opinions ambiantes et elle put croire durant quelques années qu’elle avait triomphé, comme elle s’en vantait, « de l’illusion juridique ». […] C’est pourquoi les romanciers et les auteurs dramatiques se sont jetés avec avidité sur ce sujet attendrissant, et en quelques années ils ont prodigué les fictions82 où ils se sont faits les porte-parole de l’Église catholique, des esprits conservateurs ou des cœurs tendres contre la dissolution légale de la famille. […] Certains livres d’audacieuse théorie (par exemple La société mourante de Jean Grave) y ont été saisis voici quelques années à peine. […] L’arbitraire est là si évident et le public s’est si bien habitué depuis une vingtaine d’années à toute espèce de nudités de style que le cercle des choses jadis défendues s’est étrangement rétréci.
Nouvelles Nous apprenons que les Maîtres Chanteurs seront joués à Bayreuth l’année prochaine (au lieu de Tannhæuser) avec Tristan et Parsifal. […] Beaucoup d’industriels ès musique en éprouvent un chagrin violent ; sur l’heure ils découvrent Benvenuto Cellini. — Notez que, depuis plusieurs années déjà, tous les sérieux artistes réclamaient l’exécution de cette œuvre originale, sans qu’aucun de nos pontifes eût l’air de les entendre. […] » Cette année-ci, le coup de Benvenuto ayant déjà servi, on a préféré celui des Troyens. […] Au commencement de cette année, on ne connaissait pas la Walküre, qui est jouée dans les plus petits théâtres d’Allemagne. […] Le bâtiment fut reconstruit mais il prit feu à nouveau en cette année 1887, à cause d’une mauvaise utilisation de l’éclairage au gaz, ce qui causa la mort de quatre-vingt-quatre personnes.
Depuis des années, c’est un libéral qui se modère sans doute beaucoup et qui se contient ; mais, même avant la révolution de juillet 1830, c’était un libéral qui se travaillait sans cesse et qui s’ingéniait noblement pour se perfectionner. […] Les dernières années de la Restauration furent un beau et heureux moment pour M. de Broglie. […] Broussais, et de l’Othello traduit par M. de Vigny, honoreront la critique littéraire des dernières années de la Restauration. […] Mais son grand rôle dans les dernières années de ce régime était celui de politique consultant, et on l’a vu le parrain de plus d’un ministère. […] Il est resté tel, d’ailleurs, en apparence, qu’on le voyait dans les années précédentes.
Les années du bonheur s’étaient écoulées ; Mme de Montespan, spirituelle, altière, éblouissante, avait pris place et trônait à son tour dans le cœur du maître, et la pauvre La Vallière pâlissait. […] Les trois années qu’elle resta depuis à la Cour ne furent pour elle qu’une longue épreuve et un supplice. […] Il est temps d’arriver aux sentiments de douleur et de repentir qui ont épuré la passion de Mme de La Vallière, et qui ont donné aux trente-six dernières années de sa vie la consécration sans laquelle elle n’eût été qu’une maîtresse de roi assez touchante, mais ordinaire. […] Elle-même a consigné les sentiments secrets de son cœur dans une suite de Réflexions sur la miséricorde de Dieu, qu’elle écrivait au sortir d’une grave maladie qu’elle fit en ces années. […] Mme de La Vallière mourut le 6 juin 1710, après trente-six années de cloître.
Les libellistes qui s’attaquèrent à Maury, devenu célèbre, ont ignoblement fouillé dans les années de sa jeunesse et dans les premières circonstances de son séjour à Paris. […] Il n’arriva pourtant à ses fins que quelques années plus tard (1785). […] Il n’était pas homme non plus à se vouer à la composition de quelque grand ouvrage littéraire ; il n’éprouvait pas ce besoin de la perfection et de l’étude approfondie qui fait que, pour certains esprits solitaires et charmés, les années s’écoulent comme des heures. […] Confiné pendant plusieurs années dans son petit évêché de Montefiascone, il vécut trop avec lui-même : les vices en nous sont des hôtes qui deviennent les maîtres du logis avec les années, si on ne les réprime à temps et si on ne les met vigoureusement à la raison. […] qui, reprenant en ces années son Essai sur l’éloquence de la chaire, le corrigea, l’étendit, le perfectionna, et l’amena à un degré de maturité et d’élégance qui en fait un des bons livres de la langue, sous la forme nouvelle et définitive où il reparut (1810).
Dans les années vingt, il attaque violemment La Nouvelle Revue française et glisse à droite. […] , 22e année, troisième série, n° 15, juillet-septembre 1994, p. 67-70. […] Il paraît dans le Mercure de France, 27e année, t. […] Comme le rappelle par exemple André Billy (« Apollinaire vivant », Les Écrits nouveaux, 3e année, n° 11, novembre 1920, p. 8), Apollinaire aimait à laisser croire que son père était un prélat. […] Ce « néo-primitivisme », pour reprendre l’expression employée ici, correspond à une résurgence du classicisme qui prendra quelques années plus tard le nom de « rappel à l’ordre », manifesté tant dans les œuvres de Picasso, Satie, ou Radiguet.
C’est que le don de sa grâce ne devait pas tarir et que sa jeunesse devait survivre à ses années. […] De même qu’une goutte d’essence de foin coupé évoque magiquement les soirs profonds de juin et de septembre, ainsi la Clarté de Vie en un volume recèle le paysage changeant de l’année : Il mène l’Année alerte Au long des méandres divers… Le vers de M.
Blémont cite, avec émotion, ces paroles prononcées par Swinburne à propos de l’Année terrible de Victor Hugo : « Non, maintenant, après tant de sombres jours, après tant de terreurs et tant d’angoisses, aucun ami de la France ne peut refuser à Paris la grandeur et la dignité que le premier de ses enfants a ainsi constatées au temps de ses misères. […] Il suffirait, pour ne point se méprendre sur la mienne, d’avoir lu ce que je n’ai cessé d’écrire depuis quelques années ; mais c’est une peine que je ne prétends infliger à personne. […] Les grands événements de l’année littéraire sont : la statue élevée à Ronsard à Vendôme, — la mort de Théophile Gautier, — l’avènement de Sarah Bemhardt, trois faits qui auront leur répercussion dans le développement du lyrisme contemporain.
Chaque année, c’est dans une plus forte proportion que votre supériorité s’accentue. […] Tenez donc pour décisives, jeunes élèves, les années où vous êtes, et que trop souvent on considère comme des années sacrifiées.
Il y a une vingtaine d’années que quelques gens de lettres, réunis en société, annoncerent au monde savant qu’ils alloient exécuter dans tous ces points le projet de Bacon, sous le titre d’Encyclopédie, ou de Dictionnaire raisonné des sciences, des arts & des métiers, en dix-sept vol. […] Les sept premiers volumes de ce Dictionnaire furent livrés en effet entre les années 1751. & 1757., & les dix derniers volumes ont été publiés au commencement de l’année 1766.
Si je désire vivre encore quelques années, c’est dans l’espérance, bien ambitieuse du reste, de comprendre quelque chose à tel philosophe contemporain qui m’est fermé, et je veux dire à qui je suis fermé moi-même. […] Cette fois, la surprise nous est agréable ; nous nous trouvons plus forts et mieux armés ; les années nous ont raffermi. […] A propos d’un Werther en musique, il y a quelques années, averti par les observations de plusieurs critiques éminents de l’insignifiance et de la puérilité du Werther de Goethe, je relus Werther, que je n’avais pas lu depuis à peu près un demi-siècle, ayant accoutumé de relire plutôt Faust et le Divan, Je fus certainement moins ému qu’à seize ans ; je ne pleurai point ; mais je fus frappé de la solidité de l’ouvrage, de l’admirable disposition des parties, de la progression lente et forte, de tout ce qu’il y a enfin de savant dans cet ouvrage d’un étudiant et qui ne se retrouve plus du tout, beaucoup plus tard, dans les Affinités électives.
« J’ai continue de voir l’abbé Lacordaire pendant toutes ces années qui précédèrent son adoption d’un état religieux régulier. […] « J’ai beaucoup connu et fréquenté, dans les premières années de leur éclosion féconde, les talents et les génies de l’école dite romantique, et je puis dire que j’ai vécu familièrement avec la plupart. […] Lorsque Mérimée publia sa Clara Gazai, il ne connaissait l’Espagne que par les livres, et il ne la visita que plusieurs années après. […] J’ai, depuis des années, une dette morale à payer et je ne veux pas tarder plus longtemps à le faire. […] Je l’ai perdu de vue après quelques années, et, parti un matin comme pour une absence passagère, il ne m’est plus revenu.
En même temps, d’autre part, nous voyons le Conseil d’administration de l’École polytechnique demander qu’on rétablisse, pour les élèves ayant fait leur éducation classique, les points d’avance qu’on avait abolis au cours de ces dernières années. […] Depuis plusieurs années, j’étais frappé de l’absence presque totale de culture chez un grand nombre de jeunes gens, de l’indifférence de ces derniers pour les beautés de notre littérature et de leur méconnaissance du bon langage. […] Toute une année, j’ai entendu l’un d’eux donner ainsi le signal de la fin du cours : « Rangez vos affaires. » Un autre de ces dignes agrégés allait même jusqu’à user familièrement de cette locution bouffonne : « Dans le but de ». […] Ces juvénilia remontent à quelques années. […] On devrait étudier davantage le français et, pour cela, le latin serait utile, mais vous ne pouvez obliger les jeunes gens à une année de labeur de plus.
Cependant, quoique à chaque ouvrage qui paraissait, il y eût un dépouillement plus profond des qualités qu’on pouvait remarquer encore dans l’ouvrage qui avait précédé, c’est particulièrement dans ces dernières années que M. […] Pour peu qu’on en doutât, on n’aurait qu’à feuilleter la littérature de ces trente dernières années. […] Il est évident, pour qui la lit, que les reproches élevés de toutes parts, depuis quelques années, contre M. […] C’est ainsi, par exemple, qu’il nous parle, à deux reprises, de ce projet qu’on eut dans les dernières années du règne de Louis XV de faire cesser par un mariage le scandale public que le roi donnait à ses peuples. […] En effet, quand on a été la maîtresse publique d’un roi de France et qu’on a vécu plusieurs années de son état, nul historien n’est capable de vous refaire une innocence avec des calomnies de journalistes ou des insultes de bourreaux.
Mais nous ne voulons aujourd’hui que dégager, en passant, un point de cet horizon étendu ; que signaler, comme un détail entre les mille autres qui viendront plus tard, les changements dont l’Angleterre est le théâtre depuis plusieurs années, et surtout appeler l’attention sur un homme qui aura toujours la gloire — si une meilleure ne le tente pas — d’avoir nommé de son nom ces changements précurseurs du changement définitif et radical qu’il nous est permis d’espérer. […] Aussi, dans ces dernières années, l’idée d’une réforme est-elle partie d’Oxford même, de ce nid à préjugés anglicans reconstruit par la grande aigle des Tudors, Élisabeth, qui, par pitié filiale, sans doute, pour l’Établissement de son père, avait enjoint qu’on n’admît personne dans un collège sans avoir préalablement juré les XXXIX articles. […] Quant à lui, entré à l’Église du Christ (Christ-Church) en 1818, après avoir pris son premier grade in litteris humanioribus en 1822, élu fellow du collège d’Oriel ; il fut nommé, en 1826, l’année de son mariage, professeur d’hébreu, et son canonicat attaché à cette première charge. […] Au milieu de ces conversions qui se sont suivies, en vingt années, — comme certains éclairs se suivent à l’horizon, — avec une électricité silencieuse, Oxford, appuyée sur sa force séculaire, et d’ailleurs la vue affaiblie comme tous les pouvoirs qui ont fait leur temps, pouvait endormir ses inquiétudes dans le souvenir orgueilleux de son passé. […] Ce qui se passait dans le sein de l’Université anglicane devait avoir son contrecoup dans la nation tout entière, et plusieurs années dépensées dans une guerre de plume fort active l’avait merveilleusement disposée à le ressentir.
Que notre pauvre ami ait été amoureux de la princesse Bonaparte, c’est possible ; mais, dans tous les cas, cet amour n’aurait occupé que les trois dernières années de sa vie, et dans ces trois années il n’a fait que Les Pêcheurs.
Année 1658. […] Les notes historiques, les remarques, etc., tout va marcher de front, année par année. […] Molière donna, cette année, Le Festin de Pierre et L’Amour médecin. […] La pièce entière parut ensuite au Rinci, chez M. le Prince, le 29 novembre de la même année, et le 9 novembre 1665. […] Passons aux deux nouveautés jouées dans le courant de cette année.
Hyeronimo reconnut la ressemblance de ce messager avec Bartholomeo del Calamayo, l’ami du capitaine des sbires, de l’année précédente, mais il ne fit pas semblant, et l’enfant garda sa pensée en lui-même. […] Ordre donc, ci-dessous, du tribunal souverain de Lucques de procéder au partage du domaine et du podere (métairie), et d’en remettre les trois quarts aux héritiers Bardi di Bonvisi, légitimes propriétaires du reste, se réservant, lesdits héritiers, de revendiquer contre vous, quand ils le jugeront opportun, leur part arriérée de jouissance des fruits dudit domaine, injustement retenus par vous et vos ascendants depuis l’année 1694. […] L’avocat noir, mince et râpé, avec sa plume au chapeau, que mon fils Hyeronimo avait vu et entendu en guidant les pèlerins, l’année précédente, avec le capitaine des sbires, était auprès d’eux. […] Dans ce retranchement étaient compris d’abord le champ défriché de maïs d’où nous tirions le meilleur et le plus sûr de notre nourriture, le bois de lauriers qui chauffait le four, la plantation de mûriers qui nous donnait la feuille pour les vers à soie (une once de soie avec quoi nous achetions le sel et l’huile pour toute l’année), enfin le petit pré avec la grotte, la source et le bassin où Fior d’Aliza lavait les agneaux et où pâturaient les brebis et les chevreaux. […] Il y en avait encore bien assez, tant il est gros et fertile, pour nous nourrir presque toute l’année, pourvu que le caprice ne prît pas aux propriétaires du fonds et du tronc de l’arbre de le couper.
La question, posée dans l’Intermédiaire des chercheurs et des curieux l’année dernière, est restée sans réponse. […] Elle meurt après deux années d’une maladie atroce. […] Quand on a été aussi malheureux que possible pendant des années, on finit par être tranquille sur l’avenir : on sait qu’il vaudra toujours bien le passé. […] Elle écrit, en 1837 : « Quelle année ! […] Et pourtant, il eut un vrai chagrin lorsque, quelques années plus tard, Ondine épousa un jeune avocat, M.
L’amitié que nous avons portée depuis tant d’années à Mme de Girardin a été toujours d’un caractère si fraternel et si littéraire, que les charmes de sa figure n’ont été pour rien dans notre attrait pour sa personne, et que, en la pleurant avec amertume comme amie, nous sommes sûrs de notre impartialité comme écrivain. […] Madame Sophie Gay était contemporaine de ces quatre ou cinq femmes de beauté mémorable et de célébrité historique qui apparurent à Paris après le 9 thermidor, comme des fleurs éblouissantes prodiguées toutes à la fois, la même année, par la nature pour recouvrir le sol ensanglanté par l’échafaud. […] Rien ne ressemblait plus alors au poétique encadrement de l’apparition de Terni ; la scène avait changé, mais non la personne ; les années l’avaient embellie encore. […] Nous nous étions vus dans une heure d’émotion où les minutes comptent pour des années. […] XXIX Il se passa de longues années avant que j’eusse l’occasion de la revoir ; elle avait rempli ces années de bonheur, de vers et de célébrité : des volumes de poésie, des romans de caractère, des articles de critique de mœurs qui rappelaient Addison ou Sterne ; des tragédies bibliques, où le souvenir d’Esther et d’Athalie lui avait rendu quelque retentissement lointain de la déclamation de Racine ; des comédies, où la main d’une femme adoucissait l’inoffensive malice de l’intention ; enfin des Lettres parisiennes, son chef-d’œuvre en prose, véritables pages du Spectateur anglais, retrouvées avec toute leur originalité sur un autre sol : tout cela avait consacré en quelques années le nom du poète et de l’écrivain.
l’amour constant pour une réputation de près de vingt années, pour un homme qui, redevenu par son choix simple particulier, a traversé le pouvoir dans le voyage de la vie, comme une route qui conduisait à la retraite, à la retraite honorée par les plus nobles et les plus doux souvenirs ! […] Lorsque l’Académie française existait, cette société recueillait toutes les années les mots que l’usage ou les bons écrivains avaient introduits, et déclarait quels étaient ceux que l’usage avait proscrits. […] Le travail de ce Dictionnaire a été suspendu depuis dix années, et ces dix années ont certainement excité des sentiments et des idées d’un genre tout à fait nouveau.
Le développement de la littérature se lie à l’histoire générale de la société française pendant ces quarante années, et la correspondance est assez facile à saisir. […] Dans ces dix dernières années semble s’être achevée une évolution de l’éloquence politique, dont le commencement remonte presque aux débuts du régime parlementaire. […] Je me demande, toutefois, si elle n’aura pas sa revanche, et bientôt : depuis une quinzaine d’années, on s’est battu plutôt pour des intérêts que pour des principes ; mais voici que, de nouveau, deux conceptions générales de l’ordre social sont en présence. […] Francisque Sarcey (né en 1828). sorti de l’École Normale en 1851. professeur de 1851 à 1858, puis journaliste, chargé de la critique dramatique au Temps depuis 1867, se fit remarquer par ses conférences dès les dernières années de l’empire. — Éditions : Souvenirs de jeunesse, in-16. 1884 ; Comment je devins conférencier, n-16.
Je l’ai demandé aux articles de ses dernières années où il a semé parfois des souvenirs de ses années d’épreuves et de formation. […] Très peu d’années nous séparaient ; et nous appartenions en somme à la même génération d’esprits. […] Dans les articles rapides de ses dernières années, il s’est laissé aller à causer, à se souvenir ; il s’est mis à l’aise, laissant jouer son esprit et sa sensibilité, suivant les images de sa vie et de la vie qui s’évoquaient en lui.
Ainsi, la seconde moitié du xviiie siècle voit s’épanouir avec une force singulière la sensibilité française, qui commençait, depuis une vingtaine d’années, à reprendre, aux dépens de la raison, une place croissante dans la littérature et la philosophie. […] Quelques années plus tard, la sensibilité a si bien absorbé tout l’homme qu’on le définirait volontiers un être qui sent, et Bernardin de Saint-Pierre propose, en termes formels, de remplacer le fameux argument de Descartes : « Je pense, donc je suis », par celui-ci, qui lui paraît plus simple et plus général : « Je sens, donc j’existe ! […] Michelet, à propos de Zaïre, écrit44 : « L’âme française un peu légère, mobile et refroidie par le convenu, l’artificiel, semble à ce moment gagner un degré de chaleur. » Ce qui était vrai dès 1732 l’est bien davantage dans les soixante années qui suivent. […] Cela n’expliquerait-il pas, en partie, le coloris funèbre qui assombrit la Lucrèce Borgia de Victor Hugo, jouée l’année suivante ?
Cela s’est vu : on peut perdre en trois semaines le résultat de plusieurs années, presque de plusieurs siècles. […] Les hommes, après quelques années de paix, oublient trop cette vérité ; ils arrivent à croire que la culture est chose innée, qu’elle est pour l’homme la même chose que la nature. […] Il y eut, au sortir de la Terreur, division persistante et schisme ; mais, lorsque enfin la réunion se fit, jamais la Comédie-Française ne parut plus au complet ni plus brillante qu’à la veille de Brumaire et en ces années du Consulat. […] La vie publique nous envahit ; des centaines d’hommes politiques arrivent chaque année des départements avec des qualités plus ou moins spéciales et des intentions que je crois excellentes, mais avec un langage et un accent plus ou moins mélangés.
Cette admiration, indépendante du fond même, devenait aisément unanime chez tous ceux qui l’entendaient ; mais les preuves réitérées et diverses qu’il a données de sa puissance oratoire dans ces deux dernières années le classent définitivement parmi les maîtres de la parole. […] En effet, à ne le prendre que dans cette carrière déjà si pleine qu’il a fournie durant treize années au sein de la Chambre des pairs, je vois en lui un orateur des plus distingués, l’avocat ou plutôt le champion, le chevalier intrépide et brillant d’une cause ; mais tous ses développements d’alors roulent sur deux ou trois idées absolues, opiniâtres, presque fixes : il défend la Pologne, il attaque l’Université, il revendique une liberté illimitée pour l’enseignement ecclésiastique, pour les ordres religieux ; il a deux ou trois grands thèmes, ou plutôt un seul, la liberté absolue. […] Ici on me permettra quelques remarques qu’il m’a été impossible de ne pas faire durant les années où j’étudiais de loin, en silence, ce talent précoce et grandissant. […] Mais ce discours sur Cracovie fut surpassé encore par celui de l’année suivante, du 14 janvier 1848, sur les affaires de Suisse.
On a pu croire qu’en ces dix dernières années la frénésie de lettres eût atteint à son paroxysme suprême et qu’elle ne dût désormais que décroître pour la paix, la joie, le salut des véritables écrivains qui font leur œuvre sciemment, légitimement, en silence. — Mais on a cru… parce qu’on espérait. — La politique nous valut une trêve qu’on rêva bienfaisante et qui ne fit en somme, qu’aggraver la confusion. […] Entre lui et tel artiste enfermé des années dans un labeur très lent, il n’y eut guère plus qu’une différence de temps. […] Les jeunes combattants ne pouvaient se tromper sur la valeur des forces ennemies… Car il est temps de rendre à la poussée lyrique dont la clameur emplit ces quinze ou vingt dernières années, son sens réel et sa juste physionomie. […] Les années passent, la crise s’accentue.